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Un court voyage aux Etats-Unis

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Richard Prasquier revient des États-Unis, où il a pu jauger l’état de l’opinion américaine vis-à-vis d’Israël, alors que pour la première fois Joe Biden envisage de conditionner l’aide américaine à des mesures «tangibles» de la part du gouvernement de Benyamin Netanyahu pour répondre à la catastrophe humanitaire en cours à Gaza.


Difficile de parler d’événements familiaux alors que l’actualité à Gaza est lourde, avec la mort des sept humanitaires de World Central Kitchen, une ONG qui, contrairement à d’autres, n’était pas anti-israélienne, mais Israël sera présent tout au long de cette chronique.

Les « chanceux »

Nous étions la semaine dernière aux États-Unis, nous, c’est-à-dire les membres de la famille maternelle de mon épouse, avec les pièces rapportées, qu’elle a l’amabilité d’appeler des valeurs ajoutées. 26 personnes venues de France, du Brésil, d’Israël, de Colombie et de divers États américains. C’était au Musée de l’Holocauste à Washington, où une soirée était consacrée aux descendants de Shlomo et Nehuma Kurc, de Radom, une ville à une centaine de kilomètres au sud de Varsovie. Avec leurs cinq enfants et leurs deux petits-enfants, ils ont tous survécu à la guerre, dans une Pologne où 90% des Juifs furent assassinés. Un livre, We were the lucky ones (en français Sur les ailes de la chance), écrit par une de leurs arrière-petites-filles, raconte leur épopée. Il fait l’objet d’une adaptation en série télévisée qui commence à être diffusée par une plateforme numérique, Hulu. Une histoire de chance, bien sûr, mais aussi d’ingéniosité et d’énergie. 

Au début de la cérémonie, on a, comme de coutume dans le Musée, demandé aux survivants de la Shoah de se lever. J’ai été surpris par leur nombre. Parmi eux, il y avait le cousin José, 83 ans, le symbole de cette joie de vivre si caractéristique de certains Brésiliens. Le film décrit sa naissance dans un camp de travail en Sibérie où ses parents avaient été envoyés comme ennemis du peuple et sa très improbable survie par des températures de – 40°. Jamais chez lui on ne parlait de cette période; il ne fallait pas traumatiser les enfants…

Parmi les discours, il y eut celui de notre fils, venu de Tel-Aviv, qui a rappelé que le premier massacre à caractère génocidaire de Juifs depuis la Shoah a eu lieu le 7 octobre 2023. Dans le public du Musée de l’Holocauste, chacun, je pense, a approuvé. Qu’en aurait-il été ailleurs ?

Les jeunes américains et Gaza

Dans la cafétéria surchargée, nous avions partagé notre table avec un couple d’Américains, professeurs dans une école protestante d’Atlanta qui amènent chaque année leurs élèves au Musée de l’Holocauste. Je leur demande s’ils ont vu des changements dans le comportement de leurs élèves au fil des années. Des changements énormes, me répondent-ils. Les adolescents sont entièrement autocentrés, ils ne s’intéressent pas à l’histoire mais, surtout, ils n’ont pas envie d’apprendre. 

– Quelle est l’influence du mouvement woke?  

– Une catastrophe incompréhensible!  

– La guerre de Gaza? 

– Autant vous le dire, nous, nous sommes des partisans résolus d’Israël. Mais chez les jeunes, ce n’est pas souvent le cas… 

Récemment ouvert sur capitaux privés, le Musée de la Bible est un mélange d’humanisme, de volontarisme évangélique, d’admiration pour le Vatican et de respect pour le judaïsme. Avec des vitrines de grande minutie archéologique et d’autres qui incorporent sans filtre le récit biblique, ce musée cherche à renforcer le fait religieux dans la vie de la cité en insistant sur le rôle capital que la Bible, toute la Bible, a joué dans l’histoire américaine. 

A ne pas manquer, Gil Mihaely: Famine organisée à Gaza: mensonge de guerre

Inversement, un autre grand classique du pays, la liberté d’expression, ne joue pas, c’est un euphémisme, en faveur d’Israël et des Juifs. Les amis qui étaient fiers des prestigieux campus américains se désolent, stupéfaits, des harcèlements antisémites auxquels leurs petits-enfants ont à faire face à l’université et se demandent si l’âge d’or des Juifs américains n’est pas terminé.

Benoitement installée devant l’entrée de la Maison-Blanche, une cabane est remplie de panneaux violemment pacifistes où l’appel au cessez-le-feu immédiat à Gaza et la critique d’Israël figurent de façon proéminente. 

Quant aux tensions entre les États-Unis et Israël, je ne suis pas dans les secrets de la diplomatie, mais je ne dis pas que les États-Unis ont « trahi » Israël en s’abstenant à cette fameuse motion du Conseil de Sécurité qui, malgré ses carences évidentes, appelle à la libération inconditionnelle de tous les otages. Je suis plus préoccupé par l’apparente volonté américaine de ménager l’Iran, sans qui les massacres du 7 octobre n’auraient pas eu lieu et dont la position internationale se renforce.

L’opinion américaine et les Juifs

C’est dans cet esprit que j’ai visité l’exposition du Musée de l’Holocauste sur l’attitude américaine envers les Juifs à l’époque du nazisme. Elle montre un pays tiraillé par le racisme, le vrai, où des noirs pouvaient être lynchés et des Juifs discriminés, où des nazis tels le populaire Charles Lindbergh pesaient sur la politique et où Breckinridge Long, responsable officiel de l’immigration et ami de Roosevelt, avouait dans son journal personnel son admiration pour Mein Kampf.

Elle montre le système implacable des quotas installé dès 1924 et maintenu après 1945, progressivement aggravé par des contraintes supplémentaires et une paperasserie d’une complexité ahurissante destinée à écœurer le demandeur de visa, le plus souvent un Juif allemand ou autrichien.

Elle montre aussi que, plus que l’antisémitisme, c’est la peur de perdre son emploi du fait de la concurrence des réfugiés et la peur de la guerre alors que leur participation à la Première Guerre mondiale avait laissé un mauvais souvenir, qui a été à l’origine de la politique longtemps accommodante des États-Unis à l’égard de l’Allemagne nazie.

La situation est aujourd’hui bien différente, car Israël existe et est militairement puissant. Mais il fait face à l‘hostilité, car le vieux slogan sur les Juifs responsables des guerres et des malheurs du monde continue à percoler dans les esprits et à les rendre aveugles aux menaces réelles, qui sont islamistes et totalitaristes et auxquelles la haine d’Israël sert de commode tête de gondole.

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«Pour avoir une chance de gagner, il nous faut dix fois plus d’armes»

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À Kiev, notre contributeur a rencontré Ivan Ponomarenko, un architecte ukrainien reconverti en opérateur de drones. Alors que l’armée russe semble en position de force, le soldat sonne le tocsin.


« Si je ne m’étais pas engagé dans l’armée, qui l’aurait fait à ma place ? », lance Ivan Ponomarenko sur la place Maïdan. Avant la guerre, ce Kiévien de 43 ans était architecte et maniait des drones pendant son temps libre. En février 2022, lors de l’invasion russe, il envoie sa femme et ses deux enfants dans les Balkans. En mai 2022, il s’engage dans l’armée comme opérateur de drones.

Bricolage de drones civils

Si les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans n’ont pas le droit de quitter le pays, l’armée manque de volontaires. Dans la capitale, impossible d’échapper aux affiches officielles appelant à rejoindre le front. Quelques jours avant notre rencontre, Ivan Ponomarenko était sur le front dans le sud-est du pays, territoire qui s’étend de la région de Kherson au Donbass. Pour des raisons de sécurité, nous ne saurons pas exactement où.

S’il connait des soldats qui manient des drones kamikazes, Ivan Ponomarenko manie des drones uniquement dans le cadre d’opérations de reconnaissance aérienne, précise-t-il. Militaires, civils, tous les engins sont bienvenus. Lors de collectes menées sur Instagram ou sur Facebook, des Ukrainiens achètent des drones civils en Europe de l’Ouest. Ils les donnent ensuite à l’armée pour qu’elle les retape et s’en serve.

En ces temps de pénurie d’armes, ce bricolage est loin d’être isolé. Alors que les villes de Kharkiv, Kherson, Odessa ou même Kiev sont actuellement pilonnées par des drones russes, pas une semaine ne passe sans que Volodymyr Zelensky exhorte l’Occident à lui fournir des systèmes de défense anti-missiles ou des armes.

« Ça fait deux ans qu’on attend des F-16. Pourquoi n’arrivent-ils pas ? Ce ne sont pourtant pas des armes extraordinaires mais des avions utilisés lors de la guerre du Vietnam », peste pour sa part Ivan Ponomarenko, qui estime à environ 2 000 le nombre d’avions de guerre dont dispose la Russie, en face desquels il va falloir bien plus que dix ou vingt F16…

Des champs de bataille dignes de la 2nde Guerre mondiale

« La bataille de Bakhmut ou d’Avdïïvka, par exemple, ressemble beaucoup à celle de Verdun. Elles n’ont rien à voir avec la bataille de Falloujah en Irak. Ce qui est en train de se passer sur le front n’a rien à voir avec les guerres d’Irak mais est très proche de la Première ou de la Seconde guerre mondiale », assure celui qui va régulièrement sur les champs de bataille.

Au vu du dynamisme et de l’apparente légèreté des rues de Kiev, il paraît surréaliste d’imaginer la capitale occupée par des chars russes. « À Kherson non plus, ils ne s’imaginaient pas que ça leur tomberait dessus du jour au lendemain. Et pourtant… », rétorque-t-il.

Ville du sud comptant alors environ 300 000 habitants, Kherson a été occupée par les troupes russes de mars à septembre 2022. « Des femmes y ont été violées, des gens ont été torturés par le FSB, mis en prison sans jugement ou tués par balle dans la forêt », assure Ivan Ponomarenko, avant de rappeler qu’avant d’être un champ de ruine, la ville de Donetsk comptait un million d’habitants et une équipe de foot, le Chakhtar Donetsk, qui a gagné la coupe de l’UEFA en 2009.

Si la conversation prend un tour politique, c’est qu’Ivan Ponomarenko sent que l’heure est grave. « Je crois que les dirigeants occidentaux n’ont pas encore pris la mesure de cette guerre. En face de nous, nous n’avons pas des miliciens avec des kalachnikovs comme en Irak ou en Afghanistan », souligne-t-il, précisant bien qu’il s’exprime en son nom propre et non en celui de l’armée.

Quand des soldats achètent des balles à leurs frais…

« Il y a en face une armée énorme, celle du pays le plus grand du monde d’un point de vue géographique : La Russie. Pour avoir une chance de gagner cette guerre, il nous faut donc dix fois plus d’armes », prévient-il.

Des soldats ukrainiens sont contraints de faire venir à leur frais des balles de fusil depuis l’Europe de l’Ouest, confie-t-il, avant de rappeler que dans la dernière aide militaire de l’Allemagne, il y a 10 000 obus d’artillerie. Insuffisant : « Un canon tire au moins 100 obus par jour. Je vous laisse compter », explique-t-il avec un mélange d’humour et de résignation.

Ivan Ponomarenko s’est rendu avec l’armée à Boutcha, dans la banlieue de Kiev, deux jours après sa libération. Il y aurait personnellement vu des corps de civils tués, violés ou torturés par des soldats russe. Une remise des pendules à l’heure alors que des mises en cause de l’authenticité du massacre de Boutcha fleurissent sur les réseaux sociaux depuis deux ans.

La propagande russe serait d’ailleurs « très forte en Europe de l’Ouest », selon lui. Les Européens de l’Ouest, et notamment les Français, auraient une image romantique et tronquée de la Russie. « Un pays où l’esclavage était courant jusqu’à la fin du XIXème siècle », assure-t-il. « Certains chez vous pensent que Léon Tolstoï est le Victor Hugo russe, alors que Tolstoï avait des serfs », ajoute-t-il même, avant de préciser qu’il parle couramment russe et qu’il s’est rendu très souvent en Russie avant la guerre.

Comme la plupart des Ukrainiens croisés, Ivan Ponomarenko ne doute pas un instant que Vladimir Poutine compte s’attaquer aux pays baltes ou à la Moldavie s’il gagne la guerre en Ukraine. À l’heure où sont écrites ces lignes, Volodymyr Zelensky vient d’abaisser l’âge légal de la mobilisation à 25 ans. Pour sa part, lors d’un échange sur WhatsApp, le soldat m’informe qu’il est tout juste de retour du front de Kherson après que son bataillon a subi une attaque de drones russes. « Quelques gars sont à l’hôpital mais personne n’est mort donc ça va », commente-t-il sobrement. En voilà un qui n’a pas peur de défendre son pays.

Famine organisée à Gaza: mensonge de guerre

L’ONU et l’UE accusent Israël d’organiser la famine à Gaza. C’est un mensonge. Les habitants de l’enclave ne mangent pas à leur faim, mais ce n’est pas une volonté délibérée des Israéliens. L’effondrement du Hamas a provoqué celui de l’ordre public, ce qui par endroits perturbe gravement la distribution de nourriture.


« Israël affame les Palestiniens. » Alors que la guerre d’Israël contre le Hamas entre dans son septième mois, et que le sort des civils à Gaza préoccupe légitimement l’opinion mondiale, le dossier d’Israël s’est alourdi d’un nouveau chef d’accusation. Ce récit, tenu pour vérité par une partie des médias, est propagé à haut niveau dans les cercles onusiens et européens. Le 18 mars, il a reçu l’onction de Josep Borrell, responsable de la « politique étrangère de l’UE », à supposer qu’une telle chose existe : « À Gaza, nous ne sommes plus au bord de la famine, la famine est là, et touche des milliers de personnes. La famine est utilisée comme arme de guerre. Israël provoque la famine », a-t-il déclaré à Bruxelles, lors d’une conférence sur l’aide humanitaire au territoire palestinien. Pour être aussi direct que l’ancien chef de la diplomatie espagnole, ses propos sont tout simplement mensongers. Certes, il s’est trouvé en Israël quelques commentateurs, dont un ancien général, pour soutenir publiquement cette stratégie inacceptable, mais aucun ordre en ce sens n’a jamais été donné à l’armée et encore moins exécuté par elle. Cela ne signifie pas que les 2,2 millions d’habitants de la bande de Gaza mangent à leur faim. Mais notre enquête auprès de plusieurs responsables et commentateurs montre que, d’une part, on n’a pas de preuves d’une véritable famine, et que de l’autre, si Israël a une responsabilité dans les difficultés de l’approvisionnement, il ne s’agit en aucun cas d’une volonté délibérée.

