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Ex-fan des «Eighties»

Bernard Tapie est décédé le 3 octobre 2021


Ex-fan des «Eighties»
Bernard Tapie sur le plateau de l'emission "Ambitions" sur TF1, 1987 © CHEVALIN/TF1/SIPA Numéro de reportage : TF135000439_000015

Tapie, Belmondo, Bob Morane ou Raffaella Carrà, les derniers représentants du grand n’importe quoi nous ont quittés cette année 


Dans les années 1980, la parité existait déjà. Filles et garçons avaient les épaules larges et les cheveux longs. De dos, c’était difficile de les distinguer. Les vestes taillaient façon maître-nageur, hautes et démesurément trapézoïdales. Troisième sexe d’Indochine talonnait Like a Virgin de Madonna dans les charts. 

Grace Jones au volant de la CX, immortalisée par Jean-Paul Goude

Les adolescentes s’endormaient dans des chemises de nuit à l’effigie de Snoopy pendant que leurs mères s’inventaient une aventure à la Caroline Cellier. Les méduses et le topless annonçaient le début de l’été. Eddie Barclay pratiquait deux sports extrêmes dans le Golfe de Saint-Tropez : le mariage et la pétanque. Swatch au poignet, les ados réclamaient du Yop à boire au goûter et un bicross Skyway à Noël. La Nouvelle Cuisine s’exportait aux Amériques. Gault et Millau faisaient la Une de Time. Quick ouvrait son premier restaurant à Aix-en-Provence, Cours Mirabeau. Les mamies s’empiffraient de tartes au citron meringuées dans les salons de thé. Les pépés s’initiaient au Get 27 au comptoir. Les frères Léotard posaient pour Paris Match. Nicolas Hulot s’engageait au Dakar au volant d’un Range Rover V8 essence. Nourissier écrivait dans Le Figaro Magazine. Grace Jones conduisait une Citroën CX à la demande de Jean-Paul Goude. On pouvait même acheter une Jeep Cherokee dans la concession Renault de Vierzon. Pendant ce temps-là, la Renault 9 (Alliance) était assemblée dans une usine du Wisconsin. Et Patrick Sabatier souriait dans Avis de Recherche

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Nanard, « Wonder boy », affichait sa réussite entre un jet privé et une limousine Mercedes à jantes « nid d’abeille ». Brasseur enfilait le chèche sur les pistes africaines. Silvio Berlusconi contemplait Milano Due, sa cité babylonienne construite à crédit. Belmondo était très cuir et lunettes Carrera dans les loges de Roland-Garros. Au mépris de tous les codes vestimentaires en vigueur et des chartes internationales, Delon ne se séparait jamais de ses socquettes blanches et des Lancia du réseau Chardonnet. Le très rockabilly Lucien de Frank Margerin résistait à La Salsa du démon et à Glenn Medeiros. Et Jean-Pierre Foucault souriait dans L’Académie des neuf. À la récré, deux clans s’opposaient entre les adorateurs des Nike Mac Attack et les propagandistes des Adidas Nastasse. À la fermeture du Studio 54 sur Broadway, Vitas Gerulaitis noya son chagrin, un peu plus loin, au Mudd Club dans le quartier de TriBeCa. Tanya Roberts vivait dangereusement aux côtés de 007 et se coiffait tout aussi dangereusement. Le cœur de Philippe Aubert balançait entre Mathilda May et Marie-France Cubadda. Patrice Martin était déjà champion du monde de ski nautique. 

Questions d’un autre temps

À cette époque-là, je commençais à être taraudé par des questions existentielles : Steve Austin et Super Jaimie se marieraient-ils un jour ? Papa Poule était-il heureux ? Pourquoi Sam (Georges Descrières) avait-il remplacé Corinne le Poulain par Nicole Calfan alors que toutes les deux portaient le prénom de Sally ? Que faisait Bryan Ferry dans la série « Petit déjeuner compris » avec Pierre Mondy et Marie-Christine Barrault ? Roald Dahl était-il une seule et même personne qui présentait Bizarre Bizarre sur FR3 et l’auteur de James et la grosse pêche lu en Folio junior ? Dagobert, le chien de Claude dans Le Club des cinq était-il un border collie ? Comment la bolognaise Raffaella Carrà qui faisait pleurer les foules hispaniques avec son tube Yo no se vivir sin ti pouvait électriser les hommes avec sa danse Tuca Tuca ? Et Michel Drucker souriait dans Champs-Elysées

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Henri Vernes, le créateur de Bob Morane, décédé en juillet dernier, expliquait sa méthode de travail et sans le savoir, l’esprit des « Eighties » : « Très souvent, quand j’écris, je me laisse aller. Style, imagination, documentation. Je ne fais pas de plan, je me laisse porter par le hasard. Les premiers mots m’arrivent, les personnages vivent l’aventure, et voilà ». C’était ça les années 1980, le règne du n’importe quoi, du drôle kitsch qui vire au vulgaire yuppie, de l’argent à flot aux saccages industriels, de cette laideur télévisuelle qui aspirait notre imaginaire en formation et d’un show-business décomplexé ; de la fierté d’être un peu con sur les bords jusqu’à le revendiquer ouvertement en public ; depuis que nous sommes tous devenus un peuple intelligent, pondéré et progressiste jusqu’à l’ascèse, nous sommes sinistres ! Je regrette les temps incertains de Gym Tonic.




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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