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Ces croisés contre l’impunité

Déni, impunité, violences sexistes et sexuelles: un nouveau vocabulaire "populiste"?


Ces croisés contre l’impunité
Le magistrat Edouard Durand, Nantes, 2021 © SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA

Des justiciers inquiétants partent en guerre. Ils entendent notamment défendre un peuple chaque jour plus nombreux, celui des victimes de la « mémoire traumatique ».


« Judith Godrèche et Édouard Durand. Leur combat contre l’impunité », pouvait-on lire en couverture du magazine Télérama le 25 mars 2024[1]. « Impunité ». Le mot claque comme un étendard de croisade. Chargé d’affect revanchard, il vise à entraîner les foules derrière lui pour en découdre avec les puissants, les « dominants » dit-on plus volontiers aujourd’hui. N’est-ce pas d’ailleurs comme un seul homme qu’un mois plus tôt se sont levés, béats, éblouis, un peu hallucinés même, les participants à la cérémonie des César à l’arrivée au micro de Judith Godrèche annonçant « l’aube d’un jour nouveau[2] ». On serait bien sûr accusé d’avoir atteint le point Godwin si on osait évoquer d’autres salles frénétiques acclamant celui qui leur annonce l’avènement d’un « ordre nouveau ». On s’en gardera bien par conséquent, la mise au pas (« Gleichschaltung » disait-on sous le nazisme) et l’abdication au conformisme étant déjà bien installées.

La tarte à la crème du continuum des violences sexistes

Au demeurant, si l’association libre n’est pas de mise, l’analyse est encore possible dans quelques espaces préservés, et elle s’impose. Tant les possédées et leurs exorcistes, les sorcières et leurs inquisiteurs, les flagellants et les croisés des temps obscurs font retour, enténébrant un peu plus encore notre époque déjà bien inquiétante. Parmi les cortèges « intersectionnels » de repentis et de pénitents, « l’abus sexuel » est une arme majeure de la dénonciation de l’Occident honni, en l’occurrence dit « hétéronormé », « patriarcal » et « viriliste ». Du compliment badin et du regard admiratif ou lubrique au viol meurtrier, en passant par la remarque salace, le geste déplacé et le harcèlement, il y aurait un « continuum » « systémique ».

À lire aussi, Peggy Sastre: Muriel Salmona: la psy qui traumatise

La nature foncièrement violeuse des hommes relèverait du déni et d’une révoltante impunité judiciaire. Des justiciers auto-proclamés se sentent donc le devoir sacré de se lever. On amalgame alors pêle-mêle les enfants réellement victimes d’inceste et les femmes battues ou brutalement violées, aux adolescentes « sous emprise » de Pygmalions quadragénaires, aux victimes supposées « en sidération » et à toutes celles qui en séries effarantes se souviennent soudainement d’un traumatisme vieux de plusieurs décennies.  Dans tous ces cas si divers, une même omerta de l’establishment serait à l’œuvre. L’impunité justifierait qu’on en appelle à la « justice populaire », réparatrice d’une justice institutionnelle considérée comme défaillante voire pire, complice des crimes contre les dominés, et qui devrait être réformée par de nouvelles lois toujours plus répressives et liberticides.

Populiste toi-même !

Or, la dénonciation de l’impunité est un des éléments constitutifs des discours populistes aussi variés soient-ils par ailleurs. Parties d’Argentine dans les années 90, les croisades contre l’impunité ont d’emblée agglutiné la douleur des proches de réelles victimes de la dictature de Videla et consorts, aux rancœurs économiques et sociales et aux déceptions politiques. Devenu un signifiant vide susceptible de se gonfler de toutes les peines et de tous les ressentiments possibles, l’impunité s’est ainsi retrouvée au cœur du mouvement des années 2010, galvanisé par l’opuscule de Stefan Hessel Indignez-vous ! Comme les Mères de la Place de Mai argentines, les Indignés du monde ont conspué tous les puissants, leur malignité, leur immoralité, leur impudicité. Ils réclamaient justice donc, une justice qui condamne a priori et sans autre forme de procès que la rumeur et l’opprobre médiatique, les ennemis du peuple par définition corrompus, pervers et licencieux.

De Nuits Debout aux Gilets Jaunes, des Femens assaillant la voiture de Dominique Strauss-Kahn aux manifestantes enjoignant Roman Polanski de « boire leurs règles » (voir Sabine Prokhoris, Le mirage #MeToo et Qui a peur de Roman Polanski ?) les redresseurs de torts organisent alors scandales de rue (escraches en espagnol argentin) et blocages de route (piquetes en espagnol argentin) et allument des bûchers dans les villes et les campagnes.

A lire aussi, du même auteur: Post-vérité et nouveaux exorcistes

Toute mobilisation populiste reposant sur le principe de la légitimité absolue de la volonté du « peuple », et du caractère incontestable de sa parole, le mouvement néo-féministe de type féminiciste (essentialisant les femmes comme des victimes actuelles ou potentielles, voir Renée Fregosi, Le Figaro Vox 2017/11/28, « Un néo-féminisme victimaire, puritain et sexiste ») proclame donc « Femmes on vous croit !». Et le « petit juge » vengeur des enfants, Édouard Durand, affirme sa doctrine comme un principe intangible « Quand un enfant révèle des violences, il faut le croire et le protéger[3]».

L’histoire en marche ?

Alors, comme le rapporte Le Monde, les justiciers se ressemblent et se rassemblent dans une cohorte sans fin : « Dans une société de déni, ceux qui combattent les violences sexuelles forment un collectif de personnes qui s’identifient rapidement, remarque Edouard Durand, dans un café. Après Christine Angot, Adèle Haenel, Vanessa Springora, Camille Kouchner ou Emmanuelle Béart, Judith Godrèche s’inscrit dans une histoire et la fait avancer. »[4]

Certes à l’ère de l’internet, la mobilisation populiste s’organise et s’entretient de façon autonome et autoréférencée à travers les blogs et les réseaux sociaux.
Les leaders n’en sont que des porte-paroles occasionnels et éphémères, qu’ils appartiennent au monde politique, à ceux des médias ou du spectacle. Le temps que dure une campagne de promotion personnelle autour d’un livre, d’une série télévisée ou d’une nomination.
Au demeurant, la lame de fond du ressentiment continue d’agiter la population, faisant vaciller les fondements de l’État de droit, de la libre pensée et de la concorde nationale. Mais le business justicier n’en a que faire.

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[1] https://www.telerama.fr/debats-reportages/judith-godreche-et-edouard-durand-un-meme-combat-contre-les-violences-sexuelles-et-l-impunite-7019818.php

[2] https://www.youtube.com/watch?v=JFRAmKjRAB8

[3] https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/grand-entretien-inceste-remplace-a-la-tete-de-la-ciivise-le-juge-durand-se-dit-en-colere-et-denonce-une-mission-retrecie-confiee-a-la-commission_6239208.html

[4] « Edouard Durand et Judith Godrèche, unis contre le déni », https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/03/06/edouard-durand-et-judith-godreche-unis-contre-le-deni_6220382_4500055.html




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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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