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Les confidences gênantes de l’ex de François Ruffin

Pour la littérature, merci patronne ! Enfin libérée d’une terrible « emprise », Johanna Silva, l’ex-compagne et ex-attachée parlementaire du député gauchiste de la Somme publie L’Amour et la révolution (Textuel, 2024). Un récit politique et sentimental navrant.


Au siècle dernier, Maurice Blanchot s’est préoccupé de l’Écriture du désastre. En ce premier quart du vingt-et-unième siècle, c’est au désastre de l’écriture que contribue Johanna Silva.

Même s’ils aiment beaucoup les idées de M. Ruffin, les journalistes de la presse de gauche se sont fait l’écho du livre de Mme Silva (Télérama, Libération, Le Monde…)

L’écriture pratiquée comme une thérapie, stade ultime de « l’écriture de soi » sera bientôt considérée comme un genre littéraire à part entière ; ce que redoutait Flaubert est arrivé : l’écrit est devenu le réceptacle privilégié de « l’écume du cœur », « un déversoir à passion », « un pot de chambre un peu plus propre qu’une simple causerie ». Avec un récit autobiographique intitulé L’Amour et la révolution, l’ancienne « compagne de route » et « bras droit » de François Ruffin apporte une solide contribution à ce tout jeune style littéraire. Dans un texte dont l’indigence n’a d’égale que la puérilité, Johanna Silva revient sur cinq années d’une emprise amoureuse et politique dont elle triomphe par le truchement de l’écriture. Armée de ses seuls mots, « l’auteure » se lance dans la reconquête de soi pour mieux affirmer son néo-féminisme ; l’aventure commence : « Le jeudi 20 janvier 2022, après plus de trois ans sans pouvoir me débarrasser du boulet de tristesse et de doutes que je traînais depuis que j’avais quitté François, j’ai décidé d’écrire. Je me rends compte maintenant, sans jugement ni regret comme j’étais encore bloquée dans l’enfance (…)  En écrivant (…) je cessais de me battre contre moi et j’ouvrais enfin les yeux. » On admet avoir été tenté de fermer les nôtres. Et puis, on a lu ces confidences. Consternantes dans la forme, elles n’en constituent pas moins un document édifiant pour comprendre une époque qui n’en finit pas de vriller.

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House of Cards en version ch’ti

Johanna Silva est diplômée de Sciences-Po Lille ; elle a 25 ans lorsqu’elle rencontre François Ruffin. À la manière d’une gamine naïve, la voilà qui s’embringue dans une relation amoureuse aussi vénéneuse que pathétique : « (…) je souffrais, mais c’était beau, c’était beau comme je l’aimais (…) Je nous imaginais Sartre et Beauvoir (…) Devant la première saison d’House of Cards, j’ai pensé à nous aussi (…) » L’amoureuse devient alors le factotum de l’homme politique : « maitresse d’ouvrage » au journal Fakir, productrice du film Merci Patron !, organisatrice de Nuit debout, attachée parlementaire, enfin. Grâces soient rendues au mouvement #MeToo qui dessille les yeux de la jeune femme sur la question de la domination : la pauvre enfant réalise la toxicité de l’atmosphère saturée de testostérone dans laquelle elle baigne jusqu’aux dents. La malheureuse en était même rendue à tolérer que « François » et ses acolytes virils la chambrent en l’appelant « la petite-bourgeoise. » Elle explique : « Cette culture de la vanne bien placée, des rires gras, des piques incessantes, ne faisait aucune place à un partage sincère d’émotions. » Elle ajoute: « Pour la première fois, je sentais la domination masculine (…) Le féminisme m’était entré dans le corps. »

Fête à neuneu: déposez votre cœur au vestiaire

Autre découverte majeure de l’ingénue : la politique exacerbe la violence intrinsèque à l’Homme. Pour survivre l’élite politique, blanche et masculine (Pourquoi d’ailleurs le préciser ?) sait dissimuler ses failles. Pourtant : « Le monstre, ce sont les partis, les syndicats, les organisations en tout genre – ou plutôt, leur bordel interne, leur défiance externe, les rapports de force entre les structures et au sein de chacun.e. Le monstre c’est ce qu’il y a de mesquin en nous et entre nous (…) » Du reste, il n’y a qu’à se souvenir de l’une des déclarations de Mélenchon : « On vient d’une école politique où l’on dépose son cœur à l’entrée. » Ce savoureux récit montre également l’installation du wokisme et de l’islamo-gauchisme dans le paysage politique et les esprits. Ainsi, après l’attentat du 7 janvier 2015, Johanna Silva déplore l’assignation à « être Charlie ». « S’installe le sentiment que désormais, on ne pourra plus jamais critiquer Charlie Hebdo et son acharnement un peu malsain contre les Musulmans, sous peine d’être accusé.e de complaisance avec les terroristes. »  « Entre la tristesse, l’effroi, l’anticléricalisme et l’anti-islamophobie, le dégoût et le malaise face à la pensée unique, comment trouver la voie ? » s’interroge-t-elle. Il y aura ensuite Nuit debout : « Nuit debout était une nébuleuse terrible, aux mille initiatives impossibles à canaliser. » Les soirées festives, enrichissantes et fructueuses s’enchaînent. « Aussitôt le cul posé par terre je perds le fil, qui n’existe d’ailleurs pas, les prises de parole se succèdent sans rapport les unes avec les autres. » Elle précise : « (…) des bâtiments de fortune ont fleuri (…) Dans un coin, la commission Potager debout arrache des pavés du sol pour semer quelques graines, pendant que les Avocats debout conseillent gratuitement des gens en galère. »  La fête à Neuneu bat son plein.

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Ruffin pas assez radical

François sera élu député en juin 2017 et Johanna Silva est toujours là, fidèle intendante. « Avec son élection les choses prirent un tour vraiment dérangeant. Dès les premières semaines, je dus m’occuper de sa déclaration d’intérêts et d’activités, ainsi que de sa déclaration de patrimoine. »  « Je finis par connaître mieux que François sa propre situation administrative. Pourquoi alors ne pas me charger de déclarer ses impôts ? » La jeune femme, dont la conscience politique et féministe s’affirme, finit par porter un regard plus critique sur « François ». Elle le juge parfois trop timoré dans ses prises de position : « Sur les violences policières par exemple. C’est comme s’il ne lui était pas rentré dans le crâne qu’elles étaient le fait d’un système et non des bavures isolées. » Elle raconte : « Dans ma vie, la question du genre prenait de plus en plus de place (…) Le groupe de musique que nous avions créé l’année précédente, les Oiseaux n’était composé que de femmes (…) Sans l’avoir prévu ni même formulé, nous expérimentions les joies du groupe de parole non mixte. »

C’est après l’organisation, en mai 2018, d’une dernière manifestation, La Fête à Macron, que la jeune femme se décide à quitter définitivement le giron de « François ». « J’avais un nouveau cheval de bataille qui m’était propre : je voulais défendre l’humanité, la vulnérabilité, la bienveillance au sein du monde politique. Je sentais bien que ce n’était pas une niaiserie, qu’il y avait quelque chose à creuser. (…) J’en étais même venue à considérer mes pleurs intempestifs comme une arme. »
On ne sait pas si la politique s’en trouvera mieux mais, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un graphomane de plus nous est né !


« L’écrivain relève de l’ancien monde du jugement, du tri, de la discrimination, de la rareté. Le graphomane baigne dans le nouveau monde du marché, de la démocratie fatiguée, de la littérature comme art de masse et du droit à écrire. »

« Le graphomane est le gentil compagnon de route de la nouvelle civilisation. »

 Philippe Muray, Ultima Necat VI, Journal intime 1996-1997

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La légende des cycles

L’éditorial d’avril d’Elisabeth Lévy


Alors que vous vous apprêtez à déguster votre Causeur, vous ignorez sans doute que le progrès a encore frappé. Si le calendrier parlementaire a été tenu, la France s’apprête à mettre fin à une injustice millénaire en instaurant le congé menstruel[1]. Des esprits chagrins objecteront que les femmes n’ont pas toutes envie de claironner qu’elles ont leurs règles et qu’elles pouvaient parfaitement, jusque-là, obtenir un arrêt-maladie sans en préciser la raison. C’est se méprendre sur l’objectif, qui n’est pas de remédier à une situation concrète (que la médecine prend heureusement en charge), mais de lutter contre la scandaleuse invisibilité des règles douloureuses qui prévalait jusque-là. Certes, elles n’étaient pas invisibles pour tout le monde, la plupart des hommes sachant très bien qu’il y a des jours où il vaut mieux faire profil bas. Mais le partage intime de la souffrance ne suffit pas. Il faut que celle-ci, dûment intégrée à la panoplie des malheurs féminins, bénéficie d’une reconnaissance publique et des dispositifs afférents. Comble de félicité, on pourra désormais en causer à la machine à café. Si vous en soupez à la maison, vous en reprendrez une dose au bureau.

Les deux députés écolos qui ont pondu ce texte ont évidemment brandi des statistiques prouvant que ce fléau oublié touche une femme sur deux (ce qui est certainement vrai). Seulement, une cause sans coupable à dénoncer, c’est moins rigolo. Or, on peut difficilement prétendre que les règles sont un mauvais coup du patriarcat. Puisqu’ils ne peuvent pas accuser, les deux compères s’emploient à culpabiliser. En organisant une expérience grotesque relatée avec un impayable sérieux par les médias. « “Des petits coups de poignards” : des députés testent un simulateur de règles douloureuses », annonce Le Parisien. Des élus de tous bords se sont prêtés au jeu avec enthousiasme. Sur la vidéo diffusée sur X, on voit Louis Boyard, Clément Beaune et quelques autres grimacer et pousser des petits cris aigus, en étouffant des rires d’adolescents attardés. Le tout assaisonné de commentaires de haut vol : « ça fait super mal, en fait », « très douloureux », « horrible ». Tous fayotent de façon éhontée, expliquant à quel point il est important de se mettre à la place de l’autre. Bref, si vous voulez vous payer un bon fou rire, ne ratez pas ce spectacle[2].

Curieusement les confrères, généralement si imbus de leur scepticisme, ont gobé sans discuter l’histoire du simulateur de douleur menstruelle. Pas un n’a demandé comment fonctionnait cet appareil magique. Permettra-t-il à des hommes de ressentir les affres de l’accouchement, voire ceux de la marche sur stilettos ? Des femmes comprendront-elles enfin la rage du type qui se coupe en se rasant et tache sa chemise propre au passage ? Nos deux écolos n’ont pas seulement fait faire un pas de géant à l’espèce, ils ont revisité sans le savoir l’antique mythe de Tirésias, devin aveugle qui fut alternativement homme et femme.

Sur l’origine de cette sorcellerie, les récits divergent. Pour l’un d’eux, Tirésias, née femme, se refusa à Apollon qui la changea en homme afin de lui faire comprendre ce qu’était l’implacable emprise d’Éros. La version la plus amusante est que le malheureux fut sommé de ramener la paix entre Zeus et Héra qui se chamaillaient pour savoir lequel prenait le plus de plaisir à leurs polissonneries. Répondant que c’était la femme, Tirésias déclencha la colère d’Héra, qui était très à cheval sur son statut victimaire. Et toc, elle le transforma en gonzesse, histoire de lui montrer que ce n’était pas marrant tous les jours.

Ayant été pleinement homme et pleinement femme, Tirésias est le seul humain à avoir percé le mystère insondable de l’autre sexe. Qui ne réside pas, quoi que pensent nos bons députés, dans la manière dont chacun ressent ses embarras gastriques ou ses rages de dents, mais dans ce qu’il éprouve quand il désire et quand il jouit. Aucune femme ne comprend ce qui se passe dans le cortex d’un homme troublé par une jupe qui vole ou une bretelle de soutien-gorge qui glisse, ni les efforts qu’il doit faire pour s’empêcher. Enfin, tu ne peux pas te retenir ? Ils peuvent, mais c’est dur.

Le charme particulier de la vie hétérosexuelle, c’est cette opacité irréductible : on peut vivre un amour fusionnel, dormir toutes les nuits dans le même lit et les mêmes bras, il reste dans l’autre sexe un noyau inconnaissable. Les petits comptables de l’intime peuvent surveiller le partage des tâches ménagères, ils n’arriveront pas à imposer la mutualisation des fantasmes. Le totalitarisme de la transparence n’y peut mais : l’imaginaire fait chambre à part.


[1] Un texte octroyant 13 jours d’arrêt maladie par an aux femmes souffrant de règles douloureuses devait être discuté le 4 avril à l’Assemblée nationale.

[2] On peut voir la vidéo sur le fil de Sébastien Peytavie, l’un des deux initiateurs du texte.

Yasmina Reza, bien plus qu’une femme…

Alors qu’elle publie une sélection de ses textes dans la collection Quarto de Gallimard, et en fait la promotion, l’écrivaine refuse de se soumettre aux sommations. Elle rappelle qu’elle n’appartient à aucun camp – ni à celui des « réacs », ni à celui de ceux qui aimeraient la cataloguer comme telle. «Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail» répond-elle quand Le Point lui demande ce qu’elle pense du déclin de l’Occident.


Quand on admire, on n’a pas à s’excuser de répéter. Si mon titre insiste sur le fait que Yasmina Reza est « bien plus qu’une femme », ce n’est pas pour porter atteinte à la catégorie des femmes mais pour montrer qu’il y a des personnalités qui échappent naturellement à leur genre pour susciter une adhésion sinon universelle du moins détachée de toute tonalité de sexe. Je suis d’autant plus heureux que son actualité – parution le 4 avril de On vient de loin, Œuvres choisies chez Gallimard – justifie ce billet.

Pessimisme souriant

Il y a depuis quelque temps un courant prétendument progressiste mais au fond préoccupant, qui met en évidence un communautarisme féminin faisant croire à un univers spécifique pour les femmes. Comme si, sorties de l’humanité rassembleuse, elles avaient besoin qu’on leur adresse des messages à la fois d’une totale banalité et prétendument adaptées à ce qu’elles seraient.

C’est d’abord à cause de sa géniale solitude que j’apprécie plus que tout Yasmina Reza. Qui est par ailleurs, pour ceux qui ont la chance de la connaître, un être d’une délicate et merveilleuse urbanité.
Et mon admiration va vers une finesse et une intelligence hors pair où on sent, sans qu’elle la présente de manière vulgaire et ostentatoire, une philosophie de pessimisme souriant, de tendre désabusement pour tous ces humains dans lesquels elle se place. En même temps que par la conscience de leur finitude, ils sont habités par l’énergie de vivre et jouent comme ils peuvent dans la comédie cynique, ironique, drôle, tragique et déchirante de leur existence.

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Ce n’est pas rien, dans l’entretien qu’elle a accordé à Saïd Mahrane dans Le Point[1] que d’entendre le ministre Bruno Le Maire, écrivain lui-même (et comme il a raison de ne pas jeter l’écriture au prétexte qu’il est ministre !), s’écrier que « Yasmina Reza, c’est la France » et, bien davantage, Michel Houellebecq, lassé face « à l’évocation de grands noms de la littérature contemporaine », soupirer : « Reza ? Ah oui, elle, je l’aime bien ».
Alors qu’elle affirme : « Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail », elle n’hésite pas à révéler ses inquiétudes dont la principale tient « actuellement…à l’absence de liberté. J’hésite à parler d’une perte parce que je ne sais pas si nous l’avons eue à un moment donné. Mais on rencontre de moins en moins de gens libres de penser… L’esprit communautaire – pour ne pas dire totalitaire – de la pensée règne partout. Il y a sommation d’appartenir à un camp. Ce difficile exercice de la liberté m’inquiète, oui » et elle recommande d’inculquer aux enfants avant tout « l’indépendance de pensée. Penser par soi-même ».

