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«Gaspard», un clochard céleste!

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Jules Matton réussit parfaitement le roman d’apprentissage d’un naïf dans le Paris des années 2020.


Je ne lis jamais les livres de mes amis. Cela me permet de mieux en parler, et surtout de rester ami avec eux. Alors pourquoi me suis-je aventuré à lire Gaspard de Jules Matton qui vient de paraître aux Editions Leo Scheer ? Car Jules Matton n’a pas écrit un livre, encore moins une histoire, mais notre album de famille. Un bon livre est un miroir qui nous renvoie notre propre image: on n’y trouve que ce qu’on y apporte. De Gaspard, je ne retiens que l’écho intime qu’il éveille en moi: les pages où je me reconnais et qui parlent à mon cœur. 

On a tous quelque chose de Gaspard

Le héros, Gaspard, rate son train pour Lisieux et décide de s’aventurer dans Paris. Il n’est pas aussi désespéré que le Gilles de Drieu, pas aussi ambitieux que Lucien de Rubempré, pas aussi fiévreux que Julien Sorel: au fond il n’est pas grand-chose, et en cela il me ressemble. Il conjugue au futur simple des ambitions déraisonnables, a des regards de conquérant sur les brasseries de Montparnasse dont les néons éclaboussent la nuit, et ne doute pas d’avoir du destin dans sa besace.

On a tous quelque chose de Gaspard, tous ceux qui ont brûlé leur premier roman, ceux qui ont triché sur leur âge ou leur passé, ceux dont l’orgueil asséchait les pleurs, ceux qui ont changé leur nom, ravalé leur accent, renié leurs origines, juste pour voir briller un soir leur nom d’emprunt en haut de l’affiche. Gaspard comprendra trop tard que grandir, c’est surtout devoir ramasser un glaive et livrer bataille. 

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Jules Matton dit de notre héros qu’il a «lenthousiasme de ceux qui, ayant plus lu que vécu, ont la tête pleine de personnages idéalisés au fil des temps sans nuances de ladolescence ». Ces personnages seront Gabriel Matzneff, Frédéric Taddeï, Éric Zemmour, François Boulo ou Jérôme Rodrigues. Il découvre ce qu’Hervé Vilard avait joliment appelé «le bal des papillons» : les hommes que rien n’impressionne mais qui impressionnent à coup sûr, les plaisirs qu’on épuise avant qu’ils ne nous épuisent et les endroits où l’on se rencontre à quelques-uns sans jamais se donner rendez-vous.

Souvenir de Matzneff

Parfois, Jules Matton raconte même des scènes que j’ai vécues. Page 222, Gaspard croise Gabriel Matzneff dans un hôpital ; ce dernier se lève, et, la gorge nouée, lui lit la dernière lettre de Vanessa Springora. Gaspard, c’était moi, et l’hôpital, mon appartement. J’avais 20 ans, de grandes irrésolutions, des impatiences qui me chahutaient et l’ombre portée d’une espérance qui m’accompagnait. J’avais entendu parler enfant de Gabriel Matzneff comme d’un Russe blanc en exil, en exil en France, et en exil tout court.

Je savais qu’il avait dispersé les cendres de Montherlant sur le forum, et qu’à la piscine Deligny, il était le plus beau, avec son crâne de samouraï et son corps de lézard. Il publiait chez Gallimard, beaucoup le croyaient mort, et quand je le reçus dans mon appartement de la rue Jacob, et que je le filmai, avec une caméra d’il y a cinquante ans, lire une lettre debout, je me dis qu’il y aurait au grand maximum dix personnes qui tomberaient sur cette vidéo dans les tréfonds d’Internet… Deux jours plus tard éclata ce qu’on appela «l’affaire Matzneff », ma mère était à Genève et elle vit mon pauvre film sur l’écran géant de la gare: je devenais une star et comprenais trop tard que la célébrité n’est que le deuil éclatant du bonheur.

Gaspard de Jules Matton demeure pourtant une fiction, mais une fiction qu’il faut reconnaître pour ce qu’elle est : une construction hypothétique qui nous est indispensable pour mettre un peu d’ordre dans le chaos de nos existences. Gaspard n’est pas un livre drôle à la manière de ces comiques de France Inter qui me font pleurer d’ennui quand je les reçois dans mon émission, ni à la manière des petits dictateurs du ricanement qui coupent la tête de ceux qui ne s’esclaffent pas. Il est drôle parce que la conception de la vie qu’il porte est fondamentalement burlesque.

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Gaspard est un naïf qui sourit, qui sourit des dogmatismes et de cette raideur mécanique qui selon Bergson provoque le rire. Il sourit des importants, des arrogants, des fâcheux, et des sentencieux. Il passe sans aigreur de l’humour à l’ironie pour signifier qu’il n’est dupe de rien, d’aucune hiérarchie et d’aucune idéologie. J’ai toujours pensé qu’il n’y a qu’un seul grand combat: celui des esprits sérieux contre les esprits ludiques, le grand combat du sens contre la dérision anarchiste. Gaspard est assurément du second camp. Puisque un faisceau de hasards l’a lâché dans l’existence en le privant de destin comme on prive un gosse de dessert, alors autant qu’il s’amuse de tout et de rien.

Jules Matton a commencé musicien, il est maintenant écrivain, il finira sans doute humoriste. Tout écrivain devrait finir humoriste: l’heure arrive inéluctablement où nous ne sommes plus capables de prendre nos balbutiements au sérieux, où nos voluptés, nos élans, nos passions, nous semblent grotesques et où le grotesque nous semble plaisant. Sans doute revenu de tout sans être allé nulle part, Jules Matton a pigé, contre-pigé, fait le tour de Paris en 250 pages et compris l’absurdité de celui-ci. 

Le burlesque climatisé

Lecteurs de Causeur, je pourrai finalement vous convaincre de lire Gaspard en vous disant qu’il est le fils caché et illégitime de Philippe Muray et d’Elisabeth Lévy. Comme Voltaire au pays de Pangloss, il est un extraterrestre dans le monde moderne. S’il est dans ce monde, il n’est pas de ce monde: c’est un enfant des décadents du XIXème, des non-conformistes des années 30, des catholiques sociaux, et des hussards. Il est exilé d’un royaume dont la souveraineté relève de la poésie.


Parce que le monde est climatisé – l’espace comme le langage – il y attrape des rhumes et ses éternuements donnent des lignes magnifiques. Il ne supporte à la limite du monde moderne que les engins qui permettent de le fuir, ou l’art abstrait, le sport et le rock qui le tournent en ivresse. Face à lui, la modernité est un surf sur les lames du paraître, un jerk halluciné sur les pistes de l’instant. Pas l’instant de grâce qui rassemble, commémore ou suggère. L’instant qui efface. L’éponge du néant. Le primat de l’innovation qui impose le vertige d’une toupie en état de rotation. Gaspard ne va sans doute pas très bien mais il est détaché des sirènes de l’époque et il croit encore à des absolus: l’amitié, l’amour et la beauté. Ses points d’appui sont immémoriaux et pour ainsi dire anthropologiques: l’histoire au long cours de notre vieux pays, et des nuits de l’esprit. Là où l’on veut lui faire croire que tout est dans tout, tout est relatif, tout est art, il esquisse un sourire tendre…

Si je devais finir par un conseil, je lui dirais celui que donne Woody Allen au héros de Minuit à Paris qui cherche sans fin à remonter le temps, et qui a été si bien formulé par Philippe Muray « tout a toujours été irrespirable ».

Gaspard de Jules Matton (Léo Scheer)

Petite psychologie de la crise des retraites

Dans la crise actuelle provoquée par la réforme des retraites, chacun des acteurs principaux prétend poursuivre un objectif parfaitement logique. Pourtant, seuls ceux, peu nombreux, qui savent profiter du chaos peuvent se réclamer de la rationalité. Tribune.


Les politiques, les journalistes, les quidams commentent inlassablement les événements actuels, prétendant expliquer le pourquoi du comment de tout ce qui se passe. Si l’on veut bien regarder la réalité en face, tout le discours sur ce qui justifierait ces grèves et ces manifestations, ce bazar général où chacun se sent défenseur d’une humanité, d’une démocratie soi-disant menacées, tout cela n’est que rationalisation. En langage psychanalytique la rationalisation est le « procédé par lequel le sujet cherche à donner une explication cohérente du point de vue logique, ou acceptable du point de vue moral, à une attitude, une action, un sentiment etc., dont les motifs véritables ne sont pas aperçus » (Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la Psychanalyse).

Des porte-paroles syndicaux jusqu’au simple manifestant, chacun a son discours bien rationnel sur ce qui le fait agir. En réalité la comédie qui se joue échappe à la plupart de ses protagonistes, parce que le chaos n’est pas rationnel. Seuls ceux, et ce sont les plus malins, qui ont toujours considéré le chaos comme le levier principal de leur projet savent tirer profit de la situation. A l’extrême gauche, on rêve du chaos révolutionnaire. Côté RN, on patiente tel Raminagrobis guettant la Belette et le Petit Lapin, en regardant monter sa cote de popularité…

C’est sous le double éclairage de la rationalisation et de la théorie du chaos que l’on peut essayer d’appréhender les choses.

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Une situation de chaos social comme celle que nous vivons démarre sur des données apparemment simples, un facteur déclenchant, en l’occurrence le refus par certains partis et certains syndicats de la Loi Retraite, et particulièrement du départ à 64 ans. Partant de là se met en place un cortège de phénomènes, de discours, de mouvements, de réactions et de contre-réactions qui entraîne des évènements imprévisibles, des incidents ou des accidents, auxquels réagissent la presse et les mouvements sociaux, réactions qui entraînent elles aussi une cascade d’évènements en réaction et ainsi de suite.

Tout cela résonnant en chaque personne, en chaque militant, qui vibre individuellement en fonction de sa personnalité et de ses aspirations (plus ou moins conscientes), qu’il va bien sûr rationaliser en termes de motivations politiques ou professionnelles. A quoi vont s’ajouter les phénomènes de groupe, puis les phénomènes de foule dont on sait qu’ils ne sont pas vraiment propres à la lucidité.

Au bout du compte, ce qui était une revendication qui pouvait s’entendre, devient un foutoir universel à l’évolution totalement imprévisible, comme tout système chaotique, mais que la rationalisation forcenée de tous ses protagonistes contribue à entretenir. Voilà pourquoi, quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir sur cette loi, toutes les personnalités et les organisations influentes qui, depuis le début, ont décidé de déclencher à outrance ce mouvement, comme ceux qui le justifient, jouent avec un feu qui risque de les brûler.

Extinction des feux

La fermeture du fabuleux boui-boui géorgien, « Chez Magda » laisse sa propriétaire, réfugiée politique depuis 2013, à la rue. Un exemple du « social » à géométrie variable de la mairie de Paris, qui préfère loger les crackeurs du quartier.


Chez Magda, dont Causeur a fait l’éloge, c’est fini. Le 15 février, la cabane en bois de cette cuisinière géorgienne d’exception a été démontée et détruite par les services de la mairie de Paris, sans que personne ait pris la peine de l’avertir ni de lui proposer une solution alternative. Nous vous parlions en octobre dernier de cette femme extraordinaire qui avait dû fuir la Géorgie en 2009 et avait obtenu un statut de réfugiée politique en France en 2013. Aidée et soutenue par l’association France terre d’asile, cette ancienne dentiste avait alors reconstruit sa vie en faisant découvrir aux Parisiens ébahis la délicieuse cuisine familiale de son pays, pleine d’épices et de saveurs. En 2019, l’Hôtel de Ville lui avait accordé un emplacement au pied de la rotonde construite par Claude Nicolas Ledoux en 1784, face au bassin de la Villette. Depuis, des centaines de clients n’hésitaient pas à traverser Paris pour venir ici, dans le 19e arrondissement (plutôt réputé malfamé !) afin de déguster sur place, dans une ambiance un peu bohème, les plats voluptueux et sensuels de la belle Magda, notamment son khachapuri : une galette moelleuse et légère au fromage absolument sensationnelle. À défaut d’avoir un vrai restaurant, Magda faisait le lien social. Son « boui-boui » était un lieu de joie où elle servait à ses clients des verres de vin géorgien pour les faire patienter. De surcroît, elle respectait la loi et admirait la France – dont elle parle la langue. La voici donc à la rue, sans ressources, pendant que la mairie de Paris n’hésite pas à financer des centres d’accueil réservés aux drogués qui sèment la terreur autour de la gare du Nord. C’est ce qui s’appelle avoir le sens des priorités sociales.

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Histoire littéraire: place au « matrimoine » !

Les néo-féministes exigent, soit une récriture mutilante des œuvres du passé pour en expurger tout ce qui peut offenser les « minorités », soit une réinterprétation qui projette sur ces œuvres les critères moraux de notre époque. Comme une nuée de criquets pèlerins, cette idéologie assujettit la littérature à une visée militante. Malheureusement, les jeunes d’aujourd’hui, intellectuellement amoindris par une école en faillite, sont faciles à endoctriner.


On constate, désolée, que la polémique suscitée par « L’Oaristys» ou « l’Affaire Chénier » n’était malheureusement qu’un prélude à la bouffée délirante qui semble gagner la gent féminine. Ce poème de Chénier, figurant en 2017 au programme de l’agrégation, avait plongé les préparationnaires dans une insondable perplexité. C’est pourquoi l’association féministe de l’ENS Lyon, nommée facétieusement « Les Salopettes », s’était résolue, si j’ose dire, à prendre les choses en main. Pour ce faire, elle avait relayé une lettre ouverte, écrite par des « agrégatif.ve.s » de Lettres modernes et classiques, adressée au jurys des concours. Les « auteur.rice.s » de la missive demandaient des clarifications sur la manière d’aborder un texte dans lequel  «iels » avaient identifié une indubitable scène de viol. Lâches, les birbes qui sévissent encore dans les jurys des concours de Lettres s’étaient réfugiés dans le silence.

Que de chemin parcouru depuis ! L’affaire Weinstein a secoué le monde entier et maintenant Jennifer Tamas convoque le Grand Siècle pour qu’on n’oublie jamais que « non » est un mot magique. Mme Tamas, agrégée de Lettres modernes qui enseigne la littérature française de l’Ancien Régime à Rutgers University (New Jersey) aux États-Unis nous donne un brillant essai. Intitulé Au non des femmes, cet ouvrage, que Philip Roth aurait sans doute aimé préfacer, se propose de « Libérer nos classiques du regard masculin »

A bas l’interprétation patriarcale !

