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La révolution transhumaniste est en marche


La révolution transhumaniste est en marche
©Soleil

En juillet 2010, l’Autrichien Patrick Mayrhofer, grand brûlé à la suite d’un accident, s’est fait greffer une prothèse robotique en lieu et place de sa main gauche valide mais déficiente. Grande première, cette opération réalisée avec l’aval de la Commission d’éthique autrichienne a fait du patient un individu-cyborg capable de saisir des objets et de se servir de ses doigts électroniques. Demain, des paralytiques pourraient suivre l’injonction christique « lève-toi et marche », à l’instar du paraplégique qui avait donné le coup d’envoi de la Coupe du monde de football 2014. Comme par enchantement, ce jeune homme aux deux jambes paralysées s’était levé puis avait frappé le ballon d’un coup de pied, grâce à l’exosquelette de deux jambes attaché à sa taille et relié à un casque d’électrodes lisant dans son cerveau.

Une révolte de l’homme contre ses limites naturelles ? Non, une révolution ! Une grande mutation scientifique, technologique et humaine s’apprête à déferler sur le monde à partir de la Silicon Valley. La révolution transhumaniste est en marche.

Régénération et ovaires artificiels

De la conjonction de quatre domaines de recherche scientifiques, naîtront des bouleversements qu’on peine encore à appréhender. Un sigle résume la révolution qui vient : « NBIC » : nanotechnologies (l’étude de l’infiniment petit, à l’échelle de la molécule), biotechnologies (l’analyse du génome), l’informatique et le cognitif (l’étude du cerveau, cet inconnu). Comme le résume Béatrice Jousset-Couturier, « à chaque fois que la connaissance dans l’un de ces domaines s’améliore, cela accroît celle des trois autres », si bien que Laurent Alexandre, théoricien français du transhumanisme, ne craint pas de prophétiser « la mort de la mort ».

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Si l’immortalité dont rêve notre ami Vincent Castagno n’est cependant pas pour demain, des progrès d’une ampleur inédite s’annoncent. Ces dernières semaines, trois avancées scientifiques ont été révélées au grand public :

– L’hôpital pour enfants de Philadelphie a créé un utérus artificiel pour agneaux grands prématurés, afin d’éviter la mort ou des séquelles irréversibles aux fœtus de moins de 24 semaines. Ce sas en plastique sert de couveuse extra-utérine pendant quatre semaines.

– Le projet européen BAMI vient de lancer une expérience visant à tester la régénération de cœurs humains nécrosés par des infarctus, grâce à l’injection de millions de cellules souches pour réparer les tissus lésés.

– Grâce à une imprimante 3D, l’université américaine Northwestern a mis au point un ovaire artificiel à base de gélatine. Sa greffe a redonné de la fertilité à des souris stériles qui ont engendré des enfants s’étant par la suite eux-mêmes reproduits. L’amorce d’une future reproduction artificielle de l’humain dont rêve Peggy Sastre et qui fait cauchemarder Jean-Marie Le Méné?

La position ambivalente de la France

À la politique, qui est l’art de choisir la moins mauvaise des solutions, ces recherches posent un sérieux défi. Jusqu’ici, la France navigue entre deux eaux : pionnière en matière de nanotechnologies au service des paralysés (centre Clinatec à Grenoble), en raison de ses scrupules éthiques elle investit moins dans les cellules souches qu’une théocratie comme l’Iran.

On comprend la prudence de nos décideurs, lesquels préfèrent l’homme réparé à l’homme augmenté. « Avec la modernité, la science ne précède plus la pratique, c’est l’expérimentation qui est devenue la règle », rappelle à raison le spécialiste des interfaces cerveau-machine Dorian Neerdael.

Si on n’arrête pas le progrès, on peut néanmoins le questionner. Il n’est pas anodin que les multinationales 2.0 (Google, Amazon, Facebook, Ali Baba) se passionnent pour la recherche sur l’immortalité, la génétique et la robotique. Jour après jour, les pouvoirs politiques démocratiquement institués perdent des marges de manœuvre face à l’avancée de la technologie. Il existe d’ores et déjà des algorithmes anticipant nos goûts, nos choix et nos orientations politiques, si bien que l’opinion n’a peut-être jamais été aussi manipulable qu’aujourd’hui. Victime d’une vaste opération de piratage virtuel, Hillary Clinton en sait quelque chose…

Vers la dictature du tout contrôlé

D’une manière générale, une « nouvelle servitude volontaire » (Philippe Vion-Dury) pourrait s’appuyer sur le consentement généralisé et les milliards de données du Big Data pour amener à un contrôle accru des comportements, quitte à repenser la notion de solidarité. Par exemple, Direct Assurance entend implanter des capteurs mouchards dans les voitures et les smartphones de façon à surveiller les conducteurs et individualiser les risques. D’autres projets risquent d’aboutir à une société ultra-normée où les armes et les outils ne fonctionneraient qu’entre les mains de leurs propriétaires. Cette nouvelle forme insidieuse – et particulièrement efficace – de discipline inquiète jusqu’aux transhumanistes de gauche du mouvement Technoprog. Opposés aux transhumanistes libertariens sans foi ni loi, ces sociaux-démocrates de la technologie appellent l’État à réguler la mutation en cours.

Car le progrès n’ira pas sans provoquer de graves inégalités, source de tensions sociales et politiques. Primo, entre les dernières générations vraiment mortelles que sont les nôtres et leurs descendants cent-vingtenaires. Secundo, entre les actuels employés du secteur tertiaire et les futurs chômeurs remplacés par des machines intelligentes, faisant office d’ouvriers, voire bientôt de médecins et de professeurs. Dans la perspective d’une obsolescence progressive du travail, le revenu universel proposé par Benoît Hamon pourrait servir d’amortisseur social. Tertio, notre avenir tendra potentiellement vers une fusion progressive de l’individu et de la machine, avec tous les risques de manipulation cérébrale et de déshumanisation que cela comporte : si le cerveau se réduit à un disque dur, qu’en sera-t-il de nos émotions modifiables à l’envi ?

L’utopie technoprogressiste projette un monde aseptisé, où les tics, la dépression et la colère deviendraient remédiables par des implants cérébraux. Là réside l’un des dangers majeurs du transhumanisme : considérer l’humain comme une simple matière, à l’image de ces cellules souches que l’on cultive à des fins thérapeutiques à partir d’embryons exclusivement conçus pour la recherche. Quelles que soient les bonnes intentions qui président au devenir de l’humanité, méditons la leçon d’Illich : la corruption du meilleur engendre le pire…

 

 

Juin 2017 - #47

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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