Inclassable

Je n’aurai pas l’indécence d’instrumentaliser Yasmina Reza pour faire servir son verbe si lucide et sa pensée si juste à la défense de certaines causes médiatiques mais je ne peux m’empêcher de ressentir une familiarité qui m’honore avec son refus de l’inféodation et son indifférence à l’égard des étiquettes de droite ou de gauche qu’on appose absurdement sur elle. Sur ce plan, elle est décisive quand elle souligne qu’on ne peut pas « assujettir l’écriture à la peur de fâcher ».

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Il y a la douceur un peu mélancolique de ces dernières pensées intimes : « La postérité ne me parle pas du tout. Ce qui me parle en revanche ce sont mes deux enfants. J’aimerais bien ne pas péricliter trop vite de leur vivant. Cela me ferait de la peine pour eux qu’ils n’entendent plus parler de mes livres quand ils auront mon âge ».
Inclassable, géniale parce qu’elle dépasse la cause des femmes et ne se laisse pas embrigader dans les débats qui ont pour dénominateur commun de répudier l’universel, rendant tous les autres entretiens promotionnels vides de sens, elle pose sur le monde, les humains, la vie, la mort, l’amitié, l’amour, le regard infiniment tendre et lucide d’une femme revenue de tout mais toujours prête à repartir.

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[1] https://www.lepoint.fr/culture/yasmina-reza-l-esprit-totalitaire-regne-partout-30-03-2024-2556373_3.php

Jean-Michel Apathie nous étonnera toujours

Les récents tweets énervés du journaliste (vous savez, ceux qui se terminent toujours par « Étonnant, non ? ») apportent la preuve qu’un militant de gauche convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement quand on lui retire son pouvoir.


Jean-Michel Aphatie n’est pas plus idiot que la plupart de ses confrères des médias ni plus à gauche qu’eux : il est seulement moins habile, moins capable de comprendre que lorsque le fond fait à ce point défaut il faut parfois déguiser la forme pour au moins faire illusion.
La réalité est que le petit milieu médiatique est tout entier acquis à ces idées qui agitent un Aphatie complètement dépassé par les nouvelles réalités imposées par les réseaux sociaux et qui pense naïvement qu’en 2024 on peut encore assumer ces outrances comme on le pouvait au temps où les Français n’avaient aucun outil pour riposter. Les réseaux sociaux ont mis entre les mains des Français cet outil qui leur manquait, et maintenant les gens comme Aphatie ne peuvent plus divaguer sans qu’on leur fasse remarquer que le spectacle pathétique auquel ils se livrent est humiliant pour eux et salissant pour nous.

Éternel donneur de leçons

Ils ne le peuvent plus, ou beaucoup moins, alors ils s’abstiennent de trop divaguer, ou beaucoup moins, ou beaucoup plus subtilement. Sauf Aphatie qui se rêve encore dans la peau du donneur de leçons qu’il a toujours été derrière sa carte de presse et qui continue d’agir comme un bourrin, comme une brute scandalisée de découvrir que les Français, dès lors qu’ils s’affranchissent de sa tutelle, rejettent ses idées et adoptent celles qu’il déteste.
Les nombreuses divagations quasi séniles d’Aphatie sur X (ex-Twitter), ses trépignements d’ancien enfant gâté à qui on a retiré son jouet, cette bile qui déborde de chacun de ses tweets ne sont pas la démonstration qu’un homme en vieillissant devient gâteux : ils sont la preuve qu’un gauchiste convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement lorsqu’il se trouve privé de pouvoir régner sans partage sur les consciences.

Après moi, le déluge

En somme, voyant venu la fin de son règne, Aphatie brûle ses vaisseaux et se perd en déclarations chaque fois plus brutales, plus caricaturales, plus imbéciles, plus médiocrement provocatrices, en se disant probablement qu’il n’a plus rien à perdre et qu’il n’a plus besoin de faire semblant d’être journaliste maintenant qu’il est évident pour tous qu’il ne l’a jamais vraiment été.

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Je vous l’assure : Jean-Michel Aphatie est notre meilleur allié involontaire. Grâce à lui nous n’avons plus besoin de mettre en garde contre les dérives brutales et haineuses de la gauche : Aphatie en livre lui-même le spectacle. Nous n’avons plus besoin de convaincre qu’il y a en France des gens qui ne rêvent que de la salir : les mictions verbales d’Aphatie multiplient les démonstrations. Nous n’avons plus besoin d’alerter contre la déconnexion entre les petits milieux parisiens et le pays réel : il suffit de regarder Aphatie s’agiter contre tout ce qui compose la réalité anthropologique, culturelle et populaire de notre pays. Tout le programme de la gauche est là qui nous regarde avec les yeux ahuris de Jean-Michel Aphatie.

Merci Seigneur !

Remercions le Ciel de nous avoir donné un adversaire qu’il n’est même pas nécessaire de combattre et qui travaille de lui-même à nous donner raison. Il est tellement balourd qu’il a réalisé l’exploit d’être lui-même le remède involontaire contre son propre venin !
Et plaisons-nous à imaginer à quel point Aphatie doit mettre mal à l’aise son petit milieu, ses petits confrères-complices qui eux, soucieux par malice de rester des versions plus discrètes de ce qu’est ostentatoirement Aphatie, doivent intérieurement lui reprocher d’aider aussi frontalement à rendre visible ce qu’ils essaient de cacher sur eux-mêmes. D’ailleurs, voyez-vous beaucoup de journalistes prendre la défense d’Aphatie lorsqu’il se fourre dans ses polémiques ridicules ? Vous savez tout.
Jean-Michel Aphatie n’est pas du tout une excroissance honteuse de la gauche dont il trahirait le message par ses excès. Il est la gauche, exactement la gauche, c’est-à-dire par définition la véritable intolérance, la tentation totalitaire, l’irritabilité face à la contradiction, la passion monomaniaque et évidemment la haine profonde, viscérale, contre la France et contre les Français. Et c’est cela la gauche, y compris lorsqu’elle ne l’assume pas aussi directement que lui. Il n’est pas une excroissance, il est la face émergée de l’iceberg. Ce monsieur rend des services gigantesques à ceux qui précisément veulent combattre l’entre-soi, le petit milieu et la gauche en général.

Plastique bashing: la fausse transition écologique

Entretien avec Joseph Tayefeh de Plastalliance, organisation professionnelle qui représente l’industrie de la plasturgie en France


En Europe, nos sociétés et nos économies subissent une pression constante pour réaliser la transition écologique. Conduisons-nous toujours cette transition de la manière la plus intelligente ? Trop souvent, nous imposons des contraintes à nos propres industries en délocalisant les effets nocifs vers des pays moins regardants sur la pollution et la destruction de l’environnement. Trop souvent, nos propres entreprises se trouvent désavantagées par ces contraintes sur le plan de la productivité et de la compétitivité face à des rivaux sur d’autres continents. Et trop souvent, nous abandonnons aux autres des pans de secteurs vitaux – comme l’agriculture ou les fournitures médicales – sur lesquels nous devrions conserver un degré important de contrôle.

Non seulement l’Union européenne a tendance parfois à pécher de cette manière par rapport aux pays non-adhérents, mais la France aussi par rapport aux autres États-membres. Un domaine où on voit fréquemment de tels travers est celui du plastique. C’est pour cela que Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance, une organisation professionnelle qui, depuis 2005, représente les entreprises de la plasturgie, des composites et des filières connexes, milite pour réhabiliter l’image de l’ensemble de ces industries et pour promouvoir une transition écologique intelligente. A cette fin, il a publié en octobre 2023 Plastique bashing. L’intox ? (Le cherche midi) qui prend la défense de la filière française et cherche à dissiper les malentendus et les erreurs qui mettent en péril son avenir. Cet ouvrage va jusqu’à évoquer « la destruction souhaitée et organisée de l’industrie plastique au sens large » et soutient que, depuis 2018, cette dernière subit « un bashing médiatique exceptionnel » au nom d’une cause écologique trop souvent transformée en dogme intransigeant.

Avant d’interroger son auteur sur des développements en cours aptes à susciter l’inquiétude des Français, rappelons quelques-uns des points-clés de ce livre :

  • Le plastique est omniprésent et très difficile à remplacer. Sans plastique, la vie telle que les 8 milliards d’habitants de la Terre la vivent serait impossible. Il joue un rôle essentiel dans des dispositifs – tels que les panneaux photovoltaïques – sur lesquels on compte pour réduire le réchauffement climatique.
  • Le plastique a permis de remplacer des produits d’origine animale, comme l’écaille ; il coûte moins cher à fabriquer que l’équivalent en bois, carton ou métal ; et sa production crée moins de gaz à effet de serre que la sidérurgie, ainsi que d’autres filières productrices de matières susceptibles de le remplacer.
  • Un tiers de la nourriture produite dans le monde est perdu ou gaspillé. Les emballages en plastique permettent de préserver et de prolonger la vie des aliments. Comme les déchets alimentaires créent entre 8% et 10% des gaz à effets de serre, l’interdiction simple des emballages en plastique aurait des conséquences très graves.
  • L’UE et l’ONU restent conscientes des difficultés qu’il y a à réduire la pollution de l’environnement par les déchets plastiques et cherchent des moyens efficaces et réalistes pour avancer, la France semble plutôt choisir « la voie facile de la prohibition aveugle et inefficace » des produits plastiques.
  • La plasturgie française était le numéro deux en Europe il y a une vingtaine d’années ; depuis, elle a dégringolé. Mettre des boulets à la filière française – qui d’ailleurs ne permettront pas de résoudre les problèmes environnementaux revient à saboter l’industrie nationale au profit des intérêts étrangers.

En ce qui concerne le plastique, la clé d’une utilisation durable réside dans le recyclage. A cet égard, la France est la mauvaise élève de l’UE. En 2020, seuls 21,4% des déchets plastiques ont été recyclés, la France arrivant à l’avant-dernière place des 27 de l’Europe. Pourtant, la même année, la promulgation par la France de la Loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a fixé des objectifs irréalistes, dont le recyclage de 100% des déchets plastiques avant le 1er janvier 2025. Les meilleurs élèves n’arrivant qu’à un peu plus de 50%, le but est impossible. On ne devient par le meilleur élève par pure imprécation. Selon le gouvernement français, il faut aussi mettre fin aux bouteilles plastiques à usage unique d’ici 2040. Dans ce cas comme dans l’autre, les objectifs sont non-contraignants – voire fantaisistes – mais leur énonciation détruit l’image du plastique sans proposer une solution intelligente afin de continuer à en profiter. D’ailleurs, la France perd son temps à proposer des objectifs qui sont contraires à la loi européenne. Si elle persiste sur cette voie, l’industrie et les consommateurs français seront les seuls perdants.

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Causeur. Quel est l’enjeu actuel pour la plasturgie française ?

Joseph Tayefeh. DR.

Joseph Tayefeh. Mon livre tire la sonnette d’alarme, non pas sur la disparition du plastique dont les prévisions de croissance sont x2 à x3 minimum d’ici 20 ans au niveau mondial, mais sur une volonté plus ou moins affichée de faire disparaître l’industrie plastique française. Si la France n’a pas une autonomie stratégique en termes de fabrication de produits en plastique, c’est une dépendance grave vis-à-vis de l’étranger dans tous les secteurs d’activités qui s’annonce. La pénurie des masques ou des blouses, qui sont en plastique, à l’hôpital, lors de l’épisode Covid-19 n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre sur une échelle bien plus massive tant le plastique est présent quasiment partout et pour de très bonnes raisons. C’est notre souveraineté qui est en jeu.

Les opposants au plastique ne nient pas l’importance de son rôle dans notre vie mais ils ne proposent aucune alternative viable techniquement et économiquement. Les adeptes de la décroissance n’ont pas conscience ou préfèrent peut-être ne pas voir les conséquences plus ou moins inattendues de l’application de leur idéologie.

A l’heure où nous parlons, quelle est la menace la plus sérieuse qui pèse sur la filière plastique en France ?

Il s’agit de celle pesant sur les emballages plastiques à usage unique pour les fruits et légumes. Alors qu’aucun texte européen ne l’exigeait, la France s’est mise en tête dès 2020 avec la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire dite loi « AGEC », d’interdire les emballages plastiques pour la plupart des fruits et légumes. La surtransposition idéologique dans toute sa splendeur ! Si je veux bien admettre qu’une noix de coco ou un ananas peut être très bien vendu sans emballage, je peux vous assurer que pour certaines catégories de fruits et légumes, c’est une autre histoire. Pour les pêches et abricots, j’ai eu des retours de la filière française qui m’ont indiqué que le passage du plastique au carton allait occasionner un coût estimé à près de 30 cts /UVC (Unité de Vente Consommateur). Avec 40 millions d’UVC, l’impact est estimé à 12 000 000 € par an rien que pour cette filière. Par ailleurs, un essai mené par ce même secteur des pêches et abricots en janvier 2024 a conclu que le passage au carton entraînerait une humidité abondante dans la barquette avec un risque d’augmentation de la pourriture des fruits. On est au cœur du gaspillage alimentaire ici. J’ai pu avoir un retour similaire d’un des grands producteurs français de haricots pour qui le passage du plastique au papier nécessite un investissement de 220 000 € pour les lignes d’emballages, sur un budget annuel d’investissement de 250 000€ et un surcoût  de 12.5 ct/UVC. L’augmentation directe pour le consommateur est de l’ordre de 23.25 ct HT et avec à la clef la perte des propriétés tant appréciées du plastique telles que la transparence et le maintien d’une durée de conservation ad hoc. Le 4 avril 2024, une audience est prévue au Conseil d’État afin de demander la suspension du décret français du 20 juin 2023 qui met en musique l’interdiction prévue par la Loi. La Commission européenne elle-même dans un courrier en date du 6 décembre 2023 adressé aux autorités françaises, avait demandé à la France de procéder à « une abrogation totale du texte en question, soit une notification d’un nouveau projet destiné à le remplacer ». Lors de l’audience devant le Conseil d’État, je serai accompagné d’un producteur qui pourra expliquer directement à la juridiction à quel point le « plastique bashing » est littéralement la fin des haricots !

On doit pourtant lutter contre la pollution plastique…

Il faut lutter contre la pollution générée par les déchets plastiques mal ou pas gérés, pas contre le produit en lui-même. Si un camion de farine se renverse sur la route avec des sacs éventrés, ce n’est pas le boulanger que l’on va accuser. La pollution par les déchets plastiques est due principalement à la mauvaise gestion des déchets par des pays qui n’ont aucun moyen de les capter (81% de la pollution plastique dans les océans provient de l’Asie, à comparer avec l’Europe qui en est responsable à hauteur de 0,6%). Il y a également la problématique des granulés de plastiques industriels, qu’on appelle aussi « larmes de sirène », qui se retrouvent sur les plages parfois françaises à la suite de la perte de containers en mer. C’est un problème de transport maritime, pas de fabricants situés sur le territoire national. Enfin, l’incivilité est certes un souci réel mais un souci occidental qui doit être plus durement sanctionné. Ramené à l’échelle mondiale, cela représente dans les faits qu’une très faible part de cette pollution même si elle reste spectaculaire quand les journaux télévisés montrent telle décharge sauvage ou telle forêt française jonchée de détritus (plastiques ou pas, d’ailleurs) à la suite du passage de randonneurs peu scrupuleux.

