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Yann Moix: «Notre époque est d’une bêtise sans nom»

Entretien avec Yann Moix


Yann Moix: «Notre époque est d’une bêtise sans nom»
Yann Moix © Hannah Assouline

En 2018, Yann Moix part en Corée du Nord tourner un film avec Gérard Depardieu. Cinq ans plus tard, les rushs, utilisées par « Complément d’enquête », servent à présenter l’acteur en pédophile. Selon l’auteur-réalisateur, les images ont été détournées de leur sens.


Causeur. Cher Yann, tout le monde s’excite sur des obscénités verbales de Gérard Depardieu, mais nous, c’est autre chose que nous trouvons obscène. Pourquoi aller tourner dans un pays gouverné par un des pires régimes de la planète ? Non, ce n’est pas punk, de déconner à côté de camps de « travail ».

Yann Moix. J’aimerais, chers amis, vous répondre en quatre points. Premier point : j’ai le droit de voyager où je l’entends. Deuxième point : pendant que d’autres vont à l’île Maurice ou aux Canaries, je vais dans un des pays les plus difficiles d’accès au monde, ce qui devrait me valoir, sinon brevet de courage, du moins brevet de curiosité. Comme disait Hemingway : « Il faut aller voir. » Troisième point : on s’imagine que la Corée du Nord est un régime sans peuple, sans vraies personnes qui y vivent. Rien n’est plus faux et c’est ce qui rend passionnants les séjours là-bas. Quatrième point : visiter un pays n’est pas faire allégeance à ses gouvernants. On ne peut pas voyager que dans des démocraties. Gide ou Céline en savaient quelque chose.

En attendant, à la fin, vous communiez avec tout le monde dans l’offuscation sur une blague obscène sous prétexte qu’il s’agit d’enfants. Que Depardieu ait ou pas parlé d’une petite fille, en réalité ça ne devrait faire aucune différence, puisqu’il blague ! On ne fait pas d’humour sur les enfants ? Et vous, au lieu de faire un grand bras d’honneur, vous vous lancez dans une défense guimauve : comme si une blague sexuelle sur une gamine était de la pédophilie.

Je ne suis pas stupide au point de penser qu’une blague salace sur une enfant vaut pédophilie, pas plus d’ailleurs que je crois qu’une blague salace sur une adulte vaut viol. Mais l’époque étant d’une bêtise sans nom, elle a de fait déjà transformé Depardieu en pédophile. J’ai donc voulu insister sur le fait qu’on a voulu charger Gérard de manière frauduleuse. Mais cela n’intéresse personne, car ça ne va pas dans le sens de l’accablement. Tout ce qui peut atténuer une accusation venue de la foule ou des médias passe inaperçu. Quand j’ai témoigné à la police, ce fut d’ailleurs la même chose : ce qui était susceptible, d’une certaine manière, d’alléger le cas de Gérard ne retenait guère l’attention. Pourtant, la vérité est la vérité.

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En 2018, vous expliquiez à Ali Baddou, sur France Inter : « J’ai eu l’idée de filmer Gérard, c’est d’ailleurs de manière tacite que je l’ai fait, je ne lui ai pas demandé l’autorisation. » Ce qui est contradictoire avec ce que vous dites maintenant, à savoir que vous auriez donné des consignes à Depardieu, celles de se caricaturer, de jouer un « rôle ».

Par « sans autorisation », je voulais dire que la collaboration entre Gérard et moi a été excessivement simple, naturelle, et qu’elle s’est faite sans le formalisme d’un contrat d’artiste-interprète. Sans des répliques couchées par écrit et apprises par cœur. Je lui ai soumis l’idée de partir tourner un long-métrage cinématographique en Corée du Nord, où il interpréterait le « rôle principal », et immédiatement l’affaire a été entendue. Gérard ne supporte plus les « scénarios écrits ». Il s’agit donc, c’est une des traditions vieilles comme le cinéma, de scénariser les choses autrement, notamment dans l’improvisation et au montage. Il est vrai que tout s’est fait de manière complice, tacite, entendue entre lui et moi. Preuve de confiance entre nous, de connivence, de parfaite entente. Quand la caméra se braque sur Depardieu, aussitôt il s’anime, comme une momie qui sort de son cercueil. Il se met non seulement à jouer, mais à vivre. Ce qu’il ne fait pas sans caméra. Les gens font comme si le tournage avait eu lieu à Chartres. Mais ils n’y connaissent rien.

