Médias conservateurs surveillés, nouvelles législations contre les discours de « haine », retour du délit de blasphème… Comment les pouvoirs en place s’acharnent aussi contre la liberté d’expression en Occident
Les démolisseurs de la France sont contents d’eux. Ils ne veulent entendre que des applaudissements. S’indigner des désastres sécuritaires liés à leur «société ouverte» devient risqué pénalement. L’«incitation à la haine» est le nouvel argument des censeurs. Ceux-ci ne voient rien, en revanche, de l’antisémitisme islamique ni du racisme anti-blanc des minorités ethniques.
Le site d’extrême gauche Médiapart illustre l’application liberticide du procédé accusatoire, avec la publication cette semaine d’une enquête à charge contre CNews, qualifiée de « fabrique de la haine »[1]. Parce que la chaîne d’information a notamment choisi de décrire la réalité de la vie des gens ordinaires, elle déchaîne l’agressivité – la haine – des dénégationnistes qui aimeraient interdire les critiques contre l’immigration de masse et l’islam prosélyte, quitte à rétablir le délit de blasphème au profit de cette dernière religion. Or cette régression démocratique est encouragée par le pouvoir. La macronie avait déjà commis en juin 2020 la loi Avia qui entend traquer les « propos haineux » sur l’internet, sans définition juridique. En 2018, Emmanuel Macron s’en était pris, lui, à « la foule haineuse » des gilets jaunes. Le 6 mars dernier, deux députés Renaissance ont déposé une proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale pour des « propos à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire » tenus en privé cette fois ! Quant à Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, il vient d’annoncer sa volonté de sanctionner des « entreprises de désinformation » coupables de contester le discours officiel sur la guerre contre la Russie. La liberté d’expression est en grave danger.
Le plus stupéfiant est de constater la constante apathie des médias face à ces atteintes à la liberté de dire et de penser. En réalité, beaucoup d’entre eux cautionnent l’idéologie du vivre ensemble, qui n’arrive à convaincre de ses prétendus bienfaits que par l’interdiction des contestations. Même les établissements scolaires privés, coupables pour certains de leur élitisme, sont sommés de s’ouvrir toujours plus à la diversité. Or c’est une pente totalitaire qui est suivie par ceux qui prétendent être dépositaires du Bien et de la morale. L’exemple de l’Écosse, dont le premier ministre Humza Yousaf a appelé à la prière musulmane depuis sa résidence de Bute House le 28 mars, devrait être une alerte générale pour tous les défenseurs de la liberté. En effet, depuis le 1ᵉʳ avril, une loi y criminalise les propos ou attitudes « incitant à la haine » non seulement contre les races mais aussi contre l’âge, le handicap, la religion, l’orientation sexuelle ou l’identité transgenre. Pire : le crime haineux peut aussi être constitué par des propos tenus en privé.
Le rêve de la macronie est donc déjà en place en Écosse, où Orwell écrivit son 1984. « Arrêtez-moi ! », a défié J.K. Rowling, l’auteur de la saga Harry Potter, qui entend encore soutenir « qu’un homme est un homme » : un propos haineux pour les transgenres. Qui arrêtera l’infernale machine à décerveler ?
Depuis la découverte dimanche dernier des ossements du petit garçon, les Français se passionnent à nouveau pour cette affaire. Pour de mauvaises raisons?
Cette fois encore, CNews ne sera pas la première chaîne d’information continue de France. Avec une audience moyenne de 2,7 % enregistrée au cours du mois dernier, elle vient certes d’égaler, pour la seconde fois de son histoire (la première remontant à décembre), le leader BFMTV. Mais elle n’est pas parvenue à coiffer son concurrent au poteau.
Le 31 mars, soit dans l’ultime ligne droite du décompte mensuel, BFMTV a en effet redressé, de façon spectaculaire, son score, en attirant pendant une dizaine d’heures deux fois plus de téléspectateurs que la chaîne de Vincent Bolloré. L’explication d’une telle affluence ? Ce jour-là, le procureur de la République d’Aix-en-Provence a annoncé l’identification de divers ossements humains, découverts la veille par une randonneuse, comme étant ceux du petit Émile, le garçonnet disparu dans les Alpes-de-Haute-Provence cet été.
BFMTV en édition spéciale
Alors que les autres médias ont choisi d’accorder à cette nouvelle un traitement prioritaire, en ouverture de leurs bulletins d’information, BFMTV a carrément décidé de couvrir l’événement en mode “édition spéciale”. Résultat, tandis que CNews diffusait, comme prévu, son émission religieuse “En quête d’esprit”, BFMTV, quant à elle, n’hésitait pas à interrompre en direct, et de manière à peine courtoise, une interview d’Alain Finkielkraut sur Gaza, afin de pouvoir consacrer au plus vite l’entièreté de son programme à l’affaire Émile.
Ce n’est pas la première fois que BFMTV casse sa grille pour un fait divers. En février 2023, à l’occasion de l’accident de voiture de Pierre Palmade, la chaîne dirigée par Marc-Olivier Fogiel avait consacré à cette information un temps d’antenne dix fois supérieur au séisme survenu quelques jours plus tôt en Turquie (56 000 morts, 105 000 blessés).
Il n’est pas question de discuter ici la ligne éditoriale d’un média. Le pluralisme, cette belle idée dont se gargarise Reporters sans frontières à longueur de temps, c’est aussi cela: la liberté pour chaque organe de presse de hiérarchiser les faits selon ses propres critères, et pour le public de choisir son canal d’information comme il l’entend.
L’espoir de connaître enfin la vérité
Reste que l’on voit mal comment un média peut commenter une telle histoire autrement que dans le registre du pathos. Aussi bouleversante soit sa disparition, Émile n’est probablement pas décédé des suites d’une mauvaise politique, d’une dramatique décision économique ou d’un travers de notre société. Aucune leçon collective ne saurait être tirée de sa mort, si ce n’est que l’on peut se féliciter d’avoir en France une gendarmerie et une justice sachant se donner les moyens d’élucider les plus terribles affaires.
Cette mort est une tragédie. Elle n’est qu’une tragédie. Osons une hypothèse : si elle émeut tant les Français, c’est non pas tant parce qu’elle remue en eux le voyeurisme ou le goût de l’énigme, mais bien davantage parce qu’elle les conduit à un fol espoir: celui que la vérité soit faite sur ce drame, que l’enfant n’ait pas souffert, et que ses parents puissent surmonter cette épreuve indicible.
Depuis qu’il est au pouvoir, Erdogan a empêché de nouvelles têtes d’émerger au sein de son parti, l’AKP, compromettant ses chances de conserver le pouvoir en Turquie. L’analyse de Selmin Seda Coskun, chercheuse associée et co-animatrice du programme de recherche “Le nouvel Orient turc”1 de l’Institut Thomas More.
Les élections locales ayant eu lieu ce dimanche 31 mars vont sans doute marquer le début d’un nouveau cycle dans la vie politique turque. Si elles ne signifient pas la fin du règne personnel d’Erdogan, elles marquent la fin de la prédominance de son parti, désormais en grave déclin. La défaite de l’AKP conduira selon toute vraisemblance à sa fragilisation et, Erdogan ayant annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2028, son ou ses successeurs risquent d’avoir du mal à reproduire ses succès. D’autant que, forte du succès de dimanche, l’opposition devrait avoir le vent poupe pour 2028.
Le CHP premier parti du pays
Avec l’un des meilleurs résultats de son histoire à un moment où il semblait le plus ébranlé après sa défaite aux élections présidentielle et législative de mai 2023, le CHP (Parti républicain du peuple, centre-gauche), principal parti d’opposition, a non seulement conservé les grandes villes d’une importance cruciale (Istanbul, Ankara, Izmir) mais a réussi à accroître le nombre de ses voix dans tout le pays. Il a battu les candidats de l’AKP dans plusieurs de ses bastions. Avec le taux de participation de 78%, remportant un total de 35 villes et 420 municipalités à l’échelle de la Turquie, le CHP est devenu le premier parti de Turquie (37,74%), devant l’AKP (35,54%).
Le terne Kılıcdaroglu écarté
Trois principaux facteurs expliquent le succès de l’opposition. Premièrement, après la défaite du CHP en 2023, la nouvelle direction du parti (Özgür Özel remplaçant Kemal Kılıcdaroglu) a pris des risques avec une nouvelle organisation et une nouvelle méthode de travail, qui se sont révélées payantes. Outre Ekrem Imamoglu, le charismatique maire d’Istanbul, qui s’est posé en brillant rival d’Erdogan ces dernières années, Mansur Yavas, maire d’Ankara, a également fait une remarquable campagne. Deuxièmement, le CHP a su rallier les voix du parti IYI (centre-droit) et des Kurdes, qui ont pour leur part éclipsé l’AKP dans les régions de l’est et du sud-est du pays. Enfin, la démobilisation des électeurs de l’AKP, notamment en raison de la récente crise économique, a donné un net avantage à l’opposition.
L’AKP et sa coalition conservent le pouvoir central
Cette sèche sanction s’explique aussi, plus profondément, par le fait que l’AKP n’a cessé de décliner ces dernières années. Fondé par Erdogan dans le prolongement de partis islamistes déjà existants, l’AKP est au pouvoir depuis qu’il a remporté ses premières victoires électorales en 2002. Depuis qu’Erdogan a quitté la présidence du parti en 2014, le fossé entre lui et son parti s’est lentement creusé. Lors des élections de 2015, l’AKP perdit pour la première fois sa majorité parlementaire sous la direction d’Ahmet Davutoglu, alors Premier ministre. Et Binali Yıldırım, qui prit ses fonctions en 2016, ne fut pas en mesure de rétablir l’élan d’Erdogan. Depuis, l’AKP n’a trouvé à s’allier qu’au parti nationaliste MHP, peinant à élargir sa base. Certes, avec le soutien des partis nationalistes, islamistes et islamo-kurdes, l’AKP est arrivé à obtenir la majorité au Parlement lors des élections de 2023. Mais, après ces élections, le gouvernement s’est trouvé confronté à d’importantes difficultés économiques qui l’ont vite rendu impopulaire. À l’inverse des élections de 2023 et suite aux dévastations économiques causée par les tremblements de terre majeurs de février, les élections de 2024 se sont déroulées avec des ressources limitées. L’AKP n’a pas pu faire de promesses inconsidérées. Poussant vers un vote-sanction nombre de retraités, d’employés et de chômeurs, mécontents d’une l’hyperinflation croissante, la crise économique actuelle a été la principale alliée de l’opposition.
Qui sera sultan à la place du sultan ?
On voit mal comment l’AKP pourra conserver le soutien massif de pans entiers de la population après le départ annoncé d’Erdogan, car une grande partie de ce soutien repose sur son leadership personnel. Comme l’analysait Max Weber, un leader qui sait bien lire la sensibilité d’une société et en exprimer les attentes peut être suivi par la masse, parce que le sentiment d’impuissance ressenti par la société peut être renforcé par l’influence de son charisme. Cependant, ce type de leadership émerge généralement d’une conjoncture sociologique et politique singulière, d’un moment de crise ou de doute d’une société. Erdogan a su capter l’attention d’une partie de la population turque sensible aux revendications musulmanes, en réaction à l’héritage politique kémaliste. Sa capacité à lire les sensibilités sociales et à s’intégrer à la société a renforcé son influence, suscitant chez certains un sentiment d’impuissance face à son charisme et à sa confiance en lui-même. A ce jour, on ne voit personne dans son camp capable de lui succéder.
A l’inverse, l’opposition dispose de deux fortes figures. Au lendemain de ce 31 mars, bien des acteurs se projettent dans l’après-Erdogan. Il est possible, bien sûr, qu’Erdogan se lance dans des modifications constitutionnelles (dont il a parlé avant l’élection) ou annonce des élections anticipées. Mais même s’il faisait un tel choix, celui d’une fuite en avant autoritaire, il ne pourra effacer les résultats de dimanche.
Un nouveau cycle s’ouvre. Celui de tous les dangers, peut-être. Mais aussi celui de toutes les opportunités, si l’opposition sait être à la hauteur de l’enjeu.
Avant même de savoir qu’il avait ce magnifique patronyme, qu’il s’appelait Émile Soleil, je le trouvais solaire. La blondeur, le sourire éblouissant, mais surtout la photo avec le pissenlit rond et jaune accroché à l’oreille, tout en lui évoquait l’astre du jour au matin, dans le plein triomphe de son enfance radieuse. Mais pour que cette image ne soit pas gâchée de mièvrerie, le visage montrait aussi de l’énergie, une masculinité déjà affirmée, comme celles de l’époque où l’on n’avait pas accolé à ce mot l’adjectif atroce et injuste de “toxique”. Encore quinze ou seize ans et Émile ferait chavirer bien des cœurs de demoiselles en Provence et au-delà.
