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L’Afghanistan a été et restera le sanctuaire djihadiste des fous de Dieu

Si les Talibans sont poussés à trop vite se « normaliser », l’Etat islamique pourrait séduire beaucoup de jeunes Afghans qui ont absorbé l’idéologie djihadiste la plus violente.


L’attentat perpétré aux abords de l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021 marque un tournant historique dans la reprise violente de la concurrence entre les organisations djihadistes en Afghanistan. C’est aussi la démonstration claire que l’Etat islamique n’a pas abandonné ses prétentions sur le pays, malgré la conquête éclair des Talibans pour récupérer le pouvoir. D’un côté des Talibans, devenus interlocuteurs des Occidentaux qui vont devoir assurer la sécurité et la gestion du pays, et de l’autre des membres de Daech qui les détestent, les accusent de ne pas appliquer la charia à la lettre et d’être des « fous de dieu » low cost, et comptent bien accentuer la pression sur ceux dont ils rejettent la main mise sur un pays qui ne devrait être qu’un Califat, aux ordres de ISIS.

Parmi les nombreuses questions qui se posent depuis la reprise de l’Afghanistan par les Talibans, celle de savoir si le pays peut redevenir un sanctuaire du terrorisme international inquiète la planète entière. Au-delà de la défaite de l’Occident à pacifier ce nouveau « Talibanistan », de la responsabilité majeure des élites afghanes corrompues depuis vingt ans dans la déliquescence du pouvoir et de l’armée, l’actualité dépasse la simple conjoncture mais s’inscrit bien dans une crise civilisationnelle plus vaste d’une résistance organisée à l’ordre mondial par les marges. Or, les marges combattantes, rejetant l’Occident dominateur depuis deux mille ans, les plus efficaces depuis des années sont bien islamistes. Et l’Afghanistan a une place de choix dans ce combat sans fin et risque de le rester durablement. Car il est une forteresse maintes fois assiégée, dont personne du monde « victorieux » d’aujourd’hui n’est venu à bout.

En viendrons-nous un jour à devoir aider des Talibans « normalisés » pour venir à bout d’une hydre djihadiste non conventionnelle encore plus nihiliste qu’eux ?

Rappelons que les vétérans de l’Afghanistan de 1979, luttant contre l’URSS, furent à l’origine de la naissance d’une grande partie des violents groupes islamistes qui ont essaimé d’Afrique du Nord au Sahel, de la Bosnie au Moyen-Orient, jusqu’en Asie du Sud-Est, et qui ont fini par déstabiliser l’Amérique puis l’Europe. Leurs succès sont notables depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New-York jusqu’à la guerre en Syrie et les attentats qui ont frappé le Moyen-Orient et le cœur du vieux continent. Depuis la chute de l’Etat islamique en Syrie et en Irak en 2017, ses vétérans sont assurément devenus de nouveaux modèles dont une partie n’aura pas manqué de se redéployer sur les terres originelles de djihad pour se « ressourcer » et se « régénérer ». L’Afghanistan fait partie de ces destinations privilégiées.

Un concentré inépuisable de toutes les problématiques du djihadisme mondial

L’Afghanistan a encore de l’avenir pour les combattants de Dieu de tous bords, même si ils ne s’accordent pas tous sur une vision commune du monde. Il faut revenir sur les pages les plus sombres de ce pays depuis les années 1960 pour comprendre la naissance des internationales islamistes et djihadistes dans le monde. Parmi beaucoup de pays, l’Afghanistan va donner renaissance au combat de l’islam armé et politique contre l’occupant. Ce pays n’a pas pour vocation au départ à devenir un Califat, tout cela ressurgira bien plus tard, mais bien un sanctuaire de victoire contre le communisme. Même si, à l’époque, ne germe pas encore l’idée qu’il devienne aussi une terre d’échec pour les Occidentaux.

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En géopolitique, on dit souvent que qui contrôle le « heartland », ce nœud et carrefour des grands axes géopolitiques de toute une région, contrôle le monde (Mackinder dans le Pivot de l’Histoire). Mais attention, le contrôle du Heartland passe aussi par celui du Rimland avec Spykman qui a inspiré Brezinski pour sa fameuse théorie du « piège » afghan. Il y a plusieurs heartlands bien entendu au-delà de l’Asie centrale : la terre d’Israël et de Palestine, le cœur du Caucase et des routes de la Caspienne, la mer Jaune. En 1979, Moscou ne tolère plus les rébellions internes à son autorité au cœur de ce satellite méridional stratégique. Depuis le 27 avril 1978, la Révolution bat son plein entre l’ancien pouvoir qui s’était éloigné de Moscou depuis 1973 et le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan proche de l’URSS et qui malgré la guerre civile proclame la République Démocratique d’Afghanistan. Certes, la Russie ne manque pas de fenêtres géographiques et politiques depuis l’ouest et la Baltique à St Petersbourg, jusqu’au cercle arctique au Nord, et le Pacifique à l’Est. Au sud, l’Afghanistan était le moyen de s’assurer une zone de sécurité tampon aux confins moyen-orientaux, chinois et indiens mais aussi à une mer chaude comme l’Océan indien dont l’Afghanistan est l’étape préalable.  Pour les Américains, l’URSS veut tout simplement se rapprocher des routes du Golfe et du pétrole. Dès le 3 juillet 1979, Jimmy Carter signe un accord pour venir en aide aux islamistes opposés au régime procommuniste et donc soutenus par les USA et le bloc occidental : les Moudjahidines (« Guerriers Saints ») commencent leur travail de sape contre l’Etat central. C’est le début officiel de la « Guerre Sainte » (« Djihad ») et d’une des guerres « proxi » les plus terribles de l’histoire contemporaine [1].  Un modèle du genre.

A l’époque le combat attire des milliers de combattants venus d’autres pays musulmans. Le pire est que le tout est soutenu et encouragé par les USA. Un article de l’Express du 25 novembre 1993, titrait « Quand la CIA aidait les fous de Dieu ». Il revient sur le contexte : « Du Maroc à l’Indonésie, tout ce que l’islam compte de fondamentalistes est encouragé par diverses agences américaines à aller faire le djihad en Afghanistan. A New York même, un centre de recrutement est ouvert, à Brooklyn, en 1982, par un Egyptien, Mustafa Shalabi, ami d’Abdullah Ezzam (mentor d’Oussama Ben Laden), un Palestinien fondateur de la Légion islamique à Peshawar, quartier général, au Pakistan, du djihad afghan. » [2] Tous viennent se purifier et lutter contre les communistes qui ne croient pas en Dieu.

On va basculer via l’évènement afghan et la révolution en Iran dans l’islamisation de l’ordre politique dans le monde arabo-musulman. Il faudra attendre 1986 pour que les Soviétiques échouent et finissent par se retirer du pays, mettant un terme à une décennie de ravages et comptabilisant entre 500 000 et 2 000 000 de morts. La destruction du pays allait préfigurer l’instabilité des années à venir et le renforcement d’un sanctuaire de l’islamisme face à un Etat fragilisé et historiquement faible. L’invasion américaine en 2001, soit vingt ans plus tard pour tenter de déloger les islamistes n’a pas encore réussi à porter ses fruits. C’est pour cela que le pays, sans avoir été transformé en califat, reste une terre de purification, d’entraînement, de guérilla, et de modèle à la cause islamiste dans le monde : « Oui, il y a des exemples où les Occidentaux ne pourront jamais affirmer qu’ils ont gagné. » A ce jour, rien n’est démenti.

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Désormais, et ce encore plus depuis l’effondrement du bloc soviétique en 1991, la victoire de l’ultralibéralisme et de la démocratie à l’occidentale ont relégué des zones entières du monde au second plan (zones « inutiles » en géographie). Pourtant, l’Afghanistan des djihadistes et des Occidentaux avait gagné : se débarrasser de l’ennemi de l’Occident, le Communisme. Mais les premiers djihadistes n’auront pas longtemps savouré leur victoire. En effet, le berceau du djihadisme contemporain se révélera vite une épine dans le pied des Occidentaux, l’enfant caché que l’on ne peut plus cacher, celui que l’on a aidé à éclore, vu grandir, nourri, et qui risquait bien de devenir incontrôlable dans un contexte émergent de révolution islamique et politique avec l’avènement de l’imam Khomeiny à la tête de l’Iran.

A chaque tentative d’islamisation d’un pays, des jeunes venus du monde entier sont partis rejoindre le territoire à conquérir. Puis une partie de ses acteurs depuis l’Algérie, le Sahel, l’Irak, la Bosnie puis plus récemment la Syrie, sont soit rentrés chez eux, soit partis ailleurs, soit repartis en cas d’échec sur la terre afghane. Comme si étant berceau, ce pays était aussi source de régénérescence et promesse d’avenir pour la cause. Après le 11 septembre 2001, où Oussama Ben Laden, le leader d’Al Qaïda, s’est-il réfugié à nouveau? Dans les grottes de Tora Bora, aux confins de l’Afghanistan et du Pakistan, là même où dès 1987, il a sa maison, où il construira des souterrains et se fera petit à petit un nom de djihadiste après avoir été chassé d’Arabie Saoudite. En décembre 2001, la bataille qui oppose les Talibans et ses alliés aux USA et l’alliance du Nord, avait pour but de retrouver Ben Laden. Mais il parvient à fuir dans un paysage extrêmement insaisissable et peu accessible pour les Américains.

Après avoir lancé leur révolte au cours de l’été 2002, les talibans se sont répandus progressivement à travers tout le territoire. » Même s’il y a eu des hauts et des bas, le processus semblait déjà irréversible depuis une dizaine d’années : « Jusqu’en 2006, leur influence grandissante était restée inaperçue, principalement du fait qu’elle se cantonnait à des zones relativement marginales, éloignées des grandes villes et caractérisées par un niveau d’éducation très bas. À partir de 2006, cette révolte a commencé à gagner les environs de Kandahar, une des quatre plus grandes villes d’Afghanistan ; et en 2007, elle touchait déjà des zones très proches de Kaboul. Comment le pays a-t-il pu se doter d’une telle force de frappe humaine, que l’on retrouvera également dans la constitution des rangs de Daech ? Antonio Giustozzi a une réponse : «  En termes de base, les néo-talibans se sont principalement chargés les premières années de regrouper les membres des anciens affiliés qui avaient été dispersés lors de l’intervention américaine de 2001 et dont le nombre, selon eux, devait atteindre environ 300 000. (…) Mais à partir de 2006, l’intensification des interventions internationales, le déploiement de larges contingents dans le Sud et une certaine progression de la violence semblent avoir aidé les talibans à mobiliser un nombre bien plus important de cadres, qui, à leur tour, leur ont permis d’accélérer considérablement le rythme de leur expansion territoriale. Le renforcement de la présence internationale semble avoir aussi aidé les néo-talibans à attirer des financements plus nombreux à partir de réseaux jihadistes des quatre coins du monde musulman, et à se substituer à l’Irak comme principale cause célèbre. » [3]

L’Afghanistan est une terre idéale de reconquête pour le djihad glocalisé : en guerre depuis 40 ans, la dernière guerre n’en finit pas depuis l’invasion américaine en 2001 après les attentats du 11 septembre. Alors que la tradition religieuse historique afghane est celle de l’école déobandie [4], tout courant djihadiste cherche à enraciner son emprise depuis le départ des soviétiques. Face aux gouvernements de Kaboul qui tournent, le talibanisme et les factions djihadistes diverses finissent par représenter un facteur durable, et peut être le plus durable depuis maintenant trente ans. Pourquoi disions-nous qu’il y a malheureusement de l’avenir pour la pieuvre islamiste dans le pays ? Car l’abcès majeur pour le gouvernement central est justement la lutte armée. Et que cette lutte armée plonge le pays dans une économie de guerre depuis trois décennies.

Un article de la Tribune de Genève expliquait : « La production d’opium a doublé dans le pays en 2017 pour atteindre 9000 tonnes selon l’ONU, confirmant l’Afghanistan comme premier producteur mondial. Les réseaux criminels qui soutiennent les talibans sont responsables de 85% de l’héroïne produite dans le monde» a rappelé le général Nicholson. » [5] Quand on sait les liens sulfureux entre drogue et terrorisme, on se demande bien comment l’Afghanistan, pris sous le jeu de tant de convoitises, pourrait venir à bout du djihadisme tout puissant en Asie centrale. Et la capacité extraordinaire de recomposition permanente du djihadisme mondial depuis des décennies dans un pays à 80% rural rend l’emprise étatique de lutte contre celui-ci extraordinairement complexe. Jamais à ce jour, Kaboul n’a si peu contrôlé son territoire…

L’avenir du pays et le sort des Talibans au risque de la « normalisation »

Comme si l’histoire de ces vingt dernières années, avait démontré que la fin d’un mouvement terroriste lié à l’islamisme ne laissait place à l’émergence d’aucune autre structure héritière du mouvement passé. En Afghanistan, c’est le millefeuille islamiste : on y trouve Al Qaïda bien sûr qui a financé en son temps les Talibans, l’Etat islamique qui y a vu une proie de rêve et a déjà fait ses armes avec la Wilayat Khorasan en 2015, et les Talibans obsédés par la reconquête unique de leur pays depuis 2001. C’est la surenchère pour l’islamisme le plus « in », à qui serait le plus « successful » face à des Occidentaux en déroute, afin de se présenter en « libérateurs » de leurs propres populations face à des Etats « faillis » corrompus. Les Talibans n’auront pas la tâche facile.

Aujourd’hui, ce sont effectivement eux qui peuvent savourer leur succès, tout en essayant de se présenter comme plus acceptables aux yeux des Occidentaux qu’il y a vingt ans. On a du mal à y croire, mais peut-on imaginer seulement que leur victoire éclair ait pu se faire sans un assentiment clair d’une bonne partie de la population afghane, excédée de la corruption et de la gabegie d’un Etat afghan incapable de rien en deux décennies, avec les Américains, pour leur sécurité, leur prospérité et la paix ?

A priori, le projet des Talibans fut, est et sera l’Afghanistan. Mais il est clair qu’ils vont donner des ailes idéologiques et religieuses à d’autres groupes qui rêvent aussi de réinstaurer leur Califat de l’Afrique à l’Asie du sud-Est en passant par le Moyen-Orient. L’idéologie djihadiste résiliente a toujours attiré des individus du monde entier et l’Afghanistan d’aujourd’hui pourrait susciter de nouvelles vocations, au milieu de cet océan de haine occidentale qui existe dans le monde arabo-musulman. Cette idéologie mortifère, mais qui reste un projet potentiel pour des milliers d’individus face au vide et l’impasse politique et économique du Moyen-Orient depuis des décennies, a toujours su aussi se redéployer habilement et violemment. Et face à un Afghanistan glorifié redevenu « bankable », les appétits vont se développer. Car s’ils se « normalisent », si un jour cela survient, et sont acceptés par les Occidentaux (pour se prémunir du pire encore à venir), les Talibans apparaîtront bientôt comme les nouveaux traîtres à la cause [6]. Un peu comme les combattants de l’Alliance du Nord de 2001 qui sont devenus des traitres en rejoignant une partie du pouvoir et qui n’ont jamais pu endiguer le retour des islamistes. En faisant des compromis avec le monde libre, eux avant comme les Talibans demain généreront de nouvelles résistances dans le pays. A commencer par leur ennemi éternel Daech, qui jusque maintenant a eu une emprise limitée. Cela n’empêcha pas les Talibans, dans leur progression, de devoir faire face à un califat auto-proclamé en 2015, par une franchise de Daech, que fut la Wilayat Khorasan. Avec la chute de Raqqa, l’Etat islamique créé et proclamé en Afghanistan en février 2015, avait vite ambitionné de devenir le nouveau califat islamique. Dès mai 2015, le drapeau noir de l’Etat islamique flottait sur la wilayat Khorasan et installait son QG dans la vallée de Mamand, avant que les premières frappes ciblées dès juillet 2015 l’obligent à adopter une approche plus mobile (après que trois chefs de Daech furent tués successivement). Et le pire c’est que la population afghane accueillit positivement ce nouvel acteur, car elle était persuadée qu’il servait les intérêts du gouvernement afghan, contre les Talibans locaux. Mais les choses changent. Dès décembre 2014, les Talibans entrèrent dans une phase de confrontation avec la Wilayat Khorasan de l’Etat islamique. Cette dernière avait le dessus et en juin 2015, elle contrôlait huit des neuf districts de la province de Nangarhar, ce qui constitua son pic de puissance avant de s’effondrer. Mais il faut rappeler que c’était la première fois qu’une organisation terroriste venue de l’extérieur ne prêtait pas allégeance à l’historique Mollah Omar, chef des Talibans. Et dans le même temps, le Calife Bagdadi avait promis lui de punir les « étudiants » afghans qui avaient fait le choix de ne pas rallier Daech.

