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Biden-Djokovic, l’étrange match de l’humanité

Portraits croisés


Biden-Djokovic, l’étrange match de l’humanité
Le joueur de tennis serbe Novak Djokovic, New York, 30 août 2023 © Andrew Schwartz/SIPA

Après deux ans d’absence, Novak Djokovic, le « non vacciné » le plus célèbre au monde est de retour sur le sol américain. Sa réapparition suscite un immense intérêt du public, avec des files d’attente interminables pour voir ses entraînements, ou encore la présence de Barack Obama dans le public lors de son premier match de l’US Open. Un incroyable parcours.


En mars dernier, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, a adressé un courrier au président des États-Unis, Joe Biden, pour lui demander d’autoriser l’entrée dans leur pays… d’un citoyen serbe. À l’époque, Washington n’avait pas encore levé les restrictions liées au Covid-19 pour les étrangers non-vaccinés, ce qui était le cas de l’homme en question. Au premier regard, la demande parait totalement absurde quand on connaît l’importance des dossiers du locataire de la Maison Blanche, mais c’est sans savoir que le citoyen serbe en question s’appelait Novak Djokovic, le champion de tennis dont les performances sportives ainsi que les actualités au-delà du simple cadre tennistique ont hissé au rang des personnalités les plus connues de la planète. Quelques semaines avant la lettre de DeSantis, Djokovic a ému le monde, et ce, bien au-delà du simple cercle des amateurs de tennis, en remportant à Melbourne son dixième tournoi d’Open d’Australie (et son 22e titre de Grand Chelem), égalant le record de son rival de toujours, Rafael Nadal. Cette victoire, malgré sa valeur sportive extraordinaire, fut davantage une démonstration de force mentale qu’aucun athlète, probablement, n’a pu manifester avant lui. Car un an auparavant, à l’occasion du tournoi de l’Open d’Australie, le Serbe s’était vu d’abord refuser l’entrée au pays, ensuite contraint de squatter dans un centre de rétention pour immigrés et, finalement expulsé du territoire australien. Et cela à cause de son choix de ne pas se faire vacciner contre le coronavirus. Le procès collé au numéro un mondial a été purement politique. Novak Djokovic est devenu, malgré lui, la proie parfaite pour les élites au pouvoir veillant sur notre santé et qui ont voulu, à travers lui, punir sur la scène planétaire tous les « anti-vax ». Parmi ces derniers se trouvaient, il est vrai, les complotistes adhérant à des théories farfelues, mais aussi des millions d’individus adultes responsables (dont le natif de Belgrade) qui revendiquaient le droit de décider de leur propre chef de se faire injecter ou pas les substances chimiques du vaccin dans le corps.

Que cet acharnement (qui a obligé le gouvernement du Premier ministre australien de l’époque, Scott Morrison, à annuler la décision du tribunal de Melbourne favorable au Serbe) soit tombé sur Djokovic fut particulièrement frappant. Depuis son apparition sur le circuit professionnel, le tennisman s’est distingué par ses recherches approfondies du « pouvoir extraordinaire » du corps et de l’esprit humain.  Son régime anti-gluten aurait aidé des milliers de personnes partout dans le monde, sportifs ou pas à se débarrasser de problèmes de santé. Son hygiène de vie, son appétence pour les neurosciences ou encore les pratiques de la méditation ont révélé un athlète qui ne se contente pas d’être là pour ravir les sponsors et les médias et faire grossir son compte en banque. Djokovic a endossé le costume de champion – pionnier, celui qui amène les performances à un niveau jamais connu, comme le firent avant lui Nadia Comaneci, Michael Jordan ou plus récemment Usain Bolt.