La France semble vouloir faire cavalier seul en Europe en prétendant aller plus loin que les autres États-membres…

Le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est présenté sur CNews comme le « ministre de la planète », rien que ça. Mais au vu des résultats calamiteux de la France en matière de recyclage des plastiques, on peut se demander si l’économie circulaire à la française n’est pas devenue une autre manière de tourner en rond. La France est dans les derniers de la classe au niveau européen en matière de recyclage des emballages plastiques avec un taux de près de 23,1% quand la Belgique ou les Pays-Bas approchent des 60%. Alors que des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Danemark ou la Suède ont réduit l’enfouissement des déchets d’emballage plastiques à quasiment 0, la France continue d’enfouir près de 21% de ces déchets et à en incinérer près de 56%. Alors que la majorité des pays européens (y compris les trois pays baltes) ont mis en place la consigne pour collecter et recycler les bouteilles plastiques, la France s’obstine à repousser cette méthode vertueuse et qui a fait ses preuves. Heureusement, l’Europe veille et c’est peut-être contre-intuitif, mais la souveraineté de l’industrie plastique française sera sauvée au niveau européen et pas au niveau français.

Ne faudrait-il faire plus confiance à l’Europe qu’au gouvernement français ?

Un texte majeur a été approuvé le 15 mars 2024. C’est le projet de règlement européen sur les emballages et les déchets d’emballages. Comme tout texte, il n’est pas parfait mais il a le mérite d’enterrer certains objectifs français qui vont devenir incompatibles avec les règles communes. Ni la fin généralisée des emballages plastiques à usage unique en 2040, ni la réduction de moitié des bouteilles plastiques mises sur le marché d’ici 2030 comme l’espérait la France dans AGEC, ne figurent dans le texte, qui a été, et c’est très ironique, approuvé par la France, lors de la réunion des 27 ambassadeurs européens le 15 mars.

L’Europe prévoit certaines interdictions sur des produits bien ciblés mais avec souvent des exemptions qui ne seront pas, in fine, négligeables. L’Europe prévoit également la mise en place de la consigne pour les bouteilles en plastiques d’ici 2029 sauf si l’Etat membre concerné atteint un taux de 80% de collecte pour recyclage desdites bouteilles en 2026, c’est-à-dire demain. On tourne depuis des années en France à 60% et je ne vois pas comment un bond de 20 points sera effectué d’ici 2026. La consigne deviendra inéluctable. La vraie bataille va être celle du gisement de plastique recyclé, car des objectifs d’incorporation de matière secondaire sont établis par le texte avec l’interdiction de mise sur le marché comme sanction si le quota de recyclé incorporé ne suit pas. Il est plus qu’urgent qu’un sursaut national se fasse en la matière et que l’on passe d’une politique de réduction du plastique tout court à une politique de réduction de l’utilisation de plastique vierge et donc de soutien à l’émergence d’une filière de collecte et de recyclage solide et pérenne en France.

Prédatrices versus prédateurs

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Redécouvrir Smooth Talk de Joyce Chopra, avec Laura Dern, en DVD. Une autre époque.


Fuyant le carcan familial (classe moyenne de la Caroline du Nord, ethniquement blanche à 100%), un trio de pétasses teenage décérébrées, en tenues légères, ongles (des pieds) peints, brushing, le tout orchestré pour l’entreprise de séduction, se mettent en chasse dans le mall avoisinant, mises en joie à l’idée d’y allumer franco les mâles pubères qui y traînent en meute après les heures de lycée.

Laura Dern délurée puis…

La plus ardente et délurée de la petite bande : Connie, 15 ans, en proie à d’incoercibles poussées libidinales qu’accusent, et sa frustration d’adolescente point encore déflorée, et les rapports tendus qu’elle entretient avec sa génitrice, femme au foyer bien intentionnée mais oppressante, et décidément mieux en phase avec la sœur cadette de Connie, plus soumise à la routine domestique.   

© Carlotta

Dans le rôle rebelle de Connie, la fraîche et future star Laura Dern (née en 1967, la comédienne n’a pas 18 ans au moment du tournage), immortalisée par la suite, comme l’on sait, par David Lynch grâce à Blue Velvet, Sailor et Lula, Inland Empire, Twin Peaks… En attendant, Smooth Talk mérite d’autant plus de se voir exhumé aujourd’hui par les soins de Carlotta Films, que cette « comédie dramatique », comme on dit, dresse une image de la féminité aux antipodes de la sanctification victimaire opérée de nos jours par les Torquemada du woke à l’endroit de la gente masculine. De fait, au moins dans la première partie du film, ce sont bel et bien les filles qui, à deux doigts du «  passage à l’acte », « agressent » sexuellement les petits puceaux. Lesquels, en retour, partent battus d’avance dans leur drague maladroite ou lourdingue.

… sous « emprise »

Aujourd’hui âgée de 87 ans, la réalisatrice Joyce Chopra n’a jamais que deux longs métrages au compteur. Après l’échec commercial du second The Lemon Sisters, elle enchaînera les téléfilms et les séries américaines pur jus. Millésimé 1985, ce film inaugural échappe assez subtilement aux clichés d’époque sur la jeunesse débile et consumériste yankee : dans la seconde partie, les parents et leur seconde fille se sont barrés pour un barbecue chez des amis, festivité auquel Connie, particulièrement sur les nerfs, a décidé de se soustraire. La voilà donc laissée seule dans la maison isolée quand, dans le jardin, déboule au volant de son américaine décapotable tape-à-l’œil, flanqué d’un passager mutique, vaguement inquiétant avec son transistor rivé à l’oreille, ce garçon mystérieux, plus âgé que la moyenne, et qui lui tournait déjà autour –  enjôleur, doucereux, hypnotique. « Arnold Friend » – c’est son nom, calligraphié même sur la carrosserie – parvient à arracher la demoiselle –  passive  paniquée, fascinée –  à son home : aujourd’hui, on ne manquerait pas de la dire « sous emprise ». L’ami Arnold Friend l’entreprend avec beaucoup d’adresse, jusqu’à la persuader de « faire un tour » avec lui en caisse dans la cambrousse, tandis que le compère prend ses aises sur place, dans l’attente de leur retour, chose faite. Ce qui s’est passé dans les herbages restera hors champ. On peut parier qu’un tel « viol » ne souffrirait pas, en 2024, de se voir ainsi suggéré dans cette elliptique ambiguïté. Car en 2024, l’équivoque n’est plus de mise. Si la Femme est victime, il faut que l’Homme soit coupable ; il n’y a pas de prédatrice, il n’y a que des prédateurs. Adaptation talentueuse d’un texte de la prolifique Joyce Carol Oates, cette « conversation douce » murmure a contrario la dangereuse incertitude du désir.           

Smooth Talk. Film de Joyce Chopra. Avec Laura Dern et Treat Williams. Etats-Unis, couleur, 1985. Durée : 1h31.  Blu-Ray Carlotta Films (restauration 4K).

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Georges Kuzmanovic: «Bien davantage qu’un Frexit, nous voulons que l’UE disparaisse»

Le président du mouvement « République Souveraine » s’apprête à conduire une liste aux élections européennes.


Ancien secrétaire national du Parti de gauche, Georges Kuzmanovic a rompu avec Jean-Luc Mélenchon en 2018, jugeant ses positions trop laxistes en matière d’immigration et de lutte contre l’islamisme. Désormais à la tête du mouvement République Souveraine, il s’active pour présenter une liste aux européennes, sous le nom de “Nous le peuple”.


Causeur. Qui retrouvera-t-on sur votre liste ?

Georges Kuzmanovic. Outre plusieurs militants de mon parti, comme Kenza Belliard, il y aura de nombreuses personalités, engagées mais non encartées, comme  Philippe Grégoire, co-président du Samu social agricole et qui s’est fait connaître lors de la récente crise agricole, Philippe Conte, de Génération Frexit, mais qui viendra à titre personnel, ou Joachim Murat, descendant direct du maréchal napoléonien et de la sœur de Bonaparte, lui-même colonel de réserve dans la gendarmerie, ancien combattant comme moi, et spécialiste de l’industrie de défense, de l’Inde et de la lutte contre l’esclavage moderne.

Quelle est votre ligne ?

Dans l’esprit du Comité national de la Résistance, c’est une ligne de dépassement des divergences partisanes en vue du rétablissement de la souveraineté nationale dans tous les domaines, mais aussi de la souveraineté du peuple français, c’est-à-dire la restauration d’une démocratie pleine et entière. Politiquement nous nous inscrivons dans le sillage de la gauche républicaine et du gaullisme social avec pour objectif le retour d’un État fort et social, planificateur dans l’économie, soucieux d’abord des intérêts des Français et qui redonne à la France sa stature unique dans le monde.

Cela passe-t-il selon vous par une sortie de l’Union européenne ?

Nous voulons bien davantage qu’un Frexit : nous voulons que l’UE disparaisse. Comme Coralie Delaume, nous pensons que les institutions bruxelloises représentent un danger majeur et qu’il faut dès lors employer tous nos efforts à les abolir.

Pourquoi ?

Parce que l’Union européenne, en l’état, et contrairement à sa légende, constitue un frein à la paix et à la prospérité. Parce que c’est un système antidémocratique, qui affaiblit les États membres et qui retire sa souveraineté à chaque nation du continent, pas seulement à la nôtre.

Mais alors un Frexit est-il exclu ?

Non, c’est une option sur la table, parmi d’autres, mais que nous n’aurons aucun scrupule à utiliser si nécessaire. Il nous faut un “plan B”, pour reprendre l’expression que j’employais quand j’étais en charge des questions internationales auprès de Jean-Luc Mélenchon lors de sa campagne de 2017. A l’époque, le leader insoumis, qui a hélas complètement changé d’avis depuis, disait : “L’Europe, on la change ou on la quitte”. Cela résume assez bien notre position.

Revenons-en au plan A. Quelle autre Europe voulez-vous construire ?

Celle qui avait été conçue par le général de Gaulle avec le traité de l’Elysée de 1963. Une Europe des nations et des peuples, sans instance supra-étatique, mais avec des formes de coopérations bilatérales et multilatérales entre les pays et une émancipation vis-à-vis des États-Unis et de l’OTAN. Rien à voir avec l’Europe du repli nationaliste dont rêvent certains.

Mais est-il réaliste d’anéantir un système, l’euro, qui nous a permis de nous endetter de façon considérable ?

C’est justement l’euro le problème. Il nous a menés dans une situation de fragilité inouïe. Nous n’avions pas de dette quand la France était indépendante. Plus nous nous sommes intriqués dans le dispositif communautaire, plus nous nous sommes mis en situation de soumission financière.

Admettons que l’euro soit le problème. Sa suppression ne poserait-elle pas encore plus de problèmes ?

Si la France restaurait le franc, nos créanciers continueraient de nous respecter. Je refuse d’accepter l’argument des « dix plaies d’Egypte » dès lors que l’on propose de faire quoi que ce soit. Le TINA de Thatcher (There is no alternative) n’est pas ma tasse de thé.

Venons-en à la guerre russo-ukrainienne, qui constitue le principal fait nouveau depuis les dernières élections européennes. Quel regard portez-vous sur ce conflit ?

D’abord un regard français. Je déplore qu’Emmanuel Macron instrumentalise ce drame, qu’il s’en serve pour ne pas parler de sa gestion calamiteuse de l’Etat, de la crise économique, des fermetures d’entreprises et de la précarisation des travailleurs. Pire encore, j’accuse le chef de l’Etat d’utiliser l’Ukraine comme un objet sacrificiel lui permettant de faire de la propagande pour son projet d’Europe fédérale. Ce n’est pas un hasard si les dirigeants les plus européistes sont les plus va-t-en-guerre.

Voulez-vous dire qu’il s’agit d’un complot ?

Non, Macron agit à découvert. Tout le monde voit bien que lui et ses amis ne veulent pas la paix, et que le maintien du conflit leur sert de justification pour demander encore plus d’intégration et d’élargissement de l’Union au prétexte de lutter contre le Satan russe. J’en veux pour preuve qu’à l’automne 2023, ils ont voté à Strasbourg une proposition allant dans le sens d’un abandon de la règle d’unanimité qui est en vigueur au Conseil européen, ce qui revient à terme à priver les Etats-membres de leur droit de véto, donc d’un morceau de leur souveraineté. Vote entériné par une résolution à l’Assemblée nationale le 29 novembre dernier – le projet fédéral avance vite.

Vladimir Poutine ne représente-t-il aucune menace pour nous ?

On ne peut nier l’hostilité des Russes envers nous en Afrique. Mais c’est surtout la conséquence de la médiocrité de notre politique africaine. La Russie en profite. Nous nous sommes aussi placés dans une situation contraire aux intérêts nationaux français. En Russie, nos entreprises formaient le premier réseau d’employeurs étrangers – devant l’Allemagne ! Or, ces entreprises risquent d’être réquisitionnées par Moscou si nous continuons à vouloir saisir les avoirs russes gelés dans les banques centrales européennes – ce que ne feront jamais les États-Unis, ils ne risqueront jamais à ce point l’effondrement de leur monnaie. Nous risquons d’y perdre des dizaines de milliards d’euros.

Poutine n’est-il pas l’agresseur en Ukraine ?

Le 24 février 2022, oui ! Mais vous noterez que la France n’est pas l’Ukraine. Ensuite, la raison profonde de cette guerre, c’est la volonté des Atlantistes d’intégrer Kiev dans leur alliance. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, mais aussi l’ensemble des géo-politologues réalistes américains : Sachs, Mearsheimer, Kennan, Kissinger. Nous vivons l’acmé d’un affrontement ancien qui remonte à 2014, 2007, 2004 et même 1999 où l’OTAN, en bombardant illégalement la Yougoslavie il y a 25 ans, a ouvert la boîte de Pandore du non-respect du droit international.

En disant cela, vous prêtez le flanc à ceux qui vous soupçonnent d’être un agent du Kremlin…

Comme Jean Jaurès accusé en son temps d’être un agent du Kaiser car il voulait la paix plutôt que l’horrible massacre à venir. Je me comporte en véritable Européen, qui voit ce conflit comme une guerre civile européenne et veut arrêter ce suicide. On doit pouvoir trouver une solution, où l’Ukraine serait neutre et reconnue par tous comme un pont entre l’Est et l’Ouest.

Sans annexion de territoire par Moscou ?

Si la France avait appuyé le projet de cessez-le-feu négocié entre la Russie et l’Ukraine en mars-avril 2022, au lieu de soutenir les va-t’en guerre néoconservateurs anglo-saxons, nous n’en serions pas là ! Des centaines de milliers de vies auraient été sauvées et l’Ukraine aurait conservé le Donbass, la Russie conservant la Crimée. Mais les Atlantistes ont voulu vaincre la Russie, d’abord économiquement – ce qui a été un échec absolu – et puis militairement… au risque d’un désastre pour l’Ukraine et c’est ce qui se profile sur le front. Emmanuel Macron continue sur cette voie avec l’accord de coopération France-Ukraine, qui, prévoit l’entrée rapide de l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’UE, et aussi la récupération de tous les territoires, Crimée comprise. C’est folie ! Folie sur le dos des Ukrainiens qui pourraient au final perdre la moitié de leur pays, à savoir tout ce qui est à l’est du Dniepr, plus Odessa.

Venons-en à un autre sujet crucial à l’échelle européenne : l’immigration. Que pensez-vous de la loi immigration votée au parlement cet hiver, avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel ?