La quatrième de couverture, une fois n’est pas coutume, révèle assez précisément les… dessous de l’affaire : « Sous les images de princesses endormies célébrées par l’industrie du divertissement, se cachent de puissants refus occultés par des siècles d’interprétation patriarcale ». Ce sont ces refus que Jennifer Tamas propose d’exhumer « avec courage et subtilité ». Elle « traque l’expression du féminin sous le regard masculin et tend savamment l’oreille vers le bruissement des voix récalcitrantes. Conviant les figures dissidentes des siècles anciens, du Petit Chaperon rouge à Bérénice, elle vivifie le discours féministe et trouve chez Marilyn Monroe le secret d’Hélène de Troie. Elle révèle ainsi, non sans un brin d’irrévérence, un magnifique matrimoine, trop longtemps séquestré dans les forteresses universitaires ».

En parcourant ce livre, on a le sentiment d’assister, en toute impuissance, à la défloraison d’une nuée de drosophiles. Le message celé dans les Contes de fées nous est enfin révélé, prenons par exemple « La Belle et la Bête » : « La Bête est l’être fragile, celui qui meurt d’attendre, celui qui est rendu à la vie par l’amour. La Belle, quant à elle, incarne le personnage fort. […] C’est même elle qui finit par demander la bête en mariage ! La logique du consentement sexuel n’expose-t-elle pas justement la fragilité masculine en fortifiant la femme ? »  On apprend également qu’Andromaque et Bérénice ont su dire « non », on découvre que madame de Merteuil n’est pas complètement mauvaise. On voit aussi que la Princesse de Clèves a su évincer Monsieur de Nemours comme Nicolas Sarkozy.

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Cette lecture nous permet d’explorer une faille spatio-temporelle où Virginie Despentes et Mona Chollet devisent avec Euripide et Racine ; où Hélène de Troie est Vanessa Springora mais aussi Marilyn Monroe. Jennifer Tamas déploie impitoyablement une connaissance encyclopédique de la littérature et du cinéma pour nous entraîner dans un monde où tout est dans tout et réciproquement. On touche, et c’est sans doute le but recherché, à la confusion des genres, on retourne enfin au magma originel. Alors, comme Maupassant : « On se sent écrasé sous le sentiment de l’éternelle misère de tout ».

Ce livre satisfait chez son « autrice » un besoin viscéral de penser le monde et de l’appréhender en tant que femme : « J’aurais aimé qu’on m’apprenne la littérature autrement, qu’on me fasse découvrir les œuvres des femmes, qu’on m’explique à travers le prisme du féminin les contes et les fables […] Cet essai aspire à donner à chacun et à chacune le pouvoir de repenser l’histoire littéraire à travers le refus féminin, non pour abolir le passé, mais pour le sortir de l’invisibilité ».

La possédée conclut ainsi son ouvrage : « L’enseignement de la littérature ne doit plus perpétuer les stéréotypes de genre auxquels on l’a réduite. C’est en nous réappropriant les modèles à travers cette archéologie des refus féminins et en renouant avec les autrices oubliées que nous cesserons de « rêver nos vies à travers les rêves des hommes », comme le déplorait Simone de Beauvoir. Je souhaite donc ardemment que nous reconquérions et que nous regardions nos classiques autrement ». Cette dame, on s’en inquiète, n’est pas seule à tenir salon et à agiter une plume qui féconde la sottise.

Ça déferle

Le dernier numéro de la revue trimestrielle La Déferlante, se définissant comme « un média engagé et indépendant »« créé et dirigé par des femmes » pour « penser l’époque au prisme du genre et analyser la société dans une perspective féministe » nous explique, dans un article consacré au « féminisme dans les amphis », que le tsunami se prépare. Après le programme PRESAGE (Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre) lancé par Sciences Po Paris, et l’ouverture, en 2019, à l’université Panthéon Sorbonne du Master Études sur le genre, on nous confie que les parcours d’études se multiplient : « Sur son site internet, l’Institut du genre, un réseau d’enseignement supérieur et de recherche interdisciplinaire qui vise à fédérer les études françaises sur le genre et les sexualités, recense une quinzaine de masters existants, axés aussi bien sur les sciences sociales (de la sociologie à l’histoire, en passant par la science politique et la psychologie) que sur les humanités (littérature, arts, cinéma) ou encore les sports ». Assurément, on va boire le bouillon.

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La Déferlante, qu’on s’est prise, on l’avoue, en pleine gueule, ne propose que des articles « disruptifs » : « En finir avec le patriarcat peut-il sauver la planète ? », « Au cœur des cellules d’enquête sur les violences sexuelles dans les partis de gauche », ou encore « À quand un césar non genré de la meilleure interprétation ? ». Cette revue, créée en mars 2021, dit « compter aujourd’hui plus de 8000 abonné.es et chaque trimestre vendre 6000 exemplaires en librairie ». Elle lance maintenant sa maison d’édition. Le changement sociétal est, on le déplore, de toute évidence, en marche… Du reste Marie Barbier, Lucie Geffroy, Emmanuelle Josse et Marion Pillas, cofondatrices et rédactrices en chef, rapportent les propos prophétiques que Virginie Despentes tint dans leurs pages, à l’automne dernier : « Il va se passer quelque chose, et ça sera collectif ».

Je ne suis même plus sûre de trouver amusant l’entretien proposé par le magazine entre les deux représentantes de ce féminisme inquiétant que sont la députée Rachel Kéké et l’actrice Corinne Masiero. L’éclairage qu’apporte l’échange sur l’atrophie des cerveaux s’avère, tout compte fait, insoutenable.

Corinne Masiero : Est-ce que tu as rencontré personnellement des gens de droite et d’extrême droite avec qui tu as eu un début de conversation ?

Rachel Kéké : Parfois, au restaurant […] Je pense qu’il faut parler avec eux pour comprendre. Il faut lutter contre le racisme par l’éducation. Il faut parler pour les amener à la raison. Je les appelle « les perdus ». Ils ne connaissent pas leur histoire. Ils ont besoin d’aide, en fait.

Nous aussi, je crois.

Théorie du genre à l’école: la propagande continue

Autrefois peut-être, on pouvait croire que les délires idéologiques et le charabia abscons des théoriciens du genre resteraient confinés à des milieux très spécifiques. Maintenant, ils ont submergé le système d’éducation et le champ culturel. Dernier exemple en date: un festival dit « artistique » à Mulhouse. Analyse de Didier Desrimais.


« À tout bien considérer, il semble que l’Utopie soit beaucoup plus proche de nous que quiconque ne l’eût pu imaginer, il y a seulement quinze ans. À cette époque je l’avais lancée à six cents ans dans l’avenir. Aujourd’hui, il semble pratiquement possible que cette horreur puisse s’être abattue sur nous dans le délai d’un siècle. »

Aldous Huxley, préface à la nouvelle édition du Meilleur des mondes, 1946.

En partenariat avec Arte et France 3, la 11e édition du « festival sans frontière » Vagamondes s’est déroulée fin mars 2023 sur la scène nationale de Mulhouse, La Filature. Cet événement a « continué de questionner la notion de frontières (géographiques, idéologiques, sociétales…) [en explorant] cette année la thématique du genre ! », ont expliqué les organisateurs.

L’éditorial du directeur de La Filature est un régal de concentré woke : « Les luttes menées depuis le XXe siècle pour affirmer la place des femmes, puis des personnes LGBTQIA+, ont donné naissance à des mouvements de pensée qui décalent l’approche essentiellement blanche, patriarcale et hétéronormée du monde, ouvrant la voie à l’expression d’identités sexuelles et de genres pluriels. » Après une telle déclaration, ce festival ne pouvait pas proposer autre chose que des spectacles hybrides, queer ou transidentitaires supposés « sillonner des chemins de traverse inédits » et présentés dans une brochure entièrement rédigée en écriture inclusive et en novlangue woke.

C’est ainsi que nous apprenons qu’un duo d’artistes qui « décloisonne pour explorer les identités mutantes » dans « la jungle des métamorphoses humaines et non-humaines », a inauguré le festival ; qu’une exposition “Trans(e)-galactique” a été « transpercée par la diagonale de la joie » ; qu’une spécialiste de la « transe cognitive » et l’autrice Marie Ndiaye (la sœur de notre ministre de Rééducation nationale) ont eu une « conversation télépathique ». Le projet étant de « tisser des liens entre différents mondes pour rêver un mouvement d’abolition des frontières, des binarités et des assignations », les différents spectacles entendaient aborder Les Bacchantes d’Euripide comme une « transition vers un nouveau monde queer », mais aussi combattre le patriarcat, dénoncer la « vision hétéronormée » de Roméo et Juliette et valoriser le pronom « hen » (pronom inventé par les Suédois pour désigner les personnes se disant non binaires) à travers un « être hybride » jouant « avec insolence et humour de sa virilité et de sa féminité ».

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Cette phraséologie insane est issue des différentes théories qui traversent l’idéologie woke et déconstructiviste depuis quarante ans, du néoféminisme à la théorie du genre, du transgenrisme au transhumanisme. Retour aux sources : 

En 1985, dans son indigeste Manifeste cyborg, l’universitaire américaine Donna Haraway appelait de ses vœux un être hybride, un mutant mi-homme mi-machine, fluide, perméable, non binaire, une nouvelle « corporéité », un « corps commun » susceptible d’évacuer les clivages entre les humains et les non-humains (les animaux aussi bien que les pierres, les arbres ou l’eau) et de « déplacer » les limites biologiques et les distinctions sexuelles ou raciales. Cet être idéal serait « non plus structuré par le modèle de la famille organique » mais par une « cité technologique » rejetant « la tradition occidentale des sciences et de la politique – tradition de la domination masculine, raciste et capitaliste»[1]. En plus de l’injonction faite aux humains de ne plus faire d’enfants pour « sauver la planète », la dernière obsession de Haraway est que l’humanité devienne du… compost – et que la décomposition des hommes se mêle à celle de « tous les organismes vivants » afin de « rester dans le trouble » d’une « vie symbiotique » débarrassée de toute trace humaine. De son côté, Judith Butler a fait de la « performativité du genre » le noyau d’une réflexion beaucoup plus simple que ne le laissent accroire les pages de bouillie intellectuelle et de verbiage pseudo-philosophique qui composent l’essentiel de son œuvre phare, Trouble dans le genre. Comme Donna Haraway, Judith Butler vise l’abolition des différences biologiques et sexuelles, la destruction des rapports familiaux et sociaux et celle des concepts philosophiques et scientifiques occidentaux. Aussi délirantes que puissent paraître ces théories, elles ne sont pas sans conséquences : « l’humusation » du corps des défunts est autorisée dans six États américains et réclamée par des écologistes en France et en Belgique ; la « performativité du genre » est aujourd’hui agréée dans plusieurs pays européens qui ont décidé d’autoriser les changements de sexe et de nom aux personnes en faisant simplement la demande. 

Affiche du 11e festival Vagamondes, 17-31 mars 2023, Mulhouse.

Il est peu probable que les organisateurs et les participants du festival Vagamondes aient lu Haraway et Butler. Peut-être ont-ils eu connaissance des noms et des délires de ces théoriciennes grâce aux individus médiatisés – Éric Fassin, Paul B. Preciado et consorts – devenus les porte-parole officiels de cette mélasse intellectuelle. Il est possible également qu’ils se soient contentés de gober la propagande répandue sur les réseaux sociaux, dans les milieux dits culturels et leurs avatars (publicités, films, séries) ou grâce à la multitude d’associations divulguant l’idéologie du genre. Cette propagande est partout. Le plus grave est qu’elle commence dès l’école. Aucun ministre de l’Éducation nationale n’a pu, su ou voulu endiguer ce phénomène, et M. Pap Ndiaye n’a visiblement aucune envie d’empêcher que cette folie continue de contaminer les élèves. Pourtant, écrit Jean-François Braunstein dans son dernier essai, « la théorie du genre n’est pas une catégorie de la pensée woke parmi d’autres, elle en est le cœur, la première découverte, qui ouvre la voie à tous les assauts contre la science et contre la réalité elle-même ».[2]

La propagande à l’école continue son œuvre destructrice. Durant ce fameux festival, par exemple, une journée entière a été dédiée au « public scolaire pour parler de l’identité et du genre », nous apprennent les Dernières Nouvelles d’Alsace. Les crânes de deux cents élèves ont ainsi été bourrés de toutes les inepties issues de la théorie du genre et du néoféminisme. Au prétexte de sensibiliser les collégiens et les lycéens « aux discriminations dont sont victimes les personnes LGBTQIA+ », les élèves ont suivi un atelier sur… l’écriture inclusive au début duquel chacun a dû se présenter en précisant son genre, « il, elle, iel… ». Une comédienne a lu un texte de théâtre en écriture inclusive, puis il a été demandé aux élèves d’« inventer un court dialogue en écriture inclusive entre trois personnages sur le thème de l’amour, l’amitié, la famille ». Non seulement les directives ministérielles d’Édouard Philippe et de Jean-Michel Blanquer interdisant l’utilisation de l’écriture inclusive dans les institutions et l’administration publiques n’ont été suivies d’aucun effet mais certains enseignants n’hésitent pas à promouvoir ce galimatias idéologique. Ce n’est pas fini : lors de cette même journée, un comédien a demandé aux élèves d’« énumérer tous les clichés sur les hommes et les femmes avant de proposer des jeux pour les déconstruire ». L’association “Dis bonjour sale pute” (sic) a animé un atelier pour « familiariser les élèves avec les termes liés à la minorité de genre » durant lequel le transgenrisme a été valorisé et certains mots « décryptés » (sexisme, patriarcat, transidentité, virilité, consentement, cisgenre, non binaire, etc.). 

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C’est à une guerre sournoise contre la pensée, contre la science, contre la réalité et contre l’humanité, que se livrent les théoriciens du genre et leurs émules wokes. L’indistinction sexuelle et le transgenrisme ne sont que le prélude au délire transhumaniste, à ce techno-monde dans lequel le corps, considéré comme une inutilité ou un obstacle, doit être supplanté par une « pleine conscience de soi » numérisée, et perdre son caractère sacré pour devenir un objet de consommation comme un autre (GPA, vente d’organes, etc.) ou de recyclage comme n’importe quel déchet (le « compostage humain »). Cette guerre contre l’humanité, l’Éducation nationale y participe. Le ministre y participe. Des recteurs d’académie y participent. Des chefs d’établissement scolaire y participent. Des enseignants y participent. Bêtise, lâcheté et conformisme se tiennent la main au moment de céder devant des idéologues proclamant l’avènement d’un monde radieusement hybride, fluide, sans limites biologiques, sans différence sexuelle, un monde dans lequel « les gens n’ont pas d’enfants », « n’ont pas peur de la mort et sont dans une sereine ignorance de la passion et de la vieillesse », où l’emploi inopiné des mots « parents », « père » ou « mère » évoque un « fait historique désagréable », un monde dans lequel la lecture d’Othello et de Roméo et Juliette est interdite et la promotion des « Ingénieurs en Émotion » assurée – un monde ressemblant au pire du Meilleur des mondes, en somme.[3]


[1] Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais (Éditions Exils, 2007).

[2] Jean-François Braunstein, La religion woke, Éditions Grasset, 2022).

