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Biden-Djokovic, l’étrange match de l’humanité

Après deux ans d’absence, Novak Djokovic, le « non vacciné » le plus célèbre au monde est de retour sur le sol américain. Sa réapparition suscite un immense intérêt du public, avec des files d’attente interminables pour voir ses entraînements, ou encore la présence de Barack Obama dans le public lors de son premier match de l’US Open. Un incroyable parcours.


En mars dernier, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, a adressé un courrier au président des États-Unis, Joe Biden, pour lui demander d’autoriser l’entrée dans leur pays… d’un citoyen serbe. À l’époque, Washington n’avait pas encore levé les restrictions liées au Covid-19 pour les étrangers non-vaccinés, ce qui était le cas de l’homme en question. Au premier regard, la demande parait totalement absurde quand on connaît l’importance des dossiers du locataire de la Maison Blanche, mais c’est sans savoir que le citoyen serbe en question s’appelait Novak Djokovic, le champion de tennis dont les performances sportives ainsi que les actualités au-delà du simple cadre tennistique ont hissé au rang des personnalités les plus connues de la planète. Quelques semaines avant la lettre de DeSantis, Djokovic a ému le monde, et ce, bien au-delà du simple cercle des amateurs de tennis, en remportant à Melbourne son dixième tournoi d’Open d’Australie (et son 22e titre de Grand Chelem), égalant le record de son rival de toujours, Rafael Nadal. Cette victoire, malgré sa valeur sportive extraordinaire, fut davantage une démonstration de force mentale qu’aucun athlète, probablement, n’a pu manifester avant lui. Car un an auparavant, à l’occasion du tournoi de l’Open d’Australie, le Serbe s’était vu d’abord refuser l’entrée au pays, ensuite contraint de squatter dans un centre de rétention pour immigrés et, finalement expulsé du territoire australien. Et cela à cause de son choix de ne pas se faire vacciner contre le coronavirus. Le procès collé au numéro un mondial a été purement politique. Novak Djokovic est devenu, malgré lui, la proie parfaite pour les élites au pouvoir veillant sur notre santé et qui ont voulu, à travers lui, punir sur la scène planétaire tous les « anti-vax ». Parmi ces derniers se trouvaient, il est vrai, les complotistes adhérant à des théories farfelues, mais aussi des millions d’individus adultes responsables (dont le natif de Belgrade) qui revendiquaient le droit de décider de leur propre chef de se faire injecter ou pas les substances chimiques du vaccin dans le corps.

Que cet acharnement (qui a obligé le gouvernement du Premier ministre australien de l’époque, Scott Morrison, à annuler la décision du tribunal de Melbourne favorable au Serbe) soit tombé sur Djokovic fut particulièrement frappant. Depuis son apparition sur le circuit professionnel, le tennisman s’est distingué par ses recherches approfondies du « pouvoir extraordinaire » du corps et de l’esprit humain.  Son régime anti-gluten aurait aidé des milliers de personnes partout dans le monde, sportifs ou pas à se débarrasser de problèmes de santé. Son hygiène de vie, son appétence pour les neurosciences ou encore les pratiques de la méditation ont révélé un athlète qui ne se contente pas d’être là pour ravir les sponsors et les médias et faire grossir son compte en banque. Djokovic a endossé le costume de champion – pionnier, celui qui amène les performances à un niveau jamais connu, comme le firent avant lui Nadia Comaneci, Michael Jordan ou plus récemment Usain Bolt.

Lettre morte

Le président Biden n’a pas donné de suite favorable à la lettre de DeSantis. Rien de surprenant si on se souvient de sa position très ferme sur les mesures anti-Covid. Lorsqu’il n’était encore que candidat, Joe Biden a été critiqué pour avoir porté un masque, tout au long de sa campagne de 2020, et pour l’organisation de ses rares meetings électoraux principalement en mode drive-in sur des parkings… Il n’est pas certain, par ailleurs, que le nom du tennisman lui dise forcément grand-chose. Djokovic, lui, est sans doute mieux renseigné sur l’homme politique américain et pour cause… Il y a presque 25 ans, Joe Biden, alors membre du comité aux affaires étrangères au Sénat, a été un fervent partisan des bombardements de Belgrade par les pilotes américains, voyant dans cette approche l’unique possibilité de garantir la sécurité de l’Amérique et de l’Europe démocratique. Dans ses interviews, Djokovic a souvent raconté à quel point les bombardements de 1999 par les troupes d’Otan, pendant 78 jours, avaient traumatisé son enfance, l’avaient rendu ultra-sensible aux bruits soudains et l’ont fait détester les guerres. Dans son autobiographie « Service gagnant », sortie en 2013, il raconte comment il cherchait à protéger ses deux petits frères à Belgrade dans un appartement plongé dans le noir, âgé de 11 ans, après la première explosion et alors que son père secourait sa mère qui avait perdu connaissance en se cognant contre le radiateur.

Plus de deux décennies plus tard, quand la Russie a brutalement envahi l’Ukraine et alors que les stars sportives, dont Federer et Nadal, évitaient de s’exprimer au sujet épineux de la guerre, Djokovic s’est empressé d’envoyer un texto au tennisman ukrainien Serhiy Stakhovsky: « Je pense à toi… Si tu as besoin d’aide financière ou autre donne-moi l’adresse ». Le texto était personnel, mais Stakhovsky, très ému, a demandé l’autorisation du Belgradois de le rendre public, afin de montrer à ses compatriotes le soutien apporté par un célèbre champion. Et dire que l’échange s’est produit quelques semaines à peine après la mésaventure australienne du Serbe, et alors qu’il avait toutes les raisons de détester le monde et d’en vouloir à sa profession pour son manque de soutien ! Djokovic, comme à son habitude, ne s’est pas caché, il a fait parler son grand cœur slave, bien que la Serbie maintienne des liens d’amitié avec la Russie et que lui-même n’ait jamais cherché à dissimuler son patriotisme et notamment sa position sur le Kosovo, la terre natale de son père. On se souvient des mots qu’il a écrits sur la caméra de France Télévisions lors du dernier Roland Garros, en assumant une possible sanction pour son geste : « Le Kosovo est le cœur de la Serbie ! Arrêtez la violence ».

Deux vétérans

Joe Biden et Novak Djokovic ne se sont jamais rencontrés ; ils appartiennent à deux générations différentes, mais l’ironie de l’histoire moderne a bien voulu croiser leurs destins et faire d’eux les incarnations les plus abouties, probablement, de notre époque. L’un représente le pouvoir absolu, porté par les puissantes institutions de son pays si riche de talents et d’entrepreneurs et qui, face aux gesticulations impérialistes de Vladimir Poutine et les ambitions géopolitiques de Xi Jinping, est bien décidé à recycler la mécanique la plus redoutable de la guerre froide du siècle passé, dans un monde qui a pourtant changé d’ère et d’idéologies. Qui, et quelle incroyable coïncidence, a bien insisté auprès du même Premier ministre australien Morrison (qui avait expulsé Djokovic), pour faire annuler en septembre 2021 le contrat à 56 milliards d’euros avec la France pour 12 sous-marins.

Face au vétéran de la politique au sourire difficilement lisible, il y a un autre vétéran, celui du tennis, surgi d’un pays en ruines, arrivé au sommet de son art malgré les incalculables obstacles sportifs et extra-sportifs, qui n’a jamais arrêté d’innover, de chercher la voie qui ferait de lui un meilleur homme et un meilleur athlète. Il y a quelques jours, en vue de la saison tennistique nord-américaine, Djokovic a enfin débarqué aux États-Unis, après deux ans d’absence. « Je n’ai aucun regret » a-t-il crânement déclaré aux journalistes au sujet de cette pause forcée. Il ne sera jamais aimé de tous, comme toute personne qui explore de nouveaux chemins. Mais le Serbe a déjà gagné l’immense considération des amateurs de sport du monde entier qui suivent son parcours. Le président de la plus grande puissance militaire, de son côté, continue de nous préparer à affronter le pire…

Sylvia Plath: le mal de vivre comme œuvre d’art

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Denoël publie une nouvelle édition du roman culte La Cloche de détresse de Sylvia Plath, dont la traduction a été révisée, avec une préface plutôt intéressante de Jakuta Alikavazovic.


La grande poétesse américaine Sylvia Plath (1932-1963) n’a écrit qu’un seul roman, mais il brille comme un diamant noir dans l’horizon perdu de sa nuit. La Cloche de détresse a été publié deux mois avant son suicide, à l’âge de trente ans. Elle y relate ses années étudiantes, contrariées par une crise dépressive très grave, qui l’obligea à poursuivre une thérapie dans divers hôpitaux et cliniques. Les psychiatres lui administrèrent des électrochocs qui la terrorisaient. Sylvia Plath raconte en détail ce périple de la douleur mentale, dominée par l’obsession du suicide, dont elle ne cache rien dans son roman. Elle fit plusieurs tentatives, dont une vraiment sérieuse. Elle eut la chance d’en réchapper cette fois-là, mais ce ne fut qu’un sursis bien fragile et incertain.

Des signes avant-coureurs

La Cloche de détresse commence au début des années 50. Sylvia Plath, brillante élève, douée pour les lettres, obtient une bourse pour aller étudier à New York. Dans un premier temps, tout se passe à peu près bien, malgré certains signes avant-coureurs qu’elle note avec précision. Ainsi, elle écrit : « je me sentais très calme, très vide, comme doit se sentir l’œil d’une tornade qui se déplace tristement au milieu du chaos généralisé ». Ces descriptions psychologiques créent, sous la plume de Sylvia Plath, une atmosphère d’étrangeté, d’autant plus qu’elle n’essaie jamais de se masquer le mal dont elle souffre. Cela concerne aussi bien les petites choses, comme ce qu’elle commande quand elle est dans un café : « Je rêvais de commander quelque chose un jour et de découvrir que c’était délicieux. » Mais cela concerne souvent des émotions plus critiques, que Sylvia Plath nous fait ressentir par des notations sibyllines : « Le miroir au-dessus de mon bureau me paraissait légèrement déformant et beaucoup trop argenté. Je m’y voyais comme dans une boule d’amalgame dentaire. » La formulation doit beaucoup à la poésie.

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À la fin de l’année universitaire, elle rentre chez elle, ne sachant pas ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle tente de terminer la lecture de Finnegans Wake de James Joyce, mais n’arrive plus à se concentrer. Une séance de cinéma avec des amis la rend « toute chose ». Sa mère n’arrête pas de lui seriner qu’un diplôme de lettres ne mène à rien, et qu’il faut qu’elle apprenne la dactylo pour devenir secrétaire. Elle se pose par ailleurs beaucoup de questions sur l’amour et la sexualité. « Quand j’avais dix-neuf ans, écrit-elle par exemple, la question de la virginité était capitale. » Sylvia Plath décide qu’elle ne se mariera pas, ce qui ne l’empêche pas de désirer tomber amoureuse d’un garçon.

Introspection psychologique

Son état empire et la pousse à l’introspection. Le matin, elle se réveille aux sons de marches militaires. L’exécution des époux Rosenberg la sidère et l’obsède. Elle assiste à une représentation théâtrale « où l’héroïne était possédée par un dibbouk ». Du coup, quand elle écoute son amie Hilda parler, elle a l’impression d’entendre le dibbouk. Tous ces éléments accumulés sont perçus par Sylvia Plath de manière très angoissante, à tel point qu’elle en arrive à cette conclusion générale : « je sombrais dans la mélancolie ». Souffrant d’une insomnie chronique, elle note, dans une formule très impressionnante : « Je voyais les jours de l’année s’étaler devant moi comme une succession de boîtes blanches et étincelantes, et, entre chaque boîte, il y avait le sommeil, semblable à un voile noir. » On sent ici également, dans cette prose implacable, toute l’expérience littéraire de Sylvia Plath, auteur de multiples recueils de poésie. Son élaboration des symptômes de sa psychose est d’une stupéfiante lucidité, et la preuve d’une très grande intelligence.

Une « Montagne magique » impitoyable

Sylvia Plath, en écrivant La Cloche de détresse, a eu le courage des grands auteurs, qui ne laissent dans l’ombre aucun détail caractéristique, fût-il honteux ou dépréciatif pour eux. Au contraire, elle dit tout, jusqu’à ce que le livre fasse sens. D’où des scènes remarquables, racontées avec une espèce de froideur, comme sa visite sur la tombe de son père sous une pluie battante, où elle semble si fragile. Elle utilise aussi l’ironie, tentative pour mieux mettre en perspective ce passé récent très douloureux – qui finira d’ailleurs par la rattraper.

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La Cloche de détresse est à placer dans la même catégorie de romans que La Montagne magique de Thomas Mann, ou encore certains écrits autobiographiques de Thomas Bernhard ou de Fritz Zorn. Chez Sylvia Plath, cela se passe dans des asiles d’aliénés, et l’impression de révolte en est d’autant plus aiguë et touchante. Quand elle en sort, après des mois de claustration, elle évoque une « renaissance ». Aura-t-elle ressenti une même sensation de délivrance, dix ans plus tard, après avoir achevé ce roman impitoyable dans lequel elle déverse le trop-plein de son cœur ? Cela n’empêcha pas Sylvia Plath, en tout cas, juste après la parution de La Cloche de détresse, d’ouvrir le gaz…

Sylvia Plath, La Cloche de détresse. Préface de Jakuta Alikavazovic. Traduction de l’anglais révisée par Caroline Bouet. Éd. Denoël.

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Algérie: en eaux troubles…

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Décès de deux Franco-Marocains, tués par des gardes-côtes au large de l’Algérie: vers une affaire diplomatique?


Mardi 29 août, quatre hommes binationaux franco-marocains partis faire une balade en scooter des mers sur les rives de la mer Méditerranée s’égaraient au large de Saïdïa, station balnéaire marocaine frontalière de l’Algérie. Deux d’entre eux n’en reviendront pas. Pour l’heure, le Quai d’Orsay a confirmé l’un de ces deux décès, le deuxième jeune homme étant présumé mort et son corps disparu en mer. Un troisième homme, lui aussi binational, serait actuellement détenu par la police algérienne. Quant au dernier jeune homme, il a pu revenir à bon port et raconter les évènements.

De son nom Mohamed Qissi, il a répondu au média marocain Al-Omk : « Nous avons su que nous étions en Algérie, car un zodiac noir algérien est venu vers nous, il a commencé à zigzaguer comme s’il voulait nous renverser. Ils ont tiré sur nous. Dieu merci, je n’ai pas été touché, mais mon frère et mon ami, ils les ont tués. Ils ont arrêté mon autre ami. Ils ont bien vu qu’on était désarmés, mon petit frère a échangé avec eux et pourtant ils ont tiré ». L’homme affirme avoir réussi à s’enfuir. Son véhicule étant tombé en panne d’essence, il a dû le tracter à la nage avant d’être récupéré par la gendarmerie marocaine prévenue par les familles des disparus.

Cette histoire choquante n’en est probablement encore qu’à ses prolégomènes, les enquêtes policières de trois États différents s’entrechoquant dans un contexte diplomatique par ailleurs tendu ces derniers mois. Il s’agit d’un nouvel épisode déplorable et dramatique d’une forme de guerre froide à bas bruit entre le Maroc et l’Algérie. Le roi Mohamed VI a pourtant appelé de son côté à un apaisement et un « retour à la normale » malgré la rupture des relations diplomatiques lors de son discours de la fête du trône. Quant à la France, elle se retrouve aussi embarquée dans cette triste affaire, les victimes étant ses ressortissants.

Le ministère des Affaires étrangères ne s’est pas encore exprimé sur le fond de l’affaire, se contentant d’une sobre déclaration. «Le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et nos ambassades au Maroc et en Algérie sont en contact étroit avec les familles de nos concitoyens, à qui nous apportons tout notre soutien», a ainsi affirmé le ministère dans un communiqué. Une position semblable à celle diffusée par l’Agence de presse marocaine qui a relayé l’ouverture d’une enquête par le Parquet d’Oujda qui entend « recueillir les informations nécessaires sur les circonstances dudit incident » ajoutant que « plusieurs personnes faisant partie des familles et entourages de ce groupe de jeunes (avaient) été auditionnées ». L’attitude des gouvernements français et marocains est prudente. C’est de bon aloi.

L’Algérie reste de son côté silencieuse, n’ayant communiqué aucune information. On se souvient pourtant que dans un tout autre contexte, celui des émeutes et l’affaire Nahel, le gouvernement algérien avait fait part de son « choc » et de sa « consternation », osant même rappeler à la France son « devoir de protection ». Pis, le ministère des Affaires étrangères algérien faisait carrément état sans attendre un commencement de preuve de  « circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes » entourant l’intervention policière, jetant un peu plus d’huile sur le feu. Ils n’ont évidemment jamais appelé au calme leurs ressortissants qui s’illustraient durant les émeutes qui ont coûté plusieurs milliards d’euros aux Français et aux Françaises…

Il faudra être particulièrement vigilant quant aux suites de ce drame. Protéger ses frontières n’offre pas un permis de tuer. Que n’entendrait-on d’ailleurs pas si la France avait commis le dixième d’un tel acte… Les esprits s’échauffent d’ailleurs déjà sur les réseaux sociaux, témoignant d’une confrontation grandissante. Il va falloir calmer les esprits, ce ne sera pas chose facile.

Galanterie et sexisme: suis-je un prédateur sexuel qui s’ignore?

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L’autre jour, à l’Université, arrivé simultanément devant la même porte qu’une jeune collègue, je me suis effacé devant elle en faisant une aimable plaisanterie (du moins le croyais-je) sur le conflit de normes de civilité, entre position hiérarchique (qui me permet de passer devant elle) et galanterie (qui implique que je la laisse passer).


Aïe. Elle m’a répondu sèchement qu’en résumé la galanterie était une « forme de sexisme ». J’en suis resté un peu stupéfait et, pour le coup, sans voix. Voilà tant d’années que je m’efface devant les femmes qui m’accompagnent ou qui croisent mon chemin, sauf, comme on me l’a appris, pour entrer dans un café, ou pour monter un escalier par exemple. Il faut dire que la plupart du temps cela est vécu comme de la politesse ordinaire, ou parfois, selon le contexte, comme une simple marque d’attention. Mais là, de plus en plus, dans le contexte d’une cancel culture de plus en plus envahissante, je vois bien que ce geste de civilité tranquille est mal interprété, voir considéré comme le début d’une sorte de harcèlement.

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J’avoue que tout cela m’a perturbé dans un premier temps. Ai-je fait fausse route pendant tout ce temps ? Et si tout ce que l’on m’avait appris n’était que le masque poli d’un mépris pour l’autre sexe, l’exercice d’une domination dissimulée ? Derrière mes apparences policées ne serais-je pas un harceleur policé, un prédateur qui s’ignore ? Et mes partenaires qui apprécient ce geste, des femmes ignoblement soumises, traîtresses à leur genre et tout droit sorties d’Histoire d’O ? J’ai emprunté deux chemins pour tenter de répondre à ces questions et calmer un peu mes angoisses.

