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Comment le tennis nous réconcilie avec le roman

Le tennis de papa ne veut pas mourir


Comment le tennis nous réconcilie avec le roman
L'Espagnol Carlos Alcaraz remporte Roland Garros, 8 juin 2025 © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA

Dimanche, la finale de Roland-Garros Messieurs qui a opposé l’Espagnol Carlos Alcaraz à l’Italien Jannik Sinner en cinq sets a réconcilié les Français avec l’effort dans la durée. Monsieur Nostalgie nous explique pourquoi c’est une bonne nouvelle pour la littérature et la lecture…


Les juges de ligne disparaissent du circuit, à l’exception de ceux de la Porte d’Auteuil. Le « super tie-break » a remplacé les deux jeux d’écart quand le match se tend au bout de la nuit et que la dramaturgie commence enfin sur les écrans. La télévision a gagné la bataille de la retransmission. Elle a fait taire les forçats de la terre battue. Elle a des pubs à lancer à l’antenne sans se soucier des errements des joueurs. Ces derniers sont désormais dociles comme des agneaux, ils répugnent à bousculer le juge de chaise de peur de recevoir un avertissement et se faire mal voir de leurs sponsors. Leurs mécènes ne rigolent pas avec les fautes d’opinion et les dérapages verbaux, la clientèle mondiale ne le supporterait pas ; les champions d’aujourd’hui ont des comptes à rendre à leurs nouveaux directeurs de conscience.

Ils s’expriment un peu comme des conseillers conjugaux à la fin des matchs, mélange de psychologie huileuse et de langue de bois ; sans conviction, ils sont aussi naturels qu’un homme politique en campagne électorale. Devons-nous leur tendre le micro pour écouter tant de banalités ? Laissons-les jouer sans nous faire suer ! Leurs gestes suffisent à notre bonheur. Les balles m’ont semblé aller encore plus vite cette année, même sur cette surface ocre autrefois réputée lente. Et chez les Français, aucun garçon n’a atteint la deuxième semaine du tournoi, par contre, nous avons assisté à l’éclosion d’une Loïs impériale, déterminée comme les héroïnes de manga. Pour les plus anciens, la marque de jean espagnole Loïs née du côté de Valence était jadis un sponsor de Roland-Garros et habillait notamment Borg et Cruyff. En première semaine, on se serait cru dans une PME à la veille des grandes vacances quand les anciens tirent leur révérence après quarante ans de bons et loyaux services. On ne les verra pas à la rentrée des classes en septembre prochain. Caroline a versé une larme, Nicolas sur un court annexe a pris le temps de remercier ses compagnons de route et Richard a eu droit à la courtoisie légendaire de Rafa.

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Avant les Internationaux de France, certains ne cachaient pas leur ras-le-bol de se coltiner un tennis vieillissant, ultracodé et réac ; ne serait-il pas venu le moment de tuer la tradition et d’entrer dans une nouvelle « ère Open » ? Les « Boomers » qui constituent le cœur de cible de ce marché valétudinaire ne seront pas éternels. Le grand remplacement les guette. Qui se souvient de Noah, d’Edberg et de Tiriac que des caméramen nostalgiques s’évertuent à filmer ? Les loges du Central ressemblent à une réunion de « copains d’avant ». Dustin Hoffman, 87 ans, était là, mais je n’ai pas vu Philippe Lavil dans les tribunes, lui qui a chanté le plus bel hommage à la balle jaune dans son tube de 1982 intitulé simplement « Tennis ». « J’ai le toucher de balles de Gerulaitis », disait-il. Depuis que Jean-Paul Belmondo n’arbore plus ses lunettes d’aviateur et ses yorkshires toilettés, nous avons perdu nos repères en ce début juin, notre passion s’est émoussée. Quand il apparaissait avec Charles Gérard, son complice de toujours en polo Lacoste, nous étions aux anges. L’été pouvait débuter.

Certains marchands d’espaces et de breloques s’impatientent, ne faudrait-il pas refonder, voire reformater ce sport pour le rendre plus attractif, plus inclusif, plus démocratique et surtout toucher cette jeunesse si volatile qui est incapable de se concentrer ? Elle n’a plus une minute de cerveau disponible à consacrer à une activité bourgeoise et un brin sectaire. Elle veut du prémâché, du liquide, de l’intraveineuse ; le pépiement des images sur les réseaux sociaux l’empêche de se poser ne serait-ce qu’une seconde et d’appréhender l’existence autrement que sur un mode accéléré, rythmé, coloré et saturé. Cette finale qui a vu la victoire de Carlitos avait sur le papier de quoi énerver les tenants d’une révolution esthétique et numérique. Elle fut extrêmement longue, plus de cinq heures, intenable pour les nerfs, étrange dans ses revirements et ses tâtonnements, agaçante parfois et rayonnante dans ses envolées tennistiques ; ce marathon fut l’expression même du tennis à l’ancienne. Un acte de résistance en soi. Une aberration dans une société déconstruite. Le Philippe-Chatrier était plein à craquer, moite et enfiévré, deux champions ont montré d’incroyables qualités et d’abyssales faiblesses, sans les failles, la victoire n’est rien, nous avons tous eu le sentiment de vivre une finale à part. Cette finale suffocante, angoissante, merveilleuse et dramatique a été la plus belle illustration et définition du roman. Les professeurs de français pourront l’utiliser dans leurs cours. Elle a flirté avec l’Art dans sa temporalité et dans sa tension narrative, dans son éclat et son onde. Le roman est un magma qui n’a rien de linéaire, il est animé par des phases dissonantes, tantôt cabossé, tantôt cavaleur, des plages d’hébétude succèdent à des accélérations foudroyantes, il donne le tournis, et surtout il nous oblige à accepter les temps morts. Le tennis quand il est pratiqué par des génies produit le même effet que la littérature. Il suspend le temps, le distord et le fige, tel un souvenir inoubliable. Longtemps après, on se souviendra de ce dimanche de juin.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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