[3] Voir Aldous Huxley, Le meilleur des mondes et Retour au Meilleur des mondes (Pocket).

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Etats-Unis : l’inculpation de Trump fausse le jeu de la démocratie!

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Les 34 accusations formulées par le procureur new-yorkais contre l’ex-président constituent un exemple d’acharnement judiciaire à des fins politiques. Tribune libre d’Alain Destexhe, Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins Sans Frontières.


Ne nous y trompons pas : l’inculpation de Donald Trump est un fait majeur dans l’histoire de la démocratie américaine.

Le 45ème président est victime d’un acharnement sans précédent depuis sa candidature à l’élection présidentielle de 2016. Il a été insulté et caricaturé comme aucun président avant lui. La haine qu’il suscite est à la mesure de la menace qu’il représente pour le deep state, c’est-à-dire l’establishment de hauts fonctionnaires qui contrôlent l’essentiel du pouvoir aux Etats-Unis, dominé par les Démocrates. Pourtant Trump n’a entravé aucune liberté publique, n’a poursuivi aucun journaliste (contrairement à Obama), a obtenu avant le Covid de remarquables résultats en matière économique, n’a jamais tenu le moindre propos raciste, a condamné le « suprémacisme blanc » qui n’existe pourtant que dans l’imagination des médias et des activistes. 

Si Trump n’était pas à nouveau le favori républicain des sondages, il n’aurait jamais été inculpé. Inculpation pour 34 motifs – afin de frapper les esprits – de «falsification de documents commerciaux», 34 motifs qui se ressemblent, comme si un juge français avait mis un individu en examen, pour 34 chèques ou documents différents au lieu de faire une seule inculpation avec 34 éléments à charge. Le « hush payement » versé à Stormy Daniels, un « payement silencieux » est une pratique courante aux Etats-Unis. Par définition, son but est d’obtenir une certaine discrétion en échange d’une transaction financière. Le procureur affirme que cette dernière s’est faite via les sociétés de Trump, ce qui est illégal, mais il s’avère que l’ex-président a bien payé les montants avec ses fonds personnels via un transit par une de ses sociétés : une accusation donc pour le moins ténue, voire ridicule.

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Il n’empêche, dans le climat hyperpolarisé américain, les grands médias, à l’exception de Fox News, se réjouissent de cette inculpation qu’ils dénonceraient avec la plus grande véhémence si un Démocrate était visé. Hillary Clinton qui a violé la loi en utilisant un serveur privé pour ses communications officielles par courriels lorsqu’elle était Secrétaire d’État et dont la campagne a payé pour le « Steele dossier », créant de toutes pièces une soi-disant collusion entre Trump et la Russie (l’affaire du « Russiagate »), n’a pas été inquiétée, pas plus que Joe Biden et sa famille dont il faudra sans doute attendre qu’il ne soit plus président pour que la lumière soit faite sur leurs liens financiers avec la Chine et l’Ukraine.

Que dirait l’administration Biden (et les médias) si dans un pays d’Amérique latine ou de l’ex-URSS, le principal opposant au régime voyait sa maison envahie par des dizaines de policiers, ses affaires les plus intimes (et celles de sa femme) fouillées et confisquées par le pouvoir et était inculpé à quelques mois d’une élection majeure ? Quelle crédibilité aura-t-elle demain pour dénoncer, comme elle ne s’en prive pas un peu partout dans le monde, les « atteintes à la démocratie »? 

Si la base républicaine se rallie autour de Trump et le fait encore grimper dans les sondages, la bataille électorale présidentielle se joue autour des 10 à 15% d’électeurs indécis qui peuvent changer de bord d’une élection à l’autre. La stratégie du Parti démocrate, relayée par la plupart des médias, est claire : faire de Trump le challenger du président sortant car il sera plus facile à battre que Ron DeSantis, beaucoup d’indécis étant las du feuilleton sans fin de la saga Trump. En instrumentalisant la justice à des fins politiques, ceux qui n’ont que le mot de démocratie à la bouche ne lui rendent pas service.

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Marin de Viry: la France galante

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Avec La Montée des périls, Marin de Viry donne un roman chic, drôle et désenchanté


C’est un peu par contradiction que j’ai choisi ce titre pour illustrer mon article consacré au roman de Marin de Viry, chroniqueur à la Revue des Deux Mondes, auteur de Mémoires d’un snobé, publié par le regretté Pierre-Guillaume de Roux. Paul de Salles, personnage principal de La montée des périls, bien qu’il soit raffiné et désabusé comme Paul Morand, n’aime pas l’auteur de L’Europe galante. C’est une faute de goût, mais nul n’est parfait, même chez les snobs.

Né sous Mitterrand, détaché de la politique sous Chirac

De Salles, écrivain et critique littéraire à l’hebdomadaire La Gauloise, traîne son ennui dans un Paris devenu sans intérêt pour lui, en particulier dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés où l’on révère désormais Kim Kardashian. Marin de Viry écrit, à propos de Paul: « À 38 ans, il était né sous Mitterrand, s’était détaché de la politique sous Chirac – ses seules émotions politiques avaient été le discours de Philippe Séguin rejetant l’accord de Maastricht, prononcé en mai 1992 et que Paul avait écouté en 2000, puis celui de Dominique de Villepin à l’ONU en février 2003, ultimes soubresauts de l’expression de la souveraineté française. Depuis plus rien. » Constat affligeant car réaliste. Le désenchantement de Paul n’est pas sans rappeler celui d’un personnage de Michel Houellebecq. Mais la comparaison s’arrête là.

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De Salles porte des vestes en cachemire, pas une parka Camel Legend défraîchie. Il ne prend pas d’autostoppeuses en short effrangé à la sortie d’une autoroute espagnole. Pas son genre. La preuve, c’est qu’il va tomber lentement, très lentement, amoureux d’Erika Dauze, 29 ans, rencontrée lors d’un cocktail chic, au Palais de Tokyo, « qui ressemble à une chancellerie fasciste dévastée par un assaut d’infanterie, reconvertie après le conflit en temple de l’extase culturelle humaniste. » Comme on peut le constater, Marin de Viry ne manque pas d’humour. C’est parfois grinçant, jamais sarcastique. Erika travaille pour « une ravissante idiote » persuadée qu’elle sera un jour présidente de la République. Vous me direz, après dix ans de Macron, tout sera envisageable. Le marivaudage entre Paul et Erika semble improbable, mais il est possible que certains couples, dans des milieux très fermés, le pratiquent encore.

Souplesse de la phrase

Cela donne une scène assez savoureuse vers la fin du roman où Erika, avant de présenter Paul à ses parents, lui fait passer un examen de bonne conduite. Il faut dire que le père de la piquante élue est « un homme qui prépare très sérieusement ses réunions depuis qu’il a douze ans. » Quand je vous dis que nous ne sommes pas chez Houellebecq. Pourtant, au début du récit, l’auteur se laisse aller à une petite confidence grivoise. Il rappelle que Chateaubriand – pas une indiscrétion sur Bukowki, n’exagérons pas – avait écrit une bonne partie du Génie du Christianisme sur les fesses de Pauline de Beaumont. On comprend mieux la souplesse de la phrase du vicomte.

Marin de Viry, La montée des périls, Éditions du Rocher.

De la Russie à la Chine, Emmanuel Macron et l’illusion de la «puissance d’équilibre»

Le voyage d’Emmanuel Macron à Pékin et la valorisation de la Chine comme faiseur de paix font écho aux erreurs stratégiques commises par le président français à propos de la Russie. À l’origine de ce « mal français », une excessive confiance en soi et l’illusion de pouvoir se poser en puissance d’équilibre.


Autrefois persuadé que son entregent pourrait « retourner » Vladimir Poutine, Emmanuel Macron arguait du poids de la Chine populaire qu’il fallait contrebalancer. Pour les besoins de la cause, le président français, peu au fait de la Russie-Eurasie, reprenait le slogan poutinien d’une « Europe de Lisbonne à Vladivostok » dont il se voyait le concepteur et l’architecte. En toute intimité, il recevait le maître du Kremlin au fort de Brégançon, le 19 août 2019, peu avant d’admonester les diplomates rétifs à ce constructivisme et de dénoncer l’« État profond » qui saboterait ses projets grandiloquents. On sait ce qu’il advint du « reset » à la française. Jusqu’au bout pourtant, le président français voulut ne pas voir ce qui se préparait sur le front ukrainien.

Vladimir Poutine au Fort de Brégançon, août 2019 © Gerard Julien/AP/SIPA

Pire encore. Ne pas avoir compris que Poutine préparait une grande offensive militaire, donnant une nouvelle ampleur à la guerre déclenchée neuf ans plus tôt, serait une manifestation d’intelligence. Les Français sont « cartésiens » paraît-il, et le réel est vraiment trop bête. C’est pourquoi les Américains et les Britanniques, obtus, comprirent ce qui se tramait. Damnés « Anglo-Saxons » ! Quant aux Polonais, Baltes et autres Centre-Européens, prisonniers de leur « russophobie », ils auraient bénéficié d’un effet d’aubaine. Qui sait si leurs noires anticipations ne précipitèrent pas les événements ?!

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En Europe, on hésite encore à désigner clairement la menace sino-russe

Le 5 avril 2023, Emmanuel Macron, enclin à expliquer au président ukrainien ce qu’est un vrai homme d’État, s’en est donc parti en Chine populaire pour y trouver un « chemin de paix », dixit. Désormais, l’enjeu est de « retourner » Xi Jinping, tyran néo-maoïste et ami de son homologue russe auquel il apporte son soutien politique, diplomatique et économique, avec des effets évidents sur le plan militaire (financement indirect de l’effort de guerre, vente de composants électroniques et de semi-conducteurs, dont certains se retrouveraient dans les drones iraniens). En mars dernier, à Moscou, Xi Jinping et Poutine levaient leurs verres devant les caméras, trinquant à l’avènement d’une nouvelle ère mondiale : un ordre post-occidental qui ferait de l’Europe un petit cap de l’Asie.

Le président français n’en persiste pas moins à louer le « plan de paix » chinois, un catalogue d’éléments de langage qui ignore l’agression russe. Vus de Pékin, les États-Unis et l’OTAN seraient responsables du fait que les chars et les fantassins de la Russie occupent le cinquième du territoire ukrainien, l’artillerie, les drones et les missiles détruisant ce que l’armée russe ne peut conquérir. Certes, il est possible d’entendre les propos lénifiants d’Emmanuel Macron comme des « ambiguïtés constructives » – ignorer ce qui fâche pour aller de l’avant sur un certain nombre de questions –, mais comment donc croire que Pékin se prêtera à un tel jeu ? Redoutons plutôt que le président français cède à la flatterie et se contente de « verroterie » (une condamnation de la guerre et un appel aux négociations).

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L’idée chinoise est d’instrumentaliser la guerre d’Ukraine pour affaiblir les États-Unis, à nouveau centrés sur le théâtre européen, tout en cherchant à les dissocier de leurs alliés continentaux. D’une certaine manière, insister comme le fait le président français sur le « rôle majeur » de Pékin en Ukraine signifie déjà lui accorder une victoire symbolique, comme si la Chine populaire avait entre ses mains la sécurité du Continent. La Pax Sinica serait l’avenir de l’Europe, avec en toile de fond le découplage transatlantique voulu par Xi Jinping. L’alliance sino-russe s’inscrit dans cette perspective géopolitique.

En vérité, les risques et périls liés aux ambitions de Xi Jinping furent et demeurent sous-évalués, en France et dans certains pays européens (voir l’Allemagne). Au sein de l’Union européenne, on hésite encore à désigner la menace chinoise, les textes officiels mêlant considérations sur la « compétition stratégique » (un nouveau type d’olympiades ?) et variations sur les « opportunités économiques », ce qui permet de bannir du vocabulaire les concepts d’« ennemi » et d’« hostilité ». Il est même exclu de parler de la Chine populaire comme « adversaire », ce qui serait déjà une manière d’euphémiser et de mutiler la réalité [1].

Ainsi se souvient-on de l’ironie d’Emmanuel Macron lors du sommet de l’OTAN de Bruxelles du 14 juin 2021. Il y soulignait que la Chine n’apparaissait pas sur une carte de l’Atlantique [2]. Pourtant, un tel volontarisme, ignorant des servitudes qui pèsent sur l’action internationale, avait déjà entraîné des contre-effets. Il faut ici rappeler le désastreux accord Union européenne/Chine sur les investissements, signé à l’extrême fin de la présidence allemande, le 30 décembre 2020, avec le soutien de la France. Il fut suspendu en mai 2021, un mois avant le sommet de Bruxelles. Cela n’empêcha pas le président français de dauber et de jouer les donneurs de leçons. Un mal français ?

Von der Leyen plus ferme que Macron?

Depuis, le ton s’est durci. Rendons grâce à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen qui accompagne Emmanuel Macron en Chine populaire. Celle-ci est pleinement consciente du fait que « l’objectif clair du Parti communiste chinois est un changement systémique de l’ordre international, focalisé sur la Chine ». Emmanuel Dubois de Prisque parlait de « sino-mondialisation », avec l’antique concept de « Tianxa » en guise de justification et de formule idéologique (« Tout sous le ciel »). Selon cette version sino-russe de « Times are changing » (Bob Dylan), la séculaire hégémonie occidentale aurait vécu et le monde basculerait vers l’Eurasie. Afin d’accélérer ce processus, les Européens sont invités à jouer le rôle d’« idiots utiles ». Après le « Paris-Berlin-Moscou » des années 2000, pense-t-on à Pékin, il se trouvera bien quelques personnes prêtes à embarquer dans une nouvelle « croisière jaune »: Paris-Moscou-Pékin. Ce faisant, pourquoi ne pas pousser jusqu’à Pyongyang ?

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À l’Élysée, on aime à répéter que la Chine est fort loin et qu’elle ne menace pas les frontières européennes. N’en déplaise à notre président-topographe, la menace véhiculée par la sino-mondialisation n’est pas géographiquement limitée à une lointaine « Asie-Pacifique ». Les enjeux que recouvrent le droit de la mer et le principe de libre navigation, dans les « Méditerranées asiatiques » (mers de Chine du Sud et de l’Est) et sur les océans Indien et Pacifique (la région Indo-Pacifique), ont une dimension très concrète : les deux cinquièmes et plus des échanges entre l’Europe et l’Asie transitent par la mer de Chine du Sud. Une action militaire chinoise dans le détroit de Taïwan [3], fût-elle limitée à un blocus naval, aurait des répercussions en Europe, sans parler d’une grande guerre sino-américaine avec Taïwan pour enjeu.

Aussi se demande-t-on parfois si les thuriféraires de la mondialisation ont bien compris que ce long processus historique, porté et dynamisé par la technique (l’arraisonnement du monde), n’est pas réductible à ses aspects économiques, commerciaux et financiers. La mondialisation constitue aussi une réalité géostratégique : elle est à la fois marchande et guerrière. Indubitablement, un grand conflit armé en Asie de l’Est concernerait l’Europe comme l’Amérique du Nord.