Galanterie et pacification des mœurs

D’abord en faisant retour sur les normes de politesse entre les sexes qu’on appelle la « galanterie ». Ce terme, qui est devenu un gros mot pour certains, sert en fait à désigner historiquement (à l’époque de la Renaissance, période où la civilité moderne se met en place) les nouveaux rapports entre hommes et femmes d’une société qui se veut plus civilisée. Le Moyen âge qui précède est un moment où ces rapports sont d’une grande brutalité, l’homme se comportant, de façon légitime socialement, comme un prédateur sexuel, et la femme ne pouvant compter que sur la protection armée de sa famille. Le poids des hiérarchies sociales est tel que par exemple l’agression sexuelle commis par un maître sur une servante n’est pas véritablement considéré comme un viol ni même une violence. Ce que la galanterie reflète et instaure progressivement, c’est une pacification des relations entre les sexes. La grande nouveauté est que l’on demande à la femme si elle est d’accord… On s’expose enfin à son refus. La politesse se substitue à la violence. S’effacer devant une femme pour entrer dans un bâtiment, c’est lui reconnaître un statut privilégié et lui signifier son caractère précieux. Le rustre prend sans demander et passe devant, l’homme moderne, emprunt de civilité, demande et s’efface. Le tout culminera à la cour du Roi, où, si l’on en croit Laclos ou Casanova, le grand chroniqueur de son époque, les femmes mènent autant que les hommes le bal amoureux.

On pourrait soutenir, même si la thèse est un peu audacieuse, que le désir (désirer l’autre sexuellement dans une démarche d’empathie fantasmée), catégorie émergente à cette époque et qui se substitue à la pulsion, est peut-être né dans le giron de la galanterie et de ces nouveaux rapports plus symétriques entre hommes et femmes. Avec ce petit rappel historique, me voilà un peu rassuré, ma politesse est peut-être l’antithèse d’une violence. Elle porte un projet de société, plus pacifiée.

Harcèlement et défaite de la politesse

Mais du coup s’ouvre un deuxième chemin pour la réflexion. Je résume l’idée : et si, justement, l’effacement et la délégitimation de la galanterie étaient en partie responsables de l’éclosion actuelle du harcèlement sexuel ? La piste vaut la peine d’être suivie… Tous ces personnages publics qu’on désigne du doigt actuellement ont eu des comportements très en rupture avec les formes de politesses classiques, qui impliquent justement, comme toutes les autres formes de civilité, une distance entre les êtres. C’est de ne pas avoir été galants et de s’être comportés comme des brutes (même s’ils y ont mis les formes, et encore, pas toujours) qui les a conduits là. La galanterie aurait protégé leurs victimes. C’est sa défaite qui a conduit à leur brutalisation. Sans compter la présence sur notre sol de nombreuses cultures, peu enclines à s’effacer, où la galanterie relève encore d’un futur improbable. À suivre…

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Je ne défends pas ici les bonnes vieilles traditions. Les manifestations du respect mutuel peuvent bien évoluer et ne passeront pas toujours par le fait de tenir la porte en s’effaçant aimablement. Mais les formes actuelles prises par le harcèlement sexuel montrent que les normes de la galanterie n’ont été remplacées par rien de tangible, et que l’individu moderne est laissé à lui-même, dans ce domaine comme dans d’autres. Tout redevient permis.

Je maintiens

En attente de nouvelles normes stables de respect mutuel entre les hommes et les femmes qui soient satisfaisantes, et sans doute pour le temps qui me reste à vivre, je choisis donc, malgré la remarque acerbe de ma jeune collègue (que je ne désespère pas de convaincre et à qui je dédie ce court billet) de continuer à être galant, contre vents et marées.

Cosa mostra

Stupeur dans la cité des doges. Tempête sur la lagune. Venise dans tous ses états. Et Casanova qui se tord de rire sous son linceul.


Imaginez un peu ! Alberto Barbera, le directeur artistique de la Mostra de Venise, l’une des plus prestigieuses manifestations cinématographiques au monde avec Cannes, Berlin et Hollywood, a le front d’accueillir parmi ses hôtes Luc Besson, Woody Allen et Roman Polanski. Outre leur talent pour le septième art, ces réalisateurs ont en partage d’avoir dû répondre au cours de leur vie de « comportements inappropriés », voire d’agressions sexuelles à l’encontre de femmes. Alors, fureur, hurlements horrifiés des croisées du féminisme. Barbera a beau faire valoir que la justice est passée, que rien n’a été retenu contre Besson et Allen et que, pour ce qui est de Polanski, la victime en personne, près d’un demi-siècle s’étant écoulé, considère l’affaire close et affirme même ne plus vouloir en entendre parler, rien n’y fait. Pour les gardiennes du temple des mille vertus, il faut absolument chasser de Venise ces « monstres », expurger de la planète cinéma ces criminels, ces dépravés, ces abjects résidus d’un fascisme patriarcal et sexuel qui n’a que trop sévi.

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À ce propos, on se gardera de rappeler à ces dames que la Mostra elle-même est de création fasciste bon ton. On en doit l’initiative à l’illustre Giuseppe Volpi, comte de Misurata, franc-maçon encarté chez Mussolini dont, par ailleurs, il sera longtemps le très influent ministre des Finances. À l’époque, pour la plus haute récompense de la manifestation, on ne parlait pas de Lion d’Or, mais tout bonnement de « Coupe Mussolini ». En outre, encore aujourd’hui, la meilleure actrice et le meilleur acteur sont honorés de la « Coupe Volpi ». Est-ce possible ! Un trophée exhumé de ces heures si sombres ! Que fait la police des symboles ? Mais oui, nous éviterons de rappeler cette genèse légèrement malodorante de crainte que – au nom de l’implacable intersectionnalité des luttes – les cohortes autoproclamées anti fascistes ne viennent exiger non seulement l’exclusion du trio sus évoqué, mais la suppression même de la manifestation. Barbera fourbit une formule bien trouvée pour justifier son choix d’invités : « Je défends la justice, pas la persécution ». Par les temps qui courent, les petites mafias inquisitoriales s’en donnant à cœur joie, la pertinence de cette formule vaut probablement pour bien d’autres sujets.

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Symbolique intéressante : le 6 août 1932, en soirée, le premier film projeté dans le cadre du festival était le « Docteur Jekill et Myster Hyde » de Rouben Mamoulian. D’une certaine manière, cela revenait à poser d’emblée la question qui émerge  aujourd’hui avec cette actualité vénitienne et surtout notre trio d’invités. N’y a-t-il pas chez eux quelque chose de cette dualité, vaguement infernale il est vrai mais peut-être bien constitutive du ferment de leur créativité ? Autrement dit, les âmes lisses, les esprits simples et sains, sans travers ni aspérités, sont-ils fertiles ? Fertiles de ce type de fertilité, dirions-nous. Cela n’absout en rien les comportements des uns et des autres et la justice doit passer dans toute sa rigueur. Quels que soient les coupables. Mais dans ces cas précis – et pour tant d’autres tout au long de l’histoire culturelle de l’humanité – il reste l’œuvre. La chose produite. On sait bien que c’est une huître malade, dégénérée qui donne la perle. Quant à la pure merveille qu’est le vin d’Eyquem, c’est l’alchimie d’une pourriture automnale qui en est le secret. « Pourriture noble », certes, mais pourriture quand même. Allons comprendre…

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Petit motif de satisfaction pour nos activistes féministes, lors de l’édition inaugurale de 1932, le premier film italien programmé avait pour titre : « Les hommes, quels mufles ! ».

Une épopée francaise: Quand la France était la France

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Blaise Pascal, la raison et la foi

Blaise Pascal est né voilà 400 ans. Ce génie absolu reste un mystère.


Blaise Pascal rend son âme à Dieu le 19 août 1662, à trente-neuf ans, brûlé par le travail et la foi. On entre dans sa chambre. On découvre des liasses de papiers qu’on n’ose appeler brouillons. Son écriture est quasi illisible. On déchiffre, on utilise des copies, on compare, travail de fourmi, délicat et imparfait. Ses proches proposent le titre de Pensées pour une éventuelle publication. Pour Les Provinciales, qui deviendront un long-seller, il n’existe aucune copie manuscrite des 18 lettres, seulement des plaquettes dont certaines auront des rééditions clandestines et modifiées. Le style de Pascal est cependant unique. Il faudra donc lire ce mathématicien génial en sachant que, jamais, nous ne parviendrons à la restitution entière de ses fulgurances littéraires, touchées par la grâce. Une seule certitude, justement : Pascal fut touché par la grâce. Il mène une vie de patachon, et puis tout à coup, c’est la grande brûlure divine qui le détourne du divertissement permanent.

Croire est raisonnable

Nous sommes le 23 novembre 1654 et le cœur de Pascal s’enflamme entre 10 heures du soir et minuit. Dieu existe, le Christ nous donne la clé universelle du paradis. Ébranlement absolu. La fièvre saisit le dévoyé. Vite, du papier ! Il faut écrire tout cela, frénétiquement, sans relâche, le temps lui est compté, il le pressent, car la passion consume les forces vives comme l’incendie la paille. Il prend une feuille de papier, consigne à sa manière, c’est-à-dire dans son style ardent, cette nuit de feu, qui deviendra « la nuit pascalienne », la glisse dans la doublure de son vêtement. Elle sera là, jusqu’à sa mort, pour rappeler que Dieu, seul, vaut que la vie terrestre soit vécue. Il faut faire le pari de son existence. Pascal parie sur l’éternité. C’est un être raisonnable, au fond.

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Pascal, que dit-il ? Nous sommes mortels, nous faisons tout pour chasser de notre esprit l’insoutenable vérité de notre condition. Nous fuyons la salutaire solitude, notre cœur est « creux et plein d’ordures », nous « sommes un cloaque d’incertitude et d’erreur », nous sommes bouffis d’orgueil, rongés par la paresse, la concupiscence nous égare. Pascal rappelle notre fragilité mais souligne que nous pensons. Et c’est là, précisément, le tour de force de ce savant. Il nous commande de lire la Bible. C’est vital, car nous sommes ignorants des principes de base. Nous sommes sous hypnose permanente. Vérifiez : prenez le métro, promenez-vous dans les rues de la capitale, branchez-vous sur les chaines d’info en continu. Le temps du réveil est venu. Ceux qui vont parier sur l’existence de Dieu, ce sont les athées car, eux, sont des joueurs. Les dévots ne jouent pas, ils sont enfermés dans leurs certitudes idéologiques. Pariez, mais pariez donc. Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien.

Un éternel moderne

Pascal invente en quelque sorte le plus-que-présent, que personne n’utilise. L’homme conjugue à tous les temps, en particulier le futur, mais pas à celui-là. Funeste erreur, nous dit Pascal, car, enfin, nous pourrions être heureux. Hélas, « le présent n’est jamais notre fin. » Pascal ajoute, rigoureux comme le mathématicien qu’il est : « le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

Nous ne vivons jamais, voilà la vérité. Vous êtes dubitatif ? Pourquoi alors sommes-nous les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs ?

La force de ce scientifique hors du commun et de ce chrétien flamboyant aura été d’allier justement raison et foi. Croire est raisonnable. Il n’est ni trop croyant ni trop rationnel. Il se positionne entre ces deux infinis. Il rejette à la fois la superstition et le rationalisme poussés à l’extrême.

Le physicien théoricien ne peut ignorer que la science a conduit à Hiroshima ; comme le religieux ne peut ignorer les tueries de masse au nom de Dieu. Un homme, ça s’empêche, pour reprendre la phrase de Camus. L’absence de conscience ou « le dégoût du monde » ne doivent pas conduire à une décision sanguinaire. Pascal s’adresse à tous les hommes aveugles dans la nuit. Il reste néanmoins chez lui une part insondable de mystère. C’est pour cela que l’intérêt pour son œuvre ne faiblit pas. Il est un éternel moderne.

[Rediffusion] La vérité sur l’affaire Adama Traoré

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Sept ans après sa mort, les juges d’instruction prononcent finalement un non-lieu et confirment que les gendarmes responsables de son interpellation à Beaumont-sur-Oise (95) n’ont pas commis de violences volontaires illégitimes contre Adama Traoré. Causeur vous propose de relire l’article que nous avions publié en juillet 2020.


Nous avons reconstitué la journée de la mort d’Adama (19 juillet 2016) et les suivantes, telles que les gendarmes les ont vécues. Les faits, les expertises, les contre-expertises et l’instruction démontrent qu’il n’y a pas eu de faute. Ni aucun racisme.


Causeur a reconstitué la journée du 19 juillet 2016 et celles qui ont suivi, telles que les gendarmes les ont vécues. Dire que leur version diverge de celle du comité Vérité pour Adama serait un euphémisme. Ce n’est pas un plaidoyer. Ils n’en ont pas besoin. Les faits, les expertises, les contre-expertises, une instruction basée sur 2 700 procès-verbaux, tout va dans le même sens : il n’y a pas eu de faute. Et pas la moindre trace de racisme.


19 juillet 2016, vers 15 heures

La journée est étouffante et l’actualité très lourde. Cinq jours plus tôt, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans, a tué 86 personnes sur la promenade des Anglais, au volant d’un camion. À la gendarmerie de Persan, Val-d’Oise, le chef du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) annonce la mission du jour. Rien de palpitant. Il s’agit d’interpeller une vieille connaissance, Bagui Traoré, un dealer soupçonné d’extorsion de fonds [Bagui sera condamné en mai 2019 pour trafic de stupéfiants, NDLR]. La victime est une dame sous curatelle tombée dans un piège classique, dit le chrome. Les vendeurs de drogue lui ont fait crédit en sachant qu’il ne serait guère difficile de lui mettre la pression pour se faire payer le moment venu. C’est la routine. Trois ans plus tôt, la gendarmerie a repris en main un secteur délaissé. Sachant qu’elle allait passer le relais, dans le cadre d’une refonte territoriale, la police nationale se contentait d’enregistrer des plaintes, en allant le moins possible au contact.

Les premiers temps, les gendarmes cueillaient littéralement sur la voie publique des dealers presque scandalisés d’être interrompus dans leur commerce. En 2016, la vente de drogue se poursuit au grand jour. Un des points d’approvisionnement les plus connus se trouve devant le PMU de Beaumont-sur-Oise. L’endroit ménage aux petits trafiquants plusieurs échappatoires à pied, en cas d’arrivée des gendarmes.

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Deux équipes s’y dirigent pour interpeller Bagui Traoré. La première est en civil. La seconde, en tenue, gare sa voiture à distance, prête à intervenir. La famille Traoré est bien connue à Beaumont. Quatre des frères Traoré ont déjà eu affaire à la gendarmerie et à la justice.

L’interpellation de Bagui Traoré se passe sans incident. Trafiquant expérimenté, il ne garde ni drogue ni argent liquide sur lui. Comme il ne sait pas encore qu’il est recherché pour extorsion de fonds, il n’oppose pas de résistance. Le jeune homme avec lequel il discutait, en revanche, prend la fuite sur un vélo type BMX. C’est son frère Adama Traoré, bien connu des gendarmes. Mais à ce stade, aucun ne l’a identifié. Le cycliste lâche rapidement son vélo, conçu pour les acrobaties et non la vitesse. Il est rattrapé une première fois et déjà, dit qu’il est essoufflé au gendarme qui entreprend de lui passer les menottes. Adama lui glisse entre les doigts et reprend sa course.

Aux environs de 17 heures

La deuxième équipe entre alors en scène. Elle reçoit un appel radio. Adama est signalé dans une rue. Il se cacherait entre les voitures. Sur place, l’équipe de trois gendarmes est orientée vers un logement, où se trouve Adama. Les gendarmes entrent. Ils ne voient rien, tout d’abord, car les stores sont baissés pour protéger le peu de fraîcheur qui subsiste. La pièce est plongée dans l’obscurité. Puis l’un d’eux aperçoit les yeux d’Adama Traoré, au sol, enroulé dans une couverture, sur le ventre. Les gendarmes ne voient pas ses mains et ne savent pas s’il est armé. Comme il résiste, ils l’immobilisent. En procédant à la palpation, l’un des gendarmes le reconnaît enfin.

Les trois gendarmes sont expérimentés. Celui qui a reconnu Adama est moniteur d’intervention professionnelle (MIP) : non seulement il maîtrise les gestes qu’il vient d’accomplir, mais il les enseigne. En moins de deux minutes, les gendarmes passent les menottes dans le dos à Adama et ressortent. L’interpellation a apporté sa dose d’adrénaline, mais à aucun moment les gendarmes, à trois contre un, n’ont eu le sentiment de perdre le contrôle de la situation. Le jeune homme a résisté, mais il n’était pas armé. Il n’a pas été nécessaire de le mettre à terre, il l’était déjà. Adama Traoré paraît sonné, mais il marche. Il porte 1 330 euros en coupures de 10 et 20 euros. Sa sœur expliquera plus tard que c’était de l’argent donné par ses proches pour son anniversaire, puisqu’il a 24 ans ce jour-là. Les gendarmes pensent plutôt qu’il portait la recette de deal du jour, et que c’est pour cette raison qu’il a fui.

19 juillet 2016, 18 heures

Alors que la patrouille rentre à la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise, les gendarmes constatent qu’Adama a tendance à somnoler. Ils n’échangent pas vraiment avec lui, préférant laisser redescendre la tension. En le sortant de la voiture, un gendarme constate qu’il a uriné sur le siège, signe d’une perte de conscience. On le place en position latérale de sécurité. Les secours sont appelés. Ils arrivent en six minutes. Ils tentent de le ranimer en lui faisant un massage cardiaque, sans succès. Ce massage est sans doute la raison pour laquelle l’autopsie trouvera une côte cassée. C’est un effet secondaire fréquent.

19 juillet 2016, 19 heures

Adama Traoré décède à 19 h 05, alors que les pompiers sont présents. La gendarmerie prévient immédiatement la préfecture. Comme le veut la procédure dans un tel cas, les gendarmes qui l’ont interpellé rendent leurs armes. Ils sont placés à l’isolement et soumis à un contrôle visant à détecter une éventuelle prise d’alcool ou de stupéfiant (tous ces contrôles seront négatifs). Le directeur de cabinet du préfet et le procureur adjoint de Pontoise arrivent à la gendarmerie. Ils sont censés prendre la situation en main, mais les gendarmes les sentent désemparés. La nouvelle de l’arrestation de Bagui et Adama a circulé dans leur cité. Il y a de plus en plus de monde devant la gendarmerie.

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19 juillet 2016, 21 heures

Le temps passe. La mère d’Adama Traoré est à l’extérieur. Elle réclame des nouvelles de son fils. Ni le procureur adjoint ni le directeur de cabinet du préfet n’arrivent à franchir le pas. Comprenant que la situation devient explosive et que les consignes peuvent se faire attendre encore longtemps, un capitaine de gendarmerie finit par prendre les choses en main. À 21 h 30, il sort et annonce le décès. Deux heures trop tard, sans doute. 120 minutes de silence pendant lesquelles la rumeur a enflé. « Ils » l’ont tué. C’est l’émeute. Une gendarme se fait casser le nez en tentant de calmer la foule devant la gendarmerie. Bagui Traoré, qui était en garde à vue, est relâché le soir même en signe d’apaisement (il sera renvoyé aux assises en juillet 2019 pour avoir tenté de tuer des représentants des forces de l’ordre, juste après sa garde à vue).