Pâques est lié au printemps, au resurgissement du jeune soleil qui a triomphé de la nuit à l’équinoxe. Noël est de la nuit et Pâques est du matin, Noël est de l’hiver et Pâques est du printemps. La Providence l’a voulu ainsi pour que l’année liturgique chrétienne soit liée à nos rythmes biologiques les plus profonds. Que ceux qui en doutent lisent les deux ouvrages de Jean-Christian Petitfils Jésus et Le Suaire de Turin, l’enquête définitive. Dans le premier il explique que la conjonction de planètes identifiée par Kepler comme étant l’étoile de Noël, qui a lieu tous les 753 ans, se reproduit trois fois dans l’année, dont la dernière fin décembre. Dans le second, il nous apprend que les spécialistes de pollens ont trouvé dans le Suaire des traces d’une plante qui n’existe qu’autour de Jérusalem et fleurit en avril. Ceux qui croient encore aux résultats du carbone 14, erronés et traficotés, me recopieront le livre de Jean-Christian, qui fait tout de même un nombre de pages respectable.
Je ne vais jamais à la Veillée Pascale, qui me paraît un contresens moderniste même si elle a parait-il des racines anciennes, je vais toujours à la messe du matin de Pâques et j’y entends le sublime évangile de Luc sur le matin de la Résurrection : “Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant”.
Mais voilà que la réalité voulue par Dieu, ou par le hasard, chacun juge suivant ses convictions, a mis un terme à la vie d’Émile Soleil de la pire façon. La veille de Pâques, une femme a trouvé un crâne d’enfant dans un bois peu éloigné du Haut-Vernet, l’a pris avec précaution et a appelé les gendarmes. Le crâne a été authentifié dans la nuit, et au matin la terrible nouvelle a été portée aux parents. Une note du Figaro dit que l’annonce leur a été faite pendant qu’ils quittaient leur maison pour aller à la messe de la Résurrection, une autre note dit qu’ils auraient été informés pendant la messe, ce qui serait un comble de cruauté. Toute l’histoire d’Émile est comme saturée de symboles, au-delà du christianisme elle semble renvoyer aux contes les plus archaïques de l’humanité. L’enfant s’est perdu dans la forêt des terreurs ancestrales et, à l’inverse du petit Poucet, il avait oublié de disposer des cailloux pour retrouver son chemin.
Pour un chrétien, c’est une histoire tout à fait scandaleuse, déroutante, une épreuve qui risque de faire croire davantage en l’existence du diable qu’en celle de Dieu. On se souvient que dans La Peste de Camus, le docteur Rieux a perdu la foi à cause de la mort d’un enfant innocent. Une envie puérile nous prend, celle de pousser Dieu de son trône et d’installer une tout autre histoire dans les bois du Haut-Vernet. Le co-pilote de la German Wings s’est éjecté au dernier moment, il ne voulait pas se suicider, mais satisfaire sa haine terrible de l’humanité. Il a échappé aux recherches et survécu dans la rude montagne des Trois-Evêchés en retournant à l’animalité, en vivant comme les loups et les ours, en s’abritant au plus fort de l’hiver dans une tanière. Un soir de l’été suivant, il a vu venir à lui un petit ange blond qui l’a bouleversé et a réveillé son humanité. Il n’était ni ogre ni pédophile, mais a voulu garder près de lui cet enfant merveilleux comme Silas Marner, le tisserand avare de George Elliot dans le roman éponyme. Cet homme trouve une fillette blonde à sa porte un soir de Noël et l’adopte. Au matin de Pâques, l’homme en guenilles a pris l’enfant par la main, l’a ramené au village, et a disparu après l’avoir laissé à la première maison. Plus besoin de chercher parmi les morts cet enfant qui est vivant ! Joie immense dans la chrétienté, consolation contre la fin programmée de la catholicité par manque de prêtres, consolation contre le massacre universel des chrétiens, au Sri Lanka, dans la banlieue de Rouen, au Nigéria, Pakistan etc…
Mais Dieu est avare de miracles, il a refusé mon scénario à l’eau de rose. Alors, pourquoi croire encore en Lui ? D’abord pour suivre l’exemple de la famille d’Émile, qui a manifesté tant de dignité dans sa douleur, qui a totalement refusé le quart d’heure de célébrité warholienne dont l’attrait difficilement résistible fait naître en ce moment des vocations de plus en plus nombreuses de menteurs et surtout de menteuses. Il y a juste eu ce très court message de la mère qui suppliait un éventuel ravisseur de lui rendre Émile, message uniquement vocal. Aux dernières nouvelles, personne dans cette famille très chrétienne n’a annoncé qu’il renonçait à sa foi pour cause de cruauté divine dans cet antimiracle.
Quant à moi, j’ai une foi de charbonnier indéracinable, mais je propose à ceux qui ne l’ont pas la lecture de l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils dont je parlais, Le Saint Suaire de Turin, Témoin de la Passion de Jésus-Christ. Dieu nous a laissé une preuve matérielle de la Résurrection, mais comme dans la nouvelle d’Edgar Poe La lettre volée, elle est trop visible pour qu’on la voie. Le grand historien a mené une enquête approfondie sur l’itinéraire du Suaire, de Jérusalem à Constantinople, puis en Champagne après le sac de la ville par les Croisés, en Savoie et aujourd’hui à Turin. Il explique longuement les erreurs et les mensonges des trois laboratoires différents qui ont voulu dater le Suaire au carbone 14, il rend compte de toutes les analyses scientifiques qui ont prouvé que le linge a été tissé au Proche-Orient au Ier siècle après-JC. Des spécialistes des tissus anciens aux spécialistes des pollens, des centaines d’universitaires y ont travaillé, mais on bute à la fin sur l’impossibilité absolue d’expliquer la formation de l’image.
Les ossements d’Émile seront tôt ou tard confiés à la terre, il nous restera ce visage si émouvant de l’Enfance Eternelle qui fera peut-être le miracle de ralentir la dénatalité en Occident.
Jusqu’à présent, les personnes transgenre devaient importer leurs sous-vêtements des États-Unis, en les commandant sur internet, apprend-on. Heureusement, en France, la marque Be Who You Are, qui propose des « sous-vêtements d’affirmation de genre », se décide enfin à « casser les codes ».
L’opportunisme marchand étant à peu près sans limites, voici que vient de se créer une ligne de sous-vêtements destinés aux personnes trans, celles et ceux qui se trouvent confronté(e)s aux affres de la « dysphorie de genre ». Selon la définition du Groupe Hospitalier Universitaire Paris (GHU, psychiatrie et neurosciences), « le terme dysphorie de genre décrit le sentiment de détresse ou de souffrance qui peut être exprimé parfois par les personnes dont l’identité de genre, l’identité sexuée ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. » Préalablement le GHU rappelle la notion de base selon quoi le sexe renvoie aux « caractéristiques physiologiques qui différencient les hommes et les femmes, alors que le genre renvoie davantage à la dimension sociale et culturelle de la sexuation: les rôles, les comportements, tous les attributs qu’une société considère à un temps donné comme appropriés à un sexe. »
Ricanements
Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de contester le moins du monde le fait que se sentir homme dans un corps de femme ou femme dans un corps d’homme puisse être cause de mal-être, de souffrance, et que comme toute souffrance celle-ci nécessite un accompagnement, éventuellement une prise en compte et en charge. C’est l’évidence même. Dès lors, considérée de ce point de vue, il n’y a rien à redire quant à l’initiative « cache sexe » des promoteurs de la ligne de sous-vêtements « Be who you are », en bon français « Soyez ce que ce vous êtes »1. Des sous-vêtements dont le port permet, par compression des protubérances mal venues, de modifier l’apparence genrée de la personne. (Un esprit taquin et outrageusement réactionnaire pourrait faire observer que nous serions donc là plus près du « Soyez ce que vous n’êtes pas » que du « Soyez ce que vous êtes »).
Cachez ces seins que nous ne saurions voir et aplatissez-moi, je vous prie, ce renflement obscène de l’entrecuisse, voilà schématiquement l’enjeu. Je suis probablement en retard d’une civilisation ou deux car j’en étais resté à ce qui avait cours autrefois, dans mes jeunes années. À l’inverse, les gamines avaient plutôt tendance à bourrer de coton leur soutien-gorge afin de se Maryliniser et on considérait que le renflement pubien avantageux des danseurs étoiles relevait de la même arnaque. Sans oublier bien sûr celui si généreusement mis en avant du torero, qui donnait lieu celui-ci à cette plaisanterie inusable et très fine qu’on se colportait en ricanant bêtement: « C’est là-dessous qu’il planque les piles pour l’habit de lumière ». Autres temps, autres mœurs, dirons-nous.
Tous victimes de la société
Là où on ne songera plus guère à ricaner c’est à la lecture de la définition évoquée plus haut, concoctée par les éminences dites scientifiques du GHU Paris, et qui assène sans autre forme de justification, d’argumentation que « l’identité de genre, l’identité sexuée » ne relèverait aucunement de l’état de nature – en avoir ou pas – mais à une « assignation » qu’exercerait dès la naissance la très perverse société, distributrice des rôles, des comportements, des attributs pour la seule satisfaction de supposés besoins.
On touche alors à l’essentiel de la doctrine, du dogme : il faut absolument une victime et un coupable. Un opprimé et un oppresseur. Le reste ne serait que (mauvaise) littérature. La vérité de la nature ne compte pas. Au lieu de promouvoir l’apaisante acceptation de cette vérité de nature, et donc l’harmonie toute simple et indolore entre sexe et genre, on s’ingénie à cultiver le terreau du mal-être, de la souffrance. La souffrance pour tous, puisque tout être naissant et grandissant se voit désormais plus ou moins sommé de se poser un jour ou l’autre la question : être ou ne pas être, suis-je ce que je suis ? Ou m’a-t-on délibérément abusé, violé dans mon être même en me serinant dès la sortie du ventre de ma mère : « tu seras un gars ma fille, ou tu seras une fille mon gars ! » Comme si l’adolescent, l’adulte en devenir ne portait pas en lui, avec lui, assez de doutes, d’incertitudes de questionnements comme cela sans aller lui en fabriquer un de plus – et de quel calibre !- tout à fait artificiellement, tout au moins dans l’immense majorité des cas ? Il faudrait quand même que nous nous mettions à nous interroger sérieusement sur ce penchant très actuel qui consiste à tout mettre en œuvre pour tourner le dos aux quelques chances que pourrait avoir notre humanité d’être une humanité heureuse. Enfin, un peu plus heureuse. C’est-à-dire davantage à l’écoute de la nature, pas seulement pour la sauvegarde du coléoptère des mares à canards, mais avant tout pour le petit d’homme. Il le vaut bien, comme il est dit dans la réclame.
Des justiciers inquiétants partent en guerre. Ils entendent notamment défendre un peuple chaque jour plus nombreux, celui des victimes de la « mémoire traumatique ».
« Judith Godrèche et Édouard Durand. Leur combat contre l’impunité », pouvait-on lire en couverture du magazine Télérama le 25 mars 2024[1]. « Impunité ». Le mot claque comme un étendard de croisade. Chargé d’affect revanchard, il vise à entraîner les foules derrière lui pour en découdre avec les puissants, les « dominants » dit-on plus volontiers aujourd’hui. N’est-ce pas d’ailleurs comme un seul homme qu’un mois plus tôt se sont levés, béats, éblouis, un peu hallucinés même, les participants à la cérémonie des César à l’arrivée au micro de Judith Godrèche annonçant « l’aube d’un jour nouveau[2] ». On serait bien sûr accusé d’avoir atteint le point Godwin si on osait évoquer d’autres salles frénétiques acclamant celui qui leur annonce l’avènement d’un « ordre nouveau ». On s’en gardera bien par conséquent, la mise au pas (« Gleichschaltung » disait-on sous le nazisme) et l’abdication au conformisme étant déjà bien installées.
La tarte à la crème du continuum des violences sexistes
Au demeurant, si l’association libre n’est pas de mise, l’analyse est encore possible dans quelques espaces préservés, et elle s’impose. Tant les possédées et leurs exorcistes, les sorcières et leurs inquisiteurs, les flagellants et les croisés des temps obscurs font retour, enténébrant un peu plus encore notre époque déjà bien inquiétante. Parmi les cortèges « intersectionnels » de repentis et de pénitents, « l’abus sexuel » est une arme majeure de la dénonciation de l’Occident honni, en l’occurrence dit « hétéronormé », « patriarcal » et « viriliste ». Du compliment badin et du regard admiratif ou lubrique au viol meurtrier, en passant par la remarque salace, le geste déplacé et le harcèlement, il y aurait un « continuum » « systémique ».