Tout cela est une farce. Cette loi ne sert à rien, comme les 20 lois immigration précédentes, car notre politique migratoire se décide au niveau européen : la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des Droits de l’Homme, les traités européens (Amsterdam et Lisbonne) nous empêchent d’agir comme on le souhaiterait. Raison de plus d’en finir avec cette Europe.

Pourquoi ne pas voter pour Florian Philippot, qui présente lui aussi une liste voulant en finir avec l’Europe ?

Parce que nous ne représentons pas la même ligne politique et que trop de sujets nous séparent. La souveraineté du pays n’est pas une finalité, mais un commencement.

Anatomie de la chute française

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Seul le peuple a encore les idées claires. Faudra-t-il qu’il hurle pour se faire entendre ?


La France ? Un asile de fous. Les « élites » au pouvoir ont perdu la raison. Voyez Emmanuel Macron :  il se fait photographier en boxeur musculeux ajustant ses coups, symboliquement prêt à frapper Vladimir Poutine. Mais l’armée française ne tiendrait pas une semaine face à la Russie. Les citoyens effarés se confrontent au vide quand ils font le décompte des personnalités capables de stopper le grand dérèglement mental. Le somnambulisme a atteint la politique. Les sujets sociétaux (IVG, fin de vie, viol, etc.) sont les refuges du gouvernement, pétrifié par les désastres du progressisme qu’il promeut. Le chef de l’État, enfermé dans son métavers, a réduit sa pensée à un anti-lepénisme obsessionnel. Jordan Bardella, porté par les sondages, s’en tient à un discours mécanique qui évite les improvisations. Quand un journaliste demande à Valérie Hayer, tête de liste Renaissance, si l’immigration pose un problème, elle répond : « Je… J’attends la position des acteurs économiques ». François-Xavier Bellamy, Marion Maréchal, Eric Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan conceptualisent plus aisément les causes du délitement, mais ils agissent inutilement en ordre dispersé. Quant à l’extrême gauche, elle s’est perdue dans un antisionisme dont se nourrissent les antisémites de l’islamo-gauchisme. Bref, la France est orpheline de ses « grands hommes ». Même l’Église radote sa préférence étrangère, sans réflexion sur ses ennemis importés. Seul le peuple a encore les idées claires. Faudra-t-il qu’il hurle pour se faire entendre ?

À ne pas manquer, Causeur #122: Jordan Bardella, Quoi ma gueule? Marine, Poutine, Saint-Denis… L’idole des jeunes se confie

L’effondrement de la politique montre sa platitude. La forme révélant le fond, le manque de tenue est partout observable. Le relâchement autorise même le président à lancer des : « Bonjour messieurs-dames ! », comme le quidam entrant dans un bistrot. L’affiche des Jeux Olympiques, qui réduit le pays à un Disneyland dans lequel le dôme des Invalides a perdu sa croix, reflète la déculturation qui partout s’installe. Le cheap et le mauvais goût sont des normes avalisées par l’Élysée, au nom de la modernité simpliste et diversitaire.

La police de la pensée a ainsi interdit de critiquer le choix présidentiel qui s’est porté sur la franco-malienne Aya Nakamura, symbole de la vulgarité américanisée et racoleuse, pour chanter l’ouverture des Jeux. Pour l’antiracisme, une Noire est forcément supérieure. Le jeunisme, lui, est partout applaudi. Sous son influence, l’État « humaniste » s’interroge sur le moyen d’accélérer la mort des vieux, improductifs et couteux. Au moment du vote de l’inscription de l’avortement dans la constitution par le congrès réunis à Versailles, le 4 mars, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a fait scintiller la Tour Eiffel, signifiant aux yeux du monde la victoire du crétinisme lumineux. L’abrutissement est partout.

L’anatomie de la chute française mériterait plus d’une commission d’enquête. Le sectarisme institutionnalisé, qui exclut au lieu de débattre, explique bien des abrutissements. Le chef de l’État recourt à l’anathème quand il nomme «munichois» les pacifistes qui contestent son instrumentalisation d’une «guerre existentielle»…


Lisez la suite dans le numéro d’avril de Causeur, en vente aujourd’hui dans la boutique en ligne et demain en kiosque. En une, Jordan Bardella.

L’enfer fait femme

Voilà un petit film noir mexicain qui va contrarier les amazones du woke dans leur croisade contre le mâle dominant.


À Mexico, le modeste taxidermiste Pablo Morales, éternel bon vivant, subit depuis 15 ans les avanies de son épouse, Gloria, bigote acariâtre, frigide, affectée au surplus d’une infirmité du genou qui ajoute encore à son aigreur.

Jalouse du bonheur épicurien de son mari adoré par les gosses du quartier, entouré d’amis également portés sur la bouteille, l’invalide valétudinaire et neurasthénique est sous l’emprise d’un prêtre fanatique et d’une confrérie de vieilles ouailles confites en dévotion. Gloria, réfractaire aux fumets de viande, exigeant à tout bout de champ que Pablo se désinfecte les mains à l’alcool à 90°, n’est pas seulement hystérique, elle est aussi menteuse, hypocrite, mythomane : n’hésitant pas à tenter d’empoisonner la chouette domestique, ou à faire du chantage contre sa bonne en l’accusant de vol, elle ira jusqu’à s’automutiler pour que le voisinage la croie battue par son mari.

À bout de patience, le brave homme décide de se débarrasser de ce monstre conjugal, concocte le venin fatal injecté dans les immondes décoctions lactées de sa conjointe, dont il dépèce bientôt le cadavre en bon professionnel, avant de s’amuser de ses ossements, reconstituant par jeu l’un de ces squelettes dont il fait commerce : mis en poudre, ils servent d’engrais… L’os du genou difforme étayant les soupçons, le madré Pablo sera tout de même inculpé de meurtre… Le procès, au dénouement de cette comédie noire délicieusement corrosive, est un régal.

Joyau méconnu du cinéma mexicain, Le Squelette de Madame Morales est réalisé en 1960 par Rogelio A. Gonzalez, cinéaste prolifique (plus de 70 films au compteur !), sur un scénario de l’Espagnol Luis Alcoriza, connu pour être le plus fidèle collaborateur d’un autre exilé, Luis Buñuel. C’est à Alcoriza qu’on doit, entre autres, le scénario de L’Ange exterminateur (1962), autre chef d’œuvre du génial cinéaste de L’âge d’or et d’Un chien andalou. Sept ans avant Le Squelette…, Alcoriza signait déjà le script de El (Tourments), dans lequel à l’inverse une femme également prénommée Gloria était la victime d’un propriétaire terrien jaloux jusqu’au délire paranoïaque, rôle dévolu au même séduisant comédien, Arturo de Cordova, qui incarne ici Pablo Morales. Le Squelette de Madame Morales, nous apprend le spécialiste Olivier Père dans le dossier de presse, est tiré de The Islington Mystery, une nouvelle d’Arthur Machen (1863-1967), cet écrivain britannique (dont, si je puis me permettre, je vous recommande de lire en traduction Le Grand Dieu Pan, très beau texte).

Reste que dans cette adaptation exhumée à bon escient sous les auspices de Camelia Films, on est assez loin du fantastique brumeux d’outre-Manche. Férocement anticlérical, traversé de saillies qui, en 2024, ne manqueront pas de passer pour rageusement misogynes (« – tu as une taille fine, tu as des hanches rondes comme une jument »), de part en part sardonique à souhait, envahi par l’acide partition lyrico-jazzy du compositeur Raul Lavista, cette pure merveille en noir et blanc méritait de sortir de l’ombre. Le voilà mis en lumière, au risque de subir les foudres du nouvel obscurantisme contemporain.      

Le Squelette de Madame Morales. Film de Rogelio A. Gonzalez. Avec Arturo de Cadova, Amparo Rivelles, Elda Peralta, Guillermo Orea. Mexique, noir et blanc, 1960

Turquie: Erdogan bousculé

Recep Tayyip Erdogan a subi une cruelle défaite lors des élections municipales du 31 mars. Analyse et perspectives


Une déroute que nombre d’observateurs turcs jugent déjà « historique », puisque le Parti de la Justice et du Développement (AKP) n’a terminé que deuxième au général avec 35,49 % des voix, devancé par le Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste de centre gauche) qui a de son côté obtenu un total de 37,74 % des voix.

Plus significatif encore, c’est la première fois depuis 1977 que le CHP remporte un scrutin local.

Un Erdogan longtemps tout-puissant

Surtout, le président Erdogan subit un véritable camouflet personnel dans la ville d’Istanbul qui était son objectif prioritaire. En effet, son ennemi juré Ekrem Imamoglu a su converser la plus grande ville du pays Istanbul face à son adversaire Murat Kurum, l’emportant avec une avance d’un million de voix et réalisant un score près de deux fois supérieur. Parfois présenté comme un potentiel candidat à la succession d’Erdogan, Imamoglu s’est contenté de commenter sobrement en indiquant que son triomphe était « un message clair » à l’exécutif.

Des mots que Recep Tayyip Erdogan n’a pas dû trop apprécier, alors qu’il était vent debout en 2019 contre l’élection du même Imamoglu, car il jugeait le scrutin entaché d’irrégularités et invalide. En mai de l’année passée, Erdogan était pourtant réélu avec une avance relativement considérable contre Kemal Kiliçdaroglu qui fédérait au second tour une bonne partie de l’opposition autour de l’Alliance de la nation, réunissant évidemment le CHP à une kyrielle de petits partis de gauche et libéraux. Réélu à Istanbul cette année, Imamoglu était d’ailleurs vu comme le candidat le plus crédible pour battre Erdogan et réunir les opposants en 2023. Il ne le pouvait pas en raison de sa condamnation en décembre 2022 à deux ans et demi de prison pour des « insultes » prononcées à l’encontre de responsables politiques. Une condamnation qu’il estimait être une « affaire politique ».

L’opposition était confrontée à des difficultés structurelles majeures qui l’ont empêchée de capitaliser sur les critiques formulées à l’endroit d’Erdogan sur les difficultés économiques turques et la gestion des catastrophes naturelles, dont les dramatiques séismes de février 2023 dits de Kaharamanmaras qui avaient causé la mort de près de 46 000 personnes et en avaient blessé 105 000 de plus. Tout d’abord, son meneur Kiliçdaroglu était jugé faiblement charismatique. Par ailleurs, le projet de la coalition centriste qu’il menait n’avait pu s’accorder que sur un contrat minimum de gouvernement assez léger, comprenant la fin du présidentialisme, la lutte contre l’inflation et le respect de l’Etat de droit. De fait, l’opposition reprochait à Erdogan sa dérive autoritaire entamée dès 2014 et aggravée par les suites de la tentative de Coup d’Etat ratée de 2016.

Secours dans la province de Hatay, 8 février 2023, Turquie. © CHINE NOUVELLE/SIPA

Il y aurait pourtant sûrement eu la place avec un meilleur candidat et un programme plus ambitieux face à une Alliance populaire mise à mal par des partis pas toujours tendres avec Erdogan, à commencer par le très radical Parti d’action nationale de Dehvet Bahçeli, mais aussi par le refus très peu civil d’Erdogan de rencontrer ou même d’appeler les maires des communes dirigées par le CHP touchées par les tremblements de terre. Cette élection n’était donc pas jouée d’avance pour Erdogan qui a d’ailleurs dû habilement se jouer de la Constitution turque afin de se représenter une troisième fois, ce qui a d’ailleurs provoqué une anticipation d’un mois des élections maquillée en « simple ajustement d’ordre administratif dans un calendrier chargé ».

Les griefs contre les politiques intérieures d’Erdogan étaient nombreux, à commencer par la baisse constante de la livre turque face au dollar – 30% de baisse en 2022 pas rattrapée depuis et même aggravée – qui a entraîné de l’inflation, mais aussi la question migratoire avec la présence de 3,6 millions de Syriens en Turquie accueillis au nom d’une « fraternité islamique » dérangeant une bonne part de la population turque. Aux élections municipales, s’est aussi invitée la situation israélo-palestinienne. Dans un décryptage donné à L’Opinion, le chercheur au CERI-Sciences Po Bayram Balci indiquait notamment que « l’opposition a accusé le chef de l’Etat de livrer de la poudre à Israël pour fabriquer des munitions. Cela a profondément choqué les Turcs ».

Turquie, décembre 2021 © Idil Toffolo/Shutterstock/SIPA

La naturelle érosion du pouvoir

Si Erdogan peut mettre en avant ses nombreux succès, notamment industriels avec l’inauguration récente du premier porte-aéronefs turc TCG Anadolu L 400 ou encore l’extrême médiatisation du drone armé Baykar Bayraktar TB2, il a également été contraint de fixer un salaire minimum pour les fonctionnaires et des augmentations massives de leurs traitements. Il a aussi dû emprunter une voie dangereuse, voire radicale, en jouant d’antagonismes classiques de la société turque, singulièrement contre certains adversaires de la CHP accusés d’être complices des mouvements séparatistes kurdes en raison de leurs origines, à l’image de Kiliçdaroglu, ou de ne pas être de véritables Turcs du fait de leur appartenance à des communautés islamiques hétérodoxes comme celle des Alévites. Des discours très conservateurs qui, s’ils lui ont permis de rassembler l’électorat de régions rurales et celui d’une partie de l’importante diaspora turque aux élections présidentielles au nom de la lutte pour les valeurs morales et l’unité ethno-religieuse de la Turquie aux dernières élections présidentielles, ne lui auront été d’aucun secours lors de ces municipales.

Erdogan souffre aussi naturellement d’une érosion de son pouvoir. Il exerce en réalité le pouvoir depuis plus de 20 ans. Il a été Premier ministre de 2003 à 2014 et est président de la République sans discontinuer depuis 2014… Dans un pays aussi complexe, aux déséquilibres régionaux importants, il est évidemment une figure tutélaire garante de la continuité et de l’unité politiques, mais il ne peut pas non plus faire l’économie d’une remise en question et négliger les jeunes plus progressistes des grandes villes et des côtes, ainsi que les laïques et minorités ethno-religieuses. Erdogan doit lui aussi composer, ces élections municipales le lui ayant rappelé. Bien sûr, l’absence de la diaspora, notamment allemande et française, qui sont favorables à l’AKP, lui a été préjudiciable lors de ces scrutins municipaux ; reste qu’ils témoignent d’une usure qui aurait déjà pu s’exprimer aux élections présidentielles avec une opposition plus intelligente dotée d’un véritable projet fédérateur. Autre élément ayant joué contre l’AKP : le taux de participation, à 77,66%, bas pour la Turquie. L’AKP et le Parti d’action nationaliste ont donc reculé dans dix-neuf grandes villes, singulièrement dans le nord-ouest industrialisé. La petite percée du Nouveau parti de la prospérité, formation islamo-conservatrice très virulente sur le conflit israélo-palestinien, et les pro-kurdes de DEM très présents près des frontières orientales, ont fait le reste.

La société civile turque reste vive dans un pays qui possède une vieille culture politique où s’expriment des dizaines de partis politiques différents aux idéologies parfois baroques vu d’Europe. Conforté, Ekrem Imamoglu peut devenir ce meneur progressiste que l’opposition turque attendait. Âgé de 53 ans, ce qui est très jeune dans le paysage politique turc, il a un boulevard devant lui avec la mairie d’Istanbul et des alliés dirigeant les plus grandes villes, dont Ankara et Izmir. De son côté, Erdogan a annoncé tirer la leçon du scrutin et promis de « réparer » les erreurs qu’il aurait pu commettre. Le peut-il encore ? Animal politique rusé, le président turc a quatre ans sans élections pour y parvenir. Il va devoir réconcilier un peuple qui menace encore de se diviser, tiraillé entre les affects conservateurs de son électorat et la volonté de regarder vers l’Europe de la jeunesse des grandes villes.