Déploiement de gendarmes à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), suite à des affrontements entre des résidents et les forces de l’ordre après la mort d’Adama Traoré, 23 juillet 2016. © Thomas Samson/AFP

20 juillet 2016

Affrontements avec les forces de l’ordre, incendies de véhicule, caillassage de pompiers, manifestations, le secteur de Persan-Beaumont-Champagne-sur-Oise s’embrase. La famille d’Adama est dévastée. Elle n’est pas la seule. Immédiatement, des menaces de mort sont proférées contre les gendarmes qui ont interpellé le jeune homme, mais aussi contre leurs femmes et leurs enfants, comme s’il s’agissait d’une guerre des gangs et que la gendarmerie en était un parmi d’autres. Leurs noms circulent. La hiérarchie les informe qu’ils vont devoir quitter la région immédiatement. Ce n’est pas une sanction. Ils sont mutés, pour leur sécurité. R. a 27 ans, une petite fille de neuf mois. II appelle sa compagne, gendarme dans une autre unité :
« Il faut que je te parle…
– J’allais monter le lit que je viens d’acheter pour la petite.
– Tu peux le laisser dans l’emballage. On s’en va. »

24 juillet 2016

Le ministre de l’Intérieur ne s’est pas déplacé. L’attentat de Nice mobilise toute son attention. 86 morts et une sauvagerie insensée d’un côté, une arrestation qui a – peut-être ! – mal tourné de l’autre, le choix est vite fait. Du reste, les émeutes sont restées circonscrites au Val-d’Oise et commencent à se calmer. Pour les gendarmes, en revanche, le calvaire commence. Dans les jours qui suivent la mort d’Adama Traoré, ses proches ne parlent pas du tout de crime raciste. Après quelques semaines seulement cette thématique s’impose, au mépris de l’évidence. Sur Persan ou Beaumont, les premières victimes des délinquants d’origine subsaharienne ou maghrébine en général – et des frères Traoré en particulier – sont d’autres personnes d’origine subsaharienne ou maghrébine. Le peloton de gendarmerie de Persan lui-même en comprend, bien entendu, mais il est hors de question de commenter leur implication éventuelle dans l’arrestation d’Adama. Ce serait racialiser une question qui n’a pas lieu d’être, considèrent les gendarmes.

C’est ce qui va se passer, qu’ils le veuillent ou non, sous l’impulsion du comité Vérité pour Adama. La figure de proue de celui-ci est Assa Traoré. Les gendarmes la découvrent. Bagui, Adama et Ysoufou Traoré sont des incontournables de la cité Boyenval, mais leur sœur ne s’y montre jamais. Elle vit à Ivry-sur-Seine et travaille à Sarcelles. Ce n’est pas elle qui vient les chercher à la gendarmerie lorsqu’ils sont arrêtés – ce qui arrive souvent.

Geoffroy de Lagasnerie et Assa Traoré, Paris, 2019 © Edouard Richard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Un mois plus tard

Une instruction a été ouverte. Suite à une communication hasardeuse du procureur de Pontoise, elle est dépaysée à Paris. Les gendarmes sont entendus. Les magistrats ne les mettent pas en examen. Ils sont témoins assistés. Rien n’est retenu contre eux à ce stade, et rien ne le sera par la suite. Bien au contraire, deux expertises vont confirmer leurs dires : il n’y a pas eu de « plaquage ventral » (une expression qui ne correspond à aucune méthode pratiquée par les forces de l’ordre), pas de genou sur la carotide, pas de cage thoracique écrasée. Adama Traoré paraissait robuste. En réalité, il avait des fragilités. L’autopsie a mis en évidence une sarcoïdose pulmonaire, une cardiopathie hypertrophique et un trait drépanocytaire. En langage profane : un problème au poumon, une fragilité possible du cœur et une tendance possible à l’essoufflement causé par la drépanocytose, une maladie génétique particulièrement répandue en Afrique de l’Ouest. Adama Traoré est probablement mort après avoir piqué un sprint un jour de grande chaleur, comme cela a pu arriver à des footballeurs professionnels de son âge tels Marc-Vivien Foé en 2003 ou Patrick Ekeng en 2016. Il se trouvait de plus en état de « stress intense » et « sous concentration élevée de tétrahydrocannabinol », autrement dit, du cannabis.

Trois ans plus tard, 2019

Pour le troisième anniversaire de la mort de son frère, le 19 juillet 2019, Assa Traoré publie son « J’accuse ». En toute simplicité. Elle donne les noms et prénoms de toutes les personnes qu’elle estime impliquées dans le décès de son frère, comme s’ils avaient participé à un complot : gendarmes, magistrats, experts, tous mouillés, tous menteurs ! Un scénario classique de mauvaise série policière. Le ministère de l’Intérieur est aux abonnés absents. Les gendarmes portent plainte en diffamation. Ils ne peuvent pas ouvrir un magazine ou allumer leur télévision sans risquer d’entendre qu’ils sont des meurtriers. Ils cachent à une partie de leur entourage qu’ils sont au cœur du dossier. La thèse de la bavure étouffée par une machination d’État se répand. Beaucoup de gens y croient.

Quatre ans plus tard, mai 2020

IMG_20200624_150708Le comité Vérité pour Adama a commandé sa propre expertise à des médecins reconnus. Les juges d’instruction ont accepté une contre-contre-expertise. Elle a confirmé la première, en mars 2020 (voir extrait ci-dessus). Le dossier comprend plus de 2 700 procès-verbaux d’auditions. Personne n’a été mis en examen. Il y a des anomalies et des contradictions dans les récits des témoins, comme toujours, mais absolument rien d’inexplicable. Les magistrats instructeurs s’orientent logiquement vers un non-lieu. Un homme est mort, oui, mais il n’y a pas d’affaire. Le problème est que plusieurs centaines d’articles racontent le contraire ! Dans leur immense majorité, ils ne prennent pas en compte le dossier.

Les gendarmes voient avec effarement monter la marée de l’empathie pour Assa Traoré. Une empathie irraisonnée, qui habille de bouillie compassionnelle de dangereux dérapages. Ils enragent de ne pas pouvoir répondre. Leurs proches compilent silencieusement les émissions et les articles mensongers. Peut-être dans l’espoir de pouvoir un jour rétablir les faits, rien que les faits.

En attendant, les gendarmes prennent sur eux. Ils ont l’habitude. Ils voient souvent la mort et la violence. Les suicidés, les accidentés. Les martyrs. Certaines affaires vous hantent. Comment oublier qu’on a sorti d’une machine à laver le corps sans vie d’un enfant de trois ans torturé par ses parents ? Et comment, malgré tout, traiter les bourreaux en êtres humains ? C’est ce que les gendarmes doivent pourtant faire. Ils n’y arrivent pas toujours. Certains dérapent et la hiérarchie les sanctionne. Des représentants des forces de l’ordre passent chaque année en correctionnelle. Sur quels critères la « machine d’État » aurait-elle décidé d’étouffer la vérité spécialement sur l’affaire Traoré ? Le comité Vérité pour Adama répond par le complotisme : ce n’est pas un cas isolé, les bavures racistes sont légion et le pouvoir les cache. Cette rhétorique est de celles qui transforment des manifestations en émeutes et des émeutes en affrontements ethniques. Le pire, c’est que ceux qui en abusent avec tant de désinvolture savent que le jour où les choses se gâteront vraiment, ils pourront appeler la gendarmerie.

Erwan Seznec

«Libération» compte les Blancs comme tout le monde et combat l’extrême droite comme personne

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Le racialisme engrange d’inquiétantes victoires dans notre pays.


Cette information a été largement commentée, entre autres sur CNews (par Mathieu Bock-Côté) et dans ces colonnes (par Gabriel Gobin) mais mérite qu’on y revienne. Le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse croyait bien faire : une vidéo visible sur le site et les réseaux sociaux du ministère et « valorisant un travail pédagogique autour de l’engagement » montrait il y a quelques jours cinq collégiens, lauréats d’un concours en anglais, débitant chacun son tour un petit discours sur l’écologie, la communication, l’égalité entre les hommes et les femmes, les chrétiens et les musulmans, les gros et les minces, et toute cette sorte de choses dans l’air du temps. Une des collégiennes, aux gestes saccadés et au regard fiévreux, concluait la vidéo en reprenant les propos lénifiants de Greta Thunberg : « Je fais un rêve, que le temps des vaines promesses prenne fin. Stop au blablabla. Il n’y a pas de planète B. La Terre est notre bien le plus précieux. » Bref, rien que du consensuel et du politiquement correct récités par une marmaille endoctrinée. Pourtant, le ministère a décidé de retirer la vidéo de son site. Motif : les collégiens qui, selon cette mode absurde de récupération de l’histoire américaine, rendaient hommage à Martin Luther King en débutant leurs discours par le fameux et anaphorique « I have a dream », se sont vus reprocher d’être tous… blancs.

Du racisme au nom de l’antiracisme

Danièle Obono a ironisé sur le réseau X : « Ce n’est pas notre faute s’il n’y a pas pas un.e seul.e élève noir.e ou racisé.e dans tout le pays capable d’aligner correctement 3 mots en anglais. » L’avocat Nabil Boudi, sur le même réseau, s’est demandé comment il est possible de « rendre hommage à Martin Luther King, homme noir ayant lutté toute sa vie pour les droits civiques et contre l’Apartheid instauré par les blancs, en omettant d’intégrer des noirs dans la vidéo ». La journaliste et militante Sihame Assbague, organisatrice en 2016 d’un camp d’été décolonial en non-mixité (interdit aux Blancs), a jugé que cette vidéo, « 48h après l’annonce d’une mesure islamophobe », ça faisait beaucoup… Bref, au nom de l’antiracisme, tout ce petit monde a fait du racisme, mais comme c’est du racisme anti-Blancs, tout ce petit monde considère que ce n’est pas du racisme et (presque) tout le monde s’écrase – non seulement le ministère de l’Éducation nationale n’a pas dénoncé ce racisme évident mais même il a baissé son pantalon, fait son mea culpa et retiré la vidéo de ses réseaux sociaux. Les adeptes du « racialisme », cette nouvelle et efficace forme de racisme érigeant paradoxalement en principe antiraciste la racialisation intégrale de la société, crient victoire.

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Naturellement, dans Libération, la journaliste Cécile Bourgneuf y est allée de son refrain : « …ces jeunes gens sont tous blancs. Pas un seul élève racisé parmi eux dans cette vidéo censée rendre hommage à un discours antiraciste ». Abêtie par l’idéologie racialiste, la journaliste croit dénoncer une vidéo raciste en citant Martin Luther King – « Je fais le rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur leur couleur de peau mais sur la valeur de leur caractère » – et ne s’aperçoit visiblement pas qu’en ne jugeant ces collégiens que sur leur couleur de peau, sa diatribe contre cette vidéo ambitionnant de mettre en exergue le caractère « humaniste » d’une jeunesse « engagée » contre toutes les injustices va très exactement à l’encontre des vœux sincères et universalistes de Martin Luther King. Elle aurait bien entendu préféré voir une vidéo ressemblant aux séries Netflix et aux films publicitaires « créolisés » et assujettis aux dogmes racialiste et wokiste. De plus, note la sourcilleuse journaliste, si les discours des lycéens valorisent « pêle-mêle des rêves pour la planète ou sur l’égalité entre chrétiens et musulmans, filles et garçons, les gros, les minces. […] Il n’y a pas un mot sur les noirs ». Notons qu’il n’y a pas un mot non plus sur les Jaunes, les homosexuels, les handicapés et, je le signale avec amertume, les chauves !

Quatre journalistes de Libération à plein temps contre la dédiabolisation

Si le ministère de l’Éducation nationale n’avait pas fait acte de contrition en retirant la vidéo incriminée, nul doute qu’il aurait eu droit, de la part de Libé, à un procès en extrême droitisation. Le quotidien continue de poursuivre de sa hargne militante tout ce qui lui semble ressembler de près ou de loin à la peste brune. À l’aune des critères de l’extrême gauche, cela commence à représenter pas mal de monde – le journal va donc mettre les bouchées doubles. En effet, face « à la banalisation d’un Rassemblement national entré en force à l’Assemblée et aux groupuscules racistes qui prospèrent jusque dans les petites villes du territoire (sic) », le journal créé par Jean-Paul Sartre et Serge July annonce vouloir renforcer « sa couverture de l’extrême droite » et proposer à partir du 5 septembre une nouvelle newsletter hebdomadaire afin de « démonter l’opération de dédiabolisation de l’extrême droite ». Ça s’appellera « Frontal ». Quatre journalistes travailleront « à plein temps sur le sujet ». Il y aura des enquêtes, des analyses et des « recensions des exactions commises par les groupes violents » – ne comptez pas sur Libé pour rendre compte des véritables exactions, celles des « antifas », des Black blocs ou des groupuscules gauchistes associés au transgenrisme ou au néoféminisme et censurant, parfois violemment, leurs contradicteurs – le quotidien se fixe pour seule mission de répertorier « les mensonges », le « recours à la menace » et « à la violence physique » de l’extrême droite. En revanche, il n’est pas prévu, à ma connaissance, de créer une cellule de journalistes spécialisés dans les dizaines d’agressions que subissent les Français quotidiennement du fait d’une immigration massive et incontrôlée. Ces « faits divers » n’intéressent pas plus Libé que Le Monde.

A relire, Gabriel Robin: Le ministère de l’Education nationale fait un rêve: une France post-raciale

Libération privilégie un point de vue globalement wokiste, incluant un discours « racialiste » issu des États-Unis et n’ayant strictement aucune justification en France mais permettant de galvaniser une gauche « antiraciste » qui, comme l’avaient justement pressenti Jean Baudrillard et surtout Paul Yonnet [1], a paradoxalement laissé se répandre une vision raciale des rapports sociaux en France – laquelle vision aboutit au comptage des Blancs dans une vidéo (ou des Noirs lors d’une cérémonie des César) et, finalement, à la récrimination communautariste et victimaire ne pouvant mener qu’à des situations conflictuelles. « L’extrême droite » n’est qu’un épouvantail camouflant les égarements de cette gauche médiatico-politique multiculturaliste qui sent bien qu’une majorité de la population, confrontée à la triste réalité de l’immigration massive, de l’insécurité et du risque de bouleversement civilisationnel, est en train de lui échapper – les derniers sondages concernant l’immigration et l’interdiction de l’abaya à l’école ne laissent aucun doute à ce sujet. Confrontés à une réaction même modeste des Français, LFI, les Écologistes et Libération deviennent de plus en plus bêtes et agressifs – nous devons par conséquent nous attendre, à la lecture de cette fameuse newsletter contre l’extrême droite, aux énormités, aux outrances, aux cris et aux jérémiades d’une extrême gauche woke et immigrationniste qui a cru le « combat des idées » gagné d’avance et qui n’accepte pas qu’on lui résiste.

Il sera intéressant de voir jusqu’où Libération est capable d’aller…


[1] Paul Yonnet, Voyage au centre du malaise français : l’antiracisme et le roman national, Éditions de L’Artilleur.

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15 arguments à opposer aux Tartuffes qui défendent le port de l’abaya à l’école

Céline Pina a pensé à tout : elle nous propose, en cette veille de week-end, l’argumentaire idéal à dérouler devant votre beau-frère mélenchoniste lors du repas familial de dimanche…


L’interdiction du port de l’abaya à l’école divise à gauche, comme en son temps la question de l’interdiction du port du voile. Mais pas chez LFI, où l’on milite le petit doigt sur la couture du pantalon et où les convictions sont indexées sur l’humeur du petit père des Insoumis. Des Insoumis qui se révèlent fort serviles en interne. Il faut dire que LFI a besoin, pour dominer à gauche, de continuer à investir sur le vote musulman. Les études, montrant que presque 70% de cette communauté ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle, ont impressionné à gauche. Le vote musulman est donc devenu une martingale dans cette partie de l’échiquier politique pour peser dans le débat public. Or les dirigeants des partis de gauche n’ignorent pas qu’une partie notable de ces voix est due à la mobilisation des réseaux islamistes, notamment frères musulmans. Cette mobilisation s’est faite par le biais d’appels à voter diffusés via les mosquées et a été relayée par les personnalités de la sphère islamiste. A gauche, certains sont donc tiraillés entre intérêt électoral et conscience humaniste et universaliste (PS et PC), mais la plupart font passer leurs intérêts personnels immédiats avant l’intérêt général. A LFI, notamment, on n’a aucun mal à reprendre et à diffuser les arguments des islamistes. Et surprise ! ce sont les mêmes que pour le voile. Il faut dire que l’offensive sur les abayas se déroule selon le même schéma.

  • 1er argument : ce n’est pas un vêtement religieux

L’islam n’est pas organisé en clergé, à ce titre il n’y a pas de tenue type et même les voiles sont différents selon les pays ou la pratique, mais c’est toujours au nom de la religion que la femme doit cacher ses cheveux et son corps. Elle doit être dérobée à la vue, car elle est considérée comme impure, provocante, source de désordre et parce qu’elle ne s’appartient pas mais appartient avant tout à sa communauté. Voile comme abaya sont liés à une vision précise de la femme, de son statut et de son rôle. Ces signes d’appartenance religieuse témoignent de l’infériorité de la femme et de son impureté et cette vision est liée à la place de la femme dans la religion, l’islam étant à la fois religion et source du droit.

Notons qu’aux Emirats Arabes Unis, on prête une abaya à chaque femme qui veut visiter la mosquée d’Abu Dhabi pour que sa tenue soit « en accord avec la religion islamique ».

  • 2ème argument : ce n’est pas un vêtement religieux (bis)

Voile comme abaya ne sont pas des vêtements. Ce sont des signes, des marqueurs identitaires basés sur la religion. Peu importe les raisons qu’a une femme de les porter, ces tenues envoient un message univoque vers l’extérieur : le refus de l’égalité à travers l’infériorisation de la femme au nom de la religion.

  • 3ème argument : cela prouve que la France a un problème avec les musulmans, qu’elle n’accepte pas l’identité musulmane

C’est quoi l’identité musulmane ? Est-ce-que cela signifie respecter la culture et les mœurs des pays où l’islam est religion d’État ? Autrement dit, accepter que les femmes n’aient pas les mêmes droits que les hommes, créer des statuts de dhimmi  (le dhimmi paye une taxe pour avoir le droit de vivre en terre d’islam, car il n’est pas musulman et a moins de droits que les musulmans), rétablir l’interdiction du blasphème, réprimer l’homosexualité, faire de l’antisémitisme un marqueur culturel ?

Bref qu’entend-on par « identité musulmane » ? Le mot est utilisé par les islamistes pour faire croire à une persécution des musulmans quand ils attaquent de front les fondamentaux de notre contrat social. Or quel pays accepterait de tels coups de boutoir portés sur les fondamentaux de son contrat social et les bases de sa civilisation ?

Quant à la France, elle n’a pas de problème avec les musulmans, mais elle en a avec les islamistes. Il se trouve juste que ceux-ci sont de plus en plus influents dans la communauté musulmane. Depuis 2012, cette idéologie a coûté la vie à de nombreuses personnes, à coups attentats, de crimes politiques, le tout aux cris d’Allah Akbar, mais les Français ont toujours distingué les musulmans des islamistes. Cette idéologie nourrit la violence, le pillage et pèse sur l’école, l’université, crée des conflits dans le travail, au sein de l’espace public… Et c’est nous qui aurions un problème ?

  • 4ème argument : « Les accusations de séparatisme sont délirantes »

Ces tenues visent à distinguer la musulmane du reste des femmes. Ils marquent une identité religieuse qui se traduit en impossibilité d’intégration et d’assimilation. Pourquoi vouloir que l’on sache qu’une femme est musulmane au premier coup d’œil? Pour que la clôture communautaire devienne infranchissable. Les interdits alimentaires et vestimentaires visent à empêcher l’alliance hors de la communauté d’origine. Ils visent à créer une séparation, des distinctions qui empêchent de partager la même nourriture, de se marier, de faire société et cantonnent chacun dans une identité particulière plus forte que la communauté nationale. Elles exacerbent les différences et subliment les origines pour empêcher la naissance du commun.