D’autre part, la Chine populaire projette pouvoir et influence dans l’environnement géographique même de l’Europe, de l’Arctique à la mer Méditerranée, et même à l’intérieur de l’Union européenne – voir le groupe « 16+1 », certes bousculé par la nouvelle conjoncture géopolitique [4] –, et les agissements ouverts ou occultes de Pékin en Europe occidentale (investissements dans des secteurs stratégiques, saisie de «pépites » technologiques et achat des consciences). Il faut aussi redouter que la flotte de guerre chinoise renforce sa présence en Méditerranée afin de protéger ses intérêts commerciaux et ses investissements portuaires dans une mer ouverte aux vents du grand large.

En guise de conclusion

Bref, la sécurité de la zone euro-atlantique et celle de l’Indo-Pacifique sont interdépendantes, d’autant plus que la France est défiée par la progression chinoise dans cette dernière zone : les îles Salomon, avec lesquelles Pékin a négocié un « pacte de sécurité » (20 avril 2022), sont proches des possessions françaises du Pacifique-Sud [5]. Au regard du niveau des enjeux, des rapports de puissance et de l’importance de la cohésion occidentale pour l’unité et la sécurité de l’Europe, il est vain et contre-performant de prétendre jouer les puissances tierces, serait-ce pour donner le change. Il serait plus avisé de rapprocher la France du Quad indo-pacifique, voire de… l’AUKUS (la fameuse alliance Washington-Canberra-Londres) [6].

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En somme, le thème de la « puissance d’équilibre » est une illusion. Mettre ce syntagme au pluriel (« puissance d’équilibres ») ne fait que le rendre plus confus encore. Même édulcoré, ce « titisme à la française » fausse la perception des enjeux et des réalités géopolitiques. Nation historiquement occidentale, la France y perd son âme ; l’idéologie du non-alignement n’est jamais qu’un renoncement à tout patriotisme de civilisation, une forme de consentement à la résorption dans un ensemble afro-eurasiatique. Du front ukrainien au détroit de Taïwan, de l’Atlantique au Pacifique, la France devrait être solidaire de ses alliés occidentaux et des nations du Monde libre, sans faux-semblants.

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Source : Institut Thomas More


Notes

[1] La notion d’ennemi est centrale en politique, compris comme une essence (« lo politico » par opposition à « la politica »). En l’absence d’hostilité, de conflit et d’ennemi, il n’y aurait pas de politique mais un simple problème de gestion et d’administration des choses. S’il fallait attendre que les premières frappes et l’ouverture d’un conflit armée pour pouvoir parler d’ennemi, comment diable conduire une politique étrangère, mettre en place des alliances, organiser un dispositif militaire et préparer des plans de guerre?

[2] Il s’agit du sommet de Bruxelles (juin 2021), au cours duquel l’OTAN a entamé son pivotement vers la Chine (le « China turn »). Dans le communiqué final du sommet atlantique de Bruxelles, en date du 14 juin 2021, un article entier est consacré à la Chine populaire : « Les ambitions déclarées de la Chine et son assertivité présentent des défis systémiques pour l’ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l’importance pour la sécurité de l’Alliance. Nous sommes préoccupés par celles des politiques coercitives qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales inscrites dans le traité de Washington. La Chine accroît rapidement son arsenal nucléaire, se dotant d’un plus grand nombre d’ogives et de vecteurs sophistiqués pour établir une triade nucléaire. Elle fait preuve d’opacité dans la mise en œuvre de la modernisation de son appareil militaire et dans celle de sa stratégie de fusion militaro-civile publiquement déclarée. Elle coopère par ailleurs avec la Russie dans le domaine militaire, notamment en participant à des exercices russes dans la zone euro-atlantique. Nous restons préoccupés par le fait que la Chine manque souvent de transparence et a fréquemment recours à la désinformation. Nous appelons la Chine à respecter ses engagements internationaux et à agir de manière responsable au sein du système international, notamment dans les milieux spatial, cyber et maritime, en conformité avec son rôle de grande puissance » (point 55). Le point 56 porte également sur la Chine populaire, et en appelle au « dialogue ». L’année suivante, le  29 juin 2022, le sommet atlantique de Madrid confirmait ce « China turn ». Le nouveau Concept stratégique mentionne à sept reprises la Chine populaire. Le point 13 est rédigé comme suit : « La République populaire de Chine affiche des ambitions et mène des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs. Elle recourt à une large panoplie d’outils politiques, économiques et militaires pour renforcer sa présence dans le monde et projeter sa puissance. Parallèlement, elle entretient le flou quant à sa stratégie, à ses intentions et au renforcement de son dispositif militaire. Ses opérations hybrides ou cyber malveillantes, sa rhétorique hostile et ses activités de désinformation prennent les Alliés pour cible et portent atteinte à la sécurité de l’Alliance. Elle cherche à exercer une mainmise sur des secteurs technologiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique et des matériaux et chaînes d’approvisionnement stratégiques. Elle utilise le levier économique pour créer des dépendances stratégiques et accroître son influence. Elle s’emploie à saper l’ordre international fondé sur des règles, notamment pour ce qui concerne les domaines spatial, cyber et maritime. Le resserrement du partenariat stratégique entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, ainsi que leurs tentatives, se conjuguant entre elles, qui visent à déstabiliser l’ordre international fondé sur des règles, vont à l’encontre de nos valeurs et de nos intérêts. » Le point 14 souligne le fait que les Alliés sont ouverts à la coopération mais la Chine est ensuite mentionnée sous l’angle de la menace nucléaire (point 18), des cyber-menaces et de la menace hybride (point 43).

[3] Voir Laurent Amelot, Charles-Emmanuel Detry et Éric Vincent Grillon, Le statu quo dans le détroit de Taïwan peut-il se maintenir ?, Institut Thomas More, note 60, avril 2023.

[4] Lancé en 2012, le forum « 16 +1 » réunit la Chine populaire et des pays d’Europe centrale et balkanique. Un dix-septième participant, la Grèce, l’a rejoint par la suite. En revanche, la Lituanie en est sortie et elle a autorisé l’ouverture à Vilnius d’un « bureau de représentation de Taïwan » (novembre 2021). Depuis, Pékin mène à ce pays, membre de l’OTAN et de l’Union européenne, une forme de « guerre hybride ». Voir Laurent Amelot, Le rapprochement entre Taïwan et les pays d’Europe centrale et orientale. Concilier effet de bascule et logique de puissance, Institut Thomas More, note 59, février décembre 2023.

[5] Voir Laurent Amelot, Hughes Eudeline et Jean-Sylvestre Mongrenier, La Nouvelle-Calédonie dans la France : les enjeux géopolitiques du référendum du 12 décembre, Institut Thomas More, note d’actualité 77, décembre 2021.

[6] Le Quad Indo-Pacifique est une structure de coopération qui regroupe les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Fondé en 2004 pour faire face aux effets du Tsunami en Asie, le Quad a été formalisé en 2007, en marge d’un sommet de l’ASEAN (Association des nations d’Asie du Sud-Est). Relancée en novembre 2020, cette structure de coopération a tenu un sommet virtuel l’année suivante, ses chefs d’État et de gouvernement publiant alors une tribune collective (12 mars 2021). Le « Quad + » consiste en un élargissement ponctuel du Quad Indo-Pacifique à d’autres pays de la région tels que la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, le Vietnam, voire d’autres pays de l’ASEAN, en vue d’instaurer une coopération plus large.

Coup de rouge

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Ici, la liberté du chroniqueur est totale. Pour autant, avant d’écrire, j’aime bien prendre la météo de l’humeur de la rédactrice en chef. « Tu es très sérieux dans tes deux premiers textes ! » Elle dit « très », j’ai compris « trop ». Alors allons-y, prenons le chemin d’une mégabassine de poilade, dégoupillons une bombe de désencerclement pour étourdir la foule des fâcheux et des fâchés. J’ai donc commencé par la lecture du dernier livre d’Éric Zemmour. La première citation m’a fait sourire. L’auteur convoque le souvenir de Georges Marchais, mais avec une regrettable approximation. « Vous avez vos questions, j’ai mes réponses ». Non, non ! Il faut écrire, « C’est peut-être pas votre question, mais c’est ma réponse » (« Le grand débat », 3 mars 1981) et rien d’autre. Comment un candidat à l’élection présidentielle a-t-il pu à ce point ne pas répondre à la question sociale, aux injustices, à l’humiliation des gens de peu à qui Macron ne propose aujourd’hui que le choix entre résignation et radicalité sans perspective ?

À lire aussi : Dernière rénovation, Sainte-Soline : l’activisme d’extrême-gauche contre la raison

Mais ne nous laissons pas distraire, je sais ce que traduit ce « trop sérieux ». La réforme des retraites ne serait pas si douloureuse. Et cette « COLÈRE », vous n’en faites pas un peu trop, les opposants ? Deux ans de plus, rien de bien méchant ! Ce salarié d’une entreprise de l’agroalimentaire à Quimper, qui n’a jamais connu, en vingt-deux ans d’activité professionnelle, un pot de départ à la retraite de l’un de ses collègues, ne peut-il pas prendre un peu sur lui ? Les collègues ? Tous partis avant le discours de la direction, avant les accolades entre copains, avant le cadeau : un abonnement à Causeur pour comprendre qu’il y a d’autres sujets plus conséquents que celui d’une retraite en bonne santé.

Mais ne nous laissons pas attendrir, dans cette période entre chien et loup, rions un peu ! Alors que notre pays ne produit toujours pas assez pour se redresser réellement, l’intelligence artificielle ChatGPT fait des merveilles.

Question : Qui est emporté par la foule ?
Réponse : « Emporté par la foule est une chanson française de 1962 interprétée par le chanteur français Michel Polnareff ».
Pensée pour la môme Piaf.

Question : Élisabeth Lévy sera-t-elle appelée à Matignon ?
Réponse : « Je suis une intelligence artificielle et je n’ai pas accès aux informations privées ou confidentielles […] je vous suggère de suivre les informations publiques et les actualités pour être informé si une telle nomination est annoncée. »
Ce que nous ferons.
À vrai dire, le chroniqueur n’a pas le cœur à poursuivre l’exercice, alors que la gravité de la période actuelle nous éloigne dangereusement d’un avenir commun. Les cœurs et les âmes se noircissent sans que cela attire la lumière comme savait si bien le faire Pierre Soulages. Notre débat public s’abîme à une vitesse folle. La nuance et la complexité deviennent une audace qui se fracasse contre les murs des émotions et des pulsions. Le marketing et la morale remplacent la politique. J’ai la nostalgie des débats des dernières décennies et je me surprends à passer de plus en plus de temps sur les archives de l’INA.
Mais toute journée apporte cependant sa surprise, sa fulgurance, sous la forme d’une pensée, d’une rencontre, d’un livre.

Question : Est-il possible d’espérer ?
Réponse : « Oui, il est possible d’espérer. […] Bien que la vie puisse parfois être difficile et imprévisible, il est important de garder espoir et de croire que les choses peuvent s’améliorer à l’avenir. »
Ce que nous ferons.

«Vous ne verrez pas ma binette sur CNews!»

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Sophie Binet enterre la CGT du patriarcat moustachu. Elle est jolie, elle a la tête d’une Marie-Chantal bien élevée, mais dedans, c’est peut-être pire encore que Philippe Martinez!


La CGT en a fini avec l’ère du patriarcat moustachu à la papa. Fini Philippe Martinez, place à la jeune et séduisante Sophie Binet. Le militantisme syndical s’est professionnalisé en élisant une femme à peine quarantenaire, connue pour son engagement à gauche toute depuis plus de quinze ans. Sophie Binet fut en effet l’une des figures de la contestation contre le Contrat Première Embauche, mouvement lors duquel elle était alors à la tête de l’UNEF, longtemps centre de formation des caciques du Parti socialiste. En 2016, celle qui était devenue permanente de la CGT s’opposa au gouvernement socialiste et à la loi travail de Myriam El Khomri.

Un CV vide

Cette ancienne adhérente du PS coupait le cordon avec la maison mère, au moment où la synthèse issue du congrès d’Epinay s’effondrait sous le poids de ses propres contradictions, faisant des alliés d’autrefois des ennemis pour la vie, l’aile réformiste reprise par Valls et Macron entrant officiellement en conflit ouvert avec les socialistes canal historique toujours fidèles aux idéaux marxistes. On se doute d’ailleurs que les petits jeux politiques ont dû plus passionner Sophie Binet que le travail en bonne et due forme, son parcours professionnel présentant quelques absences…

A lire aussi, Paul Rafin: Violences d’extrême gauche: ils singent inlassablement la Révolution française

La première femme à diriger la CGT depuis sa formation en 1895 a un CV vide. Etudiante en philosophie, militante à l’UNEF et un temps CPE, elle a été très vite détachée pour prendre la direction de l’Union des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT-CGT). On se demande bien pourquoi cette branche n’a pas pris un véritable ingénieur ou technicien pour la représenter, mais soit. Son prédécesseur fut quant à lui un véritable travailleur, technicien métallurgiste aux usines Renault de Boulogne-Billancourt, mais à l’heure où le nombre de cadres a dépassé le nombre d’ouvriers en France, la nomination de Madame Binet doit être dans l’air du temps de notre économie post-industrielle…

Une gauche intolérante

Dogmatique, très concentrée sur les enjeux de société, Madame Binet a fait la première démonstration de son sectarisme en refusant de répondre aux questions de CNews, invoquant sa défense du « pluralisme » que la chaine ne garantirait pas. On peut pourtant y apercevoir parfois Antoine Léaument ou Sandrine Rousseau… Sophie Binet a-t-elle compris que la CGT est un syndicat représentant les travailleurs et non un parti politique, du moins en théorie ? C’est tout le problème des « partenaires sociaux français » qu’on devrait renommer « partenaires socialistes ».

A relire: Causeur: Qui veut la peau de Pascal Praud?

Ils sont uniquement dans l’opposition et peu enclins au dialogue, rêvant toujours de grands soirs et de « blocages infrastructurels » !


La nouvelle patronne de la CGT s’embrouille bêtement devant le micro de CNews, après qu’un de ses sbires lui ait sommé de ne plus répondre.

«Gaspard», un clochard céleste!

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Jules Matton © Photo: Thomas Brunot

Jules Matton réussit parfaitement le roman d’apprentissage d’un naïf dans le Paris des années 2020.


Je ne lis jamais les livres de mes amis. Cela me permet de mieux en parler, et surtout de rester ami avec eux. Alors pourquoi me suis-je aventuré à lire Gaspard de Jules Matton qui vient de paraître aux Editions Leo Scheer ? Car Jules Matton n’a pas écrit un livre, encore moins une histoire, mais notre album de famille. Un bon livre est un miroir qui nous renvoie notre propre image: on n’y trouve que ce qu’on y apporte. De Gaspard, je ne retiens que l’écho intime qu’il éveille en moi: les pages où je me reconnais et qui parlent à mon cœur. 