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Dans les mois à venir, la guerre risque d’être plus ouverte que jamais entre les deux protagonistes qui continueront à se disputer le statut de leader islamiste du pays. C’est là que l’arrivée supplémentaire de nouveaux « daechistes » d’un peu partout peut peser dans la balance. Déjà au sein même du pays, les recrues ne manquent pas. En effet, l’Afghanistan connaît depuis des décennies un influent courant extrémiste, qui se retrouve dans toutes les couches de la société, notamment chez beaucoup de jeunes qui ont absorbé l’idéologie jihadiste et adhèreront à la nouvelle version du djihadisme, la plus violente.

Surtout si les Talibans sont poussés à trop vite se « normaliser » ! On a compris qu’en Afghanistan, ce n’était pas le nombre de combattants qui comptaient pour gagner. Les Talibans bien moins nombreux sont venus à bout d’une armée afghane inerte. Pour le moment les sympathisants de Daech sont quelques milliers, mais risquent bien de voir leurs rangs gonfler dans les mois à venir. Nous irions alors vers un conflit qui promet des milliers de morts et une concentration totale des forces régionales qui risque bien de déstabiliser encore plus la région tout entière. Et l’Afghanistan deviendra ce nouveau sanctuaire mondial de la mort. En viendrons-nous un jour à devoir aider des Talibans « normalisés » pour venir à bout d’une hydre djihadiste non conventionnelle encore plus nihiliste qu’eux ? L’histoire a prouvé que nos soutiens et nos alliances ont toujours finalement été très (trop ?) pragmatiques. Aujourd’hui, après les premiers attentats à l’aéroport de Kaboul en pleine évacuation du pays, nous risquons de devoir nous appuyer sur les Talibans pour combattre à nouveau Daech. Terrible retour de flammes pour l’Occident tout entier.


[1] Guerre entre deux parties qui utilisent un tiers acteur pour mener le combat sur place

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/quand-la-cia-aidait-les-fous-de-dieu_606084.html

[3] « Vers la retalibanisation de l’Afghanistan ? », Antonio Giustozzi, revue Outre-Mers, https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-1-page-175.htm

[4] Ecole musulmane traditionnelle sunnite très présente en Asie du Sud (Pakistan, Inde et Afghanistan)

[5] https://www.tdg.ch/monde/americains-ciblent-labos-heroine/story/16007342

[6] Sans compter tous les complotistes, nombreux dans ces courants, qui voient déjà finalement la main de Washington dans la reprise du pays, sous accord, par les Talibans.

Législatives en Allemagne: tout change pour que rien ne change

Long de 16 ans, le règne de « Mutti » prend fin. Mais à en croire les candidats à la chancellerie, tout le monde voudrait être Angela Merkel! La campagne molle qui se termine a très peu évoqué un enjeu majeur: les solutions à apporter à la crise démographique aiguë de l’Allemagne. Présentation des candidats et analyse du scrutin de dimanche prochain.


Jeux de mots sur ses affiches, imitation de la posture de la chancelière avec les fameuses « mains en losange », le social-démocrate Olaf Scholz ne manque pas de gadgets pour tirer la couverture à lui et s’approprier l’héritage d’Angela Merkel, pourtant conservatrice (sur le papier). Il y aurait au demeurant à redire sur le bilan de « Mutti », notamment lors de ses deux derniers mandats, ponctués d’ailleurs de quelques déroutes électorales pour la CDU au plan régional. Mais force est de constater que sa ténacité et son sens de la stratégie ont écrasé toute concurrence pendant seize années, à tel point que la campagne actuelle parait bien pâle. 

Ce dimanche 26 septembre, les Allemands éliront en effet leurs députés et donc, indirectement, choisiront un nouveau chancelier pour le pays. Si le nouveau chef de gouvernement pourra s’appuyer sur une situation économique plus qu’honorable avec une industrie forte et un taux de chômage dont Macron doit rêver la nuit, il devra réagir face aux défis majeurs qui menacent l’Allemagne, à commencer par le vieillissement très inquiétant de sa population ayant entrainé une immigration massive et incontrôlée. Or, en raison d’un système électoral complexe et au vu des derniers sondages, il est extrêmement improbable qu’un parti puisse obtenir la majorité absolue et gouverner seul. Le candidat arrivé en tête se verra donc contraint de former une coalition de deux, voire trois partis pour former un gouvernement « majoritaire », ce qui complique nécessairement la mise en place de réformes sérieuses.

Annegret Kramp-Karrenbauer a disparu de la circulation

Au traditionnel duel CDU/CSU-SPD s’est substitué ce que nos voisins d’outre-Rhin appellent un « Triell », c’est-à-dire un trio de trois favoris, les Verts ayant eu au printemps le vent en poupe dans les sondages sans pour autant arriver au niveau des deux partis traditionnels. 

Pour le camp conservateur, l’alliance CDU-CSU a désigné en avril le président de la CDU et ministre-président du Land de Rhénanie du Nord – Westphalie, Armin Laschet, comme Spitzenkandidat à la chancellerie. Le conseil fédéral du parti lui a attribué 31 voix, contre neuf pour son challenger, le patron de la CSU et Premier ministre bavarois Markus Söder, pourtant plus populaire. Natif d’Aix-la-Chapelle, Laschet est un fidèle de Merkel et représente le courant centriste de la CDU. Un second choix en réalité pour « Frau Nein », qui avait adoubé Annegret Kramp-Karrenbauer l’année dernière avant de la désavouer sur fond de débâcle électorale dans certains Länder. Sans surprise, le programme de Laschet mise sur la continuité et l’espoir de surfer sur la popularité d’Angela Merkel. Las ! Son style plat et ses nombreuses gaffes de communication (notamment quand il n’a pas trouvé mieux à faire que de rire aux éclats lors d’un discours du président fédéral en soutien aux sinistrés des inondations) ont plombé sa campagne. Ces dernières semaines, il a perdu du terrain face à son concurrent social-démocrate.

Olaf Scholz, de la vieille garde du SPD, actuel vice-chancelier et ministre des Finances de la coalition gouvernementale, a effectivement marqué des points récemment. Considéré comme un pilier de l’aile réformiste du parti, il contribua à l’élaboration du paquet de réformes du droit du travail « Hartz IV » à l’époque de Gerhard Schröder au début des années 2000, réformes dont Merkel récoltera d’ailleurs les fruits plus tard. Afin d’amadouer l’aile gauche du SPD, Scholz a inclus dans son programme des mesures sociales aguicheuses telles que l’imposition des plus riches, mais sa ligne politique n’est pas fondamentalement différente de celle de Merkel. Accusé par cette dernière de vouloir s’allier au parti d’extrême gauche Die Linke, Scholz a démenti. S’il arrive en tête, il devra donc s’allier avec le parti libéral (FDP), les Verts, ou même la CDU. Rien de bien nouveau. 

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Du côté des Verts, le parti a désigné sa présidente, Annalena Baerbock, comme candidate à la chancellerie. Confirmée avec le score stalinien de 98,6% des voix le 12 juin dernier lors de la conférence fédérale du parti, Baerbock se verrait bien devenir la deuxième chancelière fédérale après Angela Merkel. Du moins, on y croyait mordicus à l’époque chez les Verts, à un moment où ils devançaient même la CDU dans les sondages. Entre-temps, la situation a quelque peu changé et il semblerait que le traditionnel duel CDU-SPD soit finalement de mise. Pas de quoi décourager Baerbock qui arpente le pays et les plateaux télé pour prêcher la bonne parole écolo. On aurait presque envie de lui donner raison quand on voit les effets du retrait du nucléaire chez nos voisins, qui ne sont pas à une contradiction près. 

Les autres têtes de file sont créditées respectivement d’environ 11% (FDP), 6% (Die Linke) et 11% (AfD). 

La démographie, défi majeur de l’Allemagne

Les dossiers chauds ne manqueront pas pour le nouveau chancelier : Europe, Chine, Nord Stream 2, crise sanitaire, politique énergétique… Sur le long terme néanmoins, la question démographique apparait comme très préoccupante. Le problème n’est en réalité pas nouveau : depuis plusieurs décennies, les chiffres de l’accroissement naturel sont parmi les pires d’Europe. Faiblesse de la natalité, vieillissement, départ à la retraite de la génération des baby-boomers : ces problèmes sont propres à tous les pays européens, mais sont particulièrement accentués outre-Rhin.

Angela Merkel, La chancelière allemande visite une classe de réfugiés à Francfort, Allemagne le 08 octobre 2018. Thomas Lohnes / REX / Shutterstock (9917380b)

L’Allemagne a cru pouvoir compenser ce déficit par l’ouverture à gogo des vannes migratoires, ce qui est « rentable » à court terme, mais dangereux à plus long terme. Aujourd’hui, plus d’un Allemand sur quatre, soit 26 % de la population, a au moins un parent né à l’étranger. Les taux atteignent 36,5 % à Brême (dans le nord-ouest de l’Allemagne), 34 % à Hambourg et 33 % à Berlin (sans parler de certains quartiers comme Neukölln). Les 7,4 millions d’Allemands issus de l’immigration qui ont le droit de vote représentent 12 % des électeurs ; or, leur assimilation pose question, car très peu d’entre eux siègent au Bundestag ou dans les assemblées locales (ce qui est un marqueur, parmi d’autres, comme la prolifération de ghettos communautaristes). 

Le pays semble pourtant persévérer dans cette approche très comptable du problème démographique, en négligeant les aspects socio-culturels. La très respectée fondation Bertelsmann, dans un rapport de 2019, estimait en effet que l’Allemagne aurait besoin de 260 000 immigrés en moyenne par an, jusqu’en 2060, pour répondre aux besoins de son marché du travail. Même son de cloches catastrophiste au Ministère de l’Économie : selon ses propres prévisions (en ligne avec l’IW, l’institut pour l’économie allemande, à Cologne), la population en âge de travailler, c’est-à-dire âgée de 20 à 65 ans, devrait diminuer de 3,9 millions en 2030 et de 10,2 millions de personnes d’ici à 2060. Des chiffres alarmants qui confirment que l’économie allemande est « dramatiquement dépendante de l’immigration », pour reprendre les termes du journal munichois Merkur

Certains, notamment à droite, ont averti qu’il faudra prendre ce changement historique très au sérieux, regrettant le manque d’attention dont cette cause pâtit auprès des candidats à la chancellerie, surtout quand on compare avec des thèmes comme le changement climatique, plus à la mode. Et de s’inquiéter d’une probable bombe à retardement.

La Mère Brazier, reine des fourneaux depuis cent ans

On célèbre cette année le centenaire du restaurant La Mère Brazier. La première femme qui décrocha deux fois trois étoiles au Guide Michelin est devenue la divinité protectrice de la cuisine lyonnaise – et française.


Eugénie Brazier, dite « la Mère Brazier » dans sa cuisine à Lyon. D.R.

« Eugénie Brazier, c’était Germinal. » Les mots sont de Jacotte Brazier, sa petite-fille. Eugénie Brazier naît le 12 juin 1895 à La Tranclière, à un jet de pierre de Bourg-en-Bresse. Enfance dure et sans joie, scandée par les saisons : « J’allais à l’école par hasard et seulement l’hiver lorsqu’il n’y avait pas de travail à la maison. » Sa mère meurt quand elle a 10 ans. Placée dans une ferme par l’Assistance publique, elle garde les cochons et tombe enceinte à 19 ans d’un homme marié. Scandale. Son fils Gaston (père de Jacotte) est aussitôt confié à une nourrice, tandis qu’Eugénie part à Lyon et devient bonne à tout faire chez les Millat, des bourgeois clients de la mère Fillioux, la « mère des mères lyonnaises ». Cette dernière initiera Eugénie Brazier à la « perfection simple » (selon l’expression du critique gastronomique Curnonsky) et lui enseignera la recette de la poularde demi-deuil. La mère Fillioux, née Françoise Fayolle, en aurait préparé plus de 500 000 au cours de son existence, en utilisant la même paire de couteaux ! Eugénie Brazier apprend vite. Le 19 avril 1921, à 26 ans, on la retrouve à son compte dans une épicerie-buvette de la rue Royale – l’adresse n’a, depuis, pas changé. Au menu du premier service : langouste mayonnaise et pigeon aux petits pois. Bientôt lui succéderont gâteau de foie de volaille ou les célèbres fonds d’artichaut au foie gras. Son restaurant devient rapidement le plus couru de l’ancienne capitale des Gaules et, en 1933, le Guide Michelin décerne trois étoiles à La Mère Brazier, ainsi qu’au petit restaurant, acheté en 1928, au col de la Luère. Voilà Eugénie devenue « l’ardente Brazier », selon les mots de Jacques Prévert.

Vous les femmes…

Avec la mère Fillioux (Lyon), Gloanec (Pont-Aven) ou Poulard (Mont-Saint-Michel), Eugénie Brazier popularise alors ce qualificatif de « Mère » (qu’elle sera cependant seule à assumer, en lettres majuscules, sur la façade de son restaurant). Qui sont-elles ces fameuses mères ? « De faibles femmes, fortes en gueule », répond Léa Bidaut, autre mère lyonnaise connue pour arpenter les étals du marché Saint-Antoine sur le quai voisin de son restaurant (La Voûte) en poussant sa charrette. Faibles femmes ? En ces temps-là, une femme n’avait pas le droit de posséder un compte en banque. Alors, un restaurant, pensez-vous ! Lorsque la mère Brazier est arrêtée en 1940 pour avoir acheté de la viande au marché noir, il est difficile de ne pas voir derrière cette dénonciation anonyme la jalousie des bistrotiers qui honnissaient cette matrone, protégée à la fois par Édouard Herriot (il aura ce mot : « Elle fait plus que moi pour la renommée de la ville ») et l’occupant allemand (friand de bonne chère, l’état-major en poste à Lyon avait laissé toute liberté à la Brazier, même celle, rarissime, de servir de l’alcool).

Toujours est-il que ces quatre jours de prison la marquent durablement, et qu’elle se réfugie en 1943 au col de la Luère, laissant les fourneaux de la rue Royale à son fils Gaston. Trois ans plus tard, Eugénie Brazier voit surgir un jeune homme de 20 ans, tatoué d’un coq sur l’épaule gauche : il a les yeux qui pétillent et le sens de la formule. Son nom : Paul Bocuse. « C’était l’école de la vie, se souvenait-il quelques années avant sa mort. J’y ai appris à traire les vaches, à faire la lessive, à repasser, à cultiver les légumes dans un potager. La mère ne nous accordait jamais aucun jour de repos. » Et toujours les mêmes exigences qu’au premier jour : un immense respect envers ses fournisseurs, une grande générosité et les meilleurs produits de saison – à tel point que son volailler craignait de devoir « manucurer les poulardes » pour pouvoir continuer à les lui vendre. En 1977, Eugénie décède d’un cancer, trois ans après avoir enterré Gaston, son fils. Jusqu’aux extrémités de son existence, elle aura incarné l’adage de son apprenti Bocuse : « Travailler comme si on devait vivre cent ans, et vivre comme si on devait mourir demain. » Aujourd’hui, avec Bernard Pacaud, son « fils adoptif », c’est sans doute Mathieu Viannay, chef actuel de La Mère Brazier (deux étoiles Michelin) qui en parle le mieux : « Cette maison est un temple, un écrin intemporel. Moi, je ne suis que de passage. La Mère Brazier nous survivra. »


Eugénie Brazier racontée par Bernard Pacaud

Bernard Pacaud © Hannah Assouline

Le chef de L’Ambroisie (Paris) se souvient de l’affection bourrue de cette mère adoptive qui lui offrit « un toit et un métier ».

