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Les Anglais ont tiré les premiers

Migration Watch UK, l’équivalent de notre Observatoire de l’immigration et de la démographie, existe depuis 2001 outre-Manche. Avant sa création, les élus qui abordaient la question de l’immigration incontrôlée étaient promis à la dégradation sociale. Aujourd’hui, ses travaux orientent la politique migratoire du pays.


Il y a deux façons de saborder tout débat public rationnel sur l’immigration.

La première consiste à taxer de raciste quiconque oserait soulever la question. La deuxième à entretenir la confusion – mieux, le silence – autour des chiffres. La solution ? Attirer l’attention du public sur les statistiques officielles, en mettant en valeur les grandes tendances. C’est ainsi qu’en France, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie a exploité les chiffres et les cartes de France Stratégie, fondées sur les données de l’Insee, faisant éclater au grand jour la vérité sur la transformation profonde en cours de la population française. L’Observatoire a son équivalent outre-Manche, Migration Watch UK, un think tank ayant le même but : tirer la sonnette d’alarme au sujet d’un changement radical de la démographie britannique qu’aucun parlement n’a voté et qu’aucun électorat n’a approuvé. La différence, c’est que Migration Watch UK existe depuis vingt ans et a été fondé par des personnalités appartenant à l’establishment du haut fonctionnariat et de l’université. Au cours de son existence, il a réussi à exercer une influence appréciable sur la politique gouvernementale.

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Celui par qui le scandale arrive

Si la création de Migration Watch UK en 2001 semblait nécessaire, c’est parce que depuis trente ans l’immigration était un sujet tabou pour les politiciens britanniques, contents de sous-traiter presque tous les aspects de l’intégration des nouveaux arrivants aux municipalités. Tout commence un samedi après-midi d’avril 1968 lorsqu’Enoch Powell, député conservateur, se lève pour prendre la parole dans un meeting à Birmingham. Son discours est un véritable cri du cœur alertant sur les dangers de l’immigration de masse qui, dans un pays en plein déclin économique, exerce une pression grandissante sur l’emploi, les écoles et les hôpitaux. Pour souligner la frustration ressentie par ses électeurs, il cite certains de leurs propos, comme ce pronostic d’un ouvrier : « Dans ce pays, dans quinze ou vingt ans, le Noir aura le dessus sur le Blanc. » La majorité de ses collègues politiciens et des journalistes affecteront d’être scandalisés par des extrapolations sur la composition future de la population, exprimées avec si peu de délicatesse. Au point culminant de son discours, Powell lui-même joue le devin, effrayé par l’exemple des émeutes raciales violentes qui, depuis 1965, se multiplient aux États-Unis. Adoptant un ton plus érudit que son électeur, l’ancien professeur de lettres classiques invoque la scène de l’Énéide de Virgile où le héros troyen, arrivant en Italie, consulte la sibylle de Cumes sur son avenir. Selon Powell : « Comme le Romain, il me semble voir “le Tibre entièrement couvert d’une écume de sang[1]”. » Ses critiques exploiteront cette citation pour surnommer son discours celui « des Fleuves de sang ». Pour les bien-pensants du pays, toute évocation de violences interethniques – qui sont déjà une réalité – est inexcusable. Le lendemain, Powell est démis de ses fonctions dans l’équipe dirigeante du parti et entame une longue traversée du désert qui ne prendra fin qu’avec sa mort en 1998. Son exemple décourage tout autre politicien souhaitant faire une carrière honorable de s’attaquer à la question de l’immigration. Dans le tumulte médiatique, les gens ont à peine remarqué la statistique essentielle mise en avant par Powell : le gouvernement travailliste avait annoncé qu’en 1967, seules 4 078 autorisations avaient été accordées à des candidats à l’immigration, omettant de dire que plus de 50 000 personnes à charge étaient arrivées aussi. Ce total semble dérisoire aujourd’hui, mais Powell a mis le doigt là où il ne fallait pas : sur le silence général entourant les faits.

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La clarté dans la confusion

C’est dans ces conditions qu’en 2001, les fondateurs de Migration Watch décident de prendre le problème à bras-le-corps. Andrew Green, aujourd’hui Lord Green, est un diplomate qui vient de prendre sa retraite. Ancien ambassadeur en Syrie et en Arabie saoudite, ce grand spécialiste du Proche-Orient préside une ONG apportant de l’aide médicale aux Palestiniens. Estimant que l’immigration est incontrôlée, qu’il n’y a pas de débat politique sain sur la question et que le public ignore les informations pertinentes, il suggère à David Coleman, professeur de démographie à l’université d’Oxford, de fonder un observatoire. Ce dernier est présidé aujourd’hui par Alp Mehmet, ancien ambassadeur en Islande, arrivé en Angleterre comme immigré chypriote en 1956. Grâce à la respectabilité des protagonistes et à leur focalisation sur les faits, les études et déclarations de Migration Watch, nourries des chiffres de l’Office for National Statistics (ONS), l’Insee britannique, sont largement citées dans les médias, même par la BBC. Dès le début, les partisans de l’immigration accusent Green de donner des armes aux xénophobes. Le ministre de l’Intérieur travailliste crée une cellule chargée de surveiller le think tank. Plus tard, la gauche lancera un groupe de pression rival, Migration Matters, mais sans grand succès.

En 2002, Green se mue à son tour en prophète, prévoyant qu’au cours de la décennie à venir, le solde migratoire net au Royaume-Uni s’élèvera à 2 millions de personnes. Accueilli par dénonciations et quolibets, son pronostic sera confirmé par l’ONS qui annoncera un solde de 2,1 millions d’immigrés pour la période 2002-2011. Au cours de la même décennie, le sérieux et la maîtrise communicationnelle de Migration Watch changent la donne politique. À partir de 2010, trois gouvernements conservateurs successifs, rompant avec leurs prédécesseurs, décident de réduire l’immigration en fixant comme objectif de ramener le solde net annuel en dessous de la barre des 100 000. Ils échouent lamentablement. Le référendum sur le Brexit, puis le Brexit lui-même entraînent une baisse considérable de l’immigration en provenance de l’UE, mais celle du reste du monde demeure incontrôlée. Devant cet échec, le quatrième gouvernement conservateur, celui de BoJo, décide de se concentrer d’abord sur un des problèmes pointés par Migration Watch, la pression exercée sur les bas salaires par le recrutement à l’étranger d’une main-d’œuvre peu qualifiée. Au début de 2021, un nouveau système pour les migrants économiques entre donc en vigueur : désormais, c’est l’État et non les employeurs qui décide des secteurs où le recrutement à l’étranger sera permis, et l’accent est mis sur une main-d’œuvre hautement qualifiée, apte à apporter une valeur ajoutée à toute l’économie.

L’autre question qui inquiète l’opinion publique est celle des demandeurs d’asile clandestins, dont un grand nombre traversent la Manche chaque jour. Un projet de loi actuellement devant le Parlement prévoit l’interdiction de toute demande d’asile qui ne soit pas faite avant l’arrivée du demandeur sur le territoire britannique. En principe, les migrants clandestins seraient expulsés vers leur dernier pays d’origine – pour peu que ce pays veuille bien les accepter.

Que nous réserve l’avenir ? Sur le site de Migration Watch, on apprend qu’en 2019, sur une population de 67 millions, 9,2 millions de personnes étaient nées à l’étranger – deux fois plus qu’en 2001 – dont presque la moitié en Asie et en Afrique. On apprend aussi que la moyenne du solde migratoire annuel depuis 2012 est presque de 300 000 et que d’ici vingt ans, au rythme actuel, la population augmentera de 7,5 millions, dont 80 % en conséquence directe de l’immigration. Virgile dit que la sibylle chante des secrets effroyables « enrobant le vrai d’obscurités ». Ce qui, dans les pronostics, demeure obscur pour le moment, c’est le rôle que jouera la volonté humaine dans notre avenir démographique. Tout dépendra de la décision du peuple, une fois qu’il aura été mis en pleine possession de tous les faits – et de la volonté des dirigeants d’entendre sa voix.


[1] D’après la traduction française de l’Énéide par Anne-MarisBoxus et Jacques Poucet.

Le triomphe des immigrés

Des pans entiers du territoire sont livrés à des populations immigrées qui n’ont que faire de la République et de ses lois et qui, au jeu de la natalité, sont plus fortes que les « de souche ». Ces dernières fuient des quartiers où règne un ordre moral et social extra-européen face auquel les « Blancs » ne peuvent pas lutter.


L’étude de France Stratégie portant sur la place des enfants d’immigrés extra-européens (0-18 ans) dans les diverses portions du territoire français fait sensation. Beaucoup découvrent que ceux-ci sont majoritaires dans la moitié des communes de Seine-Saint-Denis, représentent jusqu’à 75 % de leur génération dans certaines d’entre elles, telle La Courneuve, et atteignent 84 % dans certains quartiers. Ce département n’est pas le seul concerné. À Paris intra-muros, le même pourcentage peut atteindre 50 % dans le 19e considéré dans son ensemble et 72 % dans le quartier le plus affecté. Plus étonnant encore pour beaucoup, cette domination, qui s’est construite en quelques dizaines d’années seulement, est loin d’être négligeable dans des parties de nombre de villes de province. Pour expliquer cette situation, des théories plus ou moins fantaisistes fleurissent, imaginant de vastes complots. La réalité est beaucoup plus simple, et plus inquiétante. Elle relève de ce qui se passe spontanément, sans que personne ne l’ait orchestré, quand des populations différentes, ayant des cultures différentes, sont amenées à coexister sur un même territoire.

Compétition entre manières différentes de vivre

Pensons aux analyses de Pierre Bourdieu, peu suspect de sentiments anti-immigrés, dans La Misère du monde. Il évoque particulièrement ceux qui, résidant sur des territoires aux populations mêlées, sont idéologiquement les plus favorables à cette mixité. Il note que « tout tend à montrer que les traditions et les convictions internationalistes et antiracistes qu’ils ont acquises à travers leur éducation et leurs engagements politiques […] et qui sont renforcées par la condamnation officielle de la discrimination et des préjugés raciaux, sont mises à rude épreuve, au jour le jour, par la confrontation avec les difficultés réelles de la cohabitation ». Ainsi, il évoque divers témoignages, tels « celui de cette vieille militante socialiste qui, surtout l’été, et en période de fête, ne peut plus supporter les bruits et les odeurs de l’immeuble auquel elle se sent enchaînée, ou celui de ce couple de vieux militants communistes qui, pour les mêmes raisons, ont dû déménager, la mort dans l’âme, avec le sentiment de manquer à toutes leurs convictions [1] ». Explorant, plus largement, un certain tragique du quotidien, il se propose de « comprendre ce qui se passe dans des lieux qui, comme les “cités” ou les “grands ensembles”, et aussi nombre d’établissements scolaires, rapprochent des gens que tout sépare, les obligeant à cohabiter, soit dans l’ignorance et l’incompréhension mutuelle, soit dans le conflit, latent ou déclaré, avec toutes les souffrances qui en résultent [2] ».

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Que se passe-t-il quand, sur un certain territoire, les immigrés extra-européens tiennent une place suffisante pour imposer leur manière de gérer l’espace public avec les comportements et les tenues qui y font référence, ou encore les niveaux sonores qui y sont considérés comme admissibles ? Les Français « de souche » le quittent massivement. Les immigrés le constatent eux-mêmes, et certains s’en plaignent. Les réactions de mères d’élèves de deux écoles primaires et maternelles de Montpellier, qui ont défrayé la chronique, illustrent une telle situation : « En classe, protestent-elles, on voudrait des petits blonds avec nos enfants. » L’évolution du quartier est déplorée. « Avant, c’était mieux, relate l’une des mères, interrogée par Libération. Il y avait une église, un boulanger, un tabac-presse… Des Asiatiques, des Africains, des Français, d’autres gens vivaient ici. Les instituteurs habitaient le quartier. Et puis ces gens-là ont déménagé : on n’a pas fait attention mais, peu à peu, il n’y avait plus que des Marocains. » On ne trouve aucune interrogation chez les intéressées sur les raisons pour lesquelles ces déménagements se sont produits. Celles qui mènent le mouvement se présentent vêtues d’une stricte tenue islamique, ce qui suggère une forte emprise de l’islam sur le quartier concerné. Pourtant, une telle emprise n’est évoquée à aucun instant pour expliquer la désertion de populations qui refusent de vivre dans un paysage social à dominante islamique.

Dans les reportages portant sur ces quartiers, on entend souvent des personnes âgées déclarer que, malgré tout, elles ne quitteront pas un lieu auquel elles sont attachées, qu’elles arrivent à s’en accommoder. Mais adopter cette attitude est beaucoup plus difficile pour des parents de jeunes enfants ou d’adolescents. Pour ceux qui ne sont pas prêts à accepter une forme de contre-assimilation, poussant leurs enfants à adopter les codes dominants chez les jeunes de leur quartier issus de l’immigration, parfois à se convertir à l’islam, il faut décamper. Et ceux qui, parmi les immigrés extra-européens et leur postérité, entendent devenir des Français comme les autres décident souvent de faire de même.

Affrontement entre des jeunes et les forces de l’ordre à Bobigny, en marge d’une manifestation contre les violences policières, 11 février 2017. © Patrick KOVARIK / AFP

Mais pourquoi, dans la compétition entre manières différentes de vivre au sein d’un territoire, est-ce très vite les « Blancs » qui ont le dessous et doivent partir ? C’est qu’ils sont infiniment moins bien armés que les immigrés extra-européens pour s’imposer. Ces derniers viennent de sociétés où la pression de la communauté sur chacun de ses membres est intense. Les pratiques d’intimidation, d’ostracisme, voire de contrainte physique visant à mettre au pas ceux qui tendent à s’affranchir de la loi du milieu, font partie du fonctionnement usuel de la vie sociale. Cette pression communautaire est beaucoup moins forte dans des sociétés individualistes telles que les sociétés européennes. C’est tout spécialement le cas dans la société française où l’on ne compte guère que sur l’État pour contrôler les comportements. De plus, l’action des pouvoirs publics tend à entraver, au nom du refus des discriminations, toute pression sociale favorisant une adoption des us et coutumes français ; on le voit bien par exemple pour la protection légale dont jouit le port d’une tenue islamique. Par contre, cette action publique ne se soucie nullement d’entraver les pressions communautaires hostiles à une telle assimilation. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’à partir d’un certain niveau, qui n’a pas besoin d’être très élevé, de présence des immigrés extra-européens sur un certain territoire, le rapport de forces tende à basculer. Émergent alors les « territoires perdus de la République » (Georges Bensoussan) et les « territoires conquis de l’islamisme » (Bernard Rougier).

L’affaire Samuel Paty, révélatrice

Ce type de dynamique des populations est bien connu par les sciences sociales et a été, en particulier, très étudié aux États-Unis. Comment se fait-il que si nombreux soient, en France, ceux qui sont étonnés d’en constater les effets ? Contrairement à de nombreux pays marqués par une tradition de coexistence entre groupes ethnoculturels distincts vivant largement sur des territoires séparés, la France a cultivé pendant longtemps un idéal d’assimilation. Il s’est agi de créer un peuple formé indistinctement d’individus d’origines diverses, mais tous transformés en « vrais Français » partageant les mêmes us et coutumes. La réussite de cette assimilation a permis que la société ne soit pas composée de diasporas unissant ceux qui, ayant les mêmes racines, entendent conserver au maximum les us et coutumes du pays d’origine au sein d’un territoire qu’ils dominent. C’est par une sorte d’égarement de l’esprit que la référence officielle est maintenant une société qui, tout en devenant multiculturelle, à l’image des États-Unis, conserverait le mélange des origines de la France assimilationniste.

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Faute de comprendre ce qui se passe, beaucoup affirment que cette domination croissante sur certains territoires de populations issues de l’immigration extra-européenne est le fruit de politiques de relégation de ces populations. Celles-ci sont présentées comme des victimes alors qu’en fait elles sont les gagnantes dans une compétition pour le contrôle de portions du territoire. On va jusqu’à parler de ghettos, d’apartheid, de bantoustans, etc., alors qu’il serait plus approprié d’utiliser les images de concessions (au sens des concessions dont ont bénéficié à une certaine époque plusieurs pays européens en Chine), voire de places fortes.