La nature foncièrement violeuse des hommes relèverait du déni et d’une révoltante impunité judiciaire. Des justiciers auto-proclamés se sentent donc le devoir sacré de se lever. On amalgame alors pêle-mêle les enfants réellement victimes d’inceste et les femmes battues ou brutalement violées, aux adolescentes « sous emprise » de Pygmalions quadragénaires, aux victimes supposées « en sidération » et à toutes celles qui en séries effarantes se souviennent soudainement d’un traumatisme vieux de plusieurs décennies. Dans tous ces cas si divers, une même omerta de l’establishment serait à l’œuvre. L’impunité justifierait qu’on en appelle à la « justice populaire », réparatrice d’une justice institutionnelle considérée comme défaillante voire pire, complice des crimes contre les dominés, et qui devrait être réformée par de nouvelles lois toujours plus répressives et liberticides.
La Robespierre du Fouquet’s ! Pour Emmanuelle Devos avec le mouvement #MeToo «Ceux qui ont abusé vont dégager, c’est comme ça, et bien sûr qu’il y a des têtes qui vont tomber qui n’auraient peut-être pas dû tomber mais ça, ce sont les révolutions. C’est comme ça !» pic.twitter.com/fzlfGWt9kR
Or, la dénonciation de l’impunité est un des éléments constitutifs des discours populistes aussi variés soient-ils par ailleurs. Parties d’Argentine dans les années 90, les croisades contre l’impunité ont d’emblée agglutiné la douleur des proches de réelles victimes de la dictature de Videla et consorts, aux rancœurs économiques et sociales et aux déceptions politiques. Devenu un signifiant vide susceptible de se gonfler de toutes les peines et de tous les ressentiments possibles, l’impunité s’est ainsi retrouvée au cœur du mouvement des années 2010, galvanisé par l’opuscule de Stefan Hessel Indignez-vous ! Comme les Mères de la Place de Mai argentines, les Indignés du monde ont conspué tous les puissants, leur malignité, leur immoralité, leur impudicité. Ils réclamaient justice donc, une justice qui condamne a priori et sans autre forme de procès que la rumeur et l’opprobre médiatique, les ennemis du peuple par définition corrompus, pervers et licencieux.
De Nuits Debout aux Gilets Jaunes, des Femens assaillant la voiture de Dominique Strauss-Kahn aux manifestantes enjoignant Roman Polanski de « boire leurs règles » (voir Sabine Prokhoris, Le mirage #MeToo et Qui a peur de Roman Polanski ?) les redresseurs de torts organisent alors scandales de rue (escraches en espagnol argentin) et blocages de route (piquetes en espagnol argentin) et allument des bûchers dans les villes et les campagnes.
Toute mobilisation populiste reposant sur le principe de la légitimité absolue de la volonté du « peuple », et du caractère incontestable de sa parole, le mouvement néo-féministe de type féminiciste (essentialisant les femmes comme des victimes actuelles ou potentielles, voir Renée Fregosi, Le Figaro Vox 2017/11/28, « Un néo-féminisme victimaire, puritain et sexiste ») proclame donc « Femmes on vous croit !». Et le « petit juge » vengeur des enfants, Édouard Durand, affirme sa doctrine comme un principe intangible « Quand un enfant révèle des violences, il faut le croire et le protéger[3]».
L’histoire en marche ?
Alors, comme le rapporte Le Monde, les justiciers se ressemblent et se rassemblent dans une cohorte sans fin : « Dans une société de déni, ceux qui combattent les violences sexuelles forment un collectif de personnes qui s’identifient rapidement, remarque Edouard Durand, dans un café. Après Christine Angot, Adèle Haenel, Vanessa Springora, Camille Kouchner ou Emmanuelle Béart, Judith Godrèche s’inscrit dans une histoire et la fait avancer. »[4]
Certes à l’ère de l’internet, la mobilisation populiste s’organise et s’entretient de façon autonome et autoréférencée à travers les blogs et les réseaux sociaux. Les leaders n’en sont que des porte-paroles occasionnels et éphémères, qu’ils appartiennent au monde politique, à ceux des médias ou du spectacle. Le temps que dure une campagne de promotion personnelle autour d’un livre, d’une série télévisée ou d’une nomination. Au demeurant, la lame de fond du ressentiment continue d’agiter la population, faisant vaciller les fondements de l’État de droit, de la libre pensée et de la concorde nationale. Mais le business justicier n’en a que faire.
Pour la littérature, merci patronne ! Enfin libérée d’une terrible « emprise », Johanna Silva, l’ex-compagne et ex-attachée parlementaire du député gauchiste de la Somme publie L’Amour et la révolution (Textuel, 2024). Un récit politique et sentimental navrant.
Au siècle dernier, Maurice Blanchot s’est préoccupé de l’Écriture du désastre. En ce premier quart du vingt-et-unième siècle, c’est au désastre de l’écriture que contribue Johanna Silva.
Même s’ils aiment beaucoup les idées de M. Ruffin, les journalistes de la presse de gauche se sont fait l’écho du livre de Mme Silva (Télérama, Libération, Le Monde…)
L’écriture pratiquée comme une thérapie, stade ultime de « l’écriture de soi » sera bientôt considérée comme un genre littéraire à part entière ; ce que redoutait Flaubert est arrivé : l’écrit est devenu le réceptacle privilégié de « l’écume du cœur »,« un déversoir à passion », « un pot de chambre un peu plus propre qu’unesimple causerie ». Avec un récit autobiographique intitulé L’Amour et la révolution, l’ancienne « compagne de route » et « bras droit » de François Ruffin apporte une solide contribution à ce tout jeune style littéraire. Dans un texte dont l’indigence n’a d’égale que la puérilité, Johanna Silva revient sur cinq années d’une emprise amoureuse et politique dont elle triomphe par le truchement de l’écriture. Armée de ses seuls mots, « l’auteure » se lance dans la reconquête de soi pour mieux affirmer son néo-féminisme ; l’aventure commence : « Le jeudi 20 janvier2022, après plus de trois ans sans pouvoir me débarrasser du boulet de tristesse et dedoutes que je traînais depuis que j’avais quitté François, j’ai décidé d’écrire. Je me rends compte maintenant, sans jugement ni regret comme j’étais encore bloquée dans l’enfance (…) En écrivant (…) je cessais de me battre contre moi et j’ouvrais enfin les yeux. » On admet avoir été tenté de fermer les nôtres. Et puis, on a lu ces confidences. Consternantes dans la forme, elles n’en constituent pas moins un document édifiant pour comprendre une époque qui n’en finit pas de vriller.
Johanna Silva est diplômée de Sciences-Po Lille ; elle a 25 ans lorsqu’elle rencontre François Ruffin. À la manière d’une gamine naïve, la voilà qui s’embringue dans une relation amoureuse aussi vénéneuse que pathétique : « (…) je souffrais, mais c’était beau, c’était beau comme je l’aimais (…) Je nous imaginais Sartre et Beauvoir (…) Devant la première saisond’House of Cards, j’ai pensé à nous aussi (…) » L’amoureuse devient alors le factotum de l’homme politique : « maitresse d’ouvrage » au journal Fakir, productrice du film Merci Patron !, organisatrice de Nuit debout, attachée parlementaire, enfin. Grâces soient rendues au mouvement #MeToo qui dessille les yeux de la jeune femme sur la question de la domination : la pauvre enfant réalise la toxicité de l’atmosphère saturée de testostérone dans laquelle elle baigne jusqu’aux dents. La malheureuse en était même rendue à tolérer que « François » et ses acolytes virils la chambrent en l’appelant « la petite-bourgeoise. » Elle explique : «Cette culture de la vanne bien placée, des rires gras, des piques incessantes, ne faisait aucune place à un partage sincère d’émotions. » Elle ajoute: « Pour la première fois, je sentais la domination masculine (…) Le féminisme m’était entré dans le corps. »
Fête à neuneu: déposez votre cœur au vestiaire
Autre découverte majeure de l’ingénue : la politique exacerbe la violence intrinsèque à l’Homme. Pour survivre l’élite politique, blanche et masculine (Pourquoi d’ailleurs le préciser ?) sait dissimuler ses failles. Pourtant : « Le monstre, ce sont les partis, les syndicats, les organisations en tout genre – ou plutôt, leur bordel interne, leur défiance externe, les rapports de force entre les structures et au sein de chacun.e. Le monstre c’est ce qu’il y a de mesquin en nous et entre nous (…) » Du reste, il n’y a qu’à se souvenir de l’une des déclarations de Mélenchon : « On vient d’une école politique où l’on dépose son cœur àl’entrée. » Ce savoureux récit montre également l’installation du wokisme et de l’islamo-gauchisme dans le paysage politique et les esprits. Ainsi, après l’attentat du 7 janvier 2015, Johanna Silva déplore l’assignation à « être Charlie ». « S’installe le sentiment que désormais, on ne pourra plus jamais critiquer Charlie Hebdo et son acharnement un peu malsain contre les Musulmans, sous peine d’être accusé.e de complaisance avec les terroristes. » « Entre la tristesse, l’effroi, l’anticléricalisme et l’anti-islamophobie, le dégoût et le malaise face à la pensée unique, comment trouver la voie ? » s’interroge-t-elle. Il y aura ensuite Nuit debout : « Nuit debout était une nébuleuseterrible, aux mille initiatives impossibles à canaliser. » Les soirées festives, enrichissantes et fructueuses s’enchaînent. «Aussitôt le cul posé par terre je perds le fil,qui n’existe d’ailleurs pas, les prises de parole se succèdent sans rapport les unes avec les autres. » Elle précise : « (…)des bâtiments de fortune ont fleuri (…) Dans un coin, la commission Potager debout arrache des pavés du sol pour semer quelques graines, pendant que les Avocats debout conseillent gratuitement des gens en galère. » La fête à Neuneu bat son plein.
François sera élu député en juin 2017 et Johanna Silva est toujours là, fidèle intendante. « Avec sonélection les choses prirent un tour vraiment dérangeant. Dès les premières semaines, je dus m’occuper de sa déclaration d’intérêts et d’activités, ainsi que de sa déclaration de patrimoine. » « Je finis par connaître mieux que François sa propre situation administrative. Pourquoi alors ne pas me charger de déclarer ses impôts ? » La jeune femme, dont la conscience politique et féministe s’affirme, finit par porter un regard plus critique sur « François ». Elle le juge parfois trop timoré dans ses prises de position : « Sur les violences policières par exemple. C’est comme s’il ne lui était pas rentré dans le crâne qu’elles étaient le fait d’un système et non des bavures isolées. » Elle raconte : « Dans ma vie, la question du genre prenait de plus en plus de place (…) Le groupe de musique que nous avions créé l’année précédente, les Oiseaux n’était composé que de femmes (…) Sans l’avoir prévu ni même formulé, nous expérimentions les joies du groupe de parole non mixte. »
C’est après l’organisation, en mai 2018, d’une dernière manifestation, La Fête à Macron, que la jeune femme se décide à quitter définitivement le giron de « François ». « J’avais un nouveau cheval de bataille qui m’était propre : je voulais défendre l’humanité, la vulnérabilité, la bienveillance au sein du monde politique. Je sentais bien que ce n’était pas une niaiserie, qu’il y avait quelque chose à creuser. (…) J’en étais même venue à considérer mes pleurs intempestifs comme une arme. » On ne sait pas si la politique s’en trouvera mieux mais, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un graphomane de plus nous est né !
« L’écrivain relève de l’ancien monde du jugement, du tri, de la discrimination, de la rareté. Le graphomane baigne dans le nouveau monde du marché, de la démocratie fatiguée, de la littérature comme art de masse et du droit à écrire. »
« Le graphomane est le gentil compagnon de route de la nouvelle civilisation. »
Philippe Muray, Ultima Necat VI, Journal intime 1996-1997
Alors que vous vous apprêtez à déguster votre Causeur, vous ignorez sans doute que le progrès a encore frappé. Si le calendrier parlementaire a été tenu, la France s’apprête à mettre fin à une injustice millénaire en instaurant le congé menstruel[1]. Des esprits chagrins objecteront que les femmes n’ont pas toutes envie de claironner qu’elles ont leurs règles et qu’elles pouvaient parfaitement, jusque-là, obtenir un arrêt-maladie sans en préciser la raison. C’est se méprendre sur l’objectif, qui n’est pas de remédier à une situation concrète (que la médecine prend heureusement en charge), mais de lutter contre la scandaleuse invisibilité des règles douloureuses qui prévalait jusque-là. Certes, elles n’étaient pas invisibles pour tout le monde, la plupart des hommes sachant très bien qu’il y a des jours où il vaut mieux faire profil bas. Mais le partage intime de la souffrance ne suffit pas. Il faut que celle-ci, dûment intégrée à la panoplie des malheurs féminins, bénéficie d’une reconnaissance publique et des dispositifs afférents. Comble de félicité, on pourra désormais en causer à la machine à café. Si vous en soupez à la maison, vous en reprendrez une dose au bureau.