De foyers en Brazier

« J’ai été placé à la DDASS dès l’âge de 9 ans. À 14 ans, je me suis retrouvé dans un foyer de prêtres ouvriers, à trois kilomètres du col de la Luère, où se trouvait le restaurant d’Eugénie Brazier. Les week-ends, je grimpais la côte à vélo pour aller faire la vaisselle en échange de quelques sous. Après trois mois d’essais, elle m’a embauché ! Manque de chance, j’ai été hospitalisé en urgence pour une crise d’appendicite aiguë. Un matin, je vois débarquer la Mère, les bras chargés de tartes et de viennoiseries : “Alors, il sort quand le petit ? La saison n’attend pas !” »

Trois menus, trois étoiles

« La Mère Brazier ne proposait que trois menus, à 25, 35 et 55 francs. Le premier, c’était fond d’artichaut foie gras et quenelle de brochet ; le second, artichaut, quenelle et volaille ; le troisième, la même chose avec le gratin de langouste belle Aurore ! Pour la volaille, on glissait les truffes sous la peau. Le soir, avec les gars, on retirait les lambeaux de chair des carcasses : on faisait sauter tout cela à la graisse de volaille clarifiée, avec de l’oignon et de petites pommes de terre, un régal ! Quand les clients voulaient dîner léger, la Mère préparait un bouillon au vermicelle à partir du consommé de volaille qui mijotait depuis une semaine, et glissait une truffe au fond… »

Mai 68 : la lettre qui change ma vie

« En mai 68, j’ai fait ma petite révolution personnelle. Comme j’étais sportif, je m’étais mis en tête de devenir prof de gym. Quand la Mère a appris ça, elle m’a envoyé cette lettre : “Mon cher Bernard, je sais qu’il est des moments très difficiles dans la vie, mais qui est celui qui n’a jamais lutté ?” Elle avait su trouver les mots justes – elle qui savait à peine écrire. J’ai enlevé mes tennis et me suis remis aux fourneaux ! »

Les «GoodFellas» du terrorisme islamiste

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Les djihadistes aussi ont des peines de cœur de Morgan Sportès, radiographie d’un sujet brûlant.


Le romancier Morgan Sportès s’est fait une spécialité de traquer les dévoiements sociaux de notre monde. Déjà dans L’Appât, en 1990, dont Bertrand Tavernier tirera un film terrible, il s’intéressait à une petite bande de jeunes prêts à commettre des meurtres sordides pour continuer leur vie de luxe et d’oisiveté. Ce faisant, il mettait en perspective les impasses mêmes d’une société du spectacle, qui semblait, dans certains recoins, ne plus se soucier de morale. Au reste, Morgan Sportès a entretenu une correspondance privée avec Guy Debord. Il cite aussi volontiers ce que lui a écrit Claude Lévi-Strauss : « J’ai lu votre livre, lui disait-il, à la fois comme un roman policier et une étude ethnographique. » 

L’attentat à la grenade de l’épicerie casher

Dans son nouveau livre, Les Djihadistes aussi ont des peines de cœur, Morgan Sportès aborde le sujet brûlant du terrorisme islamiste. Il a choisi de passer au scalpel l’attentat de septembre 2012, au cours duquel une grenade avait été lancée dans une épicerie casher de la banlieue nord de Paris. Il n’y eut heureusement qu’un blessé léger. La police, à travers son enquête, devait découvrir à cette occasion l’existence d’un réseau « Nice-Noirceuil », constitué d’une bande de véritables Pieds Nickelés de diverses origines, mais tous versés dans l’islamisme radical. Morgan Sportès nous trace le portrait de ces fanatiques, d’ailleurs tous plus ridicules les uns que les autres. On retient un dénommé Joël Jean-Gilles, dit Abbas (son nom musulman), de père antillais chrétien, converti à l’islam en 2009. Morgan Sportès nous rapporte comment il se radicalise, à cause d’une femme. Son intention secrète est de commettre des attentats en France, puis de partir faire la guerre en Syrie, afin de devenir un martyr. Cet admirateur jusqu’au-boutiste de Mohamed Merah finira criblé de balles, au petit jour, dans l’appartement d’une de ses épouses (il en avait trois, disséminées dans autant de villes).

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Il y a aussi Kevin Lecoq, né en 1986, personnage moins sinistre que le précédent, mais tout aussi dangereux et fou. Morgan Sportès décrit ainsi ce garçon pittoresque : « C’est sans doute un des membres les plus intéressants (ou les plus symptomatiques) de cette bande. Par son déséquilibre extrême et ce besoin qu’on sent chez lui compulsif, pourrait-on dire de CROIRE. » D’autres complices, plus ou moins perdus eux aussi, gravitent autour de ces deux-là. Ils vivent déjà comme des hors-la-loi, et la police les identifie peu à peu, afin de n’en laisser échapper aucun au moment du coup de filet. Ils en ont tous contre la France: « Qu’est-ce que tu fous en France, ce pays de merde, au milieu des kouffars ! Des Juifs ! De la démocrassouille ! Du vice. Du matérialisme !… Ta vie, en France, c’est la mort. La mort au Cham, c’est la vraie vie ! » 

Caricatures du Prophète et lavage de cerveau

Certains, comme Abbas et Lecoq, exercent un véritable ascendant sur les autres. Leur comparse terroriste Nam expliquera ainsi au juge d’instruction, plus tard : « J’étais sous leur emprise, j’avais peur… Et puis ils m’avaient complètement soûlé avec l’histoire des caricatures du Prophète… Ils m’avaient mis la haine ! » L’expression « lavage de cerveau » revient d’ailleurs fréquemment dans ce contexte.

La narration de Morgan Sportès est très vivante. Il reproduit la propre façon de parler de tous ces jeunes, avec leur argot typique, drolatique. L’ironie de Sportès est constante, quand il évoque ces véritables branquignoles et leurs menées terroristes. Comment les décrire autrement ? C’est leur être même qui est ici saisi. Le romancier a enquêté patiemment sur eux tous, et a eu accès aux dossiers d’instruction, quelque 30 000 pages qu’il a su synthétiser de manière remarquable. Il a en outre mené des entretiens avec quelques protagonistes de l’affaire. Le procès de la filière Nice-Noirceuil s’est tenu en 2017 aux assises de Paris, et les membres en furent condamnés à de très lourdes peines (Kevin Lecoq écopera ainsi de 28 ans de réclusion criminelle).

Une réflexion sur la société du spectacle

Morgan Sportès s’en tient aux faits, mais en tête de chaque chapitre il a choisi de faire figurer une citation, pour éclairer les situations qu’il relate et tenter de leur donner un sens. Sportès n’est pas seulement romancier, donc, mais aussi sociologue et philosophe. On trouve d’ailleurs, en annexe du livre, une « bibliographie succincte », dans laquelle il liste les ouvrages de référence qui ont nourri en sous-main sa réflexion. C’est une invitation au lecteur à ne pas en rester là. 

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Ce que Morgan Sportès met en évidence dans son roman, c’est qu’il existe cependant quelques réfractaires à ce nouvel ordre du monde, en l’espèce les djihadistes dont il vient de raconter l’histoire, et que la société n’a pas encore su les dompter complètement. Il résume, pour finir, à la dernière page de son livre, ce que ces prétendus « résistants » sont pour lui : « Figures du passé resurgies des souterrains obscurs de l’inconscient historique arc-boutées sur le refus d’une société qui, parce qu’elles lui sont inadaptées, les liquide. Dernières fortes têtes, archaïques, effrayantes, fanatiques, cruelles, sanguinaires, tarées et zélées mais obsolètes (politiquement inoffensives donc) que le néant voue au néant. »

Lorsque Morgan Sportès, en 2017, sort du tribunal où furent jugés les membres du réseau islamiste, et qu’il contemple, autour de lui, dans Paris, ses contemporains, formant une « même vaste classe sociale », aux modes de vie « stéréotypés », il ne peut s’empêcher d’en regretter le conformisme qui touche même les plus jeunes. Mais quelle alternative plausible pourrait-il y avoir ? Il ne le dit pas, dans ce livre, mais ce sentiment plein de désillusion pose une nouvelle fois, de manière plus ou moins indirecte, la question de la démocratie : ses manques, ses insuffisances, mais aussi les efforts, parfois maladroits, de ceux qui désirent que, malgré tout, elle perdure. Et cette question, évidemment, reste plus que jamais d’actualité, dans le « malheur des temps », comme disait Debord. 

Morgan Sportès, Les Djihadistes aussi ont des peines de cœur. Éd. Fayard.

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Un jour, nous irons tous à Tigreville

À la recherche d’une côte pluvieuse pour poser nos lourds bagages  


Nous sommes saouls d’une actualité déprimante. Et nous titubons dans la ville. Une campagne atone se met en marche. Avec l’inertie des machins qui ne servent à rien. Avec le bruit suffocant des promesses non tenues. Avec aussi, la distance qui sied aux vieux peuples fatigués par toutes ces espagnolades. Nous avons connu tant de révolutions et de circonvolutions que nous sommes immunisés contre les mots. Les éoliennes menacent mon Berry des châteaux forts. Et des candidats nombreux et peu inspirés, squatteurs revenant tous les cinq ans comme des démarcheurs trop collants, habiteront mon poste de télévision jusqu’au printemps. Le doute n’atteint pas ces gens-là. Comme si leurs échecs successifs les galvanisaient. Comme s’ils avaient peur du silence de l’anonymat. Comme ces enfants qui font semblant de jouer au gendarme et au voleur, à la récré. 

Notre charité nous perdra

Alors, bons princes, nous leur offrons l’hospitalité à échéance régulière, plus par dépit que par adhésion. Notre charité nous perdra de leur ouvrir les portes de nos intérieurs. Leur indécence à nous déranger a presque quelque chose de touchant et de désarmant. Ils insistent, malades d’eux-mêmes et du système qui a horreur du vide, jamais mal à l’aise d’abuser de notre bonté. Dans ce partage des rôles, ils feignent de nous gouverner et nous, de croire en leur pouvoir magique. Nous les observons entre frissons et sourire, entre agacement et abandons. Ils parleront longtemps durant des semaines, nous les écouterons distraitement, par politesse, parce qu’être Français, c’est se soumettre par désintérêt de la chose publique. Laissons l’espoir fugace aux Nations nouvelles qui veulent réenchanter l’existence et reconstruire sur les décombres. Nous sommes las de ce cirque ambulant. La France n’est pas une jouvencelle. Jean-Paul est mort, il y a sept jours maintenant. La chambre de Blondin au Grand Hôtel de Mayenne est vide. Où sont passés ses cahiers grands carreaux à l’écriture appliquée ? Comment autant d’amertume pouvait suinter d’une calligraphie enfantine ? La Pichonnière ne verra plus la casquette de Gabin, à la traite du matin. Noël Roquevert a fermé sa boutique de farces et attrapes. 

Fillettes recluses

Les fillettes recluses dans les pensionnats ne portent plus de laines du Queensland, leur sommeil est moins doux. Seule l’Arménie de Verneuil saigne encore. Cette année, les pétards du feu d’artifice sont mouillés. La fête de la rentrée est terminée. Le décor de notre enfance tombe, les dialogues sonnent creux, la mise en scène a des ratés et les caractères semblent déjà épuisés avant de démarrer cette cueillette quinquennale. Désengagés, nous aspirons à la tranquillité et au respect, à nous retrouver dans les entrailles de notre pays, à toréer avec notre passé sur le littoral de la Manche, à pleurer en cachette comme le font les pères fraîchement divorcés. 

Ce coin existe, je l’ai vu au cinéma. Tigreville ou Villerville peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse de cette station balnéaire à la mélancolie pluvieuse située en Normandie, dans le département du Calvados, sur la Côte de Grâce. Là-haut, à l’hiver 1961-1962, durant le tournage d’Un singe en hiver, notre identité polissonne et cafardeuse, fantasque et désespérée a trouvé refuge. Nous nous sommes vus dans le miroir, ni glorieux, ni pathétiques, à la bonne taille, avec ce fond de sentimentalisme mal guéri et nos tocades pour les bistrots à l’air tarte. Regarde public ingrat ! Les carabineros ont l’accent de Rodez. Les hommes boivent du Picon-Bière, enfilent des canadiennes à col moumoute et se souviennent de leurs vingt ans. Les vannes fusent sur le parquet dans un flamenco désespéré. La guerre et les amours déçues hantent les soirées. Les héros dorment en pyjamas et sucent des bonbons. L’amitié, la dernière et la plus belle conquête des hommes libres, se fraye un chemin dans les vapeurs d’alcool. Sous les édredons et les soupières d’un hôtel de famille, dans la chaleur des nuits de Chine, l’homme misérable, jeune ou vieux, seul et désarticulé, se réchauffe, un instant. 

Nous sommes tous des Gabriel Fouquet et des Albert Quentin, surnuméraires du quotidien, inadaptés des temps présents. Publicitaire en déshérence ou hôtelier fusiller-marin, nous avons été positivement charmés de vous rencontrer.

Le dandysme helvétique

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Le billet du vaurien


Jean Paulhan relevait qu’il y a une forme de dandysme suisse, composé d’humour, d’une certaine façon de n’être pas là et d’un goût de l’absurde dans la conversation. À l’opposé du Français, le Suisse s’en voudrait d’avoir raison. Vouloir imposer son opinion relève d’une forme d’inélégance. Aussi préfère-t-il la taire, à supposer qu’il en ait une, ce qui est rarement le cas. 

André Gide s’extasiait devant la propreté helvétique : il n’osait même pas jeter sa cigarette dans le lac Léman et s’étonnait de l’absence de graffitis dans les urinoirs. Il ajoutait : la Suisse s’en enorgueillit, mais je crois que c’est de cela qu’elle manque précisément : de fumier.

Sans doute est-ce un endroit idéal pour mourir, surtout quand on doit fuir à la fois son ex-femme et le fisc. Les acteurs américains y ont trouvé un refuge. Certes, l’ennui vous guette à chaque coin de rue – la police aussi. Mais on s’en accommode d’autant plus facilement que passé un certain âge les distractions sont rares. 

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Hitler exécrait la Suisse : il trouvait qu’on y mangeait mal. Est-ce pour cela qu’il s’est bien gardé de l’envahir ? Il ne voyait aucune raison d’aller en Suisse alors que les Alpes autrichiennes offraient un spectacle bien plus grandiose. Guillaume Tell avait libéré la Suisse de la domination habsbourgeoise. On n’allait pas remettre ça quand même.

Musée du capitalisme

Nikita Krouchtchev, qui ne manquait pas d’humour, affirmait que lorsque le monde entier se serait converti au communisme, il souhaitait faire de la Suisse un musée du capitalisme dans ce qu’il avait de meilleur. Il est toujours risqué de faire des prophéties : les Suisses en font d’autant moins qu’ils vivent dans la certitude que, quoi qu’il arrive, ce sont eux qui tireront les marrons du feu. Leur neutralité bienveillante leur a donné raison jusqu’à présent. Il leur arrive même d’accumuler les médailles en or aux Jeux Olympiques et d’en distribuer avec générosité aux défavorisés, surtout si elles sont en chocolat. On s’achète une bonne conscience comme on peut.

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Surdiplômés et antivax

Quand il s’agit de chercher les responsables de la prolongation de la crise sanitaire, on désigne à la vindicte générale les citoyens qui refusent de se faire vacciner ou hésitent. Et quand on dresse le portrait-robot de ces individus, on imagine quelqu’un d’ignorant, d’inculte, de moins diplômé, supporteur de quelque mouvement ou leader populiste. Aux États-Unis, ce serait un électeur typique de Donald Trump, un de ces « déplorables », selon le mot de la malheureuse candidate à la présidence, Hilary Clinton.

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La réalité est plus contrastée. Une étude menée par des chercheurs des universités de Pittsburgh et Carnegie Mellon a mesuré l’hésitation vaccinale à partir d’un échantillon de 5 millions de personnes classées selon plusieurs données démographiques. Certes, la corrélation entre l’hésitation à se faire vacciner et le vote Trump se confirme. Cependant, quand on s’intéresse au niveau d’étude des hésitants, les réponses forment une courbe de Gauss (en U inversé), ces derniers se recrutant autant parmi les moins diplômés (diplôme secondaire ou moins) que parmi les plus diplômés (titulaires d’un doctorat). C’est même ce dernier groupe qui apparaît comme le plus hésitant et le moins susceptible de se laisser convaincre. En effet, au cours des premiers mois de 2021, le groupe des moins diplômés s’est révélé le plus perméable à l’intense campagne vaccinale, et celui qui a le plus changé d’avis, tandis que les titulaires d’un doctorat forment celui qui a le moins varié. Au centre de la courbe, parmi les plus favorables à la vaccination, on trouve les titulaires d’un bac +5, soit cette population urbaine, instruite, progressiste, facilement donneuse de leçons et apparemment la plus domestiquée.