Face à la Chine, au Moyen-Orient, l’Occident est en train de découvrir cruellement combien étaient grandes ses illusions quand il croyait convertir le monde à ses valeurs et à sa façon de vivre. Il est en train de se rendre compte qu’il est condamné à choisir entre se défendre (face à la Chine) ou battre piteusement en retraite (face aux talibans). Que va-t-il faire maintenant que  ces populations qu’il n’a pu convertir sont massivement présentes chez lui ? Et qu’en est-il en particulier en France ? On ne peut qu’être frappé par les hésitations du chef de l’État dans l’élaboration d’une stratégie face à ce qu’il a d’abord qualifié de « séparatisme islamiste ». L’impression a prévalu pendant quelque temps d’une volonté de lutter avec fermeté contre ce séparatisme. Le meurtre de Samuel Paty et le lien qui est apparu clairement à cette occasion entre le terrorisme islamiste et une vaste nébuleuse en rupture avec la société française ont alimenté cette volonté. Mais, l’émotion passée, la démarche paraît hésitante. C’est que les obstacles à surmonter pour tenter de renverser la tendance sont énormes.

Nos institutions, notre droit se sont construits en cohérence avec l’image d’une société de citoyens attachés à la République et à ses valeurs, dont il convient de protéger les libertés, spécialement quand ils appartiennent à des minorités. Il s’agit de mettre celles-ci à l’abri de toute forme de discrimination. Les pays européens qui, telle la Hongrie, respectent mal cet impératif sont cloués au pilori. Un problème majeur est que ce respect des minorités au sein de la République est mis en avant pour protéger ceux qui, tout en demeurant sur le territoire national avec tous les droits des citoyens, n’ont nullement une éthique de citoyens. Ils entendent rester fidèles à leur culture d’origine, même quand ses orientations sont incompatibles avec les principes de la République, telle la liberté de conscience, et n’ont que faire des lois non écrites qui forment le socle de la vie sociale. Quel statut juridique donner à cette manière d’être ?

Le thème de la chute de l’Empire romain revient actuellement à la mode et la thèse selon laquelle une ouverture inconsidérée aux « barbares » a joué un rôle central dans cette chute est à nouveau discutée. Allons-nous faire en sorte de n’être pas concernés ?

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[1]. Pierre Bourdieu, La Misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p. 21. La première personne citée est sans doute « Maria D. », dont les propos sont rapportés et analysés pages 101 à 114.

[2]. Ibid., p. 9.

Les bons conseils de Laurent Ruquier pour faire gagner la gauche en 2022

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Le cri du cœur de l’animateur vedette de France 2 face à Jean-Luc Mélenchon illustre bien la crise de nerfs à gauche. L’émission « On est en direct » de Laurent Ruquier et Léa Salamé samedi a passablement énervé notre directrice Élisabeth Lévy.


Sur le site de France Télévision, on peut lire cette description de l’émission de Laurent Ruquier: « Des personnalités se succèdent dans une ambiance feutrée et bienveillante »… C’était le prêche du samedi soir avec deux grands prêtres de la religion progressiste qui dénoncent le diable avec une morgue sidérante.

Au bout de quatre minutes, Léa Salamé cite Zemmour.

Ruquier la coupe : « Ah non pas Zemmour, Zemmour est un virus. Une épidémie ! Qu’il faut combattre évidemment ».

Au passage, il bat sa coulpe pour l’avoir inventé dans son propre laboratoire, et Harry Roselmack ricane à cette blague Laurent Ruquier/Frankenstein. Zemmour, c’est un monstre fabriqué par Ruquier.

Ces gens friands de réminiscences historiques savent-ils que les nazis comparaient leurs ennemis fantasmés à des microbes ou à des vampires ? On pense aussi à la minute de la haine d’Orwell. Bref, ils emploient le registre typique du fascisme, mais c’est Zemmour qui est d’extrême droite ! Ils ironisent ensuite sur la condamnation de Nicolas Sarkozy, ou s’esclaffent de l’œuf jeté sur Macron. Bref, nous assistons au spectacle atterrant de la subversion subventionnée. 

Mais, le pompon, c’est quand ils reçoivent Jean-Luc Mélenchon. 

Ruquier : « Si vous voulez le bien des gens, il faut aller voir les quatre autres et leur dire que c’est la seule façon. J’ai fait les comptes avec le sondage qui vient de tomber. Jadot 9, Mélenchon 9, Roussel 1.5, Hidalgo 5.5, Montebourg 1.5… ça fait 26 %. Là vous y serez au deuxième tour. Vous ou un autre. Ou Anne Hidalgo. Ou Jadot (…) Mais entendez-vous bon sang de bon Dieu, si vraiment vous voulez que les Français aient une meilleure vie ! Moi j’ai une belle vie. Mais que les Français qui souffrent aient une meilleure vie ».

Laurent Ruquier, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, le somme de nouer des alliances pour faire gagner la gauche. 

Pour lui, être de gauche n’est pas une opinion, mais une vérité révélée. C’est le camp du Bien, et la droite, c’est l’erreur. 

Ruquier a le droit d’avoir des opinions, mais… 

Le CSA va-t-il décompter le temps de parole de Laurent Ruquier ? Ou peut être coller une amende à France TV ? De toute façon, c’est nous qui payerions une éventuelle amende. Même en dehors du service public, un tel parti pris serait scandaleux. Mais en plus, la moitié des Français payent pour se faire insulter chaque semaine par des bateleurs qui ont le melon. Et ils en ont ras-le-bol de financer cette propagande.


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.

Zemmour bienvenu chez les chtis

Eric Zemmour a poursuivi sa tournée promotionnelle en s’arrêtant à Lille samedi, où une foule nombreuse est venue l’applaudir. Dans la salle, nous avons vu une jeunesse passionnée par le récit que l’essayiste fait de l’histoire de France, de vieux LR déboussolés et pas que des idolâtres.


1500 personnes attendent sous la grisaille du Nord. Devant les portes du Lille Grand Palais, les visiteurs se mettent sagement en file – laquelle s’allonge rapidement sur un ou deux kilomètres. Au programme : une conférence de l’essayiste suivie d’une séance dédicace de son dernier ouvrage La France n’a pas dit son dernier mot (Ed. Rubempré).

Le nombre de visiteurs impressionne et la salle se remplit vite. Ses soutiens plastronnent. Tout sourire, Antoine Diers – animateur de l’association les Amis d’Éric Zemmour se réjouit : « Des personnes de tous horizons nous rejoignent. Nous étions hier avec des acteurs économiques à Valenciennes. Éric Zemmour parvient à être crédible sur tous les sujets ! » La veille, l’essayiste s’affichait dans une permanence Les Républicains en compagnie d’élus et de militants.

Candidat de moins en moins virtuel à l’élection présidentielle, beaucoup viennent pourtant encore écouter ici l’écrivain et le journaliste. Paul est étudiant en école d’ingénieurs et le reconnaît : « Mon vote n’est pas encore définitif. Mais son discours me plaît et m’attire. Alors, je viens pour voir l’orateur et me faire mon avis. » Assise sur la rangée supérieure, une dame nous lance à la volée : « Sur l’islam, l’éducation , les finances ou l’économie, on vient aussi voir l’intellectuel. »  L’intérêt est parfois simplement érudit. Valentin a 23 ans et travaille dans la maintenance informatique à Valenciennes. Il est en colère face « à la déconstruction de l’identité française » et l’assure : « L’histoire m’intéresse. Écouter Éric Zemmour est toujours instructif car il maîtrise son sujet. »

Comme Wauquiez n’y va pas…

Notre discussion est interrompue par l’arrivée du non-candidat. Une haie d’honneur l’attend à l’entrée. Dès qu’il est annoncé, le public se lève et l’acclame. Le conférencier fait son petit tour de salle et salue chaleureusement la foule. Des jeunes brandissent une pancarte « Zemmour 2022 ». «  Quel plaisir d’être de retour à Lille » leur lance-t-il. Une ville « qu’il connait », capitale d’une région « qu’il aime »… Le conférencier sait flatter son public : « Vous êtes des nordistes laborieux, besogneux mais aussi ingénieux ». Suit un cours d’histoire industrielle nourrie de chiffres et relevé de bons mots.

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Valentin, 23 ans, travaille dans la maintenance informatique à Valenciennes. Il aime le discours du polémiste comme ses « références à l’histoire ». Il vient écouter le conférencier et peut-être l’homme politique. 
Hélène et Andrée étaient jusqu’à peu adhérentes à la section Les Républicains de Marcq-en-Barœul. Déboussolées par l’attitude de leur parti, elles sont depuis plusieurs années sensibles au discours de l’essayiste. Elles se disent prêtes aujourd’hui à voter pour lui. Photo: Lucien Rabouille

L’orateur sait captiver et animer une foule. D’un bout à l’autre de son intervention, le discours reste nerveux : les députés de droite sont « des chochottes », les « assistés » des « chômeurs professionnels » et il précise qu’ « à la CAF, on voit qui vient toucher la solidarité nationale. » Cette dernière phrase arrive numéro un à l’applaudimètre. Dans la salle, des militants Les Républicains apprécient. Andrée et Hélène, ex-adhérentes LR se disaient « complétement perdues. » « Nous sommes d’anciens fillonistes, plutôt de tendance RPR. Nous attendions la candidature de Wauquiez mais il n’y est pas allé. » Auparavant militantes sur Marcq-en-Barœul, elles assurent que leur section est actuellement partagée : « Il y a les adhérents favorables à Xavier Bertrand et ceux qui hésitent. Beaucoup pensent déjà voter Zemmour.»  

L’archipel zemmourien

Dans le public également, beaucoup de jeunes BCBG et de militants, cadres ou élus issus des partis de droite. Signe de sa mue politique, Eric Zemmour parle leur langue. Au moment des questions avec la salle, il refuse de s’engager sur la sortie de l’euro à laquelle il est pourtant favorable – arguant qu’il n’y a pas de majorité électorale pour cela. Son objectif répété reste de « réconcilier la bourgeoisie patriote acquise aux Républicains avec l’électorat populaire qui vote pour le Rassemblement National. »

 « La France est un composé. C’est mieux qu’une race, c’est une nation », cette sentence qu’Eric Zemmour cite sans cesse inaugure la belle Histoire de France de Jacques Bainville. Retrouve-t-on le composé français dans son public en même temps que cette alliance Trans-classiste et patriote dont il rêve ?

La France au cœur

À en croire Chahinez, jeune trentenaire venue l’écouter, Eric Zemmour s’adresse à tout le monde  : « Je suis fille de Harki et j’ai la France au cœur. Il dit ce qu’on pense. On est dirigés par des ploucs. Sans être très pratiquante, je suis musulmane mais cette foi me regarde. Il faut vivre tranquillement sa religion dans l’espace privé ! » La jeune fille – et à rebours des recommandations du polémiste – confesse avoir donné à ses enfants des prénoms « qui correspondent à ses origines. » Cette question n’a pas laissé indifférent Mahieddine et Ilias, assis discrètement au fond de la salle. Mahieddine a quitté le monde étudiant pour entrer en bac professionnel mécanique : « Je suis plutôt abstentionniste, mais je me retrouve dans certaines parties de son discours. On est contre la déconstruction et le sentiment de culpabilité. On ne veut pas réécrire l’histoire. Même si c’est vrai qu’il est parfois jusqu’au-boutiste… » Comme sur l’épineux sujet des prénoms ? « On fait avec, mais on aurait aimé porter les prénoms d’un héros de l’histoire de France. » Le jeune homme ajoute : « Le sujet Zemmour divise beaucoup mais la communauté maghrébine est plus partagée qu’on ne le croit. Une moitié, s’en fiche, une autre moitié s’y intéresse et dans cette moitié beaucoup entendent son discours. »

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Reste la question économique. Thierry 53 ans, ancien intérimaire en ingénierie aujourd’hui en recherche d’emploi s’est dit « séduit » par le discours mais pas encore « idolâtre » : « Je viens du Douaisis, une terre bien socialo-communiste et toute ma famille vote à gauche (…) Je suis ce qu’il dit sur CNews sans être parfaitement idolâtre. Par exemple, d’un point de vue économique, il dit qu’il faut baisser les charges sociales sur les entreprises pour refaire de l’emploi… On sait que ça ne suffira pas et qu’il faudra réindustrialiser en protégeant nos frontières. Ce dont il a besoin, c’est de voix gilets-jaunes, ceux qui payent les erreurs des capitaines d’entreprises. » Dans le public, une personne l’avait déjà enjoint de « muscler son bras gauche » en précisant bien qu’il conseillait cela « dans la perspective du second tour ». Beaucoup étaient venus en simples curieux. En le voyant sur l’estrade, beaucoup sont repartis conquis. Et certains le voient déjà figurer sur le podium.

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Ex-fan des «Eighties»

Tapie, Belmondo, Bob Morane ou Raffaella Carrà, les derniers représentants du grand n’importe quoi nous ont quittés cette année 


Dans les années 1980, la parité existait déjà. Filles et garçons avaient les épaules larges et les cheveux longs. De dos, c’était difficile de les distinguer. Les vestes taillaient façon maître-nageur, hautes et démesurément trapézoïdales. Troisième sexe d’Indochine talonnait Like a Virgin de Madonna dans les charts. 

Grace Jones au volant de la CX, immortalisée par Jean-Paul Goude

Les adolescentes s’endormaient dans des chemises de nuit à l’effigie de Snoopy pendant que leurs mères s’inventaient une aventure à la Caroline Cellier. Les méduses et le topless annonçaient le début de l’été. Eddie Barclay pratiquait deux sports extrêmes dans le Golfe de Saint-Tropez : le mariage et la pétanque. Swatch au poignet, les ados réclamaient du Yop à boire au goûter et un bicross Skyway à Noël. La Nouvelle Cuisine s’exportait aux Amériques. Gault et Millau faisaient la Une de Time. Quick ouvrait son premier restaurant à Aix-en-Provence, Cours Mirabeau. Les mamies s’empiffraient de tartes au citron meringuées dans les salons de thé. Les pépés s’initiaient au Get 27 au comptoir. Les frères Léotard posaient pour Paris Match. Nicolas Hulot s’engageait au Dakar au volant d’un Range Rover V8 essence. Nourissier écrivait dans Le Figaro Magazine. Grace Jones conduisait une Citroën CX à la demande de Jean-Paul Goude. On pouvait même acheter une Jeep Cherokee dans la concession Renault de Vierzon. Pendant ce temps-là, la Renault 9 (Alliance) était assemblée dans une usine du Wisconsin. Et Patrick Sabatier souriait dans Avis de Recherche

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Nanard, « Wonder boy », affichait sa réussite entre un jet privé et une limousine Mercedes à jantes « nid d’abeille ». Brasseur enfilait le chèche sur les pistes africaines. Silvio Berlusconi contemplait Milano Due, sa cité babylonienne construite à crédit. Belmondo était très cuir et lunettes Carrera dans les loges de Roland-Garros. Au mépris de tous les codes vestimentaires en vigueur et des chartes internationales, Delon ne se séparait jamais de ses socquettes blanches et des Lancia du réseau Chardonnet. Le très rockabilly Lucien de Frank Margerin résistait à La Salsa du démon et à Glenn Medeiros. Et Jean-Pierre Foucault souriait dans L’Académie des neuf. À la récré, deux clans s’opposaient entre les adorateurs des Nike Mac Attack et les propagandistes des Adidas Nastasse. À la fermeture du Studio 54 sur Broadway, Vitas Gerulaitis noya son chagrin, un peu plus loin, au Mudd Club dans le quartier de TriBeCa. Tanya Roberts vivait dangereusement aux côtés de 007 et se coiffait tout aussi dangereusement. Le cœur de Philippe Aubert balançait entre Mathilda May et Marie-France Cubadda. Patrice Martin était déjà champion du monde de ski nautique. 