On a tous quelque chose de Gaspard

Le héros, Gaspard, rate son train pour Lisieux et décide de s’aventurer dans Paris. Il n’est pas aussi désespéré que le Gilles de Drieu, pas aussi ambitieux que Lucien de Rubempré, pas aussi fiévreux que Julien Sorel: au fond il n’est pas grand-chose, et en cela il me ressemble. Il conjugue au futur simple des ambitions déraisonnables, a des regards de conquérant sur les brasseries de Montparnasse dont les néons éclaboussent la nuit, et ne doute pas d’avoir du destin dans sa besace.

On a tous quelque chose de Gaspard, tous ceux qui ont brûlé leur premier roman, ceux qui ont triché sur leur âge ou leur passé, ceux dont l’orgueil asséchait les pleurs, ceux qui ont changé leur nom, ravalé leur accent, renié leurs origines, juste pour voir briller un soir leur nom d’emprunt en haut de l’affiche. Gaspard comprendra trop tard que grandir, c’est surtout devoir ramasser un glaive et livrer bataille. 

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Jules Matton dit de notre héros qu’il a «lenthousiasme de ceux qui, ayant plus lu que vécu, ont la tête pleine de personnages idéalisés au fil des temps sans nuances de ladolescence ». Ces personnages seront Gabriel Matzneff, Frédéric Taddeï, Éric Zemmour, François Boulo ou Jérôme Rodrigues. Il découvre ce qu’Hervé Vilard avait joliment appelé «le bal des papillons» : les hommes que rien n’impressionne mais qui impressionnent à coup sûr, les plaisirs qu’on épuise avant qu’ils ne nous épuisent et les endroits où l’on se rencontre à quelques-uns sans jamais se donner rendez-vous.

Souvenir de Matzneff

Parfois, Jules Matton raconte même des scènes que j’ai vécues. Page 222, Gaspard croise Gabriel Matzneff dans un hôpital ; ce dernier se lève, et, la gorge nouée, lui lit la dernière lettre de Vanessa Springora. Gaspard, c’était moi, et l’hôpital, mon appartement. J’avais 20 ans, de grandes irrésolutions, des impatiences qui me chahutaient et l’ombre portée d’une espérance qui m’accompagnait. J’avais entendu parler enfant de Gabriel Matzneff comme d’un Russe blanc en exil, en exil en France, et en exil tout court.

Je savais qu’il avait dispersé les cendres de Montherlant sur le forum, et qu’à la piscine Deligny, il était le plus beau, avec son crâne de samouraï et son corps de lézard. Il publiait chez Gallimard, beaucoup le croyaient mort, et quand je le reçus dans mon appartement de la rue Jacob, et que je le filmai, avec une caméra d’il y a cinquante ans, lire une lettre debout, je me dis qu’il y aurait au grand maximum dix personnes qui tomberaient sur cette vidéo dans les tréfonds d’Internet… Deux jours plus tard éclata ce qu’on appela «l’affaire Matzneff », ma mère était à Genève et elle vit mon pauvre film sur l’écran géant de la gare: je devenais une star et comprenais trop tard que la célébrité n’est que le deuil éclatant du bonheur.

Gaspard de Jules Matton demeure pourtant une fiction, mais une fiction qu’il faut reconnaître pour ce qu’elle est : une construction hypothétique qui nous est indispensable pour mettre un peu d’ordre dans le chaos de nos existences. Gaspard n’est pas un livre drôle à la manière de ces comiques de France Inter qui me font pleurer d’ennui quand je les reçois dans mon émission, ni à la manière des petits dictateurs du ricanement qui coupent la tête de ceux qui ne s’esclaffent pas. Il est drôle parce que la conception de la vie qu’il porte est fondamentalement burlesque.

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Gaspard est un naïf qui sourit, qui sourit des dogmatismes et de cette raideur mécanique qui selon Bergson provoque le rire. Il sourit des importants, des arrogants, des fâcheux, et des sentencieux. Il passe sans aigreur de l’humour à l’ironie pour signifier qu’il n’est dupe de rien, d’aucune hiérarchie et d’aucune idéologie. J’ai toujours pensé qu’il n’y a qu’un seul grand combat: celui des esprits sérieux contre les esprits ludiques, le grand combat du sens contre la dérision anarchiste. Gaspard est assurément du second camp. Puisque un faisceau de hasards l’a lâché dans l’existence en le privant de destin comme on prive un gosse de dessert, alors autant qu’il s’amuse de tout et de rien.

Jules Matton a commencé musicien, il est maintenant écrivain, il finira sans doute humoriste. Tout écrivain devrait finir humoriste: l’heure arrive inéluctablement où nous ne sommes plus capables de prendre nos balbutiements au sérieux, où nos voluptés, nos élans, nos passions, nous semblent grotesques et où le grotesque nous semble plaisant. Sans doute revenu de tout sans être allé nulle part, Jules Matton a pigé, contre-pigé, fait le tour de Paris en 250 pages et compris l’absurdité de celui-ci. 

Le burlesque climatisé

Lecteurs de Causeur, je pourrai finalement vous convaincre de lire Gaspard en vous disant qu’il est le fils caché et illégitime de Philippe Muray et d’Elisabeth Lévy. Comme Voltaire au pays de Pangloss, il est un extraterrestre dans le monde moderne. S’il est dans ce monde, il n’est pas de ce monde: c’est un enfant des décadents du XIXème, des non-conformistes des années 30, des catholiques sociaux, et des hussards. Il est exilé d’un royaume dont la souveraineté relève de la poésie.


Parce que le monde est climatisé – l’espace comme le langage – il y attrape des rhumes et ses éternuements donnent des lignes magnifiques. Il ne supporte à la limite du monde moderne que les engins qui permettent de le fuir, ou l’art abstrait, le sport et le rock qui le tournent en ivresse. Face à lui, la modernité est un surf sur les lames du paraître, un jerk halluciné sur les pistes de l’instant. Pas l’instant de grâce qui rassemble, commémore ou suggère. L’instant qui efface. L’éponge du néant. Le primat de l’innovation qui impose le vertige d’une toupie en état de rotation. Gaspard ne va sans doute pas très bien mais il est détaché des sirènes de l’époque et il croit encore à des absolus: l’amitié, l’amour et la beauté. Ses points d’appui sont immémoriaux et pour ainsi dire anthropologiques: l’histoire au long cours de notre vieux pays, et des nuits de l’esprit. Là où l’on veut lui faire croire que tout est dans tout, tout est relatif, tout est art, il esquisse un sourire tendre…

Si je devais finir par un conseil, je lui dirais celui que donne Woody Allen au héros de Minuit à Paris qui cherche sans fin à remonter le temps, et qui a été si bien formulé par Philippe Muray « tout a toujours été irrespirable ».

Gaspard de Jules Matton (Léo Scheer)

Petite psychologie de la crise des retraites

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Manifestation à Paris, le jeudi 23 mars 2023 Chang Martin/Sipa 01107493_000092

Dans la crise actuelle provoquée par la réforme des retraites, chacun des acteurs principaux prétend poursuivre un objectif parfaitement logique. Pourtant, seuls ceux, peu nombreux, qui savent profiter du chaos peuvent se réclamer de la rationalité. Tribune.


Les politiques, les journalistes, les quidams commentent inlassablement les événements actuels, prétendant expliquer le pourquoi du comment de tout ce qui se passe. Si l’on veut bien regarder la réalité en face, tout le discours sur ce qui justifierait ces grèves et ces manifestations, ce bazar général où chacun se sent défenseur d’une humanité, d’une démocratie soi-disant menacées, tout cela n’est que rationalisation. En langage psychanalytique la rationalisation est le « procédé par lequel le sujet cherche à donner une explication cohérente du point de vue logique, ou acceptable du point de vue moral, à une attitude, une action, un sentiment etc., dont les motifs véritables ne sont pas aperçus » (Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la Psychanalyse).

Des porte-paroles syndicaux jusqu’au simple manifestant, chacun a son discours bien rationnel sur ce qui le fait agir. En réalité la comédie qui se joue échappe à la plupart de ses protagonistes, parce que le chaos n’est pas rationnel. Seuls ceux, et ce sont les plus malins, qui ont toujours considéré le chaos comme le levier principal de leur projet savent tirer profit de la situation. A l’extrême gauche, on rêve du chaos révolutionnaire. Côté RN, on patiente tel Raminagrobis guettant la Belette et le Petit Lapin, en regardant monter sa cote de popularité…

C’est sous le double éclairage de la rationalisation et de la théorie du chaos que l’on peut essayer d’appréhender les choses.

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Une situation de chaos social comme celle que nous vivons démarre sur des données apparemment simples, un facteur déclenchant, en l’occurrence le refus par certains partis et certains syndicats de la Loi Retraite, et particulièrement du départ à 64 ans. Partant de là se met en place un cortège de phénomènes, de discours, de mouvements, de réactions et de contre-réactions qui entraîne des évènements imprévisibles, des incidents ou des accidents, auxquels réagissent la presse et les mouvements sociaux, réactions qui entraînent elles aussi une cascade d’évènements en réaction et ainsi de suite.

Tout cela résonnant en chaque personne, en chaque militant, qui vibre individuellement en fonction de sa personnalité et de ses aspirations (plus ou moins conscientes), qu’il va bien sûr rationaliser en termes de motivations politiques ou professionnelles. A quoi vont s’ajouter les phénomènes de groupe, puis les phénomènes de foule dont on sait qu’ils ne sont pas vraiment propres à la lucidité.

Au bout du compte, ce qui était une revendication qui pouvait s’entendre, devient un foutoir universel à l’évolution totalement imprévisible, comme tout système chaotique, mais que la rationalisation forcenée de tous ses protagonistes contribue à entretenir. Voilà pourquoi, quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir sur cette loi, toutes les personnalités et les organisations influentes qui, depuis le début, ont décidé de déclencher à outrance ce mouvement, comme ceux qui le justifient, jouent avec un feu qui risque de les brûler.

Extinction des feux

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Magda devant sa cabane aujourd'hui détruite par la mairie de Paris, bien que devenue un incontournable du quartier © D.R.

La fermeture du fabuleux boui-boui géorgien, « Chez Magda » laisse sa propriétaire, réfugiée politique depuis 2013, à la rue. Un exemple du « social » à géométrie variable de la mairie de Paris, qui préfère loger les crackeurs du quartier.


Chez Magda, dont Causeur a fait l’éloge, c’est fini. Le 15 février, la cabane en bois de cette cuisinière géorgienne d’exception a été démontée et détruite par les services de la mairie de Paris, sans que personne ait pris la peine de l’avertir ni de lui proposer une solution alternative. Nous vous parlions en octobre dernier de cette femme extraordinaire qui avait dû fuir la Géorgie en 2009 et avait obtenu un statut de réfugiée politique en France en 2013. Aidée et soutenue par l’association France terre d’asile, cette ancienne dentiste avait alors reconstruit sa vie en faisant découvrir aux Parisiens ébahis la délicieuse cuisine familiale de son pays, pleine d’épices et de saveurs. En 2019, l’Hôtel de Ville lui avait accordé un emplacement au pied de la rotonde construite par Claude Nicolas Ledoux en 1784, face au bassin de la Villette. Depuis, des centaines de clients n’hésitaient pas à traverser Paris pour venir ici, dans le 19e arrondissement (plutôt réputé malfamé !) afin de déguster sur place, dans une ambiance un peu bohème, les plats voluptueux et sensuels de la belle Magda, notamment son khachapuri : une galette moelleuse et légère au fromage absolument sensationnelle. À défaut d’avoir un vrai restaurant, Magda faisait le lien social. Son « boui-boui » était un lieu de joie où elle servait à ses clients des verres de vin géorgien pour les faire patienter. De surcroît, elle respectait la loi et admirait la France – dont elle parle la langue. La voici donc à la rue, sans ressources, pendant que la mairie de Paris n’hésite pas à financer des centres d’accueil réservés aux drogués qui sèment la terreur autour de la gare du Nord. C’est ce qui s’appelle avoir le sens des priorités sociales.

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Histoire littéraire: place au « matrimoine » !

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Annette Bening dans le rôle de Madame de Merteuil dans les Liaisons dangereuses, fffilm de Stephen Frears (1989) RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA 51424332_000003

Les néo-féministes exigent, soit une récriture mutilante des œuvres du passé pour en expurger tout ce qui peut offenser les « minorités », soit une réinterprétation qui projette sur ces œuvres les critères moraux de notre époque. Comme une nuée de criquets pèlerins, cette idéologie assujettit la littérature à une visée militante. Malheureusement, les jeunes d’aujourd’hui, intellectuellement amoindris par une école en faillite, sont faciles à endoctriner.


On constate, désolée, que la polémique suscitée par « L’Oaristys» ou « l’Affaire Chénier » n’était malheureusement qu’un prélude à la bouffée délirante qui semble gagner la gent féminine. Ce poème de Chénier, figurant en 2017 au programme de l’agrégation, avait plongé les préparationnaires dans une insondable perplexité. C’est pourquoi l’association féministe de l’ENS Lyon, nommée facétieusement « Les Salopettes », s’était résolue, si j’ose dire, à prendre les choses en main. Pour ce faire, elle avait relayé une lettre ouverte, écrite par des « agrégatif.ve.s » de Lettres modernes et classiques, adressée au jurys des concours. Les « auteur.rice.s » de la missive demandaient des clarifications sur la manière d’aborder un texte dans lequel  «iels » avaient identifié une indubitable scène de viol. Lâches, les birbes qui sévissent encore dans les jurys des concours de Lettres s’étaient réfugiés dans le silence.

Que de chemin parcouru depuis ! L’affaire Weinstein a secoué le monde entier et maintenant Jennifer Tamas convoque le Grand Siècle pour qu’on n’oublie jamais que « non » est un mot magique. Mme Tamas, agrégée de Lettres modernes qui enseigne la littérature française de l’Ancien Régime à Rutgers University (New Jersey) aux États-Unis nous donne un brillant essai. Intitulé Au non des femmes, cet ouvrage, que Philip Roth aurait sans doute aimé préfacer, se propose de « Libérer nos classiques du regard masculin »

A bas l’interprétation patriarcale !

La quatrième de couverture, une fois n’est pas coutume, révèle assez précisément les… dessous de l’affaire : « Sous les images de princesses endormies célébrées par l’industrie du divertissement, se cachent de puissants refus occultés par des siècles d’interprétation patriarcale ». Ce sont ces refus que Jennifer Tamas propose d’exhumer « avec courage et subtilité ». Elle « traque l’expression du féminin sous le regard masculin et tend savamment l’oreille vers le bruissement des voix récalcitrantes. Conviant les figures dissidentes des siècles anciens, du Petit Chaperon rouge à Bérénice, elle vivifie le discours féministe et trouve chez Marilyn Monroe le secret d’Hélène de Troie. Elle révèle ainsi, non sans un brin d’irrévérence, un magnifique matrimoine, trop longtemps séquestré dans les forteresses universitaires ».