Quant à convaincre la frange récalcitrante des « PhD », bonne chance aux stratèges sanitaires. Allez donc faire changer d’avis des gens qui se sentent plus intelligents que le reste de l’univers…

Cachez ces bébés que je ne saurais voir

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La nouvelle Une de Causeur fait peur.


« Cachez ce sein que je ne saurais voir », dit Tartuffe. Eh bien, de bonnes consciences de gauche (ou prétendues telles, parce que Christophe Castaner, ex-ministre de Macron, hein…) s’indignent sur les réseaux sociaux de la couverture du dernier Causeur. Ciel ! L’enfance manipulée ! Le « grand remplacement » invoqué ! À quand l’appel génocidaire ? Faut-il pendre préventivement Elisabeth Lévy ? Ou la brûler, peut-être…

L’inconvénient, c’est que ce n’est pas Renaud Camus, mais les cartes d’un organisme tout à fait officiel, France Stratégie, qui le démontre : le différentiel de reproduction entre femmes françaises et immigrées est tel que des zones entières du territoire sont aujourd’hui majoritairement peuplées d’étrangers. Des étrangers dont une politique habile a refusé l’assimilation — selon une idée empruntée à Sartre, parce que séparer un immigré de sa culture, c’est encore exercer une pression colonialiste, bla-bla-bla.

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Comme l’a très bien dit Elisabeth sur TPMP, le problème n’est pas que la France soit multi-ethnique, elle l’a toujours été, mais qu’elle soit multi-culturelle. Pendant 2000 ans l’héritage romano-chrétien a structuré l’Europe. C’est en considération de cet héritage qu’avaient gouverné les rois, que la République s’était construite — les Droits de l’homme sont la laïcisation des Dix commandements —, que Napoléon avait établi le Concordat ou qu’avait été promulguée la loi de 1905. Les enfants que faisaient alors les Françaises étaient chrétiens, et majoritairement catholiques. Il n’était pas question de je ne sais quel dieu incréé ni d’un prophète illettré, nés dans des solitudes sableuses. Les étrangers qui optaient pour la France le faisaient en toute conscience, et les Juifs mangeaient du cochon dans les banquets républicains — lire absolument la République et le cochon, de Pierre Birnbaum.

Nous avons cessé d’assimiler les étrangers à partir des années Giscard, quand a été décidé le rapprochement familial — et, coïncidence troublante et pas du tout fortuite (c’est l’axe central de mon prochain livre), quand le « collège unique », générateur d’une effroyable baisse de niveau, a été décrété par le ministre René Haby. À six mois d’intervalle.

De cette époque date le renoncement à l’intégration et à l’assimilation. Et le début d’une France éclatée façon puzzle en « communautés » rivales. En cultures ennemies.

Au passage, je m’étonne que les belles consciences qui tweetent leur colère dès qu’on décrypte la réalité — mais ce ne seraient pas des idéologues s’ils tenaient compte du réel —, ne s’indignent pas quand un journaliste parle de « communauté ». Nous sommes un peuple français, avec une langue et une culture — c’est inscrit dans la Constitution —, pas un rassemblement d’antagonismes. Nous avons une justice, pas une juxtaposition de droits, le libéralisme ici, la charia là. Nous ne pouvons être discriminés en fonction de notre origine ou de notre sexe, pas empalés quand nous sommes homosexuels, ni violées quand nous portons des mini-jupes. Ni pendus quand ce que nous disons déplaît à un ex-ministre de l’Intérieur. 

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Et ceux qui prétendent qu’il faut faire de la place à des cultures « autres » et cherchent des excuses aux tueurs d’enfants et de vieilles dames se prononcent, souvent sans le savoir, pour la lapidation des femmes, l’excision des gamines et la mise à mort des impies. De jolies coutumes que la culture française bannit.

À l’immigration le plus souvent non choisie vient s’ajouter l’immense cohorte des enfants d’immigrés, nés Français mais enracinés, à force de matraquage et d’aliénation (ça vous dit quelque chose, ce concept, ô mes frères de gauche ?) dans des superstitions importées. Comme disait Houari Boumédiène : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la Victoire. » Le dossier de Causeur, qui reprend et commente l’étude de France Stratégie, montre par exemple que par l’opération du Saint-Esprit et des allocations familiales réunies, les femmes d’origine étrangère, maghrébines, africaines ou turques, font plus d’enfants en moyenne une fois en France que dans leur pays d’origine. Nous fournissons le biberon pour nous faire battre.

Et le pire, c’est que grâce à des théories pédagogiques libertaires venues au secours du libéralisme mondialisé, nous refusons désormais d’enseigner la langue et la culture françaises à ces enfants dont nous pourrions parfaitement faire des Français parfaitement intégrés. Nous les laissons proliférer aux marges, nous satisfaisant du fait qu’ils achètent des smartphones, et autres produits de la civilisation mondialisée, et fournissent de la chair fraîche aux exploitants de misère humaine type Uber. Et, croit savoir la Fondation Jean Jaurès et les autres « think tank » de gauche, de futurs électeurs pour Anne Hidalgo. Dans leurs rêves ! Des enfants nés dans le ghetto, élevés dans le ghetto, n’ont rien en commun avec la boboïtude parisienne. Et leurs idoles, ce sont parfois moins Dominique Strauss-Kahn ou même Jean-Luc Mélenchon que Mohamed Merah. Faute d’éducation. Faute de transmission des valeurs républicaines.

Je me fiche pas mal que les Françaises « de souche », qu’elles s’appellent Lévy ou Brighelli, noms gaulois caractéristiques, fassent ou non des enfants. Et je me soucierais assez peu que Lina ou Inaya en fassent davantage si nous prenions la peine de les former, de les instruire, de les intégrer. Ceux qui aujourd’hui crient au racisme parce que Causeur dit la vérité sont les mêmes qui depuis trois décennies ont laissé l’Ecole dégénérer, entre les mains des Jospin et Vallaud-Belkacem. Pour un peu je dirais que c’est eux qu’il faudrait pendre — mais je ne le dirai pas, ils seraient capables de croire que je les menace, eux qui menacent sans cesse tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

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Les dindons de la farce!


S’il visait à la construction de sous-marins, utiles appareils de plongée aquatique, ses concepteurs les plus optimistes ne l’imaginaient pas descendre si loin au fond des mers… Le contrat du siècle est tombé à l’eau ! L’Australie a brutalement rompu son accord avec l’entreprise française Naval Group. Signé il y a cinq ans, il garantissait à l’Australie la livraison de douze sous-marins de classe Attack et pour l’Arsenal de Cherbourg plusieurs décennies de travail, le tout pour un tarif enviable de 56 milliards d’euros. Localement, le maire socialiste Benoît Arrivé parle de « coup de poignard » alors que 500 emplois sont occupés par une activité liée au contrat. Ce dernier avait dopé l’économie de Cherbourg et du Cotentin rendant aussi le territoire euphorique. Les Cherbourgeois se voyaient monter en gamme. Forte de son dynamisme et d’un taux de chômage famélique,  la ville délaissait son passé portuaire et ouvrier pour accueillir des ingénieurs qualifiés et des cadres supérieurs. Les prix de l’immobilier grimpaient. En visionnaires, les élus locaux avaient lancé une grande campagne de promotion affichée gare Saint-Lazare et dans les couloirs des métros parisiens – laquelle plastronnait : « l’industrie recrute dans le Cotentin ». L’avenir dira si l’industrie locale recrute toujours autant et si – en cas de réponse négative – un contrat publicitaire avec la RATP devenu désuet et inutile se dénonce aussi facilement que l’achat d’engins militaires parrainé par deux puissances souveraines. 

Persuasif et généreux, à l’aise dansson rôle de VRP militaire, Joe Biden semble aussi soucieux de bien gaver un complexe militaro-industriel soumis à la diète pendant quatre ans par la politique de retrait de Donald Trump

Hors contexte local, l’annonce comme sa brutalité ont surpris. L’accord semblait honnête. Équilibré en termes de retombées économiques, il devait permettre d’assurer la formation sur place des Australiens et garantissait même un transfert de technologie. Le « contrat du siècle » devait engager la réputation de Naval Group sur plusieurs décennies. Révélée le 15 septembre, cette rupture contractuelle annonce dans le même temps la signature d’un nouveau pacte liant les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, appelé « AUKUS ». Outre les juteux accords sur l’équipement militaire, les trois nations « s’engagent à renforcer [leur] partenariat global pour travailler à la sécurité de nos peuples, pour la paix et la stabilité de l’indopacifique » [1]

Pékin ne dissimule plus ses ambitions sur la mer de Chine : sa politique vise à un grignotage des eaux territoriales de ses voisins. Dans ce contexte, l’Australie cherche un protecteur. Depuis un an, une crise diplomatique oppose ainsi les Australiens à la Chine. L’Australie voulant bannir toute ingérence chinoise de sa politique intérieure, Pékin s’est attaqué en représailles à ses exportations (embargos ciblés). En octobre 2020, la Chine a ainsi fermé ses ports aux navires de minerais provenant d’Australie. S’il s’en défend officiellement, le texte introductif de l’AUKUS vise à contenir la puissance chinoise, alors que le poids de la France dans le Pacifique reste relativement marginal. 

Birtania rules the waves 

Le nouveau partenariat – et la rupture avec Naval Group – répond donc avant tout à des impératifs stratégiques. Mais il sait aussi être lyrique quand il brandit ses convergences de civilisation. Australie, Angleterre et États-Unis d’Amérique se présentent comme « trois démocraties maritimes unies par de vastes océans et continents ». Les théoriciens de la puissance auraient parlé plus franchement de Thalassocratie – modèle de puissance impériale pour les pays anglo-saxons depuis le XVIIIe. En Thalassocratie moderne, les États-Unis ont besoin d’un nouveau porte-avion pour contrer l’essor de leur nouveau rival chinois. L’Angleterre a docilement joué ce rôle pendant la première moitié du XXe siècle avant que l’Europe et la Turquie n’accueillent les missiles pointés sur l’URSS.  L’Australie pourrait prendre le relais alors que la réalité des conflits géopolitiques se déplace vers le Pacifique. 

Suivie d’une déclaration conjointe des présidents américains et des premiers ministres australiens et anglais, l’annonce consacrait en tout cas la solidarité du monde anglophone. Alors que Boris Johnson plastronnait, Scott Morrison n’a pas eu un seul mot pour ménager la France. L’Angleterre suit la stratégie maritime du « global Britain » depuis le Brexit. Elle équipe déjà les frégates australiennes et joue résolument la carte du Commonwealth.

Ces pays ont une histoire : même langue, même culture anglo-saxonne, même projection vers l’élément marin, même pragmatisme aussi. Dans la classe atlantique, l’Amérique favorisera désormais ses chouchous. Au prix du principe de non-prolifération, elle permettra à la Royal Australian Navy d’acquérir de sous-marins nucléaire s– lui apportant toute son aide logistique – alors que le contrat initial passé avec la France concernait des sous-marins à propulsion conventionnelle. Le saut technologique est assez remarquable : l’Australie ne dispose d’aucune filière nucléaire… Persuasif et généreux, à l’aise dans son rôle de VRP militaire, Joe Biden semble aussi soucieux de bien gaver un complexe militaro-industriel soumis à la diète pendant quatre ans par la politique de retrait de Donald Trump.

Les Français en coqs plumés 

Et quid des Français ? Dindon de la farce, la France a été mise devant le fait accompli. Prévenue en dernier, l’annonce fait l’effet d’un coup de tonnerre. Elle fera peut-être bientôt l’effet d’un dévoilement : en particulier de ce que pèse notre parole dans le monde, c’est-à-dire pas grand-chose. L’affaire amorce ce que les médias appellent une « crise diplomatique » entre la France et les Etats-Unis. Jean-Yves le Drian aurait rappelé les deux ambassadeurs, l’Américain et l’Australien, pour « consultations ». La France a aussi annulé une soirée de gala prévue pour célébrer la victoire de Chesapeake Bay, le 5 septembre 1781, tournant de la guerre d’Indépendance qui vit l’intervention décisive de la flotte française commandée par l’Amiral de Grasse. Mais que valent ces remontadas diplomatiques alors que notre parole a été ouvertement négligée ?  

En l’occurrence, la brutalité de l’annonce passerait presque pour de la défiance. Face aux Anglais et aux Américains la France a multiplié les mauvais signes : opposant récemment – sur décision présidentielle – son véto à l’achat de gardes côtes anglais pour sécuriser la mer de la Manche pour cause de Brexit, alors que la manœuvre a été très mal vécue sur l’ile. Le président Macron parle à tue-tête de « souveraineté européenne » – une nécessité sans doute, mais dont les objectifs affichés de briser le protectorat américain sur l’Europe peuvent légitimement froisser son détenteur. Le lyrisme français de notre président coûte déjà cher. La France continue d’afficher sa détermination à poursuivre une politique « indopacifique », inspirée par la doctrine américaine du containment de la rivalité géopolitique chinoise, alors que ce n’est en rien pour nous une priorité stratégique. 

La défiance américaine pour la France comme la solidarité du monde anglo-saxon ne sont pas nouvelles. Le vieux monde anglo-saxon se retrouve et se positionne face au nouveau monde chinois qui essaie de devenir maître. Et entre les deux, gémissent la France et l’Europe. La nouvelle de cette rupture de contrat est presque un retour à la normale, alors que l’anomalie résidait plus dans ce partenariat privilégié entre la France et l’Australie qu’inspiraient des considérations industrielles et financières plus que stratégiques. Trompée par cette solidarité anglophone, l’entreprise Naval Group serait inspirée de changer son nom et de redevenir DCNS, ou au moins de revenir sur cette inversion très idiomatique du nom et de l’épithète. Et qu’ainsi vive – avec l’honneur français – le Groupe Navale !


[1] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/09/15/joint-leaders-statement-on-aukus

L’après-soi

Après un été plein de salles vides, comment le cinéma va-t-il rebondir ? Évitez soigneusement la « titanesque » et désolante Palme d’or de l’année. Le dernier Ozon, en revanche, est une bonne raison de retrouver sans tarder le chemin des salles obscures.


Que les films de François Ozon s’avèrent tour à tour réussis ou ratés n’a rien de très étonnant eu égard à la frénésie de tournage dudit cinéaste. On passe ainsi du jubilatoire Potiche au navrant Ricky en se frottant les yeux tout en se demandant si c’est bien le même homme qui en est l’auteur… Avec Tout s’est bien passé, on est incontestablement du bon côté d’Ozon. 

© Carole BETHUEL Mandarin Production

En adaptant le récit d’Emmanuèle Bernheim sur la mort volontaire de son père, il prenait le risque d’un film au bord de la crise de larmes. Or, passées les insupportables dix premières minutes dans lesquelles Dussollier et Marceau cabotinent allègrement, le film prend la seule vitesse de croisière possible pour un tel sujet : un savant mélange de trivialité assumée et d’émotion maîtrisée. 

Tout est donc sur le fil du rasoir mais, titre oblige en quelque sorte, tout se passe bien. Comme si le sujet même du film (réussir sa mort) contaminait au bon sens du terme le film lui-même (réussir sa sortie). Ozon tient la note jusqu’au bout, aidé par un casting d’où émergent plus particulièrement les impeccables Géraldine Pailhas et Charlotte Rampling qui rendent plus complexe encore ce rendez-vous avec la mort voulue.

« Tout s’est bien passé », de François Ozon, Sortie le 22 septembre

L’Afghanistan a été et restera le sanctuaire djihadiste des fous de Dieu

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Kaboul, septembre 2021 © Bernat Armangue/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22605572_000001

Si les Talibans sont poussés à trop vite se « normaliser », l’Etat islamique pourrait séduire beaucoup de jeunes Afghans qui ont absorbé l’idéologie djihadiste la plus violente.