Questions d’un autre temps

À cette époque-là, je commençais à être taraudé par des questions existentielles : Steve Austin et Super Jaimie se marieraient-ils un jour ? Papa Poule était-il heureux ? Pourquoi Sam (Georges Descrières) avait-il remplacé Corinne le Poulain par Nicole Calfan alors que toutes les deux portaient le prénom de Sally ? Que faisait Bryan Ferry dans la série « Petit déjeuner compris » avec Pierre Mondy et Marie-Christine Barrault ? Roald Dahl était-il une seule et même personne qui présentait Bizarre Bizarre sur FR3 et l’auteur de James et la grosse pêche lu en Folio junior ? Dagobert, le chien de Claude dans Le Club des cinq était-il un border collie ? Comment la bolognaise Raffaella Carrà qui faisait pleurer les foules hispaniques avec son tube Yo no se vivir sin ti pouvait électriser les hommes avec sa danse Tuca Tuca ? Et Michel Drucker souriait dans Champs-Elysées

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Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, décédé en juillet dernier, expliquait sa méthode de travail et sans le savoir, l’esprit des « Eighties » : « Très souvent, quand j’écris, je me laisse aller. Style, imagination, documentation. Je ne fais pas de plan, je me laisse porter par le hasard. Les premiers mots m’arrivent, les personnages vivent l’aventure, et voilà ». C’était ça les années 1980, le règne du n’importe quoi, du drôle kitsch qui vire au vulgaire yuppie, de l’argent à flot aux saccages industriels, de cette laideur télévisuelle qui aspirait notre imaginaire en formation et d’un show-business décomplexé ; de la fierté d’être un peu con sur les bords jusqu’à le revendiquer ouvertement en public ; depuis que nous sommes tous devenus un peuple intelligent, pondéré et progressiste jusqu’à l’ascèse, nous sommes sinistres ! Je regrette les temps incertains de Gym Tonic.

“Les Mondes de l’esclavage”: une histoire mondiale de l’esclavage à la Patrick Boucheron

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Ne leur parlez pas d’autre chose que de la traite transatlantique ! Les invités de vendredi de France inter Paulin Ismard et Léonora Miano sont bien trop occupés à remettre en cause l’universalisme des Lumières, et à accabler l’Occident et la société contemporaine moderne, laquelle serait selon eux encore marquée par ce phénomène historique. La France aurait singulièrement “mal métabolisé” cette part de son histoire, nous ont-ils appris.


Après avoir eu les honneurs de France Culture le 20 septembre, l’historien Paulin Ismard et l’écrivain Léonora Miano étaient les invités de Nicolas Demorand dans sa matinale de France Inter du 1er octobre afin de faire la promotion du livre intitulé Les Mondes de l’esclavage, une histoire comparée. Paulin Ismard le décrit comme « une histoire mondiale de l’esclavage » et, dans la préface du dit ouvrage, remercie chaleureusement Patrick Boucheron pour ses « remarques ». Par un tour de force incroyable, et malgré la promesse du titre de l’ouvrage promu, ni le journaliste ni ses deux invités ne sont parvenus à parler une seule fois des traites négrières intra-africaine et arabo-musulmane au cours de ces vingt minutes d’entretien radiophonique.

Au milieu de phrases comme « Tous les Français devraient se dire qu’ils ont eu des ancêtres esclaves » (sic), la traite transatlantique est restée le sujet presque exclusif de cette émission. Est rappelée, bien entendu, la loi Taubira qui « a permis d’évoquer ces sujets-là », dit Paulin Ismard. Ces sujets-là ou ce sujet-là ? La loi Taubira ne reconnaît en effet comme un crime contre l’humanité que « la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes ». En omettant d’inclure dans sa loi la traite arabo-musulmane débutée dès le VIIe siècle, Mme Taubira disait vouloir épargner « aux jeunes Arabes » le fait de porter « sur leur dos tout le poids de l’héritage des Arabes ». Point de ces tourments pour les jeunes Européens. Au nom de cette loi, un Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais avait demandé en 2005 que l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur de l’excellent Les traites négrières, soit « suspendu de ses fonctions universitaires pour révisionnisme », rien que ça. Mme Taubira s’était alors publiquement demandé si ce professeur d’université ne représentait pas un « vrai problème » en continuant d’enseigner « ses thèses » à ses étudiants. Gageons qu’elle lira avec délice l’ouvrage sus-nommé.

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« Le jeu des contrastes révèle une des spécificités majeures de l’esclavage colonial européen issu de la traite atlantique, qui tient au rôle joué en son sein par l’ordre de la race », écrit Paulin Ismard dans la préface de son livre. Nicolas Demorand synthétise : « La spécificité de l’esclavage européen serait la racialisation affichée ». Léonora Miano résume : « La notion de race et l’esclavage racialisé, c’est vraiment une production spécifique de la traite transatlantique. ». Ces affirmations sont tout simplement et entièrement fausses. Un peu d’histoire : 

Passé le début des conquêtes arabes et de l’islamisation de l’Afrique du Nord (VIIe siècle), et parce que l’esclavage des Blancs et des Asiatiques diminue pour voir croître considérablement celui des Noirs considérés par les Arabes comme plus « serviles », des mots arabes correspondant à « esclave » deviennent généralement et péjorativement synonymes de « Noir ». Le voyageur arabe Ibn Jubayr, traversant une partie de l’Afrique pour se rendre en pèlerinage à la Mecque en 1184, note dans ses chroniques : « Cette tribu de Noirs est plus égarée que des bêtes et moins censée qu’elles. […] Bref, ce sont des gens sans moralité et ce n’est donc pas un péché que de leur souhaiter la malédiction divine. Et de les pourchasser jusque dans leurs villages pour en ramener des esclaves. » L’historien Ibn Khaldoun écrit au milieu du XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » D’une manière générale, les Noirs d’Afrique subsaharienne devinrent rapidement des « êtres inférieurs » aux yeux des musulmans et leur couleur de peau fut associée à un déni d’Islam. Ainsi, Wahb Ibn Munabbih (musulman yéménite du VIIe siècle) sera un des premiers à reprendre une version déformée du mythe biblique de la malédiction de Cham (parce que Cham a vu Noé, son père, ivre et nu, ce dernier maudit Canaan, le fils de Cham, à devenir « l’esclave des esclaves de ses frères ») qui raconte que Cham, blanc d’origine, serait « devenu noir en signe de malédiction ». Les musulmans l’utiliseront souvent pour légitimer l’esclavage des Noirs en les désignant comme les « descendants de Cham ». Bref, les Arabes, bien avant les Européens, ont justifié et légitimé les razzias géantes et sanglantes fournissant enfants, femmes et hommes noirs aux pays fort demandeurs d’esclaves (Turquie, Égypte, Perse, Arabie, Tunisie, Maroc) en raison essentiellement de leur race supposée inférieure et de leur couleur de peau. « La notion de race et l’esclavage racialisé » ne sont donc pas une production spécifique de la traite transatlantique : « la traite négrière arabo-musulmane a été l’une des plus anciennes ouvertures vers la hiérarchisation des “races”. Convertis ou non, les Noirs y étaient toujours traités en inférieurs », écrit l’historien et anthropologue Tidiane N’Diaye dans son enquête historique Le génocide voilé.

Lilian Thuram, Jean-Marc Ayrault et Christiane Taubira, inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Nantes, 2012 © SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA Numéro de reportage : 00634479_000003

« Le travail comparatiste, loin d’annuler les différences, met en lumière la singularité monstrueuse de la traite et de l’esclavage atlantique – la situation impériale et coloniale, l’ordre de la race – sont à l’évidence uniques », écrit pourtant Paulin Ismard. Si Tidiane N’Diaye n’atténue pas la monstruosité de la traite atlantique, il démontre que la traite arabo-musulmane est la seule à propos de laquelle on peut véritablement parler de génocide car, en plus des expéditions meurtrières, les esclavagistes arabes pratiquèrent une « extinction ethnique par castration massive » pratiquée pendant près de quatorze siècles. Aussi détestable qu’ait été la traite transatlantique, les esclavagistes du Nouveau Monde laissèrent les esclaves se reproduire, rappelle l’anthropologue franco-sénégalais, ce qui explique une très forte descendance des esclaves noirs en Amérique (le nombre des afro-américains passe de 750 000 en 1790 à 7 480 000 en 1890. N’Diaye estime à 70 millions le nombre des descendants d’esclaves de la traite transatlantique et à seulement 1 million celui des descendants d’esclaves de la traite arabo-musulmane) et, conséquemment, les nombreux témoignages permettant d’éclairer et de questionner l’histoire spécifique de cet esclavage.

Si, tout au long de cette émission sur Les Mondes de l’esclavage, nous entendons parler de l’esclavage chez les Grecs, les Romains, les Chinois, les Vikings, les Indiens et, bien sûr, de la traite transatlantique, je crois bien ne pas avoir entendu une seule fois l’expression « traite arabo-musulmane ». En revanche, il a été question « d’interpeller la prétention universaliste que nous estimons avoir héritée des Lumières » à l’aune de la traite atlantique ; et de reconsidérer « l’histoire du capitalisme, une fois reconnu le rôle qu’y a joué l’esclavage atlantique ». Quant aux exactions arabo-musulmanes en Afrique et à leurs conséquences sur l’histoire de ce continent, tant pour ce qui est de l’implantation guerrière de l’islam que pour le massacre des populations, nous ne savons toujours pas si cela doit amener les Africains à reconsidérer l’histoire de leur continent une fois reconnu le rôle qu’y a joué la traite arabo-musulmane, ou interpeller les musulmans sur la prétention universaliste qu’ils estiment avoir hérité des écrits coraniques et des hadiths du Prophète. Cela est d’autant plus regrettable qu’il est avéré aujourd’hui que les marchés d’esclaves noirs demeurent une malheureuse réalité dans certains pays islamisés d’Afrique, la Libye et la Mauritanie notamment, mais également partout où sévissent des mouvements djihadistes comme Boko Haram (Tchad, Cameroun, Nigéria).

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Qu’aurions-nous fait à la place d’Irmgard Furchner?

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L’Allemande Irmgard Furchner, 96 ans, en fuite puis retrouvée, est accusée de complicité de meurtres. Elle était secrétaire dans le camp nazi de Stutthof pendant la Seconde Guerre mondiale.


Irmgard Furchner, 96 ans, est accusée de complicité de meurtres commis entre 1943 et 1945. Elle était secrétaire dans le camp du Stutthof. Elle ne s’est pas présentée devant le tribunal qui devait la juger.

En 2020, l’ex-gardien de ce même camp, 92 ans, avait été condamné par le tribunal de Hambourg à deux ans et demi de prison avec sursis. En effet, depuis un changement de jurisprudence opéré en 2011 par la Cour constitutionnelle, les « petites mains » du nazisme, si on peut dire, peuvent également être poursuivies. Je ne discute pas la légalité ni la légitimité de ces procédures à l’encontre de personnes très âgées, incriminées, et pour l’une sanctionnée, à cause de leur implication dans le processus mortifère nazi.

Courage rétrospectif

Je n’ai toutefois jamais aimé les courages rétrospectifs ni les résistances en chambre qui s’affirment si aisément de très longues années après les faits guerriers et tragiques. De Gaulle s’est moqué, lors de la libération de la France, de cette multitude de prétendus héros sortis de l’ombre dans laquelle ils s’étaient glissés précautionneusement. J’éprouve la plus vive admiration pour les vrais résistants de l’origine, les plus discrets, et je suis très compréhensif pour la masse qui s’est contentée de tenir et de survivre en s’efforçant au moins de ne pas nuire à autrui.

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Dépassant le cas de la France, je voudrais réfléchir sur les régimes totalitaires, hitlérien ou stalinien, en me demandant ce que chacun aurait fait ou non, plongé dans cette horreur de l’époque. À partir du moment où il était inconcevable de refuser, sous peine de mort, une fonction qui vous était imposée, il ne me semble pas indécent ni sacrilège de nous questionner aujourd’hui : aurions-nous été des soumis ou des révoltés, aurions-nous fui ou obéi quitte à accepter de mettre la main, même de manière bureaucratique, dans les atrocités qui étaient commises ?

Rares sont ceux qui disent non

Je sais bien qu’il n’est personne qui aurait le front de s’afficher modeste et peureux, en admettant ne pas savoir ce que dans ces anciennes circonstances tragiques il aurait eu le courage ou non d’accomplir.
Pourtant cette interrogation est capitale qui nous renvoie aux crimes et aux tragédies de l’Histoire et à notre destin face à eux si nous les avions subis.

Autant pour la délinquance et la criminalité ordinaires il est possible, sans trop se tromper, de se dire qu’on ne serait jamais pris dans leur étau, autant, pour ces condamnations historiques, en se plaçant au niveau du citoyen de base, il faut toujours, si longtemps après, se questionner : moi, qu’aurais-je été, qu’aurais-je accompli, qu’aurais-je refusé ?

Honnêtement, on ne le sait jamais sauf à être d’une forfanterie sans limite.
C’est la chanson de Jean-Jacques Goldman sur Leidenstadt.

Certains rares disent non, beaucoup font le gros dos.
En rêve on est tous des héros.

Puis on retombe.

La honte d’être français

Ne plus exiger l’intégration ou l’assimilation des immigrés mène la nation française à la partition. Et à sa disparition. Cette idéologie migratoire qui sacralise « l’étranger », qui trouve son origine chez Sartre, est encore défenduepar cette gauche qui considère qu’être français n’est pas une identité. Une analyse issue de notre grand dossier du magazine de septembre « Souriez, vous êtes grand-remplacés », derniers jours en kiosques.


De Napoléon à De Gaulle, notre pays a su maîtriser l’immigration à travers une véritable politique des étrangers. Ce sont des considérations d’utilité et d’assimilation qui ont gouverné cette politique. La question de la place et du statut des étrangers était subordonnée, comme n’importe quelle autre question politique, à celle de l’intérêt général. On ne se plaçait pas du point de vue de l’immigré ni d’une identité qu’il aurait à préserver et qu’il faudrait reconnaître. Après tout, c’est lui qui avait fait le choix de venir chez nous en émigrant, et ce qu’on lui proposait, c’était de devenir semblable à nous. L’assimilation était assumée fièrement comme un don et une générosité, comme la possibilité d’une « adoption nationale ».

Nous avons cherché à saisir le moment idéologique où bascule cette tradition décomplexée de l’assimilation [1], ce moment de renversement copernicien par lequel ce n’est plus l’étranger qui tourne autour de l’astre de la France, attiré par lui, mais où c’est la France qui se met à tourner autour de l’astre de l’étranger. On ne se demande plus ce que l’étranger peut faire pour nous, mais ce que nous pouvons faire pour lui, estimant que nous n’en faisons jamais assez.

Tout commence par la dépolitisation de l’immigration au profit d’une approche purement morale de celle-ci. L’absolutisation du point de vue moral, le moralisme, est la grande rupture introduite par une forme d’idéologie que nous appelons l’idéologie migratoire.

C’est dans l’œuvre de Sartre et dans son « engagement » que se noue pour la première fois le triple verrouillage moralisateur sur lequel repose l’idéologie migratoire : la honte de la nation et de sa tradition assimilatrice, la promotion de l’« identité » des victimes de l’assimilation, l’engagement politico-médiatique en faveur de leur « reconnaissance ». On attribue souvent aux penseurs de la « déconstruction » l’origine de cette idéologie. Il est vrai que la thématique de l’« hospitalité inconditionnelle », développée par Derrida dans plusieurs ouvrages, tendant à sacraliser l’étranger et à absolutiser le devoir moral de l’accueil, inspire les militants actuels de l’idéologie migratoire. Mais Derrida, tout comme Foucault d’ailleurs, a reconnu sa dette à l’égard de Sartre. Celui-ci a eu une influence déterminante sur la réorientation moralisatrice et culpabilisatrice de la gauche intellectuelle française.

