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Cultivons l’empathie pour rester humains

Animal, machine, humain


Cultivons l’empathie pour rester humains
Film "I am mother" de Grant Sputore (2019). Image: capture d'écran Netflix

Une humanité qui ne cultive plus son empathie ne va pas simplement retourner parmi les bêtes, au stade de nature. Elle est mûre pour le remplacement par l’intelligence artificielle.


Animal, machine ?
Non humain.
Vous avez des preuves ?

Drôle de moment où nous voici tiraillés entre deux extrêmes, sommés de se justifier sur-le-champ, d’expliquer pourquoi nous vaudrions mieux – nous les hommes – que la machine ou que l’animal.

À ma droite, la technologie, qui nous met en concurrence avec l’intelligence artificielle, plus forte, plus rapide, plus fiable, qui promet de nous reléguer d’ici quelques années, pauvres humains, au rôle de machines obsolètes, comme ces ordinateurs des années 80 que l’on regarde aujourd’hui un peu moqueur, avec un brin de nostalgie pour le bonheur qu’ils nous ont procuré enfants.

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À ma gauche, les antispécistes, nouveaux soldats de la cause animale, qui veulent nous convaincre que la hiérarchie homme – animal n’a plus lieu d’être, que tuer une vache c’est tuer une sœur, que nous serions devenus criminels et anthropophages à notre insu.

Il était une fois dans les Balkans…

Alors, qu’est ce qui fait notre spécificité en tant qu’Homme, puisqu’il faut maintenant apporter des preuves ?

Il serait bon que les philosophes nous éclairent…

Et il me revient cette histoire, apprise d’une bouche amie.

Cela se passe dans un pays des Balkans.
Il y avait cette femme, son enfant, son seul enfant, condamné par une maladie que l’on disait incurable.
Les médecins avaient évoqué une dernière opération possible, très coûteuse, jamais tentée jusqu’à lors, puis finalement décidé que l’entreprendre serait inutile, qu’elle serait inévitablement vouée à l’échec. Et puis trop chère pour pouvoir être prise raisonnablement en charge par le système d’assurance maladie.
Dès lors plus d’espoir possible.
L’enfant était condamné.
La mère ne put s’y résoudre.
Refusant la fatalité, elle mit tout en œuvre pour récolter les fonds et financer malgré tout l’opération. Son cas émut la population et, en quelques semaines, par un élan de générosité inattendu – des milliers d’anonymes envoyèrent leurs dons – elle parvint à réunir la somme nécessaire (c’est d’ailleurs assez fréquent chez nos voisins de l’Est ces appels aux dons venant de particuliers, dans les médias, ou même directement dans votre boite mail au travail, pour des opérations que le système de santé ne peut pas assurer. Cette solidarité parallèle – ou palliative – qui chez nous s’organise par l’entremise des grandes associations caritatives, s’exprime ici de façon plus directe, plus personnelle. L’intermédiaire anonyme passe à la trappe).
Grâce aux fonds récoltés donc, l’opération eut lieu.

L’enfant ne put être sauvé.

Comme l’avaient dit les médecins, comme l’avait prédit la science, la science avait raison, la raison a eu raison. L’intelligence artificielle, si on l’avait sollicitée, aurait conclu elle aussi avec plus de précision et plus de certitude encore, de l’inutilité de se lancer dans cette entreprise. Et pourtant, qui peut affirmer que l’opération n’aurait pas dû avoir lieu ?

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Pour la mère, la raison importe peu. Quelle mère ne tenterait pas tout, même l’impossible, pour sauver son enfant. Comment lui survivre avec le doute, avec le regret de ne pas avoir tout essayé ?  

Mais qu’en est-il des autres, les milliers de donneurs ? Eux non plus n’ont pas agi par raison – l’issue malheureuse était prévisible – ni par espoir fou. 

Alors pourquoi ? 

Au-delà de l’émotion, il y a sans doute une motivation plus profonde qui a résonné chez chacun d’entre eux : « Moi aussi à sa place, j’aurais tout tenté. Et je fais pour elle ce que j’aimerais que l’on fasse pour moi ».

L’empathie.

Que reproche-t-on en dernière instance aux pires criminels, ce qui les exclut de façon irrémédiable de la société des hommes ? Leur absence de remords, souvent conséquence de l’absence d’empathie. Point d’empathie, point de rachat possible.

L’empathie en danger

Regardez un enfant de 2 ans. Rarement vous le verrez interrompre ses jeux aux hurlements de son petit frère, juste à côté, qui vient de chuter de sa chaise et heurter violemment le carrelage de la cuisine. Il lui faudra quelques années supplémentaires pour développer l’empathie, étape nécessaire nous disent les pédiatres, qui humanisera peu à peu ce monstre égoïste. Apprendre à devenir un homme en passe par là. (L’absence d’empathie est sûrement une question de survie les premiers jours, et son développement par la suite également, puisque sans les autres, on meurt…la nature est bien faite !  Ce qui incite par ailleurs à se demander si l’on a bien compris ce qui se jouait ici. Dans une société horizontale dont le principal moteur sera l’agrégation ou la concurrence des droits individuels, et dans laquelle les rapports entre citoyens ne seront plus que régit par le droit et le contrat – « l’envie de pénal » dont s’amusait Philippe Muray – quelle place pour l’empathie ? Pour quelle raison se soucier de mon voisin puisque c’est à l’État ou à la loi s’en charger ?)

Alors l’empathie, c’est nous ?

C’est peut-être l’une des dernières digues à laquelle s’attaquent les chercheurs en IA, sans doute la plus difficile, puisqu’ils ont compris que se jouait ici le point de bascule pour nous rendre acceptable les décisions de l’IA, qui seront logiquement de plus en plus coercitives.

Seulement il s’agit ici de mimer, une empathie de parade, le robot à visage humain aurait dit le philosophe.

Il y aura toujours contradictio in adjecto. Une chose que la machine pourra toujours singer, mais pas nous prendre, alors que sur bien d’autres terrains comme la puissance de calcul et la mémoire, nous sommes déjà hors-jeu…

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Quant aux bêtes, il faut noter, non sans ironie, que c’est cette même empathie qui conduit les antispécistes à considérer l’animal comme leur égal. Cette supériorité de fait qu’ils refusent d’admettre (on ne connait pas encore de vache sensible à la cause humaine), leur donne cette responsabilité envers l’animal qu’ils endossent pourtant (de façon un peu excessive, certes…)

Alors en attendant que les philosophes nous rassurent, soyons déraisonnables – de temps en temps – chérissons nos empathies, restons humains.



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