En parcourant ce livre, on a le sentiment d’assister, en toute impuissance, à la défloraison d’une nuée de drosophiles. Le message celé dans les Contes de fées nous est enfin révélé, prenons par exemple « La Belle et la Bête » : « La Bête est l’être fragile, celui qui meurt d’attendre, celui qui est rendu à la vie par l’amour. La Belle, quant à elle, incarne le personnage fort. […] C’est même elle qui finit par demander la bête en mariage ! La logique du consentement sexuel n’expose-t-elle pas justement la fragilité masculine en fortifiant la femme ? »  On apprend également qu’Andromaque et Bérénice ont su dire « non », on découvre que madame de Merteuil n’est pas complètement mauvaise. On voit aussi que la Princesse de Clèves a su évincer Monsieur de Nemours comme Nicolas Sarkozy.

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Cette lecture nous permet d’explorer une faille spatio-temporelle où Virginie Despentes et Mona Chollet devisent avec Euripide et Racine ; où Hélène de Troie est Vanessa Springora mais aussi Marilyn Monroe. Jennifer Tamas déploie impitoyablement une connaissance encyclopédique de la littérature et du cinéma pour nous entraîner dans un monde où tout est dans tout et réciproquement. On touche, et c’est sans doute le but recherché, à la confusion des genres, on retourne enfin au magma originel. Alors, comme Maupassant : « On se sent écrasé sous le sentiment de l’éternelle misère de tout ».

Ce livre satisfait chez son « autrice » un besoin viscéral de penser le monde et de l’appréhender en tant que femme : « J’aurais aimé qu’on m’apprenne la littérature autrement, qu’on me fasse découvrir les œuvres des femmes, qu’on m’explique à travers le prisme du féminin les contes et les fables […] Cet essai aspire à donner à chacun et à chacune le pouvoir de repenser l’histoire littéraire à travers le refus féminin, non pour abolir le passé, mais pour le sortir de l’invisibilité ».

La possédée conclut ainsi son ouvrage : « L’enseignement de la littérature ne doit plus perpétuer les stéréotypes de genre auxquels on l’a réduite. C’est en nous réappropriant les modèles à travers cette archéologie des refus féminins et en renouant avec les autrices oubliées que nous cesserons de « rêver nos vies à travers les rêves des hommes », comme le déplorait Simone de Beauvoir. Je souhaite donc ardemment que nous reconquérions et que nous regardions nos classiques autrement ». Cette dame, on s’en inquiète, n’est pas seule à tenir salon et à agiter une plume qui féconde la sottise.

Ça déferle

Le dernier numéro de la revue trimestrielle La Déferlante, se définissant comme « un média engagé et indépendant »« créé et dirigé par des femmes » pour « penser l’époque au prisme du genre et analyser la société dans une perspective féministe » nous explique, dans un article consacré au « féminisme dans les amphis », que le tsunami se prépare. Après le programme PRESAGE (Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre) lancé par Sciences Po Paris, et l’ouverture, en 2019, à l’université Panthéon Sorbonne du Master Études sur le genre, on nous confie que les parcours d’études se multiplient : « Sur son site internet, l’Institut du genre, un réseau d’enseignement supérieur et de recherche interdisciplinaire qui vise à fédérer les études françaises sur le genre et les sexualités, recense une quinzaine de masters existants, axés aussi bien sur les sciences sociales (de la sociologie à l’histoire, en passant par la science politique et la psychologie) que sur les humanités (littérature, arts, cinéma) ou encore les sports ». Assurément, on va boire le bouillon.

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La Déferlante, qu’on s’est prise, on l’avoue, en pleine gueule, ne propose que des articles « disruptifs » : « En finir avec le patriarcat peut-il sauver la planète ? », « Au cœur des cellules d’enquête sur les violences sexuelles dans les partis de gauche », ou encore « À quand un césar non genré de la meilleure interprétation ? ». Cette revue, créée en mars 2021, dit « compter aujourd’hui plus de 8000 abonné.es et chaque trimestre vendre 6000 exemplaires en librairie ». Elle lance maintenant sa maison d’édition. Le changement sociétal est, on le déplore, de toute évidence, en marche… Du reste Marie Barbier, Lucie Geffroy, Emmanuelle Josse et Marion Pillas, cofondatrices et rédactrices en chef, rapportent les propos prophétiques que Virginie Despentes tint dans leurs pages, à l’automne dernier : « Il va se passer quelque chose, et ça sera collectif ».

Je ne suis même plus sûre de trouver amusant l’entretien proposé par le magazine entre les deux représentantes de ce féminisme inquiétant que sont la députée Rachel Kéké et l’actrice Corinne Masiero. L’éclairage qu’apporte l’échange sur l’atrophie des cerveaux s’avère, tout compte fait, insoutenable.

Corinne Masiero : Est-ce que tu as rencontré personnellement des gens de droite et d’extrême droite avec qui tu as eu un début de conversation ?

Rachel Kéké : Parfois, au restaurant […] Je pense qu’il faut parler avec eux pour comprendre. Il faut lutter contre le racisme par l’éducation. Il faut parler pour les amener à la raison. Je les appelle « les perdus ». Ils ne connaissent pas leur histoire. Ils ont besoin d’aide, en fait.

Nous aussi, je crois.

Théorie du genre à l’école: la propagande continue

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Capture d’écran de la vidéo "Des enfants rencontrent une Drag Queen et un Drag King" de la chaîne Youtube "Origines Media", postée le 13 mars 2023 https://www.youtube.com/watch?v=nJZdE0rK5Lg

Autrefois peut-être, on pouvait croire que les délires idéologiques et le charabia abscons des théoriciens du genre resteraient confinés à des milieux très spécifiques. Maintenant, ils ont submergé le système d’éducation et le champ culturel. Dernier exemple en date: un festival dit « artistique » à Mulhouse. Analyse de Didier Desrimais.


« À tout bien considérer, il semble que l’Utopie soit beaucoup plus proche de nous que quiconque ne l’eût pu imaginer, il y a seulement quinze ans. À cette époque je l’avais lancée à six cents ans dans l’avenir. Aujourd’hui, il semble pratiquement possible que cette horreur puisse s’être abattue sur nous dans le délai d’un siècle. »

Aldous Huxley, préface à la nouvelle édition du Meilleur des mondes, 1946.

En partenariat avec Arte et France 3, la 11e édition du « festival sans frontière » Vagamondes s’est déroulée fin mars 2023 sur la scène nationale de Mulhouse, La Filature. Cet événement a « continué de questionner la notion de frontières (géographiques, idéologiques, sociétales…) [en explorant] cette année la thématique du genre ! », ont expliqué les organisateurs.

L’éditorial du directeur de La Filature est un régal de concentré woke : « Les luttes menées depuis le XXe siècle pour affirmer la place des femmes, puis des personnes LGBTQIA+, ont donné naissance à des mouvements de pensée qui décalent l’approche essentiellement blanche, patriarcale et hétéronormée du monde, ouvrant la voie à l’expression d’identités sexuelles et de genres pluriels. » Après une telle déclaration, ce festival ne pouvait pas proposer autre chose que des spectacles hybrides, queer ou transidentitaires supposés « sillonner des chemins de traverse inédits » et présentés dans une brochure entièrement rédigée en écriture inclusive et en novlangue woke.

C’est ainsi que nous apprenons qu’un duo d’artistes qui « décloisonne pour explorer les identités mutantes » dans « la jungle des métamorphoses humaines et non-humaines », a inauguré le festival ; qu’une exposition “Trans(e)-galactique” a été « transpercée par la diagonale de la joie » ; qu’une spécialiste de la « transe cognitive » et l’autrice Marie Ndiaye (la sœur de notre ministre de Rééducation nationale) ont eu une « conversation télépathique ». Le projet étant de « tisser des liens entre différents mondes pour rêver un mouvement d’abolition des frontières, des binarités et des assignations », les différents spectacles entendaient aborder Les Bacchantes d’Euripide comme une « transition vers un nouveau monde queer », mais aussi combattre le patriarcat, dénoncer la « vision hétéronormée » de Roméo et Juliette et valoriser le pronom « hen » (pronom inventé par les Suédois pour désigner les personnes se disant non binaires) à travers un « être hybride » jouant « avec insolence et humour de sa virilité et de sa féminité ».

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Cette phraséologie insane est issue des différentes théories qui traversent l’idéologie woke et déconstructiviste depuis quarante ans, du néoféminisme à la théorie du genre, du transgenrisme au transhumanisme. Retour aux sources : 

En 1985, dans son indigeste Manifeste cyborg, l’universitaire américaine Donna Haraway appelait de ses vœux un être hybride, un mutant mi-homme mi-machine, fluide, perméable, non binaire, une nouvelle « corporéité », un « corps commun » susceptible d’évacuer les clivages entre les humains et les non-humains (les animaux aussi bien que les pierres, les arbres ou l’eau) et de « déplacer » les limites biologiques et les distinctions sexuelles ou raciales. Cet être idéal serait « non plus structuré par le modèle de la famille organique » mais par une « cité technologique » rejetant « la tradition occidentale des sciences et de la politique – tradition de la domination masculine, raciste et capitaliste»[1]. En plus de l’injonction faite aux humains de ne plus faire d’enfants pour « sauver la planète », la dernière obsession de Haraway est que l’humanité devienne du… compost – et que la décomposition des hommes se mêle à celle de « tous les organismes vivants » afin de « rester dans le trouble » d’une « vie symbiotique » débarrassée de toute trace humaine. De son côté, Judith Butler a fait de la « performativité du genre » le noyau d’une réflexion beaucoup plus simple que ne le laissent accroire les pages de bouillie intellectuelle et de verbiage pseudo-philosophique qui composent l’essentiel de son œuvre phare, Trouble dans le genre. Comme Donna Haraway, Judith Butler vise l’abolition des différences biologiques et sexuelles, la destruction des rapports familiaux et sociaux et celle des concepts philosophiques et scientifiques occidentaux. Aussi délirantes que puissent paraître ces théories, elles ne sont pas sans conséquences : « l’humusation » du corps des défunts est autorisée dans six États américains et réclamée par des écologistes en France et en Belgique ; la « performativité du genre » est aujourd’hui agréée dans plusieurs pays européens qui ont décidé d’autoriser les changements de sexe et de nom aux personnes en faisant simplement la demande. 

Affiche du 11e festival Vagamondes, 17-31 mars 2023, Mulhouse.

Il est peu probable que les organisateurs et les participants du festival Vagamondes aient lu Haraway et Butler. Peut-être ont-ils eu connaissance des noms et des délires de ces théoriciennes grâce aux individus médiatisés – Éric Fassin, Paul B. Preciado et consorts – devenus les porte-parole officiels de cette mélasse intellectuelle. Il est possible également qu’ils se soient contentés de gober la propagande répandue sur les réseaux sociaux, dans les milieux dits culturels et leurs avatars (publicités, films, séries) ou grâce à la multitude d’associations divulguant l’idéologie du genre. Cette propagande est partout. Le plus grave est qu’elle commence dès l’école. Aucun ministre de l’Éducation nationale n’a pu, su ou voulu endiguer ce phénomène, et M. Pap Ndiaye n’a visiblement aucune envie d’empêcher que cette folie continue de contaminer les élèves. Pourtant, écrit Jean-François Braunstein dans son dernier essai, « la théorie du genre n’est pas une catégorie de la pensée woke parmi d’autres, elle en est le cœur, la première découverte, qui ouvre la voie à tous les assauts contre la science et contre la réalité elle-même ».[2]

La propagande à l’école continue son œuvre destructrice. Durant ce fameux festival, par exemple, une journée entière a été dédiée au « public scolaire pour parler de l’identité et du genre », nous apprennent les Dernières Nouvelles d’Alsace. Les crânes de deux cents élèves ont ainsi été bourrés de toutes les inepties issues de la théorie du genre et du néoféminisme. Au prétexte de sensibiliser les collégiens et les lycéens « aux discriminations dont sont victimes les personnes LGBTQIA+ », les élèves ont suivi un atelier sur… l’écriture inclusive au début duquel chacun a dû se présenter en précisant son genre, « il, elle, iel… ». Une comédienne a lu un texte de théâtre en écriture inclusive, puis il a été demandé aux élèves d’« inventer un court dialogue en écriture inclusive entre trois personnages sur le thème de l’amour, l’amitié, la famille ». Non seulement les directives ministérielles d’Édouard Philippe et de Jean-Michel Blanquer interdisant l’utilisation de l’écriture inclusive dans les institutions et l’administration publiques n’ont été suivies d’aucun effet mais certains enseignants n’hésitent pas à promouvoir ce galimatias idéologique. Ce n’est pas fini : lors de cette même journée, un comédien a demandé aux élèves d’« énumérer tous les clichés sur les hommes et les femmes avant de proposer des jeux pour les déconstruire ». L’association “Dis bonjour sale pute” (sic) a animé un atelier pour « familiariser les élèves avec les termes liés à la minorité de genre » durant lequel le transgenrisme a été valorisé et certains mots « décryptés » (sexisme, patriarcat, transidentité, virilité, consentement, cisgenre, non binaire, etc.). 

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C’est à une guerre sournoise contre la pensée, contre la science, contre la réalité et contre l’humanité, que se livrent les théoriciens du genre et leurs émules wokes. L’indistinction sexuelle et le transgenrisme ne sont que le prélude au délire transhumaniste, à ce techno-monde dans lequel le corps, considéré comme une inutilité ou un obstacle, doit être supplanté par une « pleine conscience de soi » numérisée, et perdre son caractère sacré pour devenir un objet de consommation comme un autre (GPA, vente d’organes, etc.) ou de recyclage comme n’importe quel déchet (le « compostage humain »). Cette guerre contre l’humanité, l’Éducation nationale y participe. Le ministre y participe. Des recteurs d’académie y participent. Des chefs d’établissement scolaire y participent. Des enseignants y participent. Bêtise, lâcheté et conformisme se tiennent la main au moment de céder devant des idéologues proclamant l’avènement d’un monde radieusement hybride, fluide, sans limites biologiques, sans différence sexuelle, un monde dans lequel « les gens n’ont pas d’enfants », « n’ont pas peur de la mort et sont dans une sereine ignorance de la passion et de la vieillesse », où l’emploi inopiné des mots « parents », « père » ou « mère » évoque un « fait historique désagréable », un monde dans lequel la lecture d’Othello et de Roméo et Juliette est interdite et la promotion des « Ingénieurs en Émotion » assurée – un monde ressemblant au pire du Meilleur des mondes, en somme.[3]


[1] Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais (Éditions Exils, 2007).