Les deux députés écolos qui ont pondu ce texte ont évidemment brandi des statistiques prouvant que ce fléau oublié touche une femme sur deux (ce qui est certainement vrai). Seulement, une cause sans coupable à dénoncer, c’est moins rigolo. Or, on peut difficilement prétendre que les règles sont un mauvais coup du patriarcat. Puisqu’ils ne peuvent pas accuser, les deux compères s’emploient à culpabiliser. En organisant une expérience grotesque relatée avec un impayable sérieux par les médias. « “Des petits coups de poignards” : des députés testent un simulateur de règles douloureuses », annonce Le Parisien. Des élus de tous bords se sont prêtés au jeu avec enthousiasme. Sur la vidéo diffusée sur X, on voit Louis Boyard, Clément Beaune et quelques autres grimacer et pousser des petits cris aigus, en étouffant des rires d’adolescents attardés. Le tout assaisonné de commentaires de haut vol : « ça fait super mal, en fait », « très douloureux », « horrible ». Tous fayotent de façon éhontée, expliquant à quel point il est important de se mettre à la place de l’autre. Bref, si vous voulez vous payer un bon fou rire, ne ratez pas ce spectacle[2].
Curieusement les confrères, généralement si imbus de leur scepticisme, ont gobé sans discuter l’histoire du simulateur de douleur menstruelle. Pas un n’a demandé comment fonctionnait cet appareil magique. Permettra-t-il à des hommes de ressentir les affres de l’accouchement, voire ceux de la marche sur stilettos ? Des femmes comprendront-elles enfin la rage du type qui se coupe en se rasant et tache sa chemise propre au passage ? Nos deux écolos n’ont pas seulement fait faire un pas de géant à l’espèce, ils ont revisité sans le savoir l’antique mythe de Tirésias, devin aveugle qui fut alternativement homme et femme.
Sur l’origine de cette sorcellerie, les récits divergent. Pour l’un d’eux, Tirésias, née femme, se refusa à Apollon qui la changea en homme afin de lui faire comprendre ce qu’était l’implacable emprise d’Éros. La version la plus amusante est que le malheureux fut sommé de ramener la paix entre Zeus et Héra qui se chamaillaient pour savoir lequel prenait le plus de plaisir à leurs polissonneries. Répondant que c’était la femme, Tirésias déclencha la colère d’Héra, qui était très à cheval sur son statut victimaire. Et toc, elle le transforma en gonzesse, histoire de lui montrer que ce n’était pas marrant tous les jours.
Ayant été pleinement homme et pleinement femme, Tirésias est le seul humain à avoir percé le mystère insondable de l’autre sexe. Qui ne réside pas, quoi que pensent nos bons députés, dans la manière dont chacun ressent ses embarras gastriques ou ses rages de dents, mais dans ce qu’il éprouve quand il désire et quand il jouit. Aucune femme ne comprend ce qui se passe dans le cortex d’un homme troublé par une jupe qui vole ou une bretelle de soutien-gorge qui glisse, ni les efforts qu’il doit faire pour s’empêcher. Enfin, tu ne peux pas te retenir ? Ils peuvent, mais c’est dur.
Le charme particulier de la vie hétérosexuelle, c’est cette opacité irréductible : on peut vivre un amour fusionnel, dormir toutes les nuits dans le même lit et les mêmes bras, il reste dans l’autre sexe un noyau inconnaissable. Les petits comptables de l’intime peuvent surveiller le partage des tâches ménagères, ils n’arriveront pas à imposer la mutualisation des fantasmes. Le totalitarisme de la transparence n’y peut mais : l’imaginaire fait chambre à part.
[1] Un texte octroyant 13 jours d’arrêt maladie par an aux femmes souffrant de règles douloureuses devait être discuté le 4 avril à l’Assemblée nationale.
[2] On peut voir la vidéo sur le fil de Sébastien Peytavie, l’un des deux initiateurs du texte.
Alors qu’elle publie une sélection de ses textes dans la collection Quarto de Gallimard, et en fait la promotion, l’écrivaine refuse de se soumettre aux sommations. Elle rappelle qu’elle n’appartient à aucun camp – ni à celui des « réacs », ni à celui de ceux qui aimeraient la cataloguer comme telle. «Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail» répond-elle quand Le Point lui demande ce qu’elle pense du déclin de l’Occident.
Quand on admire, on n’a pas à s’excuser de répéter. Si mon titre insiste sur le fait que Yasmina Reza est « bien plus qu’une femme », ce n’est pas pour porter atteinte à la catégorie des femmes mais pour montrer qu’il y a des personnalités qui échappent naturellement à leur genre pour susciter une adhésion sinon universelle du moins détachée de toute tonalité de sexe. Je suis d’autant plus heureux que son actualité – parution le 4 avril de On vient de loin, Œuvres choisies chez Gallimard – justifie ce billet.
Pessimisme souriant
Il y a depuis quelque temps un courant prétendument progressiste mais au fond préoccupant, qui met en évidence un communautarisme féminin faisant croire à un univers spécifique pour les femmes. Comme si, sorties de l’humanité rassembleuse, elles avaient besoin qu’on leur adresse des messages à la fois d’une totale banalité et prétendument adaptées à ce qu’elles seraient.
C’est d’abord à cause de sa géniale solitude que j’apprécie plus que tout Yasmina Reza. Qui est par ailleurs, pour ceux qui ont la chance de la connaître, un être d’une délicate et merveilleuse urbanité. Et mon admiration va vers une finesse et une intelligence hors pair où on sent, sans qu’elle la présente de manière vulgaire et ostentatoire, une philosophie de pessimisme souriant, de tendre désabusement pour tous ces humains dans lesquels elle se place. En même temps que par la conscience de leur finitude, ils sont habités par l’énergie de vivre et jouent comme ils peuvent dans la comédie cynique, ironique, drôle, tragique et déchirante de leur existence.
Ce n’est pas rien, dans l’entretien qu’elle a accordé à Saïd Mahrane dans Le Point[1] que d’entendre le ministre Bruno Le Maire, écrivain lui-même (et comme il a raison de ne pas jeter l’écriture au prétexte qu’il est ministre !), s’écrier que « Yasmina Reza, c’est la France » et, bien davantage, Michel Houellebecq, lassé face « à l’évocation de grands noms de la littérature contemporaine », soupirer : « Reza ? Ah oui, elle, je l’aime bien ». Alors qu’elle affirme : « Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail », elle n’hésite pas à révéler ses inquiétudes dont la principale tient « actuellement…à l’absence de liberté. J’hésite à parler d’une perte parce que je ne sais pas si nous l’avons eue à un moment donné. Mais on rencontre de moins en moins de gens libres de penser… L’esprit communautaire – pour ne pas dire totalitaire – de la pensée règne partout. Il y a sommation d’appartenir à un camp. Ce difficile exercice de la liberté m’inquiète, oui » et elle recommande d’inculquer aux enfants avant tout « l’indépendance de pensée. Penser par soi-même ».
Inclassable
Je n’aurai pas l’indécence d’instrumentaliser Yasmina Reza pour faire servir son verbe si lucide et sa pensée si juste à la défense de certaines causes médiatiques mais je ne peux m’empêcher de ressentir une familiarité qui m’honore avec son refus de l’inféodation et son indifférence à l’égard des étiquettes de droite ou de gauche qu’on appose absurdement sur elle. Sur ce plan, elle est décisive quand elle souligne qu’on ne peut pas « assujettir l’écriture à la peur de fâcher ».
Il y a la douceur un peu mélancolique de ces dernières pensées intimes : « La postérité ne me parle pas du tout. Ce qui me parle en revanche ce sont mes deux enfants. J’aimerais bien ne pas péricliter trop vite de leur vivant. Cela me ferait de la peine pour eux qu’ils n’entendent plus parler de mes livres quand ils auront mon âge ». Inclassable, géniale parce qu’elle dépasse la cause des femmes et ne se laisse pas embrigader dans les débats qui ont pour dénominateur commun de répudier l’universel, rendant tous les autres entretiens promotionnels vides de sens, elle pose sur le monde, les humains, la vie, la mort, l’amitié, l’amour, le regard infiniment tendre et lucide d’une femme revenue de tout mais toujours prête à repartir.
Les récents tweets énervés du journaliste (vous savez, ceux qui se terminent toujours par « Étonnant, non ? ») apportent la preuve qu’un militant de gauche convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement quand on lui retire son pouvoir.
Jean-Michel Aphatie n’est pas plus idiot que la plupart de ses confrères des médias ni plus à gauche qu’eux : il est seulement moins habile, moins capable de comprendre que lorsque le fond fait à ce point défaut il faut parfois déguiser la forme pour au moins faire illusion. La réalité est que le petit milieu médiatique est tout entier acquis à ces idées qui agitent un Aphatie complètement dépassé par les nouvelles réalités imposées par les réseaux sociaux et qui pense naïvement qu’en 2024 on peut encore assumer ces outrances comme on le pouvait au temps où les Français n’avaient aucun outil pour riposter. Les réseaux sociaux ont mis entre les mains des Français cet outil qui leur manquait, et maintenant les gens comme Aphatie ne peuvent plus divaguer sans qu’on leur fasse remarquer que le spectacle pathétique auquel ils se livrent est humiliant pour eux et salissant pour nous.
Éternel donneur de leçons
Ils ne le peuvent plus, ou beaucoup moins, alors ils s’abstiennent de trop divaguer, ou beaucoup moins, ou beaucoup plus subtilement. Sauf Aphatie qui se rêve encore dans la peau du donneur de leçons qu’il a toujours été derrière sa carte de presse et qui continue d’agir comme un bourrin, comme une brute scandalisée de découvrir que les Français, dès lors qu’ils s’affranchissent de sa tutelle, rejettent ses idées et adoptent celles qu’il déteste. Les nombreuses divagations quasi séniles d’Aphatie sur X (ex-Twitter), ses trépignements d’ancien enfant gâté à qui on a retiré son jouet, cette bile qui déborde de chacun de ses tweets ne sont pas la démonstration qu’un homme en vieillissant devient gâteux : ils sont la preuve qu’un gauchiste convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement lorsqu’il se trouve privé de pouvoir régner sans partage sur les consciences.
Après moi, le déluge
En somme, voyant venu la fin de son règne, Aphatie brûle ses vaisseaux et se perd en déclarations chaque fois plus brutales, plus caricaturales, plus imbéciles, plus médiocrement provocatrices, en se disant probablement qu’il n’a plus rien à perdre et qu’il n’a plus besoin de faire semblant d’être journaliste maintenant qu’il est évident pour tous qu’il ne l’a jamais vraiment été.
Je vous l’assure : Jean-Michel Aphatie est notre meilleur allié involontaire. Grâce à lui nous n’avons plus besoin de mettre en garde contre les dérives brutales et haineuses de la gauche : Aphatie en livre lui-même le spectacle. Nous n’avons plus besoin de convaincre qu’il y a en France des gens qui ne rêvent que de la salir : les mictions verbales d’Aphatie multiplient les démonstrations. Nous n’avons plus besoin d’alerter contre la déconnexion entre les petits milieux parisiens et le pays réel : il suffit de regarder Aphatie s’agiter contre tout ce qui compose la réalité anthropologique, culturelle et populaire de notre pays. Tout le programme de la gauche est là qui nous regarde avec les yeux ahuris de Jean-Michel Aphatie.
Merci Seigneur !
Remercions le Ciel de nous avoir donné un adversaire qu’il n’est même pas nécessaire de combattre et qui travaille de lui-même à nous donner raison. Il est tellement balourd qu’il a réalisé l’exploit d’être lui-même le remède involontaire contre son propre venin ! Et plaisons-nous à imaginer à quel point Aphatie doit mettre mal à l’aise son petit milieu, ses petits confrères-complices qui eux, soucieux par malice de rester des versions plus discrètes de ce qu’est ostentatoirement Aphatie, doivent intérieurement lui reprocher d’aider aussi frontalement à rendre visible ce qu’ils essaient de cacher sur eux-mêmes. D’ailleurs, voyez-vous beaucoup de journalistes prendre la défense d’Aphatie lorsqu’il se fourre dans ses polémiques ridicules ? Vous savez tout. Jean-Michel Aphatie n’est pas du tout une excroissance honteuse de la gauche dont il trahirait le message par ses excès. Il est la gauche, exactement la gauche, c’est-à-dire par définition la véritable intolérance, la tentation totalitaire, l’irritabilité face à la contradiction, la passion monomaniaque et évidemment la haine profonde, viscérale, contre la France et contre les Français. Et c’est cela la gauche, y compris lorsqu’elle ne l’assume pas aussi directement que lui. Il n’est pas une excroissance, il est la face émergée de l’iceberg. Ce monsieur rend des services gigantesques à ceux qui précisément veulent combattre l’entre-soi, le petit milieu et la gauche en général.