Pour cela on remplace la distinction entre le bien et le mal, par celle entre le pur et l’impur. Or la distinction entre le bien et le mal est une démarche universelle, liée au libre arbitre et qui met en jeu la responsabilité. En revanche la distinction entre pur et impur dépend du suivi précis de prescriptions extérieures religieuses, elle réclame la soumission et l’abandon d’une pensée en propre. C’est une rupture anthropologique qui empêche l’accès à la notion de citoyenneté et le fait de penser la notion d’intérêt général.

C’est en cela que voile et abaya sont incompatibles avec la laïcité car ils font passer le dogme avant la loi, l’appartenance cultuelle avant la communauté nationale et sont un des marqueurs du refus d’accorder aux êtres humains la même dignité.

  • 5ème argument : cette interdiction est un dévoiement de la laïcité

Ceux qui expliquent cela définissent la laïcité comme la société protectrice des religions, devant veiller à leur expression et à leur égalité. Ils présentent l’obligation de neutralité comme l’obligation de laisser les religions intervenir comme elles le souhaitent sur le territoire et l’obligation d’accepter toutes les cultures.

Or la neutralité des agents du service public vient du fait que les religions ne sont pas reconnues comme jouant un rôle dans la sphère publique, elles n’ont donc pas à être prises en compte, ce sont des opinions personnelles. Les invoquer ne permet pas d’échapper à ses obligations légales.

Quand l’idéologie islamiste constitue la base de groupes organisés, qui remettent en cause nos fondamentaux politiques, au premier chef l’égalité, ou servent de justification au refus de respecter la loi, alors il n’est plus question de neutralité mais d’imposer la loi. Et nous en sommes bien là.

Il faut dire que la laïcité à la française n’est pas toujours bien comprise. Elle se nourrit du constat que les religions sont incapables d’accomplir la concorde civile (les Français l’ont compris lors des guerres de religion) et d’une certaine idée de l’homme émancipé, capable de forger ses propres lois. La base de la laïcité est de rompre avec la légitimation du pouvoir et des obligations sociales par l’instrumentalisation du divin. Les hommes, au sein de l’État, ne sont pas liés entre eux par la religion mais par l’exercice de la raison et leurs capacités créatrices. Ils bâtissent ainsi un mode de représentations et d’obligations communes qui une fois créées les dépassent et les obligent. Cette loi commune s’impose à tous dans la sphère publique, elle n’est donc pas neutre. Elle implique que personne ne peut revendiquer des aménagements particuliers au nom de sa culture d’origine, de sa foi, de ses traditions. Elle implique d’en rabattre sur ses particularismes au nom du commun. Un pays où chacun voudrait avoir soi pour loi serait invivable. La laïcité ce n’est pas la neutralité envers la religion mais bien la domination de la loi sur la religion dans la sphère publique et la relégation du religieux à la sphère privée et à l’individu.

  • 6ème argument : la France est un pays de liberté, elle doit défendre la liberté religieuse

En France les religions ne sont pas reconnues, ce sont les cultes qui sont mentionnés. Quoi qu’il en soit, personne ne peut s’appuyer sur son culte pour déroger à la loi commune. Or c’est exactement ce que réclament les tenants de l’affichage des codes sociaux islamiques : que leurs ressortissants échappent aux obligations de discrétion et de respect de la loi au sein des établissements scolaires. Ils réclament de déroger à la loi au nom de la liberté de faire prévaloir leur culte sur leurs obligations citoyennes.

Ils brandissent ainsi la liberté contre l’égalité et la laïcité. Or, les conflits de valeurs sont inhérents aux sociétés humaines. Ce qui explique qu’aucune valeur ne soit absolue. La liberté connait des limites et les libertés ne sont pas toutes égales. Nous plaçons en occident la liberté de conscience au-dessus de la liberté religieuse, la loi au-dessus du dogme. C’est l’essence de notre civilisation et la source de notre organisation sociale. Comme il existe une hiérarchie des normes, il existe une hiérarchie des lois et la façon dont nous tranchons ces conflits de valeurs est révélatrice de notre culture.

  • 7ème argument « Les femmes ont le droit de s’habiller comme elles le veulent »

En général, il y a des codes sociaux, des obligations et des nécessités qui font que personne ne s’habille tout le temps comme il lui sied. On ne va pas en string à paillettes à un enterrement, ni en robe de soirée pour couler du béton sur un chantier, encore moins à un entretien d’embauche en claquettes-chaussettes. A l’école, réclamer une tenue adaptée n’est pas délirant. Cela fait partie des codes sociaux à transmettre et à acquérir.

Le voile comme l’abaya ne sont pas des vêtements mais des symboles. Ils sont utilisés par les islamistes pour faire peser un contrôle social fort sur les femmes, dans les quartiers notamment. Ils sont les marqueurs de l’imprégnation islamiste dans un territoire. D’ailleurs essayez donc de porter le voile trois jours pour l’enlever le lendemain, le remettre deux jours après, l’enlever ensuite… Vous verrez tout de suite la différence entre un marqueur politico-religieux et un accessoire de mode ! Un vêtement n’envoie aucun message, un signe identitaire ou religieux, si.

  • 8ème argument : « mon corps, mon choix »

Cet argument est particulièrement choquant car il reprend un slogan féministe en faveur du droit à l’avortement pour en faire un manifeste islamiste en faveur de signes sexistes.

Or faire du port du voile ou de l’abaya une liberté, est une forfaiture. On n’est pas libre quand on est conditionnée depuis toute petite à voir en la femme voilée, la femme respectable. Pour qu’un choix soit libre, il faut qu’il y ait équivalence morale entre les deux options. Si je dois choisir entre études de littérature ou études scientifiques, aucun choix n’est marqué moralement. En revanche, il n’y a pas véritablement choix quand une option est valorisante et l’autre infamante. Si se voiler ou porter l’abaya, c’est être vu par sa communauté comme une bonne musulmane, une femme respectable et une femme qui ne trahit pas ses origines et que ne pas être voilée ou complétement couverte, c’est se comporter comme une pute, faire « sa Française » en reniant ses racines et insulter sa religion, alors on voit bien que le choix n’est pas réel ; et que ce que l’on appelle ici liberté est un consentement à sa propre oppression.

  • 9ème argument : « C’est la police du vêtement »

Il existe une police du vêtement, mais c’est justement dans l’Etat islamique, dans les pays du golfe ou en Iran par exemple qu’on peut la rencontrer. Et justement, elle est chargée de veiller à faire respecter la conformité des tenues au dogme islamique.

En revanche, en Occident aucun policier ne se balade dans les rues avec un mètre de couture et des ciseaux pour raccourcir les jupes et accentuer les décolletés des filles pas assez provocantes. Aucun n’arrête les femmes dans la rue pour les obliger à troquer leurs baskets pour des talons de 12 cm. Là où l’islamisme règne, on peut mourir pour une tenue islamique mal portée, être défiguré par un jet d’acide, être réellement violenté…

  • 10ème argument : le voile et l’abaya ne sont pas plus oppressants pour les femmes que les talons aiguilles et les mini jupes, c’est le même patriarcat à la manœuvre

Ah ! le patriarcat, c’est devenu le nouveau Grand Satan. Sauf que là on atteint des sommets dans le foutage de gueule. Au nom des inégalités qui existent encore (notamment en matière salariale), on nous explique que la situation des femmes est équivalente en occident et dans un pays musulman. Or c’est faux. La condition des femmes n’est pas la même là où l’égalité en droit est la base de la société et là où la femme est infériorisée ou réduite à l’état d’éternelle mineure. Et cela se voit.

  • 11ème argument : « Il y a des choses plus importantes », « c’est une diversion pour ne pas parler des vrais problèmes »

Si la restauration de l’autorité est un des problèmes de l’école, demander le respect de la laïcité est une bonne base pour restaurer la qualité du système scolaire.

Mais surtout on est ici au cœur du problème. La tentative d’instaurer le port de l’abaya à l’école n’est pas une initiative individuelle d’élèves un peu exaltés. Elle est liée à une offensive idéologique dont on observe les ravages sur les enseignements et qui font peser des menaces sur les professeurs. L’assassinat de Samuel Paty est parti d’une fatwa lancée contre lui sur un réseau islamiste et qui a trouvé un exécutant.

Autre point : l’aspect concerté et politique de la provocation liée aux abayas raconte quelque chose du travail de radicalisation réalisé sur une population ciblée et identifiée. C’est pour contester l’école et marquer le rejet de la France et de ses lois que ces tenues fleurissent. Cette logique alimente une grande partie des tensions à l’école : le refus de certains enseignements en histoire ou en sciences, les revendications du hallal à la cantine pour imposer les interdits alimentaires communautaristes par exemple… L’objectif est ici clairement séparatiste, à l’heure où justement les enfants sont censés faire l’apprentissage de la socialisation et apprendre et comprendre les fondamentaux de leur civilisation.

  • 12ème argument : cela va empêcher l’intégration des jeunes filles musulmanes

L’argument est amusant s’agissant d’une tenue liée à un travail de radicalisation politique bâti sur le refus d’accepter justement l’intégration, au nom de la religion ! Refus qui se traduit par des revendications sexistes, par la contestation de notre égalité, le refus de nos libertés, la tentative de toujours opposer le dogme contre la loi.

  • 13ème argument : les jeunes filles musulmanes vont se sentir rejetées et cela va affecter leur réussite

L’interdiction du voile à l’école est corrélée avec une « amélioration spectaculaire, massive et durable » des performances des filles musulmanes à partir de 1994, date de la circulaire Bayrou. Rien de tel ne s’observe pour le groupe non musulman, ni sur le groupe des garçons musulmans. C’est ce que révèle une étude d’Eric Maurin, 3 leçons sur l’école républicaine, au Seuil. Le fait d’être libérées d’un conflit de loyauté a permis aux filles musulmanes de trouver toute leur place à l’école, et de s’y épanouir.

  • 14ème argument : Cette interdiction va nourrir l’extrémisme de droite

Toute opposition à l’offensive islamiste serait donc d’extrême-droite ? Beau cadeau que la gauche fait à cette mouvance qu’elle dit détester mais dont elle est en train de devenir le meilleur agent électoral.

En fait, c’est tout l’inverse. Une étude a par exemple démontré que quand la justice est vue comme efficace, les partisans de la peine de mort baissent drastiquement. Dans le cas de l’offensive islamiste, c’est la même chose. Quand les politiques font leur travail et protègent la société – ici c’est en interdisant l’imposition de signes sexistes à l’école – les électeurs ont moins tendance à exprimer un vote protestataire et à voter pour les extrêmes.

  • 15ème argument : L’interdiction de l’abaya serait, selon Clémentine Autain, « symptomatique du rejet des musulmans »

Donc s’opposer à un signe sexiste et misogyne reviendrait à rejeter tous les musulmans ? Mais, en même temps, l’abaya ne serait pas un vêtement religieux ? On s’y perd… Est-ce à dire qu’une partie de la gauche soutient l’infériorisation de la femme et sa représentation comme impure contre la logique d’émancipation qu’elle est censée porter ? La gauche serait-elle plus réactionnaire que l’extrême-droite qu’elle ne cesse de dénoncer ?

Une partie de la gauche perd son honneur en choisissant de se faire les « idiots utiles » des islamistes. Mais pour l’instant cela rapporte électoralement à la LFI, alors tant pis pour l’émancipation, pour l’égalité des femmes, pour les droits des homosexuels. Pour cette gauche-là, on l’a bien compris, l’intérêt électoral passe avant l’intérêt général.

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Kamasutra scolaire

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Assis, debout ou à genoux: dans l’école flexible dont rêve Emmanuel Macron, c’est comme on le sent. La fin de l’universel, en somme, et une philosophie de l’apprentissage en contradiction totale avec le souhait présidentiel de rétablir l’autorité, analyse cette contribution.


Le président Macron profite de cette fin d’été pour accorder une interview au journal Le Point. Les propos sur la politique intérieure et extérieure mériteraient sans doute notre attention. Mais ce sont les quelques pages consacrées à l’éducation qui nous interpellent plus encore, notamment car l’école devrait constituer un des leviers principaux pour instaurer de nouveau une forme d’autorité, de discipline et de civilité. Mais paradoxe (contradiction?), le président affirme : « Quand il n’y a plus de cadre, plus d’éducation, plus de rapport à l’autorité qui vous ramène à une forme de raison, vous arrivez [au désœuvrement de la jeunesse et à “l’ensauvagement de la société”] », et il propose en même temps avec le plus grand sérieux du monde de tester “l’école flexible”. Ce qui signifie ici que l’élève peut choisir sa position : debout, assis ou à genoux. Vivent les scolioses intellectuelles! Cela pourrait paraître anecdotique, ce petit kamasutra scolaire; mais faute d’un propos bien consistant sur l’école, analysons cette miette de proposition qui, en réalité, en dit long sur la vision que le chef de l’Etat a de l’école.

Assis, debout ou à genoux: c’est “comme tu le sens”. La fin de l’universel

Premier point : nous quittons l’universel en miniature que devrait constituer toute classe pour se réfugier dans l’océan des particularismes. Chacun a bien le droit de se tenir comme il le souhaite en classe. C’est donc le triomphe de l’individualisme et du désir particulier sur le bien commun. Car personne ne conçoit que, pour le bien de la totalité que constitue cette entité à part entière qu’est la classe, il serait mieux que tout le monde soit assis, tourné ensemble dans la même direction, vers un but commun (et non pas, par pitié, en îlots comme le veulent encore quelques pédagos qui ne semblent pas comprendre que tout temps passé ainsi ne sert qu’à bavarder, désœuvré, ou à se regarder, ennuyé, en chien de faïence).

Assis, debout ou à genoux: le bien-être, pas l’instruction

Accordons nous déjà sur le fait que, si on autorise la position à genoux, il n’y a qu’un coude avant de se vautrer par terre. On se souvient de la scène du Péril jeune de Klapisch où le professeur de maths un peu laxiste force les élèves à s’allonger pour se détendre avant l’interrogation. (“Nous ne commencerons pas l’interrogation tant que tout le monde ne sera pas détendu!”) Les résultats sont probants : Tomasi et Chabert s’endorment – les joints aidant – quand Léon et Christine, couchés tout près l’un de l’autre, se jettent de timides regards emplis de désir. Le sommeil, l’avachissement et l’attirance sexuelle seraient-ils immédiatement propices à une instruction efficace ? A l’inverse, assis, pas trop avachis si possible, on conserve une position un peu moins confortable mais qui, par ce même fait, nous permet d’aiguiser au maximum notre attention. Le confort, l’aisance à outrance, le bien-être complet ne permettent pas l’apprentissage, ils l’empêchent au contraire. Si un minimum de confort est exigé, il ne doit jamais aller jusqu’au tiède amollissement qui endort. Voilà pourquoi les chaises en bois ont du bon.

A lire aussi: Réforme du bac et Parcoursup: la philosophie au placard!

Assis, debout ou à genoux: la fin de l’écriture

La seule position idoine pour écrire, c’est d’être assis. Si écrire debout semble encore concevable, tout le reste est à proscrire. Mais peut-être est-ce là le problème : la pédagogie actuelle juge l’écriture démodée et préfère l’oral (écouter vaguement et parler la langue que nous entendons quotidiennement). Peut-être faut-il remonter à la commission Rouchette (1963-1966) pour voir ce mépris grandissant pour la langue écrite et ce tournant vers les “compétences orales” que les actuels INSPE obligent les professeurs à faire travailler, au détriment d’une connaissance précise de l’orthographe, de la grammaire et du style écrit. À l’INSPE, l’an dernier, j’ai ainsi appris qu’il vaut mieux un exposé oral où l’apprenant improvise très médiocrement à partir de trois mots clefs qu’un excellent exposé lu à l’oral mais où l’élève se serait un peu trop appuyé sur ses excellentes notes écrites. Étrange inversion. Pourtant, écouter distraitement et parler (mal) au lieu d’écrire, c’est sans doute le triomphe de la passivité sur l’activité, de l’éparpillement sur la concentration, de la facilité qui dégoûte sur la difficulté qui stimule. Car il est plus complexe de mettre correctement en forme ses pensées à l’écrit tandis que la médiocrité passe plus facilement inaperçue à l’oral, ce pour quoi elle est précisément prisée. Et rappelons une évidence : écrire, prendre des notes est une activité qui suppose des capacités de concentration, de compréhension, de synthèse voire d’interrogation et de critique et permet la mémorisation.

Assis, debout ou à genoux: discipline et autorité

Si, prenant un peu de hauteur, on cherche à saisir un “enjeu majeur” dégagé par le président au cours de cette longue interview, il s’agirait de restaurer l’autorité, celle de l’État, celle des professeurs et du savoir. Mais l’autorité, c’est-à-dire la capacité à commander légitimement, suppose d’emblée une forme de discipline chez chacun afin de ne pas y rester imperméable. Par la discipline tout enfant se prépare à obéir à une règle de conduite imposée, à l’intérioriser puis à en comprendre le bien fondé. La clé de la discipline ? L’éducation des parents bien sûr. Et si l’école doit prendre la suite, c’est encore grâce à la position assise. Ainsi Kant, au tout début de son Traité de pédagogie insiste sur ce point :

« La discipline empêche l’homme de se laisser détourner de sa destination, de l’humanité, par ses penchants brutaux. (…)La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. (…) On envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, afin que dans la salle ils sachent tirer à l’instant bon parti de toutes les idées qui leur viendront. »

S’habituer à obéir, à rester assis, ne pas changer de position dès qu’on le désire, faire l’apprentissage du délai, de l’attente, de la frustration peut-être, apprendre le calme et la discipline, tout cela constitue la condition de notre sensibilité future à l’autorité et à sa légitimité. Mais, à l’école, une telle discipline reste encore insuffisante et il reste à savoir de quelle autorité nous parlons. Car elle peut tout aussi bien désigner tel professeur qui jouit d’une grande autorité au sens où son savoir et ses cours le rendent admirable et respecté, qu’une autorité qui impose arbitrairement son commandement et exige la soumission. L’école n’admet finalement que la première et, si la discipline est d’abord exigée, c’est pour permettre l’éveil de l’intelligence. L’élève est-il assis, je m’adresse à un esprit, est-il à genoux, je m’adresse à un esclave. Cette communauté des esprits, cette République des intelligences, on ne l’obtient que face à une classe, face à des élèves assis mais dont on fait s’élever l’intelligence.

Assez critiqué. Remercions Emmanuel Macron qui va réinstaurer en juin (nous l’espérons) les épreuves du baccalauréat qui étaient, pour la majeure partie, placées en mars et qui tentera ainsi la “reconquête” de la fin de l’année scolaire. Visiblement il tentera aussi de conquérir le mois d’août, entreprise sans doute plus contestable, puisque le temps du professeur est aussi celui du loisir qui permet son perfectionnement intellectuel. Enfin, une dernière question : qui peut vraiment croire que M. Macron a préparé l’ENS et l’ENA en restant à genoux ?

Biden-Djokovic, l’étrange match de l’humanité

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Le joueur de tennis serbe Novak Djokovic, New York, 30 août 2023 © Andrew Schwartz/SIPA

Après deux ans d’absence, Novak Djokovic, le « non vacciné » le plus célèbre au monde est de retour sur le sol américain. Sa réapparition suscite un immense intérêt du public, avec des files d’attente interminables pour voir ses entraînements, ou encore la présence de Barack Obama dans le public lors de son premier match de l’US Open. Un incroyable parcours.


