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Serge Raffy, l’âge de déraison

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L’ancien rédacteur en chef de l’Obs reprend son destin où il l’avait laissé. Avec Bivouacs, Serge Raffy fait son entrée dans la chanson française, sur fond électro, avec un album remarquable.


Sympa. C’est le mot qui vous vient à l’esprit en présence de Serge Raffy. Super sympa, quand on le connaît un peu. La simplicité de ce jeune homme qui a pris de l’âge honore un des plus beaux CV de la presse française. Une quinzaine de livres brillants : romans, essais, biographies, dont celle, incontournable et mondialement connue, de Fidel Castro. Un style élégant, incisif, précis, teinté d’humour, un sens rare de la formule, des portraits tirés au cordeau ; des centaines d’articles couvrant un demi-siècle d’un regard ouvert porté sur le monde et l’évolution de nos sociétés, avec un tropisme certain pour le politique. Voilà pour le passé. Le rédacteur en chef de l’Obs vient de raccrocher après une longue carrière commencée à la Dépêche du Midi, poursuivie à Libé, puis à l’Obs, avec une parenthèse de quelques années au service du féminin, comme rédacteur en chef du magazine Elle.

Kidnappé par le destin

L’homme porte aujourd’hui un sourire amusé sur le pigiste kidnappé par le destin dans sa vingt-cinquième année : journaliste à RMC, il vient d’enregistrer un 45 tours au mythique Studio Condorcet à Toulouse. La pochette de Y a un mystère est dessinée par Enki Bilal.


Le mystère restera entier puisque le mécène du disque, un banquier, disparaît bientôt en Afrique. Serge ne songe nullement à quitter sa ville, son groupe et ses copains. Mais Jean Daniel, qui veut pour Le Nouvel Observateur des écrivains-journalistes, lui fait des appels du pied. Franz-Olivier Giesbert, l’ami fraternel, finit par le convaincre. Le Toulousain de cœur consent à quitter ses rêves pour les rejoindre. Raffy grand reporter va courir le monde, l’Amérique latine en particulier, et mettre la musique entre parenthèses.

Plutôt une mise en sourdine. Les voyages de l’homme de plume sont autant d’occasions de se constituer un trésor de guerre. À la manière d’un photographe, le reporter saisit des instants de vie, des impressions de voyage. Des notes qui ont vocation à devenir des histoires qu’il mettra plus tard en musique. Folk dans un premier temps. Avec une inflexion latino dans les années 2000 où ce fan des Beatles et d’Otis Redding se produit dans des petites salles, avec une formation acoustique, le MOW (Music Of World) : une choriste argentine, un guitariste arménien et un percussionniste cubain.

Plus électro que branché

L’idée de l’album se dessine. Et se précise quand il rencontre Hugo Stradella, un jeune batteur, multi-instrumentiste. Le fossé des générations les sépare, leurs goûts communs les rapprochent. La fusion opère. Quatre ans de travail avec le réalisateur à rechercher dans chaque son une harmonie avec le texte, l’adéquation parfaite du son et du sens. Un climat. 14 titres et autant de destinations. La voix, caressante, souvent murmurée, se pose sur des nappes musicales élégantes. L’habillage, sur mesure, est essentiellement électro. « J’ai voulu rendre aux mots ce qu’ils m’avaient donné » résume cet amoureux de la langue française, fan absolu du regretté Nougaro.

Une partie de lui-même qui ne s’était pas exprimée

Bivouac est un long voyage à l’envers. Le chanteur revient sur les pas du grand reporter. L’album ouvre sur Hôtel Métropole où sa voix fusionne avec celle d’Art Mengo sur les rives du fleuve Mékong. Lydia Hudon Ferland l’accompagne sur Je ne regarde pas en arrière – qui fait étrangement penser à Etienne Daho, comme sa nouvelle version de Laurie Bloom et « ces nuits suspendues à ton cou ». Sur Laissez passer, la voix est celle de Malena Marquez. Raffy effectue le reste du voyage en solitaire, faisant escale à Paris où l’envoutant Eiffel Lovers évoque « la dame de fer en sentinelle ». Puis Berlin avec Alexanderplatz où « il reste des traces » des « fantômes qui surveillaient leur vie ». L’éditorialiste politique file ensuite vers Les Sirènes d’Essaouira, puis Gibraltar où, allongé, il regarde « passer les pélicans sur la Canopée ». Sur les hauteurs de Beverly Hills Geronimo blues, inspiré par Michael Connelly, se souvient de Dolores Quesada ; Gabo song raconte l’enfance de Gabriel Garcia Marquez. La chanson d’un regret. Serge n’aura pas eu le temps d’honorer le rendez-vous pris avec le grand écrivain, parti entre-temps rejoindre les étoiles.

La passion de la scène

Voici bouclé un tour du monde, un tour d’horizons, histoire de mettre un passé en règle. Celui d’un homme conscient que sa deuxième vie commencerait le jour où il déciderait d’en avoir une autre. La photo de couverture de l’album – une gueule – est celle d’un type qui assume de n’être plus un jeune homme. Comme Yves Simon, nourri de ses lectures et de ses voyages, Serge Raffy fait chanson à part. Il impose d’emblée son style. Une poésie. Des rengaines qui vous restent en mémoire. Entêtantes. Désormais chroniqueur au Point, le nouveau Raffy se produit sur scène et prépare son prochain album, Aimes, qui sera consacré aux femmes. Autant dire qu’il est loin, très loin, d’avoir dit son dernier mot.

Bivouacs. À écouter sur toutes les plates-formes.

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Macron: «Allo, SOS Amitié?»

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Les écoutes téléphoniques (quasiment) véridiques de « Causeur ». Le billet satirique de Denis Hatchondo


-”Oui, Emmanuel je t’ai reconnu.”

-”Vous êtes bien la seule!”

-”Allons, ça ne va pas mieux? Toujours pas trouvé un ami? Tu as mis le paquet là, entre Charles et le Pape tu pouvais pas faire beaucoup mieux!”

-”Ça s’est passé moyen. Un Roi, un Pape, y a une brouette d’interdits, même si je lui ai un peu gratouillé le dos, à numéro 3.”

-”Pourtant quand tu as reçu MBS à l’Elysée, tu lui avais remis en place une cervicale en deux temps trois mouvements!”

-”Ouais, mais lui ce n’est pas pareil, il se pointe au Château en abaya avec un torchon de pizzaiolo sur la tête. Du coup je me suis mangé le protocole.”

Versailles, 20 septembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

-”Alors, comment il est Charles?”

-”Un alambic ! Il boit comme un hooligan, il m’a montré une feuille de salade et m’a pris le chou pendant des plombes sur le respect que je devais à la nature, m’a dit que j’étais un cancre en matière d’écologie, que sur le glyphosate j’étais en dessous de tout et glou glou glou… c’est pas un roi ! C’est Sandrine Rousseau avec les oreilles de Bayrou et la descente de Larcher. Et avec la lubricité de Le Maire! Il n’a pas arrêté de chauffer Brigitte ce con !”

-”Ha bon, et alors?”

-”Tu parles, Bridget avait Hugh Grant à sa droite, alors elle ne l’a pas calculé. Et puis ce n’est pas avec ses laitues à l’eau claire qu’il pouvait l’emballer, elle qui n’a jamais été foutue de me faire une vinaigrette.”

A lire aussi, Céline Pina: Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

-”Et Camilla, comment elle est?”

-”Je suis contre l’abaya, ok. Mais là j’avais envie de signer sur la nappe un décret pour rendre obligatoire la burka. Oh putain l’épouvantail ! Je comprends que le Charly se passe de pesticides au jardin ! Franchement ce type il a un problème. Avoir Diana à la maison et se casser pour planter des poireaux avec sa mère!”

-”Ha non, pas toi…”

-”Heu ça va, parlons d’autre chose !”

-”Et le Pape, tu l’as convaincu de signer à l’OM, y a plus que lui pour sauver ce club!”

-”Là, faut un Tony Montana pour s’en sortir. Le Pape, c’est le pape, je ne pouvais pas faire l’osthéo. Pourtant il est tout tordu, je l’aurais bien manipulé le Garrincha. Il est venu à Marseille pour me traiter de fanatique de l’indifférence! Comme s’il avait Mélenchon dans l’oreillette!”.

“Pourquoi Garrincha?”

-”Garrincha c’était l’ailier du Brésil qui avait une jambe plus courte que l’autre, il pouvait pas marcher, mais avec le ballon dans les pieds il volait !”

-”Bizarre sa phrase, je ne vais pas en France je vais à Marseille!”

-”Il me la sort en Corse je suis mort. Un jour de plus à Marseille et il faisait la messe sur du rap en dansant le mia !”

-”Et Brigitte, elle est allée à confesse?”

-”Tu parles, Brie dès qu’on descend sur Marseille, elle n’a que l’atelier Gas Bijoux en tête. En plus il est au Roucas Blanc juste sous la Bonne Mère. Elle en a profité un max, même qu’elle a ramené une jolie plume d’Indien à son Gaby chéri.”

-”Qui c’est ce Gaby?”

-”Gabriel Attal. Il n’y en a plus que pour lui. Gaby par-ci, Gaby par-là… je ne le supporte plus ce merdeux. Il me doit tout, il ne me calcule plus et ma femme en est raide dingue !”

-”T’inquiète, ce n’est pas lui qui va te la faucher ta Bridget! C’est quoi qu’on entend? Vous êtes en boite de nuit?

-”Non, je craque, elle passe à fond Gabrielle de Johnny, elle danse et hurle, mourir d’amour enchainé ! Je passe pour qui ? Je vais m’en occuper de l’emplumé !”

-”Et Gérald, c’est ton ami le Gégé ?”

-”L’arme fatale! Lui il me fait peur, je sais que dans les places de deal il fait rire, mais moi il me terrorise avec sa CRS 8!”

-”Bon je te laisse, c’est quoi qu’on entend maintenant ?”

-”Elle a mis Gaby de Baschung! Je vais mettre Mourir d’aimer d’Aznavour à fond, la chanson sur Gabrielle Russier, il n’y a que ça pour la calmer, la prof! A demain.”

Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

Il y a vraiment une sacrée ambiance au sein de la Nupes dominée par Jean-Luc Mélenchon ! Cette semaine, la députée de Paris Sophia Chikirou, très proche du vieux leader présent trois fois à l’élection présidentielle, a comparé Fabien Roussel à Jacques Doriot, un collaborationniste. Le communiste a l’outrecuidance de ne pas aller manifester contre la police ce samedi. Céline Pina analyse.


À la Nupes ce n’est pas encore la révolution permanente, mais c’est déjà la baston incessante ! Avec LFI, le partenariat se vit plus sur le mode de la prédation que sur celui de l’épanouissement mutuel. Ce sont d’ailleurs les leaders du PC et du PS qui en parlent le mieux. Ils sont la preuve que le harcèlement ne s’arrête pas à l’école mais peut se prolonger dans le cadre professionnel. C’est ainsi que Fabien Roussel est devenu la victime préférée de Jean-Luc Mélenchon, bien avant Olivier Faure qui concourrait également pour le titre.

Fabien Roussel traité de collabo

Les escarmouches ont commencé à la fête de l’Humanité avec un stand de tee-shirts où étaient inscrits : « Tout le monde déteste Fabien Roussel ». La photo, partagée par Sophia Chikirou sur X (ex-Twitter) a ainsi été likée par un certain Jean-Luc Mélenchon. Toujours à la fête de l’Huma des militants Insoumis ont scandé « Fabien Roussel n’est pas notre camarade »… L’atmosphère était déjà électrique, elle tourne maintenant à la foudre : Sophia Chikirou a en effet franchi la ligne rouge en comparant Fabien Roussel à Jacques Doriot sur son compte Facebook, mercredi 20 septembre. Une publication relayée par Mélenchon qui a provoqué un tollé au PC.

Fabien Roussel (PCF) à une soirée d’hommage à Charlie Hebdo, le 5 janvier 2022 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Et pour cause, Jacques Doriot est l’archétype du collaborateur. C’est un communiste à l’origine, mais, séduit par le nazisme, il combattit sous l’uniforme nazi et mourut en Allemagne en 1944. L’homme fut exclu par le Parti communiste dès 1936 pour avoir pris position justement pour l’entente avec l’Allemagne nazie (à cette époque, l’Internationale communiste était viscéralement antifasciste et rien n’annonçait la conclusion, trois ans plus tard, du pacte germano-soviétique). Utiliser cette comparaison, c’est donc traiter Fabien Roussel implicitement de collaborateur et d’allié du nazisme. C’est induire également l’idée que, du communisme au nazisme, le glissement d’un homme est facile. C’est bête, gratuit et tout simplement aussi injurieux qu’inacceptable.

Pourquoi tant de haine ?

Alors pourquoi tant de haine de la part de LFI envers Fabien Roussel ? Les explications sont diverses, mais brillent toutes par leur irrationalité. Certes, l’usage de la violence fait partie de la politique. Dans sa forme civilisée et démocratique, cette violence est à la fois ostracisée et ritualisée, mais elle est toujours sous-jacente. Cependant, la violence est censée être utile, elle doit servir un objectif concret. La violence gratuite est l’apanage des totalitarismes et des tyrans.Et là, il y a quelque chose de gratuit dans la violence verbale des leaders de LFI. Quel est l’intérêt d’alimenter la haine et le ressentiment envers Fabien Roussel alors que celui-ci n’est pas une menace pour l’éructant Mélenchon, le Fouquier-Tinville des sous-préfectures ? Et si c’était parce que le leader communiste est la Némésis de Mélenchon ? Son contraire et son antagoniste. Le rappel permanent que le leader de LFI n’est qu’un arriviste sans grandeur, capable de tout sacrifier à sa quête de toute puissance, à commencer par l’honnêteté intellectuelle et le sens de l’intérêt général. Par clientélisme, l’homme qui fut autrefois un ardent défenseur de la laïcité et de l’émancipation prône aujourd’hui « la liberté de porter le voile » et diffuse les éléments de langage des Frères musulmans. Ces islamistes qui furent, eux, de vrais alliés d’Hitler.

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Fabien Roussel, mauvaise conscience de la gauche

Fabien Roussel est devenu le scrupule de la gauche qui glisse vers le totalitarisme. Le scrupule, pour les Romains, était ce petit caillou pointu qui se glisse dans les chaussures et blesse le pied jusqu’à ralentir la marche. Or il se trouve que Fabien Roussel est très clair sur les combats qu’il porte et ceux qu’il refuse de mener.Ainsi, interrogé sur son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, il a osé dire ce que ressentent les classes populaires et que les exaltés de LFI ne veulent pas entendre : « Je n’ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan « tout le monde déteste la police », ce n’est pas vrai et je ne partage pas ce slogan-là. » Comme 85% de la population au passage. Il est aussi très conscient que les classes populaires rejettent les émeutiers qui ont mis la France en feu début juillet et n’éprouvent aucun lien de solidarité avec les pillards et les émeutiers. 