Médias conservateurs surveillés, nouvelles législations contre les discours de « haine », retour du délit de blasphème… Comment les pouvoirs en place s’acharnent aussi contre la liberté d’expression en Occident
Les démolisseurs de la France sont contents d’eux. Ils ne veulent entendre que des applaudissements. S’indigner des désastres sécuritaires liés à leur «société ouverte» devient risqué pénalement. L’«incitation à la haine» est le nouvel argument des censeurs. Ceux-ci ne voient rien, en revanche, de l’antisémitisme islamique ni du racisme anti-blanc des minorités ethniques.
Le site d’extrême gauche Médiapart illustre l’application liberticide du procédé accusatoire, avec la publication cette semaine d’une enquête à charge contre CNews, qualifiée de « fabrique de la haine »[1]. Parce que la chaîne d’information a notamment choisi de décrire la réalité de la vie des gens ordinaires, elle déchaîne l’agressivité – la haine – des dénégationnistes qui aimeraient interdire les critiques contre l’immigration de masse et l’islam prosélyte, quitte à rétablir le délit de blasphème au profit de cette dernière religion. Or cette régression démocratique est encouragée par le pouvoir. La macronie avait déjà commis en juin 2020 la loi Avia qui entend traquer les « propos haineux » sur l’internet, sans définition juridique. En 2018, Emmanuel Macron s’en était pris, lui, à « la foule haineuse » des gilets jaunes. Le 6 mars dernier, deux députés Renaissance ont déposé une proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale pour des « propos à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire » tenus en privé cette fois ! Quant à Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, il vient d’annoncer sa volonté de sanctionner des « entreprises de désinformation » coupables de contester le discours officiel sur la guerre contre la Russie. La liberté d’expression est en grave danger.
Le plus stupéfiant est de constater la constante apathie des médias face à ces atteintes à la liberté de dire et de penser. En réalité, beaucoup d’entre eux cautionnent l’idéologie du vivre ensemble, qui n’arrive à convaincre de ses prétendus bienfaits que par l’interdiction des contestations. Même les établissements scolaires privés, coupables pour certains de leur élitisme, sont sommés de s’ouvrir toujours plus à la diversité. Or c’est une pente totalitaire qui est suivie par ceux qui prétendent être dépositaires du Bien et de la morale. L’exemple de l’Écosse, dont le premier ministre Humza Yousaf a appelé à la prière musulmane depuis sa résidence de Bute House le 28 mars, devrait être une alerte générale pour tous les défenseurs de la liberté. En effet, depuis le 1ᵉʳ avril, une loi y criminalise les propos ou attitudes « incitant à la haine » non seulement contre les races mais aussi contre l’âge, le handicap, la religion, l’orientation sexuelle ou l’identité transgenre. Pire : le crime haineux peut aussi être constitué par des propos tenus en privé.
Le rêve de la macronie est donc déjà en place en Écosse, où Orwell écrivit son 1984. « Arrêtez-moi ! », a défié J.K. Rowling, l’auteur de la saga Harry Potter, qui entend encore soutenir « qu’un homme est un homme » : un propos haineux pour les transgenres. Qui arrêtera l’infernale machine à décerveler ?
Depuis la découverte dimanche dernier des ossements du petit garçon, les Français se passionnent à nouveau pour cette affaire. Pour de mauvaises raisons?
Cette fois encore, CNews ne sera pas la première chaîne d’information continue de France. Avec une audience moyenne de 2,7 % enregistrée au cours du mois dernier, elle vient certes d’égaler, pour la seconde fois de son histoire (la première remontant à décembre), le leader BFMTV. Mais elle n’est pas parvenue à coiffer son concurrent au poteau.
Le 31 mars, soit dans l’ultime ligne droite du décompte mensuel, BFMTV a en effet redressé, de façon spectaculaire, son score, en attirant pendant une dizaine d’heures deux fois plus de téléspectateurs que la chaîne de Vincent Bolloré. L’explication d’une telle affluence ? Ce jour-là, le procureur de la République d’Aix-en-Provence a annoncé l’identification de divers ossements humains, découverts la veille par une randonneuse, comme étant ceux du petit Émile, le garçonnet disparu dans les Alpes-de-Haute-Provence cet été.
BFMTV en édition spéciale
Alors que les autres médias ont choisi d’accorder à cette nouvelle un traitement prioritaire, en ouverture de leurs bulletins d’information, BFMTV a carrément décidé de couvrir l’événement en mode “édition spéciale”. Résultat, tandis que CNews diffusait, comme prévu, son émission religieuse “En quête d’esprit”, BFMTV, quant à elle, n’hésitait pas à interrompre en direct, et de manière à peine courtoise, une interview d’Alain Finkielkraut sur Gaza, afin de pouvoir consacrer au plus vite l’entièreté de son programme à l’affaire Émile.
Ce n’est pas la première fois que BFMTV casse sa grille pour un fait divers. En février 2023, à l’occasion de l’accident de voiture de Pierre Palmade, la chaîne dirigée par Marc-Olivier Fogiel avait consacré à cette information un temps d’antenne dix fois supérieur au séisme survenu quelques jours plus tôt en Turquie (56 000 morts, 105 000 blessés).
Il n’est pas question de discuter ici la ligne éditoriale d’un média. Le pluralisme, cette belle idée dont se gargarise Reporters sans frontières à longueur de temps, c’est aussi cela: la liberté pour chaque organe de presse de hiérarchiser les faits selon ses propres critères, et pour le public de choisir son canal d’information comme il l’entend.
L’espoir de connaître enfin la vérité
Reste que l’on voit mal comment un média peut commenter une telle histoire autrement que dans le registre du pathos. Aussi bouleversante soit sa disparition, Émile n’est probablement pas décédé des suites d’une mauvaise politique, d’une dramatique décision économique ou d’un travers de notre société. Aucune leçon collective ne saurait être tirée de sa mort, si ce n’est que l’on peut se féliciter d’avoir en France une gendarmerie et une justice sachant se donner les moyens d’élucider les plus terribles affaires.
Cette mort est une tragédie. Elle n’est qu’une tragédie. Osons une hypothèse : si elle émeut tant les Français, c’est non pas tant parce qu’elle remue en eux le voyeurisme ou le goût de l’énigme, mais bien davantage parce qu’elle les conduit à un fol espoir: celui que la vérité soit faite sur ce drame, que l’enfant n’ait pas souffert, et que ses parents puissent surmonter cette épreuve indicible.
Depuis qu’il est au pouvoir, Erdogan a empêché de nouvelles têtes d’émerger au sein de son parti, l’AKP, compromettant ses chances de conserver le pouvoir en Turquie. L’analyse de Selmin Seda Coskun, chercheuse associée et co-animatrice du programme de recherche “Le nouvel Orient turc”1 de l’Institut Thomas More.
Les élections locales ayant eu lieu ce dimanche 31 mars vont sans doute marquer le début d’un nouveau cycle dans la vie politique turque. Si elles ne signifient pas la fin du règne personnel d’Erdogan, elles marquent la fin de la prédominance de son parti, désormais en grave déclin. La défaite de l’AKP conduira selon toute vraisemblance à sa fragilisation et, Erdogan ayant annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2028, son ou ses successeurs risquent d’avoir du mal à reproduire ses succès. D’autant que, forte du succès de dimanche, l’opposition devrait avoir le vent poupe pour 2028.
Le CHP premier parti du pays
Avec l’un des meilleurs résultats de son histoire à un moment où il semblait le plus ébranlé après sa défaite aux élections présidentielle et législative de mai 2023, le CHP (Parti républicain du peuple, centre-gauche), principal parti d’opposition, a non seulement conservé les grandes villes d’une importance cruciale (Istanbul, Ankara, Izmir) mais a réussi à accroître le nombre de ses voix dans tout le pays. Il a battu les candidats de l’AKP dans plusieurs de ses bastions. Avec le taux de participation de 78%, remportant un total de 35 villes et 420 municipalités à l’échelle de la Turquie, le CHP est devenu le premier parti de Turquie (37,74%), devant l’AKP (35,54%).
Le terne Kılıcdaroglu écarté
Trois principaux facteurs expliquent le succès de l’opposition. Premièrement, après la défaite du CHP en 2023, la nouvelle direction du parti (Özgür Özel remplaçant Kemal Kılıcdaroglu) a pris des risques avec une nouvelle organisation et une nouvelle méthode de travail, qui se sont révélées payantes. Outre Ekrem Imamoglu, le charismatique maire d’Istanbul, qui s’est posé en brillant rival d’Erdogan ces dernières années, Mansur Yavas, maire d’Ankara, a également fait une remarquable campagne. Deuxièmement, le CHP a su rallier les voix du parti IYI (centre-droit) et des Kurdes, qui ont pour leur part éclipsé l’AKP dans les régions de l’est et du sud-est du pays. Enfin, la démobilisation des électeurs de l’AKP, notamment en raison de la récente crise économique, a donné un net avantage à l’opposition.
L’AKP et sa coalition conservent le pouvoir central
Cette sèche sanction s’explique aussi, plus profondément, par le fait que l’AKP n’a cessé de décliner ces dernières années. Fondé par Erdogan dans le prolongement de partis islamistes déjà existants, l’AKP est au pouvoir depuis qu’il a remporté ses premières victoires électorales en 2002. Depuis qu’Erdogan a quitté la présidence du parti en 2014, le fossé entre lui et son parti s’est lentement creusé. Lors des élections de 2015, l’AKP perdit pour la première fois sa majorité parlementaire sous la direction d’Ahmet Davutoglu, alors Premier ministre. Et Binali Yıldırım, qui prit ses fonctions en 2016, ne fut pas en mesure de rétablir l’élan d’Erdogan. Depuis, l’AKP n’a trouvé à s’allier qu’au parti nationaliste MHP, peinant à élargir sa base. Certes, avec le soutien des partis nationalistes, islamistes et islamo-kurdes, l’AKP est arrivé à obtenir la majorité au Parlement lors des élections de 2023. Mais, après ces élections, le gouvernement s’est trouvé confronté à d’importantes difficultés économiques qui l’ont vite rendu impopulaire. À l’inverse des élections de 2023 et suite aux dévastations économiques causée par les tremblements de terre majeurs de février, les élections de 2024 se sont déroulées avec des ressources limitées. L’AKP n’a pas pu faire de promesses inconsidérées. Poussant vers un vote-sanction nombre de retraités, d’employés et de chômeurs, mécontents d’une l’hyperinflation croissante, la crise économique actuelle a été la principale alliée de l’opposition.
Qui sera sultan à la place du sultan ?
On voit mal comment l’AKP pourra conserver le soutien massif de pans entiers de la population après le départ annoncé d’Erdogan, car une grande partie de ce soutien repose sur son leadership personnel. Comme l’analysait Max Weber, un leader qui sait bien lire la sensibilité d’une société et en exprimer les attentes peut être suivi par la masse, parce que le sentiment d’impuissance ressenti par la société peut être renforcé par l’influence de son charisme. Cependant, ce type de leadership émerge généralement d’une conjoncture sociologique et politique singulière, d’un moment de crise ou de doute d’une société. Erdogan a su capter l’attention d’une partie de la population turque sensible aux revendications musulmanes, en réaction à l’héritage politique kémaliste. Sa capacité à lire les sensibilités sociales et à s’intégrer à la société a renforcé son influence, suscitant chez certains un sentiment d’impuissance face à son charisme et à sa confiance en lui-même. A ce jour, on ne voit personne dans son camp capable de lui succéder.
A l’inverse, l’opposition dispose de deux fortes figures. Au lendemain de ce 31 mars, bien des acteurs se projettent dans l’après-Erdogan. Il est possible, bien sûr, qu’Erdogan se lance dans des modifications constitutionnelles (dont il a parlé avant l’élection) ou annonce des élections anticipées. Mais même s’il faisait un tel choix, celui d’une fuite en avant autoritaire, il ne pourra effacer les résultats de dimanche.
Un nouveau cycle s’ouvre. Celui de tous les dangers, peut-être. Mais aussi celui de toutes les opportunités, si l’opposition sait être à la hauteur de l’enjeu.
Avant même de savoir qu’il avait ce magnifique patronyme, qu’il s’appelait Émile Soleil, je le trouvais solaire. La blondeur, le sourire éblouissant, mais surtout la photo avec le pissenlit rond et jaune accroché à l’oreille, tout en lui évoquait l’astre du jour au matin, dans le plein triomphe de son enfance radieuse. Mais pour que cette image ne soit pas gâchée de mièvrerie, le visage montrait aussi de l’énergie, une masculinité déjà affirmée, comme celles de l’époque où l’on n’avait pas accolé à ce mot l’adjectif atroce et injuste de “toxique”. Encore quinze ou seize ans et Émile ferait chavirer bien des cœurs de demoiselles en Provence et au-delà.