C’est ce renoncement à l’assimilation, sous l’influence de l’idéologie migratoire, qui rend possible l’immigration de masse

C’est à partir de sa Réflexions sur la question juive que Sartre aborde la question de l’assimilation. Tout le programme assimilationniste porté par la Révolution française est inversé dans ce texte datant de 1946. On se souvient de la phrase de Clermont-Tonnerre : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation, et accorder tout aux juifs comme individus. » Cela signifie que la France reconnaît les juifs en tant que citoyens, ayant les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens, et devant par conséquent mettre leur judaïsme au second plan. La France reconnaît des Français juifs et non des Juifs français. Sartre fait peser le soupçon d’antisémitisme et de racisme sur ce programme assimilationniste qu’il veut inverser. Pour lui, la reconnaissance de l’« identité » doit primer sur l’appartenance citoyenne à la nation : c’est ce qu’il appelle le « libéralisme concret », lequel est en réalité une ébauche de programme multiculturel. Ce qui est « concret » pour Sartre, c’est l’identité de l’individu définie par la religion, la race ou le sexe. Ce qui est abstrait et aliénant, ce qui vient détruire et menacer cette identité concrète, c’est l’assimilation à la démocratie nationale. Selon Sartre, le démocrate « souhaite séparer le juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules. C’est ce qu’on nommait aux États-Unis, la politique d’assimilation. Les lois sur l’immigration ont enregistré la faillite de cette politique et, en somme, celle du point de vue démocratique. »

Thierry Tuot remet son rapport sur la refondation des politiques d’intégration au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, 11 février 2013 © WITT/SIPA

Sartre est ainsi le précurseur de l’hystérie moralisatrice du gauchisme actuel. Il commence par faire déteindre sur la tradition assimilationniste française le sort fait aux Noirs aux États-Unis et, pire encore, le sort fait aux juifs durant la Seconde Guerre mondiale, se permettant une métaphore renvoyant implicitement à l’horreur des chambres à gaz (« enfourner »…). L’assimilation, rapprochée de la destruction physique et morale des juifs, devient ainsi coupable de détruire l’identité des immigrés. Rappelons-nous qu’aujourd’hui un Erdogan demande à ses compatriotes émigrés en Europe de ne pas s’assimiler, comparant l’assimilation à un crime contre l’humanité…

Cette critique et cette honte de la tradition française de l’assimilation, inaugurées et cultivées par Sartre, tradition à laquelle un de nos plus grands historiens, Fernand Braudel, se réfère dans L’Identité de la France en écrivant que l’assimilation est « le critère des critères pour une immigration sans douleur », vont malheureusement cheminer au sein de la gauche, et plus particulièrement du Parti socialiste. Le modèle de l’assimilation, timidement poursuivi par Pompidou et Giscard, est abandonné sous Mitterrand, cet abandon étant masqué par un nouveau concept, l’« intégration », et un nouveau slogan, le « vivre-ensemble ». Avant même l’invention de SOS Racisme par le Parti socialiste, ce dernier s’était converti au droit à la différence et à une conception de plus en plus multiculturelle de la société. Dans le « Projet socialiste pour la France des années 80 » on pouvait déjà lire : « Les socialistes entendent reconnaître aux immigrés le droit à leur identité culturelle. La transmission de la connaissance et de la culture nationale à leurs enfants sera favorisée par tous les moyens. Car il n’est pas question de rompre avec leur pays d’origine. […] Il faut préparer les nations les plus riches, dont la France, à envisager leur avenir en termes communautaires. »

« Identité », le mot était donc lâché dès 1980. Alors que la politique d’assimilation met au second plan l’« identité » des immigrés, l’assimilation supposant une forme de « sublimation » et de dépassement de celle-ci, la politique d’intégration fait de l’identité une richesse devant laquelle il faut s’incliner. Le président du Haut Conseil à l’intégration, Marceau Long, avait été bien choisi par Michel Rocard puisqu’il avait exprimé, dès son rapport de 1988, « Être français aujourd’hui et demain », sa défiance pour le terme d’assimilation, au nom de la nécessaire reconnaissance de l’identité de l’immigré : « L’expression est regrettable, puisqu’elle semble impliquer que les étrangers perdent leurs caractéristiques d’origine pour devenir seulement des Français. » On appréciera le « seulement des Français » qui montre à quel point le « travail de taupe » de la honte de la nation et de culpabilisation de l’assimilation instauré par Sartre a fait des dégâts auprès les élites françaises.

Même chez Chevènement, le plus lucide des socialistes sur cette question, on retrouve cette méfiance à l’égard de l’assimilation : « Le mot assimilation semble signifier une réduction à l’identique […]. Finalement le mot le moins mal approprié est celui d’“intégration”, car il accepte les différences mais dans le cadre républicain. » Mais les « différences » sont parfois des contradictions, contradictions entre les mœurs mais aussi contradiction entre les mœurs et les lois. Comment respecter l’identité de l’immigré dans la sphère privée, et penser qu’il va respecter des lois qui sont le reflet de mœurs nationales bien plus profondes auxquelles il n’adhère pas ? Comment croire, par exemple, que la relégation de la femme dans la sphère privée se transmutera magiquement en respect des lois sur l’égalité homme-femme dans la sphère publique ?

Afin de réduire cette contradiction entre les mœurs étrangères et l’esprit de nos lois, il ne restait plus qu’à renoncer complètement à celui-ci en prônant l’inclusion. Afin que l’étranger ne ressente plus de contradiction entre ses mœurs et nos lois, il fallait que nous le laissions être lui-même et que nous lui facilitions la tâche en renonçant à être nous-mêmes. La bienveillance à l’égard de la « différence » de l’étranger devait donc faire un pas supplémentaire. Ce fut le cas dans le projet de refonte de la politique d’intégration commandé par le Premier ministre J.-M. Ayrault en 2013. Ce projet donna lieu au fameux rapport Tuot, « La Grande Nation : pour une société inclusive », dans lequel on pouvait lire : « Il ne s’agira jamais d’interdire aux étrangers d’être eux-mêmes, mais de les aider à être eux-mêmes dans notre société. » Certes, le projet fut retiré devant les réactions, mais qu’il ait pu être commandé à ce niveau du pouvoir était le symptôme de la victoire de l’idéologie migratoire.

C’est donc ce long renoncement à l’assimilation, sous l’influence de l’idéologie migratoire, ce long renoncement à être soi, qui rend possible l’immigration de masse. L’assimilation n’est plus la condition de la naturalisation, même si elle le reste formellement dans le Code civil, elle produit des Français demeurant étrangers. Risquons un parallèle : de même que la scolarisation, devenue elle aussi formelle, car elle n’exige plus rien des élèves, produit en masse des bacheliers demeurant incultes, l’assimilation, vidée de toute exigence, produit des Français demeurant étrangers, des « Français de papiers ».

Mais l’idéologie migratoire n’aurait pu produire un tel renoncement si elle n’avait trouvé un écho dans la manière par laquelle tout un peuple se représente et expérimente désormais ce qu’il est. C’est parce que nous avons perdu l’exigence du lien national, parce que nous n’exigeons plus rien de nous-mêmes en tant que nation, que nous acceptons de ne plus rien exiger des immigrés. Pourquoi serions-nous choqués par l’absence d’assimilation de ceux-ci puisque nous sommes nous-mêmes en état de décomposition et de désassimilation ? Les chiffres peuvent alors défiler sous nos yeux hagards et les enquêtes se multiplier. Ils ne signifient plus rien. Si nous ne sommes plus un « nous » collectif, nous ne pouvons plus, non plus, appréhender l’existence même des étrangers, l’étranger n’étant par définition pas seulement l’autre que « moi », mais l’autre que « nous »… « Nous sommes tous des immigrés », entonnerons-nous alors en chœur avec l’idéologie migratoire.

Nous voici ainsi revenus à la situation de ces peuples non politiques, décrite par Mauss reprenant Aristote [2], qui ne se sont pas aperçus qu’ils étaient envahis, tout simplement parce que leur lien national était trop distendu pour qu’ils soient encore réceptifs à l’intrusion de l’étranger : « Aristote disait que Babylone n’était guère à décrire comme une polis, […] car on dit que trois jours après sa prise une partie de la ville ne s’en était pas encore aperçue. La solidarité nationale est encore en puissance, lâche en somme dans ces sociétés. Elles peuvent se laisser amputer, malmener voire décapiter ; […] Elles ne sont ni vertébrées ni fortement conscientes ; elles ne sentent pas de peine à être privées même de leurs traits politiques et acceptent plutôt le bon conquérant qu’elles n’ont le désir de se gouverner elles-mêmes. »

C’est cet amorphisme de son peuple et la trahison d’élites acquises à l’idéologie migratoire qui précipitent la France, l’un des plus vieux et des plus solides États-nations européens, selon Mauss lui-même, vers une décomposition qui semble ne plus avoir de fin.

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[1] Voir notre Éloge de l’assimilation : critique de l’idéologie migratoire, Le Rocher, 2021.

[2] Voir Marcel Mauss, La Nation, « Quadrige », PUF, 2013.

Leonardo Padura: saga cubaine

Dans Poussière dans le vent, le géant de la littérature cubaine met en scène une génération tentée par l’exil malgré son attachement à une histoire et une identité


L’Amérique du Sud est un continent plein de bruit et de fureur. Depuis les années 90, la situation politique n’a cessé d’être troublée, malgré le retour à la démocratie de la plupart des États, mais dans des conditions difficiles et aléatoires. Néanmoins, et c’est la bonne nouvelle, il nous vient toujours de ces pays une grande profusion de créations artistiques, en particulier dans le cinéma et la littérature. C’est évidemment toute une tradition culturelle bien ancrée qui, tant bien que mal, perdure.

L’emprise de la Révolution cubaine

L’écrivain cubain Leonardo Padura, né à La Havane en 1955, est un bon exemple de cette vitalité culturelle. À la fois romancier et scénariste pour le cinéma, il a su s’imposer avec des livres dans lesquels il exprimait son amour pour sa patrie, en même temps qu’il se livrait à une critique à peine voilée du régime. Ayant choisi sans déroger d’habiter à La Havane, il y raconte la vie de Cubains qui, comme lui, se débattent entre les contraintes de la Révolution et les aspirations à la liberté. À n’en pas douter, Cuba reste un lieu stratégique essentiel pour comprendre toute cette Amérique latine, qui n’en finit pas de se chercher. Le grand historien Fernand Braudel pouvait dire en 1966 : « La Révolution cubaine reste le trait de feu, la ligne de partage des destins de l’Amérique latine. »

Le nouveau roman de Leonardo Padura, Poussière dans le vent, se présente comme la vaste saga des Cubains tentés par l’exil, aux États-Unis ou ailleurs. Il y évoque les répercussions dramatiques de ce désir de fuite, notamment sur leur propre identité. Padura, dans ce dessein, fait se chevaucher différentes époques, de la fin des années 80 à nos jours. Il procède par flash-back, pour montrer l’évolution psychologique de ses nombreux protagonistes, sur au moins deux générations. Il soupèse ces destins, légers comme des feuilles mortes, et ballottés au gré des contingences d’une histoire politique mouvementée.

Une bande d’amis tentés par l’exil

L’un des points forts du roman de Padura est sa construction à la fois complexe et parfaitement logique. Tout commence avec la jeune Adela, née à New York de mère cubaine. Elle désire plus que tout retrouver ses propres racines, au grand dam de cette mère, la mystérieuse Loreta. Cette dernière a quitté Cuba vingt ans plus tôt, changeant de nom, et laissant derrière elle sans explication toute sa bande d’amis, le « Clan », comme ils s’appelaient eux-mêmes.

A lire ensuite, Thomas Morales: Il n’y a pas que Zemmour, en librairie

Padura revient alors sur cette petite société de Cubains bons vivants, dans leur pays d’origine, puis en exil, nous décrivant la manière dont ils prennent l’existence, et aussi leurs secrets, parfois sordides, dont étaient tissés leurs jours. Le romancier va nous en révéler les tenants et aboutissants, avec un art du suspense très efficace : Padura n’est pas pour rien auteur de romans noirs. Il y a donc Elisa, devenue Loreta aux Etats-Unis, dont le père était diplomate. L’exil lui permettra de tout recommencer à zéro. Il y a Darìo, brillant neurologue, mais à la carrière bloquée par la bureaucratie. Ou encore Walter, être instable (il se drogue), qui se suicidera ; la police enquêtera sur cette mort suspecte, mettant sur la sellette quelques membres du Clan, en particulier l’homosexuel Sterling. Surtout une question les hante tous : y a-t-il parmi eux un indicateur ?

Bilan désastreux

Tous ces personnages sont en somme des naufragés, ou du moins, comme la jeune Adela, en recherche d’eux-mêmes, ou de filiation. C’est l’un des points forts du roman, de montrer cette déficience chez chacun. Je ne raconterai évidemment pas la fin, mais insisterai néanmoins sur le bilan désastreux, semble-t-il, que tout ceci implique. C’est Bernardo, l’alcoolique, qui, dans un moment de lucidité, l’explicite ainsi :

« Il nous est tout arrivé, poursuivit Bernardo, refusant de baisser la voix, et sans qu’on nous demande la permission. Les rêves sont devenus aujourd’hui des insomnies ou des cauchemars. Il nous est arrivé que nous avons perdu. C’est le destin d’une génération, dit-il d’un ton sentencieux, et il reprit son verre d’une main qui tremblait déjà et le vida cul sec… »

Leonardo Padura sait insuffler une dimension de fatalité dans le caractère de ses personnages. Il fait penser souvent à Kundera (autre romancier de l’État totalitaire), lorsqu’il décrit ces hommes et ces femmes obsédés par leur propre volonté de s’échapper d’un monde condamné, et d’assouvir leurs désirs ‒ grâce souvent à l’érotisme. Les personnages féminins de Padura, comme dans les romans de Kundera, jouent fréquemment le premier rôle, face à une sorte de résignation chez les hommes. Avec Adela, en particulier, la nouvelle génération est bien représentée, lucide et sachant ce qu’elle veut.

Poussière dans le vent fait le portrait d’un Cuba qui essaie de survivre, grâce à son âme de toujours. Fernand Braudel parlait aussi, dans le même passage que j’ai cité, du « drame cubain ». En ce sens, Padura illustre les efforts de tout un peuple, incroyablement attachant, pour surmonter les crises à répétition ‒ même si, à l’heure qu’il est, nous sommes peut-être encore loin d’un dénouement favorable.

Leonardo Padura, Poussière dans le vent. Traduit de l’espagnol (Cuba) par René Solis. Éd. Métailié

Poussière dans le vent

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Le salut par la poésie


Hier, me reviennent à la mémoire, dans un train, allez savoir pourquoi, ces quelques vers:

« Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie. »

C’est un très vieux poème, plus de cinq cent ans. Je me sens incroyablement heureux en m’en souvenant. Sans doute parce que je viens, juste avant, de faire un tour sur le réseau et deux ou trois sites infos. J’ai l’impression que c’est ma mémoire qui a cherché un antidote puissant parce qu’on est quand même sérieusement envahi par une langue du ressentiment, de l’hystérie, du pathos; une langue de réseaux sociaux qui contamine les relations humaines, même virtuelles, mais aussi les infos, la politique et bientôt la littérature.

Alors, l’antidote, cinq vers de Clément Marot, pas plus.

« Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie. »

Cinq cents après, on comprend encore tous les mots. Dans un demi-siècle, si on est encore là, la fausse complexité des discours dominants ressemblera à de l’assyro-chaldéen écrit par un scribe sous acide. Il faudra un dictionnaire pour traduire : « Toutes ces problématiques impactent mon ressenti. »

A lire aussi, du même auteur: Train ou voiture? Valery Larbaud et Marcel Proust répondent

Clément Marot, comme les plus grands, lui, écrit avec quelques centaines de mots. Cela suffit pourtant à une combinatoire infinie de la beauté, de la nuance, de l’émotion.

On ne va pas se livrer à une explication de texte, mais tout de même. Cette simplicité est une transparence, quelque chose qui a à voir avec la fraicheur matinale de l’air bleu. Marot dit tout ici de la rencontre amoureuse, de son effet de surprise, du hiatus toujours douloureux entre la beauté d’un lieu et ses propres sentiments avant que ne survienne la rencontre elle-même qui résout la contradiction et ouvre, à travers la comparaison finale, sur un ailleurs tant il est vrai que le coup de foudre nous envoie toujours ailleurs.

Allez une dernière fois:

Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie.

Laissez-vous faire, il fait beau, tout est clair, la ville s’anime au matin, une jeune fille passe et c’est toujours la même jeune fille depuis cinq cents ans. Vous allez déjà mieux, vous respirez mieux, vous oubliez les petites et grandes trahisons, vous oubliez les langues mortes du ressentiment, de la plainte, de la peur, de la fausse efficacité managériale et de la vraie haine politique.

Un poème, c’est ce moment de « l’alliance nouvelle » avec vous-même et avec les autres. C’est éphémère, mais rien ne vous empêche de renouveler l’expérience.

Lisez de la poésie.

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Les Anglais ont tiré les premiers

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Migration Watch UK, l’équivalent de notre Observatoire de l’immigration et de la démographie, existe depuis 2001 outre-Manche. Avant sa création, les élus qui abordaient la question de l’immigration incontrôlée étaient promis à la dégradation sociale. Aujourd’hui, ses travaux orientent la politique migratoire du pays.


Il y a deux façons de saborder tout débat public rationnel sur l’immigration.