La reductio ad hitlerum, l’ultime argument de ceux qui n’en ont pas

Pour LFI, une telle déclaration du patron du PCF vaut excommunication immédiate. La punition est automatique et rituelle : reductio ad hitlerum. Mais si Fabien Roussel est l’équivalent de Doriot, que va bien pouvoir inventer LFI le jour où le parti tombera sur de vrais fascistes ? Quel qualificatif va-t-il pouvoir trouver ? Comment peut-on inviter Médine en niant son tweet antisémite et ses alliances avec les islamistes et dans le même temps faire un procès aussi injuste et sinistre à Fabien Roussel ?Le pire reste encore les arguments qui nourrissent la mise en accusation du dirigeant communiste. Comme Fabien Roussel est fidèle au peuple du labeur, à cette vieille gauche qui voulait améliorer la condition humaine en assumant la lutte des classes, qu’il préfère le social au racial et qu’il s’intéresse aux gilets jaunes, il est accusé de vouloir « récupérer l’électorat Zemmour/ Le Péniste ». Selon Sophia Chikirou et les sectataires LFI qui pullulent sur les réseaux, il aurait adopté le discours de la droite fasciste pour y arriver.

Un PC condamné à prêcher l’union

Comme on peut s’en douter, le PC comme Fabien Roussel n’ont pas apprécié le dérapage de LFI et de son leader. Mais ils n’ont guère les moyens de faire autre chose que de montrer les crocs sans trop s’éloigner de la niche commune. Il y a des postes à sauver, un parti à financer et il arrive parfois qu’en politique on n’ait pas les moyens de l’honneur. Ainsi dans un communiqué cinglant, le PC a rappelé son histoire et le lourd tribut versé à la résistance. Il condamne des propos d’une « extrême gravité », « véritable appel à la haine et à la violence contre Fabien Roussel ». Fabien Roussel, touché par la violence et la bassesse des attaques, dit que « le débat politique ne doit pas être rabaissé à ce niveau-là, c’est dangereux. » Il a raison : Jean-Luc Mélenchon lui a accroché une cible dans le dos. Mais s’il dit cela, c’est pour prôner l’apaisement et l’union tout de suite après… Certes, il est digne et élégant de mettre l’intérêt collectif au-dessus de son ego. Un Mélenchon, lui, en est manifestement incapable. Mais quand cela conduit à servir les desseins du dirigeant de LFI, dont le déséquilibre et la violence sont de plus en plus visibles, on peut se demander si c’est le bon choix.

A lire aussi, du même auteur: Dérouler le tapis rouge à Médine, une stratégie de perdants

Un renouvellement de génération à l’avantage de LFI

Autre point notable, Mélenchon distingue l’homme de l’œuvre, le dirigeant, de son parti. D’où les attaques ad personam. Pourquoi ? Parce qu’il pense que le renouvellement des générations est en train de transformer le PCF en LFI bis et que celui-ci finira par tomber dans son escarcelle. Mélenchon fait le pari que le PC, exigeant sur la qualité de ses représentants et dont la formation politique et syndicale était reconnue, est mort. Beaucoup de jeunes militants qui arrivent se moquent de la lutte des classes, ne comprennent pas grand-chose aux questions sociales, économiques, encore moins aux questions d’égalité, de laïcité et de libertés publiques. Ils se disent antiracistes mais font de la couleur de la peau, la base de l’identité humaine. Ils se disent féministes, mais militent pour imposer dans l’espace public un signe sexiste, le voile. Ils veulent rétablir le blasphème et rendre toute critique de l’islam impossible et pour cela se font les relais de la propagande des islamistes. Ils n’ont déjà plus de référence républicaine et à peine une conscience démocratique. 

L’union avec LFI, le bal des dupes

Aujourd’hui, LFI incarne moins l’aspiration à la justice sociale, qu’une forme de nostalgie de la Terreur. Elle parle de révolution, mais c’est pour rêver d’épuration. Elle dit 1789, elle pense 1793. À ce titre, tendre la main à des sectaires radicalisés au nom de l’union de la gauche, comme essayer d’amadouer un autocrate au nom de l’intérêt supérieur du pays, est voué à l’échec. Le plus radical gagne toujours car il se moque des dégâts qu’il fera en chemin. Une gauche républicaine ne peut donc pas survivre à un tel compagnonnage, sauf à trahir toutes ses valeurs, pour au final servir l’ambition personnel d’un condottiere. Et c’est bien ce à quoi nous assistons. Avec le type de personnage qu’est Mélenchon et le choix de stratégie de la violence fait par LFI, l’option de la modération ne peut que finir en acceptation du cocufiage. Fabien Roussel va devoir blinder son estomac car Jean-Luc Mélenchon et ses séides n’ont pas fini de lui servir des couleuvres.

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Quand on arrive en ville!

Précisons-le tout de suite : si nous disons du bien du nouveau livre de Jonathan Siksou, ce n’est pas parce qu’il travaille à Causeur. C’est parce qu’il le mérite ! Avec un humour ravageur, il alterne chroniques, anecdotes vécues et références littéraires pour dresser le foudroyant bilan d’une débandade généralisée : celle de la vie citadine. Un essai percutant.


Quel terrain de jeu pour un homme de plume talentueux que cette ville grouillante, indistincte, indéfinie, dégoulinante de loisirs somptuaires et débordante d’impostures ; toujours là, jamais remplacée, indétrônable objet de convoitises et de lâchetés collectives. Un jour, tous les hommes y passeront et certains d’entre eux y vivront même des décennies. Les pauvres emmurés. Les rescapés, ceux qui ont fui, en parlent avec des sanglots longs dans la gorge. Lieu de sociabilités extrêmes et d’ultramodernes solitudes, cette ville immortelle a résisté au Covid.

Antre noir

Après la pandémie, les plus fins analystes de notre vie politique pressentaient une grande vague migratoire, le repeuplement des campagnes et la ruralité enfin triomphante. La revanche de Cloche merle sur cette capitale floue. Après avoir été séquestré durant des mois, soumis aux diktats de l’autorisation préalable de déplacement, le Parisien aspirait à son carré de verdure et à son barbecue brûlant, signes d’une nouvelle réussite sociale et de son exfiltration climatique. On lisait parfois dans les magazines que certains chanceux avaient échappé à la tenaille urbaine (merci le télétravail) et à la tyrannie des travaux en capilotade. Des exceptions, comme les poissons volants dans la tirade du Président. Et puis, la ville, malgré son pardessus râpé et ses vitrines tapageuses, a continué de faire la course en tête et d’attirer toujours plus de victimes consentantes dans son antre noir. Difficile de s’en extraire, quand son attraction et sa répulsion jouent un jeu trouble et dangereux. Qui l’emportera, à la fin ? Dieu seul le sait.

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Pour expliquer ces phénomènes contradictoires, un peu dingues et sacrément savoureux, il fallait une plume alerte. L’œil vif d’un observateur qui n’est pas rance ou perclus de préjugés médiatiques. Un journaliste – un essayiste, c’est plus chic – qui, folle audace, regarde ses contemporains dans le métro, dans les jardins publics, dans les ascenseurs, à la table de ses amis, avec une tendresse ironique et un esprit farceur. Un flâneur d’un genre particulier, car ce jeune intellectuel est scotché au macadam. Le trottoir lui colle aux basques. Le pavé gris sera son destin d’écrivain. Il n’a pas l’outrecuidance de vous raconter la transhumance ou la traite matinale. Le pittoresque ardéchois et l’archétypal berrichon ne sont pas dans son champ de vision. Si Jules Renard a si bien croqué les paysans, notamment dans son Journal, Jonathan Siksou est un piéton 3.0 de Paris, turbulent, fin, délicieusement vipérin et surtout taquin ; la plus grande qualité d’un chroniqueur est de ne jamais se départir de son humour ravageur. C’est son bien le plus précieux.

Évolution des mœurs

Prix Transfuge du meilleur essai 2021, avec Capitale, paru au Cerf, Siksou récidive avec Vivre en ville, dans la même maison. Il s’amuse et nous amuse à déterminer comment cette « construction étrange », zone de fantasme et d’aigreur qu’est la ville, offre un visage tantôt comique, tantôt despotique. D’autres, avant lui, ont battu le pavé, on pense à Carco, Fargue, Hardellet, Boudard, Clébert ou, plus récemment, au sieur Paucard, dernier archiviste de Paname. L’intérêt de cet essai écrit dans un français pur, ce qui ne gâche rien, réside dans son caractère hybride, transgenre pourrait-on même avancer. Sur un ton enjoué, réac-choc et très documenté, Siksou change perpétuellement de registre et de braquet, il alterne la chronique, l’anecdote vécue, la référence littéraire, la statistique non assommante et le foudroyant bilan comptable d’une forme de débandade généralisée. Il prévient, dès son avant-propos, que la ville porte en elle le sceau de tous ses dérèglements :« Vivre en ville est de plus en plus invivable mais de plus en plus de monde souhaite y vivre, et ce, partout dans le monde. […] Quand ceux qui y sont veulent en sortir, d’autres, à l’extérieur, rêvent d’y entrer : c’est l’insatisfaction générale, le mécontentent permanent. »

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Sous la plume de Siksou, tout y passe, nos habitudes, nos évitements, nos aveuglements, nos faillites, la fin des bouquinistes et le touriste-roi, la mendicité organisée et l’affaissement vestimentaire visible dans les rues, les dîners mondains à l’obsolescence programmée et le « café d’en face » devenu notre résidence secondaire, comme si la ville condensait tous nos maux et nos dérives. Siksou ne nous épargne aucune de nos turpitudes citadines. Dans ce grand trou de l’invisibilité que sont les couloirs du métropolitain ou les boulevards, les passants qui y déambulent sont qualifiés de « saouls ou groggy, somnambules », décrivant « de curieuses ellipses sur les trottoirs ». Siksou fait le constat que plus personne ne lève les yeux de ces satanés smartphones, notre asservissement numérique. Fantomatique, l’homme de la rue marche sans but ni entrain, dans un nuage virtuel. La ville lui permet et promeut ce dédoublement de la personnalité et la fin de tout idéal. Siksou appuie là où ça fait mal, où le fameux « vivre ensemble » est le plus étique, le plus burlesque ou le plus mensonger. Cette radioscopie est salutaire, elle pourrait virer au ball-trap, mais Siksou n’est pas un Torquemada des assemblées, il ne se présentera pas aux prochaines municipales. Il n’oublie jamais les qualités d’un bon livre que sont le plaisir de lecture et une belle érudition en partage, tout le contraire des pédagogues revanchards. Là où son essai est le plus littérairement percutant, c’est dans l’invention de quelques formules assassines, philippiques gracieuses. Nous applaudissons lorsqu’il écrit : « L’évolution des mœurs a introduit une coutume jamais vue jusque-là dans nos parcs : l’exhibitionnisme hygiéniste. » Le règne du short court et du débardeur en sueur a déferlé sur les quais. « Jogging, séances de relaxation asiatique, boxe, haltérophilie…Tout cela devant le regard de promeneurs qui n’ont rien demandé – et surtout pas ça », persifle-t-il, avec une inflexibilité goguenarde. Un livre à offrir à tous les édiles qui voudraient sauver leur ville d’une uniformisation asphyxiante.

À lire

Jonathan Siksou, Vivre en ville, Le Cerf, 2023.

Vivre en ville

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Jonathan Siksou, Capitale, Lexio, 2023.

Le Mexique en perdition?


Perdidos en la noche, quatrième long métrage du cinéaste mexicain Pascal Escalante (La région sauvage, Narcos, Los Bastardos) : une révélation !

En guise de prologue, l’assassinat d’une activiste écologiste en lutte contre l’industrie minière qui saccage l’environnement dans une région reculée du Mexique. La police corrompue est partie prenante de cet enlèvement et de cette disparition. Traumatisé par ce crime impuni, le fils de la victime, Emiliano, journalier sur un chantier, n’a de cesse de retrouver la dépouille de sa mère, que ses ravisseurs ont enterrée quelque part – mais où ?

Clivages sociaux abyssaux

Trois ans ont passé. Au bord du lac, une vaste maison contemporaine aux allures de bunker ajouré abrite une famille apparemment nantie –  le père, Rigoberto, est un plasticien déjanté, étrangement nippé et coiffé iroquois, qui jouit manifestement d’une certaine cote sur le marché ; Barbara, la mère, artiste cosmopolite, coquette dominatrice et fantasque, se fait semble-t-il volontiers lifter le visage à Madrid ; Monica, sa fille d’un autre lit, est une influenceuse rivée à son smartphone. Ce petit monde de riches vit en confortable autarcie, à bonne distance du peuple. Mais le jeune Emiliano, qui n’a pas fait son deuil de la tragédie maternelle et poursuit inlassablement son enquête, parvient à se faire embaucher comme homme à tout faire chez Rigoberto, qu’il soupçonne de cacher le cadavre dans sa propriété, pourquoi pas dans la citerne du jardin… Tandis que, dans ce Mexique aux clivages sociaux décidément abyssaux, une violence larvée circule entre gangs d’adolescents tatoués et surarmés, police véreuse, sectes évangélistes, telles les « Aluxes », fanatiques que Rigoberto accuse de rapts et d’abus sexuels sur des enfants…


L’alchimie de ce scénario à entrées multiples fonctionne à la perfection, déjouant toutes les attentes du spectateur, bifurquant continûment dans l’improbable, sur un fond d’ironie acide et de sarcasme réjouissants (en particulier sur le statut moral et socio-économique de ce qu’il est convenu d’appeler « l’art contemporain » – n’en disons pas plus). Jusqu’au climax vertigineux où se révèle la noirceur absolue du genre humain, revers de la pureté angélique propre au héros, Emiliano, et à son attendrissante petite amie. Ensorcelant, agencé avec une virtuosité remarquable, filmé avec un sens aiguisé du cadrage, du tempo, du chromatisme et du détail concret, Lost in the night doit également beaucoup au jeu infaillible de ses acteurs, à commencer par Juan Daniel García Treviño dans le rôle d’Emiliano.

Photogénique Juan Daniel García Treviño

À 23 ans, Treviño, touche-à-tout photogénique (cadreur, chanteur, percussionniste, mannequin…) lancé dès ses 16 ans par sa performance dans le film de Fernando Frias diffusé sur Netflix Je ne suis plus là, a l’étoffe d’une star : qu’on se le dise ! Quant à la Madrilène Ester Expósito, interprète ici de la fille de Carmen, elle est déjà une star… sur Instagram. Et l’héroïne, en outre, de la série Elite – toujours Netflix. Comme quoi, la réalité dépasse souvent la fiction. D’ailleurs, Escalante a tourné Perdidos en la noche à Guanajato, patelin situé dans l’une des zones les plus dangereuses du Mexique. Dios mio, que pais !