Pâques est lié au printemps, au resurgissement du jeune soleil qui a triomphé de la nuit à l’équinoxe. Noël est de la nuit et Pâques est du matin, Noël est de l’hiver et Pâques est du printemps. La Providence l’a voulu ainsi pour que l’année liturgique chrétienne soit liée à nos rythmes biologiques les plus profonds. Que ceux qui en doutent lisent les deux ouvrages de Jean-Christian Petitfils Jésus et Le Suaire de Turin, l’enquête définitive. Dans le premier il explique que la conjonction de planètes identifiée par Kepler comme étant l’étoile de Noël, qui a lieu tous les 753 ans, se reproduit trois fois dans l’année, dont la dernière fin décembre. Dans le second, il nous apprend que les spécialistes de pollens ont trouvé dans le Suaire des traces d’une plante qui n’existe qu’autour de Jérusalem et fleurit en avril. Ceux qui croient encore aux résultats du carbone 14, erronés et traficotés, me recopieront le livre de Jean-Christian, qui fait tout de même un nombre de pages respectable.
Je ne vais jamais à la Veillée Pascale, qui me paraît un contresens moderniste même si elle a parait-il des racines anciennes, je vais toujours à la messe du matin de Pâques et j’y entends le sublime évangile de Luc sur le matin de la Résurrection : “Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant”.
Mais voilà que la réalité voulue par Dieu, ou par le hasard, chacun juge suivant ses convictions, a mis un terme à la vie d’Émile Soleil de la pire façon. La veille de Pâques, une femme a trouvé un crâne d’enfant dans un bois peu éloigné du Haut-Vernet, l’a pris avec précaution et a appelé les gendarmes. Le crâne a été authentifié dans la nuit, et au matin la terrible nouvelle a été portée aux parents. Une note du Figaro dit que l’annonce leur a été faite pendant qu’ils quittaient leur maison pour aller à la messe de la Résurrection, une autre note dit qu’ils auraient été informés pendant la messe, ce qui serait un comble de cruauté. Toute l’histoire d’Émile est comme saturée de symboles, au-delà du christianisme elle semble renvoyer aux contes les plus archaïques de l’humanité. L’enfant s’est perdu dans la forêt des terreurs ancestrales et, à l’inverse du petit Poucet, il avait oublié de disposer des cailloux pour retrouver son chemin.
Pour un chrétien, c’est une histoire tout à fait scandaleuse, déroutante, une épreuve qui risque de faire croire davantage en l’existence du diable qu’en celle de Dieu. On se souvient que dans La Peste de Camus, le docteur Rieux a perdu la foi à cause de la mort d’un enfant innocent. Une envie puérile nous prend, celle de pousser Dieu de son trône et d’installer une tout autre histoire dans les bois du Haut-Vernet. Le co-pilote de la German Wings s’est éjecté au dernier moment, il ne voulait pas se suicider, mais satisfaire sa haine terrible de l’humanité. Il a échappé aux recherches et survécu dans la rude montagne des Trois-Evêchés en retournant à l’animalité, en vivant comme les loups et les ours, en s’abritant au plus fort de l’hiver dans une tanière. Un soir de l’été suivant, il a vu venir à lui un petit ange blond qui l’a bouleversé et a réveillé son humanité. Il n’était ni ogre ni pédophile, mais a voulu garder près de lui cet enfant merveilleux comme Silas Marner, le tisserand avare de George Elliot dans le roman éponyme. Cet homme trouve une fillette blonde à sa porte un soir de Noël et l’adopte. Au matin de Pâques, l’homme en guenilles a pris l’enfant par la main, l’a ramené au village, et a disparu après l’avoir laissé à la première maison. Plus besoin de chercher parmi les morts cet enfant qui est vivant ! Joie immense dans la chrétienté, consolation contre la fin programmée de la catholicité par manque de prêtres, consolation contre le massacre universel des chrétiens, au Sri Lanka, dans la banlieue de Rouen, au Nigéria, Pakistan etc…
Mais Dieu est avare de miracles, il a refusé mon scénario à l’eau de rose. Alors, pourquoi croire encore en Lui ? D’abord pour suivre l’exemple de la famille d’Émile, qui a manifesté tant de dignité dans sa douleur, qui a totalement refusé le quart d’heure de célébrité warholienne dont l’attrait difficilement résistible fait naître en ce moment des vocations de plus en plus nombreuses de menteurs et surtout de menteuses. Il y a juste eu ce très court message de la mère qui suppliait un éventuel ravisseur de lui rendre Émile, message uniquement vocal. Aux dernières nouvelles, personne dans cette famille très chrétienne n’a annoncé qu’il renonçait à sa foi pour cause de cruauté divine dans cet antimiracle.
Quant à moi, j’ai une foi de charbonnier indéracinable, mais je propose à ceux qui ne l’ont pas la lecture de l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils dont je parlais, Le Saint Suaire de Turin, Témoin de la Passion de Jésus-Christ. Dieu nous a laissé une preuve matérielle de la Résurrection, mais comme dans la nouvelle d’Edgar Poe La lettre volée, elle est trop visible pour qu’on la voie. Le grand historien a mené une enquête approfondie sur l’itinéraire du Suaire, de Jérusalem à Constantinople, puis en Champagne après le sac de la ville par les Croisés, en Savoie et aujourd’hui à Turin. Il explique longuement les erreurs et les mensonges des trois laboratoires différents qui ont voulu dater le Suaire au carbone 14, il rend compte de toutes les analyses scientifiques qui ont prouvé que le linge a été tissé au Proche-Orient au Ier siècle après-JC. Des spécialistes des tissus anciens aux spécialistes des pollens, des centaines d’universitaires y ont travaillé, mais on bute à la fin sur l’impossibilité absolue d’expliquer la formation de l’image.
Les ossements d’Émile seront tôt ou tard confiés à la terre, il nous restera ce visage si émouvant de l’Enfance Eternelle qui fera peut-être le miracle de ralentir la dénatalité en Occident.
Jusqu’à présent, les personnes transgenre devaient importer leurs sous-vêtements des États-Unis, en les commandant sur internet, apprend-on. Heureusement, en France, la marque Be Who You Are, qui propose des « sous-vêtements d’affirmation de genre », se décide enfin à « casser les codes ».
L’opportunisme marchand étant à peu près sans limites, voici que vient de se créer une ligne de sous-vêtements destinés aux personnes trans, celles et ceux qui se trouvent confronté(e)s aux affres de la « dysphorie de genre ». Selon la définition du Groupe Hospitalier Universitaire Paris (GHU, psychiatrie et neurosciences), « le terme dysphorie de genre décrit le sentiment de détresse ou de souffrance qui peut être exprimé parfois par les personnes dont l’identité de genre, l’identité sexuée ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. » Préalablement le GHU rappelle la notion de base selon quoi le sexe renvoie aux « caractéristiques physiologiques qui différencient les hommes et les femmes, alors que le genre renvoie davantage à la dimension sociale et culturelle de la sexuation: les rôles, les comportements, tous les attributs qu’une société considère à un temps donné comme appropriés à un sexe. »
Ricanements
Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de contester le moins du monde le fait que se sentir homme dans un corps de femme ou femme dans un corps d’homme puisse être cause de mal-être, de souffrance, et que comme toute souffrance celle-ci nécessite un accompagnement, éventuellement une prise en compte et en charge. C’est l’évidence même. Dès lors, considérée de ce point de vue, il n’y a rien à redire quant à l’initiative « cache sexe » des promoteurs de la ligne de sous-vêtements « Be who you are », en bon français « Soyez ce que ce vous êtes »1. Des sous-vêtements dont le port permet, par compression des protubérances mal venues, de modifier l’apparence genrée de la personne. (Un esprit taquin et outrageusement réactionnaire pourrait faire observer que nous serions donc là plus près du « Soyez ce que vous n’êtes pas » que du « Soyez ce que vous êtes »).
Cachez ces seins que nous ne saurions voir et aplatissez-moi, je vous prie, ce renflement obscène de l’entrecuisse, voilà schématiquement l’enjeu. Je suis probablement en retard d’une civilisation ou deux car j’en étais resté à ce qui avait cours autrefois, dans mes jeunes années. À l’inverse, les gamines avaient plutôt tendance à bourrer de coton leur soutien-gorge afin de se Maryliniser et on considérait que le renflement pubien avantageux des danseurs étoiles relevait de la même arnaque. Sans oublier bien sûr celui si généreusement mis en avant du torero, qui donnait lieu celui-ci à cette plaisanterie inusable et très fine qu’on se colportait en ricanant bêtement: « C’est là-dessous qu’il planque les piles pour l’habit de lumière ». Autres temps, autres mœurs, dirons-nous.
Tous victimes de la société
Là où on ne songera plus guère à ricaner c’est à la lecture de la définition évoquée plus haut, concoctée par les éminences dites scientifiques du GHU Paris, et qui assène sans autre forme de justification, d’argumentation que « l’identité de genre, l’identité sexuée » ne relèverait aucunement de l’état de nature – en avoir ou pas – mais à une « assignation » qu’exercerait dès la naissance la très perverse société, distributrice des rôles, des comportements, des attributs pour la seule satisfaction de supposés besoins.
On touche alors à l’essentiel de la doctrine, du dogme : il faut absolument une victime et un coupable. Un opprimé et un oppresseur. Le reste ne serait que (mauvaise) littérature. La vérité de la nature ne compte pas. Au lieu de promouvoir l’apaisante acceptation de cette vérité de nature, et donc l’harmonie toute simple et indolore entre sexe et genre, on s’ingénie à cultiver le terreau du mal-être, de la souffrance. La souffrance pour tous, puisque tout être naissant et grandissant se voit désormais plus ou moins sommé de se poser un jour ou l’autre la question : être ou ne pas être, suis-je ce que je suis ? Ou m’a-t-on délibérément abusé, violé dans mon être même en me serinant dès la sortie du ventre de ma mère : « tu seras un gars ma fille, ou tu seras une fille mon gars ! » Comme si l’adolescent, l’adulte en devenir ne portait pas en lui, avec lui, assez de doutes, d’incertitudes de questionnements comme cela sans aller lui en fabriquer un de plus – et de quel calibre !- tout à fait artificiellement, tout au moins dans l’immense majorité des cas ? Il faudrait quand même que nous nous mettions à nous interroger sérieusement sur ce penchant très actuel qui consiste à tout mettre en œuvre pour tourner le dos aux quelques chances que pourrait avoir notre humanité d’être une humanité heureuse. Enfin, un peu plus heureuse. C’est-à-dire davantage à l’écoute de la nature, pas seulement pour la sauvegarde du coléoptère des mares à canards, mais avant tout pour le petit d’homme. Il le vaut bien, comme il est dit dans la réclame.
Des justiciers inquiétants partent en guerre. Ils entendent notamment défendre un peuple chaque jour plus nombreux, celui des victimes de la « mémoire traumatique ».
« Judith Godrèche et Édouard Durand. Leur combat contre l’impunité », pouvait-on lire en couverture du magazine Télérama le 25 mars 2024[1]. « Impunité ». Le mot claque comme un étendard de croisade. Chargé d’affect revanchard, il vise à entraîner les foules derrière lui pour en découdre avec les puissants, les « dominants » dit-on plus volontiers aujourd’hui. N’est-ce pas d’ailleurs comme un seul homme qu’un mois plus tôt se sont levés, béats, éblouis, un peu hallucinés même, les participants à la cérémonie des César à l’arrivée au micro de Judith Godrèche annonçant « l’aube d’un jour nouveau[2] ». On serait bien sûr accusé d’avoir atteint le point Godwin si on osait évoquer d’autres salles frénétiques acclamant celui qui leur annonce l’avènement d’un « ordre nouveau ». On s’en gardera bien par conséquent, la mise au pas (« Gleichschaltung » disait-on sous le nazisme) et l’abdication au conformisme étant déjà bien installées.
La tarte à la crème du continuum des violences sexistes
Au demeurant, si l’association libre n’est pas de mise, l’analyse est encore possible dans quelques espaces préservés, et elle s’impose. Tant les possédées et leurs exorcistes, les sorcières et leurs inquisiteurs, les flagellants et les croisés des temps obscurs font retour, enténébrant un peu plus encore notre époque déjà bien inquiétante. Parmi les cortèges « intersectionnels » de repentis et de pénitents, « l’abus sexuel » est une arme majeure de la dénonciation de l’Occident honni, en l’occurrence dit « hétéronormé », « patriarcal » et « viriliste ». Du compliment badin et du regard admiratif ou lubrique au viol meurtrier, en passant par la remarque salace, le geste déplacé et le harcèlement, il y aurait un « continuum » « systémique ».