La première consiste à taxer de raciste quiconque oserait soulever la question. La deuxième à entretenir la confusion – mieux, le silence – autour des chiffres. La solution ? Attirer l’attention du public sur les statistiques officielles, en mettant en valeur les grandes tendances. C’est ainsi qu’en France, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie a exploité les chiffres et les cartes de France Stratégie, fondées sur les données de l’Insee, faisant éclater au grand jour la vérité sur la transformation profonde en cours de la population française. L’Observatoire a son équivalent outre-Manche, Migration Watch UK, un think tank ayant le même but : tirer la sonnette d’alarme au sujet d’un changement radical de la démographie britannique qu’aucun parlement n’a voté et qu’aucun électorat n’a approuvé. La différence, c’est que Migration Watch UK existe depuis vingt ans et a été fondé par des personnalités appartenant à l’establishment du haut fonctionnariat et de l’université. Au cours de son existence, il a réussi à exercer une influence appréciable sur la politique gouvernementale.

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Celui par qui le scandale arrive

Si la création de Migration Watch UK en 2001 semblait nécessaire, c’est parce que depuis trente ans l’immigration était un sujet tabou pour les politiciens britanniques, contents de sous-traiter presque tous les aspects de l’intégration des nouveaux arrivants aux municipalités. Tout commence un samedi après-midi d’avril 1968 lorsqu’Enoch Powell, député conservateur, se lève pour prendre la parole dans un meeting à Birmingham. Son discours est un véritable cri du cœur alertant sur les dangers de l’immigration de masse qui, dans un pays en plein déclin économique, exerce une pression grandissante sur l’emploi, les écoles et les hôpitaux. Pour souligner la frustration ressentie par ses électeurs, il cite certains de leurs propos, comme ce pronostic d’un ouvrier : « Dans ce pays, dans quinze ou vingt ans, le Noir aura le dessus sur le Blanc. » La majorité de ses collègues politiciens et des journalistes affecteront d’être scandalisés par des extrapolations sur la composition future de la population, exprimées avec si peu de délicatesse. Au point culminant de son discours, Powell lui-même joue le devin, effrayé par l’exemple des émeutes raciales violentes qui, depuis 1965, se multiplient aux États-Unis. Adoptant un ton plus érudit que son électeur, l’ancien professeur de lettres classiques invoque la scène de l’Énéide de Virgile où le héros troyen, arrivant en Italie, consulte la sibylle de Cumes sur son avenir. Selon Powell : « Comme le Romain, il me semble voir “le Tibre entièrement couvert d’une écume de sang[1]”. » Ses critiques exploiteront cette citation pour surnommer son discours celui « des Fleuves de sang ». Pour les bien-pensants du pays, toute évocation de violences interethniques – qui sont déjà une réalité – est inexcusable. Le lendemain, Powell est démis de ses fonctions dans l’équipe dirigeante du parti et entame une longue traversée du désert qui ne prendra fin qu’avec sa mort en 1998. Son exemple décourage tout autre politicien souhaitant faire une carrière honorable de s’attaquer à la question de l’immigration. Dans le tumulte médiatique, les gens ont à peine remarqué la statistique essentielle mise en avant par Powell : le gouvernement travailliste avait annoncé qu’en 1967, seules 4 078 autorisations avaient été accordées à des candidats à l’immigration, omettant de dire que plus de 50 000 personnes à charge étaient arrivées aussi. Ce total semble dérisoire aujourd’hui, mais Powell a mis le doigt là où il ne fallait pas : sur le silence général entourant les faits.

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La clarté dans la confusion

C’est dans ces conditions qu’en 2001, les fondateurs de Migration Watch décident de prendre le problème à bras-le-corps. Andrew Green, aujourd’hui Lord Green, est un diplomate qui vient de prendre sa retraite. Ancien ambassadeur en Syrie et en Arabie saoudite, ce grand spécialiste du Proche-Orient préside une ONG apportant de l’aide médicale aux Palestiniens. Estimant que l’immigration est incontrôlée, qu’il n’y a pas de débat politique sain sur la question et que le public ignore les informations pertinentes, il suggère à David Coleman, professeur de démographie à l’université d’Oxford, de fonder un observatoire. Ce dernier est présidé aujourd’hui par Alp Mehmet, ancien ambassadeur en Islande, arrivé en Angleterre comme immigré chypriote en 1956. Grâce à la respectabilité des protagonistes et à leur focalisation sur les faits, les études et déclarations de Migration Watch, nourries des chiffres de l’Office for National Statistics (ONS), l’Insee britannique, sont largement citées dans les médias, même par la BBC. Dès le début, les partisans de l’immigration accusent Green de donner des armes aux xénophobes. Le ministre de l’Intérieur travailliste crée une cellule chargée de surveiller le think tank. Plus tard, la gauche lancera un groupe de pression rival, Migration Matters, mais sans grand succès.

En 2002, Green se mue à son tour en prophète, prévoyant qu’au cours de la décennie à venir, le solde migratoire net au Royaume-Uni s’élèvera à 2 millions de personnes. Accueilli par dénonciations et quolibets, son pronostic sera confirmé par l’ONS qui annoncera un solde de 2,1 millions d’immigrés pour la période 2002-2011. Au cours de la même décennie, le sérieux et la maîtrise communicationnelle de Migration Watch changent la donne politique. À partir de 2010, trois gouvernements conservateurs successifs, rompant avec leurs prédécesseurs, décident de réduire l’immigration en fixant comme objectif de ramener le solde net annuel en dessous de la barre des 100 000. Ils échouent lamentablement. Le référendum sur le Brexit, puis le Brexit lui-même entraînent une baisse considérable de l’immigration en provenance de l’UE, mais celle du reste du monde demeure incontrôlée. Devant cet échec, le quatrième gouvernement conservateur, celui de BoJo, décide de se concentrer d’abord sur un des problèmes pointés par Migration Watch, la pression exercée sur les bas salaires par le recrutement à l’étranger d’une main-d’œuvre peu qualifiée. Au début de 2021, un nouveau système pour les migrants économiques entre donc en vigueur : désormais, c’est l’État et non les employeurs qui décide des secteurs où le recrutement à l’étranger sera permis, et l’accent est mis sur une main-d’œuvre hautement qualifiée, apte à apporter une valeur ajoutée à toute l’économie.

L’autre question qui inquiète l’opinion publique est celle des demandeurs d’asile clandestins, dont un grand nombre traversent la Manche chaque jour. Un projet de loi actuellement devant le Parlement prévoit l’interdiction de toute demande d’asile qui ne soit pas faite avant l’arrivée du demandeur sur le territoire britannique. En principe, les migrants clandestins seraient expulsés vers leur dernier pays d’origine – pour peu que ce pays veuille bien les accepter.

Que nous réserve l’avenir ? Sur le site de Migration Watch, on apprend qu’en 2019, sur une population de 67 millions, 9,2 millions de personnes étaient nées à l’étranger – deux fois plus qu’en 2001 – dont presque la moitié en Asie et en Afrique. On apprend aussi que la moyenne du solde migratoire annuel depuis 2012 est presque de 300 000 et que d’ici vingt ans, au rythme actuel, la population augmentera de 7,5 millions, dont 80 % en conséquence directe de l’immigration. Virgile dit que la sibylle chante des secrets effroyables « enrobant le vrai d’obscurités ». Ce qui, dans les pronostics, demeure obscur pour le moment, c’est le rôle que jouera la volonté humaine dans notre avenir démographique. Tout dépendra de la décision du peuple, une fois qu’il aura été mis en pleine possession de tous les faits – et de la volonté des dirigeants d’entendre sa voix.


[1] D’après la traduction française de l’Énéide par Anne-MarisBoxus et Jacques Poucet.

Le triomphe des immigrés

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Le quartier de la Goutte d’or à Paris, 16 novembre 2020. © Michel Setboun/SIPA

Des pans entiers du territoire sont livrés à des populations immigrées qui n’ont que faire de la République et de ses lois et qui, au jeu de la natalité, sont plus fortes que les « de souche ». Ces dernières fuient des quartiers où règne un ordre moral et social extra-européen face auquel les « Blancs » ne peuvent pas lutter.


L’étude de France Stratégie portant sur la place des enfants d’immigrés extra-européens (0-18 ans) dans les diverses portions du territoire français fait sensation. Beaucoup découvrent que ceux-ci sont majoritaires dans la moitié des communes de Seine-Saint-Denis, représentent jusqu’à 75 % de leur génération dans certaines d’entre elles, telle La Courneuve, et atteignent 84 % dans certains quartiers. Ce département n’est pas le seul concerné. À Paris intra-muros, le même pourcentage peut atteindre 50 % dans le 19e considéré dans son ensemble et 72 % dans le quartier le plus affecté. Plus étonnant encore pour beaucoup, cette domination, qui s’est construite en quelques dizaines d’années seulement, est loin d’être négligeable dans des parties de nombre de villes de province. Pour expliquer cette situation, des théories plus ou moins fantaisistes fleurissent, imaginant de vastes complots. La réalité est beaucoup plus simple, et plus inquiétante. Elle relève de ce qui se passe spontanément, sans que personne ne l’ait orchestré, quand des populations différentes, ayant des cultures différentes, sont amenées à coexister sur un même territoire.

Compétition entre manières différentes de vivre

Pensons aux analyses de Pierre Bourdieu, peu suspect de sentiments anti-immigrés, dans La Misère du monde. Il évoque particulièrement ceux qui, résidant sur des territoires aux populations mêlées, sont idéologiquement les plus favorables à cette mixité. Il note que « tout tend à montrer que les traditions et les convictions internationalistes et antiracistes qu’ils ont acquises à travers leur éducation et leurs engagements politiques […] et qui sont renforcées par la condamnation officielle de la discrimination et des préjugés raciaux, sont mises à rude épreuve, au jour le jour, par la confrontation avec les difficultés réelles de la cohabitation ». Ainsi, il évoque divers témoignages, tels « celui de cette vieille militante socialiste qui, surtout l’été, et en période de fête, ne peut plus supporter les bruits et les odeurs de l’immeuble auquel elle se sent enchaînée, ou celui de ce couple de vieux militants communistes qui, pour les mêmes raisons, ont dû déménager, la mort dans l’âme, avec le sentiment de manquer à toutes leurs convictions [1] ». Explorant, plus largement, un certain tragique du quotidien, il se propose de « comprendre ce qui se passe dans des lieux qui, comme les “cités” ou les “grands ensembles”, et aussi nombre d’établissements scolaires, rapprochent des gens que tout sépare, les obligeant à cohabiter, soit dans l’ignorance et l’incompréhension mutuelle, soit dans le conflit, latent ou déclaré, avec toutes les souffrances qui en résultent [2] ».

A lire aussi: Natalité: le basculement en cartes et en chiffres

Que se passe-t-il quand, sur un certain territoire, les immigrés extra-européens tiennent une place suffisante pour imposer leur manière de gérer l’espace public avec les comportements et les tenues qui y font référence, ou encore les niveaux sonores qui y sont considérés comme admissibles ? Les Français « de souche » le quittent massivement. Les immigrés le constatent eux-mêmes, et certains s’en plaignent. Les réactions de mères d’élèves de deux écoles primaires et maternelles de Montpellier, qui ont défrayé la chronique, illustrent une telle situation : « En classe, protestent-elles, on voudrait des petits blonds avec nos enfants. » L’évolution du quartier est déplorée. « Avant, c’était mieux, relate l’une des mères, interrogée par Libération. Il y avait une église, un boulanger, un tabac-presse… Des Asiatiques, des Africains, des Français, d’autres gens vivaient ici. Les instituteurs habitaient le quartier. Et puis ces gens-là ont déménagé : on n’a pas fait attention mais, peu à peu, il n’y avait plus que des Marocains. » On ne trouve aucune interrogation chez les intéressées sur les raisons pour lesquelles ces déménagements se sont produits. Celles qui mènent le mouvement se présentent vêtues d’une stricte tenue islamique, ce qui suggère une forte emprise de l’islam sur le quartier concerné. Pourtant, une telle emprise n’est évoquée à aucun instant pour expliquer la désertion de populations qui refusent de vivre dans un paysage social à dominante islamique.

Dans les reportages portant sur ces quartiers, on entend souvent des personnes âgées déclarer que, malgré tout, elles ne quitteront pas un lieu auquel elles sont attachées, qu’elles arrivent à s’en accommoder. Mais adopter cette attitude est beaucoup plus difficile pour des parents de jeunes enfants ou d’adolescents. Pour ceux qui ne sont pas prêts à accepter une forme de contre-assimilation, poussant leurs enfants à adopter les codes dominants chez les jeunes de leur quartier issus de l’immigration, parfois à se convertir à l’islam, il faut décamper. Et ceux qui, parmi les immigrés extra-européens et leur postérité, entendent devenir des Français comme les autres décident souvent de faire de même.

Affrontement entre des jeunes et les forces de l’ordre à Bobigny, en marge d’une manifestation contre les violences policières, 11 février 2017. © Patrick KOVARIK / AFP

Mais pourquoi, dans la compétition entre manières différentes de vivre au sein d’un territoire, est-ce très vite les « Blancs » qui ont le dessous et doivent partir ? C’est qu’ils sont infiniment moins bien armés que les immigrés extra-européens pour s’imposer. Ces derniers viennent de sociétés où la pression de la communauté sur chacun de ses membres est intense. Les pratiques d’intimidation, d’ostracisme, voire de contrainte physique visant à mettre au pas ceux qui tendent à s’affranchir de la loi du milieu, font partie du fonctionnement usuel de la vie sociale. Cette pression communautaire est beaucoup moins forte dans des sociétés individualistes telles que les sociétés européennes. C’est tout spécialement le cas dans la société française où l’on ne compte guère que sur l’État pour contrôler les comportements. De plus, l’action des pouvoirs publics tend à entraver, au nom du refus des discriminations, toute pression sociale favorisant une adoption des us et coutumes français ; on le voit bien par exemple pour la protection légale dont jouit le port d’une tenue islamique. Par contre, cette action publique ne se soucie nullement d’entraver les pressions communautaires hostiles à une telle assimilation. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’à partir d’un certain niveau, qui n’a pas besoin d’être très élevé, de présence des immigrés extra-européens sur un certain territoire, le rapport de forces tende à basculer. Émergent alors les « territoires perdus de la République » (Georges Bensoussan) et les « territoires conquis de l’islamisme » (Bernard Rougier).

L’affaire Samuel Paty, révélatrice

Ce type de dynamique des populations est bien connu par les sciences sociales et a été, en particulier, très étudié aux États-Unis. Comment se fait-il que si nombreux soient, en France, ceux qui sont étonnés d’en constater les effets ? Contrairement à de nombreux pays marqués par une tradition de coexistence entre groupes ethnoculturels distincts vivant largement sur des territoires séparés, la France a cultivé pendant longtemps un idéal d’assimilation. Il s’est agi de créer un peuple formé indistinctement d’individus d’origines diverses, mais tous transformés en « vrais Français » partageant les mêmes us et coutumes. La réussite de cette assimilation a permis que la société ne soit pas composée de diasporas unissant ceux qui, ayant les mêmes racines, entendent conserver au maximum les us et coutumes du pays d’origine au sein d’un territoire qu’ils dominent. C’est par une sorte d’égarement de l’esprit que la référence officielle est maintenant une société qui, tout en devenant multiculturelle, à l’image des États-Unis, conserverait le mélange des origines de la France assimilationniste.

A lire aussi, Mathieu Bock-Côté: Un changement? Non, une révolution

Faute de comprendre ce qui se passe, beaucoup affirment que cette domination croissante sur certains territoires de populations issues de l’immigration extra-européenne est le fruit de politiques de relégation de ces populations. Celles-ci sont présentées comme des victimes alors qu’en fait elles sont les gagnantes dans une compétition pour le contrôle de portions du territoire. On va jusqu’à parler de ghettos, d’apartheid, de bantoustans, etc., alors qu’il serait plus approprié d’utiliser les images de concessions (au sens des concessions dont ont bénéficié à une certaine époque plusieurs pays européens en Chine), voire de places fortes.

Face à la Chine, au Moyen-Orient, l’Occident est en train de découvrir cruellement combien étaient grandes ses illusions quand il croyait convertir le monde à ses valeurs et à sa façon de vivre. Il est en train de se rendre compte qu’il est condamné à choisir entre se défendre (face à la Chine) ou battre piteusement en retraite (face aux talibans). Que va-t-il faire maintenant que  ces populations qu’il n’a pu convertir sont massivement présentes chez lui ? Et qu’en est-il en particulier en France ? On ne peut qu’être frappé par les hésitations du chef de l’État dans l’élaboration d’une stratégie face à ce qu’il a d’abord qualifié de « séparatisme islamiste ». L’impression a prévalu pendant quelque temps d’une volonté de lutter avec fermeté contre ce séparatisme. Le meurtre de Samuel Paty et le lien qui est apparu clairement à cette occasion entre le terrorisme islamiste et une vaste nébuleuse en rupture avec la société française ont alimenté cette volonté. Mais, l’émotion passée, la démarche paraît hésitante. C’est que les obstacles à surmonter pour tenter de renverser la tendance sont énormes.