À Gaza la guerre de haute intensité est terminée. Certes, Rafah n’a pas encore été prise et la ville abrite probablement certains des dirigeants du Hamas, mais la milice islamiste palestinienne a été battue militairement et l’armée israélienne, avec des effectifs réduits, assure la même mission que des pompiers qui ont maîtrisé un incendie : veiller à ce que le feu ne reprenne pas. Cependant, la dimension militaire n’est qu’une partie de la guerre contre le Hamas. Les objectifs du gouvernement israélien consistent à priver la milice de ses capacités militaires, mais aussi de ses capacités de gouverner. Et si pendant les quatre premiers mois de la guerre, cette question de la gouvernance de Gaza n’a guère attiré l’attention, son absence ces dernières semaines est devenue un enjeu fondamental, et cela de la manière la plus basique et brutale, puisqu’il s’agit de nourrir deux millions des personnes privées des moyens d’assurer leur subsistance.

Effondrement de l’ordre public

La destruction de l’armée du Hamas a, inévitablement, créé une situation de pénurie alimentaire et d’effondrement de l’ordre public. Quand il n’y a ni travail, ni banques, ni magasins, il faut faire venir la nourriture et la distribuer à la population. Ce qui nécessite un minimum d’organisation : quand donner, où et à qui ? Comment assurer un minimum d’équité et sécuriser les vivres pendant l’acheminement et la distribution, sachant qu’en l’absence de police, deux gamins avec un sac de riz sont une proie facile ?

Israël ne veut évidemment pas que le Hamas s’en charge et refuse également de confier cette mission à l’UNRWA, l’agence onusienne chargée de ce genre de missions auprès des réfugiés palestiniens de 1948 et 1967, ainsi que de leurs descendants. Des preuves accablantes d’une forte complicité entre le Hamas et l’UNRWA l’ont disqualifiée aux yeux d’Israël. L’autre solution serait qu’Israël s’en charge par le biais de ses « représentants » sur place – les militaires. Mais cette option est également rejetée par le gouvernement israélien. Vue de Jérusalem, la bande de Gaza n’est plus sous occupation israélienne depuis le retrait civil et militaire de septembre 2005 et Israël ne souhaite pas endosser de nouveau le rôle qu’il a joué de 1967 à 2005.

Il s’agit d’un enjeu littéralement vital, mais aussi politique : ceux qui assureront aujourd’hui le maintien de l’ordre et la distribution de vivres dans la bande de Gaza seront bien positionnés pour la gouverner demain. En attendant, la tragédie a éclaté au grand jour le 29 février, lors d’un dramatique incident que les médias ont baptiséde « massacre de la farine ». Dans la nuit du 28 au 29 février, une trentaine de camions d’aide humanitaire pénètrent au nord de Gaza. Ils suivent un couloir humanitaire sécurisé où des chars de Tsahal les escortent jusqu’au lieu de livraison. Le 29, vers 4 heures, un groupe de Palestiniens se précipite vers les camions. Dans des vidéos prises par les caméras à vision nocturne des drones israéliens, on voit clairement des grappes humaines assaillant les véhicules de toutes parts. C’est le chaos. Vers 4 h 30, une heure et quart avant l’aube, des tirs commencent. Le bilan est lourd : quelque 120 civils palestiniens tués et 760 blessés. Les camions chargés de vivres sont pillés. Selon l’armée israélienne, certains membres de la foule ont été tués et blessés par des tirs de chars israéliens postés à proximité, dont les équipages se sentaient menacés par la foule. Les autres ont été tués et blessés dans le mouvement de panique suscité par le pillage. Les Palestiniens maintiennent de leur côté que toutes les victimes sont tombées sous des balles israéliennes.

Pour Israël le véritable coupable est le Hamas qui essaie de « siphonner » l’aide pour ravitailler ses propres forces. C’est sans doute vrai. L’armée israélienne a rendu publiques des informations démontrant que le Hamas perturbe des rassemblements de civils attendant l’arrivée de convois. Cependant, les organisations d’aide internationale ne coordonnent plus leurs mouvements avec la milice. De plus, certaines attaques de convois qui ont eu lieu avant le 29 février semblent avoir été « organisées » (on utilise ce terme faute de mieux) par des Gazaouis non affiliés au Hamas. D’autres incidents sont le résultat d’actes spontanés de civils désespérés dans un contexte chaotique.

Que fait la police ? C’est une partie du problème. Les policiers gazaouis refusent de protéger les convois parce qu’ils craignent d’être pris pour cible par Israël en raison de leur affiliation au Hamas. En effet, depuis 2007, Israël considère la police de Gaza comme une force du Hamas. L’opération Plomb durci avait commencé le samedi 27 décembre 2008 par une frappe aérienne visant une cérémonie de la police de Gaza. Depuis le début de la guerre, en octobre, cette police continuait à fonctionner comme elle pouvait. Les policiers – en uniforme ou en civil –sont présents dans les centres-villes (quand ceux-ci ne sont pas occupés par Israël) et à proximité des hôpitaux. Toutefois, dans la région de Rafah où les forces israéliennes ne sont pas présentes, la police du Hamas est pleinement opérationnelle et ses effectifs sont présents à tous les points de passage (Rafah avec l’Égypte et Kerem Shalom avec Israël[1]). Quant aux forces de secours, elles s’occupent de l’évacuation des blessés et du sauvetage des victimes ensevelies sous les décombres.

La population réfugiée à Rafah mange à sa faim

Selon les informations disponibles, des vivres parviennent aux frontières nord et sud de Gaza en quantités suffisantes pour éviter la famine. Ce qui pèche, c’est leur distribution dans les zones situées au-delà de Rafah, localité qui n’est pas occupée par l’armée d’Israël, mais toujours contrôlée par le Hamas. Autrement dit, les Palestiniens, au nombre de 1,5 million, qui se trouvent dans cette ville ne sont pas en danger de famine. En revanche, la situation des quelques centaines de milliers de personnes qui ne sont pas à Rafah, particulièrement au nord de la bande, au-delà de la ville de Gaza est pour le moins inquiétante. D’après le « ministère de la Santé de Gaza », ils seraient 700 000, mais personne ne le sait vraiment.

Des déplacés palestiniens reçoivent de la nourriture fournie par une organisation caritative avant l’heure de rupture du jeûne du ramadan, Deir al-Balah (centre de la bande de Gaza), 22 mars 2024 © MAJDI FATHI/NurPhoto via AFP

Dans cette partie de la bande de Gaza, les organisations humanitaires agréées par Israël affirment que des difficultés de coordination compliquent leur tâche. Or, contrairement à Rafah, le nord est en grande partie sous contrôle israélien. Mais d’après Israël, la guérilla menée par les derniers combattants du Hamas rend l’accès difficile et aléatoire.

Que se passe-t-il au nord du territoire ? Selon des sources militaires israéliennes, le général Ghassan Aliyan, coordinateur civil/militaire pour les territoires occupés par Israël, aurait proposé à des clans puissants dans les zones contrôlées par l’IDF, au nord de Gaza, d’assurer la gestion de la distribution des vivres dans leurs zones d’influence.Il s’agit probablement de membres du clan Doghmush, une famille qui mérite l’attention. Originaires de Turquie, les Doğmuş/Doghmush se sont installés à Gaza au début du xxe siècle. À la fin de ce dernier, ils étaient très présents dans le commerce du ciment. Aujourd’hui, les Doghmush représentent une  force avec laquelle il faut compter. Un membre éminent du clan, Mumtaz Doghmush, impliqué dans l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit en 2006, a dirigé l’Armée de l’islam (une organisation salafo-djihadiste de Gaza, fondée par le clan en 2006). Après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en juin 2007, certains groupes, à l’intérieur du clan, autoproclamés Jaysh al-Islam (« armée de l’islam ») ont mené leur propre politique  et sont à l’origine de l’enlèvement et de la détention du journaliste britannique Alan Johnston en 2007. Mais le clan a aussi été impliqué dans des affrontements violents et meurtriers avec les forces de sécurité du Hamas en septembre 2008. Dix membres du clan, dont le frère de Mumtaz et la fille en bas âge de Zakaria Doghmush, secrétaire général des Comités de résistance populaire, ont péri dans ces affrontements.

En clair, les membres de ce clan puissant sont affiliés à divers groupes palestiniens et islamistes, dont le Fatah, le Hamas et même Al-Qaïda. Et si cela servait leurs intérêts, ils travailleraient avec Tsahal. Dans un contexte où l’idéologie est en réalité secondaire, les Israéliens ont fait appel à eux, ce qui a suscité l’ire du Hamas qui a fait savoir que tout contact avec l’occupant était un acte de collaboration, donc une trahison. Le 14 mars, le Hamas, qui veut reprendre en main la population dans les zones sous contrôle direct de l’armée israélienne, a assassiné l’un des chefs du clan Doghmush. En effet, malgré la présence militaire israélienne, le contrôle de la population civile, largement pro-Hamas selon les derniers sondages réalisés à Gaza, est toujours âprement disputé. Comme le conclut un bon connaisseur du dossier, la tentative de contournement du Hamas est un échec.

Le maître est celui qui contrôle le pain

Pour les Américains et les Européens, les tentatives israéliennes pour faire émerger d’autres interlocuteurs n’ont aucune valeur stratégique. Selon eux, le « jour d’après » suppose le retour d’une « Autorité palestinienne (AP) profondément reformée », avec comme objectif la réunification de Gaza et de la Cisjordanie dans un État palestinien démilitarisé. Israël a répondu non de la bouche de Nétanyahou. Mais le patron du Conseil de sécurité nationale, Tzahi Hanegbi, a expliqué sur un site saoudien que « le gouvernement de Ramallah » était au contraire une option souhaitable. De plus, un communiqué officiel du Fatah (formation majoritaire au sein de l’AP) publié le 16 mars dénonce avec véhémence le Hamas, le désignant pour responsable d’une catastrophe pire que la Naqba (la défaite palestinienne en 1948). Le Fatah rappelle que le Hamas a déclenché l’offensive du 7 octobre sans l’avis des autres courants politiques palestiniens, et l’accuse même de vouloir proposer à Israël des compromis allant à l’encontre des intérêts palestiniens, pour sauvegarder les intérêts de ses dirigeants. Cette attaque sans précédent a eu une traduction sur le terrain : dans la nuit du 16 au 17 mars, des personnes cagoulées, liées au Fatah dans la bande de Gaza, ont escorté des convois de ravitaillement dans la ville de Gaza et le camp de réfugiés de Jabaliya. Leur porte-parole a précisé qu’ils prenaient leurs ordres de Mahmoud Abbas, président de l’AP depuis 2004.

Ce n’est sans doute pas un hasard si ce revirement du Fatah est intervenu au moment où les premières livraisons d’aide acheminées par la marine américaine étaient déchargées sur un débarcadère contrôlé par les États-Unis, au nord de Gaza. Tête de pont logistique et politique américaine, ce port improvisé permettrait à Washington de peser sur la logistique et la distribution et d’y associer l’AP.

Le terme anglais Lord (« Seigneur ») tire son origine des mots de vieil anglais hlaf (« pain ») et weard  (« gardien »). Le maître est celui qui contrôle le pain. C’est précisément l’enjeu du tragique Hunger Game qui a lieu à Gaza.


[1] Le 19 mars, le chef de la police du camp de refugié de Nuseirat, au sud de la ville de Gaza, a été tué par l’armée israélienne. Il était soupçonné par Israël de participer au détournement de l’aide internationale au bénéfice du Hamas.

Larmes sans conscience

Dans son dernier essai, Pascal Bruckner s’attaque aux rentes mémorielles et aux « forbans de la mémoire ».


Détournant le fameux cogito de Descartes – Je pense donc je suis – Pascal Bruckner, en intitulant son livre Je souffre donc je suis, annonce les changements anthropologiques de notre époque. Si le christianisme qui, dans la suite du judaïsme, donna à la victime innocente ses lettres de noblesse, si elle en fit même un Dieu souffrant et pourvut la civilisation chrétienne d’une morale du prochain, force est de constater qu’aujourd’hui nous vivons un « christianisme dévoyé » qui n’en finit pas de remonter le temps pour asseoir les gémissements des uns et la culpabilité des autres.

Ignorant le pardon, l’humanitarisme éploré favorise la posture victimaire et, comme l’a très bien compris René Girard que l’auteur rappelle ici, les rivalités mimétiques fabriquant des rivaux pour la place de l’élu dans le malheur général. Celle-ci étant occupée depuis un moment par Auschwitz, sorte d’horizon indépassable, il y a foule au portillon pour réclamer qu’elle change de lieu-dit.

Nihilisme victimaire

Comme « un certain féminisme nord-américain voit dans l’industrie du X Dachau introduit dans la chambre à coucher », Pascal Bruckner affirme que « ce n’est plus à l’oubli qu’il faut arracher Auschwitz, mais à son kidnapping par les forbans de la mémoire ». D’une autre façon, les décoloniaux estimant que l’esclavage fut un mal bien supérieur, nivellent la Shoah et en font un détail dans « l’histoire de l’impérialisme occidental ». Jacques Vergès, au procès Barbie, n’hésitera pas à dire que « le nazisme n’est que l’autre face du colonialisme ». Quant aux islamistes, ils jugent mériter infiniment plus « l’habit de lumière » de la victime absolue que les juifs, devenus forcément tortionnaires. Ils prétendent donc substituer l’islamophobie à l’antisémitisme, mais « l’assertion est fausse, elle suppose que l’antisémitisme ait disparu sous nos climats, ce qui est inexact comme l’attestent les douze citoyens juifs français tués par des islamistes radicaux depuis vingt ans ».

A lire aussi, du même auteur: Une entourloupe majeure

Par ailleurs, comme « à la rédemption chrétienne se substitue la réparation » confiée aux bons soins du Droit, les réclamations pleuvent et se pervertissent en « rente mémorielle » sur un nombre infini de générations. La faute ne s’arrête jamais, la dette non plus. Dans le manifeste du Parti des Indigènes de la République, publié en 2005 et cité par l’auteur, il est dit que « la France a été un État colonial (…) La France reste un État colonial. » Pour les siècles des siècles, vous dis-je ! Dès lors, la victime ou descendante de victime est vouée à le rester pour le restant de ses jours et à passer le relai aux suivants. « Car une victime qui réussit reste une victime qui porte jusqu’au terme les stigmates de sa condition ». Il va de soi qu’à aucun moment, Pascal Brukner ne nie que victimes il y ait ; c’est l’esprit de victimologie qui est ici en cause, le ressentiment éternel, le nihilisme qui va avec, et l’impossibilité pour la victime précisément de cesser de l’être !