Une dichotomie somme toute classique qui se retrouve dans la plupart des nations modernes aujourd’hui.

Les confidences gênantes de l’ex de François Ruffin

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Le député d'extrême gauche François Ruffin, photographié en mai 2017 © ISA HARSIN/SIPA

Pour la littérature, merci patronne ! Enfin libérée d’une terrible « emprise », Johanna Silva, l’ex-compagne et ex-attachée parlementaire du député gauchiste de la Somme publie L’Amour et la révolution (Textuel, 2024). Un récit politique et sentimental navrant.


Au siècle dernier, Maurice Blanchot s’est préoccupé de l’Écriture du désastre. En ce premier quart du vingt-et-unième siècle, c’est au désastre de l’écriture que contribue Johanna Silva.

Même s’ils aiment beaucoup les idées de M. Ruffin, les journalistes de la presse de gauche se sont fait l’écho du livre de Mme Silva (Télérama, Libération, Le Monde…)

L’écriture pratiquée comme une thérapie, stade ultime de « l’écriture de soi » sera bientôt considérée comme un genre littéraire à part entière ; ce que redoutait Flaubert est arrivé : l’écrit est devenu le réceptacle privilégié de « l’écume du cœur », « un déversoir à passion », « un pot de chambre un peu plus propre qu’une simple causerie ». Avec un récit autobiographique intitulé L’Amour et la révolution, l’ancienne « compagne de route » et « bras droit » de François Ruffin apporte une solide contribution à ce tout jeune style littéraire. Dans un texte dont l’indigence n’a d’égale que la puérilité, Johanna Silva revient sur cinq années d’une emprise amoureuse et politique dont elle triomphe par le truchement de l’écriture. Armée de ses seuls mots, « l’auteure » se lance dans la reconquête de soi pour mieux affirmer son néo-féminisme ; l’aventure commence : « Le jeudi 20 janvier 2022, après plus de trois ans sans pouvoir me débarrasser du boulet de tristesse et de doutes que je traînais depuis que j’avais quitté François, j’ai décidé d’écrire. Je me rends compte maintenant, sans jugement ni regret comme j’étais encore bloquée dans l’enfance (…)  En écrivant (…) je cessais de me battre contre moi et j’ouvrais enfin les yeux. » On admet avoir été tenté de fermer les nôtres. Et puis, on a lu ces confidences. Consternantes dans la forme, elles n’en constituent pas moins un document édifiant pour comprendre une époque qui n’en finit pas de vriller.

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House of Cards en version ch’ti

Johanna Silva est diplômée de Sciences-Po Lille ; elle a 25 ans lorsqu’elle rencontre François Ruffin. À la manière d’une gamine naïve, la voilà qui s’embringue dans une relation amoureuse aussi vénéneuse que pathétique : « (…) je souffrais, mais c’était beau, c’était beau comme je l’aimais (…) Je nous imaginais Sartre et Beauvoir (…) Devant la première saison d’House of Cards, j’ai pensé à nous aussi (…) » L’amoureuse devient alors le factotum de l’homme politique : « maitresse d’ouvrage » au journal Fakir, productrice du film Merci Patron !, organisatrice de Nuit debout, attachée parlementaire, enfin. Grâces soient rendues au mouvement #MeToo qui dessille les yeux de la jeune femme sur la question de la domination : la pauvre enfant réalise la toxicité de l’atmosphère saturée de testostérone dans laquelle elle baigne jusqu’aux dents. La malheureuse en était même rendue à tolérer que « François » et ses acolytes virils la chambrent en l’appelant « la petite-bourgeoise. » Elle explique : « Cette culture de la vanne bien placée, des rires gras, des piques incessantes, ne faisait aucune place à un partage sincère d’émotions. » Elle ajoute: « Pour la première fois, je sentais la domination masculine (…) Le féminisme m’était entré dans le corps. »

Fête à neuneu: déposez votre cœur au vestiaire

Autre découverte majeure de l’ingénue : la politique exacerbe la violence intrinsèque à l’Homme. Pour survivre l’élite politique, blanche et masculine (Pourquoi d’ailleurs le préciser ?) sait dissimuler ses failles. Pourtant : « Le monstre, ce sont les partis, les syndicats, les organisations en tout genre – ou plutôt, leur bordel interne, leur défiance externe, les rapports de force entre les structures et au sein de chacun.e. Le monstre c’est ce qu’il y a de mesquin en nous et entre nous (…) » Du reste, il n’y a qu’à se souvenir de l’une des déclarations de Mélenchon : « On vient d’une école politique où l’on dépose son cœur à l’entrée. » Ce savoureux récit montre également l’installation du wokisme et de l’islamo-gauchisme dans le paysage politique et les esprits. Ainsi, après l’attentat du 7 janvier 2015, Johanna Silva déplore l’assignation à « être Charlie ». « S’installe le sentiment que désormais, on ne pourra plus jamais critiquer Charlie Hebdo et son acharnement un peu malsain contre les Musulmans, sous peine d’être accusé.e de complaisance avec les terroristes. »  « Entre la tristesse, l’effroi, l’anticléricalisme et l’anti-islamophobie, le dégoût et le malaise face à la pensée unique, comment trouver la voie ? » s’interroge-t-elle. Il y aura ensuite Nuit debout : « Nuit debout était une nébuleuse terrible, aux mille initiatives impossibles à canaliser. » Les soirées festives, enrichissantes et fructueuses s’enchaînent. « Aussitôt le cul posé par terre je perds le fil, qui n’existe d’ailleurs pas, les prises de parole se succèdent sans rapport les unes avec les autres. » Elle précise : « (…) des bâtiments de fortune ont fleuri (…) Dans un coin, la commission Potager debout arrache des pavés du sol pour semer quelques graines, pendant que les Avocats debout conseillent gratuitement des gens en galère. »  La fête à Neuneu bat son plein.

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Ruffin pas assez radical

François sera élu député en juin 2017 et Johanna Silva est toujours là, fidèle intendante. « Avec son élection les choses prirent un tour vraiment dérangeant. Dès les premières semaines, je dus m’occuper de sa déclaration d’intérêts et d’activités, ainsi que de sa déclaration de patrimoine. »  « Je finis par connaître mieux que François sa propre situation administrative. Pourquoi alors ne pas me charger de déclarer ses impôts ? » La jeune femme, dont la conscience politique et féministe s’affirme, finit par porter un regard plus critique sur « François ». Elle le juge parfois trop timoré dans ses prises de position : « Sur les violences policières par exemple. C’est comme s’il ne lui était pas rentré dans le crâne qu’elles étaient le fait d’un système et non des bavures isolées. » Elle raconte : « Dans ma vie, la question du genre prenait de plus en plus de place (…) Le groupe de musique que nous avions créé l’année précédente, les Oiseaux n’était composé que de femmes (…) Sans l’avoir prévu ni même formulé, nous expérimentions les joies du groupe de parole non mixte. »

C’est après l’organisation, en mai 2018, d’une dernière manifestation, La Fête à Macron, que la jeune femme se décide à quitter définitivement le giron de « François ». « J’avais un nouveau cheval de bataille qui m’était propre : je voulais défendre l’humanité, la vulnérabilité, la bienveillance au sein du monde politique. Je sentais bien que ce n’était pas une niaiserie, qu’il y avait quelque chose à creuser. (…) J’en étais même venue à considérer mes pleurs intempestifs comme une arme. »
On ne sait pas si la politique s’en trouvera mieux mais, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’un graphomane de plus nous est né !


« L’écrivain relève de l’ancien monde du jugement, du tri, de la discrimination, de la rareté. Le graphomane baigne dans le nouveau monde du marché, de la démocratie fatiguée, de la littérature comme art de masse et du droit à écrire. »

« Le graphomane est le gentil compagnon de route de la nouvelle civilisation. »

 Philippe Muray, Ultima Necat VI, Journal intime 1996-1997

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La légende des cycles

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La journaliste Elisabeth Lévy © Eric Fougère

L’éditorial d’avril d’Elisabeth Lévy


Alors que vous vous apprêtez à déguster votre Causeur, vous ignorez sans doute que le progrès a encore frappé. Si le calendrier parlementaire a été tenu, la France s’apprête à mettre fin à une injustice millénaire en instaurant le congé menstruel[1]. Des esprits chagrins objecteront que les femmes n’ont pas toutes envie de claironner qu’elles ont leurs règles et qu’elles pouvaient parfaitement, jusque-là, obtenir un arrêt-maladie sans en préciser la raison. C’est se méprendre sur l’objectif, qui n’est pas de remédier à une situation concrète (que la médecine prend heureusement en charge), mais de lutter contre la scandaleuse invisibilité des règles douloureuses qui prévalait jusque-là. Certes, elles n’étaient pas invisibles pour tout le monde, la plupart des hommes sachant très bien qu’il y a des jours où il vaut mieux faire profil bas. Mais le partage intime de la souffrance ne suffit pas. Il faut que celle-ci, dûment intégrée à la panoplie des malheurs féminins, bénéficie d’une reconnaissance publique et des dispositifs afférents. Comble de félicité, on pourra désormais en causer à la machine à café. Si vous en soupez à la maison, vous en reprendrez une dose au bureau.

Les deux députés écolos qui ont pondu ce texte ont évidemment brandi des statistiques prouvant que ce fléau oublié touche une femme sur deux (ce qui est certainement vrai). Seulement, une cause sans coupable à dénoncer, c’est moins rigolo. Or, on peut difficilement prétendre que les règles sont un mauvais coup du patriarcat. Puisqu’ils ne peuvent pas accuser, les deux compères s’emploient à culpabiliser. En organisant une expérience grotesque relatée avec un impayable sérieux par les médias. « “Des petits coups de poignards” : des députés testent un simulateur de règles douloureuses », annonce Le Parisien. Des élus de tous bords se sont prêtés au jeu avec enthousiasme. Sur la vidéo diffusée sur X, on voit Louis Boyard, Clément Beaune et quelques autres grimacer et pousser des petits cris aigus, en étouffant des rires d’adolescents attardés. Le tout assaisonné de commentaires de haut vol : « ça fait super mal, en fait », « très douloureux », « horrible ». Tous fayotent de façon éhontée, expliquant à quel point il est important de se mettre à la place de l’autre. Bref, si vous voulez vous payer un bon fou rire, ne ratez pas ce spectacle[2].

Curieusement les confrères, généralement si imbus de leur scepticisme, ont gobé sans discuter l’histoire du simulateur de douleur menstruelle. Pas un n’a demandé comment fonctionnait cet appareil magique. Permettra-t-il à des hommes de ressentir les affres de l’accouchement, voire ceux de la marche sur stilettos ? Des femmes comprendront-elles enfin la rage du type qui se coupe en se rasant et tache sa chemise propre au passage ? Nos deux écolos n’ont pas seulement fait faire un pas de géant à l’espèce, ils ont revisité sans le savoir l’antique mythe de Tirésias, devin aveugle qui fut alternativement homme et femme.

Sur l’origine de cette sorcellerie, les récits divergent. Pour l’un d’eux, Tirésias, née femme, se refusa à Apollon qui la changea en homme afin de lui faire comprendre ce qu’était l’implacable emprise d’Éros. La version la plus amusante est que le malheureux fut sommé de ramener la paix entre Zeus et Héra qui se chamaillaient pour savoir lequel prenait le plus de plaisir à leurs polissonneries. Répondant que c’était la femme, Tirésias déclencha la colère d’Héra, qui était très à cheval sur son statut victimaire. Et toc, elle le transforma en gonzesse, histoire de lui montrer que ce n’était pas marrant tous les jours.

Ayant été pleinement homme et pleinement femme, Tirésias est le seul humain à avoir percé le mystère insondable de l’autre sexe. Qui ne réside pas, quoi que pensent nos bons députés, dans la manière dont chacun ressent ses embarras gastriques ou ses rages de dents, mais dans ce qu’il éprouve quand il désire et quand il jouit. Aucune femme ne comprend ce qui se passe dans le cortex d’un homme troublé par une jupe qui vole ou une bretelle de soutien-gorge qui glisse, ni les efforts qu’il doit faire pour s’empêcher. Enfin, tu ne peux pas te retenir ? Ils peuvent, mais c’est dur.

Le charme particulier de la vie hétérosexuelle, c’est cette opacité irréductible : on peut vivre un amour fusionnel, dormir toutes les nuits dans le même lit et les mêmes bras, il reste dans l’autre sexe un noyau inconnaissable. Les petits comptables de l’intime peuvent surveiller le partage des tâches ménagères, ils n’arriveront pas à imposer la mutualisation des fantasmes. Le totalitarisme de la transparence n’y peut mais : l’imaginaire fait chambre à part.


[1] Un texte octroyant 13 jours d’arrêt maladie par an aux femmes souffrant de règles douloureuses devait être discuté le 4 avril à l’Assemblée nationale.

[2] On peut voir la vidéo sur le fil de Sébastien Peytavie, l’un des deux initiateurs du texte.

Yasmina Reza, bien plus qu’une femme…

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Yasmina Reza à une conférence de presse à Madrid, le 7 juin 2016 © MIGUEL CORDOBA/SIPA

Alors qu’elle publie une sélection de ses textes dans la collection Quarto de Gallimard, et en fait la promotion, l’écrivaine refuse de se soumettre aux sommations. Elle rappelle qu’elle n’appartient à aucun camp – ni à celui des « réacs », ni à celui de ceux qui aimeraient la cataloguer comme telle. «Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail» répond-elle quand Le Point lui demande ce qu’elle pense du déclin de l’Occident.


Quand on admire, on n’a pas à s’excuser de répéter. Si mon titre insiste sur le fait que Yasmina Reza est « bien plus qu’une femme », ce n’est pas pour porter atteinte à la catégorie des femmes mais pour montrer qu’il y a des personnalités qui échappent naturellement à leur genre pour susciter une adhésion sinon universelle du moins détachée de toute tonalité de sexe. Je suis d’autant plus heureux que son actualité – parution le 4 avril de On vient de loin, Œuvres choisies chez Gallimard – justifie ce billet.

Pessimisme souriant

Il y a depuis quelque temps un courant prétendument progressiste mais au fond préoccupant, qui met en évidence un communautarisme féminin faisant croire à un univers spécifique pour les femmes. Comme si, sorties de l’humanité rassembleuse, elles avaient besoin qu’on leur adresse des messages à la fois d’une totale banalité et prétendument adaptées à ce qu’elles seraient.

C’est d’abord à cause de sa géniale solitude que j’apprécie plus que tout Yasmina Reza. Qui est par ailleurs, pour ceux qui ont la chance de la connaître, un être d’une délicate et merveilleuse urbanité.
Et mon admiration va vers une finesse et une intelligence hors pair où on sent, sans qu’elle la présente de manière vulgaire et ostentatoire, une philosophie de pessimisme souriant, de tendre désabusement pour tous ces humains dans lesquels elle se place. En même temps que par la conscience de leur finitude, ils sont habités par l’énergie de vivre et jouent comme ils peuvent dans la comédie cynique, ironique, drôle, tragique et déchirante de leur existence.