L’attentat perpétré aux abords de l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021 marque un tournant historique dans la reprise violente de la concurrence entre les organisations djihadistes en Afghanistan. C’est aussi la démonstration claire que l’Etat islamique n’a pas abandonné ses prétentions sur le pays, malgré la conquête éclair des Talibans pour récupérer le pouvoir. D’un côté des Talibans, devenus interlocuteurs des Occidentaux qui vont devoir assurer la sécurité et la gestion du pays, et de l’autre des membres de Daech qui les détestent, les accusent de ne pas appliquer la charia à la lettre et d’être des « fous de dieu » low cost, et comptent bien accentuer la pression sur ceux dont ils rejettent la main mise sur un pays qui ne devrait être qu’un Califat, aux ordres de ISIS.

Parmi les nombreuses questions qui se posent depuis la reprise de l’Afghanistan par les Talibans, celle de savoir si le pays peut redevenir un sanctuaire du terrorisme international inquiète la planète entière. Au-delà de la défaite de l’Occident à pacifier ce nouveau « Talibanistan », de la responsabilité majeure des élites afghanes corrompues depuis vingt ans dans la déliquescence du pouvoir et de l’armée, l’actualité dépasse la simple conjoncture mais s’inscrit bien dans une crise civilisationnelle plus vaste d’une résistance organisée à l’ordre mondial par les marges. Or, les marges combattantes, rejetant l’Occident dominateur depuis deux mille ans, les plus efficaces depuis des années sont bien islamistes. Et l’Afghanistan a une place de choix dans ce combat sans fin et risque de le rester durablement. Car il est une forteresse maintes fois assiégée, dont personne du monde « victorieux » d’aujourd’hui n’est venu à bout.

En viendrons-nous un jour à devoir aider des Talibans « normalisés » pour venir à bout d’une hydre djihadiste non conventionnelle encore plus nihiliste qu’eux ?

Rappelons que les vétérans de l’Afghanistan de 1979, luttant contre l’URSS, furent à l’origine de la naissance d’une grande partie des violents groupes islamistes qui ont essaimé d’Afrique du Nord au Sahel, de la Bosnie au Moyen-Orient, jusqu’en Asie du Sud-Est, et qui ont fini par déstabiliser l’Amérique puis l’Europe. Leurs succès sont notables depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New-York jusqu’à la guerre en Syrie et les attentats qui ont frappé le Moyen-Orient et le cœur du vieux continent. Depuis la chute de l’Etat islamique en Syrie et en Irak en 2017, ses vétérans sont assurément devenus de nouveaux modèles dont une partie n’aura pas manqué de se redéployer sur les terres originelles de djihad pour se « ressourcer » et se « régénérer ». L’Afghanistan fait partie de ces destinations privilégiées.

Un concentré inépuisable de toutes les problématiques du djihadisme mondial

L’Afghanistan a encore de l’avenir pour les combattants de Dieu de tous bords, même si ils ne s’accordent pas tous sur une vision commune du monde. Il faut revenir sur les pages les plus sombres de ce pays depuis les années 1960 pour comprendre la naissance des internationales islamistes et djihadistes dans le monde. Parmi beaucoup de pays, l’Afghanistan va donner renaissance au combat de l’islam armé et politique contre l’occupant. Ce pays n’a pas pour vocation au départ à devenir un Califat, tout cela ressurgira bien plus tard, mais bien un sanctuaire de victoire contre le communisme. Même si, à l’époque, ne germe pas encore l’idée qu’il devienne aussi une terre d’échec pour les Occidentaux.

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En géopolitique, on dit souvent que qui contrôle le « heartland », ce nœud et carrefour des grands axes géopolitiques de toute une région, contrôle le monde (Mackinder dans le Pivot de l’Histoire). Mais attention, le contrôle du Heartland passe aussi par celui du Rimland avec Spykman qui a inspiré Brezinski pour sa fameuse théorie du « piège » afghan. Il y a plusieurs heartlands bien entendu au-delà de l’Asie centrale : la terre d’Israël et de Palestine, le cœur du Caucase et des routes de la Caspienne, la mer Jaune. En 1979, Moscou ne tolère plus les rébellions internes à son autorité au cœur de ce satellite méridional stratégique. Depuis le 27 avril 1978, la Révolution bat son plein entre l’ancien pouvoir qui s’était éloigné de Moscou depuis 1973 et le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan proche de l’URSS et qui malgré la guerre civile proclame la République Démocratique d’Afghanistan. Certes, la Russie ne manque pas de fenêtres géographiques et politiques depuis l’ouest et la Baltique à St Petersbourg, jusqu’au cercle arctique au Nord, et le Pacifique à l’Est. Au sud, l’Afghanistan était le moyen de s’assurer une zone de sécurité tampon aux confins moyen-orientaux, chinois et indiens mais aussi à une mer chaude comme l’Océan indien dont l’Afghanistan est l’étape préalable.  Pour les Américains, l’URSS veut tout simplement se rapprocher des routes du Golfe et du pétrole. Dès le 3 juillet 1979, Jimmy Carter signe un accord pour venir en aide aux islamistes opposés au régime procommuniste et donc soutenus par les USA et le bloc occidental : les Moudjahidines (« Guerriers Saints ») commencent leur travail de sape contre l’Etat central. C’est le début officiel de la « Guerre Sainte » (« Djihad ») et d’une des guerres « proxi » les plus terribles de l’histoire contemporaine [1].  Un modèle du genre.

A l’époque le combat attire des milliers de combattants venus d’autres pays musulmans. Le pire est que le tout est soutenu et encouragé par les USA. Un article de l’Express du 25 novembre 1993, titrait « Quand la CIA aidait les fous de Dieu ». Il revient sur le contexte : « Du Maroc à l’Indonésie, tout ce que l’islam compte de fondamentalistes est encouragé par diverses agences américaines à aller faire le djihad en Afghanistan. A New York même, un centre de recrutement est ouvert, à Brooklyn, en 1982, par un Egyptien, Mustafa Shalabi, ami d’Abdullah Ezzam (mentor d’Oussama Ben Laden), un Palestinien fondateur de la Légion islamique à Peshawar, quartier général, au Pakistan, du djihad afghan. » [2] Tous viennent se purifier et lutter contre les communistes qui ne croient pas en Dieu.

On va basculer via l’évènement afghan et la révolution en Iran dans l’islamisation de l’ordre politique dans le monde arabo-musulman. Il faudra attendre 1986 pour que les Soviétiques échouent et finissent par se retirer du pays, mettant un terme à une décennie de ravages et comptabilisant entre 500 000 et 2 000 000 de morts. La destruction du pays allait préfigurer l’instabilité des années à venir et le renforcement d’un sanctuaire de l’islamisme face à un Etat fragilisé et historiquement faible. L’invasion américaine en 2001, soit vingt ans plus tard pour tenter de déloger les islamistes n’a pas encore réussi à porter ses fruits. C’est pour cela que le pays, sans avoir été transformé en califat, reste une terre de purification, d’entraînement, de guérilla, et de modèle à la cause islamiste dans le monde : « Oui, il y a des exemples où les Occidentaux ne pourront jamais affirmer qu’ils ont gagné. » A ce jour, rien n’est démenti.

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Désormais, et ce encore plus depuis l’effondrement du bloc soviétique en 1991, la victoire de l’ultralibéralisme et de la démocratie à l’occidentale ont relégué des zones entières du monde au second plan (zones « inutiles » en géographie). Pourtant, l’Afghanistan des djihadistes et des Occidentaux avait gagné : se débarrasser de l’ennemi de l’Occident, le Communisme. Mais les premiers djihadistes n’auront pas longtemps savouré leur victoire. En effet, le berceau du djihadisme contemporain se révélera vite une épine dans le pied des Occidentaux, l’enfant caché que l’on ne peut plus cacher, celui que l’on a aidé à éclore, vu grandir, nourri, et qui risquait bien de devenir incontrôlable dans un contexte émergent de révolution islamique et politique avec l’avènement de l’imam Khomeiny à la tête de l’Iran.

A chaque tentative d’islamisation d’un pays, des jeunes venus du monde entier sont partis rejoindre le territoire à conquérir. Puis une partie de ses acteurs depuis l’Algérie, le Sahel, l’Irak, la Bosnie puis plus récemment la Syrie, sont soit rentrés chez eux, soit partis ailleurs, soit repartis en cas d’échec sur la terre afghane. Comme si étant berceau, ce pays était aussi source de régénérescence et promesse d’avenir pour la cause. Après le 11 septembre 2001, où Oussama Ben Laden, le leader d’Al Qaïda, s’est-il réfugié à nouveau? Dans les grottes de Tora Bora, aux confins de l’Afghanistan et du Pakistan, là même où dès 1987, il a sa maison, où il construira des souterrains et se fera petit à petit un nom de djihadiste après avoir été chassé d’Arabie Saoudite. En décembre 2001, la bataille qui oppose les Talibans et ses alliés aux USA et l’alliance du Nord, avait pour but de retrouver Ben Laden. Mais il parvient à fuir dans un paysage extrêmement insaisissable et peu accessible pour les Américains.

Après avoir lancé leur révolte au cours de l’été 2002, les talibans se sont répandus progressivement à travers tout le territoire. » Même s’il y a eu des hauts et des bas, le processus semblait déjà irréversible depuis une dizaine d’années : « Jusqu’en 2006, leur influence grandissante était restée inaperçue, principalement du fait qu’elle se cantonnait à des zones relativement marginales, éloignées des grandes villes et caractérisées par un niveau d’éducation très bas. À partir de 2006, cette révolte a commencé à gagner les environs de Kandahar, une des quatre plus grandes villes d’Afghanistan ; et en 2007, elle touchait déjà des zones très proches de Kaboul. Comment le pays a-t-il pu se doter d’une telle force de frappe humaine, que l’on retrouvera également dans la constitution des rangs de Daech ? Antonio Giustozzi a une réponse : «  En termes de base, les néo-talibans se sont principalement chargés les premières années de regrouper les membres des anciens affiliés qui avaient été dispersés lors de l’intervention américaine de 2001 et dont le nombre, selon eux, devait atteindre environ 300 000. (…) Mais à partir de 2006, l’intensification des interventions internationales, le déploiement de larges contingents dans le Sud et une certaine progression de la violence semblent avoir aidé les talibans à mobiliser un nombre bien plus important de cadres, qui, à leur tour, leur ont permis d’accélérer considérablement le rythme de leur expansion territoriale. Le renforcement de la présence internationale semble avoir aussi aidé les néo-talibans à attirer des financements plus nombreux à partir de réseaux jihadistes des quatre coins du monde musulman, et à se substituer à l’Irak comme principale cause célèbre. » [3]

L’Afghanistan est une terre idéale de reconquête pour le djihad glocalisé : en guerre depuis 40 ans, la dernière guerre n’en finit pas depuis l’invasion américaine en 2001 après les attentats du 11 septembre. Alors que la tradition religieuse historique afghane est celle de l’école déobandie [4], tout courant djihadiste cherche à enraciner son emprise depuis le départ des soviétiques. Face aux gouvernements de Kaboul qui tournent, le talibanisme et les factions djihadistes diverses finissent par représenter un facteur durable, et peut être le plus durable depuis maintenant trente ans. Pourquoi disions-nous qu’il y a malheureusement de l’avenir pour la pieuvre islamiste dans le pays ? Car l’abcès majeur pour le gouvernement central est justement la lutte armée. Et que cette lutte armée plonge le pays dans une économie de guerre depuis trois décennies.

Un article de la Tribune de Genève expliquait : « La production d’opium a doublé dans le pays en 2017 pour atteindre 9000 tonnes selon l’ONU, confirmant l’Afghanistan comme premier producteur mondial. Les réseaux criminels qui soutiennent les talibans sont responsables de 85% de l’héroïne produite dans le monde» a rappelé le général Nicholson. » [5] Quand on sait les liens sulfureux entre drogue et terrorisme, on se demande bien comment l’Afghanistan, pris sous le jeu de tant de convoitises, pourrait venir à bout du djihadisme tout puissant en Asie centrale. Et la capacité extraordinaire de recomposition permanente du djihadisme mondial depuis des décennies dans un pays à 80% rural rend l’emprise étatique de lutte contre celui-ci extraordinairement complexe. Jamais à ce jour, Kaboul n’a si peu contrôlé son territoire…

L’avenir du pays et le sort des Talibans au risque de la « normalisation »

Comme si l’histoire de ces vingt dernières années, avait démontré que la fin d’un mouvement terroriste lié à l’islamisme ne laissait place à l’émergence d’aucune autre structure héritière du mouvement passé. En Afghanistan, c’est le millefeuille islamiste : on y trouve Al Qaïda bien sûr qui a financé en son temps les Talibans, l’Etat islamique qui y a vu une proie de rêve et a déjà fait ses armes avec la Wilayat Khorasan en 2015, et les Talibans obsédés par la reconquête unique de leur pays depuis 2001. C’est la surenchère pour l’islamisme le plus « in », à qui serait le plus « successful » face à des Occidentaux en déroute, afin de se présenter en « libérateurs » de leurs propres populations face à des Etats « faillis » corrompus. Les Talibans n’auront pas la tâche facile.

Aujourd’hui, ce sont effectivement eux qui peuvent savourer leur succès, tout en essayant de se présenter comme plus acceptables aux yeux des Occidentaux qu’il y a vingt ans. On a du mal à y croire, mais peut-on imaginer seulement que leur victoire éclair ait pu se faire sans un assentiment clair d’une bonne partie de la population afghane, excédée de la corruption et de la gabegie d’un Etat afghan incapable de rien en deux décennies, avec les Américains, pour leur sécurité, leur prospérité et la paix ?

A priori, le projet des Talibans fut, est et sera l’Afghanistan. Mais il est clair qu’ils vont donner des ailes idéologiques et religieuses à d’autres groupes qui rêvent aussi de réinstaurer leur Califat de l’Afrique à l’Asie du sud-Est en passant par le Moyen-Orient. L’idéologie djihadiste résiliente a toujours attiré des individus du monde entier et l’Afghanistan d’aujourd’hui pourrait susciter de nouvelles vocations, au milieu de cet océan de haine occidentale qui existe dans le monde arabo-musulman. Cette idéologie mortifère, mais qui reste un projet potentiel pour des milliers d’individus face au vide et l’impasse politique et économique du Moyen-Orient depuis des décennies, a toujours su aussi se redéployer habilement et violemment. Et face à un Afghanistan glorifié redevenu « bankable », les appétits vont se développer. Car s’ils se « normalisent », si un jour cela survient, et sont acceptés par les Occidentaux (pour se prémunir du pire encore à venir), les Talibans apparaîtront bientôt comme les nouveaux traîtres à la cause [6]. Un peu comme les combattants de l’Alliance du Nord de 2001 qui sont devenus des traitres en rejoignant une partie du pouvoir et qui n’ont jamais pu endiguer le retour des islamistes. En faisant des compromis avec le monde libre, eux avant comme les Talibans demain généreront de nouvelles résistances dans le pays. A commencer par leur ennemi éternel Daech, qui jusque maintenant a eu une emprise limitée. Cela n’empêcha pas les Talibans, dans leur progression, de devoir faire face à un califat auto-proclamé en 2015, par une franchise de Daech, que fut la Wilayat Khorasan. Avec la chute de Raqqa, l’Etat islamique créé et proclamé en Afghanistan en février 2015, avait vite ambitionné de devenir le nouveau califat islamique. Dès mai 2015, le drapeau noir de l’Etat islamique flottait sur la wilayat Khorasan et installait son QG dans la vallée de Mamand, avant que les premières frappes ciblées dès juillet 2015 l’obligent à adopter une approche plus mobile (après que trois chefs de Daech furent tués successivement). Et le pire c’est que la population afghane accueillit positivement ce nouvel acteur, car elle était persuadée qu’il servait les intérêts du gouvernement afghan, contre les Talibans locaux. Mais les choses changent. Dès décembre 2014, les Talibans entrèrent dans une phase de confrontation avec la Wilayat Khorasan de l’Etat islamique. Cette dernière avait le dessus et en juin 2015, elle contrôlait huit des neuf districts de la province de Nangarhar, ce qui constitua son pic de puissance avant de s’effondrer. Mais il faut rappeler que c’était la première fois qu’une organisation terroriste venue de l’extérieur ne prêtait pas allégeance à l’historique Mollah Omar, chef des Talibans. Et dans le même temps, le Calife Bagdadi avait promis lui de punir les « étudiants » afghans qui avaient fait le choix de ne pas rallier Daech.