En mars dernier, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, a adressé un courrier au président des États-Unis, Joe Biden, pour lui demander d’autoriser l’entrée dans leur pays… d’un citoyen serbe. À l’époque, Washington n’avait pas encore levé les restrictions liées au Covid-19 pour les étrangers non-vaccinés, ce qui était le cas de l’homme en question. Au premier regard, la demande parait totalement absurde quand on connaît l’importance des dossiers du locataire de la Maison Blanche, mais c’est sans savoir que le citoyen serbe en question s’appelait Novak Djokovic, le champion de tennis dont les performances sportives ainsi que les actualités au-delà du simple cadre tennistique ont hissé au rang des personnalités les plus connues de la planète. Quelques semaines avant la lettre de DeSantis, Djokovic a ému le monde, et ce, bien au-delà du simple cercle des amateurs de tennis, en remportant à Melbourne son dixième tournoi d’Open d’Australie (et son 22e titre de Grand Chelem), égalant le record de son rival de toujours, Rafael Nadal. Cette victoire, malgré sa valeur sportive extraordinaire, fut davantage une démonstration de force mentale qu’aucun athlète, probablement, n’a pu manifester avant lui. Car un an auparavant, à l’occasion du tournoi de l’Open d’Australie, le Serbe s’était vu d’abord refuser l’entrée au pays, ensuite contraint de squatter dans un centre de rétention pour immigrés et, finalement expulsé du territoire australien. Et cela à cause de son choix de ne pas se faire vacciner contre le coronavirus. Le procès collé au numéro un mondial a été purement politique. Novak Djokovic est devenu, malgré lui, la proie parfaite pour les élites au pouvoir veillant sur notre santé et qui ont voulu, à travers lui, punir sur la scène planétaire tous les « anti-vax ». Parmi ces derniers se trouvaient, il est vrai, les complotistes adhérant à des théories farfelues, mais aussi des millions d’individus adultes responsables (dont le natif de Belgrade) qui revendiquaient le droit de décider de leur propre chef de se faire injecter ou pas les substances chimiques du vaccin dans le corps.

Que cet acharnement (qui a obligé le gouvernement du Premier ministre australien de l’époque, Scott Morrison, à annuler la décision du tribunal de Melbourne favorable au Serbe) soit tombé sur Djokovic fut particulièrement frappant. Depuis son apparition sur le circuit professionnel, le tennisman s’est distingué par ses recherches approfondies du « pouvoir extraordinaire » du corps et de l’esprit humain.  Son régime anti-gluten aurait aidé des milliers de personnes partout dans le monde, sportifs ou pas à se débarrasser de problèmes de santé. Son hygiène de vie, son appétence pour les neurosciences ou encore les pratiques de la méditation ont révélé un athlète qui ne se contente pas d’être là pour ravir les sponsors et les médias et faire grossir son compte en banque. Djokovic a endossé le costume de champion – pionnier, celui qui amène les performances à un niveau jamais connu, comme le firent avant lui Nadia Comaneci, Michael Jordan ou plus récemment Usain Bolt.

Lettre morte

Le président Biden n’a pas donné de suite favorable à la lettre de DeSantis. Rien de surprenant si on se souvient de sa position très ferme sur les mesures anti-Covid. Lorsqu’il n’était encore que candidat, Joe Biden a été critiqué pour avoir porté un masque, tout au long de sa campagne de 2020, et pour l’organisation de ses rares meetings électoraux principalement en mode drive-in sur des parkings… Il n’est pas certain, par ailleurs, que le nom du tennisman lui dise forcément grand-chose. Djokovic, lui, est sans doute mieux renseigné sur l’homme politique américain et pour cause… Il y a presque 25 ans, Joe Biden, alors membre du comité aux affaires étrangères au Sénat, a été un fervent partisan des bombardements de Belgrade par les pilotes américains, voyant dans cette approche l’unique possibilité de garantir la sécurité de l’Amérique et de l’Europe démocratique. Dans ses interviews, Djokovic a souvent raconté à quel point les bombardements de 1999 par les troupes d’Otan, pendant 78 jours, avaient traumatisé son enfance, l’avaient rendu ultra-sensible aux bruits soudains et l’ont fait détester les guerres. Dans son autobiographie « Service gagnant », sortie en 2013, il raconte comment il cherchait à protéger ses deux petits frères à Belgrade dans un appartement plongé dans le noir, âgé de 11 ans, après la première explosion et alors que son père secourait sa mère qui avait perdu connaissance en se cognant contre le radiateur.

Plus de deux décennies plus tard, quand la Russie a brutalement envahi l’Ukraine et alors que les stars sportives, dont Federer et Nadal, évitaient de s’exprimer au sujet épineux de la guerre, Djokovic s’est empressé d’envoyer un texto au tennisman ukrainien Serhiy Stakhovsky: « Je pense à toi… Si tu as besoin d’aide financière ou autre donne-moi l’adresse ». Le texto était personnel, mais Stakhovsky, très ému, a demandé l’autorisation du Belgradois de le rendre public, afin de montrer à ses compatriotes le soutien apporté par un célèbre champion. Et dire que l’échange s’est produit quelques semaines à peine après la mésaventure australienne du Serbe, et alors qu’il avait toutes les raisons de détester le monde et d’en vouloir à sa profession pour son manque de soutien ! Djokovic, comme à son habitude, ne s’est pas caché, il a fait parler son grand cœur slave, bien que la Serbie maintienne des liens d’amitié avec la Russie et que lui-même n’ait jamais cherché à dissimuler son patriotisme et notamment sa position sur le Kosovo, la terre natale de son père. On se souvient des mots qu’il a écrits sur la caméra de France Télévisions lors du dernier Roland Garros, en assumant une possible sanction pour son geste : « Le Kosovo est le cœur de la Serbie ! Arrêtez la violence ».

Deux vétérans

Joe Biden et Novak Djokovic ne se sont jamais rencontrés ; ils appartiennent à deux générations différentes, mais l’ironie de l’histoire moderne a bien voulu croiser leurs destins et faire d’eux les incarnations les plus abouties, probablement, de notre époque. L’un représente le pouvoir absolu, porté par les puissantes institutions de son pays si riche de talents et d’entrepreneurs et qui, face aux gesticulations impérialistes de Vladimir Poutine et les ambitions géopolitiques de Xi Jinping, est bien décidé à recycler la mécanique la plus redoutable de la guerre froide du siècle passé, dans un monde qui a pourtant changé d’ère et d’idéologies. Qui, et quelle incroyable coïncidence, a bien insisté auprès du même Premier ministre australien Morrison (qui avait expulsé Djokovic), pour faire annuler en septembre 2021 le contrat à 56 milliards d’euros avec la France pour 12 sous-marins.

Face au vétéran de la politique au sourire difficilement lisible, il y a un autre vétéran, celui du tennis, surgi d’un pays en ruines, arrivé au sommet de son art malgré les incalculables obstacles sportifs et extra-sportifs, qui n’a jamais arrêté d’innover, de chercher la voie qui ferait de lui un meilleur homme et un meilleur athlète. Il y a quelques jours, en vue de la saison tennistique nord-américaine, Djokovic a enfin débarqué aux États-Unis, après deux ans d’absence. « Je n’ai aucun regret » a-t-il crânement déclaré aux journalistes au sujet de cette pause forcée. Il ne sera jamais aimé de tous, comme toute personne qui explore de nouveaux chemins. Mais le Serbe a déjà gagné l’immense considération des amateurs de sport du monde entier qui suivent son parcours. Le président de la plus grande puissance militaire, de son côté, continue de nous préparer à affronter le pire…

Sylvia Plath: le mal de vivre comme œuvre d’art

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L'écrivaine et poétesse américaine Sylvia Plath (1932-1963) © AP/SIPA

Denoël publie une nouvelle édition du roman culte La Cloche de détresse de Sylvia Plath, dont la traduction a été révisée, avec une préface plutôt intéressante de Jakuta Alikavazovic.


La grande poétesse américaine Sylvia Plath (1932-1963) n’a écrit qu’un seul roman, mais il brille comme un diamant noir dans l’horizon perdu de sa nuit. La Cloche de détresse a été publié deux mois avant son suicide, à l’âge de trente ans. Elle y relate ses années étudiantes, contrariées par une crise dépressive très grave, qui l’obligea à poursuivre une thérapie dans divers hôpitaux et cliniques. Les psychiatres lui administrèrent des électrochocs qui la terrorisaient. Sylvia Plath raconte en détail ce périple de la douleur mentale, dominée par l’obsession du suicide, dont elle ne cache rien dans son roman. Elle fit plusieurs tentatives, dont une vraiment sérieuse. Elle eut la chance d’en réchapper cette fois-là, mais ce ne fut qu’un sursis bien fragile et incertain.

Des signes avant-coureurs

La Cloche de détresse commence au début des années 50. Sylvia Plath, brillante élève, douée pour les lettres, obtient une bourse pour aller étudier à New York. Dans un premier temps, tout se passe à peu près bien, malgré certains signes avant-coureurs qu’elle note avec précision. Ainsi, elle écrit : « je me sentais très calme, très vide, comme doit se sentir l’œil d’une tornade qui se déplace tristement au milieu du chaos généralisé ». Ces descriptions psychologiques créent, sous la plume de Sylvia Plath, une atmosphère d’étrangeté, d’autant plus qu’elle n’essaie jamais de se masquer le mal dont elle souffre. Cela concerne aussi bien les petites choses, comme ce qu’elle commande quand elle est dans un café : « Je rêvais de commander quelque chose un jour et de découvrir que c’était délicieux. » Mais cela concerne souvent des émotions plus critiques, que Sylvia Plath nous fait ressentir par des notations sibyllines : « Le miroir au-dessus de mon bureau me paraissait légèrement déformant et beaucoup trop argenté. Je m’y voyais comme dans une boule d’amalgame dentaire. » La formulation doit beaucoup à la poésie.

A lire aussi: « Psychopompe », une potion magique d’espérance

À la fin de l’année universitaire, elle rentre chez elle, ne sachant pas ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle tente de terminer la lecture de Finnegans Wake de James Joyce, mais n’arrive plus à se concentrer. Une séance de cinéma avec des amis la rend « toute chose ». Sa mère n’arrête pas de lui seriner qu’un diplôme de lettres ne mène à rien, et qu’il faut qu’elle apprenne la dactylo pour devenir secrétaire. Elle se pose par ailleurs beaucoup de questions sur l’amour et la sexualité. « Quand j’avais dix-neuf ans, écrit-elle par exemple, la question de la virginité était capitale. » Sylvia Plath décide qu’elle ne se mariera pas, ce qui ne l’empêche pas de désirer tomber amoureuse d’un garçon.

Introspection psychologique

Son état empire et la pousse à l’introspection. Le matin, elle se réveille aux sons de marches militaires. L’exécution des époux Rosenberg la sidère et l’obsède. Elle assiste à une représentation théâtrale « où l’héroïne était possédée par un dibbouk ». Du coup, quand elle écoute son amie Hilda parler, elle a l’impression d’entendre le dibbouk. Tous ces éléments accumulés sont perçus par Sylvia Plath de manière très angoissante, à tel point qu’elle en arrive à cette conclusion générale : « je sombrais dans la mélancolie ». Souffrant d’une insomnie chronique, elle note, dans une formule très impressionnante : « Je voyais les jours de l’année s’étaler devant moi comme une succession de boîtes blanches et étincelantes, et, entre chaque boîte, il y avait le sommeil, semblable à un voile noir. » On sent ici également, dans cette prose implacable, toute l’expérience littéraire de Sylvia Plath, auteur de multiples recueils de poésie. Son élaboration des symptômes de sa psychose est d’une stupéfiante lucidité, et la preuve d’une très grande intelligence.

Une « Montagne magique » impitoyable

Sylvia Plath, en écrivant La Cloche de détresse, a eu le courage des grands auteurs, qui ne laissent dans l’ombre aucun détail caractéristique, fût-il honteux ou dépréciatif pour eux. Au contraire, elle dit tout, jusqu’à ce que le livre fasse sens. D’où des scènes remarquables, racontées avec une espèce de froideur, comme sa visite sur la tombe de son père sous une pluie battante, où elle semble si fragile. Elle utilise aussi l’ironie, tentative pour mieux mettre en perspective ce passé récent très douloureux – qui finira d’ailleurs par la rattraper.

A lire aussi: Dégoût et des douleurs

La Cloche de détresse est à placer dans la même catégorie de romans que La Montagne magique de Thomas Mann, ou encore certains écrits autobiographiques de Thomas Bernhard ou de Fritz Zorn. Chez Sylvia Plath, cela se passe dans des asiles d’aliénés, et l’impression de révolte en est d’autant plus aiguë et touchante. Quand elle en sort, après des mois de claustration, elle évoque une « renaissance ». Aura-t-elle ressenti une même sensation de délivrance, dix ans plus tard, après avoir achevé ce roman impitoyable dans lequel elle déverse le trop-plein de son cœur ? Cela n’empêcha pas Sylvia Plath, en tout cas, juste après la parution de La Cloche de détresse, d’ouvrir le gaz…

Sylvia Plath, La Cloche de détresse. Préface de Jakuta Alikavazovic. Traduction de l’anglais révisée par Caroline Bouet. Éd. Denoël.

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Algérie: en eaux troubles…

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Décès de deux Franco-Marocains, tués par des gardes-côtes au large de l’Algérie: vers une affaire diplomatique?


Mardi 29 août, quatre hommes binationaux franco-marocains partis faire une balade en scooter des mers sur les rives de la mer Méditerranée s’égaraient au large de Saïdïa, station balnéaire marocaine frontalière de l’Algérie. Deux d’entre eux n’en reviendront pas. Pour l’heure, le Quai d’Orsay a confirmé l’un de ces deux décès, le deuxième jeune homme étant présumé mort et son corps disparu en mer. Un troisième homme, lui aussi binational, serait actuellement détenu par la police algérienne. Quant au dernier jeune homme, il a pu revenir à bon port et raconter les évènements.

De son nom Mohamed Qissi, il a répondu au média marocain Al-Omk : « Nous avons su que nous étions en Algérie, car un zodiac noir algérien est venu vers nous, il a commencé à zigzaguer comme s’il voulait nous renverser. Ils ont tiré sur nous. Dieu merci, je n’ai pas été touché, mais mon frère et mon ami, ils les ont tués. Ils ont arrêté mon autre ami. Ils ont bien vu qu’on était désarmés, mon petit frère a échangé avec eux et pourtant ils ont tiré ». L’homme affirme avoir réussi à s’enfuir. Son véhicule étant tombé en panne d’essence, il a dû le tracter à la nage avant d’être récupéré par la gendarmerie marocaine prévenue par les familles des disparus.

Cette histoire choquante n’en est probablement encore qu’à ses prolégomènes, les enquêtes policières de trois États différents s’entrechoquant dans un contexte diplomatique par ailleurs tendu ces derniers mois. Il s’agit d’un nouvel épisode déplorable et dramatique d’une forme de guerre froide à bas bruit entre le Maroc et l’Algérie. Le roi Mohamed VI a pourtant appelé de son côté à un apaisement et un « retour à la normale » malgré la rupture des relations diplomatiques lors de son discours de la fête du trône. Quant à la France, elle se retrouve aussi embarquée dans cette triste affaire, les victimes étant ses ressortissants.

Le ministère des Affaires étrangères ne s’est pas encore exprimé sur le fond de l’affaire, se contentant d’une sobre déclaration. «Le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et nos ambassades au Maroc et en Algérie sont en contact étroit avec les familles de nos concitoyens, à qui nous apportons tout notre soutien», a ainsi affirmé le ministère dans un communiqué. Une position semblable à celle diffusée par l’Agence de presse marocaine qui a relayé l’ouverture d’une enquête par le Parquet d’Oujda qui entend « recueillir les informations nécessaires sur les circonstances dudit incident » ajoutant que « plusieurs personnes faisant partie des familles et entourages de ce groupe de jeunes (avaient) été auditionnées ». L’attitude des gouvernements français et marocains est prudente. C’est de bon aloi.

L’Algérie reste de son côté silencieuse, n’ayant communiqué aucune information. On se souvient pourtant que dans un tout autre contexte, celui des émeutes et l’affaire Nahel, le gouvernement algérien avait fait part de son « choc » et de sa « consternation », osant même rappeler à la France son « devoir de protection ». Pis, le ministère des Affaires étrangères algérien faisait carrément état sans attendre un commencement de preuve de  « circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes » entourant l’intervention policière, jetant un peu plus d’huile sur le feu. Ils n’ont évidemment jamais appelé au calme leurs ressortissants qui s’illustraient durant les émeutes qui ont coûté plusieurs milliards d’euros aux Français et aux Françaises…

Il faudra être particulièrement vigilant quant aux suites de ce drame. Protéger ses frontières n’offre pas un permis de tuer. Que n’entendrait-on d’ailleurs pas si la France avait commis le dixième d’un tel acte… Les esprits s’échauffent d’ailleurs déjà sur les réseaux sociaux, témoignant d’une confrontation grandissante. Il va falloir calmer les esprits, ce ne sera pas chose facile.

Galanterie et sexisme: suis-je un prédateur sexuel qui s’ignore?

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"Le Verrou" Jean Honoré Fragonard - Musée du Louvre D.R

L’autre jour, à l’Université, arrivé simultanément devant la même porte qu’une jeune collègue, je me suis effacé devant elle en faisant une aimable plaisanterie (du moins le croyais-je) sur le conflit de normes de civilité, entre position hiérarchique (qui me permet de passer devant elle) et galanterie (qui implique que je la laisse passer).


Aïe. Elle m’a répondu sèchement qu’en résumé la galanterie était une « forme de sexisme ». J’en suis resté un peu stupéfait et, pour le coup, sans voix. Voilà tant d’années que je m’efface devant les femmes qui m’accompagnent ou qui croisent mon chemin, sauf, comme on me l’a appris, pour entrer dans un café, ou pour monter un escalier par exemple. Il faut dire que la plupart du temps cela est vécu comme de la politesse ordinaire, ou parfois, selon le contexte, comme une simple marque d’attention. Mais là, de plus en plus, dans le contexte d’une cancel culture de plus en plus envahissante, je vois bien que ce geste de civilité tranquille est mal interprété, voir considéré comme le début d’une sorte de harcèlement.

A lire aussi, du même auteur: Nahel, figure identificatoire parfaite pour une jeunesse culturellement allogène?

J’avoue que tout cela m’a perturbé dans un premier temps. Ai-je fait fausse route pendant tout ce temps ? Et si tout ce que l’on m’avait appris n’était que le masque poli d’un mépris pour l’autre sexe, l’exercice d’une domination dissimulée ? Derrière mes apparences policées ne serais-je pas un harceleur policé, un prédateur qui s’ignore ? Et mes partenaires qui apprécient ce geste, des femmes ignoblement soumises, traîtresses à leur genre et tout droit sorties d’Histoire d’O ? J’ai emprunté deux chemins pour tenter de répondre à ces questions et calmer un peu mes angoisses.