Sans compter que la victime peut choisir parmi les torts ceux qui rapportent le plus ; ainsi de l’Algérie qui n’en finit pas d’accuser la France de son malheur mais ignore radicalement les trois siècles d’occupation ottomane…

Bénéfices secondaires

Le pendant de la victime éternelle sera le coupable sans rémission, qui se bat la coulpe avec quelque bénéfice secondaire : « La culpabilité post-coloniale est le symptôme de notre perte d’influence, la dernière tentative des anciens dominateurs de se croire importants. » Une sorte de complexe de supériorité qui interdirait à l’Autre de pouvoir faire le mal et l’infantiliserait par la même occasion…

Autre changement notable : la victime prend peu à peu la place du héros. Le philosophe en veut pour preuve la proposition que fit François Hollande de donner la Légion d’honneur à titre posthume aux personnes massacrées au Bataclan. Le grand chancelier exprima son désaccord. Depuis sa création, cette récompense est attribuée à qui s’est battu pour la France et pas à ceux qui furent abattus, même en son nom ! Et cette tendance a pris tant d’importance qu’il n’y a désormais plus aucun incident qui ne bénéficie de sa « cellule psychologique » et, quand il n’y a pas à proprement parler d’incident, on va en quelque sorte l’anticiper : « En octobre 2016, les passagers d’un vol Djerba-Paris qui avaient dû faire demi-tour en raison d’un problème technique (…) se sont constitués en association pour réparer leur « préjudice d’angoisse » ! Les « micro-agressions » verront ainsi le jour : « À l’Université de New-York, un numéro de téléphone permet d’appeler de façon anonyme et de déclencher une enquête sur tel ou tel professeur », encourageant au passage un formidable esprit de délation. À tout cela, Pascal Bruckner oppose le rappel du tragique au sein de notre condition et un stoïcisme plus qu’opportun si l’on ne veut pas finir en avachis récriminants. Car c’est bien ce profil qui s’impose aujourd’hui et que Bernanos résumait si bien : « Ils ont la tripe molle et le cœur dur. »

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Sans compter qu’à force de vouloir ravauder le passé, ce sont le présent et l’avenir qui se trouvent compromis, et qu’on oublie d’être contemporains de son temps. Combien sont-ils qui se plaignent de l’esclavage d’il y a trois siècles, et qui restent merveilleusement indifférents à celui d’aujourd’hui ?

Enfin, l’écrivain, dans une page magnifique empruntant cette fois à Péguy, dit la nécessité de l’Histoire pour corriger les effets de la Mémoire. L’auteur de Notre jeunesse « distinguait la mémoire, verticale, de l’histoire, horizontale, et les disait même à angle droit : la première est une profondeur émotionnelle qui vient directement du passé, la seconde aplanit et passe les faits en revue. Si la mémoire condamne et foudroie, l’histoire désacralise, explique et réconcilie ». Au devoir de mémoire qui sature les esprits et qui dit «  Je souffre », l’écrivain philosophe nous invite à un devoir d’histoire où le « Je pense » retrouverait sa vertu.

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Afro-Chinois

Alors qu’en France, nous légiférons contre la discrimination capillaire, la tendance des coupes afro gagne… l’Asie. Cette mode est critiquée par les woke, alors qu’elle est aussi étonnamment saluée par des internautes africains. Une indulgence à laquelle n’ont jamais droit les Européens.


En Occident, chanteurs, mannequins et autres people, de Kim Kardashian à Justin Bieber, sont régulièrement forcés de s’excuser pour avoir plagié les cultures afro-américaine et africaine en osant arborer dreadlocks ou « cornrows ». Les Chinois n’ont pas ces états d’âme. Les coiffures « ethniques », surtout la coupe afro, sont au cœur d’une nouvelle tendance capillaire qui déferle sur l’empire du Milieu, ainsi que sur la Corée et le Japon. Cette mode touche non seulement les femmes, mais aussi les hommes, qui n’hésitent pas à s’afficher en public et sur les réseaux sociaux avec le look d’un membre des Jackson Five de la grande époque, vers 1975. Il y a dix ans, la Congolaise Martha Makuena a ouvert son premier salon à Pékin ; aujourd’hui, les coiffeurs spécialisés autochtones se multiplient en Extrême-Orient. Sur Weibo et TikTok, des particuliers partagent des photos de leur éruption chevelue, pendant que les professionnels postent des vidéos faisant étalage de leurs techniques.

À lire aussi : Appropriation culturelle : c’est tiré par les cheveux !

Inévitablement, une fois informés, des wokistes afro-américains ont donné libre cours à toute leur indignation. Les uns dénoncent une appropriation et une marchandisation de leurs traditions. D’autres rappellent que, dans les années 1970, la coupe afro était le symbole d’une affirmation politique face à la discrimination raciale, symbole que, par respect, on ne devrait pas trivialiser. D’autres encore font remarquer que, même aujourd’hui, arborer le style en question peut être un obstacle à l’embauche pour des chercheurs d’emploi noirs, contraints donc de lisser leurs cheveux. Pourtant, ce sentiment n’est pas nécessairement partagé par tous les internautes, notamment en Afrique. Là, des commentateurs ont salué le phénomène comme une forme de flatterie, d’hommage, voire de métissage culturel apte à rapprocher Africains et Asiatiques. Quand on sait que les Chinois sont souvent accusés de racisme anti-Noirs en Chine, et de comportement colonial en Afrique, cette mansuétude peut étonner. Les Occidentaux n’ont jamais droit à la moindre indulgence.

Sous vos applaudissements…

Médias conservateurs surveillés, nouvelles législations contre les discours de « haine », retour du délit de blasphème… Comment les pouvoirs en place s’acharnent aussi contre la liberté d’expression en Occident


Les démolisseurs de la France sont contents d’eux. Ils ne veulent entendre que des applaudissements. S’indigner des désastres sécuritaires liés à leur «société ouverte» devient risqué pénalement. L’«incitation à la haine» est le nouvel argument des censeurs. Ceux-ci ne voient rien, en revanche, de l’antisémitisme islamique ni du racisme anti-blanc des minorités ethniques.

Le site d’extrême gauche Médiapart illustre l’application liberticide du procédé accusatoire, avec la publication cette semaine d’une enquête à charge contre CNews, qualifiée de « fabrique de la haine »[1]. Parce que la chaîne d’information a notamment choisi de décrire la réalité de la vie des gens ordinaires, elle déchaîne l’agressivité – la haine – des dénégationnistes qui aimeraient interdire les critiques contre l’immigration de masse et l’islam prosélyte, quitte à rétablir le délit de blasphème au profit de cette dernière religion. Or cette régression démocratique est encouragée par le pouvoir. La macronie avait déjà commis en juin 2020 la loi Avia qui entend traquer les « propos haineux » sur l’internet, sans définition juridique. En 2018, Emmanuel Macron s’en était pris, lui, à « la foule haineuse » des gilets jaunes. Le 6 mars dernier, deux députés Renaissance ont déposé une proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale pour des « propos à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire » tenus en privé cette fois ! Quant à Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, il vient d’annoncer sa volonté de sanctionner des « entreprises de désinformation » coupables de contester le discours officiel sur la guerre contre la Russie. La liberté d’expression est en grave danger.

À lire aussi, Isabelle Larmat: Les confidences gênantes de l’ex de François Ruffin

Le plus stupéfiant est de constater la constante apathie des médias face à ces atteintes à la liberté de dire et de penser. En réalité, beaucoup d’entre eux cautionnent l’idéologie du vivre ensemble, qui n’arrive à convaincre de ses prétendus bienfaits que par l’interdiction des contestations. Même les établissements scolaires privés, coupables pour certains de leur élitisme, sont sommés de s’ouvrir toujours plus à la diversité. Or c’est une pente totalitaire qui est suivie par ceux qui prétendent être dépositaires du Bien et de la morale. L’exemple de l’Écosse, dont le premier ministre Humza Yousaf a appelé à la prière musulmane depuis sa résidence de Bute House le 28 mars, devrait être une alerte générale pour tous les défenseurs de la liberté. En effet, depuis le 1ᵉʳ avril, une loi y criminalise les propos ou attitudes « incitant à la haine » non seulement contre les races mais aussi contre l’âge, le handicap, la religion, l’orientation sexuelle ou l’identité transgenre. Pire : le crime haineux peut aussi être constitué par des propos tenus en privé.

Le rêve de la macronie est donc déjà en place en Écosse, où Orwell écrivit son 1984. « Arrêtez-moi ! », a défié J.K. Rowling, l’auteur de la saga Harry Potter, qui entend encore soutenir « qu’un homme est un homme » : un propos haineux pour les transgenres. Qui arrêtera l’infernale machine à décerveler ?

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[1] https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/010424/comment-i-tele-est-devenue-cnews-fabrique-quotidienne-de-la-haine

Mort d’Émile: pourquoi sommes-nous bouleversés?

Depuis la découverte dimanche dernier des ossements du petit garçon, les Français se passionnent à nouveau pour cette affaire. Pour de mauvaises raisons?


Cette fois encore, CNews ne sera pas la première chaîne d’information continue de France. Avec une audience moyenne de 2,7 % enregistrée au cours du mois dernier, elle vient certes d’égaler, pour la seconde fois de son histoire (la première remontant à décembre), le leader BFMTV. Mais elle n’est pas parvenue à coiffer son concurrent au poteau.

Le 31 mars, soit dans l’ultime ligne droite du décompte mensuel, BFMTV a en effet redressé, de façon spectaculaire, son score, en attirant pendant une dizaine d’heures deux fois plus de téléspectateurs que la chaîne de Vincent Bolloré. L’explication d’une telle affluence ? Ce jour-là, le procureur de la République d’Aix-en-Provence a annoncé l’identification de divers ossements humains, découverts la veille par une randonneuse, comme étant ceux du petit Émile, le garçonnet disparu dans les Alpes-de-Haute-Provence cet été.

BFMTV en édition spéciale

Alors que les autres médias ont choisi d’accorder à cette nouvelle un traitement prioritaire, en ouverture de leurs bulletins d’information, BFMTV a carrément décidé de couvrir l’événement en mode “édition spéciale”. Résultat, tandis que CNews diffusait, comme prévu, son émission religieuse “En quête d’esprit”, BFMTV, quant à elle, n’hésitait pas à interrompre en direct, et de manière à peine courtoise, une interview d’Alain Finkielkraut sur Gaza, afin de pouvoir consacrer au plus vite l’entièreté de son programme à l’affaire Émile.

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Ce n’est pas la première fois que BFMTV casse sa grille pour un fait divers. En février 2023, à l’occasion de l’accident de voiture de Pierre Palmade, la chaîne dirigée par Marc-Olivier Fogiel avait consacré à cette information un temps d’antenne dix fois supérieur au séisme survenu quelques jours plus tôt en Turquie (56 000 morts, 105 000 blessés).

Il n’est pas question de discuter ici la ligne éditoriale d’un média. Le pluralisme, cette belle idée dont se gargarise Reporters sans frontières à longueur de temps, c’est aussi cela: la liberté pour chaque organe de presse de hiérarchiser les faits selon ses propres critères, et pour le public de choisir son canal d’information comme il l’entend.

L’espoir de connaître enfin la vérité

Reste que l’on voit mal comment un média peut commenter une telle histoire autrement que dans le registre du pathos. Aussi bouleversante soit sa disparition, Émile n’est probablement pas décédé des suites d’une mauvaise politique, d’une dramatique décision économique ou d’un travers de notre société. Aucune leçon collective ne saurait être tirée de sa mort, si ce n’est que l’on peut se féliciter d’avoir en France une gendarmerie et une justice sachant se donner les moyens d’élucider les plus terribles affaires.

Cette mort est une tragédie. Elle n’est qu’une tragédie. Osons une hypothèse : si elle émeut tant les Français, c’est non pas tant parce qu’elle remue en eux le voyeurisme ou le goût de l’énigme, mais bien davantage parce qu’elle les conduit à un fol espoir: celui que la vérité soit faite sur ce drame, que l’enfant n’ait pas souffert, et que ses parents puissent surmonter cette épreuve indicible.

Turquie: l’après-Erdogan a-t-il vraiment commencé?

Depuis qu’il est au pouvoir, Erdogan a empêché de nouvelles têtes d’émerger au sein de son parti, l’AKP, compromettant ses chances de conserver le pouvoir en Turquie. L’analyse de Selmin Seda Coskun, chercheuse associée et co-animatrice du programme de recherche “Le nouvel Orient turc”1 de l’Institut Thomas More.


Les élections locales ayant eu lieu ce dimanche 31 mars vont sans doute marquer le début d’un nouveau cycle dans la vie politique turque. Si elles ne signifient pas la fin du règne personnel d’Erdogan, elles marquent la fin de la prédominance de son parti, désormais en grave déclin. La défaite de l’AKP conduira selon toute vraisemblance à sa fragilisation et, Erdogan ayant annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2028, son ou ses successeurs risquent d’avoir du mal à reproduire ses succès. D’autant que, forte du succès de dimanche, l’opposition devrait avoir le vent poupe pour 2028.

Le CHP premier parti du pays

Avec l’un des meilleurs résultats de son histoire à un moment où il semblait le plus ébranlé après sa défaite aux élections présidentielle et législative de mai 2023, le CHP (Parti républicain du peuple, centre-gauche), principal parti d’opposition, a non seulement conservé les grandes villes d’une importance cruciale (Istanbul, Ankara, Izmir) mais a réussi à accroître le nombre de ses voix dans tout le pays. Il a battu les candidats de l’AKP dans plusieurs de ses bastions. Avec le taux de participation de 78%, remportant un total de 35 villes et 420 municipalités à l’échelle de la Turquie, le CHP est devenu le premier parti de Turquie (37,74%), devant l’AKP (35,54%).

Le terne Kılıcdaroglu écarté

Trois principaux facteurs expliquent le succès de l’opposition. Premièrement, après la défaite du CHP en 2023, la nouvelle direction du parti (Özgür Özel remplaçant Kemal Kılıcdaroglu) a pris des risques avec une nouvelle organisation et une nouvelle méthode de travail, qui se sont révélées payantes. Outre Ekrem Imamoglu, le charismatique maire d’Istanbul, qui s’est posé en brillant rival d’Erdogan ces dernières années, Mansur Yavas, maire d’Ankara, a également fait une remarquable campagne. Deuxièmement, le CHP a su rallier les voix du parti IYI (centre-droit) et des Kurdes, qui ont pour leur part éclipsé l’AKP dans les régions de l’est et du sud-est du pays. Enfin, la démobilisation des électeurs de l’AKP, notamment en raison de la récente crise économique, a donné un net avantage à l’opposition.