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Ce n’est pas rien, dans l’entretien qu’elle a accordé à Saïd Mahrane dans Le Point[1] que d’entendre le ministre Bruno Le Maire, écrivain lui-même (et comme il a raison de ne pas jeter l’écriture au prétexte qu’il est ministre !), s’écrier que « Yasmina Reza, c’est la France » et, bien davantage, Michel Houellebecq, lassé face « à l’évocation de grands noms de la littérature contemporaine », soupirer : « Reza ? Ah oui, elle, je l’aime bien ».
Alors qu’elle affirme : « Je n’ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail », elle n’hésite pas à révéler ses inquiétudes dont la principale tient « actuellement…à l’absence de liberté. J’hésite à parler d’une perte parce que je ne sais pas si nous l’avons eue à un moment donné. Mais on rencontre de moins en moins de gens libres de penser… L’esprit communautaire – pour ne pas dire totalitaire – de la pensée règne partout. Il y a sommation d’appartenir à un camp. Ce difficile exercice de la liberté m’inquiète, oui » et elle recommande d’inculquer aux enfants avant tout « l’indépendance de pensée. Penser par soi-même ».

Inclassable

Je n’aurai pas l’indécence d’instrumentaliser Yasmina Reza pour faire servir son verbe si lucide et sa pensée si juste à la défense de certaines causes médiatiques mais je ne peux m’empêcher de ressentir une familiarité qui m’honore avec son refus de l’inféodation et son indifférence à l’égard des étiquettes de droite ou de gauche qu’on appose absurdement sur elle. Sur ce plan, elle est décisive quand elle souligne qu’on ne peut pas « assujettir l’écriture à la peur de fâcher ».

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Il y a la douceur un peu mélancolique de ces dernières pensées intimes : « La postérité ne me parle pas du tout. Ce qui me parle en revanche ce sont mes deux enfants. J’aimerais bien ne pas péricliter trop vite de leur vivant. Cela me ferait de la peine pour eux qu’ils n’entendent plus parler de mes livres quand ils auront mon âge ».
Inclassable, géniale parce qu’elle dépasse la cause des femmes et ne se laisse pas embrigader dans les débats qui ont pour dénominateur commun de répudier l’universel, rendant tous les autres entretiens promotionnels vides de sens, elle pose sur le monde, les humains, la vie, la mort, l’amitié, l’amour, le regard infiniment tendre et lucide d’une femme revenue de tout mais toujours prête à repartir.

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[1] https://www.lepoint.fr/culture/yasmina-reza-l-esprit-totalitaire-regne-partout-30-03-2024-2556373_3.php

Jean-Michel Apathie nous étonnera toujours

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Le polémiste Jean-Michel Apathie sur France 5 en 2022. DR.

Les récents tweets énervés du journaliste (vous savez, ceux qui se terminent toujours par « Étonnant, non ? ») apportent la preuve qu’un militant de gauche convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement quand on lui retire son pouvoir.


Jean-Michel Aphatie n’est pas plus idiot que la plupart de ses confrères des médias ni plus à gauche qu’eux : il est seulement moins habile, moins capable de comprendre que lorsque le fond fait à ce point défaut il faut parfois déguiser la forme pour au moins faire illusion.
La réalité est que le petit milieu médiatique est tout entier acquis à ces idées qui agitent un Aphatie complètement dépassé par les nouvelles réalités imposées par les réseaux sociaux et qui pense naïvement qu’en 2024 on peut encore assumer ces outrances comme on le pouvait au temps où les Français n’avaient aucun outil pour riposter. Les réseaux sociaux ont mis entre les mains des Français cet outil qui leur manquait, et maintenant les gens comme Aphatie ne peuvent plus divaguer sans qu’on leur fasse remarquer que le spectacle pathétique auquel ils se livrent est humiliant pour eux et salissant pour nous.

Éternel donneur de leçons

Ils ne le peuvent plus, ou beaucoup moins, alors ils s’abstiennent de trop divaguer, ou beaucoup moins, ou beaucoup plus subtilement. Sauf Aphatie qui se rêve encore dans la peau du donneur de leçons qu’il a toujours été derrière sa carte de presse et qui continue d’agir comme un bourrin, comme une brute scandalisée de découvrir que les Français, dès lors qu’ils s’affranchissent de sa tutelle, rejettent ses idées et adoptent celles qu’il déteste.
Les nombreuses divagations quasi séniles d’Aphatie sur X (ex-Twitter), ses trépignements d’ancien enfant gâté à qui on a retiré son jouet, cette bile qui déborde de chacun de ses tweets ne sont pas la démonstration qu’un homme en vieillissant devient gâteux : ils sont la preuve qu’un gauchiste convaincu de sa supériorité morale devient ingérable émotionnellement lorsqu’il se trouve privé de pouvoir régner sans partage sur les consciences.

Après moi, le déluge

En somme, voyant venu la fin de son règne, Aphatie brûle ses vaisseaux et se perd en déclarations chaque fois plus brutales, plus caricaturales, plus imbéciles, plus médiocrement provocatrices, en se disant probablement qu’il n’a plus rien à perdre et qu’il n’a plus besoin de faire semblant d’être journaliste maintenant qu’il est évident pour tous qu’il ne l’a jamais vraiment été.

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Je vous l’assure : Jean-Michel Aphatie est notre meilleur allié involontaire. Grâce à lui nous n’avons plus besoin de mettre en garde contre les dérives brutales et haineuses de la gauche : Aphatie en livre lui-même le spectacle. Nous n’avons plus besoin de convaincre qu’il y a en France des gens qui ne rêvent que de la salir : les mictions verbales d’Aphatie multiplient les démonstrations. Nous n’avons plus besoin d’alerter contre la déconnexion entre les petits milieux parisiens et le pays réel : il suffit de regarder Aphatie s’agiter contre tout ce qui compose la réalité anthropologique, culturelle et populaire de notre pays. Tout le programme de la gauche est là qui nous regarde avec les yeux ahuris de Jean-Michel Aphatie.

Merci Seigneur !

Remercions le Ciel de nous avoir donné un adversaire qu’il n’est même pas nécessaire de combattre et qui travaille de lui-même à nous donner raison. Il est tellement balourd qu’il a réalisé l’exploit d’être lui-même le remède involontaire contre son propre venin !
Et plaisons-nous à imaginer à quel point Aphatie doit mettre mal à l’aise son petit milieu, ses petits confrères-complices qui eux, soucieux par malice de rester des versions plus discrètes de ce qu’est ostentatoirement Aphatie, doivent intérieurement lui reprocher d’aider aussi frontalement à rendre visible ce qu’ils essaient de cacher sur eux-mêmes. D’ailleurs, voyez-vous beaucoup de journalistes prendre la défense d’Aphatie lorsqu’il se fourre dans ses polémiques ridicules ? Vous savez tout.
Jean-Michel Aphatie n’est pas du tout une excroissance honteuse de la gauche dont il trahirait le message par ses excès. Il est la gauche, exactement la gauche, c’est-à-dire par définition la véritable intolérance, la tentation totalitaire, l’irritabilité face à la contradiction, la passion monomaniaque et évidemment la haine profonde, viscérale, contre la France et contre les Français. Et c’est cela la gauche, y compris lorsqu’elle ne l’assume pas aussi directement que lui. Il n’est pas une excroissance, il est la face émergée de l’iceberg. Ce monsieur rend des services gigantesques à ceux qui précisément veulent combattre l’entre-soi, le petit milieu et la gauche en général.

Plastique bashing: la fausse transition écologique

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Entretien avec Joseph Tayefeh de Plastalliance, organisation professionnelle qui représente l’industrie de la plasturgie en France


En Europe, nos sociétés et nos économies subissent une pression constante pour réaliser la transition écologique. Conduisons-nous toujours cette transition de la manière la plus intelligente ? Trop souvent, nous imposons des contraintes à nos propres industries en délocalisant les effets nocifs vers des pays moins regardants sur la pollution et la destruction de l’environnement. Trop souvent, nos propres entreprises se trouvent désavantagées par ces contraintes sur le plan de la productivité et de la compétitivité face à des rivaux sur d’autres continents. Et trop souvent, nous abandonnons aux autres des pans de secteurs vitaux – comme l’agriculture ou les fournitures médicales – sur lesquels nous devrions conserver un degré important de contrôle.

Non seulement l’Union européenne a tendance parfois à pécher de cette manière par rapport aux pays non-adhérents, mais la France aussi par rapport aux autres États-membres. Un domaine où on voit fréquemment de tels travers est celui du plastique. C’est pour cela que Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance, une organisation professionnelle qui, depuis 2005, représente les entreprises de la plasturgie, des composites et des filières connexes, milite pour réhabiliter l’image de l’ensemble de ces industries et pour promouvoir une transition écologique intelligente. A cette fin, il a publié en octobre 2023 Plastique bashing. L’intox ? (Le cherche midi) qui prend la défense de la filière française et cherche à dissiper les malentendus et les erreurs qui mettent en péril son avenir. Cet ouvrage va jusqu’à évoquer « la destruction souhaitée et organisée de l’industrie plastique au sens large » et soutient que, depuis 2018, cette dernière subit « un bashing médiatique exceptionnel » au nom d’une cause écologique trop souvent transformée en dogme intransigeant.

Avant d’interroger son auteur sur des développements en cours aptes à susciter l’inquiétude des Français, rappelons quelques-uns des points-clés de ce livre :

  • Le plastique est omniprésent et très difficile à remplacer. Sans plastique, la vie telle que les 8 milliards d’habitants de la Terre la vivent serait impossible. Il joue un rôle essentiel dans des dispositifs – tels que les panneaux photovoltaïques – sur lesquels on compte pour réduire le réchauffement climatique.
  • Le plastique a permis de remplacer des produits d’origine animale, comme l’écaille ; il coûte moins cher à fabriquer que l’équivalent en bois, carton ou métal ; et sa production crée moins de gaz à effet de serre que la sidérurgie, ainsi que d’autres filières productrices de matières susceptibles de le remplacer.
  • Un tiers de la nourriture produite dans le monde est perdu ou gaspillé. Les emballages en plastique permettent de préserver et de prolonger la vie des aliments. Comme les déchets alimentaires créent entre 8% et 10% des gaz à effets de serre, l’interdiction simple des emballages en plastique aurait des conséquences très graves.
  • L’UE et l’ONU restent conscientes des difficultés qu’il y a à réduire la pollution de l’environnement par les déchets plastiques et cherchent des moyens efficaces et réalistes pour avancer, la France semble plutôt choisir « la voie facile de la prohibition aveugle et inefficace » des produits plastiques.
  • La plasturgie française était le numéro deux en Europe il y a une vingtaine d’années ; depuis, elle a dégringolé. Mettre des boulets à la filière française – qui d’ailleurs ne permettront pas de résoudre les problèmes environnementaux revient à saboter l’industrie nationale au profit des intérêts étrangers.

En ce qui concerne le plastique, la clé d’une utilisation durable réside dans le recyclage. A cet égard, la France est la mauvaise élève de l’UE. En 2020, seuls 21,4% des déchets plastiques ont été recyclés, la France arrivant à l’avant-dernière place des 27 de l’Europe. Pourtant, la même année, la promulgation par la France de la Loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) a fixé des objectifs irréalistes, dont le recyclage de 100% des déchets plastiques avant le 1er janvier 2025. Les meilleurs élèves n’arrivant qu’à un peu plus de 50%, le but est impossible. On ne devient par le meilleur élève par pure imprécation. Selon le gouvernement français, il faut aussi mettre fin aux bouteilles plastiques à usage unique d’ici 2040. Dans ce cas comme dans l’autre, les objectifs sont non-contraignants – voire fantaisistes – mais leur énonciation détruit l’image du plastique sans proposer une solution intelligente afin de continuer à en profiter. D’ailleurs, la France perd son temps à proposer des objectifs qui sont contraires à la loi européenne. Si elle persiste sur cette voie, l’industrie et les consommateurs français seront les seuls perdants.

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Causeur. Quel est l’enjeu actuel pour la plasturgie française ?

Joseph Tayefeh. DR.

Joseph Tayefeh. Mon livre tire la sonnette d’alarme, non pas sur la disparition du plastique dont les prévisions de croissance sont x2 à x3 minimum d’ici 20 ans au niveau mondial, mais sur une volonté plus ou moins affichée de faire disparaître l’industrie plastique française. Si la France n’a pas une autonomie stratégique en termes de fabrication de produits en plastique, c’est une dépendance grave vis-à-vis de l’étranger dans tous les secteurs d’activités qui s’annonce. La pénurie des masques ou des blouses, qui sont en plastique, à l’hôpital, lors de l’épisode Covid-19 n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait nous attendre sur une échelle bien plus massive tant le plastique est présent quasiment partout et pour de très bonnes raisons. C’est notre souveraineté qui est en jeu.

Les opposants au plastique ne nient pas l’importance de son rôle dans notre vie mais ils ne proposent aucune alternative viable techniquement et économiquement. Les adeptes de la décroissance n’ont pas conscience ou préfèrent peut-être ne pas voir les conséquences plus ou moins inattendues de l’application de leur idéologie.

A l’heure où nous parlons, quelle est la menace la plus sérieuse qui pèse sur la filière plastique en France ?

Il s’agit de celle pesant sur les emballages plastiques à usage unique pour les fruits et légumes. Alors qu’aucun texte européen ne l’exigeait, la France s’est mise en tête dès 2020 avec la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire dite loi « AGEC », d’interdire les emballages plastiques pour la plupart des fruits et légumes. La surtransposition idéologique dans toute sa splendeur ! Si je veux bien admettre qu’une noix de coco ou un ananas peut être très bien vendu sans emballage, je peux vous assurer que pour certaines catégories de fruits et légumes, c’est une autre histoire. Pour les pêches et abricots, j’ai eu des retours de la filière française qui m’ont indiqué que le passage du plastique au carton allait occasionner un coût estimé à près de 30 cts /UVC (Unité de Vente Consommateur). Avec 40 millions d’UVC, l’impact est estimé à 12 000 000 € par an rien que pour cette filière. Par ailleurs, un essai mené par ce même secteur des pêches et abricots en janvier 2024 a conclu que le passage au carton entraînerait une humidité abondante dans la barquette avec un risque d’augmentation de la pourriture des fruits. On est au cœur du gaspillage alimentaire ici. J’ai pu avoir un retour similaire d’un des grands producteurs français de haricots pour qui le passage du plastique au papier nécessite un investissement de 220 000 € pour les lignes d’emballages, sur un budget annuel d’investissement de 250 000€ et un surcoût  de 12.5 ct/UVC. L’augmentation directe pour le consommateur est de l’ordre de 23.25 ct HT et avec à la clef la perte des propriétés tant appréciées du plastique telles que la transparence et le maintien d’une durée de conservation ad hoc. Le 4 avril 2024, une audience est prévue au Conseil d’État afin de demander la suspension du décret français du 20 juin 2023 qui met en musique l’interdiction prévue par la Loi. La Commission européenne elle-même dans un courrier en date du 6 décembre 2023 adressé aux autorités françaises, avait demandé à la France de procéder à « une abrogation totale du texte en question, soit une notification d’un nouveau projet destiné à le remplacer ». Lors de l’audience devant le Conseil d’État, je serai accompagné d’un producteur qui pourra expliquer directement à la juridiction à quel point le « plastique bashing » est littéralement la fin des haricots !