Juan Daniel García Treviño Photo: Paname Distrib.

Lost in the Night / Perdidos en la noche.  Film de Pascal Escalante. Avec Juan Daniel García Treviño (Emiliano), Ester Expósito (Mónica Aldama), Bárbara Mori (Carmen Aldama) Fernando Bonilla (Rigoberto), Mafer Osio (Jazmin). Mexique. En salles le 4 octobre 2023.  Durée: 2h02.

Le temps béni du populo

Les saillies de Juliette Armanet à l’encontre de Michel Sardou révèlent le mépris des bobos pour ce qui plaît au peuple, prolophobie visant directement cette « France d’avant », pas si lointaine, où une culture homogène baignait Paris et sa province. Cette nouvelle querelle des anciens et des modernes oppose la variété et les traditions locales à la culture globalisée.


La chanteuse à la mode révélée par Le Dernier Jour du disco s’en est violemment pris au tube de Michel Sardou sorti en 1981 –elle n’était pas encore née –, Les lacs du Connemara. Ce tube a fait découvrir la « musique celtique » au grand public français, Tri Yann étant alors encore confidentiel. Juliette Armanet a qualifié ce tube de musique « sectaire », « immonde » et « de droite »– les Irlandais apprécieront. C’est l’ultime réplique des insultes adressées à Michel Sardou dès les années 1970 par les médias les plus à gauche pour ses positions jugées droitières et nationales. Mais cela rappelle aussi d’autres insultes passées, lancées par des chroniqueurs contre le Festival interceltique de Lorient ou Nolwenn Leroy, révélant une sourde haine contre ce rare segment de la culture populaire traditionnelle ayant survécu au xxe siècle dans notre pays. BHL avait donné le la dès 1985 dans son célèbre entretien à Globe en s’emportant contre « béret et binious », un enjeu majeur !

La France, qu’est-ce qu’il en reste?

Il est probable que la diffusion récurrente des Lacs du Connemara dans les bars, les soirées, les mariages, les boîtes de nuit… et l’adoption de cette chanson très populaire – 54 millions d’auditions sur Spotify – par les élèves de plusieurs grandes écoles – HEC comprise – comme hymne officiel d’une promotion ou d’une activité, aient fini d’exaspérer notre chanteuse. D’autant plus que, partout, les premières notes du morceau déclenchent une ruée des foules sur la piste de dance, donnant lieu à de joyeuses effusions collectives.

Cette hostilité radicale affichée concerne moins la musique celto-irlandaise transplantée en France par Sardou, le chanteur « populaire » aux 350 chansons, que le public français auquel s’adresse depuis plus d’un demi-siècle ce chanteur national. Que reste-t-il de la France de la fin du xxe siècle– ce monde d’avant –, décor de notre jeunesse, au-delà des caricatures méprisantes et des haines recuites des enfants de la mondialisation ? Les chansons de Michel Sardou sont une sorte de butte-témoin du xxe siècle, d’autant plus intrigante et « inquiétante » pour ses détracteurs que les jeunes générations – Français populaires ou enfants de bourgeois –, entre deux morceaux de rap, en perpétuent le succès et la présence.

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Il y a longtemps que les élites de la culture subventionnée regardent avec aversion le « vieux pays » et son peuple de « citoyens », peu à peu convertis à la culture du showbiz au cours du xxe siècle. Par dépit ou malveillance, la génération qui n’a pas connu la France des travailleurs et des familles d’avant la mondialisation, à la fois populaire et égalitaire, tant à Paris qu’en province, et de culture homogène, y cherche les traces d’un communautarisme blanc imaginaire, qu’elle perçoit comme raciste, chauvin et haineux.

Prolophobie

Tout a déjà été dit sur cette prolophobie déguisée en traque du « beauf » par ceux-là mêmes qui – souvent d’origine modeste – vivent dans le reniement et la honte de leurs origines paysannes, ouvrières ou populaires. Les barrières de la distinction sociale les ayant hissés sur le devant de la scène artistique ou culturelle française, il leur paraît de bon aloi de renier ce qu’ils furent enfants, pour se faire adouber dans le monde aseptisé et autocentré des élites. Cette « savonnette à vilain » du xxie siècle est une vieille lune psychologique et sociologique, dont Annie Ernaux a porté l’exercice au paroxysme. Cela a donné La Gauche sans le peuple (Éric Conan, 2004), ou« la gauche contre le peuple » (feu Hervé Algalarrondo, 2002). Avant les Deschiens, triste série qui suintait le mépris de classe pour les pauvres et les gens modestes– en attendant les sous-chiens de Bouteldja –, le regretté Cabus en avait fourni l’archétype à travers son« beauf », créé en 1973 dans Charlie Hebdo, que le site de la FNAC présente ainsi : « L’archétype du Français râleur, raciste, violent, odieux en toutes circonstances » (il faudrait ajouter sale et alcoolique…).

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Or ce grand chanteur à succès a produit des centaines de chansons à l’attention de ce peuple de Français méprisés. Ce même peuple les plébiscite et les fredonne pendant des décennies –l’homme a vendu plus de 100 millions d’albums, record national. Les thèmes de ses chansons forment la matrice de la vie et de la culture nationales : La Maladie d’amour, Le Rire du sergent, Les Bals populaires, Les Vieux Mariés, J’habite en France, La Rivière de notre enfance, Le Curé, Le Bac G, Les Noces de mon père, Verdun, Marie ma belle, Le France, Une fille aux yeux clairs, En chantant, Les Deux Écoles, Le Cinéma d’Audiard, Danton, La Maison des vacances, Français, Marie-Jeanne, Carcassonne, Être une femme, Les Années trente, Je viens du Sud, Mon dernier rêve sera pour toi, Le Surveillant général, Je vais t’aimer… Un tel programme est d’autant plus étranger à notre chanteuse que nos chères élites autoproclamées croyaient en avoir fini avec un peuple et un pays érigés en boucs émissaires des crimes et des tragédies du xxe siècle, et que l’on a voulu faire taire une fois pour toutes.

Rappelons le traitement de choc qu’il a subi, et comment on a tenté d’en finir avec lui : un discrédit général jeté sur sa culture et ses pratiques sociales (langues régionales, catholicisme, civilité, bonne formation scolaire, etc.) ; l’éradication des métiers et des filières de production les plus anciennes (industrie, agriculture, services publics structurés et efficaces) ; et enfin le changement, (ironiquement) théorisé par Brecht (il faut «dissoudre le peuple »), instauré dans les nouveaux « quartiers populaires » des villes, qui accueillent une partie des 19 millions d’étrangers ou néo-Français résidents dénombrés par l’Insee sur trois générations.

Sardou a beau avoir ouvert sa discographie aux langues, cultures et pays extérieurs (Les Ricains, Musulmanes, Le Connemara, Domenico, Afrique adieu…), jamais il ne fera oublier son passif de « chanteur populaire du peuple français ». Dans l’un de ses premiers tubes de 1970, « l’ouvrier parisien » – qui existait encore – des Bals populaires, « la casquette en arrière », s’amusant« à boire (et reboire) un bon coup », en rigolant « sur des airs populaires », avait scellé son sort d’infréquentable.

Une preuve accablante

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Je m’approchai de la fenêtre donnant sur la rue, écartai à peine le lourd rideau. L’homme était toujours là. Appuyé contre le mur d’en face. Dissimulé derrière un journal déployé, il affectait la nonchalance de celui qu’aucune tâche précise ne requiert et qui peut se permettre de prendre le temps de flâner. Une attitude étudiée, qui ne trompait personne. Surtout pas moi. Il y avait plusieurs jours que je l’avais repéré. Lui ou un de ses complices, car ils se relayaient pour surveiller mon immeuble sans relâche. Sans prendre, du reste, de précautions excessives : sauf à être né de la dernière pluie, il ne faisait de doute pour quiconque qu’ils étaient en faction. A coup sûr en service commandé. Mais commandé par qui ?

Au début, la question m’avait taraudé. Et puis j’avais fini par ne plus me la poser. Il se passait tant de choses dans notre monde incertain que j’avais décidé, plus ou moins consciemment, de vivre, en toute simplicité. Sans chercher à trouver un sens à des événements qui me dépassaient. Et desquels, n’en déplaise à Cocteau, je n’avais nulle envie de feindre d’être l’organisateur.

Je repoussai doucement le rideau et m’apprêtai à regagner mon bureau lorsque la sonnette de l’entrée retentit. Un appel prolongé, insistant. Non une sollicitation, mais une invite. Négligeant le judas qui m’eût permis d’identifier mon visiteur (une prescience m’informait déjà de sa fonction, sinon de son identité), j’ouvris la porte de chêne massif. Il glissa son pied avec promptitude pour m’empêcher de la refermer. Un classique du genre. Déjà, il sortait de son portefeuille une carte barrée de tricolore. La brandissait sous mon nez.

« Monsieur Moudenc ? Inspecteur Dumesnil, de la Police nationale. J’aimerais vous poser quelques questions. »

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Sans attendre ma réponse, il avait déjà pénétré dans l’appartement, promenant son regard sur les tableaux qui ornaient le vestibule. Un autoportrait au fusain d’Albert Paraz, des lithographies de Léonor Fini, une gouache de Jeanne Hébuterne, la maîtresse de Modigliani. Rien pour retenir longtemps ce petit homme poupin, tout en rondeurs. Il semblait du reste pressé d’aller droit au but. Mon bureau était resté ouvert. Je lui désignai un fauteuil dans lequel il s’affala sans se faire prier.

«  Vous devinez, n’est-ce pas, l’objet de ma visite ? »

Devant mon air ébahi, il crut bon d’ajouter :

« Non, je vous en prie, pas de dénégations. Vous commencez tous par nier l’évidence, et puis… »

Un long soupir. Tout en parlant, il avait tiré de sa poche un calepin à la couverture spiralée qu’il faisait mine de consulter.

« Vous avez joué avec le feu, Monsieur Moudenc. C’est ainsi qu’on finit par se brûler. De nos jours, la police sait tout. Ou, du moins, a la possibilité de tout savoir. Ecoutes téléphoniques, interception de messages sur Internet, consultation des sites souvent visités… Sans compter les dénonciations, les témoignages spontanés – ou sollicités… »

Un sourire fugitif découvrit, sur sa face rougeaude, deux canines monstrueuses. Démesurées. Celles d’un carnassier tout entier à sa proie attaché.

« Aucune chance d’y échapper. De nous échapper. Et l’état d’urgence justifie tout, ou presque. Ainsi, ce ne sont pas des aveux que j’attends de vous. Plutôt la confirmation de ce que je sais déjà.

 –  Mais enfin, hasardai-je, puis-je savoir… »

Il m’interrompit d’un geste.

« Les questions, c’est moi qui les pose. Vous connaissez bien un certain Bertrand Fossati, avec qui vous correspondez régulièrement par e-mail et par téléphone. Inutile de nier. Vos échanges épistolaires, codés le plus souvent, sont en cours de décryptage. Il y est souvent question d’individus dont je suppose que ce sont des connaissances communes. »

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Il feuilleta son calepin, trouva enfin la bonne page :

« Voyons voir… Blondin Antoine, Laurent Jacques, Nimier Roger, Déon Michel… Un certain Aymé Marcel… Céline Louis-Ferdinand…  Vous en parlez souvent ensemble. Leur identification est en cours. Car tout cela, convenez-en, sent le pseudo à plein nez. »

Je me retins d’éclater de rire.

« Mais enfin, Monsieur l’Inspecteur, vous plaisantez, je suppose ! »

Son visage se figea. Ses petits yeux porcins me fixèrent avec intensité.

« N’aggravez pas votre cas. Le complot n’est pas encore prouvé, mais il est manifeste. Car vous complotez, monsieur Moudenc. C’est indubitable. J’irai même plus loin : vous préparez un attentat en liaison avec une organisation terroriste dont nous connaissons déjà le cerveau. Un certain Vialatte. Alexandre, de son prénom.

– Vialatte ? Que vient faire Vialatte là-dedans ? »

D’un ton péremptoire et comme pour confirmer son triomphe, il déclama :

« Et c’est ainsi qu’Allah est grand, comme écrit, en conclusion de chacun de ses écrits, Alexandre Vialatte. Ce sont les termes que vous employez dans votre dernier message adressé à Fossati. Quelle imprudence, monsieur Moudenc ! Quelle imprudence ! Dès à présent, considérez-vous en état d’arrestation. Vous pouvez, si vous le désirez, en informer d’ores et déjà votre avocat. »

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Mon père ce héros

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Dans son nouveau livre, Jean-Marie Baron brosse le portrait de son père, un personnage haut en couleurs qui a traversé avec panache le XXe siècle. Un goût de l’aventure partagé par son fils…


La vie réserve à certains des destins hors du commun, des surprises et des réussites que les romanciers les plus chevronnés n’oseraient imaginer pour leurs propres personnages. Ainsi en a-t-il été pour François Baron (1900-1980) qui, avant d’être le dernier gouverneur de l’Inde française, a été compagnon de route des surréalistes dans le Paris des années Vingt (il figure en bonne place sur la photo historique de la Centrale surréaliste par Man Ray en 1924), puis administrateur des colonies à Dakar et à Mopti, sur les rives du Niger.

Il est administrateur de Chandernagor lorsqu’il entend l’Appel du 18-juin. Et il est le premier Français de l’étranger à y répondre. Le voici happé une nouvelle fois par l’histoire. C’est en tant que délégué général de la France libre pour tout l’Extrême-Orient qu’il est dès lors basé à Singapour. Au bar de l’hôtel Raffles, il passe ses soirées avec Hemingway à se remémorer leurs amis de Montparnasse ; mais après Pearl Harbour, il se trouve là aux premières loges pour constater la progression fulgurante des armées nippones alliées de l’Allemagne – Philippines, Pacifique sud, Malaisie… Sa tête est mise à prix par les Japonais et s’il échappe de peu à un empoisonnement à la strychnine c’est, selon lui, grâce à son addiction à l’opium ! Un contrepoison…

L’objectif est désormais de rejoindre le Général à Londres. Et la route la plus sûre n’est pas la plus courte : son périple le mène à Calcutta, Bombay, Djibouti, Le Caire puis Alger. Arrivé dans la capitale britannique, il se noue d’amitié avec Joseph Kessel et Maurice Druon. Tout en raillant avec bienveillance « leur Marseillaise », François Baron les aide à achever Le Chant des partisans

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En 1945, retour en Inde. Gouverneur de Pondichéry, il sent encore que le sens de l’histoire va bientôt tourner. Il entretient d’excellentes relations avec Nehru et entame ce qu’il considère comme sa « dernière et grande aventure », spirituelle cette fois, en devenant disciple du sage et philosophe indien Sri Aurobindo.