Galanterie et pacification des mœurs

D’abord en faisant retour sur les normes de politesse entre les sexes qu’on appelle la « galanterie ». Ce terme, qui est devenu un gros mot pour certains, sert en fait à désigner historiquement (à l’époque de la Renaissance, période où la civilité moderne se met en place) les nouveaux rapports entre hommes et femmes d’une société qui se veut plus civilisée. Le Moyen âge qui précède est un moment où ces rapports sont d’une grande brutalité, l’homme se comportant, de façon légitime socialement, comme un prédateur sexuel, et la femme ne pouvant compter que sur la protection armée de sa famille. Le poids des hiérarchies sociales est tel que par exemple l’agression sexuelle commis par un maître sur une servante n’est pas véritablement considéré comme un viol ni même une violence. Ce que la galanterie reflète et instaure progressivement, c’est une pacification des relations entre les sexes. La grande nouveauté est que l’on demande à la femme si elle est d’accord… On s’expose enfin à son refus. La politesse se substitue à la violence. S’effacer devant une femme pour entrer dans un bâtiment, c’est lui reconnaître un statut privilégié et lui signifier son caractère précieux. Le rustre prend sans demander et passe devant, l’homme moderne, emprunt de civilité, demande et s’efface. Le tout culminera à la cour du Roi, où, si l’on en croit Laclos ou Casanova, le grand chroniqueur de son époque, les femmes mènent autant que les hommes le bal amoureux.

On pourrait soutenir, même si la thèse est un peu audacieuse, que le désir (désirer l’autre sexuellement dans une démarche d’empathie fantasmée), catégorie émergente à cette époque et qui se substitue à la pulsion, est peut-être né dans le giron de la galanterie et de ces nouveaux rapports plus symétriques entre hommes et femmes. Avec ce petit rappel historique, me voilà un peu rassuré, ma politesse est peut-être l’antithèse d’une violence. Elle porte un projet de société, plus pacifiée.

Harcèlement et défaite de la politesse

Mais du coup s’ouvre un deuxième chemin pour la réflexion. Je résume l’idée : et si, justement, l’effacement et la délégitimation de la galanterie étaient en partie responsables de l’éclosion actuelle du harcèlement sexuel ? La piste vaut la peine d’être suivie… Tous ces personnages publics qu’on désigne du doigt actuellement ont eu des comportements très en rupture avec les formes de politesses classiques, qui impliquent justement, comme toutes les autres formes de civilité, une distance entre les êtres. C’est de ne pas avoir été galants et de s’être comportés comme des brutes (même s’ils y ont mis les formes, et encore, pas toujours) qui les a conduits là. La galanterie aurait protégé leurs victimes. C’est sa défaite qui a conduit à leur brutalisation. Sans compter la présence sur notre sol de nombreuses cultures, peu enclines à s’effacer, où la galanterie relève encore d’un futur improbable. À suivre…

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Je ne défends pas ici les bonnes vieilles traditions. Les manifestations du respect mutuel peuvent bien évoluer et ne passeront pas toujours par le fait de tenir la porte en s’effaçant aimablement. Mais les formes actuelles prises par le harcèlement sexuel montrent que les normes de la galanterie n’ont été remplacées par rien de tangible, et que l’individu moderne est laissé à lui-même, dans ce domaine comme dans d’autres. Tout redevient permis.

Je maintiens

En attente de nouvelles normes stables de respect mutuel entre les hommes et les femmes qui soient satisfaisantes, et sans doute pour le temps qui me reste à vivre, je choisis donc, malgré la remarque acerbe de ma jeune collègue (que je ne désespère pas de convaincre et à qui je dédie ce court billet) de continuer à être galant, contre vents et marées.

Cosa mostra

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Alberto Barbera l'affirme : « Je défends la justice, pas la persécution. » Venise, 29 août 2023 © Pool Photo Events 02/IPA/SIPA

Stupeur dans la cité des doges. Tempête sur la lagune. Venise dans tous ses états. Et Casanova qui se tord de rire sous son linceul.


Imaginez un peu ! Alberto Barbera, le directeur artistique de la Mostra de Venise, l’une des plus prestigieuses manifestations cinématographiques au monde avec Cannes, Berlin et Hollywood, a le front d’accueillir parmi ses hôtes Luc Besson, Woody Allen et Roman Polanski. Outre leur talent pour le septième art, ces réalisateurs ont en partage d’avoir dû répondre au cours de leur vie de « comportements inappropriés », voire d’agressions sexuelles à l’encontre de femmes. Alors, fureur, hurlements horrifiés des croisées du féminisme. Barbera a beau faire valoir que la justice est passée, que rien n’a été retenu contre Besson et Allen et que, pour ce qui est de Polanski, la victime en personne, près d’un demi-siècle s’étant écoulé, considère l’affaire close et affirme même ne plus vouloir en entendre parler, rien n’y fait. Pour les gardiennes du temple des mille vertus, il faut absolument chasser de Venise ces « monstres », expurger de la planète cinéma ces criminels, ces dépravés, ces abjects résidus d’un fascisme patriarcal et sexuel qui n’a que trop sévi.

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À ce propos, on se gardera de rappeler à ces dames que la Mostra elle-même est de création fasciste bon ton. On en doit l’initiative à l’illustre Giuseppe Volpi, comte de Misurata, franc-maçon encarté chez Mussolini dont, par ailleurs, il sera longtemps le très influent ministre des Finances. À l’époque, pour la plus haute récompense de la manifestation, on ne parlait pas de Lion d’Or, mais tout bonnement de « Coupe Mussolini ». En outre, encore aujourd’hui, la meilleure actrice et le meilleur acteur sont honorés de la « Coupe Volpi ». Est-ce possible ! Un trophée exhumé de ces heures si sombres ! Que fait la police des symboles ? Mais oui, nous éviterons de rappeler cette genèse légèrement malodorante de crainte que – au nom de l’implacable intersectionnalité des luttes – les cohortes autoproclamées anti fascistes ne viennent exiger non seulement l’exclusion du trio sus évoqué, mais la suppression même de la manifestation. Barbera fourbit une formule bien trouvée pour justifier son choix d’invités : « Je défends la justice, pas la persécution ». Par les temps qui courent, les petites mafias inquisitoriales s’en donnant à cœur joie, la pertinence de cette formule vaut probablement pour bien d’autres sujets.

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Symbolique intéressante : le 6 août 1932, en soirée, le premier film projeté dans le cadre du festival était le « Docteur Jekill et Myster Hyde » de Rouben Mamoulian. D’une certaine manière, cela revenait à poser d’emblée la question qui émerge  aujourd’hui avec cette actualité vénitienne et surtout notre trio d’invités. N’y a-t-il pas chez eux quelque chose de cette dualité, vaguement infernale il est vrai mais peut-être bien constitutive du ferment de leur créativité ? Autrement dit, les âmes lisses, les esprits simples et sains, sans travers ni aspérités, sont-ils fertiles ? Fertiles de ce type de fertilité, dirions-nous. Cela n’absout en rien les comportements des uns et des autres et la justice doit passer dans toute sa rigueur. Quels que soient les coupables. Mais dans ces cas précis – et pour tant d’autres tout au long de l’histoire culturelle de l’humanité – il reste l’œuvre. La chose produite. On sait bien que c’est une huître malade, dégénérée qui donne la perle. Quant à la pure merveille qu’est le vin d’Eyquem, c’est l’alchimie d’une pourriture automnale qui en est le secret. « Pourriture noble », certes, mais pourriture quand même. Allons comprendre…

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Petit motif de satisfaction pour nos activistes féministes, lors de l’édition inaugurale de 1932, le premier film italien programmé avait pour titre : « Les hommes, quels mufles ! ».

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Blaise Pascal, la raison et la foi

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Blaise Pascal, mrbre d’Augustin Pajou (1785), musée du Louvre, Paris. D.R.

Blaise Pascal est né voilà 400 ans. Ce génie absolu reste un mystère.


Blaise Pascal rend son âme à Dieu le 19 août 1662, à trente-neuf ans, brûlé par le travail et la foi. On entre dans sa chambre. On découvre des liasses de papiers qu’on n’ose appeler brouillons. Son écriture est quasi illisible. On déchiffre, on utilise des copies, on compare, travail de fourmi, délicat et imparfait. Ses proches proposent le titre de Pensées pour une éventuelle publication. Pour Les Provinciales, qui deviendront un long-seller, il n’existe aucune copie manuscrite des 18 lettres, seulement des plaquettes dont certaines auront des rééditions clandestines et modifiées. Le style de Pascal est cependant unique. Il faudra donc lire ce mathématicien génial en sachant que, jamais, nous ne parviendrons à la restitution entière de ses fulgurances littéraires, touchées par la grâce. Une seule certitude, justement : Pascal fut touché par la grâce. Il mène une vie de patachon, et puis tout à coup, c’est la grande brûlure divine qui le détourne du divertissement permanent.

Croire est raisonnable

Nous sommes le 23 novembre 1654 et le cœur de Pascal s’enflamme entre 10 heures du soir et minuit. Dieu existe, le Christ nous donne la clé universelle du paradis. Ébranlement absolu. La fièvre saisit le dévoyé. Vite, du papier ! Il faut écrire tout cela, frénétiquement, sans relâche, le temps lui est compté, il le pressent, car la passion consume les forces vives comme l’incendie la paille. Il prend une feuille de papier, consigne à sa manière, c’est-à-dire dans son style ardent, cette nuit de feu, qui deviendra « la nuit pascalienne », la glisse dans la doublure de son vêtement. Elle sera là, jusqu’à sa mort, pour rappeler que Dieu, seul, vaut que la vie terrestre soit vécue. Il faut faire le pari de son existence. Pascal parie sur l’éternité. C’est un être raisonnable, au fond.

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Pascal, que dit-il ? Nous sommes mortels, nous faisons tout pour chasser de notre esprit l’insoutenable vérité de notre condition. Nous fuyons la salutaire solitude, notre cœur est « creux et plein d’ordures », nous « sommes un cloaque d’incertitude et d’erreur », nous sommes bouffis d’orgueil, rongés par la paresse, la concupiscence nous égare. Pascal rappelle notre fragilité mais souligne que nous pensons. Et c’est là, précisément, le tour de force de ce savant. Il nous commande de lire la Bible. C’est vital, car nous sommes ignorants des principes de base. Nous sommes sous hypnose permanente. Vérifiez : prenez le métro, promenez-vous dans les rues de la capitale, branchez-vous sur les chaines d’info en continu. Le temps du réveil est venu. Ceux qui vont parier sur l’existence de Dieu, ce sont les athées car, eux, sont des joueurs. Les dévots ne jouent pas, ils sont enfermés dans leurs certitudes idéologiques. Pariez, mais pariez donc. Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien.

Un éternel moderne

Pascal invente en quelque sorte le plus-que-présent, que personne n’utilise. L’homme conjugue à tous les temps, en particulier le futur, mais pas à celui-là. Funeste erreur, nous dit Pascal, car, enfin, nous pourrions être heureux. Hélas, « le présent n’est jamais notre fin. » Pascal ajoute, rigoureux comme le mathématicien qu’il est : « le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

Nous ne vivons jamais, voilà la vérité. Vous êtes dubitatif ? Pourquoi alors sommes-nous les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs ?

La force de ce scientifique hors du commun et de ce chrétien flamboyant aura été d’allier justement raison et foi. Croire est raisonnable. Il n’est ni trop croyant ni trop rationnel. Il se positionne entre ces deux infinis. Il rejette à la fois la superstition et le rationalisme poussés à l’extrême.

Le physicien théoricien ne peut ignorer que la science a conduit à Hiroshima ; comme le religieux ne peut ignorer les tueries de masse au nom de Dieu. Un homme, ça s’empêche, pour reprendre la phrase de Camus. L’absence de conscience ou « le dégoût du monde » ne doivent pas conduire à une décision sanguinaire. Pascal s’adresse à tous les hommes aveugles dans la nuit. Il reste néanmoins chez lui une part insondable de mystère. C’est pour cela que l’intérêt pour son œuvre ne faiblit pas. Il est un éternel moderne.

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[Rediffusion] La vérité sur l’affaire Adama Traoré

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Soutenue par les médias et par la gauche, une des soeurs d'Adama Traoré, Assa (photographiée ici à Paris en juillet 2023), avait érigé le drame de son frère en symbole des "violences policières systémiques" © Chang Martin/SIPA

Sept ans après sa mort, les juges d’instruction prononcent finalement un non-lieu et confirment que les gendarmes responsables de son interpellation à Beaumont-sur-Oise (95) n’ont pas commis de violences volontaires illégitimes contre Adama Traoré. Causeur vous propose de relire l’article que nous avions publié en juillet 2020.


Nous avons reconstitué la journée de la mort d’Adama (19 juillet 2016) et les suivantes, telles que les gendarmes les ont vécues. Les faits, les expertises, les contre-expertises et l’instruction démontrent qu’il n’y a pas eu de faute. Ni aucun racisme.


Causeur a reconstitué la journée du 19 juillet 2016 et celles qui ont suivi, telles que les gendarmes les ont vécues. Dire que leur version diverge de celle du comité Vérité pour Adama serait un euphémisme. Ce n’est pas un plaidoyer. Ils n’en ont pas besoin. Les faits, les expertises, les contre-expertises, une instruction basée sur 2 700 procès-verbaux, tout va dans le même sens : il n’y a pas eu de faute. Et pas la moindre trace de racisme.


19 juillet 2016, vers 15 heures

La journée est étouffante et l’actualité très lourde. Cinq jours plus tôt, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans, a tué 86 personnes sur la promenade des Anglais, au volant d’un camion. À la gendarmerie de Persan, Val-d’Oise, le chef du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) annonce la mission du jour. Rien de palpitant. Il s’agit d’interpeller une vieille connaissance, Bagui Traoré, un dealer soupçonné d’extorsion de fonds [Bagui sera condamné en mai 2019 pour trafic de stupéfiants, NDLR]. La victime est une dame sous curatelle tombée dans un piège classique, dit le chrome. Les vendeurs de drogue lui ont fait crédit en sachant qu’il ne serait guère difficile de lui mettre la pression pour se faire payer le moment venu. C’est la routine. Trois ans plus tôt, la gendarmerie a repris en main un secteur délaissé. Sachant qu’elle allait passer le relais, dans le cadre d’une refonte territoriale, la police nationale se contentait d’enregistrer des plaintes, en allant le moins possible au contact.

Les premiers temps, les gendarmes cueillaient littéralement sur la voie publique des dealers presque scandalisés d’être interrompus dans leur commerce. En 2016, la vente de drogue se poursuit au grand jour. Un des points d’approvisionnement les plus connus se trouve devant le PMU de Beaumont-sur-Oise. L’endroit ménage aux petits trafiquants plusieurs échappatoires à pied, en cas d’arrivée des gendarmes.

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Deux équipes s’y dirigent pour interpeller Bagui Traoré. La première est en civil. La seconde, en tenue, gare sa voiture à distance, prête à intervenir. La famille Traoré est bien connue à Beaumont. Quatre des frères Traoré ont déjà eu affaire à la gendarmerie et à la justice.

L’interpellation de Bagui Traoré se passe sans incident. Trafiquant expérimenté, il ne garde ni drogue ni argent liquide sur lui. Comme il ne sait pas encore qu’il est recherché pour extorsion de fonds, il n’oppose pas de résistance. Le jeune homme avec lequel il discutait, en revanche, prend la fuite sur un vélo type BMX. C’est son frère Adama Traoré, bien connu des gendarmes. Mais à ce stade, aucun ne l’a identifié. Le cycliste lâche rapidement son vélo, conçu pour les acrobaties et non la vitesse. Il est rattrapé une première fois et déjà, dit qu’il est essoufflé au gendarme qui entreprend de lui passer les menottes. Adama lui glisse entre les doigts et reprend sa course.

Aux environs de 17 heures

La deuxième équipe entre alors en scène. Elle reçoit un appel radio. Adama est signalé dans une rue. Il se cacherait entre les voitures. Sur place, l’équipe de trois gendarmes est orientée vers un logement, où se trouve Adama. Les gendarmes entrent. Ils ne voient rien, tout d’abord, car les stores sont baissés pour protéger le peu de fraîcheur qui subsiste. La pièce est plongée dans l’obscurité. Puis l’un d’eux aperçoit les yeux d’Adama Traoré, au sol, enroulé dans une couverture, sur le ventre. Les gendarmes ne voient pas ses mains et ne savent pas s’il est armé. Comme il résiste, ils l’immobilisent. En procédant à la palpation, l’un des gendarmes le reconnaît enfin.

Les trois gendarmes sont expérimentés. Celui qui a reconnu Adama est moniteur d’intervention professionnelle (MIP) : non seulement il maîtrise les gestes qu’il vient d’accomplir, mais il les enseigne. En moins de deux minutes, les gendarmes passent les menottes dans le dos à Adama et ressortent. L’interpellation a apporté sa dose d’adrénaline, mais à aucun moment les gendarmes, à trois contre un, n’ont eu le sentiment de perdre le contrôle de la situation. Le jeune homme a résisté, mais il n’était pas armé. Il n’a pas été nécessaire de le mettre à terre, il l’était déjà. Adama Traoré paraît sonné, mais il marche. Il porte 1 330 euros en coupures de 10 et 20 euros. Sa sœur expliquera plus tard que c’était de l’argent donné par ses proches pour son anniversaire, puisqu’il a 24 ans ce jour-là. Les gendarmes pensent plutôt qu’il portait la recette de deal du jour, et que c’est pour cette raison qu’il a fui.

19 juillet 2016, 18 heures

Alors que la patrouille rentre à la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise, les gendarmes constatent qu’Adama a tendance à somnoler. Ils n’échangent pas vraiment avec lui, préférant laisser redescendre la tension. En le sortant de la voiture, un gendarme constate qu’il a uriné sur le siège, signe d’une perte de conscience. On le place en position latérale de sécurité. Les secours sont appelés. Ils arrivent en six minutes. Ils tentent de le ranimer en lui faisant un massage cardiaque, sans succès. Ce massage est sans doute la raison pour laquelle l’autopsie trouvera une côte cassée. C’est un effet secondaire fréquent.

19 juillet 2016, 19 heures

Adama Traoré décède à 19 h 05, alors que les pompiers sont présents. La gendarmerie prévient immédiatement la préfecture. Comme le veut la procédure dans un tel cas, les gendarmes qui l’ont interpellé rendent leurs armes. Ils sont placés à l’isolement et soumis à un contrôle visant à détecter une éventuelle prise d’alcool ou de stupéfiant (tous ces contrôles seront négatifs). Le directeur de cabinet du préfet et le procureur adjoint de Pontoise arrivent à la gendarmerie. Ils sont censés prendre la situation en main, mais les gendarmes les sentent désemparés. La nouvelle de l’arrestation de Bagui et Adama a circulé dans leur cité. Il y a de plus en plus de monde devant la gendarmerie.

A lire aussi: Et une fois les abayas remisées au placard, Monsieur Attal?

19 juillet 2016, 21 heures

Le temps passe. La mère d’Adama Traoré est à l’extérieur. Elle réclame des nouvelles de son fils. Ni le procureur adjoint ni le directeur de cabinet du préfet n’arrivent à franchir le pas. Comprenant que la situation devient explosive et que les consignes peuvent se faire attendre encore longtemps, un capitaine de gendarmerie finit par prendre les choses en main. À 21 h 30, il sort et annonce le décès. Deux heures trop tard, sans doute. 120 minutes de silence pendant lesquelles la rumeur a enflé. « Ils » l’ont tué. C’est l’émeute. Une gendarme se fait casser le nez en tentant de calmer la foule devant la gendarmerie. Bagui Traoré, qui était en garde à vue, est relâché le soir même en signe d’apaisement (il sera renvoyé aux assises en juillet 2019 pour avoir tenté de tuer des représentants des forces de l’ordre, juste après sa garde à vue).