Une femme à Ankara. Au premier plan, une affiche de Kemal Kilicdaroglu, un opposant sérieux d’Erdogan, mai 2023 © SOPA Images/SIPA

L’AKP et sa coalition conservent le pouvoir central

Cette sèche sanction s’explique aussi, plus profondément, par le fait que l’AKP n’a cessé de décliner ces dernières années. Fondé par Erdogan dans le prolongement de partis islamistes déjà existants, l’AKP est au pouvoir depuis qu’il a remporté ses premières victoires électorales en 2002. Depuis qu’Erdogan a quitté la présidence du parti en 2014, le fossé entre lui et son parti s’est lentement creusé. Lors des élections de 2015, l’AKP perdit pour la première fois sa majorité parlementaire sous la direction d’Ahmet Davutoglu, alors Premier ministre. Et Binali Yıldırım, qui prit ses fonctions en 2016, ne fut pas en mesure de rétablir l’élan d’Erdogan. Depuis, l’AKP n’a trouvé à s’allier qu’au parti nationaliste MHP, peinant à élargir sa base. Certes, avec le soutien des partis nationalistes, islamistes et islamo-kurdes, l’AKP est arrivé à obtenir la majorité au Parlement lors des élections de 2023. Mais, après ces élections, le gouvernement s’est trouvé confronté à d’importantes difficultés économiques qui l’ont vite rendu impopulaire. À l’inverse des élections de 2023 et suite aux dévastations économiques causée par les tremblements de terre majeurs de février, les élections de 2024 se sont déroulées avec des ressources limitées. L’AKP n’a pas pu faire de promesses inconsidérées. Poussant vers un vote-sanction nombre de retraités, d’employés et de chômeurs, mécontents d’une l’hyperinflation croissante, la crise économique actuelle a été la principale alliée de l’opposition.

Qui sera sultan à la place du sultan ?

On voit mal comment l’AKP pourra conserver le soutien massif de pans entiers de la population après le départ annoncé d’Erdogan, car une grande partie de ce soutien repose sur son leadership personnel. Comme l’analysait Max Weber, un leader qui sait bien lire la sensibilité d’une société et en exprimer les attentes peut être suivi par la masse, parce que le sentiment d’impuissance ressenti par la société peut être renforcé par l’influence de son charisme. Cependant, ce type de leadership émerge généralement d’une conjoncture sociologique et politique singulière, d’un moment de crise ou de doute d’une société. Erdogan a su capter l’attention d’une partie de la population turque sensible aux revendications musulmanes, en réaction à l’héritage politique kémaliste. Sa capacité à lire les sensibilités sociales et à s’intégrer à la société a renforcé son influence, suscitant chez certains un sentiment d’impuissance face à son charisme et à sa confiance en lui-même. A ce jour, on ne voit personne dans son camp capable de lui succéder.

A l’inverse, l’opposition dispose de deux fortes figures. Au lendemain de ce 31 mars, bien des acteurs se projettent dans l’après-Erdogan. Il est possible, bien sûr, qu’Erdogan se lance dans des modifications constitutionnelles (dont il a parlé avant l’élection) ou annonce des élections anticipées. Mais même s’il faisait un tel choix, celui d’une fuite en avant autoritaire, il ne pourra effacer les résultats de dimanche.

Un nouveau cycle s’ouvre. Celui de tous les dangers, peut-être. Mais aussi celui de toutes les opportunités, si l’opposition sait être à la hauteur de l’enjeu.


  1. https://institut-thomas-more.org/2024/03/16/le-nouvel-orient-strategique-turc/ ↩︎

Dieu cherche-t-il à nous convaincre qu’il n’existe pas?

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Avant même de savoir qu’il avait ce magnifique patronyme, qu’il s’appelait Émile Soleil, je le trouvais solaire. La blondeur, le sourire éblouissant, mais surtout la photo avec le pissenlit rond et jaune accroché à l’oreille, tout en lui évoquait l’astre du jour au matin, dans le plein triomphe de son enfance radieuse. Mais pour que cette image ne soit pas gâchée de mièvrerie, le visage montrait aussi de l’énergie, une masculinité déjà affirmée, comme celles de l’époque où l’on n’avait pas accolé à ce mot l’adjectif atroce et injuste de “toxique”. Encore quinze ou seize ans et Émile ferait chavirer bien des cœurs de demoiselles en Provence et au-delà.

Pâques est lié au printemps, au resurgissement du jeune soleil qui a triomphé de la nuit à l’équinoxe. Noël est de la nuit et Pâques est du matin, Noël est de l’hiver et Pâques est du printemps. La Providence l’a voulu ainsi pour que l’année liturgique chrétienne soit liée à nos rythmes biologiques les plus profonds. Que ceux qui en doutent lisent les deux ouvrages de Jean-Christian Petitfils Jésus et Le Suaire de Turin, l’enquête définitive. Dans le premier il explique que la conjonction de planètes identifiée par Kepler comme étant l’étoile de Noël, qui a lieu tous les 753 ans, se reproduit trois fois dans l’année, dont la dernière fin décembre. Dans le second, il nous apprend que les spécialistes de pollens ont trouvé dans le Suaire des traces d’une plante qui n’existe qu’autour de Jérusalem et fleurit en avril. Ceux qui croient encore aux résultats du carbone 14, erronés et traficotés, me recopieront le livre de Jean-Christian, qui fait tout de même un nombre de pages respectable.

Je ne vais jamais à la Veillée Pascale, qui me paraît un contresens moderniste même si elle a parait-il des racines anciennes, je vais toujours à la messe du matin de Pâques et j’y entends le sublime évangile de Luc sur le matin de la Résurrection : “Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant”.

Mais voilà que la réalité voulue par Dieu, ou par le hasard, chacun juge suivant ses convictions, a mis un terme à la vie d’Émile Soleil de la pire façon. La veille de Pâques, une femme a trouvé un crâne d’enfant dans un bois peu éloigné du Haut-Vernet, l’a pris avec précaution et a appelé les gendarmes. Le crâne a été authentifié dans la nuit, et au matin la terrible nouvelle a été portée aux parents. Une note du Figaro dit que l’annonce leur a été faite pendant qu’ils quittaient leur maison pour aller à la messe de la Résurrection, une autre note dit qu’ils auraient été informés pendant la messe, ce qui serait un comble de cruauté. Toute l’histoire d’Émile est comme saturée de symboles, au-delà du christianisme elle semble renvoyer aux contes les plus archaïques de l’humanité. L’enfant s’est perdu dans la forêt des terreurs ancestrales et, à l’inverse du petit Poucet, il avait oublié de disposer des cailloux pour retrouver son chemin.

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques: Mort d’Émile: pourquoi sommes-nous bouleversés?

Pour un chrétien, c’est une histoire tout à fait scandaleuse, déroutante, une épreuve qui risque de faire croire davantage en l’existence du diable qu’en celle de Dieu. On se souvient que dans La Peste de Camus, le docteur Rieux a perdu la foi à cause de la mort d’un enfant innocent. Une envie puérile nous prend, celle de pousser Dieu de son trône et d’installer une tout autre histoire dans les bois du Haut-Vernet. Le co-pilote de la German Wings s’est éjecté au dernier moment, il ne voulait pas se suicider, mais satisfaire sa haine terrible de l’humanité. Il a échappé aux recherches et survécu dans la rude montagne des Trois-Evêchés en retournant à l’animalité, en vivant comme les loups et les ours, en s’abritant au plus fort de l’hiver dans une tanière. Un soir de l’été suivant, il a vu venir à lui un petit ange blond qui l’a bouleversé et a réveillé son humanité. Il n’était ni ogre ni pédophile, mais a voulu garder près de lui cet enfant merveilleux comme Silas Marner, le tisserand avare de George Elliot dans le roman éponyme. Cet homme trouve une fillette blonde à sa porte un soir de Noël et l’adopte. Au matin de Pâques, l’homme en guenilles a pris l’enfant par la main, l’a ramené au village, et a disparu après l’avoir laissé à la première maison. Plus besoin de chercher parmi les morts cet enfant qui est vivant ! Joie immense dans la chrétienté, consolation contre la fin programmée de la catholicité par manque de prêtres, consolation contre le massacre universel des chrétiens, au Sri Lanka, dans la banlieue de Rouen, au Nigéria, Pakistan etc…

Mais Dieu est avare de miracles, il a refusé mon scénario à l’eau de rose. Alors, pourquoi croire encore en Lui ? D’abord pour suivre l’exemple de la famille d’Émile, qui a manifesté tant de dignité dans sa douleur, qui a totalement refusé le quart d’heure de célébrité warholienne dont l’attrait difficilement résistible fait naître en ce moment des vocations de plus en plus nombreuses de menteurs et surtout de menteuses. Il y a juste eu ce très court message de la mère qui suppliait un éventuel ravisseur de lui rendre Émile, message uniquement vocal. Aux dernières nouvelles, personne dans cette famille très chrétienne n’a annoncé qu’il renonçait à sa foi pour cause de cruauté divine dans cet antimiracle.

Quant à moi, j’ai une foi de charbonnier indéracinable, mais je propose à ceux qui ne l’ont pas la lecture de l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils dont je parlais, Le Saint Suaire de Turin, Témoin de la Passion de Jésus-Christ. Dieu nous a laissé une preuve matérielle de la Résurrection, mais comme dans la nouvelle d’Edgar Poe La lettre volée, elle est trop visible pour qu’on la voie. Le grand historien a mené une enquête approfondie sur l’itinéraire du Suaire, de Jérusalem à Constantinople, puis en Champagne après le sac de la ville par les Croisés, en Savoie et aujourd’hui à Turin. Il explique longuement les erreurs et les mensonges des trois laboratoires différents qui ont voulu dater le Suaire au carbone 14, il rend compte de toutes les analyses scientifiques qui ont prouvé que le linge a été tissé au Proche-Orient au Ier siècle après-JC. Des spécialistes des tissus anciens aux spécialistes des pollens, des centaines d’universitaires y ont travaillé, mais on bute à la fin sur l’impossibilité absolue d’expliquer la formation de l’image.

Les ossements d’Émile seront tôt ou tard confiés à la terre, il nous restera ce visage si émouvant de l’Enfance Eternelle qui fera peut-être le miracle de ralentir la dénatalité en Occident.

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Être ou ne pas être, en avoir ou pas?

Jusqu’à présent, les personnes transgenre devaient importer leurs sous-vêtements des États-Unis, en les commandant sur internet, apprend-on. Heureusement, en France, la marque Be Who You Are, qui propose des « sous-vêtements d’affirmation de genre », se décide enfin à « casser les codes ».


L’opportunisme marchand étant à peu près sans limites, voici que vient de se créer une ligne de sous-vêtements destinés aux personnes trans, celles et ceux qui se trouvent confronté(e)s aux affres de la « dysphorie de genre ». Selon la définition du Groupe Hospitalier Universitaire Paris (GHU, psychiatrie et neurosciences), « le terme dysphorie de genre décrit le sentiment de détresse ou de souffrance qui peut être exprimé parfois par les personnes dont l’identité de genre, l’identité sexuée ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. » Préalablement le GHU rappelle la notion de base selon quoi le sexe renvoie aux « caractéristiques physiologiques qui différencient les hommes et les femmes, alors que le genre renvoie davantage à la dimension sociale et culturelle de la sexuation: les rôles, les comportements, tous les attributs qu’une société considère à un temps donné comme appropriés à un sexe. »

Ricanements

Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de contester le moins du monde le fait que se sentir homme dans un corps de femme ou femme dans un corps d’homme puisse être cause de mal-être, de souffrance, et que comme toute souffrance celle-ci nécessite un accompagnement, éventuellement une prise en compte et en charge. C’est l’évidence même. Dès lors, considérée de ce point de vue, il n’y a rien à redire quant à l’initiative « cache sexe » des promoteurs de la ligne de sous-vêtements « Be who you are », en bon français « Soyez ce que ce vous êtes »1. Des sous-vêtements dont le port permet, par compression des protubérances mal venues, de modifier l’apparence genrée de la personne. (Un esprit taquin et outrageusement réactionnaire pourrait faire observer que nous serions donc là plus près du «  Soyez ce que vous n’êtes pas » que du « Soyez ce que vous êtes »).

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Cachez ces seins que nous ne saurions voir et aplatissez-moi, je vous prie, ce renflement obscène de l’entrecuisse, voilà schématiquement l’enjeu. Je suis probablement en retard d’une civilisation ou deux car j’en étais resté à ce qui avait cours autrefois, dans mes jeunes années. À l’inverse, les gamines avaient plutôt tendance à bourrer de coton leur soutien-gorge afin de se Maryliniser et on considérait que le renflement pubien avantageux des danseurs étoiles relevait de la même arnaque. Sans oublier bien sûr celui si généreusement mis en avant du torero, qui donnait lieu celui-ci à cette plaisanterie inusable et très fine qu’on se colportait en ricanant bêtement: « C’est là-dessous qu’il planque les piles pour l’habit de lumière ». Autres temps, autres mœurs, dirons-nous.

Tous victimes de la société

Là où on ne songera plus guère à ricaner c’est à la lecture de la définition évoquée plus haut, concoctée par les éminences dites scientifiques du GHU Paris, et qui assène sans autre forme de justification, d’argumentation que « l’identité de genre, l’identité sexuée » ne relèverait aucunement de l’état de nature  – en avoir ou pas – mais à une « assignation » qu’exercerait dès la naissance la très perverse société, distributrice des rôles, des comportements, des attributs pour la seule satisfaction de supposés besoins.

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On touche alors à l’essentiel de la doctrine, du dogme : il faut absolument une victime et un coupable. Un opprimé et un oppresseur. Le reste ne serait que (mauvaise) littérature. La vérité de la nature ne compte pas. Au lieu de promouvoir l’apaisante acceptation de cette vérité de nature, et donc l’harmonie toute simple et indolore entre sexe et genre, on s’ingénie à cultiver le terreau du mal-être, de la souffrance. La souffrance pour tous, puisque tout être naissant et grandissant se voit désormais plus ou moins sommé de se poser un jour ou l’autre la question : être ou ne pas être, suis-je ce que je suis ? Ou m’a-t-on délibérément abusé, violé dans mon être même en me serinant dès la sortie du ventre de ma mère : «  tu seras un gars ma fille, ou tu seras une fille mon gars ! » Comme si l’adolescent, l’adulte en devenir ne portait pas en lui, avec lui, assez de doutes, d’incertitudes de questionnements comme cela sans aller lui en fabriquer un de plus – et de quel calibre !- tout à fait artificiellement, tout au moins dans l’immense majorité des cas ? Il faudrait quand même que nous nous mettions à nous interroger sérieusement sur ce penchant très actuel qui consiste à tout mettre en œuvre pour tourner le dos aux quelques chances que pourrait avoir notre humanité d’être une humanité heureuse. Enfin, un peu plus heureuse. C’est-à-dire davantage à l’écoute de la nature, pas seulement pour la sauvegarde du coléoptère des mares à canards, mais avant tout pour le petit d’homme. Il le vaut bien, comme il est dit dans la réclame.


  1. https://www.causeur.fr/wp-content/uploads/2024/04/communique-be-who-you-are.pdf ↩︎

Un court voyage aux Etats-Unis

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Musée des États-Unis du mémorial de l'Holocauste, Washington. DR.