Jean-Marie Baron a une dizaine d’années lorsqu’il est envoyé chez son père, en son palais du Gouverneur, au début des années 1960. Premier séjour dans ce « monde à l’envers, sans doute le plus dépaysant de tous où, lorsqu’on croit comprendre, saisir, toucher du doigt, on se heurte à l’intangible. Un monde grouillant de bruit et de fureur mais qui s’inscrit dans une autre mesure du temps. Un monde, enfin, où les gens qui passent dans la rue sont les mêmes, depuis mille ans, que ceux qui ornent les fresques des temples, où le mendiant le plus scrofuleux sait que la vie n’est qu’un passage et que les dieux font le reste… »

Le fils du gouverneur n’a pas à faire la guerre, mais il a de la route à faire. En Inde bien sûr, mais aussi au Pakistan, en Afghanistan, jusqu’à Hong-Kong et New York.

Cet univers d’hommes et de héros, de soldats et d’uniformes, est traversé par deux femmes. Celle que l’on appelle mystérieusement la « Mère de l’ashram de Pondichéry », Mirra Alfassa ; et Carmen, la mère de l’auteur qui, malgré ses origines basques et mexicaines, a été la plus parisienne des Parisiennes. Intime de Christian Dior, elle a créé ses premières boutiques, mais ce sont là d’autres aventures familiales.  

Le fils du Gouverneur, de Jean-Marie Baron, Éditions Baker Street, 2023. Jean-Marie Baron signera son livre à l’occasion du festival Lumexplore, à La Ciotat, du 20 au 24 septembre.

Yassine Belattar: splendeurs et misères d’un courtisan

Avant que la Nupes ne s’amourache du sinistre Médine – que nous mettons en couverture du magazine – d’Assa Traoré ou du «petit ange» Nahel, le progressiste Emmanuel Macron, de son côté, avait fait du comique crypto-islamiste Yassine Belattar son «Monsieur banlieue»… Le joyeux drille vient d’être condamné à quatre mois de prison avec sursis et obligation de soins pour « menaces de mort et de crimes » par la justice. Portrait.


Depuis la réélection d’Emmanuel Macron, l’humoriste Yassine Belattar s’était fait singulièrement discret. Sa dernière poussée d’hubris remontait à la campagne présidentielle de 2022. Il avait alors donné de la voix et occupé le terrain, notamment le plateau de « Balance ton post », avec la redoutable efficacité qu’on lui connaît. Gagné par la fièvre électorale, le troubadour franco-marocain qui avait reconnu en notre chef de l’État son semblable, « son frère », s’était alors lancé dans la course à la fonction suprême. Il incarnait, il n’en doutait pas, « la jeunesse issue de la diversité » et se posait alors en inexpugnable rempart anti-Zemmour. C’était sans compter pourtant avec les partisans de l’extrême droite. Farouches et déterminés, ils lui livrèrent un combat sans merci pour l’intimider, le bouter hors des ondes et lui fermer les salles de spectacle. Parce qu’il craignait d’y laisser jusqu’à la vie, le sage sut renoncer à son destin politique pour se replier sur ces paroles solennelles qui sonnèrent comme un glas : « L’acte symbolique est de me retirer. »

Un passage en politique trop court !

Alors que l’actualité judiciaire remet sur le devant de la scène ce sympathique garçon censé vendre du rêve à une partie de « nos jeunes », nous espérons ruinées toutes ses velléités de retour sur la scène politique. Puisse ce personnage hâbleur qui n’a cessé d’avancer ses pions idéologiques avoir définitivement perdu son aura. Il y a quelques années, déjà, sans succès, l’auteur des « Guignols de l’info » (Bruno Gaccio) avait déposé une première plainte contre l’histrion passé par la chaîne LCI. Aujourd’hui, le voici condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour « menaces de mort », « menaces de crimes », « envoi réitéré de messages malveillants et harcèlement moral » à l’encontre de plusieurs personnalités du monde du spectacle. Il est maintenant de notoriété publique que le bougre a la parole percutante et l’argument frappant. Quatre mois d’emprisonnement avec sursis, donc, pour Yassine Belattar : les faits de menaces de mort et de crimes vis-à-vis du metteur en scène et scénariste Kader Aoun dont il s’est rendu coupable sont « établis et objectivés » par les enregistrements de plusieurs appels téléphoniques. C’est peu cher payé, mais, c’est indéniablement un bon début. L’amuseur devra aussi verser 500 euros de dommages-intérêts au comédien Kevin Razy qu’il aurait également harcelé. Cette condamnation est assortie d’une obligation de soins et d’une interdiction formelle de rencontrer les victimes. Notre « modèle inspirant » pour « la jeunesse issue de la diversité » est aussi un proche d’Emmanuel Macron, tout comme Alexandre Benalla. Lui aussi, en son temps, frappa plus que les esprits. Il semblerait que le chef de l’État se soit fait une spécialité d’afficher les amitiés les plus improbables croyant ainsi s’attirer la sympathie d’une jeunesse issue de l’immigration. On en est désolé pour elle parce que cette jeunesse mérite d’autres porte-parole que des rouleurs de mécaniques sans scrupules et forts en gueule. Ces bateleurs ne font que la cantonner dans un rôle victimaire pour servir leur seule ambition personnelle.

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Le « Monsieur banlieue » d’Emmanuel Macron

Yassine Belattar n’a pas hésité à abandonner la défroque de l’ancien monde qu’il portait encore en sa jeunesse pour promouvoir l’islam politique susceptible de le mettre sous les projecteurs. Né en 1982, il n’a pas grandi dans une cité mais dans la ville bourgeoise de L’Étang-la-Ville (Yvelines). Il y fut longtemps « le seul arabe du coin », comme il l’a confessé en 2015 à Pascal Boniface, dans un entretien à la Revue internationale et stratégique. C’est simplement à la fin de son adolescence qu’il s’installera aux Mureaux. Avant Dieudonné, ses modèles furent Jean-Marie Bigard et Laurent Gerra, autant dire qu’il n’envisageait pas forcément de défendre le port du voile ou du burqini. C’était sans compter sur l’étiquette « diversité » qu’on n’a pas manqué de lui coller sur le dos. Il a alors flairé que l’estampille ne pouvait que favoriser son ascension dans pays qui se fustige éternellement pour son passé colonial. Sur la radio et à la télévision, il n’aura de cesse que de tourner la France rance en dérision. Dans l’émission les Trente Glorieuses qu’il anime avec Thomas Barbazan, il ironise sur les poilus de la Grande Guerre, raille les prénoms Gontran et Marguerite, applaudit lorsqu’il est question des « soldats » de Dae’ch. Le voici lancé. En 2015, il anime la soirée de gala du Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) ; on y plébiscite son humour. « Rire du pire », tel est son credo. Le drôle mettra désormais un point d’honneur à être de toutes les causes douteuses, affichant sans vergogne son communautarisme. Il soutient le rappeur Médine quand celui-ci envisage de se produire au Bataclan et supporte Decathlon dans l’affaire du « hijab de sport ». Sans ciller, il compare le djihadiste à un « gamin qui fout le bordel à un anniversaire » et considère les attentats islamistes en France comme des « faits isolés ». Rien ne l’arrête.

Yassine Belattar et Emmanuel Macron en 2017 © ERIC FEFERBERG / AFP

Ce curriculum vitae n’a pas manqué de séduire le chef de l’État. Il en fit, lors de son premier mandat, son « monsieur banlieue ». Yassine Belattar, heureux de sa bonne fortune, intégra le Conseil présidentiel des villes, instance élyséenne mise en place pour alimenter la réflexion sur la politique à mener dans les quartiers prioritaires.

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Il en démissionna en octobre 2019, après une énième histoire de voile, estimant l’islamophobie qui, selon lui, règne en France jusqu’au sein de l’État, incompatible avec ses convictions. En ces heures les plus sombres, c’est par le truchement de Libération qu’il s’adressa au président, dans une lettre qui visait Jean-Michel Blanquer : « (…) je suis déçu que certains ministres que vous avez choisis ne supportent même pas l’idée de voir une femme voilée sur le territoire. » Dans sa missive, il déclara aussi, prophétique : « La France va connaître une mue communautaire. »  Loué soit le nouveau coup d’arrêt qui vient d’être porté à sa carrière politique.

Que vaut le Bernard Tapie de Netflix?

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Très attendue, la série Netflix consacrée à Bernard Tapie n’a pas déçu. Créée par Olivier Demangel et Tristan Séguéla, fils du célèbre publicitaire Jacques Séguéla qui a été l’ami d’une vie de Tapie, cette œuvre de fiction a déplu à une partie des héritiers de la dynastie. Pourtant, le personnage Bernard Tapie y est traité avec empathie et truculence. Critique.


Bernard Tapie est un personnage historique bien plus important qu’on ne le suppose parfois. Songeons que pour évoquer les années 1980 et le début des années 1990, on parle encore parfois des « années Tapie ». Ce n’est pas rien ! Il faut dire que le personnage est assez unique dans le paysage politico-médiatique français, où se distinguent le plus souvent les intellectuels, les héritiers et les hauts fonctionnaires. Ils sont rares les hommes sortis du rang, venus directement du peuple, qui ont réussi à s’imposer dans nos élites si figées.

Laurent Lafitte convaincant

La route ne fut d’ailleurs pas simple pour le jeune Tapie, comme le montre intelligemment cette fiction biographique. Né modestement dans le 20ème arrondissement de la capitale de parents originaires du Sud-ouest, ce fils d’ouvrier n’aura eu de cesse de suivre ses rêves. D’abord chanteur à minettes, puis pilote de course chez Lotus, Bernard Tapie a aussi connu quelques succès entrepreneuriaux dans les années 1970, développant le magasin d’équipements Cercle N°1, le groupement d’achat Le Club Bleu, ou encore Cœur Assistance avec Maurice Mességué. Ces premiers succès coïncidèrent d’ailleurs avec ses premiers ennuis judiciaires…


Si la série d’Olivier Demangel et Tristan Séguéla prend des libertés avec les faits, ainsi que l’a notamment dénoncé Stéphane Tapie, elle trace néanmoins les grandes lignes et les étapes de l’ascension difficile de Bernard Tapie vers les sommets. Laurent Lafitte interprète d’ailleurs très bien son modèle, lui-même un temps acteur au théâtre ou chez Claude Lelouch. Il réussit à transmettre l’optimisme contagieux et la gouaille irrésistible d’un homme qui ne s’avouait jamais vaincu, se pensait doté d’une baraka hors du commun qui ne devait jamais le quitter. Sous l’homme Tapie se fait jour le petit garçon choyé par ses parents, joueur jusqu’à l’inconscience.

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Ce fut d’ailleurs longtemps vrai. Homme de clan extrêmement protecteur avec ses proches, Bernard Tapie a pu compter sur sa seconde épouse Dominique – incarnée par l’excellente Joséphine Japy – pour s’accomplir. C’est avec elle qu’il a pu devenir le « boss » des années 80, rachetant des entreprises pour un franc symbolique et les rendant de nouveau pérennes. La série de Tristan Séguéla s’attarde notamment sur la prise de possession des usines Wonder, décrivant le rôle joué par le père de l’homme d’affaires, syndicaliste de la CGT qui sut rassurer les ouvriers en leur promettant que leurs emplois resteraient en France.

Plus attiré par la renommée que par l’argent

L’épisode 4 est d’ailleurs brillamment pensé. Après une ellipse, on retrouve Bernard Tapie devenu homme de télévision, précurseur de Donald Trump et Silvio Berlusconi, orchestrant l’enregistrement du premier numéro d’Ambitions – rebaptisé Succès pour les besoins du scénario – d’une main de maître tout en refusant, en partie par lâcheté, d’affronter les employés de Wonder menacés par le chômage. Pourtant, l’homme n’est pas dépeint en capitaliste cruel, mais en égoïste qui se pensait souvent sauveur sans toutefois pouvoir aller au bout des aventures qu’il débutait. Amoureux de lui-même, il aimait au fond bien plus jouir de la renommée que lui apportaient ses réussites que de l’argent qu’il en tirait, sans toutefois renoncer aux plaisirs terrestres.

Bernard Tapie sur le plateau de l’emission « Ambitions » sur TF1, 1987 © CHEVALIN/TF1/SIPA Numéro de reportage : TF135000439_000015

Toute sa vie, ce titi s’est battu pour être reconnu à sa valeur, pour « niquer » les grands qui le méprisaient. La série bascule d’ailleurs d’un registre laudateur à un registre tragique sur la fin, comme si l’ombre pesante de Bernard Tapie finissait par s’effacer, comme si ce fut peut-être pour le mieux qu’il chuta. Elle se conclut par sa plus grande réussite et son plus fatal échec. D’abord, évidemment, les années football où son énergie et sa vista lui permirent d’amener pour la première fois un club français sur le toit du monde. Est-ce cela qui lui donna des ambitions politiques ? Est-ce le charme de Mitterrand qui opéra sur Tapie ? Reste que cet écart ne lui fut pas pardonné. Le début de la fin de Tapie c’est bien la politique. Négligeant ses entreprises, brassant du vent au ministère de la Ville pour des chimères, l’homme des succès n’aurait pas dû se contenter d’une place de second. Il n’aurait dû entrer en politique que pour la place de numéro 1, à l’image justement de Silvio Berlusconi qui a lui réussi à ne jamais être défait – il faut dire qu’il est peut-être plus aisé de s’en sortir de la sorte en Italie, mais passons.

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La scène majeure de cette belle série, tout à fait au niveau des biopics américains, est cet entretien avec Éric de Montgolfier, filmé en clair-obscur comme pour mieux souligner le crépuscule d’un homme exceptionnel, un ogre capable de multiplier l’argent pour mieux le perdre à la fin. Bernard Tapie affronte pour la première fois la réalité qu’il avait cherché à fuir, que ce soit l’affaire Valenciennes ou la faillite d’Adidas. Il entrevoit qu’il n’est qu’un homme, mortel et susceptible de perdre. A-t-il été la victime de multiples machinations ? En partie, mais il n’était pas non plus un saint. Reste au moins un homme, avec ses failles et ses fulgurances, qui a laissé une trace profonde dans l’inconscient collectif français des quarante dernières années. Ça n’est pas donné à tout le monde.

Sur Netflix. 7 épisodes de 55 minutes.

Serge Raffy, l’âge de déraison

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Serge Raffy, image d'archive © BALTEL/SIPA

L’ancien rédacteur en chef de l’Obs reprend son destin où il l’avait laissé. Avec Bivouacs, Serge Raffy fait son entrée dans la chanson française, sur fond électro, avec un album remarquable.