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Dans les mois à venir, la guerre risque d’être plus ouverte que jamais entre les deux protagonistes qui continueront à se disputer le statut de leader islamiste du pays. C’est là que l’arrivée supplémentaire de nouveaux « daechistes » d’un peu partout peut peser dans la balance. Déjà au sein même du pays, les recrues ne manquent pas. En effet, l’Afghanistan connaît depuis des décennies un influent courant extrémiste, qui se retrouve dans toutes les couches de la société, notamment chez beaucoup de jeunes qui ont absorbé l’idéologie jihadiste et adhèreront à la nouvelle version du djihadisme, la plus violente.

Surtout si les Talibans sont poussés à trop vite se « normaliser » ! On a compris qu’en Afghanistan, ce n’était pas le nombre de combattants qui comptaient pour gagner. Les Talibans bien moins nombreux sont venus à bout d’une armée afghane inerte. Pour le moment les sympathisants de Daech sont quelques milliers, mais risquent bien de voir leurs rangs gonfler dans les mois à venir. Nous irions alors vers un conflit qui promet des milliers de morts et une concentration totale des forces régionales qui risque bien de déstabiliser encore plus la région tout entière. Et l’Afghanistan deviendra ce nouveau sanctuaire mondial de la mort. En viendrons-nous un jour à devoir aider des Talibans « normalisés » pour venir à bout d’une hydre djihadiste non conventionnelle encore plus nihiliste qu’eux ? L’histoire a prouvé que nos soutiens et nos alliances ont toujours finalement été très (trop ?) pragmatiques. Aujourd’hui, après les premiers attentats à l’aéroport de Kaboul en pleine évacuation du pays, nous risquons de devoir nous appuyer sur les Talibans pour combattre à nouveau Daech. Terrible retour de flammes pour l’Occident tout entier.


[1] Guerre entre deux parties qui utilisent un tiers acteur pour mener le combat sur place

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/quand-la-cia-aidait-les-fous-de-dieu_606084.html

[3] « Vers la retalibanisation de l’Afghanistan ? », Antonio Giustozzi, revue Outre-Mers, https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-1-page-175.htm

[4] Ecole musulmane traditionnelle sunnite très présente en Asie du Sud (Pakistan, Inde et Afghanistan)

[5] https://www.tdg.ch/monde/americains-ciblent-labos-heroine/story/16007342

[6] Sans compter tous les complotistes, nombreux dans ces courants, qui voient déjà finalement la main de Washington dans la reprise du pays, sous accord, par les Talibans.

Législatives en Allemagne: tout change pour que rien ne change

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Débat télévisé, Berlin, le 12 septembre 2021. De gauche à droite, Olaf Scholz (SPD), Annalena Baerbock (Verts) et Armin Laschet (CDU) © Michael Kappeler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22604889_000004

Long de 16 ans, le règne de « Mutti » prend fin. Mais à en croire les candidats à la chancellerie, tout le monde voudrait être Angela Merkel! La campagne molle qui se termine a très peu évoqué un enjeu majeur: les solutions à apporter à la crise démographique aiguë de l’Allemagne. Présentation des candidats et analyse du scrutin de dimanche prochain.


Jeux de mots sur ses affiches, imitation de la posture de la chancelière avec les fameuses « mains en losange », le social-démocrate Olaf Scholz ne manque pas de gadgets pour tirer la couverture à lui et s’approprier l’héritage d’Angela Merkel, pourtant conservatrice (sur le papier). Il y aurait au demeurant à redire sur le bilan de « Mutti », notamment lors de ses deux derniers mandats, ponctués d’ailleurs de quelques déroutes électorales pour la CDU au plan régional. Mais force est de constater que sa ténacité et son sens de la stratégie ont écrasé toute concurrence pendant seize années, à tel point que la campagne actuelle parait bien pâle. 

Ce dimanche 26 septembre, les Allemands éliront en effet leurs députés et donc, indirectement, choisiront un nouveau chancelier pour le pays. Si le nouveau chef de gouvernement pourra s’appuyer sur une situation économique plus qu’honorable avec une industrie forte et un taux de chômage dont Macron doit rêver la nuit, il devra réagir face aux défis majeurs qui menacent l’Allemagne, à commencer par le vieillissement très inquiétant de sa population ayant entrainé une immigration massive et incontrôlée. Or, en raison d’un système électoral complexe et au vu des derniers sondages, il est extrêmement improbable qu’un parti puisse obtenir la majorité absolue et gouverner seul. Le candidat arrivé en tête se verra donc contraint de former une coalition de deux, voire trois partis pour former un gouvernement « majoritaire », ce qui complique nécessairement la mise en place de réformes sérieuses.

Annegret Kramp-Karrenbauer a disparu de la circulation

Au traditionnel duel CDU/CSU-SPD s’est substitué ce que nos voisins d’outre-Rhin appellent un « Triell », c’est-à-dire un trio de trois favoris, les Verts ayant eu au printemps le vent en poupe dans les sondages sans pour autant arriver au niveau des deux partis traditionnels. 

Pour le camp conservateur, l’alliance CDU-CSU a désigné en avril le président de la CDU et ministre-président du Land de Rhénanie du Nord – Westphalie, Armin Laschet, comme Spitzenkandidat à la chancellerie. Le conseil fédéral du parti lui a attribué 31 voix, contre neuf pour son challenger, le patron de la CSU et Premier ministre bavarois Markus Söder, pourtant plus populaire. Natif d’Aix-la-Chapelle, Laschet est un fidèle de Merkel et représente le courant centriste de la CDU. Un second choix en réalité pour « Frau Nein », qui avait adoubé Annegret Kramp-Karrenbauer l’année dernière avant de la désavouer sur fond de débâcle électorale dans certains Länder. Sans surprise, le programme de Laschet mise sur la continuité et l’espoir de surfer sur la popularité d’Angela Merkel. Las ! Son style plat et ses nombreuses gaffes de communication (notamment quand il n’a pas trouvé mieux à faire que de rire aux éclats lors d’un discours du président fédéral en soutien aux sinistrés des inondations) ont plombé sa campagne. Ces dernières semaines, il a perdu du terrain face à son concurrent social-démocrate.

Olaf Scholz, de la vieille garde du SPD, actuel vice-chancelier et ministre des Finances de la coalition gouvernementale, a effectivement marqué des points récemment. Considéré comme un pilier de l’aile réformiste du parti, il contribua à l’élaboration du paquet de réformes du droit du travail « Hartz IV » à l’époque de Gerhard Schröder au début des années 2000, réformes dont Merkel récoltera d’ailleurs les fruits plus tard. Afin d’amadouer l’aile gauche du SPD, Scholz a inclus dans son programme des mesures sociales aguicheuses telles que l’imposition des plus riches, mais sa ligne politique n’est pas fondamentalement différente de celle de Merkel. Accusé par cette dernière de vouloir s’allier au parti d’extrême gauche Die Linke, Scholz a démenti. S’il arrive en tête, il devra donc s’allier avec le parti libéral (FDP), les Verts, ou même la CDU. Rien de bien nouveau. 

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Du côté des Verts, le parti a désigné sa présidente, Annalena Baerbock, comme candidate à la chancellerie. Confirmée avec le score stalinien de 98,6% des voix le 12 juin dernier lors de la conférence fédérale du parti, Baerbock se verrait bien devenir la deuxième chancelière fédérale après Angela Merkel. Du moins, on y croyait mordicus à l’époque chez les Verts, à un moment où ils devançaient même la CDU dans les sondages. Entre-temps, la situation a quelque peu changé et il semblerait que le traditionnel duel CDU-SPD soit finalement de mise. Pas de quoi décourager Baerbock qui arpente le pays et les plateaux télé pour prêcher la bonne parole écolo. On aurait presque envie de lui donner raison quand on voit les effets du retrait du nucléaire chez nos voisins, qui ne sont pas à une contradiction près. 

Les autres têtes de file sont créditées respectivement d’environ 11% (FDP), 6% (Die Linke) et 11% (AfD). 

La démographie, défi majeur de l’Allemagne

Les dossiers chauds ne manqueront pas pour le nouveau chancelier : Europe, Chine, Nord Stream 2, crise sanitaire, politique énergétique… Sur le long terme néanmoins, la question démographique apparait comme très préoccupante. Le problème n’est en réalité pas nouveau : depuis plusieurs décennies, les chiffres de l’accroissement naturel sont parmi les pires d’Europe. Faiblesse de la natalité, vieillissement, départ à la retraite de la génération des baby-boomers : ces problèmes sont propres à tous les pays européens, mais sont particulièrement accentués outre-Rhin.

Angela Merkel, La chancelière allemande visite une classe de réfugiés à Francfort, Allemagne le 08 octobre 2018. Thomas Lohnes / REX / Shutterstock (9917380b)

L’Allemagne a cru pouvoir compenser ce déficit par l’ouverture à gogo des vannes migratoires, ce qui est « rentable » à court terme, mais dangereux à plus long terme. Aujourd’hui, plus d’un Allemand sur quatre, soit 26 % de la population, a au moins un parent né à l’étranger. Les taux atteignent 36,5 % à Brême (dans le nord-ouest de l’Allemagne), 34 % à Hambourg et 33 % à Berlin (sans parler de certains quartiers comme Neukölln). Les 7,4 millions d’Allemands issus de l’immigration qui ont le droit de vote représentent 12 % des électeurs ; or, leur assimilation pose question, car très peu d’entre eux siègent au Bundestag ou dans les assemblées locales (ce qui est un marqueur, parmi d’autres, comme la prolifération de ghettos communautaristes). 

Le pays semble pourtant persévérer dans cette approche très comptable du problème démographique, en négligeant les aspects socio-culturels. La très respectée fondation Bertelsmann, dans un rapport de 2019, estimait en effet que l’Allemagne aurait besoin de 260 000 immigrés en moyenne par an, jusqu’en 2060, pour répondre aux besoins de son marché du travail. Même son de cloches catastrophiste au Ministère de l’Économie : selon ses propres prévisions (en ligne avec l’IW, l’institut pour l’économie allemande, à Cologne), la population en âge de travailler, c’est-à-dire âgée de 20 à 65 ans, devrait diminuer de 3,9 millions en 2030 et de 10,2 millions de personnes d’ici à 2060. Des chiffres alarmants qui confirment que l’économie allemande est « dramatiquement dépendante de l’immigration », pour reprendre les termes du journal munichois Merkur

Certains, notamment à droite, ont averti qu’il faudra prendre ce changement historique très au sérieux, regrettant le manque d’attention dont cette cause pâtit auprès des candidats à la chancellerie, surtout quand on compare avec des thèmes comme le changement climatique, plus à la mode. Et de s’inquiéter d’une probable bombe à retardement.

La Mère Brazier, reine des fourneaux depuis cent ans

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Le chef Bernard Pacaud du restaurant L’Ambroisie, situé place des Vosges au coeur de Paris © HANNAH ASSOULINE

On célèbre cette année le centenaire du restaurant La Mère Brazier. La première femme qui décrocha deux fois trois étoiles au Guide Michelin est devenue la divinité protectrice de la cuisine lyonnaise – et française.


Eugénie Brazier, dite « la Mère Brazier » dans sa cuisine à Lyon. D.R.

« Eugénie Brazier, c’était Germinal. » Les mots sont de Jacotte Brazier, sa petite-fille. Eugénie Brazier naît le 12 juin 1895 à La Tranclière, à un jet de pierre de Bourg-en-Bresse. Enfance dure et sans joie, scandée par les saisons : « J’allais à l’école par hasard et seulement l’hiver lorsqu’il n’y avait pas de travail à la maison. » Sa mère meurt quand elle a 10 ans. Placée dans une ferme par l’Assistance publique, elle garde les cochons et tombe enceinte à 19 ans d’un homme marié. Scandale. Son fils Gaston (père de Jacotte) est aussitôt confié à une nourrice, tandis qu’Eugénie part à Lyon et devient bonne à tout faire chez les Millat, des bourgeois clients de la mère Fillioux, la « mère des mères lyonnaises ». Cette dernière initiera Eugénie Brazier à la « perfection simple » (selon l’expression du critique gastronomique Curnonsky) et lui enseignera la recette de la poularde demi-deuil. La mère Fillioux, née Françoise Fayolle, en aurait préparé plus de 500 000 au cours de son existence, en utilisant la même paire de couteaux ! Eugénie Brazier apprend vite. Le 19 avril 1921, à 26 ans, on la retrouve à son compte dans une épicerie-buvette de la rue Royale – l’adresse n’a, depuis, pas changé. Au menu du premier service : langouste mayonnaise et pigeon aux petits pois. Bientôt lui succéderont gâteau de foie de volaille ou les célèbres fonds d’artichaut au foie gras. Son restaurant devient rapidement le plus couru de l’ancienne capitale des Gaules et, en 1933, le Guide Michelin décerne trois étoiles à La Mère Brazier, ainsi qu’au petit restaurant, acheté en 1928, au col de la Luère. Voilà Eugénie devenue « l’ardente Brazier », selon les mots de Jacques Prévert.

Vous les femmes…

Avec la mère Fillioux (Lyon), Gloanec (Pont-Aven) ou Poulard (Mont-Saint-Michel), Eugénie Brazier popularise alors ce qualificatif de « Mère » (qu’elle sera cependant seule à assumer, en lettres majuscules, sur la façade de son restaurant). Qui sont-elles ces fameuses mères ? « De faibles femmes, fortes en gueule », répond Léa Bidaut, autre mère lyonnaise connue pour arpenter les étals du marché Saint-Antoine sur le quai voisin de son restaurant (La Voûte) en poussant sa charrette. Faibles femmes ? En ces temps-là, une femme n’avait pas le droit de posséder un compte en banque. Alors, un restaurant, pensez-vous ! Lorsque la mère Brazier est arrêtée en 1940 pour avoir acheté de la viande au marché noir, il est difficile de ne pas voir derrière cette dénonciation anonyme la jalousie des bistrotiers qui honnissaient cette matrone, protégée à la fois par Édouard Herriot (il aura ce mot : « Elle fait plus que moi pour la renommée de la ville ») et l’occupant allemand (friand de bonne chère, l’état-major en poste à Lyon avait laissé toute liberté à la Brazier, même celle, rarissime, de servir de l’alcool).

Toujours est-il que ces quatre jours de prison la marquent durablement, et qu’elle se réfugie en 1943 au col de la Luère, laissant les fourneaux de la rue Royale à son fils Gaston. Trois ans plus tard, Eugénie Brazier voit surgir un jeune homme de 20 ans, tatoué d’un coq sur l’épaule gauche : il a les yeux qui pétillent et le sens de la formule. Son nom : Paul Bocuse. « C’était l’école de la vie, se souvenait-il quelques années avant sa mort. J’y ai appris à traire les vaches, à faire la lessive, à repasser, à cultiver les légumes dans un potager. La mère ne nous accordait jamais aucun jour de repos. » Et toujours les mêmes exigences qu’au premier jour : un immense respect envers ses fournisseurs, une grande générosité et les meilleurs produits de saison – à tel point que son volailler craignait de devoir « manucurer les poulardes » pour pouvoir continuer à les lui vendre. En 1977, Eugénie décède d’un cancer, trois ans après avoir enterré Gaston, son fils. Jusqu’aux extrémités de son existence, elle aura incarné l’adage de son apprenti Bocuse : « Travailler comme si on devait vivre cent ans, et vivre comme si on devait mourir demain. » Aujourd’hui, avec Bernard Pacaud, son « fils adoptif », c’est sans doute Mathieu Viannay, chef actuel de La Mère Brazier (deux étoiles Michelin) qui en parle le mieux : « Cette maison est un temple, un écrin intemporel. Moi, je ne suis que de passage. La Mère Brazier nous survivra. »


Eugénie Brazier racontée par Bernard Pacaud

Bernard Pacaud © Hannah Assouline

Le chef de L’Ambroisie (Paris) se souvient de l’affection bourrue de cette mère adoptive qui lui offrit « un toit et un métier ».