Nos institutions, notre droit se sont construits en cohérence avec l’image d’une société de citoyens attachés à la République et à ses valeurs, dont il convient de protéger les libertés, spécialement quand ils appartiennent à des minorités. Il s’agit de mettre celles-ci à l’abri de toute forme de discrimination. Les pays européens qui, telle la Hongrie, respectent mal cet impératif sont cloués au pilori. Un problème majeur est que ce respect des minorités au sein de la République est mis en avant pour protéger ceux qui, tout en demeurant sur le territoire national avec tous les droits des citoyens, n’ont nullement une éthique de citoyens. Ils entendent rester fidèles à leur culture d’origine, même quand ses orientations sont incompatibles avec les principes de la République, telle la liberté de conscience, et n’ont que faire des lois non écrites qui forment le socle de la vie sociale. Quel statut juridique donner à cette manière d’être ?

Le thème de la chute de l’Empire romain revient actuellement à la mode et la thèse selon laquelle une ouverture inconsidérée aux « barbares » a joué un rôle central dans cette chute est à nouveau discutée. Allons-nous faire en sorte de n’être pas concernés ?

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[1]. Pierre Bourdieu, La Misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p. 21. La première personne citée est sans doute « Maria D. », dont les propos sont rapportés et analysés pages 101 à 114.

[2]. Ibid., p. 9.

Les bons conseils de Laurent Ruquier pour faire gagner la gauche en 2022

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Laurent Ruquier reçoit Jean-Luc Mélenchon, le 2 octobre 2021 Image: Capture d'écran Youtube

Le cri du cœur de l’animateur vedette de France 2 face à Jean-Luc Mélenchon illustre bien la crise de nerfs à gauche. L’émission « On est en direct » de Laurent Ruquier et Léa Salamé samedi a passablement énervé notre directrice Élisabeth Lévy.


Sur le site de France Télévision, on peut lire cette description de l’émission de Laurent Ruquier: « Des personnalités se succèdent dans une ambiance feutrée et bienveillante »… C’était le prêche du samedi soir avec deux grands prêtres de la religion progressiste qui dénoncent le diable avec une morgue sidérante.

Au bout de quatre minutes, Léa Salamé cite Zemmour.

Ruquier la coupe : « Ah non pas Zemmour, Zemmour est un virus. Une épidémie ! Qu’il faut combattre évidemment ».

Au passage, il bat sa coulpe pour l’avoir inventé dans son propre laboratoire, et Harry Roselmack ricane à cette blague Laurent Ruquier/Frankenstein. Zemmour, c’est un monstre fabriqué par Ruquier.

Ces gens friands de réminiscences historiques savent-ils que les nazis comparaient leurs ennemis fantasmés à des microbes ou à des vampires ? On pense aussi à la minute de la haine d’Orwell. Bref, ils emploient le registre typique du fascisme, mais c’est Zemmour qui est d’extrême droite ! Ils ironisent ensuite sur la condamnation de Nicolas Sarkozy, ou s’esclaffent de l’œuf jeté sur Macron. Bref, nous assistons au spectacle atterrant de la subversion subventionnée. 

Mais, le pompon, c’est quand ils reçoivent Jean-Luc Mélenchon. 

Ruquier : « Si vous voulez le bien des gens, il faut aller voir les quatre autres et leur dire que c’est la seule façon. J’ai fait les comptes avec le sondage qui vient de tomber. Jadot 9, Mélenchon 9, Roussel 1.5, Hidalgo 5.5, Montebourg 1.5… ça fait 26 %. Là vous y serez au deuxième tour. Vous ou un autre. Ou Anne Hidalgo. Ou Jadot (…) Mais entendez-vous bon sang de bon Dieu, si vraiment vous voulez que les Français aient une meilleure vie ! Moi j’ai une belle vie. Mais que les Français qui souffrent aient une meilleure vie ».

Laurent Ruquier, directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, le somme de nouer des alliances pour faire gagner la gauche. 

Pour lui, être de gauche n’est pas une opinion, mais une vérité révélée. C’est le camp du Bien, et la droite, c’est l’erreur. 

Ruquier a le droit d’avoir des opinions, mais… 

Le CSA va-t-il décompter le temps de parole de Laurent Ruquier ? Ou peut être coller une amende à France TV ? De toute façon, c’est nous qui payerions une éventuelle amende. Même en dehors du service public, un tel parti pris serait scandaleux. Mais en plus, la moitié des Français payent pour se faire insulter chaque semaine par des bateleurs qui ont le melon. Et ils en ont ras-le-bol de financer cette propagande.


Cette chronique a initialement été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy chaque matin à 8h10 dans la matinale de Sud Radio.

Zemmour bienvenu chez les chtis

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Eric Zemmour à Lille, le 2 octobre 2021 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA Numéro de reportage : 01041242_000021

Eric Zemmour a poursuivi sa tournée promotionnelle en s’arrêtant à Lille samedi, où une foule nombreuse est venue l’applaudir. Dans la salle, nous avons vu une jeunesse passionnée par le récit que l’essayiste fait de l’histoire de France, de vieux LR déboussolés et pas que des idolâtres.


1500 personnes attendent sous la grisaille du Nord. Devant les portes du Lille Grand Palais, les visiteurs se mettent sagement en file – laquelle s’allonge rapidement sur un ou deux kilomètres. Au programme : une conférence de l’essayiste suivie d’une séance dédicace de son dernier ouvrage La France n’a pas dit son dernier mot (Ed. Rubempré).

Le nombre de visiteurs impressionne et la salle se remplit vite. Ses soutiens plastronnent. Tout sourire, Antoine Diers – animateur de l’association les Amis d’Éric Zemmour se réjouit : « Des personnes de tous horizons nous rejoignent. Nous étions hier avec des acteurs économiques à Valenciennes. Éric Zemmour parvient à être crédible sur tous les sujets ! » La veille, l’essayiste s’affichait dans une permanence Les Républicains en compagnie d’élus et de militants.

Candidat de moins en moins virtuel à l’élection présidentielle, beaucoup viennent pourtant encore écouter ici l’écrivain et le journaliste. Paul est étudiant en école d’ingénieurs et le reconnaît : « Mon vote n’est pas encore définitif. Mais son discours me plaît et m’attire. Alors, je viens pour voir l’orateur et me faire mon avis. » Assise sur la rangée supérieure, une dame nous lance à la volée : « Sur l’islam, l’éducation , les finances ou l’économie, on vient aussi voir l’intellectuel. »  L’intérêt est parfois simplement érudit. Valentin a 23 ans et travaille dans la maintenance informatique à Valenciennes. Il est en colère face « à la déconstruction de l’identité française » et l’assure : « L’histoire m’intéresse. Écouter Éric Zemmour est toujours instructif car il maîtrise son sujet. »

Comme Wauquiez n’y va pas…

Notre discussion est interrompue par l’arrivée du non-candidat. Une haie d’honneur l’attend à l’entrée. Dès qu’il est annoncé, le public se lève et l’acclame. Le conférencier fait son petit tour de salle et salue chaleureusement la foule. Des jeunes brandissent une pancarte « Zemmour 2022 ». «  Quel plaisir d’être de retour à Lille » leur lance-t-il. Une ville « qu’il connait », capitale d’une région « qu’il aime »… Le conférencier sait flatter son public : « Vous êtes des nordistes laborieux, besogneux mais aussi ingénieux ». Suit un cours d’histoire industrielle nourrie de chiffres et relevé de bons mots.

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Valentin, 23 ans, travaille dans la maintenance informatique à Valenciennes. Il aime le discours du polémiste comme ses « références à l’histoire ». Il vient écouter le conférencier et peut-être l’homme politique. 
Hélène et Andrée étaient jusqu’à peu adhérentes à la section Les Républicains de Marcq-en-Barœul. Déboussolées par l’attitude de leur parti, elles sont depuis plusieurs années sensibles au discours de l’essayiste. Elles se disent prêtes aujourd’hui à voter pour lui. Photo: Lucien Rabouille

L’orateur sait captiver et animer une foule. D’un bout à l’autre de son intervention, le discours reste nerveux : les députés de droite sont « des chochottes », les « assistés » des « chômeurs professionnels » et il précise qu’ « à la CAF, on voit qui vient toucher la solidarité nationale. » Cette dernière phrase arrive numéro un à l’applaudimètre. Dans la salle, des militants Les Républicains apprécient. Andrée et Hélène, ex-adhérentes LR se disaient « complétement perdues. » « Nous sommes d’anciens fillonistes, plutôt de tendance RPR. Nous attendions la candidature de Wauquiez mais il n’y est pas allé. » Auparavant militantes sur Marcq-en-Barœul, elles assurent que leur section est actuellement partagée : « Il y a les adhérents favorables à Xavier Bertrand et ceux qui hésitent. Beaucoup pensent déjà voter Zemmour.»  

L’archipel zemmourien

Dans le public également, beaucoup de jeunes BCBG et de militants, cadres ou élus issus des partis de droite. Signe de sa mue politique, Eric Zemmour parle leur langue. Au moment des questions avec la salle, il refuse de s’engager sur la sortie de l’euro à laquelle il est pourtant favorable – arguant qu’il n’y a pas de majorité électorale pour cela. Son objectif répété reste de « réconcilier la bourgeoisie patriote acquise aux Républicains avec l’électorat populaire qui vote pour le Rassemblement National. »

 « La France est un composé. C’est mieux qu’une race, c’est une nation », cette sentence qu’Eric Zemmour cite sans cesse inaugure la belle Histoire de France de Jacques Bainville. Retrouve-t-on le composé français dans son public en même temps que cette alliance Trans-classiste et patriote dont il rêve ?

La France au cœur

À en croire Chahinez, jeune trentenaire venue l’écouter, Eric Zemmour s’adresse à tout le monde  : « Je suis fille de Harki et j’ai la France au cœur. Il dit ce qu’on pense. On est dirigés par des ploucs. Sans être très pratiquante, je suis musulmane mais cette foi me regarde. Il faut vivre tranquillement sa religion dans l’espace privé ! » La jeune fille – et à rebours des recommandations du polémiste – confesse avoir donné à ses enfants des prénoms « qui correspondent à ses origines. » Cette question n’a pas laissé indifférent Mahieddine et Ilias, assis discrètement au fond de la salle. Mahieddine a quitté le monde étudiant pour entrer en bac professionnel mécanique : « Je suis plutôt abstentionniste, mais je me retrouve dans certaines parties de son discours. On est contre la déconstruction et le sentiment de culpabilité. On ne veut pas réécrire l’histoire. Même si c’est vrai qu’il est parfois jusqu’au-boutiste… » Comme sur l’épineux sujet des prénoms ? « On fait avec, mais on aurait aimé porter les prénoms d’un héros de l’histoire de France. » Le jeune homme ajoute : « Le sujet Zemmour divise beaucoup mais la communauté maghrébine est plus partagée qu’on ne le croit. Une moitié, s’en fiche, une autre moitié s’y intéresse et dans cette moitié beaucoup entendent son discours. »

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Reste la question économique. Thierry 53 ans, ancien intérimaire en ingénierie aujourd’hui en recherche d’emploi s’est dit « séduit » par le discours mais pas encore « idolâtre » : « Je viens du Douaisis, une terre bien socialo-communiste et toute ma famille vote à gauche (…) Je suis ce qu’il dit sur CNews sans être parfaitement idolâtre. Par exemple, d’un point de vue économique, il dit qu’il faut baisser les charges sociales sur les entreprises pour refaire de l’emploi… On sait que ça ne suffira pas et qu’il faudra réindustrialiser en protégeant nos frontières. Ce dont il a besoin, c’est de voix gilets-jaunes, ceux qui payent les erreurs des capitaines d’entreprises. » Dans le public, une personne l’avait déjà enjoint de « muscler son bras gauche » en précisant bien qu’il conseillait cela « dans la perspective du second tour ». Beaucoup étaient venus en simples curieux. En le voyant sur l’estrade, beaucoup sont repartis conquis. Et certains le voient déjà figurer sur le podium.

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Ex-fan des «Eighties»

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Bernard Tapie sur le plateau de l'emission "Ambitions" sur TF1, 1987 © CHEVALIN/TF1/SIPA Numéro de reportage : TF135000439_000015

Tapie, Belmondo, Bob Morane ou Raffaella Carrà, les derniers représentants du grand n’importe quoi nous ont quittés cette année 


Dans les années 1980, la parité existait déjà. Filles et garçons avaient les épaules larges et les cheveux longs. De dos, c’était difficile de les distinguer. Les vestes taillaient façon maître-nageur, hautes et démesurément trapézoïdales. Troisième sexe d’Indochine talonnait Like a Virgin de Madonna dans les charts. 

Grace Jones au volant de la CX, immortalisée par Jean-Paul Goude

Les adolescentes s’endormaient dans des chemises de nuit à l’effigie de Snoopy pendant que leurs mères s’inventaient une aventure à la Caroline Cellier. Les méduses et le topless annonçaient le début de l’été. Eddie Barclay pratiquait deux sports extrêmes dans le Golfe de Saint-Tropez : le mariage et la pétanque. Swatch au poignet, les ados réclamaient du Yop à boire au goûter et un bicross Skyway à Noël. La Nouvelle Cuisine s’exportait aux Amériques. Gault et Millau faisaient la Une de Time. Quick ouvrait son premier restaurant à Aix-en-Provence, Cours Mirabeau. Les mamies s’empiffraient de tartes au citron meringuées dans les salons de thé. Les pépés s’initiaient au Get 27 au comptoir. Les frères Léotard posaient pour Paris Match. Nicolas Hulot s’engageait au Dakar au volant d’un Range Rover V8 essence. Nourissier écrivait dans Le Figaro Magazine. Grace Jones conduisait une Citroën CX à la demande de Jean-Paul Goude. On pouvait même acheter une Jeep Cherokee dans la concession Renault de Vierzon. Pendant ce temps-là, la Renault 9 (Alliance) était assemblée dans une usine du Wisconsin. Et Patrick Sabatier souriait dans Avis de Recherche

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Nanard, « Wonder boy », affichait sa réussite entre un jet privé et une limousine Mercedes à jantes « nid d’abeille ». Brasseur enfilait le chèche sur les pistes africaines. Silvio Berlusconi contemplait Milano Due, sa cité babylonienne construite à crédit. Belmondo était très cuir et lunettes Carrera dans les loges de Roland-Garros. Au mépris de tous les codes vestimentaires en vigueur et des chartes internationales, Delon ne se séparait jamais de ses socquettes blanches et des Lancia du réseau Chardonnet. Le très rockabilly Lucien de Frank Margerin résistait à La Salsa du démon et à Glenn Medeiros. Et Jean-Pierre Foucault souriait dans L’Académie des neuf. À la récré, deux clans s’opposaient entre les adorateurs des Nike Mac Attack et les propagandistes des Adidas Nastasse. À la fermeture du Studio 54 sur Broadway, Vitas Gerulaitis noya son chagrin, un peu plus loin, au Mudd Club dans le quartier de TriBeCa. Tanya Roberts vivait dangereusement aux côtés de 007 et se coiffait tout aussi dangereusement. Le cœur de Philippe Aubert balançait entre Mathilda May et Marie-France Cubadda. Patrice Martin était déjà champion du monde de ski nautique. 