La nature foncièrement violeuse des hommes relèverait du déni et d’une révoltante impunité judiciaire. Des justiciers auto-proclamés se sentent donc le devoir sacré de se lever. On amalgame alors pêle-mêle les enfants réellement victimes d’inceste et les femmes battues ou brutalement violées, aux adolescentes « sous emprise » de Pygmalions quadragénaires, aux victimes supposées « en sidération » et à toutes celles qui en séries effarantes se souviennent soudainement d’un traumatisme vieux de plusieurs décennies. Dans tous ces cas si divers, une même omerta de l’establishment serait à l’œuvre. L’impunité justifierait qu’on en appelle à la « justice populaire », réparatrice d’une justice institutionnelle considérée comme défaillante voire pire, complice des crimes contre les dominés, et qui devrait être réformée par de nouvelles lois toujours plus répressives et liberticides.
La Robespierre du Fouquet’s ! Pour Emmanuelle Devos avec le mouvement #MeToo «Ceux qui ont abusé vont dégager, c’est comme ça, et bien sûr qu’il y a des têtes qui vont tomber qui n’auraient peut-être pas dû tomber mais ça, ce sont les révolutions. C’est comme ça !» pic.twitter.com/fzlfGWt9kR
Or, la dénonciation de l’impunité est un des éléments constitutifs des discours populistes aussi variés soient-ils par ailleurs. Parties d’Argentine dans les années 90, les croisades contre l’impunité ont d’emblée agglutiné la douleur des proches de réelles victimes de la dictature de Videla et consorts, aux rancœurs économiques et sociales et aux déceptions politiques. Devenu un signifiant vide susceptible de se gonfler de toutes les peines et de tous les ressentiments possibles, l’impunité s’est ainsi retrouvée au cœur du mouvement des années 2010, galvanisé par l’opuscule de Stefan Hessel Indignez-vous ! Comme les Mères de la Place de Mai argentines, les Indignés du monde ont conspué tous les puissants, leur malignité, leur immoralité, leur impudicité. Ils réclamaient justice donc, une justice qui condamne a priori et sans autre forme de procès que la rumeur et l’opprobre médiatique, les ennemis du peuple par définition corrompus, pervers et licencieux.
De Nuits Debout aux Gilets Jaunes, des Femens assaillant la voiture de Dominique Strauss-Kahn aux manifestantes enjoignant Roman Polanski de « boire leurs règles » (voir Sabine Prokhoris, Le mirage #MeToo et Qui a peur de Roman Polanski ?) les redresseurs de torts organisent alors scandales de rue (escraches en espagnol argentin) et blocages de route (piquetes en espagnol argentin) et allument des bûchers dans les villes et les campagnes.
Toute mobilisation populiste reposant sur le principe de la légitimité absolue de la volonté du « peuple », et du caractère incontestable de sa parole, le mouvement néo-féministe de type féminiciste (essentialisant les femmes comme des victimes actuelles ou potentielles, voir Renée Fregosi, Le Figaro Vox 2017/11/28, « Un néo-féminisme victimaire, puritain et sexiste ») proclame donc « Femmes on vous croit !». Et le « petit juge » vengeur des enfants, Édouard Durand, affirme sa doctrine comme un principe intangible « Quand un enfant révèle des violences, il faut le croire et le protéger[3]».
L’histoire en marche ?
Alors, comme le rapporte Le Monde, les justiciers se ressemblent et se rassemblent dans une cohorte sans fin : « Dans une société de déni, ceux qui combattent les violences sexuelles forment un collectif de personnes qui s’identifient rapidement, remarque Edouard Durand, dans un café. Après Christine Angot, Adèle Haenel, Vanessa Springora, Camille Kouchner ou Emmanuelle Béart, Judith Godrèche s’inscrit dans une histoire et la fait avancer. »[4]
Certes à l’ère de l’internet, la mobilisation populiste s’organise et s’entretient de façon autonome et autoréférencée à travers les blogs et les réseaux sociaux. Les leaders n’en sont que des porte-paroles occasionnels et éphémères, qu’ils appartiennent au monde politique, à ceux des médias ou du spectacle. Le temps que dure une campagne de promotion personnelle autour d’un livre, d’une série télévisée ou d’une nomination. Au demeurant, la lame de fond du ressentiment continue d’agiter la population, faisant vaciller les fondements de l’État de droit, de la libre pensée et de la concorde nationale. Mais le business justicier n’en a que faire.
Pour la littérature, merci patronne ! Enfin libérée d’une terrible « emprise », Johanna Silva, l’ex-compagne et ex-attachée parlementaire du député gauchiste de la Somme publie L’Amour et la révolution (Textuel, 2024). Un récit politique et sentimental navrant.
Au siècle dernier, Maurice Blanchot s’est préoccupé de l’Écriture du désastre. En ce premier quart du vingt-et-unième siècle, c’est au désastre de l’écriture que contribue Johanna Silva.
Même s’ils aiment beaucoup les idées de M. Ruffin, les journalistes de la presse de gauche se sont fait l’écho du livre de Mme Silva (Télérama, Libération, Le Monde…)
L’écriture pratiquée comme une thérapie, stade ultime de « l’écriture de soi » sera bientôt considérée comme un genre littéraire à part entière ; ce que redoutait Flaubert est arrivé : l’écrit est devenu le réceptacle privilégié de « l’écume du cœur »,« un déversoir à passion », « un pot de chambre un peu plus propre qu’unesimple causerie ». Avec un récit autobiographique intitulé L’Amour et la révolution, l’ancienne « compagne de route » et « bras droit » de François Ruffin apporte une solide contribution à ce tout jeune style littéraire. Dans un texte dont l’indigence n’a d’égale que la puérilité, Johanna Silva revient sur cinq années d’une emprise amoureuse et politique dont elle triomphe par le truchement de l’écriture. Armée de ses seuls mots, « l’auteure » se lance dans la reconquête de soi pour mieux affirmer son néo-féminisme ; l’aventure commence : « Le jeudi 20 janvier2022, après plus de trois ans sans pouvoir me débarrasser du boulet de tristesse et dedoutes que je traînais depuis que j’avais quitté François, j’ai décidé d’écrire. Je me rends compte maintenant, sans jugement ni regret comme j’étais encore bloquée dans l’enfance (…) En écrivant (…) je cessais de me battre contre moi et j’ouvrais enfin les yeux. » On admet avoir été tenté de fermer les nôtres. Et puis, on a lu ces confidences. Consternantes dans la forme, elles n’en constituent pas moins un document édifiant pour comprendre une époque qui n’en finit pas de vriller.
Johanna Silva est diplômée de Sciences-Po Lille ; elle a 25 ans lorsqu’elle rencontre François Ruffin. À la manière d’une gamine naïve, la voilà qui s’embringue dans une relation amoureuse aussi vénéneuse que pathétique : « (…) je souffrais, mais c’était beau, c’était beau comme je l’aimais (…) Je nous imaginais Sartre et Beauvoir (…) Devant la première saisond’House of Cards, j’ai pensé à nous aussi (…) » L’amoureuse devient alors le factotum de l’homme politique : « maitresse d’ouvrage » au journal Fakir, productrice du film Merci Patron !, organisatrice de Nuit debout, attachée parlementaire, enfin. Grâces soient rendues au mouvement #MeToo qui dessille les yeux de la jeune femme sur la question de la domination : la pauvre enfant réalise la toxicité de l’atmosphère saturée de testostérone dans laquelle elle baigne jusqu’aux dents. La malheureuse en était même rendue à tolérer que « François » et ses acolytes virils la chambrent en l’appelant « la petite-bourgeoise. » Elle explique : «Cette culture de la vanne bien placée, des rires gras, des piques incessantes, ne faisait aucune place à un partage sincère d’émotions. » Elle ajoute: « Pour la première fois, je sentais la domination masculine (…) Le féminisme m’était entré dans le corps. »
Fête à neuneu: déposez votre cœur au vestiaire
Autre découverte majeure de l’ingénue : la politique exacerbe la violence intrinsèque à l’Homme. Pour survivre l’élite politique, blanche et masculine (Pourquoi d’ailleurs le préciser ?) sait dissimuler ses failles. Pourtant : « Le monstre, ce sont les partis, les syndicats, les organisations en tout genre – ou plutôt, leur bordel interne, leur défiance externe, les rapports de force entre les structures et au sein de chacun.e. Le monstre c’est ce qu’il y a de mesquin en nous et entre nous (…) » Du reste, il n’y a qu’à se souvenir de l’une des déclarations de Mélenchon : « On vient d’une école politique où l’on dépose son cœur àl’entrée. » Ce savoureux récit montre également l’installation du wokisme et de l’islamo-gauchisme dans le paysage politique et les esprits. Ainsi, après l’attentat du 7 janvier 2015, Johanna Silva déplore l’assignation à « être Charlie ». « S’installe le sentiment que désormais, on ne pourra plus jamais critiquer Charlie Hebdo et son acharnement un peu malsain contre les Musulmans, sous peine d’être accusé.e de complaisance avec les terroristes. » « Entre la tristesse, l’effroi, l’anticléricalisme et l’anti-islamophobie, le dégoût et le malaise face à la pensée unique, comment trouver la voie ? » s’interroge-t-elle. Il y aura ensuite Nuit debout : « Nuit debout était une nébuleuseterrible, aux mille initiatives impossibles à canaliser. » Les soirées festives, enrichissantes et fructueuses s’enchaînent. «Aussitôt le cul posé par terre je perds le fil,qui n’existe d’ailleurs pas, les prises de parole se succèdent sans rapport les unes avec les autres. » Elle précise : « (…)des bâtiments de fortune ont fleuri (…) Dans un coin, la commission Potager debout arrache des pavés du sol pour semer quelques graines, pendant que les Avocats debout conseillent gratuitement des gens en galère. » La fête à Neuneu bat son plein.
François sera élu député en juin 2017 et Johanna Silva est toujours là, fidèle intendante. « Avec sonélection les choses prirent un tour vraiment dérangeant. Dès les premières semaines, je dus m’occuper de sa déclaration d’intérêts et d’activités, ainsi que de sa déclaration de patrimoine. » « Je finis par connaître mieux que François sa propre situation administrative. Pourquoi alors ne pas me charger de déclarer ses impôts ? » La jeune femme, dont la conscience politique et féministe s’affirme, finit par porter un regard plus critique sur « François ». Elle le juge parfois trop timoré dans ses prises de position : « Sur les violences policières par exemple. C’est comme s’il ne lui était pas rentré dans le crâne qu’elles étaient le fait d’un système et non des bavures isolées. » Elle raconte : « Dans ma vie, la question du genre prenait de plus en plus de place (…) Le groupe de musique que nous avions créé l’année précédente, les Oiseaux n’était composé que de femmes (…) Sans l’avoir prévu ni même formulé, nous expérimentions les joies du groupe de parole non mixte. »
C’est après l’organisation, en mai 2018, d’une dernière manifestation, La Fête à Macron, que la jeune femme se décide à quitter définitivement le giron de « François ». « J’avais un nouveau cheval de bataille qui m’était propre : je voulais défendre l’humanité, la vulnérabilité, la bienveillance au sein du monde politique. Je sentais bien que ce n’était pas une niaiserie, qu’il y avait quelque chose à creuser. (…) J’en étais même venue à considérer mes pleurs intempestifs comme une arme. » On ne sait pas si la politique s’en trouvera mieux mais, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un graphomane de plus nous est né !
« L’écrivain relève de l’ancien monde du jugement, du tri, de la discrimination, de la rareté. Le graphomane baigne dans le nouveau monde du marché, de la démocratie fatiguée, de la littérature comme art de masse et du droit à écrire. »
« Le graphomane est le gentil compagnon de route de la nouvelle civilisation. »
Philippe Muray, Ultima Necat VI, Journal intime 1996-1997
Alors que vous vous apprêtez à déguster votre Causeur, vous ignorez sans doute que le progrès a encore frappé. Si le calendrier parlementaire a été tenu, la France s’apprête à mettre fin à une injustice millénaire en instaurant le congé menstruel[1]. Des esprits chagrins objecteront que les femmes n’ont pas toutes envie de claironner qu’elles ont leurs règles et qu’elles pouvaient parfaitement, jusque-là, obtenir un arrêt-maladie sans en préciser la raison. C’est se méprendre sur l’objectif, qui n’est pas de remédier à une situation concrète (que la médecine prend heureusement en charge), mais de lutter contre la scandaleuse invisibilité des règles douloureuses qui prévalait jusque-là. Certes, elles n’étaient pas invisibles pour tout le monde, la plupart des hommes sachant très bien qu’il y a des jours où il vaut mieux faire profil bas. Mais le partage intime de la souffrance ne suffit pas. Il faut que celle-ci, dûment intégrée à la panoplie des malheurs féminins, bénéficie d’une reconnaissance publique et des dispositifs afférents. Comble de félicité, on pourra désormais en causer à la machine à café. Si vous en soupez à la maison, vous en reprendrez une dose au bureau.