Sympa. C’est le mot qui vous vient à l’esprit en présence de Serge Raffy. Super sympa, quand on le connaît un peu. La simplicité de ce jeune homme qui a pris de l’âge honore un des plus beaux CV de la presse française. Une quinzaine de livres brillants : romans, essais, biographies, dont celle, incontournable et mondialement connue, de Fidel Castro. Un style élégant, incisif, précis, teinté d’humour, un sens rare de la formule, des portraits tirés au cordeau ; des centaines d’articles couvrant un demi-siècle d’un regard ouvert porté sur le monde et l’évolution de nos sociétés, avec un tropisme certain pour le politique. Voilà pour le passé. Le rédacteur en chef de l’Obs vient de raccrocher après une longue carrière commencée à la Dépêche du Midi, poursuivie à Libé, puis à l’Obs, avec une parenthèse de quelques années au service du féminin, comme rédacteur en chef du magazine Elle.

Kidnappé par le destin

L’homme porte aujourd’hui un sourire amusé sur le pigiste kidnappé par le destin dans sa vingt-cinquième année : journaliste à RMC, il vient d’enregistrer un 45 tours au mythique Studio Condorcet à Toulouse. La pochette de Y a un mystère est dessinée par Enki Bilal.


Le mystère restera entier puisque le mécène du disque, un banquier, disparaît bientôt en Afrique. Serge ne songe nullement à quitter sa ville, son groupe et ses copains. Mais Jean Daniel, qui veut pour Le Nouvel Observateur des écrivains-journalistes, lui fait des appels du pied. Franz-Olivier Giesbert, l’ami fraternel, finit par le convaincre. Le Toulousain de cœur consent à quitter ses rêves pour les rejoindre. Raffy grand reporter va courir le monde, l’Amérique latine en particulier, et mettre la musique entre parenthèses.

Plutôt une mise en sourdine. Les voyages de l’homme de plume sont autant d’occasions de se constituer un trésor de guerre. À la manière d’un photographe, le reporter saisit des instants de vie, des impressions de voyage. Des notes qui ont vocation à devenir des histoires qu’il mettra plus tard en musique. Folk dans un premier temps. Avec une inflexion latino dans les années 2000 où ce fan des Beatles et d’Otis Redding se produit dans des petites salles, avec une formation acoustique, le MOW (Music Of World) : une choriste argentine, un guitariste arménien et un percussionniste cubain.

Plus électro que branché

L’idée de l’album se dessine. Et se précise quand il rencontre Hugo Stradella, un jeune batteur, multi-instrumentiste. Le fossé des générations les sépare, leurs goûts communs les rapprochent. La fusion opère. Quatre ans de travail avec le réalisateur à rechercher dans chaque son une harmonie avec le texte, l’adéquation parfaite du son et du sens. Un climat. 14 titres et autant de destinations. La voix, caressante, souvent murmurée, se pose sur des nappes musicales élégantes. L’habillage, sur mesure, est essentiellement électro. « J’ai voulu rendre aux mots ce qu’ils m’avaient donné » résume cet amoureux de la langue française, fan absolu du regretté Nougaro.

Une partie de lui-même qui ne s’était pas exprimée

Bivouac est un long voyage à l’envers. Le chanteur revient sur les pas du grand reporter. L’album ouvre sur Hôtel Métropole où sa voix fusionne avec celle d’Art Mengo sur les rives du fleuve Mékong. Lydia Hudon Ferland l’accompagne sur Je ne regarde pas en arrière – qui fait étrangement penser à Etienne Daho, comme sa nouvelle version de Laurie Bloom et « ces nuits suspendues à ton cou ». Sur Laissez passer, la voix est celle de Malena Marquez. Raffy effectue le reste du voyage en solitaire, faisant escale à Paris où l’envoutant Eiffel Lovers évoque « la dame de fer en sentinelle ». Puis Berlin avec Alexanderplatz où « il reste des traces » des « fantômes qui surveillaient leur vie ». L’éditorialiste politique file ensuite vers Les Sirènes d’Essaouira, puis Gibraltar où, allongé, il regarde « passer les pélicans sur la Canopée ». Sur les hauteurs de Beverly Hills Geronimo blues, inspiré par Michael Connelly, se souvient de Dolores Quesada ; Gabo song raconte l’enfance de Gabriel Garcia Marquez. La chanson d’un regret. Serge n’aura pas eu le temps d’honorer le rendez-vous pris avec le grand écrivain, parti entre-temps rejoindre les étoiles.

La passion de la scène

Voici bouclé un tour du monde, un tour d’horizons, histoire de mettre un passé en règle. Celui d’un homme conscient que sa deuxième vie commencerait le jour où il déciderait d’en avoir une autre. La photo de couverture de l’album – une gueule – est celle d’un type qui assume de n’être plus un jeune homme. Comme Yves Simon, nourri de ses lectures et de ses voyages, Serge Raffy fait chanson à part. Il impose d’emblée son style. Une poésie. Des rengaines qui vous restent en mémoire. Entêtantes. Désormais chroniqueur au Point, le nouveau Raffy se produit sur scène et prépare son prochain album, Aimes, qui sera consacré aux femmes. Autant dire qu’il est loin, très loin, d’avoir dit son dernier mot.

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Macron: «Allo, SOS Amitié?»

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Le Pape François, le président Macron et son épouse Brigitte, Marseille, 23 septembre 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

Les écoutes téléphoniques (quasiment) véridiques de « Causeur ». Le billet satirique de Denis Hatchondo


-”Oui, Emmanuel je t’ai reconnu.”

-”Vous êtes bien la seule!”

-”Allons, ça ne va pas mieux? Toujours pas trouvé un ami? Tu as mis le paquet là, entre Charles et le Pape tu pouvais pas faire beaucoup mieux!”

-”Ça s’est passé moyen. Un Roi, un Pape, y a une brouette d’interdits, même si je lui ai un peu gratouillé le dos, à numéro 3.”

-”Pourtant quand tu as reçu MBS à l’Elysée, tu lui avais remis en place une cervicale en deux temps trois mouvements!”

-”Ouais, mais lui ce n’est pas pareil, il se pointe au Château en abaya avec un torchon de pizzaiolo sur la tête. Du coup je me suis mangé le protocole.”

Versailles, 20 septembre 2023 © Jacques Witt/SIPA

-”Alors, comment il est Charles?”

-”Un alambic ! Il boit comme un hooligan, il m’a montré une feuille de salade et m’a pris le chou pendant des plombes sur le respect que je devais à la nature, m’a dit que j’étais un cancre en matière d’écologie, que sur le glyphosate j’étais en dessous de tout et glou glou glou… c’est pas un roi ! C’est Sandrine Rousseau avec les oreilles de Bayrou et la descente de Larcher. Et avec la lubricité de Le Maire! Il n’a pas arrêté de chauffer Brigitte ce con !”

-”Ha bon, et alors?”

-”Tu parles, Bridget avait Hugh Grant à sa droite, alors elle ne l’a pas calculé. Et puis ce n’est pas avec ses laitues à l’eau claire qu’il pouvait l’emballer, elle qui n’a jamais été foutue de me faire une vinaigrette.”

A lire aussi, Céline Pina: Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

-”Et Camilla, comment elle est?”

-”Je suis contre l’abaya, ok. Mais là j’avais envie de signer sur la nappe un décret pour rendre obligatoire la burka. Oh putain l’épouvantail ! Je comprends que le Charly se passe de pesticides au jardin ! Franchement ce type il a un problème. Avoir Diana à la maison et se casser pour planter des poireaux avec sa mère!”

-”Ha non, pas toi…”

-”Heu ça va, parlons d’autre chose !”

-”Et le Pape, tu l’as convaincu de signer à l’OM, y a plus que lui pour sauver ce club!”

-”Là, faut un Tony Montana pour s’en sortir. Le Pape, c’est le pape, je ne pouvais pas faire l’osthéo. Pourtant il est tout tordu, je l’aurais bien manipulé le Garrincha. Il est venu à Marseille pour me traiter de fanatique de l’indifférence! Comme s’il avait Mélenchon dans l’oreillette!”.

“Pourquoi Garrincha?”

-”Garrincha c’était l’ailier du Brésil qui avait une jambe plus courte que l’autre, il pouvait pas marcher, mais avec le ballon dans les pieds il volait !”

-”Bizarre sa phrase, je ne vais pas en France je vais à Marseille!”

-”Il me la sort en Corse je suis mort. Un jour de plus à Marseille et il faisait la messe sur du rap en dansant le mia !”

-”Et Brigitte, elle est allée à confesse?”

-”Tu parles, Brie dès qu’on descend sur Marseille, elle n’a que l’atelier Gas Bijoux en tête. En plus il est au Roucas Blanc juste sous la Bonne Mère. Elle en a profité un max, même qu’elle a ramené une jolie plume d’Indien à son Gaby chéri.”

-”Qui c’est ce Gaby?”

-”Gabriel Attal. Il n’y en a plus que pour lui. Gaby par-ci, Gaby par-là… je ne le supporte plus ce merdeux. Il me doit tout, il ne me calcule plus et ma femme en est raide dingue !”

-”T’inquiète, ce n’est pas lui qui va te la faucher ta Bridget! C’est quoi qu’on entend? Vous êtes en boite de nuit?

-”Non, je craque, elle passe à fond Gabrielle de Johnny, elle danse et hurle, mourir d’amour enchainé ! Je passe pour qui ? Je vais m’en occuper de l’emplumé !”

-”Et Gérald, c’est ton ami le Gégé ?”

-”L’arme fatale! Lui il me fait peur, je sais que dans les places de deal il fait rire, mais moi il me terrorise avec sa CRS 8!”

-”Bon je te laisse, c’est quoi qu’on entend maintenant ?”

-”Elle a mis Gaby de Baschung! Je vais mettre Mourir d’aimer d’Aznavour à fond, la chanson sur Gabrielle Russier, il n’y a que ça pour la calmer, la prof! A demain.”

Mélenchon, Chikirou et… Jacques Doriot

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Elle a l'air toute mignonne, ici... © JEROME MARS/JDD/SIPA

Il y a vraiment une sacrée ambiance au sein de la Nupes dominée par Jean-Luc Mélenchon ! Cette semaine, la députée de Paris Sophia Chikirou, très proche du vieux leader présent trois fois à l’élection présidentielle, a comparé Fabien Roussel à Jacques Doriot, un collaborationniste. Le communiste a l’outrecuidance de ne pas aller manifester contre la police ce samedi. Céline Pina analyse.


À la Nupes ce n’est pas encore la révolution permanente, mais c’est déjà la baston incessante ! Avec LFI, le partenariat se vit plus sur le mode de la prédation que sur celui de l’épanouissement mutuel. Ce sont d’ailleurs les leaders du PC et du PS qui en parlent le mieux. Ils sont la preuve que le harcèlement ne s’arrête pas à l’école mais peut se prolonger dans le cadre professionnel. C’est ainsi que Fabien Roussel est devenu la victime préférée de Jean-Luc Mélenchon, bien avant Olivier Faure qui concourrait également pour le titre.

Fabien Roussel traité de collabo

Les escarmouches ont commencé à la fête de l’Humanité avec un stand de tee-shirts où étaient inscrits : « Tout le monde déteste Fabien Roussel ». La photo, partagée par Sophia Chikirou sur X (ex-Twitter) a ainsi été likée par un certain Jean-Luc Mélenchon. Toujours à la fête de l’Huma des militants Insoumis ont scandé « Fabien Roussel n’est pas notre camarade »… L’atmosphère était déjà électrique, elle tourne maintenant à la foudre : Sophia Chikirou a en effet franchi la ligne rouge en comparant Fabien Roussel à Jacques Doriot sur son compte Facebook, mercredi 20 septembre. Une publication relayée par Mélenchon qui a provoqué un tollé au PC.

Fabien Roussel (PCF) à une soirée d’hommage à Charlie Hebdo, le 5 janvier 2022 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Et pour cause, Jacques Doriot est l’archétype du collaborateur. C’est un communiste à l’origine, mais, séduit par le nazisme, il combattit sous l’uniforme nazi et mourut en Allemagne en 1944. L’homme fut exclu par le Parti communiste dès 1936 pour avoir pris position justement pour l’entente avec l’Allemagne nazie (à cette époque, l’Internationale communiste était viscéralement antifasciste et rien n’annonçait la conclusion, trois ans plus tard, du pacte germano-soviétique). Utiliser cette comparaison, c’est donc traiter Fabien Roussel implicitement de collaborateur et d’allié du nazisme. C’est induire également l’idée que, du communisme au nazisme, le glissement d’un homme est facile. C’est bête, gratuit et tout simplement aussi injurieux qu’inacceptable.

Pourquoi tant de haine ?

Alors pourquoi tant de haine de la part de LFI envers Fabien Roussel ? Les explications sont diverses, mais brillent toutes par leur irrationalité. Certes, l’usage de la violence fait partie de la politique. Dans sa forme civilisée et démocratique, cette violence est à la fois ostracisée et ritualisée, mais elle est toujours sous-jacente. Cependant, la violence est censée être utile, elle doit servir un objectif concret. La violence gratuite est l’apanage des totalitarismes et des tyrans.Et là, il y a quelque chose de gratuit dans la violence verbale des leaders de LFI. Quel est l’intérêt d’alimenter la haine et le ressentiment envers Fabien Roussel alors que celui-ci n’est pas une menace pour l’éructant Mélenchon, le Fouquier-Tinville des sous-préfectures ? Et si c’était parce que le leader communiste est la Némésis de Mélenchon ? Son contraire et son antagoniste. Le rappel permanent que le leader de LFI n’est qu’un arriviste sans grandeur, capable de tout sacrifier à sa quête de toute puissance, à commencer par l’honnêteté intellectuelle et le sens de l’intérêt général. Par clientélisme, l’homme qui fut autrefois un ardent défenseur de la laïcité et de l’émancipation prône aujourd’hui « la liberté de porter le voile » et diffuse les éléments de langage des Frères musulmans. Ces islamistes qui furent, eux, de vrais alliés d’Hitler.

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Fabien Roussel, mauvaise conscience de la gauche

Fabien Roussel est devenu le scrupule de la gauche qui glisse vers le totalitarisme. Le scrupule, pour les Romains, était ce petit caillou pointu qui se glisse dans les chaussures et blesse le pied jusqu’à ralentir la marche. Or il se trouve que Fabien Roussel est très clair sur les combats qu’il porte et ceux qu’il refuse de mener.Ainsi, interrogé sur son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, il a osé dire ce que ressentent les classes populaires et que les exaltés de LFI ne veulent pas entendre : « Je n’ai pas envie de manifester en entendant autour de moi ce slogan « tout le monde déteste la police », ce n’est pas vrai et je ne partage pas ce slogan-là. » Comme 85% de la population au passage. Il est aussi très conscient que les classes populaires rejettent les émeutiers qui ont mis la France en feu début juillet et n’éprouvent aucun lien de solidarité avec les pillards et les émeutiers. 