Richard Prasquier revient des États-Unis, où il a pu jauger l’état de l’opinion américaine vis-à-vis d’Israël, alors que pour la première fois Joe Biden envisage de conditionner l’aide américaine à des mesures «tangibles» de la part du gouvernement de Benyamin Netanyahu pour répondre à la catastrophe humanitaire en cours à Gaza.


Difficile de parler d’événements familiaux alors que l’actualité à Gaza est lourde, avec la mort des sept humanitaires de World Central Kitchen, une ONG qui, contrairement à d’autres, n’était pas anti-israélienne, mais Israël sera présent tout au long de cette chronique.

Les « chanceux »

Nous étions la semaine dernière aux États-Unis, nous, c’est-à-dire les membres de la famille maternelle de mon épouse, avec les pièces rapportées, qu’elle a l’amabilité d’appeler des valeurs ajoutées. 26 personnes venues de France, du Brésil, d’Israël, de Colombie et de divers États américains. C’était au Musée de l’Holocauste à Washington, où une soirée était consacrée aux descendants de Shlomo et Nehuma Kurc, de Radom, une ville à une centaine de kilomètres au sud de Varsovie. Avec leurs cinq enfants et leurs deux petits-enfants, ils ont tous survécu à la guerre, dans une Pologne où 90% des Juifs furent assassinés. Un livre, We were the lucky ones (en français Sur les ailes de la chance), écrit par une de leurs arrière-petites-filles, raconte leur épopée. Il fait l’objet d’une adaptation en série télévisée qui commence à être diffusée par une plateforme numérique, Hulu. Une histoire de chance, bien sûr, mais aussi d’ingéniosité et d’énergie. 

Au début de la cérémonie, on a, comme de coutume dans le Musée, demandé aux survivants de la Shoah de se lever. J’ai été surpris par leur nombre. Parmi eux, il y avait le cousin José, 83 ans, le symbole de cette joie de vivre si caractéristique de certains Brésiliens. Le film décrit sa naissance dans un camp de travail en Sibérie où ses parents avaient été envoyés comme ennemis du peuple et sa très improbable survie par des températures de – 40°. Jamais chez lui on ne parlait de cette période; il ne fallait pas traumatiser les enfants…

Parmi les discours, il y eut celui de notre fils, venu de Tel-Aviv, qui a rappelé que le premier massacre à caractère génocidaire de Juifs depuis la Shoah a eu lieu le 7 octobre 2023. Dans le public du Musée de l’Holocauste, chacun, je pense, a approuvé. Qu’en aurait-il été ailleurs ?

Les jeunes américains et Gaza

Dans la cafétéria surchargée, nous avions partagé notre table avec un couple d’Américains, professeurs dans une école protestante d’Atlanta qui amènent chaque année leurs élèves au Musée de l’Holocauste. Je leur demande s’ils ont vu des changements dans le comportement de leurs élèves au fil des années. Des changements énormes, me répondent-ils. Les adolescents sont entièrement autocentrés, ils ne s’intéressent pas à l’histoire mais, surtout, ils n’ont pas envie d’apprendre. 

– Quelle est l’influence du mouvement woke?  

– Une catastrophe incompréhensible!  

– La guerre de Gaza? 

– Autant vous le dire, nous, nous sommes des partisans résolus d’Israël. Mais chez les jeunes, ce n’est pas souvent le cas… 

Récemment ouvert sur capitaux privés, le Musée de la Bible est un mélange d’humanisme, de volontarisme évangélique, d’admiration pour le Vatican et de respect pour le judaïsme. Avec des vitrines de grande minutie archéologique et d’autres qui incorporent sans filtre le récit biblique, ce musée cherche à renforcer le fait religieux dans la vie de la cité en insistant sur le rôle capital que la Bible, toute la Bible, a joué dans l’histoire américaine. 

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Inversement, un autre grand classique du pays, la liberté d’expression, ne joue pas, c’est un euphémisme, en faveur d’Israël et des Juifs. Les amis qui étaient fiers des prestigieux campus américains se désolent, stupéfaits, des harcèlements antisémites auxquels leurs petits-enfants ont à faire face à l’université et se demandent si l’âge d’or des Juifs américains n’est pas terminé.

Benoitement installée devant l’entrée de la Maison-Blanche, une cabane est remplie de panneaux violemment pacifistes où l’appel au cessez-le-feu immédiat à Gaza et la critique d’Israël figurent de façon proéminente. 

Quant aux tensions entre les États-Unis et Israël, je ne suis pas dans les secrets de la diplomatie, mais je ne dis pas que les États-Unis ont « trahi » Israël en s’abstenant à cette fameuse motion du Conseil de Sécurité qui, malgré ses carences évidentes, appelle à la libération inconditionnelle de tous les otages. Je suis plus préoccupé par l’apparente volonté américaine de ménager l’Iran, sans qui les massacres du 7 octobre n’auraient pas eu lieu et dont la position internationale se renforce.

L’opinion américaine et les Juifs

C’est dans cet esprit que j’ai visité l’exposition du Musée de l’Holocauste sur l’attitude américaine envers les Juifs à l’époque du nazisme. Elle montre un pays tiraillé par le racisme, le vrai, où des noirs pouvaient être lynchés et des Juifs discriminés, où des nazis tels le populaire Charles Lindbergh pesaient sur la politique et où Breckinridge Long, responsable officiel de l’immigration et ami de Roosevelt, avouait dans son journal personnel son admiration pour Mein Kampf.

Elle montre le système implacable des quotas installé dès 1924 et maintenu après 1945, progressivement aggravé par des contraintes supplémentaires et une paperasserie d’une complexité ahurissante destinée à écœurer le demandeur de visa, le plus souvent un Juif allemand ou autrichien.

Elle montre aussi que, plus que l’antisémitisme, c’est la peur de perdre son emploi du fait de la concurrence des réfugiés et la peur de la guerre alors que leur participation à la Première Guerre mondiale avait laissé un mauvais souvenir, qui a été à l’origine de la politique longtemps accommodante des États-Unis à l’égard de l’Allemagne nazie.

La situation est aujourd’hui bien différente, car Israël existe et est militairement puissant. Mais il fait face à l‘hostilité, car le vieux slogan sur les Juifs responsables des guerres et des malheurs du monde continue à percoler dans les esprits et à les rendre aveugles aux menaces réelles, qui sont islamistes et totalitaristes et auxquelles la haine d’Israël sert de commode tête de gondole.

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«Pour avoir une chance de gagner, il nous faut dix fois plus d’armes»

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Ivan Ponomarenko sur la place Maïdan, Kiev, Ukraine, mars 2024 © Alexis Brunet

À Kiev, notre contributeur a rencontré Ivan Ponomarenko, un architecte ukrainien reconverti en opérateur de drones. Alors que l’armée russe semble en position de force, le soldat sonne le tocsin.


« Si je ne m’étais pas engagé dans l’armée, qui l’aurait fait à ma place ? », lance Ivan Ponomarenko sur la place Maïdan. Avant la guerre, ce Kiévien de 43 ans était architecte et maniait des drones pendant son temps libre. En février 2022, lors de l’invasion russe, il envoie sa femme et ses deux enfants dans les Balkans. En mai 2022, il s’engage dans l’armée comme opérateur de drones.

Bricolage de drones civils

Si les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans n’ont pas le droit de quitter le pays, l’armée manque de volontaires. Dans la capitale, impossible d’échapper aux affiches officielles appelant à rejoindre le front. Quelques jours avant notre rencontre, Ivan Ponomarenko était sur le front dans le sud-est du pays, territoire qui s’étend de la région de Kherson au Donbass. Pour des raisons de sécurité, nous ne saurons pas exactement où.

S’il connait des soldats qui manient des drones kamikazes, Ivan Ponomarenko manie des drones uniquement dans le cadre d’opérations de reconnaissance aérienne, précise-t-il. Militaires, civils, tous les engins sont bienvenus. Lors de collectes menées sur Instagram ou sur Facebook, des Ukrainiens achètent des drones civils en Europe de l’Ouest. Ils les donnent ensuite à l’armée pour qu’elle les retape et s’en serve.

En ces temps de pénurie d’armes, ce bricolage est loin d’être isolé. Alors que les villes de Kharkiv, Kherson, Odessa ou même Kiev sont actuellement pilonnées par des drones russes, pas une semaine ne passe sans que Volodymyr Zelensky exhorte l’Occident à lui fournir des systèmes de défense anti-missiles ou des armes.

« Ça fait deux ans qu’on attend des F-16. Pourquoi n’arrivent-ils pas ? Ce ne sont pourtant pas des armes extraordinaires mais des avions utilisés lors de la guerre du Vietnam », peste pour sa part Ivan Ponomarenko, qui estime à environ 2 000 le nombre d’avions de guerre dont dispose la Russie, en face desquels il va falloir bien plus que dix ou vingt F16…

Des champs de bataille dignes de la 2nde Guerre mondiale

« La bataille de Bakhmut ou d’Avdïïvka, par exemple, ressemble beaucoup à celle de Verdun. Elles n’ont rien à voir avec la bataille de Falloujah en Irak. Ce qui est en train de se passer sur le front n’a rien à voir avec les guerres d’Irak mais est très proche de la Première ou de la Seconde guerre mondiale », assure celui qui va régulièrement sur les champs de bataille.

Au vu du dynamisme et de l’apparente légèreté des rues de Kiev, il paraît surréaliste d’imaginer la capitale occupée par des chars russes. « À Kherson non plus, ils ne s’imaginaient pas que ça leur tomberait dessus du jour au lendemain. Et pourtant… », rétorque-t-il.

Ville du sud comptant alors environ 300 000 habitants, Kherson a été occupée par les troupes russes de mars à septembre 2022. « Des femmes y ont été violées, des gens ont été torturés par le FSB, mis en prison sans jugement ou tués par balle dans la forêt », assure Ivan Ponomarenko, avant de rappeler qu’avant d’être un champ de ruine, la ville de Donetsk comptait un million d’habitants et une équipe de foot, le Chakhtar Donetsk, qui a gagné la coupe de l’UEFA en 2009.

Si la conversation prend un tour politique, c’est qu’Ivan Ponomarenko sent que l’heure est grave. « Je crois que les dirigeants occidentaux n’ont pas encore pris la mesure de cette guerre. En face de nous, nous n’avons pas des miliciens avec des kalachnikovs comme en Irak ou en Afghanistan », souligne-t-il, précisant bien qu’il s’exprime en son nom propre et non en celui de l’armée.

Quand des soldats achètent des balles à leurs frais…

« Il y a en face une armée énorme, celle du pays le plus grand du monde d’un point de vue géographique : La Russie. Pour avoir une chance de gagner cette guerre, il nous faut donc dix fois plus d’armes », prévient-il.

Des soldats ukrainiens sont contraints de faire venir à leur frais des balles de fusil depuis l’Europe de l’Ouest, confie-t-il, avant de rappeler que dans la dernière aide militaire de l’Allemagne, il y a 10 000 obus d’artillerie. Insuffisant : « Un canon tire au moins 100 obus par jour. Je vous laisse compter », explique-t-il avec un mélange d’humour et de résignation.

Ivan Ponomarenko s’est rendu avec l’armée à Boutcha, dans la banlieue de Kiev, deux jours après sa libération. Il y aurait personnellement vu des corps de civils tués, violés ou torturés par des soldats russe. Une remise des pendules à l’heure alors que des mises en cause de l’authenticité du massacre de Boutcha fleurissent sur les réseaux sociaux depuis deux ans.

La propagande russe serait d’ailleurs « très forte en Europe de l’Ouest », selon lui. Les Européens de l’Ouest, et notamment les Français, auraient une image romantique et tronquée de la Russie. « Un pays où l’esclavage était courant jusqu’à la fin du XIXème siècle », assure-t-il. « Certains chez vous pensent que Léon Tolstoï est le Victor Hugo russe, alors que Tolstoï avait des serfs », ajoute-t-il même, avant de préciser qu’il parle couramment russe et qu’il s’est rendu très souvent en Russie avant la guerre.

Comme la plupart des Ukrainiens croisés, Ivan Ponomarenko ne doute pas un instant que Vladimir Poutine compte s’attaquer aux pays baltes ou à la Moldavie s’il gagne la guerre en Ukraine. À l’heure où sont écrites ces lignes, Volodymyr Zelensky vient d’abaisser l’âge légal de la mobilisation à 25 ans. Pour sa part, lors d’un échange sur WhatsApp, le soldat m’informe qu’il est tout juste de retour du front de Kherson après que son bataillon a subi une attaque de drones russes. « Quelques gars sont à l’hôpital mais personne n’est mort donc ça va », commente-t-il sobrement. En voilà un qui n’a pas peur de défendre son pays.

Famine organisée à Gaza: mensonge de guerre

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Largage franco-allemand d’aide humanitaire à Gaza, 25 mars 2024 © BORIS ROESSLER / dpa Picture-Alliance via AFP

L’ONU et l’UE accusent Israël d’organiser la famine à Gaza. C’est un mensonge. Les habitants de l’enclave ne mangent pas à leur faim, mais ce n’est pas une volonté délibérée des Israéliens. L’effondrement du Hamas a provoqué celui de l’ordre public, ce qui par endroits perturbe gravement la distribution de nourriture.


« Israël affame les Palestiniens. » Alors que la guerre d’Israël contre le Hamas entre dans son septième mois, et que le sort des civils à Gaza préoccupe légitimement l’opinion mondiale, le dossier d’Israël s’est alourdi d’un nouveau chef d’accusation. Ce récit, tenu pour vérité par une partie des médias, est propagé à haut niveau dans les cercles onusiens et européens. Le 18 mars, il a reçu l’onction de Josep Borrell, responsable de la « politique étrangère de l’UE », à supposer qu’une telle chose existe : « À Gaza, nous ne sommes plus au bord de la famine, la famine est là, et touche des milliers de personnes. La famine est utilisée comme arme de guerre. Israël provoque la famine », a-t-il déclaré à Bruxelles, lors d’une conférence sur l’aide humanitaire au territoire palestinien. Pour être aussi direct que l’ancien chef de la diplomatie espagnole, ses propos sont tout simplement mensongers. Certes, il s’est trouvé en Israël quelques commentateurs, dont un ancien général, pour soutenir publiquement cette stratégie inacceptable, mais aucun ordre en ce sens n’a jamais été donné à l’armée et encore moins exécuté par elle. Cela ne signifie pas que les 2,2 millions d’habitants de la bande de Gaza mangent à leur faim. Mais notre enquête auprès de plusieurs responsables et commentateurs montre que, d’une part, on n’a pas de preuves d’une véritable famine, et que de l’autre, si Israël a une responsabilité dans les difficultés de l’approvisionnement, il ne s’agit en aucun cas d’une volonté délibérée.