Questions d’un autre temps

À cette époque-là, je commençais à être taraudé par des questions existentielles : Steve Austin et Super Jaimie se marieraient-ils un jour ? Papa Poule était-il heureux ? Pourquoi Sam (Georges Descrières) avait-il remplacé Corinne le Poulain par Nicole Calfan alors que toutes les deux portaient le prénom de Sally ? Que faisait Bryan Ferry dans la série « Petit déjeuner compris » avec Pierre Mondy et Marie-Christine Barrault ? Roald Dahl était-il une seule et même personne qui présentait Bizarre Bizarre sur FR3 et l’auteur de James et la grosse pêche lu en Folio junior ? Dagobert, le chien de Claude dans Le Club des cinq était-il un border collie ? Comment la bolognaise Raffaella Carrà qui faisait pleurer les foules hispaniques avec son tube Yo no se vivir sin ti pouvait électriser les hommes avec sa danse Tuca Tuca ? Et Michel Drucker souriait dans Champs-Elysées

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Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, décédé en juillet dernier, expliquait sa méthode de travail et sans le savoir, l’esprit des « Eighties » : « Très souvent, quand j’écris, je me laisse aller. Style, imagination, documentation. Je ne fais pas de plan, je me laisse porter par le hasard. Les premiers mots m’arrivent, les personnages vivent l’aventure, et voilà ». C’était ça les années 1980, le règne du n’importe quoi, du drôle kitsch qui vire au vulgaire yuppie, de l’argent à flot aux saccages industriels, de cette laideur télévisuelle qui aspirait notre imaginaire en formation et d’un show-business décomplexé ; de la fierté d’être un peu con sur les bords jusqu’à le revendiquer ouvertement en public ; depuis que nous sommes tous devenus un peuple intelligent, pondéré et progressiste jusqu’à l’ascèse, nous sommes sinistres ! Je regrette les temps incertains de Gym Tonic.

“Les Mondes de l’esclavage”: une histoire mondiale de l’esclavage à la Patrick Boucheron

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L'écrivain Léonora Miano invitée de France inter, le 1 octobre 2021. Elle signe la postface du livre. Image: Capture YouTube.

Ne leur parlez pas d’autre chose que de la traite transatlantique ! Les invités de vendredi de France inter Paulin Ismard et Léonora Miano sont bien trop occupés à remettre en cause l’universalisme des Lumières, et à accabler l’Occident et la société contemporaine moderne, laquelle serait selon eux encore marquée par ce phénomène historique. La France aurait singulièrement “mal métabolisé” cette part de son histoire, nous ont-ils appris.


Après avoir eu les honneurs de France Culture le 20 septembre, l’historien Paulin Ismard et l’écrivain Léonora Miano étaient les invités de Nicolas Demorand dans sa matinale de France Inter du 1er octobre afin de faire la promotion du livre intitulé Les Mondes de l’esclavage, une histoire comparée. Paulin Ismard le décrit comme « une histoire mondiale de l’esclavage » et, dans la préface du dit ouvrage, remercie chaleureusement Patrick Boucheron pour ses « remarques ». Par un tour de force incroyable, et malgré la promesse du titre de l’ouvrage promu, ni le journaliste ni ses deux invités ne sont parvenus à parler une seule fois des traites négrières intra-africaine et arabo-musulmane au cours de ces vingt minutes d’entretien radiophonique.

Au milieu de phrases comme « Tous les Français devraient se dire qu’ils ont eu des ancêtres esclaves » (sic), la traite transatlantique est restée le sujet presque exclusif de cette émission. Est rappelée, bien entendu, la loi Taubira qui « a permis d’évoquer ces sujets-là », dit Paulin Ismard. Ces sujets-là ou ce sujet-là ? La loi Taubira ne reconnaît en effet comme un crime contre l’humanité que « la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes ». En omettant d’inclure dans sa loi la traite arabo-musulmane débutée dès le VIIe siècle, Mme Taubira disait vouloir épargner « aux jeunes Arabes » le fait de porter « sur leur dos tout le poids de l’héritage des Arabes ». Point de ces tourments pour les jeunes Européens. Au nom de cette loi, un Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais avait demandé en 2005 que l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur de l’excellent Les traites négrières, soit « suspendu de ses fonctions universitaires pour révisionnisme », rien que ça. Mme Taubira s’était alors publiquement demandé si ce professeur d’université ne représentait pas un « vrai problème » en continuant d’enseigner « ses thèses » à ses étudiants. Gageons qu’elle lira avec délice l’ouvrage sus-nommé.

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« Le jeu des contrastes révèle une des spécificités majeures de l’esclavage colonial européen issu de la traite atlantique, qui tient au rôle joué en son sein par l’ordre de la race », écrit Paulin Ismard dans la préface de son livre. Nicolas Demorand synthétise : « La spécificité de l’esclavage européen serait la racialisation affichée ». Léonora Miano résume : « La notion de race et l’esclavage racialisé, c’est vraiment une production spécifique de la traite transatlantique. ». Ces affirmations sont tout simplement et entièrement fausses. Un peu d’histoire : 

Passé le début des conquêtes arabes et de l’islamisation de l’Afrique du Nord (VIIe siècle), et parce que l’esclavage des Blancs et des Asiatiques diminue pour voir croître considérablement celui des Noirs considérés par les Arabes comme plus « serviles », des mots arabes correspondant à « esclave » deviennent généralement et péjorativement synonymes de « Noir ». Le voyageur arabe Ibn Jubayr, traversant une partie de l’Afrique pour se rendre en pèlerinage à la Mecque en 1184, note dans ses chroniques : « Cette tribu de Noirs est plus égarée que des bêtes et moins censée qu’elles. […] Bref, ce sont des gens sans moralité et ce n’est donc pas un péché que de leur souhaiter la malédiction divine. Et de les pourchasser jusque dans leurs villages pour en ramener des esclaves. » L’historien Ibn Khaldoun écrit au milieu du XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » D’une manière générale, les Noirs d’Afrique subsaharienne devinrent rapidement des « êtres inférieurs » aux yeux des musulmans et leur couleur de peau fut associée à un déni d’Islam. Ainsi, Wahb Ibn Munabbih (musulman yéménite du VIIe siècle) sera un des premiers à reprendre une version déformée du mythe biblique de la malédiction de Cham (parce que Cham a vu Noé, son père, ivre et nu, ce dernier maudit Canaan, le fils de Cham, à devenir « l’esclave des esclaves de ses frères ») qui raconte que Cham, blanc d’origine, serait « devenu noir en signe de malédiction ». Les musulmans l’utiliseront souvent pour légitimer l’esclavage des Noirs en les désignant comme les « descendants de Cham ». Bref, les Arabes, bien avant les Européens, ont justifié et légitimé les razzias géantes et sanglantes fournissant enfants, femmes et hommes noirs aux pays fort demandeurs d’esclaves (Turquie, Égypte, Perse, Arabie, Tunisie, Maroc) en raison essentiellement de leur race supposée inférieure et de leur couleur de peau. « La notion de race et l’esclavage racialisé » ne sont donc pas une production spécifique de la traite transatlantique : « la traite négrière arabo-musulmane a été l’une des plus anciennes ouvertures vers la hiérarchisation des “races”. Convertis ou non, les Noirs y étaient toujours traités en inférieurs », écrit l’historien et anthropologue Tidiane N’Diaye dans son enquête historique Le génocide voilé.

Lilian Thuram, Jean-Marc Ayrault et Christiane Taubira, inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Nantes, 2012 © SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA Numéro de reportage : 00634479_000003

« Le travail comparatiste, loin d’annuler les différences, met en lumière la singularité monstrueuse de la traite et de l’esclavage atlantique – la situation impériale et coloniale, l’ordre de la race – sont à l’évidence uniques », écrit pourtant Paulin Ismard. Si Tidiane N’Diaye n’atténue pas la monstruosité de la traite atlantique, il démontre que la traite arabo-musulmane est la seule à propos de laquelle on peut véritablement parler de génocide car, en plus des expéditions meurtrières, les esclavagistes arabes pratiquèrent une « extinction ethnique par castration massive » pratiquée pendant près de quatorze siècles. Aussi détestable qu’ait été la traite transatlantique, les esclavagistes du Nouveau Monde laissèrent les esclaves se reproduire, rappelle l’anthropologue franco-sénégalais, ce qui explique une très forte descendance des esclaves noirs en Amérique (le nombre des afro-américains passe de 750 000 en 1790 à 7 480 000 en 1890. N’Diaye estime à 70 millions le nombre des descendants d’esclaves de la traite transatlantique et à seulement 1 million celui des descendants d’esclaves de la traite arabo-musulmane) et, conséquemment, les nombreux témoignages permettant d’éclairer et de questionner l’histoire spécifique de cet esclavage.

Si, tout au long de cette émission sur Les Mondes de l’esclavage, nous entendons parler de l’esclavage chez les Grecs, les Romains, les Chinois, les Vikings, les Indiens et, bien sûr, de la traite transatlantique, je crois bien ne pas avoir entendu une seule fois l’expression « traite arabo-musulmane ». En revanche, il a été question « d’interpeller la prétention universaliste que nous estimons avoir héritée des Lumières » à l’aune de la traite atlantique ; et de reconsidérer « l’histoire du capitalisme, une fois reconnu le rôle qu’y a joué l’esclavage atlantique ». Quant aux exactions arabo-musulmanes en Afrique et à leurs conséquences sur l’histoire de ce continent, tant pour ce qui est de l’implantation guerrière de l’islam que pour le massacre des populations, nous ne savons toujours pas si cela doit amener les Africains à reconsidérer l’histoire de leur continent une fois reconnu le rôle qu’y a joué la traite arabo-musulmane, ou interpeller les musulmans sur la prétention universaliste qu’ils estiment avoir hérité des écrits coraniques et des hadiths du Prophète. Cela est d’autant plus regrettable qu’il est avéré aujourd’hui que les marchés d’esclaves noirs demeurent une malheureuse réalité dans certains pays islamisés d’Afrique, la Libye et la Mauritanie notamment, mais également partout où sévissent des mouvements djihadistes comme Boko Haram (Tchad, Cameroun, Nigéria).

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Qu’aurions-nous fait à la place d’Irmgard Furchner?

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Le tribunal de Itzehoe chargé de juger Irgmard Furchner, 30 septembre. Le procès de la femme de 96 ans a été repoussé, car elle ne s'est pas rendue au tribunal © Markus Schreiber/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22610548_000006

L’Allemande Irmgard Furchner, 96 ans, en fuite puis retrouvée, est accusée de complicité de meurtres. Elle était secrétaire dans le camp nazi de Stutthof pendant la Seconde Guerre mondiale.


Irmgard Furchner, 96 ans, est accusée de complicité de meurtres commis entre 1943 et 1945. Elle était secrétaire dans le camp du Stutthof. Elle ne s’est pas présentée devant le tribunal qui devait la juger.

En 2020, l’ex-gardien de ce même camp, 92 ans, avait été condamné par le tribunal de Hambourg à deux ans et demi de prison avec sursis. En effet, depuis un changement de jurisprudence opéré en 2011 par la Cour constitutionnelle, les « petites mains » du nazisme, si on peut dire, peuvent également être poursuivies. Je ne discute pas la légalité ni la légitimité de ces procédures à l’encontre de personnes très âgées, incriminées, et pour l’une sanctionnée, à cause de leur implication dans le processus mortifère nazi.

Courage rétrospectif

Je n’ai toutefois jamais aimé les courages rétrospectifs ni les résistances en chambre qui s’affirment si aisément de très longues années après les faits guerriers et tragiques. De Gaulle s’est moqué, lors de la libération de la France, de cette multitude de prétendus héros sortis de l’ombre dans laquelle ils s’étaient glissés précautionneusement. J’éprouve la plus vive admiration pour les vrais résistants de l’origine, les plus discrets, et je suis très compréhensif pour la masse qui s’est contentée de tenir et de survivre en s’efforçant au moins de ne pas nuire à autrui.

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Dépassant le cas de la France, je voudrais réfléchir sur les régimes totalitaires, hitlérien ou stalinien, en me demandant ce que chacun aurait fait ou non, plongé dans cette horreur de l’époque. À partir du moment où il était inconcevable de refuser, sous peine de mort, une fonction qui vous était imposée, il ne me semble pas indécent ni sacrilège de nous questionner aujourd’hui : aurions-nous été des soumis ou des révoltés, aurions-nous fui ou obéi quitte à accepter de mettre la main, même de manière bureaucratique, dans les atrocités qui étaient commises ?

Rares sont ceux qui disent non

Je sais bien qu’il n’est personne qui aurait le front de s’afficher modeste et peureux, en admettant ne pas savoir ce que dans ces anciennes circonstances tragiques il aurait eu le courage ou non d’accomplir.
Pourtant cette interrogation est capitale qui nous renvoie aux crimes et aux tragédies de l’Histoire et à notre destin face à eux si nous les avions subis.

Autant pour la délinquance et la criminalité ordinaires il est possible, sans trop se tromper, de se dire qu’on ne serait jamais pris dans leur étau, autant, pour ces condamnations historiques, en se plaçant au niveau du citoyen de base, il faut toujours, si longtemps après, se questionner : moi, qu’aurais-je été, qu’aurais-je accompli, qu’aurais-je refusé ?

Honnêtement, on ne le sait jamais sauf à être d’une forfanterie sans limite.
C’est la chanson de Jean-Jacques Goldman sur Leidenstadt.

Certains rares disent non, beaucoup font le gros dos.
En rêve on est tous des héros.

Puis on retombe.

La honte d’être français

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Emmanuel Macron visite une école primaire de Melun, 26 avril 2021 © Thibault Camus / POOL / AFP

Ne plus exiger l’intégration ou l’assimilation des immigrés mène la nation française à la partition. Et à sa disparition. Cette idéologie migratoire qui sacralise « l’étranger », qui trouve son origine chez Sartre, est encore défenduepar cette gauche qui considère qu’être français n’est pas une identité. Une analyse issue de notre grand dossier du magazine de septembre « Souriez, vous êtes grand-remplacés », derniers jours en kiosques.


De Napoléon à De Gaulle, notre pays a su maîtriser l’immigration à travers une véritable politique des étrangers. Ce sont des considérations d’utilité et d’assimilation qui ont gouverné cette politique. La question de la place et du statut des étrangers était subordonnée, comme n’importe quelle autre question politique, à celle de l’intérêt général. On ne se plaçait pas du point de vue de l’immigré ni d’une identité qu’il aurait à préserver et qu’il faudrait reconnaître. Après tout, c’est lui qui avait fait le choix de venir chez nous en émigrant, et ce qu’on lui proposait, c’était de devenir semblable à nous. L’assimilation était assumée fièrement comme un don et une générosité, comme la possibilité d’une « adoption nationale ».

Nous avons cherché à saisir le moment idéologique où bascule cette tradition décomplexée de l’assimilation [1], ce moment de renversement copernicien par lequel ce n’est plus l’étranger qui tourne autour de l’astre de la France, attiré par lui, mais où c’est la France qui se met à tourner autour de l’astre de l’étranger. On ne se demande plus ce que l’étranger peut faire pour nous, mais ce que nous pouvons faire pour lui, estimant que nous n’en faisons jamais assez.

Tout commence par la dépolitisation de l’immigration au profit d’une approche purement morale de celle-ci. L’absolutisation du point de vue moral, le moralisme, est la grande rupture introduite par une forme d’idéologie que nous appelons l’idéologie migratoire.

C’est dans l’œuvre de Sartre et dans son « engagement » que se noue pour la première fois le triple verrouillage moralisateur sur lequel repose l’idéologie migratoire : la honte de la nation et de sa tradition assimilatrice, la promotion de l’« identité » des victimes de l’assimilation, l’engagement politico-médiatique en faveur de leur « reconnaissance ». On attribue souvent aux penseurs de la « déconstruction » l’origine de cette idéologie. Il est vrai que la thématique de l’« hospitalité inconditionnelle », développée par Derrida dans plusieurs ouvrages, tendant à sacraliser l’étranger et à absolutiser le devoir moral de l’accueil, inspire les militants actuels de l’idéologie migratoire. Mais Derrida, tout comme Foucault d’ailleurs, a reconnu sa dette à l’égard de Sartre. Celui-ci a eu une influence déterminante sur la réorientation moralisatrice et culpabilisatrice de la gauche intellectuelle française.