Lettre morte

Le président Biden n’a pas donné de suite favorable à la lettre de DeSantis. Rien de surprenant si on se souvient de sa position très ferme sur les mesures anti-Covid. Lorsqu’il n’était encore que candidat, Joe Biden a été critiqué pour avoir porté un masque, tout au long de sa campagne de 2020, et pour l’organisation de ses rares meetings électoraux principalement en mode drive-in sur des parkings… Il n’est pas certain, par ailleurs, que le nom du tennisman lui dise forcément grand-chose. Djokovic, lui, est sans doute mieux renseigné sur l’homme politique américain et pour cause… Il y a presque 25 ans, Joe Biden, alors membre du comité aux affaires étrangères au Sénat, a été un fervent partisan des bombardements de Belgrade par les pilotes américains, voyant dans cette approche l’unique possibilité de garantir la sécurité de l’Amérique et de l’Europe démocratique. Dans ses interviews, Djokovic a souvent raconté à quel point les bombardements de 1999 par les troupes d’Otan, pendant 78 jours, avaient traumatisé son enfance, l’avaient rendu ultra-sensible aux bruits soudains et l’ont fait détester les guerres. Dans son autobiographie « Service gagnant », sortie en 2013, il raconte comment il cherchait à protéger ses deux petits frères à Belgrade dans un appartement plongé dans le noir, âgé de 11 ans, après la première explosion et alors que son père secourait sa mère qui avait perdu connaissance en se cognant contre le radiateur.

Plus de deux décennies plus tard, quand la Russie a brutalement envahi l’Ukraine et alors que les stars sportives, dont Federer et Nadal, évitaient de s’exprimer au sujet épineux de la guerre, Djokovic s’est empressé d’envoyer un texto au tennisman ukrainien Serhiy Stakhovsky: « Je pense à toi… Si tu as besoin d’aide financière ou autre donne-moi l’adresse ». Le texto était personnel, mais Stakhovsky, très ému, a demandé l’autorisation du Belgradois de le rendre public, afin de montrer à ses compatriotes le soutien apporté par un célèbre champion. Et dire que l’échange s’est produit quelques semaines à peine après la mésaventure australienne du Serbe, et alors qu’il avait toutes les raisons de détester le monde et d’en vouloir à sa profession pour son manque de soutien ! Djokovic, comme à son habitude, ne s’est pas caché, il a fait parler son grand cœur slave, bien que la Serbie maintienne des liens d’amitié avec la Russie et que lui-même n’ait jamais cherché à dissimuler son patriotisme et notamment sa position sur le Kosovo, la terre natale de son père. On se souvient des mots qu’il a écrits sur la caméra de France Télévisions lors du dernier Roland Garros, en assumant une possible sanction pour son geste : « Le Kosovo est le cœur de la Serbie ! Arrêtez la violence ».

Deux vétérans

Joe Biden et Novak Djokovic ne se sont jamais rencontrés ; ils appartiennent à deux générations différentes, mais l’ironie de l’histoire moderne a bien voulu croiser leurs destins et faire d’eux les incarnations les plus abouties, probablement, de notre époque. L’un représente le pouvoir absolu, porté par les puissantes institutions de son pays si riche de talents et d’entrepreneurs et qui, face aux gesticulations impérialistes de Vladimir Poutine et les ambitions géopolitiques de Xi Jinping, est bien décidé à recycler la mécanique la plus redoutable de la guerre froide du siècle passé, dans un monde qui a pourtant changé d’ère et d’idéologies. Qui, et quelle incroyable coïncidence, a bien insisté auprès du même Premier ministre australien Morrison (qui avait expulsé Djokovic), pour faire annuler en septembre 2021 le contrat à 56 milliards d’euros avec la France pour 12 sous-marins.

Face au vétéran de la politique au sourire difficilement lisible, il y a un autre vétéran, celui du tennis, surgi d’un pays en ruines, arrivé au sommet de son art malgré les incalculables obstacles sportifs et extra-sportifs, qui n’a jamais arrêté d’innover, de chercher la voie qui ferait de lui un meilleur homme et un meilleur athlète. Il y a quelques jours, en vue de la saison tennistique nord-américaine, Djokovic a enfin débarqué aux États-Unis, après deux ans d’absence. « Je n’ai aucun regret » a-t-il crânement déclaré aux journalistes au sujet de cette pause forcée. Il ne sera jamais aimé de tous, comme toute personne qui explore de nouveaux chemins. Mais le Serbe a déjà gagné l’immense considération des amateurs de sport du monde entier qui suivent son parcours. Le président de la plus grande puissance militaire, de son côté, continue de nous préparer à affronter le pire…




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est directeur marketing chez Orange. Son livre « L'Homo Globalis Numericus » est paru au début de l’année aux Editions du Panthéon.

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