De quand date votre contrat avec la société Hikari ? A-t-elle financé le tournage en 2018 ? Avez-vous eu un autre producteur ? Y a-t-il eu un contrat entre Gérard Depardieu et Hikari ?

Le contrat avec Hikari portant sur la cession des droits détenus par cette société́ en qualité́ de producteur sur mon film était en rédaction style « work in progress » avec Anthony Dufour depuis plus d’un an. J’en possède toutes les étapes annotées de sa main. Par ses annotations apportées au contrat, Anthony Dufour a entériné le fait que le film 70 est un « film cinématographique de long-métrage », que la société́ Hikari n’a pas acquis mes droits d’auteur-réalisateur, et qu’elle n’a pas acquis davantage « les droits sur l’interprétation de Monsieur Gérard Depardieu ». Hikari a financé́ le tournage, payant les billets de Gérard et le mien, ainsi que les billets et les salaires des techniciens, dépêchés à nos côtés pour les besoins du tournage de mon film : chef op et ingénieur du son. Les seuls à ne pas avoir été rémunérés à ce jour sont Gérard et moi. Ce qui caractérise une infraction de travail dissimulé, réprimée lourdement par le Code pénal. Aucun contrat n’a été signé avec Gérard Depardieu, mais nous avons des échanges avec Anthony Dufour qui, précisément, s’inquiète à ce sujet.

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Vous donnez parfois l’impression d’avoir un rapport littéraire avec la réalité. Pourquoi vous croirait-on ?

Il est assez cocasse que d’aucuns me fassent porter ce chapeau d’un rapport « littéraire » à la réalité alors que les producteurs de fake news sont en l’occurrence Hikari et France Télévisions. La raison pour laquelle j’avais, au début, parlé de « documentaire » et non de « fiction » est que, tout simplement, je souhaite retourner en Corée du Nord. Or, s’ils acceptent sans problème qu’on fasse chez eux des documentaires, ils ne peuvent supporter qu’on tourne des fictions. Notamment depuis le film The Interview, qui les a traumatisés. Enfin, ne retournez pas la charge de la preuve en me demandant pourquoi on me croirait. J’ai réalisé le film 70, une œuvre de fiction, qui a été détournée dans « Complément d’enquête ». La portée des propos de Depardieu a été manipulée, de manière à faire accroire qu’ils désignaient une fillette alors qu’il s’agissait d’une très belle cavalière d’une trentaine d’années qui évoluait également dans le même manège et dont je me souviens parfaitement. Des propos qui relevaient en tout état de cause du registre humoristique, appartenant, sous ma direction, en qualité de réalisateur, au même registre que ceux de Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé́ près de chez vous. En dépit de cela, de la lumière faite sur ces éléments, Gérard a été disqualifié socialement. Ce qui me gêne dans cette histoire, c’est le mensonge.

Mensonge que France Télévisions récuse formellement…

Ils le contestent ? Qu’ils prouvent qu’il ne s’agissait pas d’une fiction. Qu’ils prouvent que la séquence du haras n’a pas été frauduleusement montée de manière à faire croire que Gérard Depardieu avait « sexualisé une fillette ». Tous ces éléments, je vous les soumets, et il ne s’agit pas de les croire. Mais d’en prendre acte. Mon avocat, maître Jérémie Assous, l’a démontré́ à plusieurs reprises, devant près de deux millions de personnes à la télévision. Personne chez Hikari ou France Télévisions n’a répondu à ces démonstrations. Silence total. Il y a des silences qui prennent des airs d’aveux.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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