Accueil Édition Abonné Avril 2022 Des messies pour des lanternes

Des messies pour des lanternes

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


Des messies pour des lanternes
Soleil

Un président de la République légitime, c’est un président élu, non ? En Russie peut-être mais pas en France ! Faut-il recruter Braudel, Baudrillard et Mitterrand pour comprendre ?…


Est légitime ce qui est juste, fondé en droit, en équité. Une femme légitime, c’est une épouse. Un enfant légitime, c’est le vôtre. Un président légitime, c’est un président élu. D’accord ?… Non, pas chez nous.

Pour le parti légitimiste, favorable au retour des Bourbons, Louis-Philippe n’était pas le souverain légitime bien qu’il ait été élu roi des Français, en 1830. Sous De Gaulle, élu en 1958, réélu en 1965, son principal opposant, François Mitterrand, publia un ouvrage intitulé Le Coup d’État permanent – un brûlot. On sait déjà que pour beaucoup, le 24 avril, le président Macron sera d’autant moins légitime qu’il est majoritaire.

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Pas de débat, pas de mandat ! Macron, voleur ! Macron dégage ! Élections, piège à cons ! À bas la Ve République ! On connaît l’antienne. Depuis la Révolution, les Français s’efforcent de combler un abîme – le vide symbolique ouvert par la mort d’un roi ? On a beau être républicain, on est devenu minoritaire – un comble ! On n’y peut que dalle – celle d’un tombeau peut-être.

Car la France est ce pays où tout conflit s’éternise avant de requérir les institutions les plus hautes à la fois pour les contester et réclamer leur arbitrage. En gros, on accepte du chef élu qu’il règne – « un chef, c’est fait pour cheffer » (Jacques Chirac) – mais on ne lui permet pas de gouverner. Notre idée du pouvoir : absolu – mais faible ! Ce qu’on a retenu de Voltaire et Jean-Jacques : ils étaient contre – ce qui nous donne le droit permanent de proférer des insanités dans la rue.

Ce qui nous a quittés ? L’idée même d’un bien commun qui, au-delà de leurs intérêts particuliers, fédère tous les citoyens. Ce qui en reste ? Le parfum rance. La radicalité« un privilège de fin de carrière », disait Baudrillard. Et la rage – celle des candidats qui ne seront pas choisis. Mélenchon, Zemmour, Le Pen… on les entend déjà protester et solder leurs ambitions déçues : « On a perdu ? Chérie, ma pipe et mon gilet jaune ! » Variante : « Retenez-moi ou je fais un malheur ! »

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On a le droit d’être déçu – c’est même essentiellement ça, la démocratie. Une démocratie peut être libérale (ou pas), autoritaire, participative, délibérative, etc. On en doit la définition la plus belle (et la plus obscure) à Abraham Lincoln : « Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. » Et après ?… « Comment gouverner ? » Pas simple. « Qui est le peuple ? » Pas clair. Car dèmos (le peuple) et cratos (le pouvoir) alias Mytho et Mégalo forment un étrange attelage.

Quand on parle de la France au risque de sombrer dans la déploration et dans le ridicule – mais après tout, le ridicule est une forme de courage –, on oscille avec emphase entre deux postures, deux discours : l’un amoureux, l’autre acerbe. Plus que jamais, on est tiraillé. On voudrait servir mais on refuse d’obéir. On voudrait hurler mais avec le temps, on devient ici plus raide, et là plus mou – la France est un si vieux pays ! Le jeu moisit. On se lasse de l’esclandre. Les bravades perdent de leur attrait. On est fatigué des mensonges, des promesses, des fake news – on s’indigne puis on s’endort devant la télé.

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La fin de l’Histoire, ha ! ha !… tandis que la guerre en Ukraine nous arrache à nos vertueuses somnolences en contrariant le business plan programmé de l’Europe, on feint de découvrir que la patrie n’existe qu’à travers le combat et les sacrifices qu’elle exige. Français, encore un effort !… Il va falloir choisir entre la famine ou Gazprom, les moulins à vent ou le nucléaire, « Erasmus » ou la Grande Muraille ! « Ah les cons ! », comme disait Daladier de retour de Munich en 1938.

Et la France dans tout ça ?

« La France, je la vis. J’ai une conscience instinctive, profonde de la France… J’ai la passion de sa géographie », se vantait François Mitterrand dans L’Abeille et l’Architecte (1978). On n’exige plus de notre président qu’il soit un peu druide et qu’il parle aux arbres. Pour fêter sa réélection, Macron songe-t-il à se recueillir sur le mont Beuvray avec ses ministres et à célébrer l’union sacrée des tribus gauloises en souvenir de Vercingétorix ? Ça m’étonnerait.

« Je le dis une fois pour toutes : j’aime la France avec la même passion, exigeante et compliquée, que Jules Michelet », avouait Braudel à l’orée de son livre-testament L’Identité de la France (1986), mais il s’efforçait subtilement, en historien, d’en parler « comme d’un autre pays ».

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Regarder la France comme si on n’en était pas, sans s’émouvoir, sans se morfondre, est-ce possible ? Il faudrait pour cela, à rebours des dévotions qu’on nous inflige, convoquer une subjectivité de haut rang. Ce qui nous manque, c’est un vieux chameau transcendantal qui nous sonnerait les cloches. Un Péguy. Un Bernanos. Un Philippe Muray pestant contre les mutins de Panurge que nous sommes et endossant sa robe de Grand Inquisiteur devant nos absurdes doléances.

Comment rompre avec ces simagrées ? Que faire quand l’exercice de l’intelligence – est-ce le bon mot ? – se traduit par une montée aux extrêmes, quand le rêve d’égalité devient une fureur de repentance, quand l’idéal de justice devient un système de persécution, quand le ressentiment des minorités adopte le langage de la libération, quand la haine devient virale, et le mensonge plus convaincant que la vérité ? Se battre mais contre qui ? contre quoi ?

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Pendant ce temps-là, dans leur petit coin d’Europe, chut ! les Français votent. Pas tous, pas assez, je sais, on ne vote plus en France comme jadis on allait à la messe le dimanche ! Avez-vous regardé les clips de la « campagne officielle » ? Tous les candidats se targuent de nous rendre plus heureux – de quoi je me mêle ! Tous providentiels, tous prêts à se damner pour sauver la France. Des messies pour des lanternes !

Poutine avec sa face de carême est infiniment plus crédible quand il promet : adieu Grozny ! bonjour Marioupol ! lui il ne rase pas gratis.

« C’est prodigieux tout ce que ne peuvent pas ceux qui peuvent tout », ironisait Talleyrand. Une alliance bancale entre le possible et le réel, c’est ça, la politique. Vous avez mieux ? Non, il faut faire avec.

« … A voté ! »

Avril 2022 - Causeur #100

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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