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Renée Saint-Cyr, comédienne de naissance

10 ans avant sa mort l'actrice a donné une interview pleine de nostalgie


Renée Saint-Cyr, comédienne de naissance
Renée Saint-Cyr.©LIDO/SIPA 00183120_000003

Dix ans avant sa mort, l’actrice aux allures d’aristocrate parle de sa pudeur, de son métier et de ceux et celles qu’elle a connus. Éloge de Mireille Darc, Jeanne Moreau et d’autres « gars bien ».


Le peuple français a aimé son propre reflet incarné par Jean Gabin, Bernard Blier, Jules Berry, Julien Carette, Viviane Romance, Danielle Darrieux et tant d’autres. Parmi ces figures populaires, il y a Renée Saint-Cyr (1904-2004), la mère du metteur en scène Georges Lautner. Dans cet entretien retrouvé, enregistré en 1994, elle nous parle d’hier, c’est-à-dire de jadis : de la nostalgie enrubannée, quel plus beau cadeau pour Noël !

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Rapidement proclamée vedette

Dès qu’elle paraît à l’écran, en 1933, dans Les Deux Orphelines, un mélodrame signé Maurice Tourneur, on la proclame vedette. Elle sait très habilement se glisser dans des rôles contrastés. Elle est la créature consentante au malheur, la délurée gracieuse ouvrant de grands yeux noirs où brille une effronterie honorable, ou encore la délicieuse Française affectée, à la moindre émotion, de cet « érythème de la jeune fille pudique » qui transforme les joues d’une pucelle en un cratère de volcan gagné par l’éruption.

C’est ainsi qu’elle est choisie par René Clair, Jean Grémillon, Christian-Jaque, Raymond Rouleau, Sacha Guitry, Vittorio De Sica, Louis Daquin, Albert Valentin… Puis son fils et quelques autres lui permettront d’être reconnue par les nouvelles générations.

Causeur. Tout paraît simple : vous étiez inconnue, vous apparaissez dans un film, le public vous acclame, les femmes veulent vous ressembler, les producteurs vous courtisent…

Renée Saint-Cyr. J’ai su dès mon premier essai que ce métier était fait pour moi, j’ai immédiatement trouvé facile de jouer la comédie. On est comédien comme on est prince : de naissance ! On n’a aucun mérite.

Physiologiquement, j’avais besoin de jouer la comédie

Affronter les contacts humains m’est difficile, je suis naturellement « empêchée ». Physiologiquement, j’avais besoin de jouer la comédie. Ce métier est une joie permanente, écrire, mon autre passion, est une ferveur entretenue. Après l’écriture d’un livre, j’éprouve un passage à vide, une dépression, toutes mes petites mécaniques quotidiennes foutent le camp. Je n’ai jamais éprouvé cela après un film. En société, ma pudeur m’embarrassait, devant une caméra, je n’avais plus peur de rien, même si je connaissais le trac. Bien sûr, j’ai voulu mériter ce métier, j’ai travaillé mes classiques avec Raymond Rouleau, Fernand Ledoux, Tania Balachova. Mais avais-je l’impression de travailler ? Je partageais un plaisir.

Jamais la moindre lassitude ?

Jamais ! À mes débuts, j’ai connu des rythmes de tournage très durs, les horaires syndicaux n’existaient pas. Pour D’amour et d’eau fraîche (1933), nous travaillions vingt-quatre heures d’affilée. Le metteur en scène, Félix Gandera, achetait de la coca à la pharmacie pour nous permettre de lutter contre la fatigue, c’était très efficace. Nous n’avons pas le droit de nous plaindre, quand nous avons la chance de travailler. Nous exerçons notre passion, on nous paie bien, et parfois, même, on nous récompense ! En revanche, j’ai surmonté douloureusement ma pudeur originelle, surtout dans mon expression orale. J’ai mis un temps fou avant de pouvoir dire seulement « merde ! ».

Dans une scène de la série Palace, signée Jean-Michel Ribes (Canal +, 1988), vous proférez des obscénités avec votre voix d’aristocrate affranchie !

Edwige Feuillère me l’a reprochée cette scène : « On n’a pas le droit de faire dire de telles choses à une comédienne. » Mais si, Edwige, une comédienne peut tout dire ! Jean-Michel Ribes, je m’amuse follement dans sa compagnie. J’ai créé son premier grand spectacle, Il faut que le Sycomore coule, en 1972. Ribes m’a permis d’arracher mon étiquette de femme respectable ; avec lui, je me suis habillée aux puces, j’ai porté une perruque couleur carotte et j’ai dit des énormités !

Jean-Paul Belmondo, encore un gars bien : il adore sa maman et il admire son père

Vous les avez tous connus, qui admirez-vous parmi les comédiens ?

Ils sont si nombreux ! Dans L’École des cocottes (1935, mis en scène par Pierre Colombier), j’avais Raimu pour partenaire : rendez-vous compte, Jules Raimu, sa voix de tonnerre, son œil intense, bref toute l’humanité du monde ! Dans une scène très émouvante, j’inondais sa forte épaule de mes larmes, qui jaillissaient sur la caméra !

J’aimais infiniment Pierre Richard-Wilm, un raffiné qui jouait merveilleusement bien du piano. J’ai été étonnée par Maurice Biraud, excellent interprète, plutôt pudique lui aussi, mais libéré au moment de jouer. Il était épatant dans La Grande Sauterelle (Georges Lautner, 1967, avec Mireille Darc et Hardy Krüger), où Francis Blanche avait un moment extraordinaire : des tempéraments, ces deux-là ! J’aurais voulu connaître Suzanne Flon, admirable dans tous ses emplois, comme Jeanne Moreau. J’aurais bien aimé soulever la carapace de Moreau : difficile, il faut une cuillère à escargot ! Elle aussi joue comme elle respire. C’est un gars bien, Moreau ! C’est rare, les gars bien, très rare ! Anny Duperey est un gars bien, comme Mireille Darc.

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Mireille Darc, un gars bien ?

Quand je dis cela d’une dame, c’est pour manifester toute l’estime qu’elle m’inspire. J’aime infiniment Venantino Venantini, que je vois souvent : il m’attendrit ce play-boy prolongé avec sa belle gueule burinée. Dans la famille, je compte évidemment Michel Audiard. Il m’a remis la médaille de la Légion d’honneur ; son discours commençait ainsi : « C’est bien la première fois que je vais te dire vous ! », car on doit vousoyer le récipiendaire. Jean-Paul Belmondo, encore un gars bien : il adore sa maman. Et il admire son père – il m’a fait visiter son atelier : un grand sculpteur ! Il y en a un, que j’ai repéré très rapidement : Bertrand Blier. Il était stagiaire dans un film de mon fils, j’ai dit à Georges : « Celui-là, il fera son chemin. » Je ne me suis pas trompée. Il y a une parenté d’inspiration entre lui et Audiard, mais Blier va plus loin encore, et dans un autre genre. Voyez-vous, si je considère tous ceux que je viens d’évoquer et, si je m’inclus dans ce panorama, je me dis simplement qu’il faut du courage pour être soi-même. 

Décembre 2020 – Causeur #85

Article extrait du Magazine Causeur




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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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