[2] Jean-François Braunstein, La religion woke, Éditions Grasset, 2022).

[3] Voir Aldous Huxley, Le meilleur des mondes et Retour au Meilleur des mondes (Pocket).

Manifeste cyborg et autres essais : Sciences - Fictions - Féminismes

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Etats-Unis : l’inculpation de Trump fausse le jeu de la démocratie!

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Des supporteurs de Donald Trump se manifestent à proximité du tribunal de Manhattan où l'ex-président a été inculpé le 4 avril 2023 Steve Sanchez/Sipa USA/SIPA sipausa30349326_000019

Les 34 accusations formulées par le procureur new-yorkais contre l’ex-président constituent un exemple d’acharnement judiciaire à des fins politiques. Tribune libre d’Alain Destexhe, Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins Sans Frontières.


Ne nous y trompons pas : l’inculpation de Donald Trump est un fait majeur dans l’histoire de la démocratie américaine.

Le 45ème président est victime d’un acharnement sans précédent depuis sa candidature à l’élection présidentielle de 2016. Il a été insulté et caricaturé comme aucun président avant lui. La haine qu’il suscite est à la mesure de la menace qu’il représente pour le deep state, c’est-à-dire l’establishment de hauts fonctionnaires qui contrôlent l’essentiel du pouvoir aux Etats-Unis, dominé par les Démocrates. Pourtant Trump n’a entravé aucune liberté publique, n’a poursuivi aucun journaliste (contrairement à Obama), a obtenu avant le Covid de remarquables résultats en matière économique, n’a jamais tenu le moindre propos raciste, a condamné le « suprémacisme blanc » qui n’existe pourtant que dans l’imagination des médias et des activistes. 

Si Trump n’était pas à nouveau le favori républicain des sondages, il n’aurait jamais été inculpé. Inculpation pour 34 motifs – afin de frapper les esprits – de «falsification de documents commerciaux», 34 motifs qui se ressemblent, comme si un juge français avait mis un individu en examen, pour 34 chèques ou documents différents au lieu de faire une seule inculpation avec 34 éléments à charge. Le « hush payement » versé à Stormy Daniels, un « payement silencieux » est une pratique courante aux Etats-Unis. Par définition, son but est d’obtenir une certaine discrétion en échange d’une transaction financière. Le procureur affirme que cette dernière s’est faite via les sociétés de Trump, ce qui est illégal, mais il s’avère que l’ex-président a bien payé les montants avec ses fonds personnels via un transit par une de ses sociétés : une accusation donc pour le moins ténue, voire ridicule.

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Il n’empêche, dans le climat hyperpolarisé américain, les grands médias, à l’exception de Fox News, se réjouissent de cette inculpation qu’ils dénonceraient avec la plus grande véhémence si un Démocrate était visé. Hillary Clinton qui a violé la loi en utilisant un serveur privé pour ses communications officielles par courriels lorsqu’elle était Secrétaire d’État et dont la campagne a payé pour le « Steele dossier », créant de toutes pièces une soi-disant collusion entre Trump et la Russie (l’affaire du « Russiagate »), n’a pas été inquiétée, pas plus que Joe Biden et sa famille dont il faudra sans doute attendre qu’il ne soit plus président pour que la lumière soit faite sur leurs liens financiers avec la Chine et l’Ukraine.

Que dirait l’administration Biden (et les médias) si dans un pays d’Amérique latine ou de l’ex-URSS, le principal opposant au régime voyait sa maison envahie par des dizaines de policiers, ses affaires les plus intimes (et celles de sa femme) fouillées et confisquées par le pouvoir et était inculpé à quelques mois d’une élection majeure ? Quelle crédibilité aura-t-elle demain pour dénoncer, comme elle ne s’en prive pas un peu partout dans le monde, les « atteintes à la démocratie »? 

Si la base républicaine se rallie autour de Trump et le fait encore grimper dans les sondages, la bataille électorale présidentielle se joue autour des 10 à 15% d’électeurs indécis qui peuvent changer de bord d’une élection à l’autre. La stratégie du Parti démocrate, relayée par la plupart des médias, est claire : faire de Trump le challenger du président sortant car il sera plus facile à battre que Ron DeSantis, beaucoup d’indécis étant las du feuilleton sans fin de la saga Trump. En instrumentalisant la justice à des fins politiques, ceux qui n’ont que le mot de démocratie à la bouche ne lui rendent pas service.

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Marin de Viry: la France galante

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Marin de Viry © Maurice Rougemont/Opale/Leemage

Avec La Montée des périls, Marin de Viry donne un roman chic, drôle et désenchanté


C’est un peu par contradiction que j’ai choisi ce titre pour illustrer mon article consacré au roman de Marin de Viry, chroniqueur à la Revue des Deux Mondes, auteur de Mémoires d’un snobé, publié par le regretté Pierre-Guillaume de Roux. Paul de Salles, personnage principal de La montée des périls, bien qu’il soit raffiné et désabusé comme Paul Morand, n’aime pas l’auteur de L’Europe galante. C’est une faute de goût, mais nul n’est parfait, même chez les snobs.

Né sous Mitterrand, détaché de la politique sous Chirac

De Salles, écrivain et critique littéraire à l’hebdomadaire La Gauloise, traîne son ennui dans un Paris devenu sans intérêt pour lui, en particulier dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés où l’on révère désormais Kim Kardashian. Marin de Viry écrit, à propos de Paul: « À 38 ans, il était né sous Mitterrand, s’était détaché de la politique sous Chirac – ses seules émotions politiques avaient été le discours de Philippe Séguin rejetant l’accord de Maastricht, prononcé en mai 1992 et que Paul avait écouté en 2000, puis celui de Dominique de Villepin à l’ONU en février 2003, ultimes soubresauts de l’expression de la souveraineté française. Depuis plus rien. » Constat affligeant car réaliste. Le désenchantement de Paul n’est pas sans rappeler celui d’un personnage de Michel Houellebecq. Mais la comparaison s’arrête là.

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De Salles porte des vestes en cachemire, pas une parka Camel Legend défraîchie. Il ne prend pas d’autostoppeuses en short effrangé à la sortie d’une autoroute espagnole. Pas son genre. La preuve, c’est qu’il va tomber lentement, très lentement, amoureux d’Erika Dauze, 29 ans, rencontrée lors d’un cocktail chic, au Palais de Tokyo, « qui ressemble à une chancellerie fasciste dévastée par un assaut d’infanterie, reconvertie après le conflit en temple de l’extase culturelle humaniste. » Comme on peut le constater, Marin de Viry ne manque pas d’humour. C’est parfois grinçant, jamais sarcastique. Erika travaille pour « une ravissante idiote » persuadée qu’elle sera un jour présidente de la République. Vous me direz, après dix ans de Macron, tout sera envisageable. Le marivaudage entre Paul et Erika semble improbable, mais il est possible que certains couples, dans des milieux très fermés, le pratiquent encore.

Souplesse de la phrase

Cela donne une scène assez savoureuse vers la fin du roman où Erika, avant de présenter Paul à ses parents, lui fait passer un examen de bonne conduite. Il faut dire que le père de la piquante élue est « un homme qui prépare très sérieusement ses réunions depuis qu’il a douze ans. » Quand je vous dis que nous ne sommes pas chez Houellebecq. Pourtant, au début du récit, l’auteur se laisse aller à une petite confidence grivoise. Il rappelle que Chateaubriand – pas une indiscrétion sur Bukowki, n’exagérons pas – avait écrit une bonne partie du Génie du Christianisme sur les fesses de Pauline de Beaumont. On comprend mieux la souplesse de la phrase du vicomte.

Marin de Viry, La montée des périls, Éditions du Rocher.

De la Russie à la Chine, Emmanuel Macron et l’illusion de la «puissance d’équilibre»

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Le président chinois Xi Jinping tient une réunion trilatérale avec le président français Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen au Grand Palais du Peuple à Pékin, le 6 avril 2023 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Le voyage d’Emmanuel Macron à Pékin et la valorisation de la Chine comme faiseur de paix font écho aux erreurs stratégiques commises par le président français à propos de la Russie. À l’origine de ce « mal français », une excessive confiance en soi et l’illusion de pouvoir se poser en puissance d’équilibre.


Autrefois persuadé que son entregent pourrait « retourner » Vladimir Poutine, Emmanuel Macron arguait du poids de la Chine populaire qu’il fallait contrebalancer. Pour les besoins de la cause, le président français, peu au fait de la Russie-Eurasie, reprenait le slogan poutinien d’une « Europe de Lisbonne à Vladivostok » dont il se voyait le concepteur et l’architecte. En toute intimité, il recevait le maître du Kremlin au fort de Brégançon, le 19 août 2019, peu avant d’admonester les diplomates rétifs à ce constructivisme et de dénoncer l’« État profond » qui saboterait ses projets grandiloquents. On sait ce qu’il advint du « reset » à la française. Jusqu’au bout pourtant, le président français voulut ne pas voir ce qui se préparait sur le front ukrainien.

Vladimir Poutine au Fort de Brégançon, août 2019 © Gerard Julien/AP/SIPA

Pire encore. Ne pas avoir compris que Poutine préparait une grande offensive militaire, donnant une nouvelle ampleur à la guerre déclenchée neuf ans plus tôt, serait une manifestation d’intelligence. Les Français sont « cartésiens » paraît-il, et le réel est vraiment trop bête. C’est pourquoi les Américains et les Britanniques, obtus, comprirent ce qui se tramait. Damnés « Anglo-Saxons » ! Quant aux Polonais, Baltes et autres Centre-Européens, prisonniers de leur « russophobie », ils auraient bénéficié d’un effet d’aubaine. Qui sait si leurs noires anticipations ne précipitèrent pas les événements ?!

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En Europe, on hésite encore à désigner clairement la menace sino-russe

Le 5 avril 2023, Emmanuel Macron, enclin à expliquer au président ukrainien ce qu’est un vrai homme d’État, s’en est donc parti en Chine populaire pour y trouver un « chemin de paix », dixit. Désormais, l’enjeu est de « retourner » Xi Jinping, tyran néo-maoïste et ami de son homologue russe auquel il apporte son soutien politique, diplomatique et économique, avec des effets évidents sur le plan militaire (financement indirect de l’effort de guerre, vente de composants électroniques et de semi-conducteurs, dont certains se retrouveraient dans les drones iraniens). En mars dernier, à Moscou, Xi Jinping et Poutine levaient leurs verres devant les caméras, trinquant à l’avènement d’une nouvelle ère mondiale : un ordre post-occidental qui ferait de l’Europe un petit cap de l’Asie.

Le président français n’en persiste pas moins à louer le « plan de paix » chinois, un catalogue d’éléments de langage qui ignore l’agression russe. Vus de Pékin, les États-Unis et l’OTAN seraient responsables du fait que les chars et les fantassins de la Russie occupent le cinquième du territoire ukrainien, l’artillerie, les drones et les missiles détruisant ce que l’armée russe ne peut conquérir. Certes, il est possible d’entendre les propos lénifiants d’Emmanuel Macron comme des « ambiguïtés constructives » – ignorer ce qui fâche pour aller de l’avant sur un certain nombre de questions –, mais comment donc croire que Pékin se prêtera à un tel jeu ? Redoutons plutôt que le président français cède à la flatterie et se contente de « verroterie » (une condamnation de la guerre et un appel aux négociations).

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L’idée chinoise est d’instrumentaliser la guerre d’Ukraine pour affaiblir les États-Unis, à nouveau centrés sur le théâtre européen, tout en cherchant à les dissocier de leurs alliés continentaux. D’une certaine manière, insister comme le fait le président français sur le « rôle majeur » de Pékin en Ukraine signifie déjà lui accorder une victoire symbolique, comme si la Chine populaire avait entre ses mains la sécurité du Continent. La Pax Sinica serait l’avenir de l’Europe, avec en toile de fond le découplage transatlantique voulu par Xi Jinping. L’alliance sino-russe s’inscrit dans cette perspective géopolitique.

En vérité, les risques et périls liés aux ambitions de Xi Jinping furent et demeurent sous-évalués, en France et dans certains pays européens (voir l’Allemagne). Au sein de l’Union européenne, on hésite encore à désigner la menace chinoise, les textes officiels mêlant considérations sur la « compétition stratégique » (un nouveau type d’olympiades ?) et variations sur les « opportunités économiques », ce qui permet de bannir du vocabulaire les concepts d’« ennemi » et d’« hostilité ». Il est même exclu de parler de la Chine populaire comme « adversaire », ce qui serait déjà une manière d’euphémiser et de mutiler la réalité [1].

Ainsi se souvient-on de l’ironie d’Emmanuel Macron lors du sommet de l’OTAN de Bruxelles du 14 juin 2021. Il y soulignait que la Chine n’apparaissait pas sur une carte de l’Atlantique [2]. Pourtant, un tel volontarisme, ignorant des servitudes qui pèsent sur l’action internationale, avait déjà entraîné des contre-effets. Il faut ici rappeler le désastreux accord Union européenne/Chine sur les investissements, signé à l’extrême fin de la présidence allemande, le 30 décembre 2020, avec le soutien de la France. Il fut suspendu en mai 2021, un mois avant le sommet de Bruxelles. Cela n’empêcha pas le président français de dauber et de jouer les donneurs de leçons. Un mal français ?

Von der Leyen plus ferme que Macron?

Depuis, le ton s’est durci. Rendons grâce à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen qui accompagne Emmanuel Macron en Chine populaire. Celle-ci est pleinement consciente du fait que « l’objectif clair du Parti communiste chinois est un changement systémique de l’ordre international, focalisé sur la Chine ». Emmanuel Dubois de Prisque parlait de « sino-mondialisation », avec l’antique concept de « Tianxa » en guise de justification et de formule idéologique (« Tout sous le ciel »). Selon cette version sino-russe de « Times are changing » (Bob Dylan), la séculaire hégémonie occidentale aurait vécu et le monde basculerait vers l’Eurasie. Afin d’accélérer ce processus, les Européens sont invités à jouer le rôle d’« idiots utiles ». Après le « Paris-Berlin-Moscou » des années 2000, pense-t-on à Pékin, il se trouvera bien quelques personnes prêtes à embarquer dans une nouvelle « croisière jaune »: Paris-Moscou-Pékin. Ce faisant, pourquoi ne pas pousser jusqu’à Pyongyang ?

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À l’Élysée, on aime à répéter que la Chine est fort loin et qu’elle ne menace pas les frontières européennes. N’en déplaise à notre président-topographe, la menace véhiculée par la sino-mondialisation n’est pas géographiquement limitée à une lointaine « Asie-Pacifique ». Les enjeux que recouvrent le droit de la mer et le principe de libre navigation, dans les « Méditerranées asiatiques » (mers de Chine du Sud et de l’Est) et sur les océans Indien et Pacifique (la région Indo-Pacifique), ont une dimension très concrète : les deux cinquièmes et plus des échanges entre l’Europe et l’Asie transitent par la mer de Chine du Sud. Une action militaire chinoise dans le détroit de Taïwan [3], fût-elle limitée à un blocus naval, aurait des répercussions en Europe, sans parler d’une grande guerre sino-américaine avec Taïwan pour enjeu.