À Gaza la guerre de haute intensité est terminée. Certes, Rafah n’a pas encore été prise et la ville abrite probablement certains des dirigeants du Hamas, mais la milice islamiste palestinienne a été battue militairement et l’armée israélienne, avec des effectifs réduits, assure la même mission que des pompiers qui ont maîtrisé un incendie : veiller à ce que le feu ne reprenne pas. Cependant, la dimension militaire n’est qu’une partie de la guerre contre le Hamas. Les objectifs du gouvernement israélien consistent à priver la milice de ses capacités militaires, mais aussi de ses capacités de gouverner. Et si pendant les quatre premiers mois de la guerre, cette question de la gouvernance de Gaza n’a guère attiré l’attention, son absence ces dernières semaines est devenue un enjeu fondamental, et cela de la manière la plus basique et brutale, puisqu’il s’agit de nourrir deux millions des personnes privées des moyens d’assurer leur subsistance.

Effondrement de l’ordre public

La destruction de l’armée du Hamas a, inévitablement, créé une situation de pénurie alimentaire et d’effondrement de l’ordre public. Quand il n’y a ni travail, ni banques, ni magasins, il faut faire venir la nourriture et la distribuer à la population. Ce qui nécessite un minimum d’organisation : quand donner, où et à qui ? Comment assurer un minimum d’équité et sécuriser les vivres pendant l’acheminement et la distribution, sachant qu’en l’absence de police, deux gamins avec un sac de riz sont une proie facile ?

Israël ne veut évidemment pas que le Hamas s’en charge et refuse également de confier cette mission à l’UNRWA, l’agence onusienne chargée de ce genre de missions auprès des réfugiés palestiniens de 1948 et 1967, ainsi que de leurs descendants. Des preuves accablantes d’une forte complicité entre le Hamas et l’UNRWA l’ont disqualifiée aux yeux d’Israël. L’autre solution serait qu’Israël s’en charge par le biais de ses « représentants » sur place – les militaires. Mais cette option est également rejetée par le gouvernement israélien. Vue de Jérusalem, la bande de Gaza n’est plus sous occupation israélienne depuis le retrait civil et militaire de septembre 2005 et Israël ne souhaite pas endosser de nouveau le rôle qu’il a joué de 1967 à 2005.

Il s’agit d’un enjeu littéralement vital, mais aussi politique : ceux qui assureront aujourd’hui le maintien de l’ordre et la distribution de vivres dans la bande de Gaza seront bien positionnés pour la gouverner demain. En attendant, la tragédie a éclaté au grand jour le 29 février, lors d’un dramatique incident que les médias ont baptiséde « massacre de la farine ». Dans la nuit du 28 au 29 février, une trentaine de camions d’aide humanitaire pénètrent au nord de Gaza. Ils suivent un couloir humanitaire sécurisé où des chars de Tsahal les escortent jusqu’au lieu de livraison. Le 29, vers 4 heures, un groupe de Palestiniens se précipite vers les camions. Dans des vidéos prises par les caméras à vision nocturne des drones israéliens, on voit clairement des grappes humaines assaillant les véhicules de toutes parts. C’est le chaos. Vers 4 h 30, une heure et quart avant l’aube, des tirs commencent. Le bilan est lourd : quelque 120 civils palestiniens tués et 760 blessés. Les camions chargés de vivres sont pillés. Selon l’armée israélienne, certains membres de la foule ont été tués et blessés par des tirs de chars israéliens postés à proximité, dont les équipages se sentaient menacés par la foule. Les autres ont été tués et blessés dans le mouvement de panique suscité par le pillage. Les Palestiniens maintiennent de leur côté que toutes les victimes sont tombées sous des balles israéliennes.

Pour Israël le véritable coupable est le Hamas qui essaie de « siphonner » l’aide pour ravitailler ses propres forces. C’est sans doute vrai. L’armée israélienne a rendu publiques des informations démontrant que le Hamas perturbe des rassemblements de civils attendant l’arrivée de convois. Cependant, les organisations d’aide internationale ne coordonnent plus leurs mouvements avec la milice. De plus, certaines attaques de convois qui ont eu lieu avant le 29 février semblent avoir été « organisées » (on utilise ce terme faute de mieux) par des Gazaouis non affiliés au Hamas. D’autres incidents sont le résultat d’actes spontanés de civils désespérés dans un contexte chaotique.

Que fait la police ? C’est une partie du problème. Les policiers gazaouis refusent de protéger les convois parce qu’ils craignent d’être pris pour cible par Israël en raison de leur affiliation au Hamas. En effet, depuis 2007, Israël considère la police de Gaza comme une force du Hamas. L’opération Plomb durci avait commencé le samedi 27 décembre 2008 par une frappe aérienne visant une cérémonie de la police de Gaza. Depuis le début de la guerre, en octobre, cette police continuait à fonctionner comme elle pouvait. Les policiers – en uniforme ou en civil –sont présents dans les centres-villes (quand ceux-ci ne sont pas occupés par Israël) et à proximité des hôpitaux. Toutefois, dans la région de Rafah où les forces israéliennes ne sont pas présentes, la police du Hamas est pleinement opérationnelle et ses effectifs sont présents à tous les points de passage (Rafah avec l’Égypte et Kerem Shalom avec Israël[1]). Quant aux forces de secours, elles s’occupent de l’évacuation des blessés et du sauvetage des victimes ensevelies sous les décombres.

La population réfugiée à Rafah mange à sa faim

Selon les informations disponibles, des vivres parviennent aux frontières nord et sud de Gaza en quantités suffisantes pour éviter la famine. Ce qui pèche, c’est leur distribution dans les zones situées au-delà de Rafah, localité qui n’est pas occupée par l’armée d’Israël, mais toujours contrôlée par le Hamas. Autrement dit, les Palestiniens, au nombre de 1,5 million, qui se trouvent dans cette ville ne sont pas en danger de famine. En revanche, la situation des quelques centaines de milliers de personnes qui ne sont pas à Rafah, particulièrement au nord de la bande, au-delà de la ville de Gaza est pour le moins inquiétante. D’après le « ministère de la Santé de Gaza », ils seraient 700 000, mais personne ne le sait vraiment.

Des déplacés palestiniens reçoivent de la nourriture fournie par une organisation caritative avant l’heure de rupture du jeûne du ramadan, Deir al-Balah (centre de la bande de Gaza), 22 mars 2024 © MAJDI FATHI/NurPhoto via AFP

Dans cette partie de la bande de Gaza, les organisations humanitaires agréées par Israël affirment que des difficultés de coordination compliquent leur tâche. Or, contrairement à Rafah, le nord est en grande partie sous contrôle israélien. Mais d’après Israël, la guérilla menée par les derniers combattants du Hamas rend l’accès difficile et aléatoire.

Que se passe-t-il au nord du territoire ? Selon des sources militaires israéliennes, le général Ghassan Aliyan, coordinateur civil/militaire pour les territoires occupés par Israël, aurait proposé à des clans puissants dans les zones contrôlées par l’IDF, au nord de Gaza, d’assurer la gestion de la distribution des vivres dans leurs zones d’influence.Il s’agit probablement de membres du clan Doghmush, une famille qui mérite l’attention. Originaires de Turquie, les Doğmuş/Doghmush se sont installés à Gaza au début du xxe siècle. À la fin de ce dernier, ils étaient très présents dans le commerce du ciment. Aujourd’hui, les Doghmush représentent une  force avec laquelle il faut compter. Un membre éminent du clan, Mumtaz Doghmush, impliqué dans l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit en 2006, a dirigé l’Armée de l’islam (une organisation salafo-djihadiste de Gaza, fondée par le clan en 2006). Après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en juin 2007, certains groupes, à l’intérieur du clan, autoproclamés Jaysh al-Islam (« armée de l’islam ») ont mené leur propre politique  et sont à l’origine de l’enlèvement et de la détention du journaliste britannique Alan Johnston en 2007. Mais le clan a aussi été impliqué dans des affrontements violents et meurtriers avec les forces de sécurité du Hamas en septembre 2008. Dix membres du clan, dont le frère de Mumtaz et la fille en bas âge de Zakaria Doghmush, secrétaire général des Comités de résistance populaire, ont péri dans ces affrontements.

En clair, les membres de ce clan puissant sont affiliés à divers groupes palestiniens et islamistes, dont le Fatah, le Hamas et même Al-Qaïda. Et si cela servait leurs intérêts, ils travailleraient avec Tsahal. Dans un contexte où l’idéologie est en réalité secondaire, les Israéliens ont fait appel à eux, ce qui a suscité l’ire du Hamas qui a fait savoir que tout contact avec l’occupant était un acte de collaboration, donc une trahison. Le 14 mars, le Hamas, qui veut reprendre en main la population dans les zones sous contrôle direct de l’armée israélienne, a assassiné l’un des chefs du clan Doghmush. En effet, malgré la présence militaire israélienne, le contrôle de la population civile, largement pro-Hamas selon les derniers sondages réalisés à Gaza, est toujours âprement disputé. Comme le conclut un bon connaisseur du dossier, la tentative de contournement du Hamas est un échec.

Le maître est celui qui contrôle le pain

Pour les Américains et les Européens, les tentatives israéliennes pour faire émerger d’autres interlocuteurs n’ont aucune valeur stratégique. Selon eux, le « jour d’après » suppose le retour d’une « Autorité palestinienne (AP) profondément reformée », avec comme objectif la réunification de Gaza et de la Cisjordanie dans un État palestinien démilitarisé. Israël a répondu non de la bouche de Nétanyahou. Mais le patron du Conseil de sécurité nationale, Tzahi Hanegbi, a expliqué sur un site saoudien que « le gouvernement de Ramallah » était au contraire une option souhaitable. De plus, un communiqué officiel du Fatah (formation majoritaire au sein de l’AP) publié le 16 mars dénonce avec véhémence le Hamas, le désignant pour responsable d’une catastrophe pire que la Naqba (la défaite palestinienne en 1948). Le Fatah rappelle que le Hamas a déclenché l’offensive du 7 octobre sans l’avis des autres courants politiques palestiniens, et l’accuse même de vouloir proposer à Israël des compromis allant à l’encontre des intérêts palestiniens, pour sauvegarder les intérêts de ses dirigeants. Cette attaque sans précédent a eu une traduction sur le terrain : dans la nuit du 16 au 17 mars, des personnes cagoulées, liées au Fatah dans la bande de Gaza, ont escorté des convois de ravitaillement dans la ville de Gaza et le camp de réfugiés de Jabaliya. Leur porte-parole a précisé qu’ils prenaient leurs ordres de Mahmoud Abbas, président de l’AP depuis 2004.

Ce n’est sans doute pas un hasard si ce revirement du Fatah est intervenu au moment où les premières livraisons d’aide acheminées par la marine américaine étaient déchargées sur un débarcadère contrôlé par les États-Unis, au nord de Gaza. Tête de pont logistique et politique américaine, ce port improvisé permettrait à Washington de peser sur la logistique et la distribution et d’y associer l’AP.

Le terme anglais Lord (« Seigneur ») tire son origine des mots de vieil anglais hlaf (« pain ») et weard  (« gardien »). Le maître est celui qui contrôle le pain. C’est précisément l’enjeu du tragique Hunger Game qui a lieu à Gaza.


[1] Le 19 mars, le chef de la police du camp de refugié de Nuseirat, au sud de la ville de Gaza, a été tué par l’armée israélienne. Il était soupçonné par Israël de participer au détournement de l’aide internationale au bénéfice du Hamas.

Larmes sans conscience

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Le philosophe Pascal Bruckner © Hannah Assouline

Dans son dernier essai, Pascal Bruckner s’attaque aux rentes mémorielles et aux « forbans de la mémoire ».


Détournant le fameux cogito de Descartes – Je pense donc je suis – Pascal Bruckner, en intitulant son livre Je souffre donc je suis, annonce les changements anthropologiques de notre époque. Si le christianisme qui, dans la suite du judaïsme, donna à la victime innocente ses lettres de noblesse, si elle en fit même un Dieu souffrant et pourvut la civilisation chrétienne d’une morale du prochain, force est de constater qu’aujourd’hui nous vivons un « christianisme dévoyé » qui n’en finit pas de remonter le temps pour asseoir les gémissements des uns et la culpabilité des autres.

Ignorant le pardon, l’humanitarisme éploré favorise la posture victimaire et, comme l’a très bien compris René Girard que l’auteur rappelle ici, les rivalités mimétiques fabriquant des rivaux pour la place de l’élu dans le malheur général. Celle-ci étant occupée depuis un moment par Auschwitz, sorte d’horizon indépassable, il y a foule au portillon pour réclamer qu’elle change de lieu-dit.

Nihilisme victimaire

Comme « un certain féminisme nord-américain voit dans l’industrie du X Dachau introduit dans la chambre à coucher », Pascal Bruckner affirme que « ce n’est plus à l’oubli qu’il faut arracher Auschwitz, mais à son kidnapping par les forbans de la mémoire ». D’une autre façon, les décoloniaux estimant que l’esclavage fut un mal bien supérieur, nivellent la Shoah et en font un détail dans « l’histoire de l’impérialisme occidental ». Jacques Vergès, au procès Barbie, n’hésitera pas à dire que « le nazisme n’est que l’autre face du colonialisme ». Quant aux islamistes, ils jugent mériter infiniment plus « l’habit de lumière » de la victime absolue que les juifs, devenus forcément tortionnaires. Ils prétendent donc substituer l’islamophobie à l’antisémitisme, mais « l’assertion est fausse, elle suppose que l’antisémitisme ait disparu sous nos climats, ce qui est inexact comme l’attestent les douze citoyens juifs français tués par des islamistes radicaux depuis vingt ans ».

A lire aussi, du même auteur: Une entourloupe majeure

Par ailleurs, comme « à la rédemption chrétienne se substitue la réparation » confiée aux bons soins du Droit, les réclamations pleuvent et se pervertissent en « rente mémorielle » sur un nombre infini de générations. La faute ne s’arrête jamais, la dette non plus. Dans le manifeste du Parti des Indigènes de la République, publié en 2005 et cité par l’auteur, il est dit que « la France a été un État colonial (…) La France reste un État colonial. » Pour les siècles des siècles, vous dis-je ! Dès lors, la victime ou descendante de victime est vouée à le rester pour le restant de ses jours et à passer le relai aux suivants. « Car une victime qui réussit reste une victime qui porte jusqu’au terme les stigmates de sa condition ». Il va de soi qu’à aucun moment, Pascal Brukner ne nie que victimes il y ait ; c’est l’esprit de victimologie qui est ici en cause, le ressentiment éternel, le nihilisme qui va avec, et l’impossibilité pour la victime précisément de cesser de l’être !