Déploiement de gendarmes à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), suite à des affrontements entre des résidents et les forces de l’ordre après la mort d’Adama Traoré, 23 juillet 2016. © Thomas Samson/AFP

20 juillet 2016

Affrontements avec les forces de l’ordre, incendies de véhicule, caillassage de pompiers, manifestations, le secteur de Persan-Beaumont-Champagne-sur-Oise s’embrase. La famille d’Adama est dévastée. Elle n’est pas la seule. Immédiatement, des menaces de mort sont proférées contre les gendarmes qui ont interpellé le jeune homme, mais aussi contre leurs femmes et leurs enfants, comme s’il s’agissait d’une guerre des gangs et que la gendarmerie en était un parmi d’autres. Leurs noms circulent. La hiérarchie les informe qu’ils vont devoir quitter la région immédiatement. Ce n’est pas une sanction. Ils sont mutés, pour leur sécurité. R. a 27 ans, une petite fille de neuf mois. II appelle sa compagne, gendarme dans une autre unité :
« Il faut que je te parle…
– J’allais monter le lit que je viens d’acheter pour la petite.
– Tu peux le laisser dans l’emballage. On s’en va. »

24 juillet 2016

Le ministre de l’Intérieur ne s’est pas déplacé. L’attentat de Nice mobilise toute son attention. 86 morts et une sauvagerie insensée d’un côté, une arrestation qui a – peut-être ! – mal tourné de l’autre, le choix est vite fait. Du reste, les émeutes sont restées circonscrites au Val-d’Oise et commencent à se calmer. Pour les gendarmes, en revanche, le calvaire commence. Dans les jours qui suivent la mort d’Adama Traoré, ses proches ne parlent pas du tout de crime raciste. Après quelques semaines seulement cette thématique s’impose, au mépris de l’évidence. Sur Persan ou Beaumont, les premières victimes des délinquants d’origine subsaharienne ou maghrébine en général – et des frères Traoré en particulier – sont d’autres personnes d’origine subsaharienne ou maghrébine. Le peloton de gendarmerie de Persan lui-même en comprend, bien entendu, mais il est hors de question de commenter leur implication éventuelle dans l’arrestation d’Adama. Ce serait racialiser une question qui n’a pas lieu d’être, considèrent les gendarmes.

C’est ce qui va se passer, qu’ils le veuillent ou non, sous l’impulsion du comité Vérité pour Adama. La figure de proue de celui-ci est Assa Traoré. Les gendarmes la découvrent. Bagui, Adama et Ysoufou Traoré sont des incontournables de la cité Boyenval, mais leur sœur ne s’y montre jamais. Elle vit à Ivry-sur-Seine et travaille à Sarcelles. Ce n’est pas elle qui vient les chercher à la gendarmerie lorsqu’ils sont arrêtés – ce qui arrive souvent.

Geoffroy de Lagasnerie et Assa Traoré, Paris, 2019 © Edouard Richard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Un mois plus tard

Une instruction a été ouverte. Suite à une communication hasardeuse du procureur de Pontoise, elle est dépaysée à Paris. Les gendarmes sont entendus. Les magistrats ne les mettent pas en examen. Ils sont témoins assistés. Rien n’est retenu contre eux à ce stade, et rien ne le sera par la suite. Bien au contraire, deux expertises vont confirmer leurs dires : il n’y a pas eu de « plaquage ventral » (une expression qui ne correspond à aucune méthode pratiquée par les forces de l’ordre), pas de genou sur la carotide, pas de cage thoracique écrasée. Adama Traoré paraissait robuste. En réalité, il avait des fragilités. L’autopsie a mis en évidence une sarcoïdose pulmonaire, une cardiopathie hypertrophique et un trait drépanocytaire. En langage profane : un problème au poumon, une fragilité possible du cœur et une tendance possible à l’essoufflement causé par la drépanocytose, une maladie génétique particulièrement répandue en Afrique de l’Ouest. Adama Traoré est probablement mort après avoir piqué un sprint un jour de grande chaleur, comme cela a pu arriver à des footballeurs professionnels de son âge tels Marc-Vivien Foé en 2003 ou Patrick Ekeng en 2016. Il se trouvait de plus en état de « stress intense » et « sous concentration élevée de tétrahydrocannabinol », autrement dit, du cannabis.

Trois ans plus tard, 2019

Pour le troisième anniversaire de la mort de son frère, le 19 juillet 2019, Assa Traoré publie son « J’accuse ». En toute simplicité. Elle donne les noms et prénoms de toutes les personnes qu’elle estime impliquées dans le décès de son frère, comme s’ils avaient participé à un complot : gendarmes, magistrats, experts, tous mouillés, tous menteurs ! Un scénario classique de mauvaise série policière. Le ministère de l’Intérieur est aux abonnés absents. Les gendarmes portent plainte en diffamation. Ils ne peuvent pas ouvrir un magazine ou allumer leur télévision sans risquer d’entendre qu’ils sont des meurtriers. Ils cachent à une partie de leur entourage qu’ils sont au cœur du dossier. La thèse de la bavure étouffée par une machination d’État se répand. Beaucoup de gens y croient.

Quatre ans plus tard, mai 2020

IMG_20200624_150708Le comité Vérité pour Adama a commandé sa propre expertise à des médecins reconnus. Les juges d’instruction ont accepté une contre-contre-expertise. Elle a confirmé la première, en mars 2020 (voir extrait ci-dessus). Le dossier comprend plus de 2 700 procès-verbaux d’auditions. Personne n’a été mis en examen. Il y a des anomalies et des contradictions dans les récits des témoins, comme toujours, mais absolument rien d’inexplicable. Les magistrats instructeurs s’orientent logiquement vers un non-lieu. Un homme est mort, oui, mais il n’y a pas d’affaire. Le problème est que plusieurs centaines d’articles racontent le contraire ! Dans leur immense majorité, ils ne prennent pas en compte le dossier.

Les gendarmes voient avec effarement monter la marée de l’empathie pour Assa Traoré. Une empathie irraisonnée, qui habille de bouillie compassionnelle de dangereux dérapages. Ils enragent de ne pas pouvoir répondre. Leurs proches compilent silencieusement les émissions et les articles mensongers. Peut-être dans l’espoir de pouvoir un jour rétablir les faits, rien que les faits.

En attendant, les gendarmes prennent sur eux. Ils ont l’habitude. Ils voient souvent la mort et la violence. Les suicidés, les accidentés. Les martyrs. Certaines affaires vous hantent. Comment oublier qu’on a sorti d’une machine à laver le corps sans vie d’un enfant de trois ans torturé par ses parents ? Et comment, malgré tout, traiter les bourreaux en êtres humains ? C’est ce que les gendarmes doivent pourtant faire. Ils n’y arrivent pas toujours. Certains dérapent et la hiérarchie les sanctionne. Des représentants des forces de l’ordre passent chaque année en correctionnelle. Sur quels critères la « machine d’État » aurait-elle décidé d’étouffer la vérité spécialement sur l’affaire Traoré ? Le comité Vérité pour Adama répond par le complotisme : ce n’est pas un cas isolé, les bavures racistes sont légion et le pouvoir les cache. Cette rhétorique est de celles qui transforment des manifestations en émeutes et des émeutes en affrontements ethniques. Le pire, c’est que ceux qui en abusent avec tant de désinvolture savent que le jour où les choses se gâteront vraiment, ils pourront appeler la gendarmerie.

Erwan Seznec

«Libération» compte les Blancs comme tout le monde et combat l’extrême droite comme personne

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Le pasteur américain Martin Luther King (1929-1968). D.R.

Le racialisme engrange d’inquiétantes victoires dans notre pays.


Cette information a été largement commentée, entre autres sur CNews (par Mathieu Bock-Côté) et dans ces colonnes (par Gabriel Gobin) mais mérite qu’on y revienne. Le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse croyait bien faire : une vidéo visible sur le site et les réseaux sociaux du ministère et « valorisant un travail pédagogique autour de l’engagement » montrait il y a quelques jours cinq collégiens, lauréats d’un concours en anglais, débitant chacun son tour un petit discours sur l’écologie, la communication, l’égalité entre les hommes et les femmes, les chrétiens et les musulmans, les gros et les minces, et toute cette sorte de choses dans l’air du temps. Une des collégiennes, aux gestes saccadés et au regard fiévreux, concluait la vidéo en reprenant les propos lénifiants de Greta Thunberg : « Je fais un rêve, que le temps des vaines promesses prenne fin. Stop au blablabla. Il n’y a pas de planète B. La Terre est notre bien le plus précieux. » Bref, rien que du consensuel et du politiquement correct récités par une marmaille endoctrinée. Pourtant, le ministère a décidé de retirer la vidéo de son site. Motif : les collégiens qui, selon cette mode absurde de récupération de l’histoire américaine, rendaient hommage à Martin Luther King en débutant leurs discours par le fameux et anaphorique « I have a dream », se sont vus reprocher d’être tous… blancs.

Du racisme au nom de l’antiracisme

Danièle Obono a ironisé sur le réseau X : « Ce n’est pas notre faute s’il n’y a pas pas un.e seul.e élève noir.e ou racisé.e dans tout le pays capable d’aligner correctement 3 mots en anglais. » L’avocat Nabil Boudi, sur le même réseau, s’est demandé comment il est possible de « rendre hommage à Martin Luther King, homme noir ayant lutté toute sa vie pour les droits civiques et contre l’Apartheid instauré par les blancs, en omettant d’intégrer des noirs dans la vidéo ». La journaliste et militante Sihame Assbague, organisatrice en 2016 d’un camp d’été décolonial en non-mixité (interdit aux Blancs), a jugé que cette vidéo, « 48h après l’annonce d’une mesure islamophobe », ça faisait beaucoup… Bref, au nom de l’antiracisme, tout ce petit monde a fait du racisme, mais comme c’est du racisme anti-Blancs, tout ce petit monde considère que ce n’est pas du racisme et (presque) tout le monde s’écrase – non seulement le ministère de l’Éducation nationale n’a pas dénoncé ce racisme évident mais même il a baissé son pantalon, fait son mea culpa et retiré la vidéo de ses réseaux sociaux. Les adeptes du « racialisme », cette nouvelle et efficace forme de racisme érigeant paradoxalement en principe antiraciste la racialisation intégrale de la société, crient victoire.

A lire aussi, du même auteur: La presse mainstream, de plus en plus orwellienne, en est persuadée : la pensée unique c’est le pluralisme

Naturellement, dans Libération, la journaliste Cécile Bourgneuf y est allée de son refrain : « …ces jeunes gens sont tous blancs. Pas un seul élève racisé parmi eux dans cette vidéo censée rendre hommage à un discours antiraciste ». Abêtie par l’idéologie racialiste, la journaliste croit dénoncer une vidéo raciste en citant Martin Luther King – « Je fais le rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur leur couleur de peau mais sur la valeur de leur caractère » – et ne s’aperçoit visiblement pas qu’en ne jugeant ces collégiens que sur leur couleur de peau, sa diatribe contre cette vidéo ambitionnant de mettre en exergue le caractère « humaniste » d’une jeunesse « engagée » contre toutes les injustices va très exactement à l’encontre des vœux sincères et universalistes de Martin Luther King. Elle aurait bien entendu préféré voir une vidéo ressemblant aux séries Netflix et aux films publicitaires « créolisés » et assujettis aux dogmes racialiste et wokiste. De plus, note la sourcilleuse journaliste, si les discours des lycéens valorisent « pêle-mêle des rêves pour la planète ou sur l’égalité entre chrétiens et musulmans, filles et garçons, les gros, les minces. […] Il n’y a pas un mot sur les noirs ». Notons qu’il n’y a pas un mot non plus sur les Jaunes, les homosexuels, les handicapés et, je le signale avec amertume, les chauves !

Quatre journalistes de Libération à plein temps contre la dédiabolisation

Si le ministère de l’Éducation nationale n’avait pas fait acte de contrition en retirant la vidéo incriminée, nul doute qu’il aurait eu droit, de la part de Libé, à un procès en extrême droitisation. Le quotidien continue de poursuivre de sa hargne militante tout ce qui lui semble ressembler de près ou de loin à la peste brune. À l’aune des critères de l’extrême gauche, cela commence à représenter pas mal de monde – le journal va donc mettre les bouchées doubles. En effet, face « à la banalisation d’un Rassemblement national entré en force à l’Assemblée et aux groupuscules racistes qui prospèrent jusque dans les petites villes du territoire (sic) », le journal créé par Jean-Paul Sartre et Serge July annonce vouloir renforcer « sa couverture de l’extrême droite » et proposer à partir du 5 septembre une nouvelle newsletter hebdomadaire afin de « démonter l’opération de dédiabolisation de l’extrême droite ». Ça s’appellera « Frontal ». Quatre journalistes travailleront « à plein temps sur le sujet ». Il y aura des enquêtes, des analyses et des « recensions des exactions commises par les groupes violents » – ne comptez pas sur Libé pour rendre compte des véritables exactions, celles des « antifas », des Black blocs ou des groupuscules gauchistes associés au transgenrisme ou au néoféminisme et censurant, parfois violemment, leurs contradicteurs – le quotidien se fixe pour seule mission de répertorier « les mensonges », le « recours à la menace » et « à la violence physique » de l’extrême droite. En revanche, il n’est pas prévu, à ma connaissance, de créer une cellule de journalistes spécialisés dans les dizaines d’agressions que subissent les Français quotidiennement du fait d’une immigration massive et incontrôlée. Ces « faits divers » n’intéressent pas plus Libé que Le Monde.

A relire, Gabriel Robin: Le ministère de l’Education nationale fait un rêve: une France post-raciale

Libération privilégie un point de vue globalement wokiste, incluant un discours « racialiste » issu des États-Unis et n’ayant strictement aucune justification en France mais permettant de galvaniser une gauche « antiraciste » qui, comme l’avaient justement pressenti Jean Baudrillard et surtout Paul Yonnet [1], a paradoxalement laissé se répandre une vision raciale des rapports sociaux en France – laquelle vision aboutit au comptage des Blancs dans une vidéo (ou des Noirs lors d’une cérémonie des César) et, finalement, à la récrimination communautariste et victimaire ne pouvant mener qu’à des situations conflictuelles. « L’extrême droite » n’est qu’un épouvantail camouflant les égarements de cette gauche médiatico-politique multiculturaliste qui sent bien qu’une majorité de la population, confrontée à la triste réalité de l’immigration massive, de l’insécurité et du risque de bouleversement civilisationnel, est en train de lui échapper – les derniers sondages concernant l’immigration et l’interdiction de l’abaya à l’école ne laissent aucun doute à ce sujet. Confrontés à une réaction même modeste des Français, LFI, les Écologistes et Libération deviennent de plus en plus bêtes et agressifs – nous devons par conséquent nous attendre, à la lecture de cette fameuse newsletter contre l’extrême droite, aux énormités, aux outrances, aux cris et aux jérémiades d’une extrême gauche woke et immigrationniste qui a cru le « combat des idées » gagné d’avance et qui n’accepte pas qu’on lui résiste.

Il sera intéressant de voir jusqu’où Libération est capable d’aller…


[1] Paul Yonnet, Voyage au centre du malaise français : l’antiracisme et le roman national, Éditions de L’Artilleur.

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15 arguments à opposer aux Tartuffes qui défendent le port de l’abaya à l’école

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L'essayiste Céline Pina. Photo: Hannah Assouline

Céline Pina a pensé à tout : elle nous propose, en cette veille de week-end, l’argumentaire idéal à dérouler devant votre beau-frère mélenchoniste lors du repas familial de dimanche…


L’interdiction du port de l’abaya à l’école divise à gauche, comme en son temps la question de l’interdiction du port du voile. Mais pas chez LFI, où l’on milite le petit doigt sur la couture du pantalon et où les convictions sont indexées sur l’humeur du petit père des Insoumis. Des Insoumis qui se révèlent fort serviles en interne. Il faut dire que LFI a besoin, pour dominer à gauche, de continuer à investir sur le vote musulman. Les études, montrant que presque 70% de cette communauté ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle, ont impressionné à gauche. Le vote musulman est donc devenu une martingale dans cette partie de l’échiquier politique pour peser dans le débat public. Or les dirigeants des partis de gauche n’ignorent pas qu’une partie notable de ces voix est due à la mobilisation des réseaux islamistes, notamment frères musulmans. Cette mobilisation s’est faite par le biais d’appels à voter diffusés via les mosquées et a été relayée par les personnalités de la sphère islamiste. A gauche, certains sont donc tiraillés entre intérêt électoral et conscience humaniste et universaliste (PS et PC), mais la plupart font passer leurs intérêts personnels immédiats avant l’intérêt général. A LFI, notamment, on n’a aucun mal à reprendre et à diffuser les arguments des islamistes. Et surprise ! ce sont les mêmes que pour le voile. Il faut dire que l’offensive sur les abayas se déroule selon le même schéma.

  • 1er argument : ce n’est pas un vêtement religieux

L’islam n’est pas organisé en clergé, à ce titre il n’y a pas de tenue type et même les voiles sont différents selon les pays ou la pratique, mais c’est toujours au nom de la religion que la femme doit cacher ses cheveux et son corps. Elle doit être dérobée à la vue, car elle est considérée comme impure, provocante, source de désordre et parce qu’elle ne s’appartient pas mais appartient avant tout à sa communauté. Voile comme abaya sont liés à une vision précise de la femme, de son statut et de son rôle. Ces signes d’appartenance religieuse témoignent de l’infériorité de la femme et de son impureté et cette vision est liée à la place de la femme dans la religion, l’islam étant à la fois religion et source du droit.

Notons qu’aux Emirats Arabes Unis, on prête une abaya à chaque femme qui veut visiter la mosquée d’Abu Dhabi pour que sa tenue soit « en accord avec la religion islamique ».

  • 2ème argument : ce n’est pas un vêtement religieux (bis)

Voile comme abaya ne sont pas des vêtements. Ce sont des signes, des marqueurs identitaires basés sur la religion. Peu importe les raisons qu’a une femme de les porter, ces tenues envoient un message univoque vers l’extérieur : le refus de l’égalité à travers l’infériorisation de la femme au nom de la religion.

  • 3ème argument : cela prouve que la France a un problème avec les musulmans, qu’elle n’accepte pas l’identité musulmane

C’est quoi l’identité musulmane ? Est-ce-que cela signifie respecter la culture et les mœurs des pays où l’islam est religion d’État ? Autrement dit, accepter que les femmes n’aient pas les mêmes droits que les hommes, créer des statuts de dhimmi  (le dhimmi paye une taxe pour avoir le droit de vivre en terre d’islam, car il n’est pas musulman et a moins de droits que les musulmans), rétablir l’interdiction du blasphème, réprimer l’homosexualité, faire de l’antisémitisme un marqueur culturel ?

Bref qu’entend-on par « identité musulmane » ? Le mot est utilisé par les islamistes pour faire croire à une persécution des musulmans quand ils attaquent de front les fondamentaux de notre contrat social. Or quel pays accepterait de tels coups de boutoir portés sur les fondamentaux de son contrat social et les bases de sa civilisation ?

Quant à la France, elle n’a pas de problème avec les musulmans, mais elle en a avec les islamistes. Il se trouve juste que ceux-ci sont de plus en plus influents dans la communauté musulmane. Depuis 2012, cette idéologie a coûté la vie à de nombreuses personnes, à coups attentats, de crimes politiques, le tout aux cris d’Allah Akbar, mais les Français ont toujours distingué les musulmans des islamistes. Cette idéologie nourrit la violence, le pillage et pèse sur l’école, l’université, crée des conflits dans le travail, au sein de l’espace public… Et c’est nous qui aurions un problème ?