C’est ce renoncement à l’assimilation, sous l’influence de l’idéologie migratoire, qui rend possible l’immigration de masse

C’est à partir de sa Réflexions sur la question juive que Sartre aborde la question de l’assimilation. Tout le programme assimilationniste porté par la Révolution française est inversé dans ce texte datant de 1946. On se souvient de la phrase de Clermont-Tonnerre : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation, et accorder tout aux juifs comme individus. » Cela signifie que la France reconnaît les juifs en tant que citoyens, ayant les mêmes droits et devoirs que les autres citoyens, et devant par conséquent mettre leur judaïsme au second plan. La France reconnaît des Français juifs et non des Juifs français. Sartre fait peser le soupçon d’antisémitisme et de racisme sur ce programme assimilationniste qu’il veut inverser. Pour lui, la reconnaissance de l’« identité » doit primer sur l’appartenance citoyenne à la nation : c’est ce qu’il appelle le « libéralisme concret », lequel est en réalité une ébauche de programme multiculturel. Ce qui est « concret » pour Sartre, c’est l’identité de l’individu définie par la religion, la race ou le sexe. Ce qui est abstrait et aliénant, ce qui vient détruire et menacer cette identité concrète, c’est l’assimilation à la démocratie nationale. Selon Sartre, le démocrate « souhaite séparer le juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules. C’est ce qu’on nommait aux États-Unis, la politique d’assimilation. Les lois sur l’immigration ont enregistré la faillite de cette politique et, en somme, celle du point de vue démocratique. »

Thierry Tuot remet son rapport sur la refondation des politiques d’intégration au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, 11 février 2013 © WITT/SIPA

Sartre est ainsi le précurseur de l’hystérie moralisatrice du gauchisme actuel. Il commence par faire déteindre sur la tradition assimilationniste française le sort fait aux Noirs aux États-Unis et, pire encore, le sort fait aux juifs durant la Seconde Guerre mondiale, se permettant une métaphore renvoyant implicitement à l’horreur des chambres à gaz (« enfourner »…). L’assimilation, rapprochée de la destruction physique et morale des juifs, devient ainsi coupable de détruire l’identité des immigrés. Rappelons-nous qu’aujourd’hui un Erdogan demande à ses compatriotes émigrés en Europe de ne pas s’assimiler, comparant l’assimilation à un crime contre l’humanité…

Cette critique et cette honte de la tradition française de l’assimilation, inaugurées et cultivées par Sartre, tradition à laquelle un de nos plus grands historiens, Fernand Braudel, se réfère dans L’Identité de la France en écrivant que l’assimilation est « le critère des critères pour une immigration sans douleur », vont malheureusement cheminer au sein de la gauche, et plus particulièrement du Parti socialiste. Le modèle de l’assimilation, timidement poursuivi par Pompidou et Giscard, est abandonné sous Mitterrand, cet abandon étant masqué par un nouveau concept, l’« intégration », et un nouveau slogan, le « vivre-ensemble ». Avant même l’invention de SOS Racisme par le Parti socialiste, ce dernier s’était converti au droit à la différence et à une conception de plus en plus multiculturelle de la société. Dans le « Projet socialiste pour la France des années 80 » on pouvait déjà lire : « Les socialistes entendent reconnaître aux immigrés le droit à leur identité culturelle. La transmission de la connaissance et de la culture nationale à leurs enfants sera favorisée par tous les moyens. Car il n’est pas question de rompre avec leur pays d’origine. […] Il faut préparer les nations les plus riches, dont la France, à envisager leur avenir en termes communautaires. »

« Identité », le mot était donc lâché dès 1980. Alors que la politique d’assimilation met au second plan l’« identité » des immigrés, l’assimilation supposant une forme de « sublimation » et de dépassement de celle-ci, la politique d’intégration fait de l’identité une richesse devant laquelle il faut s’incliner. Le président du Haut Conseil à l’intégration, Marceau Long, avait été bien choisi par Michel Rocard puisqu’il avait exprimé, dès son rapport de 1988, « Être français aujourd’hui et demain », sa défiance pour le terme d’assimilation, au nom de la nécessaire reconnaissance de l’identité de l’immigré : « L’expression est regrettable, puisqu’elle semble impliquer que les étrangers perdent leurs caractéristiques d’origine pour devenir seulement des Français. » On appréciera le « seulement des Français » qui montre à quel point le « travail de taupe » de la honte de la nation et de culpabilisation de l’assimilation instauré par Sartre a fait des dégâts auprès les élites françaises.

Même chez Chevènement, le plus lucide des socialistes sur cette question, on retrouve cette méfiance à l’égard de l’assimilation : « Le mot assimilation semble signifier une réduction à l’identique […]. Finalement le mot le moins mal approprié est celui d’“intégration”, car il accepte les différences mais dans le cadre républicain. » Mais les « différences » sont parfois des contradictions, contradictions entre les mœurs mais aussi contradiction entre les mœurs et les lois. Comment respecter l’identité de l’immigré dans la sphère privée, et penser qu’il va respecter des lois qui sont le reflet de mœurs nationales bien plus profondes auxquelles il n’adhère pas ? Comment croire, par exemple, que la relégation de la femme dans la sphère privée se transmutera magiquement en respect des lois sur l’égalité homme-femme dans la sphère publique ?

Afin de réduire cette contradiction entre les mœurs étrangères et l’esprit de nos lois, il ne restait plus qu’à renoncer complètement à celui-ci en prônant l’inclusion. Afin que l’étranger ne ressente plus de contradiction entre ses mœurs et nos lois, il fallait que nous le laissions être lui-même et que nous lui facilitions la tâche en renonçant à être nous-mêmes. La bienveillance à l’égard de la « différence » de l’étranger devait donc faire un pas supplémentaire. Ce fut le cas dans le projet de refonte de la politique d’intégration commandé par le Premier ministre J.-M. Ayrault en 2013. Ce projet donna lieu au fameux rapport Tuot, « La Grande Nation : pour une société inclusive », dans lequel on pouvait lire : « Il ne s’agira jamais d’interdire aux étrangers d’être eux-mêmes, mais de les aider à être eux-mêmes dans notre société. » Certes, le projet fut retiré devant les réactions, mais qu’il ait pu être commandé à ce niveau du pouvoir était le symptôme de la victoire de l’idéologie migratoire.

C’est donc ce long renoncement à l’assimilation, sous l’influence de l’idéologie migratoire, ce long renoncement à être soi, qui rend possible l’immigration de masse. L’assimilation n’est plus la condition de la naturalisation, même si elle le reste formellement dans le Code civil, elle produit des Français demeurant étrangers. Risquons un parallèle : de même que la scolarisation, devenue elle aussi formelle, car elle n’exige plus rien des élèves, produit en masse des bacheliers demeurant incultes, l’assimilation, vidée de toute exigence, produit des Français demeurant étrangers, des « Français de papiers ».

Mais l’idéologie migratoire n’aurait pu produire un tel renoncement si elle n’avait trouvé un écho dans la manière par laquelle tout un peuple se représente et expérimente désormais ce qu’il est. C’est parce que nous avons perdu l’exigence du lien national, parce que nous n’exigeons plus rien de nous-mêmes en tant que nation, que nous acceptons de ne plus rien exiger des immigrés. Pourquoi serions-nous choqués par l’absence d’assimilation de ceux-ci puisque nous sommes nous-mêmes en état de décomposition et de désassimilation ? Les chiffres peuvent alors défiler sous nos yeux hagards et les enquêtes se multiplier. Ils ne signifient plus rien. Si nous ne sommes plus un « nous » collectif, nous ne pouvons plus, non plus, appréhender l’existence même des étrangers, l’étranger n’étant par définition pas seulement l’autre que « moi », mais l’autre que « nous »… « Nous sommes tous des immigrés », entonnerons-nous alors en chœur avec l’idéologie migratoire.

Nous voici ainsi revenus à la situation de ces peuples non politiques, décrite par Mauss reprenant Aristote [2], qui ne se sont pas aperçus qu’ils étaient envahis, tout simplement parce que leur lien national était trop distendu pour qu’ils soient encore réceptifs à l’intrusion de l’étranger : « Aristote disait que Babylone n’était guère à décrire comme une polis, […] car on dit que trois jours après sa prise une partie de la ville ne s’en était pas encore aperçue. La solidarité nationale est encore en puissance, lâche en somme dans ces sociétés. Elles peuvent se laisser amputer, malmener voire décapiter ; […] Elles ne sont ni vertébrées ni fortement conscientes ; elles ne sentent pas de peine à être privées même de leurs traits politiques et acceptent plutôt le bon conquérant qu’elles n’ont le désir de se gouverner elles-mêmes. »

C’est cet amorphisme de son peuple et la trahison d’élites acquises à l’idéologie migratoire qui précipitent la France, l’un des plus vieux et des plus solides États-nations européens, selon Mauss lui-même, vers une décomposition qui semble ne plus avoir de fin.

Eloge de l'assimilation: Critique de l'idéologie migratoire

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[1] Voir notre Éloge de l’assimilation : critique de l’idéologie migratoire, Le Rocher, 2021.

[2] Voir Marcel Mauss, La Nation, « Quadrige », PUF, 2013.

Leonardo Padura: saga cubaine

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L'écrivain cubain Leonardo Padura, 2021 © Ernesto Mastrascusa/EFE/SIPA Numéro de reportage : 01031413_000001

Dans Poussière dans le vent, le géant de la littérature cubaine met en scène une génération tentée par l’exil malgré son attachement à une histoire et une identité


L’Amérique du Sud est un continent plein de bruit et de fureur. Depuis les années 90, la situation politique n’a cessé d’être troublée, malgré le retour à la démocratie de la plupart des États, mais dans des conditions difficiles et aléatoires. Néanmoins, et c’est la bonne nouvelle, il nous vient toujours de ces pays une grande profusion de créations artistiques, en particulier dans le cinéma et la littérature. C’est évidemment toute une tradition culturelle bien ancrée qui, tant bien que mal, perdure.

L’emprise de la Révolution cubaine

L’écrivain cubain Leonardo Padura, né à La Havane en 1955, est un bon exemple de cette vitalité culturelle. À la fois romancier et scénariste pour le cinéma, il a su s’imposer avec des livres dans lesquels il exprimait son amour pour sa patrie, en même temps qu’il se livrait à une critique à peine voilée du régime. Ayant choisi sans déroger d’habiter à La Havane, il y raconte la vie de Cubains qui, comme lui, se débattent entre les contraintes de la Révolution et les aspirations à la liberté. À n’en pas douter, Cuba reste un lieu stratégique essentiel pour comprendre toute cette Amérique latine, qui n’en finit pas de se chercher. Le grand historien Fernand Braudel pouvait dire en 1966 : « La Révolution cubaine reste le trait de feu, la ligne de partage des destins de l’Amérique latine. »

Le nouveau roman de Leonardo Padura, Poussière dans le vent, se présente comme la vaste saga des Cubains tentés par l’exil, aux États-Unis ou ailleurs. Il y évoque les répercussions dramatiques de ce désir de fuite, notamment sur leur propre identité. Padura, dans ce dessein, fait se chevaucher différentes époques, de la fin des années 80 à nos jours. Il procède par flash-back, pour montrer l’évolution psychologique de ses nombreux protagonistes, sur au moins deux générations. Il soupèse ces destins, légers comme des feuilles mortes, et ballottés au gré des contingences d’une histoire politique mouvementée.

Une bande d’amis tentés par l’exil

L’un des points forts du roman de Padura est sa construction à la fois complexe et parfaitement logique. Tout commence avec la jeune Adela, née à New York de mère cubaine. Elle désire plus que tout retrouver ses propres racines, au grand dam de cette mère, la mystérieuse Loreta. Cette dernière a quitté Cuba vingt ans plus tôt, changeant de nom, et laissant derrière elle sans explication toute sa bande d’amis, le « Clan », comme ils s’appelaient eux-mêmes.

A lire ensuite, Thomas Morales: Il n’y a pas que Zemmour, en librairie

Padura revient alors sur cette petite société de Cubains bons vivants, dans leur pays d’origine, puis en exil, nous décrivant la manière dont ils prennent l’existence, et aussi leurs secrets, parfois sordides, dont étaient tissés leurs jours. Le romancier va nous en révéler les tenants et aboutissants, avec un art du suspense très efficace : Padura n’est pas pour rien auteur de romans noirs. Il y a donc Elisa, devenue Loreta aux Etats-Unis, dont le père était diplomate. L’exil lui permettra de tout recommencer à zéro. Il y a Darìo, brillant neurologue, mais à la carrière bloquée par la bureaucratie. Ou encore Walter, être instable (il se drogue), qui se suicidera ; la police enquêtera sur cette mort suspecte, mettant sur la sellette quelques membres du Clan, en particulier l’homosexuel Sterling. Surtout une question les hante tous : y a-t-il parmi eux un indicateur ?

Bilan désastreux

Tous ces personnages sont en somme des naufragés, ou du moins, comme la jeune Adela, en recherche d’eux-mêmes, ou de filiation. C’est l’un des points forts du roman, de montrer cette déficience chez chacun. Je ne raconterai évidemment pas la fin, mais insisterai néanmoins sur le bilan désastreux, semble-t-il, que tout ceci implique. C’est Bernardo, l’alcoolique, qui, dans un moment de lucidité, l’explicite ainsi :

« Il nous est tout arrivé, poursuivit Bernardo, refusant de baisser la voix, et sans qu’on nous demande la permission. Les rêves sont devenus aujourd’hui des insomnies ou des cauchemars. Il nous est arrivé que nous avons perdu. C’est le destin d’une génération, dit-il d’un ton sentencieux, et il reprit son verre d’une main qui tremblait déjà et le vida cul sec… »

Leonardo Padura sait insuffler une dimension de fatalité dans le caractère de ses personnages. Il fait penser souvent à Kundera (autre romancier de l’État totalitaire), lorsqu’il décrit ces hommes et ces femmes obsédés par leur propre volonté de s’échapper d’un monde condamné, et d’assouvir leurs désirs ‒ grâce souvent à l’érotisme. Les personnages féminins de Padura, comme dans les romans de Kundera, jouent fréquemment le premier rôle, face à une sorte de résignation chez les hommes. Avec Adela, en particulier, la nouvelle génération est bien représentée, lucide et sachant ce qu’elle veut.

Poussière dans le vent fait le portrait d’un Cuba qui essaie de survivre, grâce à son âme de toujours. Fernand Braudel parlait aussi, dans le même passage que j’ai cité, du « drame cubain ». En ce sens, Padura illustre les efforts de tout un peuple, incroyablement attachant, pour surmonter les crises à répétition ‒ même si, à l’heure qu’il est, nous sommes peut-être encore loin d’un dénouement favorable.

Leonardo Padura, Poussière dans le vent. Traduit de l’espagnol (Cuba) par René Solis. Éd. Métailié

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Le salut par la poésie

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Corneille de Lyon, portrait présumé de Clément Marot (1536) Wikimedia Commons

Hier, me reviennent à la mémoire, dans un train, allez savoir pourquoi, ces quelques vers:

« Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie. »

C’est un très vieux poème, plus de cinq cent ans. Je me sens incroyablement heureux en m’en souvenant. Sans doute parce que je viens, juste avant, de faire un tour sur le réseau et deux ou trois sites infos. J’ai l’impression que c’est ma mémoire qui a cherché un antidote puissant parce qu’on est quand même sérieusement envahi par une langue du ressentiment, de l’hystérie, du pathos; une langue de réseaux sociaux qui contamine les relations humaines, même virtuelles, mais aussi les infos, la politique et bientôt la littérature.

Alors, l’antidote, cinq vers de Clément Marot, pas plus.

« Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie. »

Cinq cents après, on comprend encore tous les mots. Dans un demi-siècle, si on est encore là, la fausse complexité des discours dominants ressemblera à de l’assyro-chaldéen écrit par un scribe sous acide. Il faudra un dictionnaire pour traduire : « Toutes ces problématiques impactent mon ressenti. »

A lire aussi, du même auteur: Train ou voiture? Valery Larbaud et Marcel Proust répondent

Clément Marot, comme les plus grands, lui, écrit avec quelques centaines de mots. Cela suffit pourtant à une combinatoire infinie de la beauté, de la nuance, de l’émotion.

On ne va pas se livrer à une explication de texte, mais tout de même. Cette simplicité est une transparence, quelque chose qui a à voir avec la fraicheur matinale de l’air bleu. Marot dit tout ici de la rencontre amoureuse, de son effet de surprise, du hiatus toujours douloureux entre la beauté d’un lieu et ses propres sentiments avant que ne survienne la rencontre elle-même qui résout la contradiction et ouvre, à travers la comparaison finale, sur un ailleurs tant il est vrai que le coup de foudre nous envoie toujours ailleurs.

Allez une dernière fois:

Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie.

Laissez-vous faire, il fait beau, tout est clair, la ville s’anime au matin, une jeune fille passe et c’est toujours la même jeune fille depuis cinq cents ans. Vous allez déjà mieux, vous respirez mieux, vous oubliez les petites et grandes trahisons, vous oubliez les langues mortes du ressentiment, de la plainte, de la peur, de la fausse efficacité managériale et de la vraie haine politique.

Un poème, c’est ce moment de « l’alliance nouvelle » avec vous-même et avec les autres. C’est éphémère, mais rien ne vous empêche de renouveler l’expérience.

Lisez de la poésie.

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