De foyers en Brazier

« J’ai été placé à la DDASS dès l’âge de 9 ans. À 14 ans, je me suis retrouvé dans un foyer de prêtres ouvriers, à trois kilomètres du col de la Luère, où se trouvait le restaurant d’Eugénie Brazier. Les week-ends, je grimpais la côte à vélo pour aller faire la vaisselle en échange de quelques sous. Après trois mois d’essais, elle m’a embauché ! Manque de chance, j’ai été hospitalisé en urgence pour une crise d’appendicite aiguë. Un matin, je vois débarquer la Mère, les bras chargés de tartes et de viennoiseries : “Alors, il sort quand le petit ? La saison n’attend pas !” »

Trois menus, trois étoiles

« La Mère Brazier ne proposait que trois menus, à 25, 35 et 55 francs. Le premier, c’était fond d’artichaut foie gras et quenelle de brochet ; le second, artichaut, quenelle et volaille ; le troisième, la même chose avec le gratin de langouste belle Aurore ! Pour la volaille, on glissait les truffes sous la peau. Le soir, avec les gars, on retirait les lambeaux de chair des carcasses : on faisait sauter tout cela à la graisse de volaille clarifiée, avec de l’oignon et de petites pommes de terre, un régal ! Quand les clients voulaient dîner léger, la Mère préparait un bouillon au vermicelle à partir du consommé de volaille qui mijotait depuis une semaine, et glissait une truffe au fond… »

Mai 68 : la lettre qui change ma vie

« En mai 68, j’ai fait ma petite révolution personnelle. Comme j’étais sportif, je m’étais mis en tête de devenir prof de gym. Quand la Mère a appris ça, elle m’a envoyé cette lettre : “Mon cher Bernard, je sais qu’il est des moments très difficiles dans la vie, mais qui est celui qui n’a jamais lutté ?” Elle avait su trouver les mots justes – elle qui savait à peine écrire. J’ai enlevé mes tennis et me suis remis aux fourneaux ! »

Les «GoodFellas» du terrorisme islamiste

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L'écrivain français Morgan Sportès © BALTEL/SIPA Numéro de reportage : 00593577_000017

Les djihadistes aussi ont des peines de cœur de Morgan Sportès, radiographie d’un sujet brûlant.


Le romancier Morgan Sportès s’est fait une spécialité de traquer les dévoiements sociaux de notre monde. Déjà dans L’Appât, en 1990, dont Bertrand Tavernier tirera un film terrible, il s’intéressait à une petite bande de jeunes prêts à commettre des meurtres sordides pour continuer leur vie de luxe et d’oisiveté. Ce faisant, il mettait en perspective les impasses mêmes d’une société du spectacle, qui semblait, dans certains recoins, ne plus se soucier de morale. Au reste, Morgan Sportès a entretenu une correspondance privée avec Guy Debord. Il cite aussi volontiers ce que lui a écrit Claude Lévi-Strauss : « J’ai lu votre livre, lui disait-il, à la fois comme un roman policier et une étude ethnographique. » 

L’attentat à la grenade de l’épicerie casher

Dans son nouveau livre, Les Djihadistes aussi ont des peines de cœur, Morgan Sportès aborde le sujet brûlant du terrorisme islamiste. Il a choisi de passer au scalpel l’attentat de septembre 2012, au cours duquel une grenade avait été lancée dans une épicerie casher de la banlieue nord de Paris. Il n’y eut heureusement qu’un blessé léger. La police, à travers son enquête, devait découvrir à cette occasion l’existence d’un réseau « Nice-Noirceuil », constitué d’une bande de véritables Pieds Nickelés de diverses origines, mais tous versés dans l’islamisme radical. Morgan Sportès nous trace le portrait de ces fanatiques, d’ailleurs tous plus ridicules les uns que les autres. On retient un dénommé Joël Jean-Gilles, dit Abbas (son nom musulman), de père antillais chrétien, converti à l’islam en 2009. Morgan Sportès nous rapporte comment il se radicalise, à cause d’une femme. Son intention secrète est de commettre des attentats en France, puis de partir faire la guerre en Syrie, afin de devenir un martyr. Cet admirateur jusqu’au-boutiste de Mohamed Merah finira criblé de balles, au petit jour, dans l’appartement d’une de ses épouses (il en avait trois, disséminées dans autant de villes).

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Il y a aussi Kevin Lecoq, né en 1986, personnage moins sinistre que le précédent, mais tout aussi dangereux et fou. Morgan Sportès décrit ainsi ce garçon pittoresque : « C’est sans doute un des membres les plus intéressants (ou les plus symptomatiques) de cette bande. Par son déséquilibre extrême et ce besoin qu’on sent chez lui compulsif, pourrait-on dire de CROIRE. » D’autres complices, plus ou moins perdus eux aussi, gravitent autour de ces deux-là. Ils vivent déjà comme des hors-la-loi, et la police les identifie peu à peu, afin de n’en laisser échapper aucun au moment du coup de filet. Ils en ont tous contre la France: « Qu’est-ce que tu fous en France, ce pays de merde, au milieu des kouffars ! Des Juifs ! De la démocrassouille ! Du vice. Du matérialisme !… Ta vie, en France, c’est la mort. La mort au Cham, c’est la vraie vie ! » 

Caricatures du Prophète et lavage de cerveau

Certains, comme Abbas et Lecoq, exercent un véritable ascendant sur les autres. Leur comparse terroriste Nam expliquera ainsi au juge d’instruction, plus tard : « J’étais sous leur emprise, j’avais peur… Et puis ils m’avaient complètement soûlé avec l’histoire des caricatures du Prophète… Ils m’avaient mis la haine ! » L’expression « lavage de cerveau » revient d’ailleurs fréquemment dans ce contexte.

La narration de Morgan Sportès est très vivante. Il reproduit la propre façon de parler de tous ces jeunes, avec leur argot typique, drolatique. L’ironie de Sportès est constante, quand il évoque ces véritables branquignoles et leurs menées terroristes. Comment les décrire autrement ? C’est leur être même qui est ici saisi. Le romancier a enquêté patiemment sur eux tous, et a eu accès aux dossiers d’instruction, quelque 30 000 pages qu’il a su synthétiser de manière remarquable. Il a en outre mené des entretiens avec quelques protagonistes de l’affaire. Le procès de la filière Nice-Noirceuil s’est tenu en 2017 aux assises de Paris, et les membres en furent condamnés à de très lourdes peines (Kevin Lecoq écopera ainsi de 28 ans de réclusion criminelle).

Une réflexion sur la société du spectacle

Morgan Sportès s’en tient aux faits, mais en tête de chaque chapitre il a choisi de faire figurer une citation, pour éclairer les situations qu’il relate et tenter de leur donner un sens. Sportès n’est pas seulement romancier, donc, mais aussi sociologue et philosophe. On trouve d’ailleurs, en annexe du livre, une « bibliographie succincte », dans laquelle il liste les ouvrages de référence qui ont nourri en sous-main sa réflexion. C’est une invitation au lecteur à ne pas en rester là. 

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Ce que Morgan Sportès met en évidence dans son roman, c’est qu’il existe cependant quelques réfractaires à ce nouvel ordre du monde, en l’espèce les djihadistes dont il vient de raconter l’histoire, et que la société n’a pas encore su les dompter complètement. Il résume, pour finir, à la dernière page de son livre, ce que ces prétendus « résistants » sont pour lui : « Figures du passé resurgies des souterrains obscurs de l’inconscient historique arc-boutées sur le refus d’une société qui, parce qu’elles lui sont inadaptées, les liquide. Dernières fortes têtes, archaïques, effrayantes, fanatiques, cruelles, sanguinaires, tarées et zélées mais obsolètes (politiquement inoffensives donc) que le néant voue au néant. »

Lorsque Morgan Sportès, en 2017, sort du tribunal où furent jugés les membres du réseau islamiste, et qu’il contemple, autour de lui, dans Paris, ses contemporains, formant une « même vaste classe sociale », aux modes de vie « stéréotypés », il ne peut s’empêcher d’en regretter le conformisme qui touche même les plus jeunes. Mais quelle alternative plausible pourrait-il y avoir ? Il ne le dit pas, dans ce livre, mais ce sentiment plein de désillusion pose une nouvelle fois, de manière plus ou moins indirecte, la question de la démocratie : ses manques, ses insuffisances, mais aussi les efforts, parfois maladroits, de ceux qui désirent que, malgré tout, elle perdure. Et cette question, évidemment, reste plus que jamais d’actualité, dans le « malheur des temps », comme disait Debord. 

Morgan Sportès, Les Djihadistes aussi ont des peines de cœur. Éd. Fayard.

Les djihadistes aussi ont des peines de coeur

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Un jour, nous irons tous à Tigreville

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Paul Frankeur, Jean-Paul Belmondo et Jean Gabin dans "Un Singe en hiver", film d'Henri Verneuil (1962) © SIPA Numéro de reportage : 01036921_000076

À la recherche d’une côte pluvieuse pour poser nos lourds bagages  


Nous sommes saouls d’une actualité déprimante. Et nous titubons dans la ville. Une campagne atone se met en marche. Avec l’inertie des machins qui ne servent à rien. Avec le bruit suffocant des promesses non tenues. Avec aussi, la distance qui sied aux vieux peuples fatigués par toutes ces espagnolades. Nous avons connu tant de révolutions et de circonvolutions que nous sommes immunisés contre les mots. Les éoliennes menacent mon Berry des châteaux forts. Et des candidats nombreux et peu inspirés, squatteurs revenant tous les cinq ans comme des démarcheurs trop collants, habiteront mon poste de télévision jusqu’au printemps. Le doute n’atteint pas ces gens-là. Comme si leurs échecs successifs les galvanisaient. Comme s’ils avaient peur du silence de l’anonymat. Comme ces enfants qui font semblant de jouer au gendarme et au voleur, à la récré. 

Notre charité nous perdra

Alors, bons princes, nous leur offrons l’hospitalité à échéance régulière, plus par dépit que par adhésion. Notre charité nous perdra de leur ouvrir les portes de nos intérieurs. Leur indécence à nous déranger a presque quelque chose de touchant et de désarmant. Ils insistent, malades d’eux-mêmes et du système qui a horreur du vide, jamais mal à l’aise d’abuser de notre bonté. Dans ce partage des rôles, ils feignent de nous gouverner et nous, de croire en leur pouvoir magique. Nous les observons entre frissons et sourire, entre agacement et abandons. Ils parleront longtemps durant des semaines, nous les écouterons distraitement, par politesse, parce qu’être Français, c’est se soumettre par désintérêt de la chose publique. Laissons l’espoir fugace aux Nations nouvelles qui veulent réenchanter l’existence et reconstruire sur les décombres. Nous sommes las de ce cirque ambulant. La France n’est pas une jouvencelle. Jean-Paul est mort, il y a sept jours maintenant. La chambre de Blondin au Grand Hôtel de Mayenne est vide. Où sont passés ses cahiers grands carreaux à l’écriture appliquée ? Comment autant d’amertume pouvait suinter d’une calligraphie enfantine ? La Pichonnière ne verra plus la casquette de Gabin, à la traite du matin. Noël Roquevert a fermé sa boutique de farces et attrapes. 

Fillettes recluses

Les fillettes recluses dans les pensionnats ne portent plus de laines du Queensland, leur sommeil est moins doux. Seule l’Arménie de Verneuil saigne encore. Cette année, les pétards du feu d’artifice sont mouillés. La fête de la rentrée est terminée. Le décor de notre enfance tombe, les dialogues sonnent creux, la mise en scène a des ratés et les caractères semblent déjà épuisés avant de démarrer cette cueillette quinquennale. Désengagés, nous aspirons à la tranquillité et au respect, à nous retrouver dans les entrailles de notre pays, à toréer avec notre passé sur le littoral de la Manche, à pleurer en cachette comme le font les pères fraîchement divorcés. 

Ce coin existe, je l’ai vu au cinéma. Tigreville ou Villerville peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse de cette station balnéaire à la mélancolie pluvieuse située en Normandie, dans le département du Calvados, sur la Côte de Grâce. Là-haut, à l’hiver 1961-1962, durant le tournage d’Un singe en hiver, notre identité polissonne et cafardeuse, fantasque et désespérée a trouvé refuge. Nous nous sommes vus dans le miroir, ni glorieux, ni pathétiques, à la bonne taille, avec ce fond de sentimentalisme mal guéri et nos tocades pour les bistrots à l’air tarte. Regarde public ingrat ! Les carabineros ont l’accent de Rodez. Les hommes boivent du Picon-Bière, enfilent des canadiennes à col moumoute et se souviennent de leurs vingt ans. Les vannes fusent sur le parquet dans un flamenco désespéré. La guerre et les amours déçues hantent les soirées. Les héros dorment en pyjamas et sucent des bonbons. L’amitié, la dernière et la plus belle conquête des hommes libres, se fraye un chemin dans les vapeurs d’alcool. Sous les édredons et les soupières d’un hôtel de famille, dans la chaleur des nuits de Chine, l’homme misérable, jeune ou vieux, seul et désarticulé, se réchauffe, un instant. 

Nous sommes tous des Gabriel Fouquet et des Albert Quentin, surnuméraires du quotidien, inadaptés des temps présents. Publicitaire en déshérence ou hôtelier fusiller-marin, nous avons été positivement charmés de vous rencontrer.

Le dandysme helvétique

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Paysage du Jura suisse Image Unsplash

Le billet du vaurien


Jean Paulhan relevait qu’il y a une forme de dandysme suisse, composé d’humour, d’une certaine façon de n’être pas là et d’un goût de l’absurde dans la conversation. À l’opposé du Français, le Suisse s’en voudrait d’avoir raison. Vouloir imposer son opinion relève d’une forme d’inélégance. Aussi préfère-t-il la taire, à supposer qu’il en ait une, ce qui est rarement le cas. 

André Gide s’extasiait devant la propreté helvétique : il n’osait même pas jeter sa cigarette dans le lac Léman et s’étonnait de l’absence de graffitis dans les urinoirs. Il ajoutait : la Suisse s’en enorgueillit, mais je crois que c’est de cela qu’elle manque précisément : de fumier.

Sans doute est-ce un endroit idéal pour mourir, surtout quand on doit fuir à la fois son ex-femme et le fisc. Les acteurs américains y ont trouvé un refuge. Certes, l’ennui vous guette à chaque coin de rue – la police aussi. Mais on s’en accommode d’autant plus facilement que passé un certain âge les distractions sont rares. 

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Hitler exécrait la Suisse : il trouvait qu’on y mangeait mal. Est-ce pour cela qu’il s’est bien gardé de l’envahir ? Il ne voyait aucune raison d’aller en Suisse alors que les Alpes autrichiennes offraient un spectacle bien plus grandiose. Guillaume Tell avait libéré la Suisse de la domination habsbourgeoise. On n’allait pas remettre ça quand même.

Musée du capitalisme

Nikita Krouchtchev, qui ne manquait pas d’humour, affirmait que lorsque le monde entier se serait converti au communisme, il souhaitait faire de la Suisse un musée du capitalisme dans ce qu’il avait de meilleur. Il est toujours risqué de faire des prophéties : les Suisses en font d’autant moins qu’ils vivent dans la certitude que, quoi qu’il arrive, ce sont eux qui tireront les marrons du feu. Leur neutralité bienveillante leur a donné raison jusqu’à présent. Il leur arrive même d’accumuler les médailles en or aux Jeux Olympiques et d’en distribuer avec générosité aux défavorisés, surtout si elles sont en chocolat. On s’achète une bonne conscience comme on peut.

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Surdiplômés et antivax

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D.R.

Quand il s’agit de chercher les responsables de la prolongation de la crise sanitaire, on désigne à la vindicte générale les citoyens qui refusent de se faire vacciner ou hésitent. Et quand on dresse le portrait-robot de ces individus, on imagine quelqu’un d’ignorant, d’inculte, de moins diplômé, supporteur de quelque mouvement ou leader populiste. Aux États-Unis, ce serait un électeur typique de Donald Trump, un de ces « déplorables », selon le mot de la malheureuse candidate à la présidence, Hilary Clinton.