La reductio ad hitlerum, l’ultime argument de ceux qui n’en ont pas

Pour LFI, une telle déclaration du patron du PCF vaut excommunication immédiate. La punition est automatique et rituelle : reductio ad hitlerum. Mais si Fabien Roussel est l’équivalent de Doriot, que va bien pouvoir inventer LFI le jour où le parti tombera sur de vrais fascistes ? Quel qualificatif va-t-il pouvoir trouver ? Comment peut-on inviter Médine en niant son tweet antisémite et ses alliances avec les islamistes et dans le même temps faire un procès aussi injuste et sinistre à Fabien Roussel ?Le pire reste encore les arguments qui nourrissent la mise en accusation du dirigeant communiste. Comme Fabien Roussel est fidèle au peuple du labeur, à cette vieille gauche qui voulait améliorer la condition humaine en assumant la lutte des classes, qu’il préfère le social au racial et qu’il s’intéresse aux gilets jaunes, il est accusé de vouloir « récupérer l’électorat Zemmour/ Le Péniste ». Selon Sophia Chikirou et les sectataires LFI qui pullulent sur les réseaux, il aurait adopté le discours de la droite fasciste pour y arriver.

Un PC condamné à prêcher l’union

Comme on peut s’en douter, le PC comme Fabien Roussel n’ont pas apprécié le dérapage de LFI et de son leader. Mais ils n’ont guère les moyens de faire autre chose que de montrer les crocs sans trop s’éloigner de la niche commune. Il y a des postes à sauver, un parti à financer et il arrive parfois qu’en politique on n’ait pas les moyens de l’honneur. Ainsi dans un communiqué cinglant, le PC a rappelé son histoire et le lourd tribut versé à la résistance. Il condamne des propos d’une « extrême gravité », « véritable appel à la haine et à la violence contre Fabien Roussel ». Fabien Roussel, touché par la violence et la bassesse des attaques, dit que « le débat politique ne doit pas être rabaissé à ce niveau-là, c’est dangereux. » Il a raison : Jean-Luc Mélenchon lui a accroché une cible dans le dos. Mais s’il dit cela, c’est pour prôner l’apaisement et l’union tout de suite après… Certes, il est digne et élégant de mettre l’intérêt collectif au-dessus de son ego. Un Mélenchon, lui, en est manifestement incapable. Mais quand cela conduit à servir les desseins du dirigeant de LFI, dont le déséquilibre et la violence sont de plus en plus visibles, on peut se demander si c’est le bon choix.

A lire aussi, du même auteur: Dérouler le tapis rouge à Médine, une stratégie de perdants

Un renouvellement de génération à l’avantage de LFI

Autre point notable, Mélenchon distingue l’homme de l’œuvre, le dirigeant, de son parti. D’où les attaques ad personam. Pourquoi ? Parce qu’il pense que le renouvellement des générations est en train de transformer le PCF en LFI bis et que celui-ci finira par tomber dans son escarcelle. Mélenchon fait le pari que le PC, exigeant sur la qualité de ses représentants et dont la formation politique et syndicale était reconnue, est mort. Beaucoup de jeunes militants qui arrivent se moquent de la lutte des classes, ne comprennent pas grand-chose aux questions sociales, économiques, encore moins aux questions d’égalité, de laïcité et de libertés publiques. Ils se disent antiracistes mais font de la couleur de la peau, la base de l’identité humaine. Ils se disent féministes, mais militent pour imposer dans l’espace public un signe sexiste, le voile. Ils veulent rétablir le blasphème et rendre toute critique de l’islam impossible et pour cela se font les relais de la propagande des islamistes. Ils n’ont déjà plus de référence républicaine et à peine une conscience démocratique. 

L’union avec LFI, le bal des dupes

Aujourd’hui, LFI incarne moins l’aspiration à la justice sociale, qu’une forme de nostalgie de la Terreur. Elle parle de révolution, mais c’est pour rêver d’épuration. Elle dit 1789, elle pense 1793. À ce titre, tendre la main à des sectaires radicalisés au nom de l’union de la gauche, comme essayer d’amadouer un autocrate au nom de l’intérêt supérieur du pays, est voué à l’échec. Le plus radical gagne toujours car il se moque des dégâts qu’il fera en chemin. Une gauche républicaine ne peut donc pas survivre à un tel compagnonnage, sauf à trahir toutes ses valeurs, pour au final servir l’ambition personnel d’un condottiere. Et c’est bien ce à quoi nous assistons. Avec le type de personnage qu’est Mélenchon et le choix de stratégie de la violence fait par LFI, l’option de la modération ne peut que finir en acceptation du cocufiage. Fabien Roussel va devoir blinder son estomac car Jean-Luc Mélenchon et ses séides n’ont pas fini de lui servir des couleuvres.

Silence coupable

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Quand on arrive en ville!

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Jonathan Siksou. © Hannah Assouline

Précisons-le tout de suite : si nous disons du bien du nouveau livre de Jonathan Siksou, ce n’est pas parce qu’il travaille à Causeur. C’est parce qu’il le mérite ! Avec un humour ravageur, il alterne chroniques, anecdotes vécues et références littéraires pour dresser le foudroyant bilan d’une débandade généralisée : celle de la vie citadine. Un essai percutant.


Quel terrain de jeu pour un homme de plume talentueux que cette ville grouillante, indistincte, indéfinie, dégoulinante de loisirs somptuaires et débordante d’impostures ; toujours là, jamais remplacée, indétrônable objet de convoitises et de lâchetés collectives. Un jour, tous les hommes y passeront et certains d’entre eux y vivront même des décennies. Les pauvres emmurés. Les rescapés, ceux qui ont fui, en parlent avec des sanglots longs dans la gorge. Lieu de sociabilités extrêmes et d’ultramodernes solitudes, cette ville immortelle a résisté au Covid.

Antre noir

Après la pandémie, les plus fins analystes de notre vie politique pressentaient une grande vague migratoire, le repeuplement des campagnes et la ruralité enfin triomphante. La revanche de Cloche merle sur cette capitale floue. Après avoir été séquestré durant des mois, soumis aux diktats de l’autorisation préalable de déplacement, le Parisien aspirait à son carré de verdure et à son barbecue brûlant, signes d’une nouvelle réussite sociale et de son exfiltration climatique. On lisait parfois dans les magazines que certains chanceux avaient échappé à la tenaille urbaine (merci le télétravail) et à la tyrannie des travaux en capilotade. Des exceptions, comme les poissons volants dans la tirade du Président. Et puis, la ville, malgré son pardessus râpé et ses vitrines tapageuses, a continué de faire la course en tête et d’attirer toujours plus de victimes consentantes dans son antre noir. Difficile de s’en extraire, quand son attraction et sa répulsion jouent un jeu trouble et dangereux. Qui l’emportera, à la fin ? Dieu seul le sait.

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Pour expliquer ces phénomènes contradictoires, un peu dingues et sacrément savoureux, il fallait une plume alerte. L’œil vif d’un observateur qui n’est pas rance ou perclus de préjugés médiatiques. Un journaliste – un essayiste, c’est plus chic – qui, folle audace, regarde ses contemporains dans le métro, dans les jardins publics, dans les ascenseurs, à la table de ses amis, avec une tendresse ironique et un esprit farceur. Un flâneur d’un genre particulier, car ce jeune intellectuel est scotché au macadam. Le trottoir lui colle aux basques. Le pavé gris sera son destin d’écrivain. Il n’a pas l’outrecuidance de vous raconter la transhumance ou la traite matinale. Le pittoresque ardéchois et l’archétypal berrichon ne sont pas dans son champ de vision. Si Jules Renard a si bien croqué les paysans, notamment dans son Journal, Jonathan Siksou est un piéton 3.0 de Paris, turbulent, fin, délicieusement vipérin et surtout taquin ; la plus grande qualité d’un chroniqueur est de ne jamais se départir de son humour ravageur. C’est son bien le plus précieux.

Évolution des mœurs

Prix Transfuge du meilleur essai 2021, avec Capitale, paru au Cerf, Siksou récidive avec Vivre en ville, dans la même maison. Il s’amuse et nous amuse à déterminer comment cette « construction étrange », zone de fantasme et d’aigreur qu’est la ville, offre un visage tantôt comique, tantôt despotique. D’autres, avant lui, ont battu le pavé, on pense à Carco, Fargue, Hardellet, Boudard, Clébert ou, plus récemment, au sieur Paucard, dernier archiviste de Paname. L’intérêt de cet essai écrit dans un français pur, ce qui ne gâche rien, réside dans son caractère hybride, transgenre pourrait-on même avancer. Sur un ton enjoué, réac-choc et très documenté, Siksou change perpétuellement de registre et de braquet, il alterne la chronique, l’anecdote vécue, la référence littéraire, la statistique non assommante et le foudroyant bilan comptable d’une forme de débandade généralisée. Il prévient, dès son avant-propos, que la ville porte en elle le sceau de tous ses dérèglements :« Vivre en ville est de plus en plus invivable mais de plus en plus de monde souhaite y vivre, et ce, partout dans le monde. […] Quand ceux qui y sont veulent en sortir, d’autres, à l’extérieur, rêvent d’y entrer : c’est l’insatisfaction générale, le mécontentent permanent. »

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Sous la plume de Siksou, tout y passe, nos habitudes, nos évitements, nos aveuglements, nos faillites, la fin des bouquinistes et le touriste-roi, la mendicité organisée et l’affaissement vestimentaire visible dans les rues, les dîners mondains à l’obsolescence programmée et le « café d’en face » devenu notre résidence secondaire, comme si la ville condensait tous nos maux et nos dérives. Siksou ne nous épargne aucune de nos turpitudes citadines. Dans ce grand trou de l’invisibilité que sont les couloirs du métropolitain ou les boulevards, les passants qui y déambulent sont qualifiés de « saouls ou groggy, somnambules », décrivant « de curieuses ellipses sur les trottoirs ». Siksou fait le constat que plus personne ne lève les yeux de ces satanés smartphones, notre asservissement numérique. Fantomatique, l’homme de la rue marche sans but ni entrain, dans un nuage virtuel. La ville lui permet et promeut ce dédoublement de la personnalité et la fin de tout idéal. Siksou appuie là où ça fait mal, où le fameux « vivre ensemble » est le plus étique, le plus burlesque ou le plus mensonger. Cette radioscopie est salutaire, elle pourrait virer au ball-trap, mais Siksou n’est pas un Torquemada des assemblées, il ne se présentera pas aux prochaines municipales. Il n’oublie jamais les qualités d’un bon livre que sont le plaisir de lecture et une belle érudition en partage, tout le contraire des pédagogues revanchards. Là où son essai est le plus littérairement percutant, c’est dans l’invention de quelques formules assassines, philippiques gracieuses. Nous applaudissons lorsqu’il écrit : « L’évolution des mœurs a introduit une coutume jamais vue jusque-là dans nos parcs : l’exhibitionnisme hygiéniste. » Le règne du short court et du débardeur en sueur a déferlé sur les quais. « Jogging, séances de relaxation asiatique, boxe, haltérophilie…Tout cela devant le regard de promeneurs qui n’ont rien demandé – et surtout pas ça », persifle-t-il, avec une inflexibilité goguenarde. Un livre à offrir à tous les édiles qui voudraient sauver leur ville d’une uniformisation asphyxiante.

À lire

Jonathan Siksou, Vivre en ville, Le Cerf, 2023.

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Jonathan Siksou, Capitale, Lexio, 2023.

Le Mexique en perdition?

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Ester Expósito dans "Lost In The Night (Perdidos en la noche)" © Paname Distribution

Perdidos en la noche, quatrième long métrage du cinéaste mexicain Pascal Escalante (La région sauvage, Narcos, Los Bastardos) : une révélation !

En guise de prologue, l’assassinat d’une activiste écologiste en lutte contre l’industrie minière qui saccage l’environnement dans une région reculée du Mexique. La police corrompue est partie prenante de cet enlèvement et de cette disparition. Traumatisé par ce crime impuni, le fils de la victime, Emiliano, journalier sur un chantier, n’a de cesse de retrouver la dépouille de sa mère, que ses ravisseurs ont enterrée quelque part – mais où ?

Clivages sociaux abyssaux

Trois ans ont passé. Au bord du lac, une vaste maison contemporaine aux allures de bunker ajouré abrite une famille apparemment nantie –  le père, Rigoberto, est un plasticien déjanté, étrangement nippé et coiffé iroquois, qui jouit manifestement d’une certaine cote sur le marché ; Barbara, la mère, artiste cosmopolite, coquette dominatrice et fantasque, se fait semble-t-il volontiers lifter le visage à Madrid ; Monica, sa fille d’un autre lit, est une influenceuse rivée à son smartphone. Ce petit monde de riches vit en confortable autarcie, à bonne distance du peuple. Mais le jeune Emiliano, qui n’a pas fait son deuil de la tragédie maternelle et poursuit inlassablement son enquête, parvient à se faire embaucher comme homme à tout faire chez Rigoberto, qu’il soupçonne de cacher le cadavre dans sa propriété, pourquoi pas dans la citerne du jardin… Tandis que, dans ce Mexique aux clivages sociaux décidément abyssaux, une violence larvée circule entre gangs d’adolescents tatoués et surarmés, police véreuse, sectes évangélistes, telles les « Aluxes », fanatiques que Rigoberto accuse de rapts et d’abus sexuels sur des enfants…


L’alchimie de ce scénario à entrées multiples fonctionne à la perfection, déjouant toutes les attentes du spectateur, bifurquant continûment dans l’improbable, sur un fond d’ironie acide et de sarcasme réjouissants (en particulier sur le statut moral et socio-économique de ce qu’il est convenu d’appeler « l’art contemporain » – n’en disons pas plus). Jusqu’au climax vertigineux où se révèle la noirceur absolue du genre humain, revers de la pureté angélique propre au héros, Emiliano, et à son attendrissante petite amie. Ensorcelant, agencé avec une virtuosité remarquable, filmé avec un sens aiguisé du cadrage, du tempo, du chromatisme et du détail concret, Lost in the night doit également beaucoup au jeu infaillible de ses acteurs, à commencer par Juan Daniel García Treviño dans le rôle d’Emiliano.

Photogénique Juan Daniel García Treviño

À 23 ans, Treviño, touche-à-tout photogénique (cadreur, chanteur, percussionniste, mannequin…) lancé dès ses 16 ans par sa performance dans le film de Fernando Frias diffusé sur Netflix Je ne suis plus là, a l’étoffe d’une star : qu’on se le dise ! Quant à la Madrilène Ester Expósito, interprète ici de la fille de Carmen, elle est déjà une star… sur Instagram. Et l’héroïne, en outre, de la série Elite – toujours Netflix. Comme quoi, la réalité dépasse souvent la fiction. D’ailleurs, Escalante a tourné Perdidos en la noche à Guanajato, patelin situé dans l’une des zones les plus dangereuses du Mexique. Dios mio, que pais !