  • 4ème argument : « Les accusations de séparatisme sont délirantes »

Ces tenues visent à distinguer la musulmane du reste des femmes. Ils marquent une identité religieuse qui se traduit en impossibilité d’intégration et d’assimilation. Pourquoi vouloir que l’on sache qu’une femme est musulmane au premier coup d’œil? Pour que la clôture communautaire devienne infranchissable. Les interdits alimentaires et vestimentaires visent à empêcher l’alliance hors de la communauté d’origine. Ils visent à créer une séparation, des distinctions qui empêchent de partager la même nourriture, de se marier, de faire société et cantonnent chacun dans une identité particulière plus forte que la communauté nationale. Elles exacerbent les différences et subliment les origines pour empêcher la naissance du commun.

Pour cela on remplace la distinction entre le bien et le mal, par celle entre le pur et l’impur. Or la distinction entre le bien et le mal est une démarche universelle, liée au libre arbitre et qui met en jeu la responsabilité. En revanche la distinction entre pur et impur dépend du suivi précis de prescriptions extérieures religieuses, elle réclame la soumission et l’abandon d’une pensée en propre. C’est une rupture anthropologique qui empêche l’accès à la notion de citoyenneté et le fait de penser la notion d’intérêt général.

C’est en cela que voile et abaya sont incompatibles avec la laïcité car ils font passer le dogme avant la loi, l’appartenance cultuelle avant la communauté nationale et sont un des marqueurs du refus d’accorder aux êtres humains la même dignité.

  • 5ème argument : cette interdiction est un dévoiement de la laïcité

Ceux qui expliquent cela définissent la laïcité comme la société protectrice des religions, devant veiller à leur expression et à leur égalité. Ils présentent l’obligation de neutralité comme l’obligation de laisser les religions intervenir comme elles le souhaitent sur le territoire et l’obligation d’accepter toutes les cultures.

Or la neutralité des agents du service public vient du fait que les religions ne sont pas reconnues comme jouant un rôle dans la sphère publique, elles n’ont donc pas à être prises en compte, ce sont des opinions personnelles. Les invoquer ne permet pas d’échapper à ses obligations légales.

Quand l’idéologie islamiste constitue la base de groupes organisés, qui remettent en cause nos fondamentaux politiques, au premier chef l’égalité, ou servent de justification au refus de respecter la loi, alors il n’est plus question de neutralité mais d’imposer la loi. Et nous en sommes bien là.

Il faut dire que la laïcité à la française n’est pas toujours bien comprise. Elle se nourrit du constat que les religions sont incapables d’accomplir la concorde civile (les Français l’ont compris lors des guerres de religion) et d’une certaine idée de l’homme émancipé, capable de forger ses propres lois. La base de la laïcité est de rompre avec la légitimation du pouvoir et des obligations sociales par l’instrumentalisation du divin. Les hommes, au sein de l’État, ne sont pas liés entre eux par la religion mais par l’exercice de la raison et leurs capacités créatrices. Ils bâtissent ainsi un mode de représentations et d’obligations communes qui une fois créées les dépassent et les obligent. Cette loi commune s’impose à tous dans la sphère publique, elle n’est donc pas neutre. Elle implique que personne ne peut revendiquer des aménagements particuliers au nom de sa culture d’origine, de sa foi, de ses traditions. Elle implique d’en rabattre sur ses particularismes au nom du commun. Un pays où chacun voudrait avoir soi pour loi serait invivable. La laïcité ce n’est pas la neutralité envers la religion mais bien la domination de la loi sur la religion dans la sphère publique et la relégation du religieux à la sphère privée et à l’individu.

  • 6ème argument : la France est un pays de liberté, elle doit défendre la liberté religieuse

En France les religions ne sont pas reconnues, ce sont les cultes qui sont mentionnés. Quoi qu’il en soit, personne ne peut s’appuyer sur son culte pour déroger à la loi commune. Or c’est exactement ce que réclament les tenants de l’affichage des codes sociaux islamiques : que leurs ressortissants échappent aux obligations de discrétion et de respect de la loi au sein des établissements scolaires. Ils réclament de déroger à la loi au nom de la liberté de faire prévaloir leur culte sur leurs obligations citoyennes.

Ils brandissent ainsi la liberté contre l’égalité et la laïcité. Or, les conflits de valeurs sont inhérents aux sociétés humaines. Ce qui explique qu’aucune valeur ne soit absolue. La liberté connait des limites et les libertés ne sont pas toutes égales. Nous plaçons en occident la liberté de conscience au-dessus de la liberté religieuse, la loi au-dessus du dogme. C’est l’essence de notre civilisation et la source de notre organisation sociale. Comme il existe une hiérarchie des normes, il existe une hiérarchie des lois et la façon dont nous tranchons ces conflits de valeurs est révélatrice de notre culture.

  • 7ème argument « Les femmes ont le droit de s’habiller comme elles le veulent »

En général, il y a des codes sociaux, des obligations et des nécessités qui font que personne ne s’habille tout le temps comme il lui sied. On ne va pas en string à paillettes à un enterrement, ni en robe de soirée pour couler du béton sur un chantier, encore moins à un entretien d’embauche en claquettes-chaussettes. A l’école, réclamer une tenue adaptée n’est pas délirant. Cela fait partie des codes sociaux à transmettre et à acquérir.

Le voile comme l’abaya ne sont pas des vêtements mais des symboles. Ils sont utilisés par les islamistes pour faire peser un contrôle social fort sur les femmes, dans les quartiers notamment. Ils sont les marqueurs de l’imprégnation islamiste dans un territoire. D’ailleurs essayez donc de porter le voile trois jours pour l’enlever le lendemain, le remettre deux jours après, l’enlever ensuite… Vous verrez tout de suite la différence entre un marqueur politico-religieux et un accessoire de mode ! Un vêtement n’envoie aucun message, un signe identitaire ou religieux, si.

  • 8ème argument : « mon corps, mon choix »

Cet argument est particulièrement choquant car il reprend un slogan féministe en faveur du droit à l’avortement pour en faire un manifeste islamiste en faveur de signes sexistes.

Or faire du port du voile ou de l’abaya une liberté, est une forfaiture. On n’est pas libre quand on est conditionnée depuis toute petite à voir en la femme voilée, la femme respectable. Pour qu’un choix soit libre, il faut qu’il y ait équivalence morale entre les deux options. Si je dois choisir entre études de littérature ou études scientifiques, aucun choix n’est marqué moralement. En revanche, il n’y a pas véritablement choix quand une option est valorisante et l’autre infamante. Si se voiler ou porter l’abaya, c’est être vu par sa communauté comme une bonne musulmane, une femme respectable et une femme qui ne trahit pas ses origines et que ne pas être voilée ou complétement couverte, c’est se comporter comme une pute, faire « sa Française » en reniant ses racines et insulter sa religion, alors on voit bien que le choix n’est pas réel ; et que ce que l’on appelle ici liberté est un consentement à sa propre oppression.

  • 9ème argument : « C’est la police du vêtement »

Il existe une police du vêtement, mais c’est justement dans l’Etat islamique, dans les pays du golfe ou en Iran par exemple qu’on peut la rencontrer. Et justement, elle est chargée de veiller à faire respecter la conformité des tenues au dogme islamique.

En revanche, en Occident aucun policier ne se balade dans les rues avec un mètre de couture et des ciseaux pour raccourcir les jupes et accentuer les décolletés des filles pas assez provocantes. Aucun n’arrête les femmes dans la rue pour les obliger à troquer leurs baskets pour des talons de 12 cm. Là où l’islamisme règne, on peut mourir pour une tenue islamique mal portée, être défiguré par un jet d’acide, être réellement violenté…

  • 10ème argument : le voile et l’abaya ne sont pas plus oppressants pour les femmes que les talons aiguilles et les mini jupes, c’est le même patriarcat à la manœuvre

Ah ! le patriarcat, c’est devenu le nouveau Grand Satan. Sauf que là on atteint des sommets dans le foutage de gueule. Au nom des inégalités qui existent encore (notamment en matière salariale), on nous explique que la situation des femmes est équivalente en occident et dans un pays musulman. Or c’est faux. La condition des femmes n’est pas la même là où l’égalité en droit est la base de la société et là où la femme est infériorisée ou réduite à l’état d’éternelle mineure. Et cela se voit.

  • 11ème argument : « Il y a des choses plus importantes », « c’est une diversion pour ne pas parler des vrais problèmes »

Si la restauration de l’autorité est un des problèmes de l’école, demander le respect de la laïcité est une bonne base pour restaurer la qualité du système scolaire.

Mais surtout on est ici au cœur du problème. La tentative d’instaurer le port de l’abaya à l’école n’est pas une initiative individuelle d’élèves un peu exaltés. Elle est liée à une offensive idéologique dont on observe les ravages sur les enseignements et qui font peser des menaces sur les professeurs. L’assassinat de Samuel Paty est parti d’une fatwa lancée contre lui sur un réseau islamiste et qui a trouvé un exécutant.

Autre point : l’aspect concerté et politique de la provocation liée aux abayas raconte quelque chose du travail de radicalisation réalisé sur une population ciblée et identifiée. C’est pour contester l’école et marquer le rejet de la France et de ses lois que ces tenues fleurissent. Cette logique alimente une grande partie des tensions à l’école : le refus de certains enseignements en histoire ou en sciences, les revendications du hallal à la cantine pour imposer les interdits alimentaires communautaristes par exemple… L’objectif est ici clairement séparatiste, à l’heure où justement les enfants sont censés faire l’apprentissage de la socialisation et apprendre et comprendre les fondamentaux de leur civilisation.

  • 12ème argument : cela va empêcher l’intégration des jeunes filles musulmanes

L’argument est amusant s’agissant d’une tenue liée à un travail de radicalisation politique bâti sur le refus d’accepter justement l’intégration, au nom de la religion ! Refus qui se traduit par des revendications sexistes, par la contestation de notre égalité, le refus de nos libertés, la tentative de toujours opposer le dogme contre la loi.

  • 13ème argument : les jeunes filles musulmanes vont se sentir rejetées et cela va affecter leur réussite

L’interdiction du voile à l’école est corrélée avec une « amélioration spectaculaire, massive et durable » des performances des filles musulmanes à partir de 1994, date de la circulaire Bayrou. Rien de tel ne s’observe pour le groupe non musulman, ni sur le groupe des garçons musulmans. C’est ce que révèle une étude d’Eric Maurin, 3 leçons sur l’école républicaine, au Seuil. Le fait d’être libérées d’un conflit de loyauté a permis aux filles musulmanes de trouver toute leur place à l’école, et de s’y épanouir.

  • 14ème argument : Cette interdiction va nourrir l’extrémisme de droite

Toute opposition à l’offensive islamiste serait donc d’extrême-droite ? Beau cadeau que la gauche fait à cette mouvance qu’elle dit détester mais dont elle est en train de devenir le meilleur agent électoral.

En fait, c’est tout l’inverse. Une étude a par exemple démontré que quand la justice est vue comme efficace, les partisans de la peine de mort baissent drastiquement. Dans le cas de l’offensive islamiste, c’est la même chose. Quand les politiques font leur travail et protègent la société – ici c’est en interdisant l’imposition de signes sexistes à l’école – les électeurs ont moins tendance à exprimer un vote protestataire et à voter pour les extrêmes.

  • 15ème argument : L’interdiction de l’abaya serait, selon Clémentine Autain, « symptomatique du rejet des musulmans »

Donc s’opposer à un signe sexiste et misogyne reviendrait à rejeter tous les musulmans ? Mais, en même temps, l’abaya ne serait pas un vêtement religieux ? On s’y perd… Est-ce à dire qu’une partie de la gauche soutient l’infériorisation de la femme et sa représentation comme impure contre la logique d’émancipation qu’elle est censée porter ? La gauche serait-elle plus réactionnaire que l’extrême-droite qu’elle ne cesse de dénoncer ?

Une partie de la gauche perd son honneur en choisissant de se faire les « idiots utiles » des islamistes. Mais pour l’instant cela rapporte électoralement à la LFI, alors tant pis pour l’émancipation, pour l’égalité des femmes, pour les droits des homosexuels. Pour cette gauche-là, on l’a bien compris, l’intérêt électoral passe avant l’intérêt général.

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Kamasutra scolaire

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Image d'illustration Unsplash

Assis, debout ou à genoux: dans l’école flexible dont rêve Emmanuel Macron, c’est comme on le sent. La fin de l’universel, en somme, et une philosophie de l’apprentissage en contradiction totale avec le souhait présidentiel de rétablir l’autorité, analyse cette contribution.


Le président Macron profite de cette fin d’été pour accorder une interview au journal Le Point. Les propos sur la politique intérieure et extérieure mériteraient sans doute notre attention. Mais ce sont les quelques pages consacrées à l’éducation qui nous interpellent plus encore, notamment car l’école devrait constituer un des leviers principaux pour instaurer de nouveau une forme d’autorité, de discipline et de civilité. Mais paradoxe (contradiction?), le président affirme : « Quand il n’y a plus de cadre, plus d’éducation, plus de rapport à l’autorité qui vous ramène à une forme de raison, vous arrivez [au désœuvrement de la jeunesse et à “l’ensauvagement de la société”] », et il propose en même temps avec le plus grand sérieux du monde de tester “l’école flexible”. Ce qui signifie ici que l’élève peut choisir sa position : debout, assis ou à genoux. Vivent les scolioses intellectuelles! Cela pourrait paraître anecdotique, ce petit kamasutra scolaire; mais faute d’un propos bien consistant sur l’école, analysons cette miette de proposition qui, en réalité, en dit long sur la vision que le chef de l’Etat a de l’école.

Assis, debout ou à genoux: c’est “comme tu le sens”. La fin de l’universel

Premier point : nous quittons l’universel en miniature que devrait constituer toute classe pour se réfugier dans l’océan des particularismes. Chacun a bien le droit de se tenir comme il le souhaite en classe. C’est donc le triomphe de l’individualisme et du désir particulier sur le bien commun. Car personne ne conçoit que, pour le bien de la totalité que constitue cette entité à part entière qu’est la classe, il serait mieux que tout le monde soit assis, tourné ensemble dans la même direction, vers un but commun (et non pas, par pitié, en îlots comme le veulent encore quelques pédagos qui ne semblent pas comprendre que tout temps passé ainsi ne sert qu’à bavarder, désœuvré, ou à se regarder, ennuyé, en chien de faïence).

Assis, debout ou à genoux: le bien-être, pas l’instruction

Accordons nous déjà sur le fait que, si on autorise la position à genoux, il n’y a qu’un coude avant de se vautrer par terre. On se souvient de la scène du Péril jeune de Klapisch où le professeur de maths un peu laxiste force les élèves à s’allonger pour se détendre avant l’interrogation. (“Nous ne commencerons pas l’interrogation tant que tout le monde ne sera pas détendu!”) Les résultats sont probants : Tomasi et Chabert s’endorment – les joints aidant – quand Léon et Christine, couchés tout près l’un de l’autre, se jettent de timides regards emplis de désir. Le sommeil, l’avachissement et l’attirance sexuelle seraient-ils immédiatement propices à une instruction efficace ? A l’inverse, assis, pas trop avachis si possible, on conserve une position un peu moins confortable mais qui, par ce même fait, nous permet d’aiguiser au maximum notre attention. Le confort, l’aisance à outrance, le bien-être complet ne permettent pas l’apprentissage, ils l’empêchent au contraire. Si un minimum de confort est exigé, il ne doit jamais aller jusqu’au tiède amollissement qui endort. Voilà pourquoi les chaises en bois ont du bon.

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Assis, debout ou à genoux: la fin de l’écriture

La seule position idoine pour écrire, c’est d’être assis. Si écrire debout semble encore concevable, tout le reste est à proscrire. Mais peut-être est-ce là le problème : la pédagogie actuelle juge l’écriture démodée et préfère l’oral (écouter vaguement et parler la langue que nous entendons quotidiennement). Peut-être faut-il remonter à la commission Rouchette (1963-1966) pour voir ce mépris grandissant pour la langue écrite et ce tournant vers les “compétences orales” que les actuels INSPE obligent les professeurs à faire travailler, au détriment d’une connaissance précise de l’orthographe, de la grammaire et du style écrit. À l’INSPE, l’an dernier, j’ai ainsi appris qu’il vaut mieux un exposé oral où l’apprenant improvise très médiocrement à partir de trois mots clefs qu’un excellent exposé lu à l’oral mais où l’élève se serait un peu trop appuyé sur ses excellentes notes écrites. Étrange inversion. Pourtant, écouter distraitement et parler (mal) au lieu d’écrire, c’est sans doute le triomphe de la passivité sur l’activité, de l’éparpillement sur la concentration, de la facilité qui dégoûte sur la difficulté qui stimule. Car il est plus complexe de mettre correctement en forme ses pensées à l’écrit tandis que la médiocrité passe plus facilement inaperçue à l’oral, ce pour quoi elle est précisément prisée. Et rappelons une évidence : écrire, prendre des notes est une activité qui suppose des capacités de concentration, de compréhension, de synthèse voire d’interrogation et de critique et permet la mémorisation.

Assis, debout ou à genoux: discipline et autorité

Si, prenant un peu de hauteur, on cherche à saisir un “enjeu majeur” dégagé par le président au cours de cette longue interview, il s’agirait de restaurer l’autorité, celle de l’État, celle des professeurs et du savoir. Mais l’autorité, c’est-à-dire la capacité à commander légitimement, suppose d’emblée une forme de discipline chez chacun afin de ne pas y rester imperméable. Par la discipline tout enfant se prépare à obéir à une règle de conduite imposée, à l’intérioriser puis à en comprendre le bien fondé. La clé de la discipline ? L’éducation des parents bien sûr. Et si l’école doit prendre la suite, c’est encore grâce à la position assise. Ainsi Kant, au tout début de son Traité de pédagogie insiste sur ce point :

« La discipline empêche l’homme de se laisser détourner de sa destination, de l’humanité, par ses penchants brutaux. (…)La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité et commence à lui faire sentir la contrainte des lois. (…) On envoie d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne, afin que dans la salle ils sachent tirer à l’instant bon parti de toutes les idées qui leur viendront. »

S’habituer à obéir, à rester assis, ne pas changer de position dès qu’on le désire, faire l’apprentissage du délai, de l’attente, de la frustration peut-être, apprendre le calme et la discipline, tout cela constitue la condition de notre sensibilité future à l’autorité et à sa légitimité. Mais, à l’école, une telle discipline reste encore insuffisante et il reste à savoir de quelle autorité nous parlons. Car elle peut tout aussi bien désigner tel professeur qui jouit d’une grande autorité au sens où son savoir et ses cours le rendent admirable et respecté, qu’une autorité qui impose arbitrairement son commandement et exige la soumission. L’école n’admet finalement que la première et, si la discipline est d’abord exigée, c’est pour permettre l’éveil de l’intelligence. L’élève est-il assis, je m’adresse à un esprit, est-il à genoux, je m’adresse à un esclave. Cette communauté des esprits, cette République des intelligences, on ne l’obtient que face à une classe, face à des élèves assis mais dont on fait s’élever l’intelligence.

Assez critiqué. Remercions Emmanuel Macron qui va réinstaurer en juin (nous l’espérons) les épreuves du baccalauréat qui étaient, pour la majeure partie, placées en mars et qui tentera ainsi la “reconquête” de la fin de l’année scolaire. Visiblement il tentera aussi de conquérir le mois d’août, entreprise sans doute plus contestable, puisque le temps du professeur est aussi celui du loisir qui permet son perfectionnement intellectuel. Enfin, une dernière question : qui peut vraiment croire que M. Macron a préparé l’ENS et l’ENA en restant à genoux ?