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La réalité est plus contrastée. Une étude menée par des chercheurs des universités de Pittsburgh et Carnegie Mellon a mesuré l’hésitation vaccinale à partir d’un échantillon de 5 millions de personnes classées selon plusieurs données démographiques. Certes, la corrélation entre l’hésitation à se faire vacciner et le vote Trump se confirme. Cependant, quand on s’intéresse au niveau d’étude des hésitants, les réponses forment une courbe de Gauss (en U inversé), ces derniers se recrutant autant parmi les moins diplômés (diplôme secondaire ou moins) que parmi les plus diplômés (titulaires d’un doctorat). C’est même ce dernier groupe qui apparaît comme le plus hésitant et le moins susceptible de se laisser convaincre. En effet, au cours des premiers mois de 2021, le groupe des moins diplômés s’est révélé le plus perméable à l’intense campagne vaccinale, et celui qui a le plus changé d’avis, tandis que les titulaires d’un doctorat forment celui qui a le moins varié. Au centre de la courbe, parmi les plus favorables à la vaccination, on trouve les titulaires d’un bac +5, soit cette population urbaine, instruite, progressiste, facilement donneuse de leçons et apparemment la plus domestiquée.

Quant à convaincre la frange récalcitrante des « PhD », bonne chance aux stratèges sanitaires. Allez donc faire changer d’avis des gens qui se sentent plus intelligents que le reste de l’univers…

Cachez ces bébés que je ne saurais voir

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Capture d'écran C8

La nouvelle Une de Causeur fait peur.


« Cachez ce sein que je ne saurais voir », dit Tartuffe. Eh bien, de bonnes consciences de gauche (ou prétendues telles, parce que Christophe Castaner, ex-ministre de Macron, hein…) s’indignent sur les réseaux sociaux de la couverture du dernier Causeur. Ciel ! L’enfance manipulée ! Le « grand remplacement » invoqué ! À quand l’appel génocidaire ? Faut-il pendre préventivement Elisabeth Lévy ? Ou la brûler, peut-être…

L’inconvénient, c’est que ce n’est pas Renaud Camus, mais les cartes d’un organisme tout à fait officiel, France Stratégie, qui le démontre : le différentiel de reproduction entre femmes françaises et immigrées est tel que des zones entières du territoire sont aujourd’hui majoritairement peuplées d’étrangers. Des étrangers dont une politique habile a refusé l’assimilation — selon une idée empruntée à Sartre, parce que séparer un immigré de sa culture, c’est encore exercer une pression colonialiste, bla-bla-bla.

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Comme l’a très bien dit Elisabeth sur TPMP, le problème n’est pas que la France soit multi-ethnique, elle l’a toujours été, mais qu’elle soit multi-culturelle. Pendant 2000 ans l’héritage romano-chrétien a structuré l’Europe. C’est en considération de cet héritage qu’avaient gouverné les rois, que la République s’était construite — les Droits de l’homme sont la laïcisation des Dix commandements —, que Napoléon avait établi le Concordat ou qu’avait été promulguée la loi de 1905. Les enfants que faisaient alors les Françaises étaient chrétiens, et majoritairement catholiques. Il n’était pas question de je ne sais quel dieu incréé ni d’un prophète illettré, nés dans des solitudes sableuses. Les étrangers qui optaient pour la France le faisaient en toute conscience, et les Juifs mangeaient du cochon dans les banquets républicains — lire absolument la République et le cochon, de Pierre Birnbaum.

Nous avons cessé d’assimiler les étrangers à partir des années Giscard, quand a été décidé le rapprochement familial — et, coïncidence troublante et pas du tout fortuite (c’est l’axe central de mon prochain livre), quand le « collège unique », générateur d’une effroyable baisse de niveau, a été décrété par le ministre René Haby. À six mois d’intervalle.

De cette époque date le renoncement à l’intégration et à l’assimilation. Et le début d’une France éclatée façon puzzle en « communautés » rivales. En cultures ennemies.

Au passage, je m’étonne que les belles consciences qui tweetent leur colère dès qu’on décrypte la réalité — mais ce ne seraient pas des idéologues s’ils tenaient compte du réel —, ne s’indignent pas quand un journaliste parle de « communauté ». Nous sommes un peuple français, avec une langue et une culture — c’est inscrit dans la Constitution —, pas un rassemblement d’antagonismes. Nous avons une justice, pas une juxtaposition de droits, le libéralisme ici, la charia là. Nous ne pouvons être discriminés en fonction de notre origine ou de notre sexe, pas empalés quand nous sommes homosexuels, ni violées quand nous portons des mini-jupes. Ni pendus quand ce que nous disons déplaît à un ex-ministre de l’Intérieur. 

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Et ceux qui prétendent qu’il faut faire de la place à des cultures « autres » et cherchent des excuses aux tueurs d’enfants et de vieilles dames se prononcent, souvent sans le savoir, pour la lapidation des femmes, l’excision des gamines et la mise à mort des impies. De jolies coutumes que la culture française bannit.

À l’immigration le plus souvent non choisie vient s’ajouter l’immense cohorte des enfants d’immigrés, nés Français mais enracinés, à force de matraquage et d’aliénation (ça vous dit quelque chose, ce concept, ô mes frères de gauche ?) dans des superstitions importées. Comme disait Houari Boumédiène : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la Victoire. » Le dossier de Causeur, qui reprend et commente l’étude de France Stratégie, montre par exemple que par l’opération du Saint-Esprit et des allocations familiales réunies, les femmes d’origine étrangère, maghrébines, africaines ou turques, font plus d’enfants en moyenne une fois en France que dans leur pays d’origine. Nous fournissons le biberon pour nous faire battre.

Et le pire, c’est que grâce à des théories pédagogiques libertaires venues au secours du libéralisme mondialisé, nous refusons désormais d’enseigner la langue et la culture françaises à ces enfants dont nous pourrions parfaitement faire des Français parfaitement intégrés. Nous les laissons proliférer aux marges, nous satisfaisant du fait qu’ils achètent des smartphones, et autres produits de la civilisation mondialisée, et fournissent de la chair fraîche aux exploitants de misère humaine type Uber. Et, croit savoir la Fondation Jean Jaurès et les autres « think tank » de gauche, de futurs électeurs pour Anne Hidalgo. Dans leurs rêves ! Des enfants nés dans le ghetto, élevés dans le ghetto, n’ont rien en commun avec la boboïtude parisienne. Et leurs idoles, ce sont parfois moins Dominique Strauss-Kahn ou même Jean-Luc Mélenchon que Mohamed Merah. Faute d’éducation. Faute de transmission des valeurs républicaines.

Je me fiche pas mal que les Françaises « de souche », qu’elles s’appellent Lévy ou Brighelli, noms gaulois caractéristiques, fassent ou non des enfants. Et je me soucierais assez peu que Lina ou Inaya en fassent davantage si nous prenions la peine de les former, de les instruire, de les intégrer. Ceux qui aujourd’hui crient au racisme parce que Causeur dit la vérité sont les mêmes qui depuis trois décennies ont laissé l’Ecole dégénérer, entre les mains des Jospin et Vallaud-Belkacem. Pour un peu je dirais que c’est eux qu’il faudrait pendre — mais je ne le dirai pas, ils seraient capables de croire que je les menace, eux qui menacent sans cesse tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

La République et le Cochon

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Les dindons de la farce!

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Joe Biden lance le partenariat AUKUS depuis la Maison Blanche, flanqués des Premiers ministres australien et britannique par écrans interposés, 15 septembre 2021 © Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40887065_000029

S’il visait à la construction de sous-marins, utiles appareils de plongée aquatique, ses concepteurs les plus optimistes ne l’imaginaient pas descendre si loin au fond des mers… Le contrat du siècle est tombé à l’eau ! L’Australie a brutalement rompu son accord avec l’entreprise française Naval Group. Signé il y a cinq ans, il garantissait à l’Australie la livraison de douze sous-marins de classe Attack et pour l’Arsenal de Cherbourg plusieurs décennies de travail, le tout pour un tarif enviable de 56 milliards d’euros. Localement, le maire socialiste Benoît Arrivé parle de « coup de poignard » alors que 500 emplois sont occupés par une activité liée au contrat. Ce dernier avait dopé l’économie de Cherbourg et du Cotentin rendant aussi le territoire euphorique. Les Cherbourgeois se voyaient monter en gamme. Forte de son dynamisme et d’un taux de chômage famélique,  la ville délaissait son passé portuaire et ouvrier pour accueillir des ingénieurs qualifiés et des cadres supérieurs. Les prix de l’immobilier grimpaient. En visionnaires, les élus locaux avaient lancé une grande campagne de promotion affichée gare Saint-Lazare et dans les couloirs des métros parisiens – laquelle plastronnait : « l’industrie recrute dans le Cotentin ». L’avenir dira si l’industrie locale recrute toujours autant et si – en cas de réponse négative – un contrat publicitaire avec la RATP devenu désuet et inutile se dénonce aussi facilement que l’achat d’engins militaires parrainé par deux puissances souveraines. 

Persuasif et généreux, à l’aise dansson rôle de VRP militaire, Joe Biden semble aussi soucieux de bien gaver un complexe militaro-industriel soumis à la diète pendant quatre ans par la politique de retrait de Donald Trump

Hors contexte local, l’annonce comme sa brutalité ont surpris. L’accord semblait honnête. Équilibré en termes de retombées économiques, il devait permettre d’assurer la formation sur place des Australiens et garantissait même un transfert de technologie. Le « contrat du siècle » devait engager la réputation de Naval Group sur plusieurs décennies. Révélée le 15 septembre, cette rupture contractuelle annonce dans le même temps la signature d’un nouveau pacte liant les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, appelé « AUKUS ». Outre les juteux accords sur l’équipement militaire, les trois nations « s’engagent à renforcer [leur] partenariat global pour travailler à la sécurité de nos peuples, pour la paix et la stabilité de l’indopacifique » [1]

Pékin ne dissimule plus ses ambitions sur la mer de Chine : sa politique vise à un grignotage des eaux territoriales de ses voisins. Dans ce contexte, l’Australie cherche un protecteur. Depuis un an, une crise diplomatique oppose ainsi les Australiens à la Chine. L’Australie voulant bannir toute ingérence chinoise de sa politique intérieure, Pékin s’est attaqué en représailles à ses exportations (embargos ciblés). En octobre 2020, la Chine a ainsi fermé ses ports aux navires de minerais provenant d’Australie. S’il s’en défend officiellement, le texte introductif de l’AUKUS vise à contenir la puissance chinoise, alors que le poids de la France dans le Pacifique reste relativement marginal. 

Birtania rules the waves 

Le nouveau partenariat – et la rupture avec Naval Group – répond donc avant tout à des impératifs stratégiques. Mais il sait aussi être lyrique quand il brandit ses convergences de civilisation. Australie, Angleterre et États-Unis d’Amérique se présentent comme « trois démocraties maritimes unies par de vastes océans et continents ». Les théoriciens de la puissance auraient parlé plus franchement de Thalassocratie – modèle de puissance impériale pour les pays anglo-saxons depuis le XVIIIe. En Thalassocratie moderne, les États-Unis ont besoin d’un nouveau porte-avion pour contrer l’essor de leur nouveau rival chinois. L’Angleterre a docilement joué ce rôle pendant la première moitié du XXe siècle avant que l’Europe et la Turquie n’accueillent les missiles pointés sur l’URSS.  L’Australie pourrait prendre le relais alors que la réalité des conflits géopolitiques se déplace vers le Pacifique. 

Suivie d’une déclaration conjointe des présidents américains et des premiers ministres australiens et anglais, l’annonce consacrait en tout cas la solidarité du monde anglophone. Alors que Boris Johnson plastronnait, Scott Morrison n’a pas eu un seul mot pour ménager la France. L’Angleterre suit la stratégie maritime du « global Britain » depuis le Brexit. Elle équipe déjà les frégates australiennes et joue résolument la carte du Commonwealth.

Ces pays ont une histoire : même langue, même culture anglo-saxonne, même projection vers l’élément marin, même pragmatisme aussi. Dans la classe atlantique, l’Amérique favorisera désormais ses chouchous. Au prix du principe de non-prolifération, elle permettra à la Royal Australian Navy d’acquérir de sous-marins nucléaire s– lui apportant toute son aide logistique – alors que le contrat initial passé avec la France concernait des sous-marins à propulsion conventionnelle. Le saut technologique est assez remarquable : l’Australie ne dispose d’aucune filière nucléaire… Persuasif et généreux, à l’aise dans son rôle de VRP militaire, Joe Biden semble aussi soucieux de bien gaver un complexe militaro-industriel soumis à la diète pendant quatre ans par la politique de retrait de Donald Trump.

Les Français en coqs plumés 

Et quid des Français ? Dindon de la farce, la France a été mise devant le fait accompli. Prévenue en dernier, l’annonce fait l’effet d’un coup de tonnerre. Elle fera peut-être bientôt l’effet d’un dévoilement : en particulier de ce que pèse notre parole dans le monde, c’est-à-dire pas grand-chose. L’affaire amorce ce que les médias appellent une « crise diplomatique » entre la France et les Etats-Unis. Jean-Yves le Drian aurait rappelé les deux ambassadeurs, l’Américain et l’Australien, pour « consultations ». La France a aussi annulé une soirée de gala prévue pour célébrer la victoire de Chesapeake Bay, le 5 septembre 1781, tournant de la guerre d’Indépendance qui vit l’intervention décisive de la flotte française commandée par l’Amiral de Grasse. Mais que valent ces remontadas diplomatiques alors que notre parole a été ouvertement négligée ?  

En l’occurrence, la brutalité de l’annonce passerait presque pour de la défiance. Face aux Anglais et aux Américains la France a multiplié les mauvais signes : opposant récemment – sur décision présidentielle – son véto à l’achat de gardes côtes anglais pour sécuriser la mer de la Manche pour cause de Brexit, alors que la manœuvre a été très mal vécue sur l’ile. Le président Macron parle à tue-tête de « souveraineté européenne » – une nécessité sans doute, mais dont les objectifs affichés de briser le protectorat américain sur l’Europe peuvent légitimement froisser son détenteur. Le lyrisme français de notre président coûte déjà cher. La France continue d’afficher sa détermination à poursuivre une politique « indopacifique », inspirée par la doctrine américaine du containment de la rivalité géopolitique chinoise, alors que ce n’est en rien pour nous une priorité stratégique. 

La défiance américaine pour la France comme la solidarité du monde anglo-saxon ne sont pas nouvelles. Le vieux monde anglo-saxon se retrouve et se positionne face au nouveau monde chinois qui essaie de devenir maître. Et entre les deux, gémissent la France et l’Europe. La nouvelle de cette rupture de contrat est presque un retour à la normale, alors que l’anomalie résidait plus dans ce partenariat privilégié entre la France et l’Australie qu’inspiraient des considérations industrielles et financières plus que stratégiques. Trompée par cette solidarité anglophone, l’entreprise Naval Group serait inspirée de changer son nom et de redevenir DCNS, ou au moins de revenir sur cette inversion très idiomatique du nom et de l’épithète. Et qu’ainsi vive – avec l’honneur français – le Groupe Navale !


[1] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/09/15/joint-leaders-statement-on-aukus

L’après-soi

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© Carole BETHUEL Mandarin Production

Après un été plein de salles vides, comment le cinéma va-t-il rebondir ? Évitez soigneusement la « titanesque » et désolante Palme d’or de l’année. Le dernier Ozon, en revanche, est une bonne raison de retrouver sans tarder le chemin des salles obscures.


Que les films de François Ozon s’avèrent tour à tour réussis ou ratés n’a rien de très étonnant eu égard à la frénésie de tournage dudit cinéaste. On passe ainsi du jubilatoire Potiche au navrant Ricky en se frottant les yeux tout en se demandant si c’est bien le même homme qui en est l’auteur… Avec Tout s’est bien passé, on est incontestablement du bon côté d’Ozon. 

© Carole BETHUEL Mandarin Production

En adaptant le récit d’Emmanuèle Bernheim sur la mort volontaire de son père, il prenait le risque d’un film au bord de la crise de larmes. Or, passées les insupportables dix premières minutes dans lesquelles Dussollier et Marceau cabotinent allègrement, le film prend la seule vitesse de croisière possible pour un tel sujet : un savant mélange de trivialité assumée et d’émotion maîtrisée. 

Tout est donc sur le fil du rasoir mais, titre oblige en quelque sorte, tout se passe bien. Comme si le sujet même du film (réussir sa mort) contaminait au bon sens du terme le film lui-même (réussir sa sortie). Ozon tient la note jusqu’au bout, aidé par un casting d’où émergent plus particulièrement les impeccables Géraldine Pailhas et Charlotte Rampling qui rendent plus complexe encore ce rendez-vous avec la mort voulue.

« Tout s’est bien passé », de François Ozon, Sortie le 22 septembre