On doit pourtant lutter contre la pollution plastique…

Il faut lutter contre la pollution générée par les déchets plastiques mal ou pas gérés, pas contre le produit en lui-même. Si un camion de farine se renverse sur la route avec des sacs éventrés, ce n’est pas le boulanger que l’on va accuser. La pollution par les déchets plastiques est due principalement à la mauvaise gestion des déchets par des pays qui n’ont aucun moyen de les capter (81% de la pollution plastique dans les océans provient de l’Asie, à comparer avec l’Europe qui en est responsable à hauteur de 0,6%). Il y a également la problématique des granulés de plastiques industriels, qu’on appelle aussi « larmes de sirène », qui se retrouvent sur les plages parfois françaises à la suite de la perte de containers en mer. C’est un problème de transport maritime, pas de fabricants situés sur le territoire national. Enfin, l’incivilité est certes un souci réel mais un souci occidental qui doit être plus durement sanctionné. Ramené à l’échelle mondiale, cela représente dans les faits qu’une très faible part de cette pollution même si elle reste spectaculaire quand les journaux télévisés montrent telle décharge sauvage ou telle forêt française jonchée de détritus (plastiques ou pas, d’ailleurs) à la suite du passage de randonneurs peu scrupuleux.

La France semble vouloir faire cavalier seul en Europe en prétendant aller plus loin que les autres États-membres…

Le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est présenté sur CNews comme le « ministre de la planète », rien que ça. Mais au vu des résultats calamiteux de la France en matière de recyclage des plastiques, on peut se demander si l’économie circulaire à la française n’est pas devenue une autre manière de tourner en rond. La France est dans les derniers de la classe au niveau européen en matière de recyclage des emballages plastiques avec un taux de près de 23,1% quand la Belgique ou les Pays-Bas approchent des 60%. Alors que des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, le Danemark ou la Suède ont réduit l’enfouissement des déchets d’emballage plastiques à quasiment 0, la France continue d’enfouir près de 21% de ces déchets et à en incinérer près de 56%. Alors que la majorité des pays européens (y compris les trois pays baltes) ont mis en place la consigne pour collecter et recycler les bouteilles plastiques, la France s’obstine à repousser cette méthode vertueuse et qui a fait ses preuves. Heureusement, l’Europe veille et c’est peut-être contre-intuitif, mais la souveraineté de l’industrie plastique française sera sauvée au niveau européen et pas au niveau français.

Ne faudrait-il faire plus confiance à l’Europe qu’au gouvernement français ?

Un texte majeur a été approuvé le 15 mars 2024. C’est le projet de règlement européen sur les emballages et les déchets d’emballages. Comme tout texte, il n’est pas parfait mais il a le mérite d’enterrer certains objectifs français qui vont devenir incompatibles avec les règles communes. Ni la fin généralisée des emballages plastiques à usage unique en 2040, ni la réduction de moitié des bouteilles plastiques mises sur le marché d’ici 2030 comme l’espérait la France dans AGEC, ne figurent dans le texte, qui a été, et c’est très ironique, approuvé par la France, lors de la réunion des 27 ambassadeurs européens le 15 mars.

L’Europe prévoit certaines interdictions sur des produits bien ciblés mais avec souvent des exemptions qui ne seront pas, in fine, négligeables. L’Europe prévoit également la mise en place de la consigne pour les bouteilles en plastiques d’ici 2029 sauf si l’Etat membre concerné atteint un taux de 80% de collecte pour recyclage desdites bouteilles en 2026, c’est-à-dire demain. On tourne depuis des années en France à 60% et je ne vois pas comment un bond de 20 points sera effectué d’ici 2026. La consigne deviendra inéluctable. La vraie bataille va être celle du gisement de plastique recyclé, car des objectifs d’incorporation de matière secondaire sont établis par le texte avec l’interdiction de mise sur le marché comme sanction si le quota de recyclé incorporé ne suit pas. Il est plus qu’urgent qu’un sursaut national se fasse en la matière et que l’on passe d’une politique de réduction du plastique tout court à une politique de réduction de l’utilisation de plastique vierge et donc de soutien à l’émergence d’une filière de collecte et de recyclage solide et pérenne en France.

Prédatrices versus prédateurs

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Treat Williams et Laura Dern © Carlotta Films

Redécouvrir Smooth Talk de Joyce Chopra, avec Laura Dern, en DVD. Une autre époque.


Fuyant le carcan familial (classe moyenne de la Caroline du Nord, ethniquement blanche à 100%), un trio de pétasses teenage décérébrées, en tenues légères, ongles (des pieds) peints, brushing, le tout orchestré pour l’entreprise de séduction, se mettent en chasse dans le mall avoisinant, mises en joie à l’idée d’y allumer franco les mâles pubères qui y traînent en meute après les heures de lycée.

Laura Dern délurée puis…

La plus ardente et délurée de la petite bande : Connie, 15 ans, en proie à d’incoercibles poussées libidinales qu’accusent, et sa frustration d’adolescente point encore déflorée, et les rapports tendus qu’elle entretient avec sa génitrice, femme au foyer bien intentionnée mais oppressante, et décidément mieux en phase avec la sœur cadette de Connie, plus soumise à la routine domestique.   

© Carlotta

Dans le rôle rebelle de Connie, la fraîche et future star Laura Dern (née en 1967, la comédienne n’a pas 18 ans au moment du tournage), immortalisée par la suite, comme l’on sait, par David Lynch grâce à Blue Velvet, Sailor et Lula, Inland Empire, Twin Peaks… En attendant, Smooth Talk mérite d’autant plus de se voir exhumé aujourd’hui par les soins de Carlotta Films, que cette « comédie dramatique », comme on dit, dresse une image de la féminité aux antipodes de la sanctification victimaire opérée de nos jours par les Torquemada du woke à l’endroit de la gente masculine. De fait, au moins dans la première partie du film, ce sont bel et bien les filles qui, à deux doigts du «  passage à l’acte », « agressent » sexuellement les petits puceaux. Lesquels, en retour, partent battus d’avance dans leur drague maladroite ou lourdingue.

… sous « emprise »

Aujourd’hui âgée de 87 ans, la réalisatrice Joyce Chopra n’a jamais que deux longs métrages au compteur. Après l’échec commercial du second The Lemon Sisters, elle enchaînera les téléfilms et les séries américaines pur jus. Millésimé 1985, ce film inaugural échappe assez subtilement aux clichés d’époque sur la jeunesse débile et consumériste yankee : dans la seconde partie, les parents et leur seconde fille se sont barrés pour un barbecue chez des amis, festivité auquel Connie, particulièrement sur les nerfs, a décidé de se soustraire. La voilà donc laissée seule dans la maison isolée quand, dans le jardin, déboule au volant de son américaine décapotable tape-à-l’œil, flanqué d’un passager mutique, vaguement inquiétant avec son transistor rivé à l’oreille, ce garçon mystérieux, plus âgé que la moyenne, et qui lui tournait déjà autour –  enjôleur, doucereux, hypnotique. « Arnold Friend » – c’est son nom, calligraphié même sur la carrosserie – parvient à arracher la demoiselle –  passive  paniquée, fascinée –  à son home : aujourd’hui, on ne manquerait pas de la dire « sous emprise ». L’ami Arnold Friend l’entreprend avec beaucoup d’adresse, jusqu’à la persuader de « faire un tour » avec lui en caisse dans la cambrousse, tandis que le compère prend ses aises sur place, dans l’attente de leur retour, chose faite. Ce qui s’est passé dans les herbages restera hors champ. On peut parier qu’un tel « viol » ne souffrirait pas, en 2024, de se voir ainsi suggéré dans cette elliptique ambiguïté. Car en 2024, l’équivoque n’est plus de mise. Si la Femme est victime, il faut que l’Homme soit coupable ; il n’y a pas de prédatrice, il n’y a que des prédateurs. Adaptation talentueuse d’un texte de la prolifique Joyce Carol Oates, cette « conversation douce » murmure a contrario la dangereuse incertitude du désir.           

Smooth Talk. Film de Joyce Chopra. Avec Laura Dern et Treat Williams. Etats-Unis, couleur, 1985. Durée : 1h31.  Blu-Ray Carlotta Films (restauration 4K).

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Georges Kuzmanovic: «Bien davantage qu’un Frexit, nous voulons que l’UE disparaisse»

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Georges Kuzmanovic © Hannah Assouline

Le président du mouvement « République Souveraine » s’apprête à conduire une liste aux élections européennes.


Ancien secrétaire national du Parti de gauche, Georges Kuzmanovic a rompu avec Jean-Luc Mélenchon en 2018, jugeant ses positions trop laxistes en matière d’immigration et de lutte contre l’islamisme. Désormais à la tête du mouvement République Souveraine, il s’active pour présenter une liste aux européennes, sous le nom de “Nous le peuple”.


Causeur. Qui retrouvera-t-on sur votre liste ?

Georges Kuzmanovic. Outre plusieurs militants de mon parti, comme Kenza Belliard, il y aura de nombreuses personalités, engagées mais non encartées, comme  Philippe Grégoire, co-président du Samu social agricole et qui s’est fait connaître lors de la récente crise agricole, Philippe Conte, de Génération Frexit, mais qui viendra à titre personnel, ou Joachim Murat, descendant direct du maréchal napoléonien et de la sœur de Bonaparte, lui-même colonel de réserve dans la gendarmerie, ancien combattant comme moi, et spécialiste de l’industrie de défense, de l’Inde et de la lutte contre l’esclavage moderne.

Quelle est votre ligne ?

Dans l’esprit du Comité national de la Résistance, c’est une ligne de dépassement des divergences partisanes en vue du rétablissement de la souveraineté nationale dans tous les domaines, mais aussi de la souveraineté du peuple français, c’est-à-dire la restauration d’une démocratie pleine et entière. Politiquement nous nous inscrivons dans le sillage de la gauche républicaine et du gaullisme social avec pour objectif le retour d’un État fort et social, planificateur dans l’économie, soucieux d’abord des intérêts des Français et qui redonne à la France sa stature unique dans le monde.

Cela passe-t-il selon vous par une sortie de l’Union européenne ?

Nous voulons bien davantage qu’un Frexit : nous voulons que l’UE disparaisse. Comme Coralie Delaume, nous pensons que les institutions bruxelloises représentent un danger majeur et qu’il faut dès lors employer tous nos efforts à les abolir.

Pourquoi ?

Parce que l’Union européenne, en l’état, et contrairement à sa légende, constitue un frein à la paix et à la prospérité. Parce que c’est un système antidémocratique, qui affaiblit les États membres et qui retire sa souveraineté à chaque nation du continent, pas seulement à la nôtre.

Mais alors un Frexit est-il exclu ?

Non, c’est une option sur la table, parmi d’autres, mais que nous n’aurons aucun scrupule à utiliser si nécessaire. Il nous faut un “plan B”, pour reprendre l’expression que j’employais quand j’étais en charge des questions internationales auprès de Jean-Luc Mélenchon lors de sa campagne de 2017. A l’époque, le leader insoumis, qui a hélas complètement changé d’avis depuis, disait : “L’Europe, on la change ou on la quitte”. Cela résume assez bien notre position.

Revenons-en au plan A. Quelle autre Europe voulez-vous construire ?

Celle qui avait été conçue par le général de Gaulle avec le traité de l’Elysée de 1963. Une Europe des nations et des peuples, sans instance supra-étatique, mais avec des formes de coopérations bilatérales et multilatérales entre les pays et une émancipation vis-à-vis des États-Unis et de l’OTAN. Rien à voir avec l’Europe du repli nationaliste dont rêvent certains.

Mais est-il réaliste d’anéantir un système, l’euro, qui nous a permis de nous endetter de façon considérable ?

C’est justement l’euro le problème. Il nous a menés dans une situation de fragilité inouïe. Nous n’avions pas de dette quand la France était indépendante. Plus nous nous sommes intriqués dans le dispositif communautaire, plus nous nous sommes mis en situation de soumission financière.

Admettons que l’euro soit le problème. Sa suppression ne poserait-elle pas encore plus de problèmes ?

Si la France restaurait le franc, nos créanciers continueraient de nous respecter. Je refuse d’accepter l’argument des « dix plaies d’Egypte » dès lors que l’on propose de faire quoi que ce soit. Le TINA de Thatcher (There is no alternative) n’est pas ma tasse de thé.

Venons-en à la guerre russo-ukrainienne, qui constitue le principal fait nouveau depuis les dernières élections européennes. Quel regard portez-vous sur ce conflit ?

D’abord un regard français. Je déplore qu’Emmanuel Macron instrumentalise ce drame, qu’il s’en serve pour ne pas parler de sa gestion calamiteuse de l’Etat, de la crise économique, des fermetures d’entreprises et de la précarisation des travailleurs. Pire encore, j’accuse le chef de l’Etat d’utiliser l’Ukraine comme un objet sacrificiel lui permettant de faire de la propagande pour son projet d’Europe fédérale. Ce n’est pas un hasard si les dirigeants les plus européistes sont les plus va-t-en-guerre.

Voulez-vous dire qu’il s’agit d’un complot ?

Non, Macron agit à découvert. Tout le monde voit bien que lui et ses amis ne veulent pas la paix, et que le maintien du conflit leur sert de justification pour demander encore plus d’intégration et d’élargissement de l’Union au prétexte de lutter contre le Satan russe. J’en veux pour preuve qu’à l’automne 2023, ils ont voté à Strasbourg une proposition allant dans le sens d’un abandon de la règle d’unanimité qui est en vigueur au Conseil européen, ce qui revient à terme à priver les Etats-membres de leur droit de véto, donc d’un morceau de leur souveraineté. Vote entériné par une résolution à l’Assemblée nationale le 29 novembre dernier – le projet fédéral avance vite.

Vladimir Poutine ne représente-t-il aucune menace pour nous ?

On ne peut nier l’hostilité des Russes envers nous en Afrique. Mais c’est surtout la conséquence de la médiocrité de notre politique africaine. La Russie en profite. Nous nous sommes aussi placés dans une situation contraire aux intérêts nationaux français. En Russie, nos entreprises formaient le premier réseau d’employeurs étrangers – devant l’Allemagne ! Or, ces entreprises risquent d’être réquisitionnées par Moscou si nous continuons à vouloir saisir les avoirs russes gelés dans les banques centrales européennes – ce que ne feront jamais les États-Unis, ils ne risqueront jamais à ce point l’effondrement de leur monnaie. Nous risquons d’y perdre des dizaines de milliards d’euros.

Poutine n’est-il pas l’agresseur en Ukraine ?

Le 24 février 2022, oui ! Mais vous noterez que la France n’est pas l’Ukraine. Ensuite, la raison profonde de cette guerre, c’est la volonté des Atlantistes d’intégrer Kiev dans leur alliance. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, mais aussi l’ensemble des géo-politologues réalistes américains : Sachs, Mearsheimer, Kennan, Kissinger. Nous vivons l’acmé d’un affrontement ancien qui remonte à 2014, 2007, 2004 et même 1999 où l’OTAN, en bombardant illégalement la Yougoslavie il y a 25 ans, a ouvert la boîte de Pandore du non-respect du droit international.

En disant cela, vous prêtez le flanc à ceux qui vous soupçonnent d’être un agent du Kremlin…

Comme Jean Jaurès accusé en son temps d’être un agent du Kaiser car il voulait la paix plutôt que l’horrible massacre à venir. Je me comporte en véritable Européen, qui voit ce conflit comme une guerre civile européenne et veut arrêter ce suicide. On doit pouvoir trouver une solution, où l’Ukraine serait neutre et reconnue par tous comme un pont entre l’Est et l’Ouest.

Sans annexion de territoire par Moscou ?