Juan Daniel García Treviño Photo: Paname Distrib.

Lost in the Night / Perdidos en la noche.  Film de Pascal Escalante. Avec Juan Daniel García Treviño (Emiliano), Ester Expósito (Mónica Aldama), Bárbara Mori (Carmen Aldama) Fernando Bonilla (Rigoberto), Mafer Osio (Jazmin). Mexique. En salles le 4 octobre 2023.  Durée: 2h02.

Le temps béni du populo

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Coluche et Michel Sardou dans les studios d’Europe 1, 14 décembre 1985. © CHESNOT/SIPA

Les saillies de Juliette Armanet à l’encontre de Michel Sardou révèlent le mépris des bobos pour ce qui plaît au peuple, prolophobie visant directement cette « France d’avant », pas si lointaine, où une culture homogène baignait Paris et sa province. Cette nouvelle querelle des anciens et des modernes oppose la variété et les traditions locales à la culture globalisée.


La chanteuse à la mode révélée par Le Dernier Jour du disco s’en est violemment pris au tube de Michel Sardou sorti en 1981 –elle n’était pas encore née –, Les lacs du Connemara. Ce tube a fait découvrir la « musique celtique » au grand public français, Tri Yann étant alors encore confidentiel. Juliette Armanet a qualifié ce tube de musique « sectaire », « immonde » et « de droite »– les Irlandais apprécieront. C’est l’ultime réplique des insultes adressées à Michel Sardou dès les années 1970 par les médias les plus à gauche pour ses positions jugées droitières et nationales. Mais cela rappelle aussi d’autres insultes passées, lancées par des chroniqueurs contre le Festival interceltique de Lorient ou Nolwenn Leroy, révélant une sourde haine contre ce rare segment de la culture populaire traditionnelle ayant survécu au xxe siècle dans notre pays. BHL avait donné le la dès 1985 dans son célèbre entretien à Globe en s’emportant contre « béret et binious », un enjeu majeur !

La France, qu’est-ce qu’il en reste?

Il est probable que la diffusion récurrente des Lacs du Connemara dans les bars, les soirées, les mariages, les boîtes de nuit… et l’adoption de cette chanson très populaire – 54 millions d’auditions sur Spotify – par les élèves de plusieurs grandes écoles – HEC comprise – comme hymne officiel d’une promotion ou d’une activité, aient fini d’exaspérer notre chanteuse. D’autant plus que, partout, les premières notes du morceau déclenchent une ruée des foules sur la piste de dance, donnant lieu à de joyeuses effusions collectives.

Cette hostilité radicale affichée concerne moins la musique celto-irlandaise transplantée en France par Sardou, le chanteur « populaire » aux 350 chansons, que le public français auquel s’adresse depuis plus d’un demi-siècle ce chanteur national. Que reste-t-il de la France de la fin du xxe siècle– ce monde d’avant –, décor de notre jeunesse, au-delà des caricatures méprisantes et des haines recuites des enfants de la mondialisation ? Les chansons de Michel Sardou sont une sorte de butte-témoin du xxe siècle, d’autant plus intrigante et « inquiétante » pour ses détracteurs que les jeunes générations – Français populaires ou enfants de bourgeois –, entre deux morceaux de rap, en perpétuent le succès et la présence.

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Il y a longtemps que les élites de la culture subventionnée regardent avec aversion le « vieux pays » et son peuple de « citoyens », peu à peu convertis à la culture du showbiz au cours du xxe siècle. Par dépit ou malveillance, la génération qui n’a pas connu la France des travailleurs et des familles d’avant la mondialisation, à la fois populaire et égalitaire, tant à Paris qu’en province, et de culture homogène, y cherche les traces d’un communautarisme blanc imaginaire, qu’elle perçoit comme raciste, chauvin et haineux.

Prolophobie

Tout a déjà été dit sur cette prolophobie déguisée en traque du « beauf » par ceux-là mêmes qui – souvent d’origine modeste – vivent dans le reniement et la honte de leurs origines paysannes, ouvrières ou populaires. Les barrières de la distinction sociale les ayant hissés sur le devant de la scène artistique ou culturelle française, il leur paraît de bon aloi de renier ce qu’ils furent enfants, pour se faire adouber dans le monde aseptisé et autocentré des élites. Cette « savonnette à vilain » du xxie siècle est une vieille lune psychologique et sociologique, dont Annie Ernaux a porté l’exercice au paroxysme. Cela a donné La Gauche sans le peuple (Éric Conan, 2004), ou« la gauche contre le peuple » (feu Hervé Algalarrondo, 2002). Avant les Deschiens, triste série qui suintait le mépris de classe pour les pauvres et les gens modestes– en attendant les sous-chiens de Bouteldja –, le regretté Cabus en avait fourni l’archétype à travers son« beauf », créé en 1973 dans Charlie Hebdo, que le site de la FNAC présente ainsi : « L’archétype du Français râleur, raciste, violent, odieux en toutes circonstances » (il faudrait ajouter sale et alcoolique…).

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Or ce grand chanteur à succès a produit des centaines de chansons à l’attention de ce peuple de Français méprisés. Ce même peuple les plébiscite et les fredonne pendant des décennies –l’homme a vendu plus de 100 millions d’albums, record national. Les thèmes de ses chansons forment la matrice de la vie et de la culture nationales : La Maladie d’amour, Le Rire du sergent, Les Bals populaires, Les Vieux Mariés, J’habite en France, La Rivière de notre enfance, Le Curé, Le Bac G, Les Noces de mon père, Verdun, Marie ma belle, Le France, Une fille aux yeux clairs, En chantant, Les Deux Écoles, Le Cinéma d’Audiard, Danton, La Maison des vacances, Français, Marie-Jeanne, Carcassonne, Être une femme, Les Années trente, Je viens du Sud, Mon dernier rêve sera pour toi, Le Surveillant général, Je vais t’aimer… Un tel programme est d’autant plus étranger à notre chanteuse que nos chères élites autoproclamées croyaient en avoir fini avec un peuple et un pays érigés en boucs émissaires des crimes et des tragédies du xxe siècle, et que l’on a voulu faire taire une fois pour toutes.

Rappelons le traitement de choc qu’il a subi, et comment on a tenté d’en finir avec lui : un discrédit général jeté sur sa culture et ses pratiques sociales (langues régionales, catholicisme, civilité, bonne formation scolaire, etc.) ; l’éradication des métiers et des filières de production les plus anciennes (industrie, agriculture, services publics structurés et efficaces) ; et enfin le changement, (ironiquement) théorisé par Brecht (il faut «dissoudre le peuple »), instauré dans les nouveaux « quartiers populaires » des villes, qui accueillent une partie des 19 millions d’étrangers ou néo-Français résidents dénombrés par l’Insee sur trois générations.

Sardou a beau avoir ouvert sa discographie aux langues, cultures et pays extérieurs (Les Ricains, Musulmanes, Le Connemara, Domenico, Afrique adieu…), jamais il ne fera oublier son passif de « chanteur populaire du peuple français ». Dans l’un de ses premiers tubes de 1970, « l’ouvrier parisien » – qui existait encore – des Bals populaires, « la casquette en arrière », s’amusant« à boire (et reboire) un bon coup », en rigolant « sur des airs populaires », avait scellé son sort d’infréquentable.

Une preuve accablante

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Alexandre Vialatte (1901-1971) © Document reference 079_IMG0800091068. Byline / Source / Credit Aimé Dartus / Ina

Je m’approchai de la fenêtre donnant sur la rue, écartai à peine le lourd rideau. L’homme était toujours là. Appuyé contre le mur d’en face. Dissimulé derrière un journal déployé, il affectait la nonchalance de celui qu’aucune tâche précise ne requiert et qui peut se permettre de prendre le temps de flâner. Une attitude étudiée, qui ne trompait personne. Surtout pas moi. Il y avait plusieurs jours que je l’avais repéré. Lui ou un de ses complices, car ils se relayaient pour surveiller mon immeuble sans relâche. Sans prendre, du reste, de précautions excessives : sauf à être né de la dernière pluie, il ne faisait de doute pour quiconque qu’ils étaient en faction. A coup sûr en service commandé. Mais commandé par qui ?

Au début, la question m’avait taraudé. Et puis j’avais fini par ne plus me la poser. Il se passait tant de choses dans notre monde incertain que j’avais décidé, plus ou moins consciemment, de vivre, en toute simplicité. Sans chercher à trouver un sens à des événements qui me dépassaient. Et desquels, n’en déplaise à Cocteau, je n’avais nulle envie de feindre d’être l’organisateur.

Je repoussai doucement le rideau et m’apprêtai à regagner mon bureau lorsque la sonnette de l’entrée retentit. Un appel prolongé, insistant. Non une sollicitation, mais une invite. Négligeant le judas qui m’eût permis d’identifier mon visiteur (une prescience m’informait déjà de sa fonction, sinon de son identité), j’ouvris la porte de chêne massif. Il glissa son pied avec promptitude pour m’empêcher de la refermer. Un classique du genre. Déjà, il sortait de son portefeuille une carte barrée de tricolore. La brandissait sous mon nez.

« Monsieur Moudenc ? Inspecteur Dumesnil, de la Police nationale. J’aimerais vous poser quelques questions. »

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Sans attendre ma réponse, il avait déjà pénétré dans l’appartement, promenant son regard sur les tableaux qui ornaient le vestibule. Un autoportrait au fusain d’Albert Paraz, des lithographies de Léonor Fini, une gouache de Jeanne Hébuterne, la maîtresse de Modigliani. Rien pour retenir longtemps ce petit homme poupin, tout en rondeurs. Il semblait du reste pressé d’aller droit au but. Mon bureau était resté ouvert. Je lui désignai un fauteuil dans lequel il s’affala sans se faire prier.

«  Vous devinez, n’est-ce pas, l’objet de ma visite ? »

Devant mon air ébahi, il crut bon d’ajouter :

« Non, je vous en prie, pas de dénégations. Vous commencez tous par nier l’évidence, et puis… »

Un long soupir. Tout en parlant, il avait tiré de sa poche un calepin à la couverture spiralée qu’il faisait mine de consulter.

« Vous avez joué avec le feu, Monsieur Moudenc. C’est ainsi qu’on finit par se brûler. De nos jours, la police sait tout. Ou, du moins, a la possibilité de tout savoir. Ecoutes téléphoniques, interception de messages sur Internet, consultation des sites souvent visités… Sans compter les dénonciations, les témoignages spontanés – ou sollicités… »

Un sourire fugitif découvrit, sur sa face rougeaude, deux canines monstrueuses. Démesurées. Celles d’un carnassier tout entier à sa proie attaché.

« Aucune chance d’y échapper. De nous échapper. Et l’état d’urgence justifie tout, ou presque. Ainsi, ce ne sont pas des aveux que j’attends de vous. Plutôt la confirmation de ce que je sais déjà.

 –  Mais enfin, hasardai-je, puis-je savoir… »

Il m’interrompit d’un geste.

« Les questions, c’est moi qui les pose. Vous connaissez bien un certain Bertrand Fossati, avec qui vous correspondez régulièrement par e-mail et par téléphone. Inutile de nier. Vos échanges épistolaires, codés le plus souvent, sont en cours de décryptage. Il y est souvent question d’individus dont je suppose que ce sont des connaissances communes. »

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Il feuilleta son calepin, trouva enfin la bonne page :

« Voyons voir… Blondin Antoine, Laurent Jacques, Nimier Roger, Déon Michel… Un certain Aymé Marcel… Céline Louis-Ferdinand…  Vous en parlez souvent ensemble. Leur identification est en cours. Car tout cela, convenez-en, sent le pseudo à plein nez. »

Je me retins d’éclater de rire.

« Mais enfin, Monsieur l’Inspecteur, vous plaisantez, je suppose ! »

Son visage se figea. Ses petits yeux porcins me fixèrent avec intensité.

« N’aggravez pas votre cas. Le complot n’est pas encore prouvé, mais il est manifeste. Car vous complotez, monsieur Moudenc. C’est indubitable. J’irai même plus loin : vous préparez un attentat en liaison avec une organisation terroriste dont nous connaissons déjà le cerveau. Un certain Vialatte. Alexandre, de son prénom.

– Vialatte ? Que vient faire Vialatte là-dedans ? »

D’un ton péremptoire et comme pour confirmer son triomphe, il déclama :

« Et c’est ainsi qu’Allah est grand, comme écrit, en conclusion de chacun de ses écrits, Alexandre Vialatte. Ce sont les termes que vous employez dans votre dernier message adressé à Fossati. Quelle imprudence, monsieur Moudenc ! Quelle imprudence ! Dès à présent, considérez-vous en état d’arrestation. Vous pouvez, si vous le désirez, en informer d’ores et déjà votre avocat. »

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Mon père ce héros

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Jean-Marie Baron D.R.

Dans son nouveau livre, Jean-Marie Baron brosse le portrait de son père, un personnage haut en couleurs qui a traversé avec panache le XXe siècle. Un goût de l’aventure partagé par son fils…


La vie réserve à certains des destins hors du commun, des surprises et des réussites que les romanciers les plus chevronnés n’oseraient imaginer pour leurs propres personnages. Ainsi en a-t-il été pour François Baron (1900-1980) qui, avant d’être le dernier gouverneur de l’Inde française, a été compagnon de route des surréalistes dans le Paris des années Vingt (il figure en bonne place sur la photo historique de la Centrale surréaliste par Man Ray en 1924), puis administrateur des colonies à Dakar et à Mopti, sur les rives du Niger.

Il est administrateur de Chandernagor lorsqu’il entend l’Appel du 18-juin. Et il est le premier Français de l’étranger à y répondre. Le voici happé une nouvelle fois par l’histoire. C’est en tant que délégué général de la France libre pour tout l’Extrême-Orient qu’il est dès lors basé à Singapour. Au bar de l’hôtel Raffles, il passe ses soirées avec Hemingway à se remémorer leurs amis de Montparnasse ; mais après Pearl Harbour, il se trouve là aux premières loges pour constater la progression fulgurante des armées nippones alliées de l’Allemagne – Philippines, Pacifique sud, Malaisie… Sa tête est mise à prix par les Japonais et s’il échappe de peu à un empoisonnement à la strychnine c’est, selon lui, grâce à son addiction à l’opium ! Un contrepoison…

L’objectif est désormais de rejoindre le Général à Londres. Et la route la plus sûre n’est pas la plus courte : son périple le mène à Calcutta, Bombay, Djibouti, Le Caire puis Alger. Arrivé dans la capitale britannique, il se noue d’amitié avec Joseph Kessel et Maurice Druon. Tout en raillant avec bienveillance « leur Marseillaise », François Baron les aide à achever Le Chant des partisans

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En 1945, retour en Inde. Gouverneur de Pondichéry, il sent encore que le sens de l’histoire va bientôt tourner. Il entretient d’excellentes relations avec Nehru et entame ce qu’il considère comme sa « dernière et grande aventure », spirituelle cette fois, en devenant disciple du sage et philosophe indien Sri Aurobindo.