Sans compter que la victime peut choisir parmi les torts ceux qui rapportent le plus ; ainsi de l’Algérie qui n’en finit pas d’accuser la France de son malheur mais ignore radicalement les trois siècles d’occupation ottomane…

Bénéfices secondaires

Le pendant de la victime éternelle sera le coupable sans rémission, qui se bat la coulpe avec quelque bénéfice secondaire : « La culpabilité post-coloniale est le symptôme de notre perte d’influence, la dernière tentative des anciens dominateurs de se croire importants. » Une sorte de complexe de supériorité qui interdirait à l’Autre de pouvoir faire le mal et l’infantiliserait par la même occasion…

Autre changement notable : la victime prend peu à peu la place du héros. Le philosophe en veut pour preuve la proposition que fit François Hollande de donner la Légion d’honneur à titre posthume aux personnes massacrées au Bataclan. Le grand chancelier exprima son désaccord. Depuis sa création, cette récompense est attribuée à qui s’est battu pour la France et pas à ceux qui furent abattus, même en son nom ! Et cette tendance a pris tant d’importance qu’il n’y a désormais plus aucun incident qui ne bénéficie de sa « cellule psychologique » et, quand il n’y a pas à proprement parler d’incident, on va en quelque sorte l’anticiper : « En octobre 2016, les passagers d’un vol Djerba-Paris qui avaient dû faire demi-tour en raison d’un problème technique (…) se sont constitués en association pour réparer leur « préjudice d’angoisse » ! Les « micro-agressions » verront ainsi le jour : « À l’Université de New-York, un numéro de téléphone permet d’appeler de façon anonyme et de déclencher une enquête sur tel ou tel professeur », encourageant au passage un formidable esprit de délation. À tout cela, Pascal Bruckner oppose le rappel du tragique au sein de notre condition et un stoïcisme plus qu’opportun si l’on ne veut pas finir en avachis récriminants. Car c’est bien ce profil qui s’impose aujourd’hui et que Bernanos résumait si bien : « Ils ont la tripe molle et le cœur dur. »

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Sans compter qu’à force de vouloir ravauder le passé, ce sont le présent et l’avenir qui se trouvent compromis, et qu’on oublie d’être contemporains de son temps. Combien sont-ils qui se plaignent de l’esclavage d’il y a trois siècles, et qui restent merveilleusement indifférents à celui d’aujourd’hui ?

Enfin, l’écrivain, dans une page magnifique empruntant cette fois à Péguy, dit la nécessité de l’Histoire pour corriger les effets de la Mémoire. L’auteur de Notre jeunesse « distinguait la mémoire, verticale, de l’histoire, horizontale, et les disait même à angle droit : la première est une profondeur émotionnelle qui vient directement du passé, la seconde aplanit et passe les faits en revue. Si la mémoire condamne et foudroie, l’histoire désacralise, explique et réconcilie ». Au devoir de mémoire qui sature les esprits et qui dit «  Je souffre », l’écrivain philosophe nous invite à un devoir d’histoire où le « Je pense » retrouverait sa vertu.

Je souffre donc je suis: Portrait de la victime en héros, Grasset, 320 pages.

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Afro-Chinois

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D.R

Alors qu’en France, nous légiférons contre la discrimination capillaire, la tendance des coupes afro gagne… l’Asie. Cette mode est critiquée par les woke, alors qu’elle est aussi étonnamment saluée par des internautes africains. Une indulgence à laquelle n’ont jamais droit les Européens.


En Occident, chanteurs, mannequins et autres people, de Kim Kardashian à Justin Bieber, sont régulièrement forcés de s’excuser pour avoir plagié les cultures afro-américaine et africaine en osant arborer dreadlocks ou « cornrows ». Les Chinois n’ont pas ces états d’âme. Les coiffures « ethniques », surtout la coupe afro, sont au cœur d’une nouvelle tendance capillaire qui déferle sur l’empire du Milieu, ainsi que sur la Corée et le Japon. Cette mode touche non seulement les femmes, mais aussi les hommes, qui n’hésitent pas à s’afficher en public et sur les réseaux sociaux avec le look d’un membre des Jackson Five de la grande époque, vers 1975. Il y a dix ans, la Congolaise Martha Makuena a ouvert son premier salon à Pékin ; aujourd’hui, les coiffeurs spécialisés autochtones se multiplient en Extrême-Orient. Sur Weibo et TikTok, des particuliers partagent des photos de leur éruption chevelue, pendant que les professionnels postent des vidéos faisant étalage de leurs techniques.

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Inévitablement, une fois informés, des wokistes afro-américains ont donné libre cours à toute leur indignation. Les uns dénoncent une appropriation et une marchandisation de leurs traditions. D’autres rappellent que, dans les années 1970, la coupe afro était le symbole d’une affirmation politique face à la discrimination raciale, symbole que, par respect, on ne devrait pas trivialiser. D’autres encore font remarquer que, même aujourd’hui, arborer le style en question peut être un obstacle à l’embauche pour des chercheurs d’emploi noirs, contraints donc de lisser leurs cheveux. Pourtant, ce sentiment n’est pas nécessairement partagé par tous les internautes, notamment en Afrique. Là, des commentateurs ont salué le phénomène comme une forme de flatterie, d’hommage, voire de métissage culturel apte à rapprocher Africains et Asiatiques. Quand on sait que les Chinois sont souvent accusés de racisme anti-Noirs en Chine, et de comportement colonial en Afrique, cette mansuétude peut étonner. Les Occidentaux n’ont jamais droit à la moindre indulgence.

Sous vos applaudissements…

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Médias conservateurs surveillés, nouvelles législations contre les discours de « haine », retour du délit de blasphème… Comment les pouvoirs en place s’acharnent aussi contre la liberté d’expression en Occident


Les démolisseurs de la France sont contents d’eux. Ils ne veulent entendre que des applaudissements. S’indigner des désastres sécuritaires liés à leur «société ouverte» devient risqué pénalement. L’«incitation à la haine» est le nouvel argument des censeurs. Ceux-ci ne voient rien, en revanche, de l’antisémitisme islamique ni du racisme anti-blanc des minorités ethniques.

Le site d’extrême gauche Médiapart illustre l’application liberticide du procédé accusatoire, avec la publication cette semaine d’une enquête à charge contre CNews, qualifiée de « fabrique de la haine »[1]. Parce que la chaîne d’information a notamment choisi de décrire la réalité de la vie des gens ordinaires, elle déchaîne l’agressivité – la haine – des dénégationnistes qui aimeraient interdire les critiques contre l’immigration de masse et l’islam prosélyte, quitte à rétablir le délit de blasphème au profit de cette dernière religion. Or cette régression démocratique est encouragée par le pouvoir. La macronie avait déjà commis en juin 2020 la loi Avia qui entend traquer les « propos haineux » sur l’internet, sans définition juridique. En 2018, Emmanuel Macron s’en était pris, lui, à « la foule haineuse » des gilets jaunes. Le 6 mars dernier, deux députés Renaissance ont déposé une proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale pour des « propos à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire » tenus en privé cette fois ! Quant à Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, il vient d’annoncer sa volonté de sanctionner des « entreprises de désinformation » coupables de contester le discours officiel sur la guerre contre la Russie. La liberté d’expression est en grave danger.

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Le plus stupéfiant est de constater la constante apathie des médias face à ces atteintes à la liberté de dire et de penser. En réalité, beaucoup d’entre eux cautionnent l’idéologie du vivre ensemble, qui n’arrive à convaincre de ses prétendus bienfaits que par l’interdiction des contestations. Même les établissements scolaires privés, coupables pour certains de leur élitisme, sont sommés de s’ouvrir toujours plus à la diversité. Or c’est une pente totalitaire qui est suivie par ceux qui prétendent être dépositaires du Bien et de la morale. L’exemple de l’Écosse, dont le premier ministre Humza Yousaf a appelé à la prière musulmane depuis sa résidence de Bute House le 28 mars, devrait être une alerte générale pour tous les défenseurs de la liberté. En effet, depuis le 1ᵉʳ avril, une loi y criminalise les propos ou attitudes « incitant à la haine » non seulement contre les races mais aussi contre l’âge, le handicap, la religion, l’orientation sexuelle ou l’identité transgenre. Pire : le crime haineux peut aussi être constitué par des propos tenus en privé.

Le rêve de la macronie est donc déjà en place en Écosse, où Orwell écrivit son 1984. « Arrêtez-moi ! », a défié J.K. Rowling, l’auteur de la saga Harry Potter, qui entend encore soutenir « qu’un homme est un homme » : un propos haineux pour les transgenres. Qui arrêtera l’infernale machine à décerveler ?

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[1] https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/010424/comment-i-tele-est-devenue-cnews-fabrique-quotidienne-de-la-haine

Mort d’Émile: pourquoi sommes-nous bouleversés?

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Un caméraman de la chaine d'information en continu LCI filme les gendarmes au Vernet (04), 1er avril 2024 © LOUAI BARAKAT/SIPA

Depuis la découverte dimanche dernier des ossements du petit garçon, les Français se passionnent à nouveau pour cette affaire. Pour de mauvaises raisons?


Cette fois encore, CNews ne sera pas la première chaîne d’information continue de France. Avec une audience moyenne de 2,7 % enregistrée au cours du mois dernier, elle vient certes d’égaler, pour la seconde fois de son histoire (la première remontant à décembre), le leader BFMTV. Mais elle n’est pas parvenue à coiffer son concurrent au poteau.

Le 31 mars, soit dans l’ultime ligne droite du décompte mensuel, BFMTV a en effet redressé, de façon spectaculaire, son score, en attirant pendant une dizaine d’heures deux fois plus de téléspectateurs que la chaîne de Vincent Bolloré. L’explication d’une telle affluence ? Ce jour-là, le procureur de la République d’Aix-en-Provence a annoncé l’identification de divers ossements humains, découverts la veille par une randonneuse, comme étant ceux du petit Émile, le garçonnet disparu dans les Alpes-de-Haute-Provence cet été.

BFMTV en édition spéciale

Alors que les autres médias ont choisi d’accorder à cette nouvelle un traitement prioritaire, en ouverture de leurs bulletins d’information, BFMTV a carrément décidé de couvrir l’événement en mode “édition spéciale”. Résultat, tandis que CNews diffusait, comme prévu, son émission religieuse “En quête d’esprit”, BFMTV, quant à elle, n’hésitait pas à interrompre en direct, et de manière à peine courtoise, une interview d’Alain Finkielkraut sur Gaza, afin de pouvoir consacrer au plus vite l’entièreté de son programme à l’affaire Émile.

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Ce n’est pas la première fois que BFMTV casse sa grille pour un fait divers. En février 2023, à l’occasion de l’accident de voiture de Pierre Palmade, la chaîne dirigée par Marc-Olivier Fogiel avait consacré à cette information un temps d’antenne dix fois supérieur au séisme survenu quelques jours plus tôt en Turquie (56 000 morts, 105 000 blessés).

Il n’est pas question de discuter ici la ligne éditoriale d’un média. Le pluralisme, cette belle idée dont se gargarise Reporters sans frontières à longueur de temps, c’est aussi cela: la liberté pour chaque organe de presse de hiérarchiser les faits selon ses propres critères, et pour le public de choisir son canal d’information comme il l’entend.

L’espoir de connaître enfin la vérité

Reste que l’on voit mal comment un média peut commenter une telle histoire autrement que dans le registre du pathos. Aussi bouleversante soit sa disparition, Émile n’est probablement pas décédé des suites d’une mauvaise politique, d’une dramatique décision économique ou d’un travers de notre société. Aucune leçon collective ne saurait être tirée de sa mort, si ce n’est que l’on peut se féliciter d’avoir en France une gendarmerie et une justice sachant se donner les moyens d’élucider les plus terribles affaires.

Cette mort est une tragédie. Elle n’est qu’une tragédie. Osons une hypothèse : si elle émeut tant les Français, c’est non pas tant parce qu’elle remue en eux le voyeurisme ou le goût de l’énigme, mais bien davantage parce qu’elle les conduit à un fol espoir: celui que la vérité soit faite sur ce drame, que l’enfant n’ait pas souffert, et que ses parents puissent surmonter cette épreuve indicible.

Turquie: l’après-Erdogan a-t-il vraiment commencé?

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Le nouveau maire d'Istanbul et champion de l'opposition à Erdogan, Ekrem Imamoglu, 31 mars 2024 © tolga ildun/Shutterstock/SIPA

Depuis qu’il est au pouvoir, Erdogan a empêché de nouvelles têtes d’émerger au sein de son parti, l’AKP, compromettant ses chances de conserver le pouvoir en Turquie. L’analyse de Selmin Seda Coskun, chercheuse associée et co-animatrice du programme de recherche “Le nouvel Orient turc”1 de l’Institut Thomas More.


Les élections locales ayant eu lieu ce dimanche 31 mars vont sans doute marquer le début d’un nouveau cycle dans la vie politique turque. Si elles ne signifient pas la fin du règne personnel d’Erdogan, elles marquent la fin de la prédominance de son parti, désormais en grave déclin. La défaite de l’AKP conduira selon toute vraisemblance à sa fragilisation et, Erdogan ayant annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2028, son ou ses successeurs risquent d’avoir du mal à reproduire ses succès. D’autant que, forte du succès de dimanche, l’opposition devrait avoir le vent poupe pour 2028.

Le CHP premier parti du pays

Avec l’un des meilleurs résultats de son histoire à un moment où il semblait le plus ébranlé après sa défaite aux élections présidentielle et législative de mai 2023, le CHP (Parti républicain du peuple, centre-gauche), principal parti d’opposition, a non seulement conservé les grandes villes d’une importance cruciale (Istanbul, Ankara, Izmir) mais a réussi à accroître le nombre de ses voix dans tout le pays. Il a battu les candidats de l’AKP dans plusieurs de ses bastions. Avec le taux de participation de 78%, remportant un total de 35 villes et 420 municipalités à l’échelle de la Turquie, le CHP est devenu le premier parti de Turquie (37,74%), devant l’AKP (35,54%).

Le terne Kılıcdaroglu écarté

Trois principaux facteurs expliquent le succès de l’opposition. Premièrement, après la défaite du CHP en 2023, la nouvelle direction du parti (Özgür Özel remplaçant Kemal Kılıcdaroglu) a pris des risques avec une nouvelle organisation et une nouvelle méthode de travail, qui se sont révélées payantes. Outre Ekrem Imamoglu, le charismatique maire d’Istanbul, qui s’est posé en brillant rival d’Erdogan ces dernières années, Mansur Yavas, maire d’Ankara, a également fait une remarquable campagne. Deuxièmement, le CHP a su rallier les voix du parti IYI (centre-droit) et des Kurdes, qui ont pour leur part éclipsé l’AKP dans les régions de l’est et du sud-est du pays. Enfin, la démobilisation des électeurs de l’AKP, notamment en raison de la récente crise économique, a donné un net avantage à l’opposition.

