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Kessel/Druon: tout un roman !

"Les Partisans" de Dominique Bona (Gallimard, 2023)


Kessel/Druon: tout un roman !
Maurice Druon et Joseph Kessel. Couverture du livre "Les Partisans", Gallimard.

Dans Les Partisans, Dominique Bona retrace la vie de Joseph Kessel et Maurice Druon, deux grands hommes au destin lié par la famille et l’écriture, et qui ont signé ensemble les paroles du Chant des Partisans.


Déjà auteur d’ouvrages consacrés à Romain Gary, Stefan Zweig et Paul et Camille Claudel, Dominique Bona continue d’explorer les grandes figures artistiques et littéraires du XXᵉ siècle avec Les Partisans (Gallimard, 2023), livre dédié à Joseph Kessel et Maurice Druon. Un livre qui évoque aussi longuement les nombreuses femmes qui ont entouré les deux auteurs, et notamment Germaine Sablon, maîtresse de Kessel et qui fut la première interprétatrice du Chant des Partisans, le 30 mai 1943.


L’ouvrage est sorti dans la célèbre Collection Blanche. Il faut dire qu’il y a dans le destin de l’oncle Kessel et de son neveu Druon quelque chose de romanesque, dès leur naissance. Joseph Kessel, fils d’un médecin juif lituanien, naît en Argentine, en 1898. Le neveu, né vingt-ans plus tard, change deux fois de nom pour enfin devenir, à l’âge de huit ans, Maurice Druon. Fils naturel de Lazare Kessel, sa naissance cause un scandale familial et est à l’origine d’une brouille définitive entre son grand-père et son père. Celui-ci décéda non pas de la grippe espagnole, comme Druon le crut un temps, mais suicidé, en laissant une lettre qui n’évoque pas une seule fois le fils… C’est finalement l’oncle, Joseph, qui va s’émouvoir du sort du jeune Maurice. Joseph aimerait le tenir à distance des démons qui taraudent la famille, à commencer par les dibbouks, esprits malins de la mythologie juive qui n’ont pas, semble-t-il, épargné la fratrie Kessel. Côté maternel, l’ambiance est plus légère : Druon descend d’Antoine de Tounens, le fameux roi d’Araucanie et de Patagonie, et est l’arrière-petit-neveu de Charles Cros, inventeur et poète. « Comment Maurice Druon, qui nous a laissé l’image d’un solennel et très gaullien ministre de la Culture doublé d’un secrétaire perpétuel de l’Académie française, à l’esprit cartésien, épris de clarté et d’architectures classiques, s’y est retrouvé dans le baroque méli-mélo, qui aurait dû selon toute vraisemblance le conduire au théâtre de l’absurde ? » C’est l’une des énigmes proposées par le livre.

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Le livre revient sur quelques moments forts sinon historiques. La traversée des Pyrénées, de l’Espagne et du Portugal décembre 1942, avec Germaine Sablon (l’une des trois maîtresses de Kessel au début de l’Occupation, sans compter l’épouse officielle, quelle santé !), afin de joindre ensuite Londres via l’Irlande. La naissance du Chant des Partisans (Kessel glisse au soir du 30 mai 1943 à son neveu : « c’est peut-être tout ce qui restera de nous »), bientôt hymne de la Résistance française. Les deux réceptions à l’Académie française : en 1962 pour un Joseph Kessel assez engoncé et peu à l’aise dans son costume vert (il n’usa guère les bancs de ce haut lieu) et en 1966 pour Druon, qui semblait au contraire être né pour ça. Les deux hommes, très proches durant la Seconde Guerre mondiale, s’éloignent un peu par la suite : Kessel n’est jamais plus heureux qu’à barouder en Afghanistan ou en d’autres contrées exotiques ; Druon se plait dans les milieux châtelains et aristocratiques, qui lui inspirent les Grandes Familles (prix Goncourt 1948). Au baroque et dionysiaque Kessel, « capable sur un coup d’humeur de casser la vaisselle, les vases et les meubles d’un bar ou d’un restaurant, ou même d’une maison d’amis, quand on l’a contrarié et qu’il a trop bu », répond un Druon plus posé et plus apollonien, qui « se contente de hausser le ton ou d’afficher mépris et condescendance » dans de telles circonstances.

Autre scène que Dominique Bona veut imaginer : les deux écrivains, l’un confirmé, l’autre en devenir, installés sur la Côte d’Azur, au début de l’Occupation. « Deux hommes, qui ont l’âge d’être père et fils, s’assoient tranquillement dos à dos à des tables mitoyennes et travaillent de concert », pour de longs après-midi d’écriture. Epargné par la politique antisémite de Vichy (il s’est même vu proposer un poste dans la collaboration), Kessel tarde à s’exiler, retenu par la gestion compliquée de sa vie extraconjugale et surtout par le sort de sa mère, qui dut ensuite quitter Paris pour s’exiler à Vaison-la-Romaine, a priori plus tranquille, malgré deux visites de la Gestapo. Le livre évoque aussi d’autres personnages hauts en couleur, comme Roman Kacew (bientôt Romain Gary), un autre juif lituanien qui a laissé sa mère dans le Midi de la France ; les frères d’Astier de la Vigerie, avec François, Emmanuel le communiste et Henri le maurrassien (un peu l’équivalent français des sœurs Mitford, en plus glorieux) unis dans la France libre ; Jean Sablon, frère de Germaine et chanteur d’opérettes qui multiplie les tournées en Amérique après-guerre entre deux allers-retours dans son hacienda brésilienne.

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Alors que Joseph Kessel termine sa vie avec une Irlandaise connue en Angleterre et qui le suit (avec moins de bonheur) dans ses voyages et les alcools forts, Maurice Druon devient ministre de la Culture sous Pompidou. Un ministre qui dénote et détonne dans l’immédiat après-68, avec cette phrase restée célèbre : « Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir ». Une évolution politique qui n’allait pas forcément de soi car dans les années 50, Druon signe un manifeste pour la paix avec son oncle et tout ce que la France compte comme compagnons de route du Parti communiste français, ce qui lui vaut presque l’étiquette d’ami de l’URSS. Kessel avait vu ses a priori à l’égard des rouges se réduire à leur contact dans la résistance ; suffisamment pour que le patron de France-Soir, Pierre Lazareff, lui en tienne un temps rigueur. Il y a eu enfin le Maurice Druon des dernières années, pas tout à fait favorable à l’arrivée des femmes sous la Coupole et en lutte, quai Conti, contre la féminisation des fonctions : mort un peu avant l’émergence de l’écriture inclusive, il n’avait pas encore tout vu.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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