Jean-Marie Baron a une dizaine d’années lorsqu’il est envoyé chez son père, en son palais du Gouverneur, au début des années 1960. Premier séjour dans ce « monde à l’envers, sans doute le plus dépaysant de tous où, lorsqu’on croit comprendre, saisir, toucher du doigt, on se heurte à l’intangible. Un monde grouillant de bruit et de fureur mais qui s’inscrit dans une autre mesure du temps. Un monde, enfin, où les gens qui passent dans la rue sont les mêmes, depuis mille ans, que ceux qui ornent les fresques des temples, où le mendiant le plus scrofuleux sait que la vie n’est qu’un passage et que les dieux font le reste… »

Le fils du gouverneur n’a pas à faire la guerre, mais il a de la route à faire. En Inde bien sûr, mais aussi au Pakistan, en Afghanistan, jusqu’à Hong-Kong et New York.

Cet univers d’hommes et de héros, de soldats et d’uniformes, est traversé par deux femmes. Celle que l’on appelle mystérieusement la « Mère de l’ashram de Pondichéry », Mirra Alfassa ; et Carmen, la mère de l’auteur qui, malgré ses origines basques et mexicaines, a été la plus parisienne des Parisiennes. Intime de Christian Dior, elle a créé ses premières boutiques, mais ce sont là d’autres aventures familiales.  

Le fils du Gouverneur, de Jean-Marie Baron, Éditions Baker Street, 2023. Jean-Marie Baron signera son livre à l’occasion du festival Lumexplore, à La Ciotat, du 20 au 24 septembre.

Yassine Belattar: splendeurs et misères d’un courtisan

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Alexis Corbiere et Yassine Belattar à un rassemblement pour Carlos Martens Bilongo, Paris, 4 novembre 2022 © ISA HARSIN/SIPA

Avant que la Nupes ne s’amourache du sinistre Médine – que nous mettons en couverture du magazine – d’Assa Traoré ou du «petit ange» Nahel, le progressiste Emmanuel Macron, de son côté, avait fait du comique crypto-islamiste Yassine Belattar son «Monsieur banlieue»… Le joyeux drille vient d’être condamné à quatre mois de prison avec sursis et obligation de soins pour « menaces de mort et de crimes » par la justice. Portrait.


Depuis la réélection d’Emmanuel Macron, l’humoriste Yassine Belattar s’était fait singulièrement discret. Sa dernière poussée d’hubris remontait à la campagne présidentielle de 2022. Il avait alors donné de la voix et occupé le terrain, notamment le plateau de « Balance ton post », avec la redoutable efficacité qu’on lui connaît. Gagné par la fièvre électorale, le troubadour franco-marocain qui avait reconnu en notre chef de l’État son semblable, « son frère », s’était alors lancé dans la course à la fonction suprême. Il incarnait, il n’en doutait pas, « la jeunesse issue de la diversité » et se posait alors en inexpugnable rempart anti-Zemmour. C’était sans compter pourtant avec les partisans de l’extrême droite. Farouches et déterminés, ils lui livrèrent un combat sans merci pour l’intimider, le bouter hors des ondes et lui fermer les salles de spectacle. Parce qu’il craignait d’y laisser jusqu’à la vie, le sage sut renoncer à son destin politique pour se replier sur ces paroles solennelles qui sonnèrent comme un glas : « L’acte symbolique est de me retirer. »

Un passage en politique trop court !

Alors que l’actualité judiciaire remet sur le devant de la scène ce sympathique garçon censé vendre du rêve à une partie de « nos jeunes », nous espérons ruinées toutes ses velléités de retour sur la scène politique. Puisse ce personnage hâbleur qui n’a cessé d’avancer ses pions idéologiques avoir définitivement perdu son aura. Il y a quelques années, déjà, sans succès, l’auteur des « Guignols de l’info » (Bruno Gaccio) avait déposé une première plainte contre l’histrion passé par la chaîne LCI. Aujourd’hui, le voici condamné par le tribunal correctionnel de Paris pour « menaces de mort », « menaces de crimes », « envoi réitéré de messages malveillants et harcèlement moral » à l’encontre de plusieurs personnalités du monde du spectacle. Il est maintenant de notoriété publique que le bougre a la parole percutante et l’argument frappant. Quatre mois d’emprisonnement avec sursis, donc, pour Yassine Belattar : les faits de menaces de mort et de crimes vis-à-vis du metteur en scène et scénariste Kader Aoun dont il s’est rendu coupable sont « établis et objectivés » par les enregistrements de plusieurs appels téléphoniques. C’est peu cher payé, mais, c’est indéniablement un bon début. L’amuseur devra aussi verser 500 euros de dommages-intérêts au comédien Kevin Razy qu’il aurait également harcelé. Cette condamnation est assortie d’une obligation de soins et d’une interdiction formelle de rencontrer les victimes. Notre « modèle inspirant » pour « la jeunesse issue de la diversité » est aussi un proche d’Emmanuel Macron, tout comme Alexandre Benalla. Lui aussi, en son temps, frappa plus que les esprits. Il semblerait que le chef de l’État se soit fait une spécialité d’afficher les amitiés les plus improbables croyant ainsi s’attirer la sympathie d’une jeunesse issue de l’immigration. On en est désolé pour elle parce que cette jeunesse mérite d’autres porte-parole que des rouleurs de mécaniques sans scrupules et forts en gueule. Ces bateleurs ne font que la cantonner dans un rôle victimaire pour servir leur seule ambition personnelle.

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Le « Monsieur banlieue » d’Emmanuel Macron

Yassine Belattar n’a pas hésité à abandonner la défroque de l’ancien monde qu’il portait encore en sa jeunesse pour promouvoir l’islam politique susceptible de le mettre sous les projecteurs. Né en 1982, il n’a pas grandi dans une cité mais dans la ville bourgeoise de L’Étang-la-Ville (Yvelines). Il y fut longtemps « le seul arabe du coin », comme il l’a confessé en 2015 à Pascal Boniface, dans un entretien à la Revue internationale et stratégique. C’est simplement à la fin de son adolescence qu’il s’installera aux Mureaux. Avant Dieudonné, ses modèles furent Jean-Marie Bigard et Laurent Gerra, autant dire qu’il n’envisageait pas forcément de défendre le port du voile ou du burqini. C’était sans compter sur l’étiquette « diversité » qu’on n’a pas manqué de lui coller sur le dos. Il a alors flairé que l’estampille ne pouvait que favoriser son ascension dans pays qui se fustige éternellement pour son passé colonial. Sur la radio et à la télévision, il n’aura de cesse que de tourner la France rance en dérision. Dans l’émission les Trente Glorieuses qu’il anime avec Thomas Barbazan, il ironise sur les poilus de la Grande Guerre, raille les prénoms Gontran et Marguerite, applaudit lorsqu’il est question des « soldats » de Dae’ch. Le voici lancé. En 2015, il anime la soirée de gala du Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) ; on y plébiscite son humour. « Rire du pire », tel est son credo. Le drôle mettra désormais un point d’honneur à être de toutes les causes douteuses, affichant sans vergogne son communautarisme. Il soutient le rappeur Médine quand celui-ci envisage de se produire au Bataclan et supporte Decathlon dans l’affaire du « hijab de sport ». Sans ciller, il compare le djihadiste à un « gamin qui fout le bordel à un anniversaire » et considère les attentats islamistes en France comme des « faits isolés ». Rien ne l’arrête.

Yassine Belattar et Emmanuel Macron en 2017 © ERIC FEFERBERG / AFP

Ce curriculum vitae n’a pas manqué de séduire le chef de l’État. Il en fit, lors de son premier mandat, son « monsieur banlieue ». Yassine Belattar, heureux de sa bonne fortune, intégra le Conseil présidentiel des villes, instance élyséenne mise en place pour alimenter la réflexion sur la politique à mener dans les quartiers prioritaires.

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Il en démissionna en octobre 2019, après une énième histoire de voile, estimant l’islamophobie qui, selon lui, règne en France jusqu’au sein de l’État, incompatible avec ses convictions. En ces heures les plus sombres, c’est par le truchement de Libération qu’il s’adressa au président, dans une lettre qui visait Jean-Michel Blanquer : « (…) je suis déçu que certains ministres que vous avez choisis ne supportent même pas l’idée de voir une femme voilée sur le territoire. » Dans sa missive, il déclara aussi, prophétique : « La France va connaître une mue communautaire. »  Loué soit le nouveau coup d’arrêt qui vient d’être porté à sa carrière politique.

Que vaut le Bernard Tapie de Netflix?

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Laurent Lafitte et Joséphine Japy © Netflix

Très attendue, la série Netflix consacrée à Bernard Tapie n’a pas déçu. Créée par Olivier Demangel et Tristan Séguéla, fils du célèbre publicitaire Jacques Séguéla qui a été l’ami d’une vie de Tapie, cette œuvre de fiction a déplu à une partie des héritiers de la dynastie. Pourtant, le personnage Bernard Tapie y est traité avec empathie et truculence. Critique.


Bernard Tapie est un personnage historique bien plus important qu’on ne le suppose parfois. Songeons que pour évoquer les années 1980 et le début des années 1990, on parle encore parfois des « années Tapie ». Ce n’est pas rien ! Il faut dire que le personnage est assez unique dans le paysage politico-médiatique français, où se distinguent le plus souvent les intellectuels, les héritiers et les hauts fonctionnaires. Ils sont rares les hommes sortis du rang, venus directement du peuple, qui ont réussi à s’imposer dans nos élites si figées.

Laurent Lafitte convaincant

La route ne fut d’ailleurs pas simple pour le jeune Tapie, comme le montre intelligemment cette fiction biographique. Né modestement dans le 20ème arrondissement de la capitale de parents originaires du Sud-ouest, ce fils d’ouvrier n’aura eu de cesse de suivre ses rêves. D’abord chanteur à minettes, puis pilote de course chez Lotus, Bernard Tapie a aussi connu quelques succès entrepreneuriaux dans les années 1970, développant le magasin d’équipements Cercle N°1, le groupement d’achat Le Club Bleu, ou encore Cœur Assistance avec Maurice Mességué. Ces premiers succès coïncidèrent d’ailleurs avec ses premiers ennuis judiciaires…


Si la série d’Olivier Demangel et Tristan Séguéla prend des libertés avec les faits, ainsi que l’a notamment dénoncé Stéphane Tapie, elle trace néanmoins les grandes lignes et les étapes de l’ascension difficile de Bernard Tapie vers les sommets. Laurent Lafitte interprète d’ailleurs très bien son modèle, lui-même un temps acteur au théâtre ou chez Claude Lelouch. Il réussit à transmettre l’optimisme contagieux et la gouaille irrésistible d’un homme qui ne s’avouait jamais vaincu, se pensait doté d’une baraka hors du commun qui ne devait jamais le quitter. Sous l’homme Tapie se fait jour le petit garçon choyé par ses parents, joueur jusqu’à l’inconscience.

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Ce fut d’ailleurs longtemps vrai. Homme de clan extrêmement protecteur avec ses proches, Bernard Tapie a pu compter sur sa seconde épouse Dominique – incarnée par l’excellente Joséphine Japy – pour s’accomplir. C’est avec elle qu’il a pu devenir le « boss » des années 80, rachetant des entreprises pour un franc symbolique et les rendant de nouveau pérennes. La série de Tristan Séguéla s’attarde notamment sur la prise de possession des usines Wonder, décrivant le rôle joué par le père de l’homme d’affaires, syndicaliste de la CGT qui sut rassurer les ouvriers en leur promettant que leurs emplois resteraient en France.

Plus attiré par la renommée que par l’argent

L’épisode 4 est d’ailleurs brillamment pensé. Après une ellipse, on retrouve Bernard Tapie devenu homme de télévision, précurseur de Donald Trump et Silvio Berlusconi, orchestrant l’enregistrement du premier numéro d’Ambitions – rebaptisé Succès pour les besoins du scénario – d’une main de maître tout en refusant, en partie par lâcheté, d’affronter les employés de Wonder menacés par le chômage. Pourtant, l’homme n’est pas dépeint en capitaliste cruel, mais en égoïste qui se pensait souvent sauveur sans toutefois pouvoir aller au bout des aventures qu’il débutait. Amoureux de lui-même, il aimait au fond bien plus jouir de la renommée que lui apportaient ses réussites que de l’argent qu’il en tirait, sans toutefois renoncer aux plaisirs terrestres.

Bernard Tapie sur le plateau de l’emission « Ambitions » sur TF1, 1987 © CHEVALIN/TF1/SIPA Numéro de reportage : TF135000439_000015

Toute sa vie, ce titi s’est battu pour être reconnu à sa valeur, pour « niquer » les grands qui le méprisaient. La série bascule d’ailleurs d’un registre laudateur à un registre tragique sur la fin, comme si l’ombre pesante de Bernard Tapie finissait par s’effacer, comme si ce fut peut-être pour le mieux qu’il chuta. Elle se conclut par sa plus grande réussite et son plus fatal échec. D’abord, évidemment, les années football où son énergie et sa vista lui permirent d’amener pour la première fois un club français sur le toit du monde. Est-ce cela qui lui donna des ambitions politiques ? Est-ce le charme de Mitterrand qui opéra sur Tapie ? Reste que cet écart ne lui fut pas pardonné. Le début de la fin de Tapie c’est bien la politique. Négligeant ses entreprises, brassant du vent au ministère de la Ville pour des chimères, l’homme des succès n’aurait pas dû se contenter d’une place de second. Il n’aurait dû entrer en politique que pour la place de numéro 1, à l’image justement de Silvio Berlusconi qui a lui réussi à ne jamais être défait – il faut dire qu’il est peut-être plus aisé de s’en sortir de la sorte en Italie, mais passons.

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La scène majeure de cette belle série, tout à fait au niveau des biopics américains, est cet entretien avec Éric de Montgolfier, filmé en clair-obscur comme pour mieux souligner le crépuscule d’un homme exceptionnel, un ogre capable de multiplier l’argent pour mieux le perdre à la fin. Bernard Tapie affronte pour la première fois la réalité qu’il avait cherché à fuir, que ce soit l’affaire Valenciennes ou la faillite d’Adidas. Il entrevoit qu’il n’est qu’un homme, mortel et susceptible de perdre. A-t-il été la victime de multiples machinations ? En partie, mais il n’était pas non plus un saint. Reste au moins un homme, avec ses failles et ses fulgurances, qui a laissé une trace profonde dans l’inconscient collectif français des quarante dernières années. Ça n’est pas donné à tout le monde.

Sur Netflix. 7 épisodes de 55 minutes.