Aussi se demande-t-on parfois si les thuriféraires de la mondialisation ont bien compris que ce long processus historique, porté et dynamisé par la technique (l’arraisonnement du monde), n’est pas réductible à ses aspects économiques, commerciaux et financiers. La mondialisation constitue aussi une réalité géostratégique : elle est à la fois marchande et guerrière. Indubitablement, un grand conflit armé en Asie de l’Est concernerait l’Europe comme l’Amérique du Nord.

D’autre part, la Chine populaire projette pouvoir et influence dans l’environnement géographique même de l’Europe, de l’Arctique à la mer Méditerranée, et même à l’intérieur de l’Union européenne – voir le groupe « 16+1 », certes bousculé par la nouvelle conjoncture géopolitique [4] –, et les agissements ouverts ou occultes de Pékin en Europe occidentale (investissements dans des secteurs stratégiques, saisie de «pépites » technologiques et achat des consciences). Il faut aussi redouter que la flotte de guerre chinoise renforce sa présence en Méditerranée afin de protéger ses intérêts commerciaux et ses investissements portuaires dans une mer ouverte aux vents du grand large.

En guise de conclusion

Bref, la sécurité de la zone euro-atlantique et celle de l’Indo-Pacifique sont interdépendantes, d’autant plus que la France est défiée par la progression chinoise dans cette dernière zone : les îles Salomon, avec lesquelles Pékin a négocié un « pacte de sécurité » (20 avril 2022), sont proches des possessions françaises du Pacifique-Sud [5]. Au regard du niveau des enjeux, des rapports de puissance et de l’importance de la cohésion occidentale pour l’unité et la sécurité de l’Europe, il est vain et contre-performant de prétendre jouer les puissances tierces, serait-ce pour donner le change. Il serait plus avisé de rapprocher la France du Quad indo-pacifique, voire de… l’AUKUS (la fameuse alliance Washington-Canberra-Londres) [6].

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En somme, le thème de la « puissance d’équilibre » est une illusion. Mettre ce syntagme au pluriel (« puissance d’équilibres ») ne fait que le rendre plus confus encore. Même édulcoré, ce « titisme à la française » fausse la perception des enjeux et des réalités géopolitiques. Nation historiquement occidentale, la France y perd son âme ; l’idéologie du non-alignement n’est jamais qu’un renoncement à tout patriotisme de civilisation, une forme de consentement à la résorption dans un ensemble afro-eurasiatique. Du front ukrainien au détroit de Taïwan, de l’Atlantique au Pacifique, la France devrait être solidaire de ses alliés occidentaux et des nations du Monde libre, sans faux-semblants.

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Source : Institut Thomas More


Notes

[1] La notion d’ennemi est centrale en politique, compris comme une essence (« lo politico » par opposition à « la politica »). En l’absence d’hostilité, de conflit et d’ennemi, il n’y aurait pas de politique mais un simple problème de gestion et d’administration des choses. S’il fallait attendre que les premières frappes et l’ouverture d’un conflit armée pour pouvoir parler d’ennemi, comment diable conduire une politique étrangère, mettre en place des alliances, organiser un dispositif militaire et préparer des plans de guerre?

[2] Il s’agit du sommet de Bruxelles (juin 2021), au cours duquel l’OTAN a entamé son pivotement vers la Chine (le « China turn »). Dans le communiqué final du sommet atlantique de Bruxelles, en date du 14 juin 2021, un article entier est consacré à la Chine populaire : « Les ambitions déclarées de la Chine et son assertivité présentent des défis systémiques pour l’ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l’importance pour la sécurité de l’Alliance. Nous sommes préoccupés par celles des politiques coercitives qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales inscrites dans le traité de Washington. La Chine accroît rapidement son arsenal nucléaire, se dotant d’un plus grand nombre d’ogives et de vecteurs sophistiqués pour établir une triade nucléaire. Elle fait preuve d’opacité dans la mise en œuvre de la modernisation de son appareil militaire et dans celle de sa stratégie de fusion militaro-civile publiquement déclarée. Elle coopère par ailleurs avec la Russie dans le domaine militaire, notamment en participant à des exercices russes dans la zone euro-atlantique. Nous restons préoccupés par le fait que la Chine manque souvent de transparence et a fréquemment recours à la désinformation. Nous appelons la Chine à respecter ses engagements internationaux et à agir de manière responsable au sein du système international, notamment dans les milieux spatial, cyber et maritime, en conformité avec son rôle de grande puissance » (point 55). Le point 56 porte également sur la Chine populaire, et en appelle au « dialogue ». L’année suivante, le  29 juin 2022, le sommet atlantique de Madrid confirmait ce « China turn ». Le nouveau Concept stratégique mentionne à sept reprises la Chine populaire. Le point 13 est rédigé comme suit : « La République populaire de Chine affiche des ambitions et mène des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs. Elle recourt à une large panoplie d’outils politiques, économiques et militaires pour renforcer sa présence dans le monde et projeter sa puissance. Parallèlement, elle entretient le flou quant à sa stratégie, à ses intentions et au renforcement de son dispositif militaire. Ses opérations hybrides ou cyber malveillantes, sa rhétorique hostile et ses activités de désinformation prennent les Alliés pour cible et portent atteinte à la sécurité de l’Alliance. Elle cherche à exercer une mainmise sur des secteurs technologiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique et des matériaux et chaînes d’approvisionnement stratégiques. Elle utilise le levier économique pour créer des dépendances stratégiques et accroître son influence. Elle s’emploie à saper l’ordre international fondé sur des règles, notamment pour ce qui concerne les domaines spatial, cyber et maritime. Le resserrement du partenariat stratégique entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, ainsi que leurs tentatives, se conjuguant entre elles, qui visent à déstabiliser l’ordre international fondé sur des règles, vont à l’encontre de nos valeurs et de nos intérêts. » Le point 14 souligne le fait que les Alliés sont ouverts à la coopération mais la Chine est ensuite mentionnée sous l’angle de la menace nucléaire (point 18), des cyber-menaces et de la menace hybride (point 43).

[3] Voir Laurent Amelot, Charles-Emmanuel Detry et Éric Vincent Grillon, Le statu quo dans le détroit de Taïwan peut-il se maintenir ?, Institut Thomas More, note 60, avril 2023.

[4] Lancé en 2012, le forum « 16 +1 » réunit la Chine populaire et des pays d’Europe centrale et balkanique. Un dix-septième participant, la Grèce, l’a rejoint par la suite. En revanche, la Lituanie en est sortie et elle a autorisé l’ouverture à Vilnius d’un « bureau de représentation de Taïwan » (novembre 2021). Depuis, Pékin mène à ce pays, membre de l’OTAN et de l’Union européenne, une forme de « guerre hybride ». Voir Laurent Amelot, Le rapprochement entre Taïwan et les pays d’Europe centrale et orientale. Concilier effet de bascule et logique de puissance, Institut Thomas More, note 59, février décembre 2023.

[5] Voir Laurent Amelot, Hughes Eudeline et Jean-Sylvestre Mongrenier, La Nouvelle-Calédonie dans la France : les enjeux géopolitiques du référendum du 12 décembre, Institut Thomas More, note d’actualité 77, décembre 2021.

[6] Le Quad Indo-Pacifique est une structure de coopération qui regroupe les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Fondé en 2004 pour faire face aux effets du Tsunami en Asie, le Quad a été formalisé en 2007, en marge d’un sommet de l’ASEAN (Association des nations d’Asie du Sud-Est). Relancée en novembre 2020, cette structure de coopération a tenu un sommet virtuel l’année suivante, ses chefs d’État et de gouvernement publiant alors une tribune collective (12 mars 2021). Le « Quad + » consiste en un élargissement ponctuel du Quad Indo-Pacifique à d’autres pays de la région tels que la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, le Vietnam, voire d’autres pays de l’ASEAN, en vue d’instaurer une coopération plus large.

Coup de rouge

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Le chroniqueur Olivier Dartigolles © Hannah Assouline

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Ici, la liberté du chroniqueur est totale. Pour autant, avant d’écrire, j’aime bien prendre la météo de l’humeur de la rédactrice en chef. « Tu es très sérieux dans tes deux premiers textes ! » Elle dit « très », j’ai compris « trop ». Alors allons-y, prenons le chemin d’une mégabassine de poilade, dégoupillons une bombe de désencerclement pour étourdir la foule des fâcheux et des fâchés. J’ai donc commencé par la lecture du dernier livre d’Éric Zemmour. La première citation m’a fait sourire. L’auteur convoque le souvenir de Georges Marchais, mais avec une regrettable approximation. « Vous avez vos questions, j’ai mes réponses ». Non, non ! Il faut écrire, « C’est peut-être pas votre question, mais c’est ma réponse » (« Le grand débat », 3 mars 1981) et rien d’autre. Comment un candidat à l’élection présidentielle a-t-il pu à ce point ne pas répondre à la question sociale, aux injustices, à l’humiliation des gens de peu à qui Macron ne propose aujourd’hui que le choix entre résignation et radicalité sans perspective ?

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Mais ne nous laissons pas distraire, je sais ce que traduit ce « trop sérieux ». La réforme des retraites ne serait pas si douloureuse. Et cette « COLÈRE », vous n’en faites pas un peu trop, les opposants ? Deux ans de plus, rien de bien méchant ! Ce salarié d’une entreprise de l’agroalimentaire à Quimper, qui n’a jamais connu, en vingt-deux ans d’activité professionnelle, un pot de départ à la retraite de l’un de ses collègues, ne peut-il pas prendre un peu sur lui ? Les collègues ? Tous partis avant le discours de la direction, avant les accolades entre copains, avant le cadeau : un abonnement à Causeur pour comprendre qu’il y a d’autres sujets plus conséquents que celui d’une retraite en bonne santé.

Mais ne nous laissons pas attendrir, dans cette période entre chien et loup, rions un peu ! Alors que notre pays ne produit toujours pas assez pour se redresser réellement, l’intelligence artificielle ChatGPT fait des merveilles.

Question : Qui est emporté par la foule ?
Réponse : « Emporté par la foule est une chanson française de 1962 interprétée par le chanteur français Michel Polnareff ».
Pensée pour la môme Piaf.

Question : Élisabeth Lévy sera-t-elle appelée à Matignon ?
Réponse : « Je suis une intelligence artificielle et je n’ai pas accès aux informations privées ou confidentielles […] je vous suggère de suivre les informations publiques et les actualités pour être informé si une telle nomination est annoncée. »
Ce que nous ferons.
À vrai dire, le chroniqueur n’a pas le cœur à poursuivre l’exercice, alors que la gravité de la période actuelle nous éloigne dangereusement d’un avenir commun. Les cœurs et les âmes se noircissent sans que cela attire la lumière comme savait si bien le faire Pierre Soulages. Notre débat public s’abîme à une vitesse folle. La nuance et la complexité deviennent une audace qui se fracasse contre les murs des émotions et des pulsions. Le marketing et la morale remplacent la politique. J’ai la nostalgie des débats des dernières décennies et je me surprends à passer de plus en plus de temps sur les archives de l’INA.
Mais toute journée apporte cependant sa surprise, sa fulgurance, sous la forme d’une pensée, d’une rencontre, d’un livre.

Question : Est-il possible d’espérer ?
Réponse : « Oui, il est possible d’espérer. […] Bien que la vie puisse parfois être difficile et imprévisible, il est important de garder espoir et de croire que les choses peuvent s’améliorer à l’avenir. »
Ce que nous ferons.

«Vous ne verrez pas ma binette sur CNews!»

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Sophie Binet, nouvelle secretaire generale de la CGT, Paris, 6 avril 2023 © Chang Martin/SIPA

Sophie Binet enterre la CGT du patriarcat moustachu. Elle est jolie, elle a la tête d’une Marie-Chantal bien élevée, mais dedans, c’est peut-être pire encore que Philippe Martinez!


La CGT en a fini avec l’ère du patriarcat moustachu à la papa. Fini Philippe Martinez, place à la jeune et séduisante Sophie Binet. Le militantisme syndical s’est professionnalisé en élisant une femme à peine quarantenaire, connue pour son engagement à gauche toute depuis plus de quinze ans. Sophie Binet fut en effet l’une des figures de la contestation contre le Contrat Première Embauche, mouvement lors duquel elle était alors à la tête de l’UNEF, longtemps centre de formation des caciques du Parti socialiste. En 2016, celle qui était devenue permanente de la CGT s’opposa au gouvernement socialiste et à la loi travail de Myriam El Khomri.

Un CV vide

Cette ancienne adhérente du PS coupait le cordon avec la maison mère, au moment où la synthèse issue du congrès d’Epinay s’effondrait sous le poids de ses propres contradictions, faisant des alliés d’autrefois des ennemis pour la vie, l’aile réformiste reprise par Valls et Macron entrant officiellement en conflit ouvert avec les socialistes canal historique toujours fidèles aux idéaux marxistes. On se doute d’ailleurs que les petits jeux politiques ont dû plus passionner Sophie Binet que le travail en bonne et due forme, son parcours professionnel présentant quelques absences…

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La première femme à diriger la CGT depuis sa formation en 1895 a un CV vide. Etudiante en philosophie, militante à l’UNEF et un temps CPE, elle a été très vite détachée pour prendre la direction de l’Union des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT-CGT). On se demande bien pourquoi cette branche n’a pas pris un véritable ingénieur ou technicien pour la représenter, mais soit. Son prédécesseur fut quant à lui un véritable travailleur, technicien métallurgiste aux usines Renault de Boulogne-Billancourt, mais à l’heure où le nombre de cadres a dépassé le nombre d’ouvriers en France, la nomination de Madame Binet doit être dans l’air du temps de notre économie post-industrielle…

Une gauche intolérante

Dogmatique, très concentrée sur les enjeux de société, Madame Binet a fait la première démonstration de son sectarisme en refusant de répondre aux questions de CNews, invoquant sa défense du « pluralisme » que la chaine ne garantirait pas. On peut pourtant y apercevoir parfois Antoine Léaument ou Sandrine Rousseau… Sophie Binet a-t-elle compris que la CGT est un syndicat représentant les travailleurs et non un parti politique, du moins en théorie ? C’est tout le problème des « partenaires sociaux français » qu’on devrait renommer « partenaires socialistes ».

A relire: Causeur: Qui veut la peau de Pascal Praud?

Ils sont uniquement dans l’opposition et peu enclins au dialogue, rêvant toujours de grands soirs et de « blocages infrastructurels » !


La nouvelle patronne de la CGT s’embrouille bêtement devant le micro de CNews, après qu’un de ses sbires lui ait sommé de ne plus répondre.