Une femme à Ankara. Au premier plan, une affiche de Kemal Kilicdaroglu, un opposant sérieux d’Erdogan, mai 2023 © SOPA Images/SIPA

L’AKP et sa coalition conservent le pouvoir central

Cette sèche sanction s’explique aussi, plus profondément, par le fait que l’AKP n’a cessé de décliner ces dernières années. Fondé par Erdogan dans le prolongement de partis islamistes déjà existants, l’AKP est au pouvoir depuis qu’il a remporté ses premières victoires électorales en 2002. Depuis qu’Erdogan a quitté la présidence du parti en 2014, le fossé entre lui et son parti s’est lentement creusé. Lors des élections de 2015, l’AKP perdit pour la première fois sa majorité parlementaire sous la direction d’Ahmet Davutoglu, alors Premier ministre. Et Binali Yıldırım, qui prit ses fonctions en 2016, ne fut pas en mesure de rétablir l’élan d’Erdogan. Depuis, l’AKP n’a trouvé à s’allier qu’au parti nationaliste MHP, peinant à élargir sa base. Certes, avec le soutien des partis nationalistes, islamistes et islamo-kurdes, l’AKP est arrivé à obtenir la majorité au Parlement lors des élections de 2023. Mais, après ces élections, le gouvernement s’est trouvé confronté à d’importantes difficultés économiques qui l’ont vite rendu impopulaire. À l’inverse des élections de 2023 et suite aux dévastations économiques causée par les tremblements de terre majeurs de février, les élections de 2024 se sont déroulées avec des ressources limitées. L’AKP n’a pas pu faire de promesses inconsidérées. Poussant vers un vote-sanction nombre de retraités, d’employés et de chômeurs, mécontents d’une l’hyperinflation croissante, la crise économique actuelle a été la principale alliée de l’opposition.

Qui sera sultan à la place du sultan ?

On voit mal comment l’AKP pourra conserver le soutien massif de pans entiers de la population après le départ annoncé d’Erdogan, car une grande partie de ce soutien repose sur son leadership personnel. Comme l’analysait Max Weber, un leader qui sait bien lire la sensibilité d’une société et en exprimer les attentes peut être suivi par la masse, parce que le sentiment d’impuissance ressenti par la société peut être renforcé par l’influence de son charisme. Cependant, ce type de leadership émerge généralement d’une conjoncture sociologique et politique singulière, d’un moment de crise ou de doute d’une société. Erdogan a su capter l’attention d’une partie de la population turque sensible aux revendications musulmanes, en réaction à l’héritage politique kémaliste. Sa capacité à lire les sensibilités sociales et à s’intégrer à la société a renforcé son influence, suscitant chez certains un sentiment d’impuissance face à son charisme et à sa confiance en lui-même. A ce jour, on ne voit personne dans son camp capable de lui succéder.

A l’inverse, l’opposition dispose de deux fortes figures. Au lendemain de ce 31 mars, bien des acteurs se projettent dans l’après-Erdogan. Il est possible, bien sûr, qu’Erdogan se lance dans des modifications constitutionnelles (dont il a parlé avant l’élection) ou annonce des élections anticipées. Mais même s’il faisait un tel choix, celui d’une fuite en avant autoritaire, il ne pourra effacer les résultats de dimanche.

Un nouveau cycle s’ouvre. Celui de tous les dangers, peut-être. Mais aussi celui de toutes les opportunités, si l’opposition sait être à la hauteur de l’enjeu.


  1. https://institut-thomas-more.org/2024/03/16/le-nouvel-orient-strategique-turc/ ↩︎

Dieu cherche-t-il à nous convaincre qu’il n’existe pas?

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DR.

Avant même de savoir qu’il avait ce magnifique patronyme, qu’il s’appelait Émile Soleil, je le trouvais solaire. La blondeur, le sourire éblouissant, mais surtout la photo avec le pissenlit rond et jaune accroché à l’oreille, tout en lui évoquait l’astre du jour au matin, dans le plein triomphe de son enfance radieuse. Mais pour que cette image ne soit pas gâchée de mièvrerie, le visage montrait aussi de l’énergie, une masculinité déjà affirmée, comme celles de l’époque où l’on n’avait pas accolé à ce mot l’adjectif atroce et injuste de “toxique”. Encore quinze ou seize ans et Émile ferait chavirer bien des cœurs de demoiselles en Provence et au-delà.

Pâques est lié au printemps, au resurgissement du jeune soleil qui a triomphé de la nuit à l’équinoxe. Noël est de la nuit et Pâques est du matin, Noël est de l’hiver et Pâques est du printemps. La Providence l’a voulu ainsi pour que l’année liturgique chrétienne soit liée à nos rythmes biologiques les plus profonds. Que ceux qui en doutent lisent les deux ouvrages de Jean-Christian Petitfils Jésus et Le Suaire de Turin, l’enquête définitive. Dans le premier il explique que la conjonction de planètes identifiée par Kepler comme étant l’étoile de Noël, qui a lieu tous les 753 ans, se reproduit trois fois dans l’année, dont la dernière fin décembre. Dans le second, il nous apprend que les spécialistes de pollens ont trouvé dans le Suaire des traces d’une plante qui n’existe qu’autour de Jérusalem et fleurit en avril. Ceux qui croient encore aux résultats du carbone 14, erronés et traficotés, me recopieront le livre de Jean-Christian, qui fait tout de même un nombre de pages respectable.

Je ne vais jamais à la Veillée Pascale, qui me paraît un contresens moderniste même si elle a parait-il des racines anciennes, je vais toujours à la messe du matin de Pâques et j’y entends le sublime évangile de Luc sur le matin de la Résurrection : “Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant”.

Mais voilà que la réalité voulue par Dieu, ou par le hasard, chacun juge suivant ses convictions, a mis un terme à la vie d’Émile Soleil de la pire façon. La veille de Pâques, une femme a trouvé un crâne d’enfant dans un bois peu éloigné du Haut-Vernet, l’a pris avec précaution et a appelé les gendarmes. Le crâne a été authentifié dans la nuit, et au matin la terrible nouvelle a été portée aux parents. Une note du Figaro dit que l’annonce leur a été faite pendant qu’ils quittaient leur maison pour aller à la messe de la Résurrection, une autre note dit qu’ils auraient été informés pendant la messe, ce qui serait un comble de cruauté. Toute l’histoire d’Émile est comme saturée de symboles, au-delà du christianisme elle semble renvoyer aux contes les plus archaïques de l’humanité. L’enfant s’est perdu dans la forêt des terreurs ancestrales et, à l’inverse du petit Poucet, il avait oublié de disposer des cailloux pour retrouver son chemin.

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Pour un chrétien, c’est une histoire tout à fait scandaleuse, déroutante, une épreuve qui risque de faire croire davantage en l’existence du diable qu’en celle de Dieu. On se souvient que dans La Peste de Camus, le docteur Rieux a perdu la foi à cause de la mort d’un enfant innocent. Une envie puérile nous prend, celle de pousser Dieu de son trône et d’installer une tout autre histoire dans les bois du Haut-Vernet. Le co-pilote de la German Wings s’est éjecté au dernier moment, il ne voulait pas se suicider, mais satisfaire sa haine terrible de l’humanité. Il a échappé aux recherches et survécu dans la rude montagne des Trois-Evêchés en retournant à l’animalité, en vivant comme les loups et les ours, en s’abritant au plus fort de l’hiver dans une tanière. Un soir de l’été suivant, il a vu venir à lui un petit ange blond qui l’a bouleversé et a réveillé son humanité. Il n’était ni ogre ni pédophile, mais a voulu garder près de lui cet enfant merveilleux comme Silas Marner, le tisserand avare de George Elliot dans le roman éponyme. Cet homme trouve une fillette blonde à sa porte un soir de Noël et l’adopte. Au matin de Pâques, l’homme en guenilles a pris l’enfant par la main, l’a ramené au village, et a disparu après l’avoir laissé à la première maison. Plus besoin de chercher parmi les morts cet enfant qui est vivant ! Joie immense dans la chrétienté, consolation contre la fin programmée de la catholicité par manque de prêtres, consolation contre le massacre universel des chrétiens, au Sri Lanka, dans la banlieue de Rouen, au Nigéria, Pakistan etc…

Mais Dieu est avare de miracles, il a refusé mon scénario à l’eau de rose. Alors, pourquoi croire encore en Lui ? D’abord pour suivre l’exemple de la famille d’Émile, qui a manifesté tant de dignité dans sa douleur, qui a totalement refusé le quart d’heure de célébrité warholienne dont l’attrait difficilement résistible fait naître en ce moment des vocations de plus en plus nombreuses de menteurs et surtout de menteuses. Il y a juste eu ce très court message de la mère qui suppliait un éventuel ravisseur de lui rendre Émile, message uniquement vocal. Aux dernières nouvelles, personne dans cette famille très chrétienne n’a annoncé qu’il renonçait à sa foi pour cause de cruauté divine dans cet antimiracle.

Quant à moi, j’ai une foi de charbonnier indéracinable, mais je propose à ceux qui ne l’ont pas la lecture de l’ouvrage de Jean-Christian Petitfils dont je parlais, Le Saint Suaire de Turin, Témoin de la Passion de Jésus-Christ. Dieu nous a laissé une preuve matérielle de la Résurrection, mais comme dans la nouvelle d’Edgar Poe La lettre volée, elle est trop visible pour qu’on la voie. Le grand historien a mené une enquête approfondie sur l’itinéraire du Suaire, de Jérusalem à Constantinople, puis en Champagne après le sac de la ville par les Croisés, en Savoie et aujourd’hui à Turin. Il explique longuement les erreurs et les mensonges des trois laboratoires différents qui ont voulu dater le Suaire au carbone 14, il rend compte de toutes les analyses scientifiques qui ont prouvé que le linge a été tissé au Proche-Orient au Ier siècle après-JC. Des spécialistes des tissus anciens aux spécialistes des pollens, des centaines d’universitaires y ont travaillé, mais on bute à la fin sur l’impossibilité absolue d’expliquer la formation de l’image.

Les ossements d’Émile seront tôt ou tard confiés à la terre, il nous restera ce visage si émouvant de l’Enfance Eternelle qui fera peut-être le miracle de ralentir la dénatalité en Occident.

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Être ou ne pas être, en avoir ou pas?

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Jusqu’à présent, les personnes transgenre devaient importer leurs sous-vêtements des États-Unis, en les commandant sur internet, apprend-on. Heureusement, en France, la marque Be Who You Are, qui propose des « sous-vêtements d’affirmation de genre », se décide enfin à « casser les codes ».


L’opportunisme marchand étant à peu près sans limites, voici que vient de se créer une ligne de sous-vêtements destinés aux personnes trans, celles et ceux qui se trouvent confronté(e)s aux affres de la « dysphorie de genre ». Selon la définition du Groupe Hospitalier Universitaire Paris (GHU, psychiatrie et neurosciences), « le terme dysphorie de genre décrit le sentiment de détresse ou de souffrance qui peut être exprimé parfois par les personnes dont l’identité de genre, l’identité sexuée ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. » Préalablement le GHU rappelle la notion de base selon quoi le sexe renvoie aux « caractéristiques physiologiques qui différencient les hommes et les femmes, alors que le genre renvoie davantage à la dimension sociale et culturelle de la sexuation: les rôles, les comportements, tous les attributs qu’une société considère à un temps donné comme appropriés à un sexe. »

Ricanements

Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de contester le moins du monde le fait que se sentir homme dans un corps de femme ou femme dans un corps d’homme puisse être cause de mal-être, de souffrance, et que comme toute souffrance celle-ci nécessite un accompagnement, éventuellement une prise en compte et en charge. C’est l’évidence même. Dès lors, considérée de ce point de vue, il n’y a rien à redire quant à l’initiative « cache sexe » des promoteurs de la ligne de sous-vêtements « Be who you are », en bon français « Soyez ce que ce vous êtes »1. Des sous-vêtements dont le port permet, par compression des protubérances mal venues, de modifier l’apparence genrée de la personne. (Un esprit taquin et outrageusement réactionnaire pourrait faire observer que nous serions donc là plus près du «  Soyez ce que vous n’êtes pas » que du « Soyez ce que vous êtes »).

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Cachez ces seins que nous ne saurions voir et aplatissez-moi, je vous prie, ce renflement obscène de l’entrecuisse, voilà schématiquement l’enjeu. Je suis probablement en retard d’une civilisation ou deux car j’en étais resté à ce qui avait cours autrefois, dans mes jeunes années. À l’inverse, les gamines avaient plutôt tendance à bourrer de coton leur soutien-gorge afin de se Maryliniser et on considérait que le renflement pubien avantageux des danseurs étoiles relevait de la même arnaque. Sans oublier bien sûr celui si généreusement mis en avant du torero, qui donnait lieu celui-ci à cette plaisanterie inusable et très fine qu’on se colportait en ricanant bêtement: « C’est là-dessous qu’il planque les piles pour l’habit de lumière ». Autres temps, autres mœurs, dirons-nous.

Tous victimes de la société

Là où on ne songera plus guère à ricaner c’est à la lecture de la définition évoquée plus haut, concoctée par les éminences dites scientifiques du GHU Paris, et qui assène sans autre forme de justification, d’argumentation que « l’identité de genre, l’identité sexuée » ne relèverait aucunement de l’état de nature  – en avoir ou pas – mais à une « assignation » qu’exercerait dès la naissance la très perverse société, distributrice des rôles, des comportements, des attributs pour la seule satisfaction de supposés besoins.

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On touche alors à l’essentiel de la doctrine, du dogme : il faut absolument une victime et un coupable. Un opprimé et un oppresseur. Le reste ne serait que (mauvaise) littérature. La vérité de la nature ne compte pas. Au lieu de promouvoir l’apaisante acceptation de cette vérité de nature, et donc l’harmonie toute simple et indolore entre sexe et genre, on s’ingénie à cultiver le terreau du mal-être, de la souffrance. La souffrance pour tous, puisque tout être naissant et grandissant se voit désormais plus ou moins sommé de se poser un jour ou l’autre la question : être ou ne pas être, suis-je ce que je suis ? Ou m’a-t-on délibérément abusé, violé dans mon être même en me serinant dès la sortie du ventre de ma mère : «  tu seras un gars ma fille, ou tu seras une fille mon gars ! » Comme si l’adolescent, l’adulte en devenir ne portait pas en lui, avec lui, assez de doutes, d’incertitudes de questionnements comme cela sans aller lui en fabriquer un de plus – et de quel calibre !- tout à fait artificiellement, tout au moins dans l’immense majorité des cas ? Il faudrait quand même que nous nous mettions à nous interroger sérieusement sur ce penchant très actuel qui consiste à tout mettre en œuvre pour tourner le dos aux quelques chances que pourrait avoir notre humanité d’être une humanité heureuse. Enfin, un peu plus heureuse. C’est-à-dire davantage à l’écoute de la nature, pas seulement pour la sauvegarde du coléoptère des mares à canards, mais avant tout pour le petit d’homme. Il le vaut bien, comme il est dit dans la réclame.


  1. https://www.causeur.fr/wp-content/uploads/2024/04/communique-be-who-you-are.pdf ↩︎