Les deux députés écolos qui ont pondu ce texte ont évidemment brandi des statistiques prouvant que ce fléau oublié touche une femme sur deux (ce qui est certainement vrai). Seulement, une cause sans coupable à dénoncer, c’est moins rigolo. Or, on peut difficilement prétendre que les règles sont un mauvais coup du patriarcat. Puisqu’ils ne peuvent pas accuser, les deux compères s’emploient à culpabiliser. En organisant une expérience grotesque relatée avec un impayable sérieux par les médias. « “Des petits coups de poignards” : des députés testent un simulateur de règles douloureuses », annonce Le Parisien. Des élus de tous bords se sont prêtés au jeu avec enthousiasme. Sur la vidéo diffusée sur X, on voit Louis Boyard, Clément Beaune et quelques autres grimacer et pousser des petits cris aigus, en étouffant des rires d’adolescents attardés. Le tout assaisonné de commentaires de haut vol : « ça fait super mal, en fait », « très douloureux », « horrible ». Tous fayotent de façon éhontée, expliquant à quel point il est important de se mettre à la place de l’autre. Bref, si vous voulez vous payer un bon fou rire, ne ratez pas ce spectacle[2].
Curieusement les confrères, généralement si imbus de leur scepticisme, ont gobé sans discuter l’histoire du simulateur de douleur menstruelle. Pas un n’a demandé comment fonctionnait cet appareil magique. Permettra-t-il à des hommes de ressentir les affres de l’accouchement, voire ceux de la marche sur stilettos ? Des femmes comprendront-elles enfin la rage du type qui se coupe en se rasant et tache sa chemise propre au passage ? Nos deux écolos n’ont pas seulement fait faire un pas de géant à l’espèce, ils ont revisité sans le savoir l’antique mythe de Tirésias, devin aveugle qui fut alternativement homme et femme.
Sur l’origine de cette sorcellerie, les récits divergent. Pour l’un d’eux, Tirésias, née femme, se refusa à Apollon qui la changea en homme afin de lui faire comprendre ce qu’était l’implacable emprise d’Éros. La version la plus amusante est que le malheureux fut sommé de ramener la paix entre Zeus et Héra qui se chamaillaient pour savoir lequel prenait le plus de plaisir à leurs polissonneries. Répondant que c’était la femme, Tirésias déclencha la colère d’Héra, qui était très à cheval sur son statut victimaire. Et toc, elle le transforma en gonzesse, histoire de lui montrer que ce n’était pas marrant tous les jours.
Ayant été pleinement homme et pleinement femme, Tirésias est le seul humain à avoir percé le mystère insondable de l’autre sexe. Qui ne réside pas, quoi que pensent nos bons députés, dans la manière dont chacun ressent ses embarras gastriques ou ses rages de dents, mais dans ce qu’il éprouve quand il désire et quand il jouit. Aucune femme ne comprend ce qui se passe dans le cortex d’un homme troublé par une jupe qui vole ou une bretelle de soutien-gorge qui glisse, ni les efforts qu’il doit faire pour s’empêcher. Enfin, tu ne peux pas te retenir ? Ils peuvent, mais c’est dur.
Le charme particulier de la vie hétérosexuelle, c’est cette opacité irréductible : on peut vivre un amour fusionnel, dormir toutes les nuits dans le même lit et les mêmes bras, il reste dans l’autre sexe un noyau inconnaissable. Les petits comptables de l’intime peuvent surveiller le partage des tâches ménagères, ils n’arriveront pas à imposer la mutualisation des fantasmes. Le totalitarisme de la transparence n’y peut mais : l’imaginaire fait chambre à part.
[1] Un texte octroyant 13 jours d’arrêt maladie par an aux femmes souffrant de règles douloureuses devait être discuté le 4 avril à l’Assemblée nationale.
[2] On peut voir la vidéo sur le fil de Sébastien Peytavie, l’un des deux initiateurs du texte.
Alors qu’elle publie une sélection de ses textes dans la collection Quarto de Gallimard, et en fait la promotion, l’écrivaine refuse de se soumettre aux sommations. Elle rappelle qu’elle n’appartient à aucun camp – ni à celui des « réacs », ni à celui de ceux qui aimeraient la cataloguer comme telle. «Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail» répond-elle quand Le Point lui demande ce qu’elle pense du déclin de l’Occident.
Quand on admire, on n’a pas à s’excuser de répéter. Si mon titre insiste sur le fait que Yasmina Reza est « bien plus qu’une femme », ce n’est pas pour porter atteinte à la catégorie des femmes mais pour montrer qu’il y a des personnalités qui échappent naturellement à leur genre pour susciter une adhésion sinon universelle du moins détachée de toute tonalité de sexe. Je suis d’autant plus heureux que son actualité – parution le 4 avril de On vient de loin, Œuvres choisies chez Gallimard – justifie ce billet.
Pessimisme souriant
Il y a depuis quelque temps un courant prétendument progressiste mais au fond préoccupant, qui met en évidence un communautarisme féminin faisant croire à un univers spécifique pour les femmes. Comme si, sorties de l’humanité rassembleuse, elles avaient besoin qu’on leur adresse des messages à la fois d’une totale banalité et prétendument adaptées à ce qu’elles seraient.
C’est d’abord à cause de sa géniale solitude que j’apprécie plus que tout Yasmina Reza. Qui est par ailleurs, pour ceux qui ont la chance de la connaître, un être d’une délicate et merveilleuse urbanité. Et mon admiration va vers une finesse et une intelligence hors pair où on sent, sans qu’elle la présente de manière vulgaire et ostentatoire, une philosophie de pessimisme souriant, de tendre désabusement pour tous ces humains dans lesquels elle se place. En même temps que par la conscience de leur finitude, ils sont habités par l’énergie de vivre et jouent comme ils peuvent dans la comédie cynique, ironique, drôle, tragique et déchirante de leur existence.
Ce n’est pas rien, dans l’entretien qu’elle a accordé à Saïd Mahrane dans Le Point[1] que d’entendre le ministre Bruno Le Maire, écrivain lui-même (et comme il a raison de ne pas jeter l’écriture au prétexte qu’il est ministre !), s’écrier que « Yasmina Reza, c’est la France » et, bien davantage, Michel Houellebecq, lassé face « à l’évocation de grands noms de la littérature contemporaine », soupirer : « Reza ? Ah oui, elle, je l’aime bien ». Alors qu’elle affirme : « Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail », elle n’hésite pas à révéler ses inquiétudes dont la principale tient « actuellement…à l’absence de liberté. J’hésite à parler d’une perte parce que je ne sais pas si nous l’avons eue à un moment donné. Mais on rencontre de moins en moins de gens libres de penser… L’esprit communautaire – pour ne pas dire totalitaire – de la pensée règne partout. Il y a sommation d’appartenir à un camp. Ce difficile exercice de la liberté m’inquiète, oui » et elle recommande d’inculquer aux enfants avant tout « l’indépendance de pensée. Penser par soi-même ».
Inclassable
Je n’aurai pas l’indécence d’instrumentaliser Yasmina Reza pour faire servir son verbe si lucide et sa pensée si juste à la défense de certaines causes médiatiques mais je ne peux m’empêcher de ressentir une familiarité qui m’honore avec son refus de l’inféodation et son indifférence à l’égard des étiquettes de droite ou de gauche qu’on appose absurdement sur elle. Sur ce plan, elle est décisive quand elle souligne qu’on ne peut pas « assujettir l’écriture à la peur de fâcher ».
Il y a la douceur un peu mélancolique de ces dernières pensées intimes : « La postérité ne me parle pas du tout. Ce qui me parle en revanche ce sont mes deux enfants. J’aimerais bien ne pas péricliter trop vite de leur vivant. Cela me ferait de la peine pour eux qu’ils n’entendent plus parler de mes livres quand ils auront mon âge ». Inclassable, géniale parce qu’elle dépasse la cause des femmes et ne se laisse pas embrigader dans les débats qui ont pour dénominateur commun de répudier l’universel, rendant tous les autres entretiens promotionnels vides de sens, elle pose sur le monde, les humains, la vie, la mort, l’amitié, l’amour, le regard infiniment tendre et lucide d’une femme revenue de tout mais toujours prête à repartir.
Le polémiste Jean-Michel Apathie sur France 5 en 2022. DR.
Les récents tweets énervés du journaliste (vous savez, ceux qui se terminent toujours par « Étonnant, non ? ») apportent la preuve qu’un militant de gauche convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement quand on lui retire son pouvoir.
Jean-Michel Aphatie n’est pas plus idiot que la plupart de ses confrères des médias ni plus à gauche qu’eux : il est seulement moins habile, moins capable de comprendre que lorsque le fond fait à ce point défaut il faut parfois déguiser la forme pour au moins faire illusion. La réalité est que le petit milieu médiatique est tout entier acquis à ces idées qui agitent un Aphatie complètement dépassé par les nouvelles réalités imposées par les réseaux sociaux et qui pense naïvement qu’en 2024 on peut encore assumer ces outrances comme on le pouvait au temps où les Français n’avaient aucun outil pour riposter. Les réseaux sociaux ont mis entre les mains des Français cet outil qui leur manquait, et maintenant les gens comme Aphatie ne peuvent plus divaguer sans qu’on leur fasse remarquer que le spectacle pathétique auquel ils se livrent est humiliant pour eux et salissant pour nous.
Éternel donneur de leçons
Ils ne le peuvent plus, ou beaucoup moins, alors ils s’abstiennent de trop divaguer, ou beaucoup moins, ou beaucoup plus subtilement. Sauf Aphatie qui se rêve encore dans la peau du donneur de leçons qu’il a toujours été derrière sa carte de presse et qui continue d’agir comme un bourrin, comme une brute scandalisée de découvrir que les Français, dès lors qu’ils s’affranchissent de sa tutelle, rejettent ses idées et adoptent celles qu’il déteste. Les nombreuses divagations quasi séniles d’Aphatie sur X (ex-Twitter), ses trépignements d’ancien enfant gâté à qui on a retiré son jouet, cette bile qui déborde de chacun de ses tweets ne sont pas la démonstration qu’un homme en vieillissant devient gâteux : ils sont la preuve qu’un gauchiste convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement lorsqu’il se trouve privé de pouvoir régner sans partage sur les consciences.
Après moi, le déluge
En somme, voyant venu la fin de son règne, Aphatie brûle ses vaisseaux et se perd en déclarations chaque fois plus brutales, plus caricaturales, plus imbéciles, plus médiocrement provocatrices, en se disant probablement qu’il n’a plus rien à perdre et qu’il n’a plus besoin de faire semblant d’être journaliste maintenant qu’il est évident pour tous qu’il ne l’a jamais vraiment été.
Je vous l’assure : Jean-Michel Aphatie est notre meilleur allié involontaire. Grâce à lui nous n’avons plus besoin de mettre en garde contre les dérives brutales et haineuses de la gauche : Aphatie en livre lui-même le spectacle. Nous n’avons plus besoin de convaincre qu’il y a en France des gens qui ne rêvent que de la salir : les mictions verbales d’Aphatie multiplient les démonstrations. Nous n’avons plus besoin d’alerter contre la déconnexion entre les petits milieux parisiens et le pays réel : il suffit de regarder Aphatie s’agiter contre tout ce qui compose la réalité anthropologique, culturelle et populaire de notre pays. Tout le programme de la gauche est là qui nous regarde avec les yeux ahuris de Jean-Michel Aphatie.
Merci Seigneur !
Remercions le Ciel de nous avoir donné un adversaire qu’il n’est même pas nécessaire de combattre et qui travaille de lui-même à nous donner raison. Il est tellement balourd qu’il a réalisé l’exploit d’être lui-même le remède involontaire contre son propre venin ! Et plaisons-nous à imaginer à quel point Aphatie doit mettre mal à l’aise son petit milieu, ses petits confrères-complices qui eux, soucieux par malice de rester des versions plus discrètes de ce qu’est ostentatoirement Aphatie, doivent intérieurement lui reprocher d’aider aussi frontalement à rendre visible ce qu’ils essaient de cacher sur eux-mêmes. D’ailleurs, voyez-vous beaucoup de journalistes prendre la défense d’Aphatie lorsqu’il se fourre dans ses polémiques ridicules ? Vous savez tout. Jean-Michel Aphatie n’est pas du tout une excroissance honteuse de la gauche dont il trahirait le message par ses excès. Il est la gauche, exactement la gauche, c’est-à-dire par définition la véritable intolérance, la tentation totalitaire, l’irritabilité face à la contradiction, la passion monomaniaque et évidemment la haine profonde, viscérale, contre la France et contre les Français. Et c’est cela la gauche, y compris lorsqu’elle ne l’assume pas aussi directement que lui. Il n’est pas une excroissance, il est la face émergée de l’iceberg. Ce monsieur rend des services gigantesques à ceux qui précisément veulent combattre l’entre-soi, le petit milieu et la gauche en général.