Si la France avait appuyé le projet de cessez-le-feu négocié entre la Russie et l’Ukraine en mars-avril 2022, au lieu de soutenir les va-t’en guerre néoconservateurs anglo-saxons, nous n’en serions pas là ! Des centaines de milliers de vies auraient été sauvées et l’Ukraine aurait conservé le Donbass, la Russie conservant la Crimée. Mais les Atlantistes ont voulu vaincre la Russie, d’abord économiquement – ce qui a été un échec absolu – et puis militairement… au risque d’un désastre pour l’Ukraine et c’est ce qui se profile sur le front. Emmanuel Macron continue sur cette voie avec l’accord de coopération France-Ukraine, qui, prévoit l’entrée rapide de l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’UE, et aussi la récupération de tous les territoires, Crimée comprise. C’est folie ! Folie sur le dos des Ukrainiens qui pourraient au final perdre la moitié de leur pays, à savoir tout ce qui est à l’est du Dniepr, plus Odessa.

Venons-en à un autre sujet crucial à l’échelle européenne : l’immigration. Que pensez-vous de la loi immigration votée au parlement cet hiver, avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel ?

Tout cela est une farce. Cette loi ne sert à rien, comme les 20 lois immigration précédentes, car notre politique migratoire se décide au niveau européen : la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des Droits de l’Homme, les traités européens (Amsterdam et Lisbonne) nous empêchent d’agir comme on le souhaiterait. Raison de plus d’en finir avec cette Europe.

Pourquoi ne pas voter pour Florian Philippot, qui présente lui aussi une liste voulant en finir avec l’Europe ?

Parce que nous ne représentons pas la même ligne politique et que trop de sujets nous séparent. La souveraineté du pays n’est pas une finalité, mais un commencement.

Anatomie de la chute française

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Versailles, 4 mars 2024 © Eliot Blondet/POOL/SIPA

Seul le peuple a encore les idées claires. Faudra-t-il qu’il hurle pour se faire entendre ?


La France ? Un asile de fous. Les « élites » au pouvoir ont perdu la raison. Voyez Emmanuel Macron :  il se fait photographier en boxeur musculeux ajustant ses coups, symboliquement prêt à frapper Vladimir Poutine. Mais l’armée française ne tiendrait pas une semaine face à la Russie. Les citoyens effarés se confrontent au vide quand ils font le décompte des personnalités capables de stopper le grand dérèglement mental. Le somnambulisme a atteint la politique. Les sujets sociétaux (IVG, fin de vie, viol, etc.) sont les refuges du gouvernement, pétrifié par les désastres du progressisme qu’il promeut. Le chef de l’État, enfermé dans son métavers, a réduit sa pensée à un anti-lepénisme obsessionnel. Jordan Bardella, porté par les sondages, s’en tient à un discours mécanique qui évite les improvisations. Quand un journaliste demande à Valérie Hayer, tête de liste Renaissance, si l’immigration pose un problème, elle répond : « Je… J’attends la position des acteurs économiques ». François-Xavier Bellamy, Marion Maréchal, Eric Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan conceptualisent plus aisément les causes du délitement, mais ils agissent inutilement en ordre dispersé. Quant à l’extrême gauche, elle s’est perdue dans un antisionisme dont se nourrissent les antisémites de l’islamo-gauchisme. Bref, la France est orpheline de ses « grands hommes ». Même l’Église radote sa préférence étrangère, sans réflexion sur ses ennemis importés. Seul le peuple a encore les idées claires. Faudra-t-il qu’il hurle pour se faire entendre ?

À ne pas manquer, Causeur #122: Jordan Bardella, Quoi ma gueule? Marine, Poutine, Saint-Denis… L’idole des jeunes se confie

L’effondrement de la politique montre sa platitude. La forme révélant le fond, le manque de tenue est partout observable. Le relâchement autorise même le président à lancer des : « Bonjour messieurs-dames ! », comme le quidam entrant dans un bistrot. L’affiche des Jeux Olympiques, qui réduit le pays à un Disneyland dans lequel le dôme des Invalides a perdu sa croix, reflète la déculturation qui partout s’installe. Le cheap et le mauvais goût sont des normes avalisées par l’Élysée, au nom de la modernité simpliste et diversitaire.

La police de la pensée a ainsi interdit de critiquer le choix présidentiel qui s’est porté sur la franco-malienne Aya Nakamura, symbole de la vulgarité américanisée et racoleuse, pour chanter l’ouverture des Jeux. Pour l’antiracisme, une Noire est forcément supérieure. Le jeunisme, lui, est partout applaudi. Sous son influence, l’État « humaniste » s’interroge sur le moyen d’accélérer la mort des vieux, improductifs et couteux. Au moment du vote de l’inscription de l’avortement dans la constitution par le congrès réunis à Versailles, le 4 mars, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a fait scintiller la Tour Eiffel, signifiant aux yeux du monde la victoire du crétinisme lumineux. L’abrutissement est partout.

L’anatomie de la chute française mériterait plus d’une commission d’enquête. Le sectarisme institutionnalisé, qui exclut au lieu de débattre, explique bien des abrutissements. Le chef de l’État recourt à l’anathème quand il nomme «munichois» les pacifistes qui contestent son instrumentalisation d’une «guerre existentielle»…


Lisez la suite dans le numéro d’avril de Causeur, en vente aujourd’hui dans la boutique en ligne et demain en kiosque. En une, Jordan Bardella.

L’enfer fait femme

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Arturo de Córdova "Le squelette de Mme Morales" (1960) © Camélia Films

Voilà un petit film noir mexicain qui va contrarier les amazones du woke dans leur croisade contre le mâle dominant.


À Mexico, le modeste taxidermiste Pablo Morales, éternel bon vivant, subit depuis 15 ans les avanies de son épouse, Gloria, bigote acariâtre, frigide, affectée au surplus d’une infirmité du genou qui ajoute encore à son aigreur.

Jalouse du bonheur épicurien de son mari adoré par les gosses du quartier, entouré d’amis également portés sur la bouteille, l’invalide valétudinaire et neurasthénique est sous l’emprise d’un prêtre fanatique et d’une confrérie de vieilles ouailles confites en dévotion. Gloria, réfractaire aux fumets de viande, exigeant à tout bout de champ que Pablo se désinfecte les mains à l’alcool à 90°, n’est pas seulement hystérique, elle est aussi menteuse, hypocrite, mythomane : n’hésitant pas à tenter d’empoisonner la chouette domestique, ou à faire du chantage contre sa bonne en l’accusant de vol, elle ira jusqu’à s’automutiler pour que le voisinage la croie battue par son mari.

À bout de patience, le brave homme décide de se débarrasser de ce monstre conjugal, concocte le venin fatal injecté dans les immondes décoctions lactées de sa conjointe, dont il dépèce bientôt le cadavre en bon professionnel, avant de s’amuser de ses ossements, reconstituant par jeu l’un de ces squelettes dont il fait commerce : mis en poudre, ils servent d’engrais… L’os du genou difforme étayant les soupçons, le madré Pablo sera tout de même inculpé de meurtre… Le procès, au dénouement de cette comédie noire délicieusement corrosive, est un régal.

Joyau méconnu du cinéma mexicain, Le Squelette de Madame Morales est réalisé en 1960 par Rogelio A. Gonzalez, cinéaste prolifique (plus de 70 films au compteur !), sur un scénario de l’Espagnol Luis Alcoriza, connu pour être le plus fidèle collaborateur d’un autre exilé, Luis Buñuel. C’est à Alcoriza qu’on doit, entre autres, le scénario de L’Ange exterminateur (1962), autre chef d’œuvre du génial cinéaste de L’âge d’or et d’Un chien andalou. Sept ans avant Le Squelette…, Alcoriza signait déjà le script de El (Tourments), dans lequel à l’inverse une femme également prénommée Gloria était la victime d’un propriétaire terrien jaloux jusqu’au délire paranoïaque, rôle dévolu au même séduisant comédien, Arturo de Cordova, qui incarne ici Pablo Morales. Le Squelette de Madame Morales, nous apprend le spécialiste Olivier Père dans le dossier de presse, est tiré de The Islington Mystery, une nouvelle d’Arthur Machen (1863-1967), cet écrivain britannique (dont, si je puis me permettre, je vous recommande de lire en traduction Le Grand Dieu Pan, très beau texte).

Reste que dans cette adaptation exhumée à bon escient sous les auspices de Camelia Films, on est assez loin du fantastique brumeux d’outre-Manche. Férocement anticlérical, traversé de saillies qui, en 2024, ne manqueront pas de passer pour rageusement misogynes (« – tu as une taille fine, tu as des hanches rondes comme une jument »), de part en part sardonique à souhait, envahi par l’acide partition lyrico-jazzy du compositeur Raul Lavista, cette pure merveille en noir et blanc méritait de sortir de l’ombre. Le voilà mis en lumière, au risque de subir les foudres du nouvel obscurantisme contemporain.      

Le Squelette de Madame Morales. Film de Rogelio A. Gonzalez. Avec Arturo de Cadova, Amparo Rivelles, Elda Peralta, Guillermo Orea. Mexique, noir et blanc, 1960

Le Grand Dieu Pan

Price: 37,99 €

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Turquie: Erdogan bousculé

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Des partisans du CHP célèbrent leur victoire aux élections locales, Ankara, 1er avril 2024 © SOPA Images/SIPA

Recep Tayyip Erdogan a subi une cruelle défaite lors des élections municipales du 31 mars. Analyse et perspectives


Une déroute que nombre d’observateurs turcs jugent déjà « historique », puisque le Parti de la Justice et du Développement (AKP) n’a terminé que deuxième au général avec 35,49 % des voix, devancé par le Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste de centre gauche) qui a de son côté obtenu un total de 37,74 % des voix.

Plus significatif encore, c’est la première fois depuis 1977 que le CHP remporte un scrutin local.

Un Erdogan longtemps tout-puissant

Surtout, le président Erdogan subit un véritable camouflet personnel dans la ville d’Istanbul qui était son objectif prioritaire. En effet, son ennemi juré Ekrem Imamoglu a su converser la plus grande ville du pays Istanbul face à son adversaire Murat Kurum, l’emportant avec une avance d’un million de voix et réalisant un score près de deux fois supérieur. Parfois présenté comme un potentiel candidat à la succession d’Erdogan, Imamoglu s’est contenté de commenter sobrement en indiquant que son triomphe était « un message clair » à l’exécutif.

Des mots que Recep Tayyip Erdogan n’a pas dû trop apprécier, alors qu’il était vent debout en 2019 contre l’élection du même Imamoglu, car il jugeait le scrutin entaché d’irrégularités et invalide. En mai de l’année passée, Erdogan était pourtant réélu avec une avance relativement considérable contre Kemal Kiliçdaroglu qui fédérait au second tour une bonne partie de l’opposition autour de l’Alliance de la nation, réunissant évidemment le CHP à une kyrielle de petits partis de gauche et libéraux. Réélu à Istanbul cette année, Imamoglu était d’ailleurs vu comme le candidat le plus crédible pour battre Erdogan et réunir les opposants en 2023. Il ne le pouvait pas en raison de sa condamnation en décembre 2022 à deux ans et demi de prison pour des « insultes » prononcées à l’encontre de responsables politiques. Une condamnation qu’il estimait être une « affaire politique ».

L’opposition était confrontée à des difficultés structurelles majeures qui l’ont empêchée de capitaliser sur les critiques formulées à l’endroit d’Erdogan sur les difficultés économiques turques et la gestion des catastrophes naturelles, dont les dramatiques séismes de février 2023 dits de Kaharamanmaras qui avaient causé la mort de près de 46 000 personnes et en avaient blessé 105 000 de plus. Tout d’abord, son meneur Kiliçdaroglu était jugé faiblement charismatique. Par ailleurs, le projet de la coalition centriste qu’il menait n’avait pu s’accorder que sur un contrat minimum de gouvernement assez léger, comprenant la fin du présidentialisme, la lutte contre l’inflation et le respect de l’Etat de droit. De fait, l’opposition reprochait à Erdogan sa dérive autoritaire entamée dès 2014 et aggravée par les suites de la tentative de Coup d’Etat ratée de 2016.

Secours dans la province de Hatay, 8 février 2023, Turquie. © CHINE NOUVELLE/SIPA

Il y aurait pourtant sûrement eu la place avec un meilleur candidat et un programme plus ambitieux face à une Alliance populaire mise à mal par des partis pas toujours tendres avec Erdogan, à commencer par le très radical Parti d’action nationale de Dehvet Bahçeli, mais aussi par le refus très peu civil d’Erdogan de rencontrer ou même d’appeler les maires des communes dirigées par le CHP touchées par les tremblements de terre. Cette élection n’était donc pas jouée d’avance pour Erdogan qui a d’ailleurs dû habilement se jouer de la Constitution turque afin de se représenter une troisième fois, ce qui a d’ailleurs provoqué une anticipation d’un mois des élections maquillée en « simple ajustement d’ordre administratif dans un calendrier chargé ».

Les griefs contre les politiques intérieures d’Erdogan étaient nombreux, à commencer par la baisse constante de la livre turque face au dollar – 30% de baisse en 2022 pas rattrapée depuis et même aggravée – qui a entraîné de l’inflation, mais aussi la question migratoire avec la présence de 3,6 millions de Syriens en Turquie accueillis au nom d’une « fraternité islamique » dérangeant une bonne part de la population turque. Aux élections municipales, s’est aussi invitée la situation israélo-palestinienne. Dans un décryptage donné à L’Opinion, le chercheur au CERI-Sciences Po Bayram Balci indiquait notamment que « l’opposition a accusé le chef de l’Etat de livrer de la poudre à Israël pour fabriquer des munitions. Cela a profondément choqué les Turcs ».

Turquie, décembre 2021 © Idil Toffolo/Shutterstock/SIPA

La naturelle érosion du pouvoir

Si Erdogan peut mettre en avant ses nombreux succès, notamment industriels avec l’inauguration récente du premier porte-aéronefs turc TCG Anadolu L 400 ou encore l’extrême médiatisation du drone armé Baykar Bayraktar TB2, il a également été contraint de fixer un salaire minimum pour les fonctionnaires et des augmentations massives de leurs traitements. Il a aussi dû emprunter une voie dangereuse, voire radicale, en jouant d’antagonismes classiques de la société turque, singulièrement contre certains adversaires de la CHP accusés d’être complices des mouvements séparatistes kurdes en raison de leurs origines, à l’image de Kiliçdaroglu, ou de ne pas être de véritables Turcs du fait de leur appartenance à des communautés islamiques hétérodoxes comme celle des Alévites. Des discours très conservateurs qui, s’ils lui ont permis de rassembler l’électorat de régions rurales et celui d’une partie de l’importante diaspora turque aux élections présidentielles au nom de la lutte pour les valeurs morales et l’unité ethno-religieuse de la Turquie aux dernières élections présidentielles, ne lui auront été d’aucun secours lors de ces municipales.

Erdogan souffre aussi naturellement d’une érosion de son pouvoir. Il exerce en réalité le pouvoir depuis plus de 20 ans. Il a été Premier ministre de 2003 à 2014 et est président de la République sans discontinuer depuis 2014… Dans un pays aussi complexe, aux déséquilibres régionaux importants, il est évidemment une figure tutélaire garante de la continuité et de l’unité politiques, mais il ne peut pas non plus faire l’économie d’une remise en question et négliger les jeunes plus progressistes des grandes villes et des côtes, ainsi que les laïques et minorités ethno-religieuses. Erdogan doit lui aussi composer, ces élections municipales le lui ayant rappelé. Bien sûr, l’absence de la diaspora, notamment allemande et française, qui sont favorables à l’AKP, lui a été préjudiciable lors de ces scrutins municipaux ; reste qu’ils témoignent d’une usure qui aurait déjà pu s’exprimer aux élections présidentielles avec une opposition plus intelligente dotée d’un véritable projet fédérateur. Autre élément ayant joué contre l’AKP : le taux de participation, à 77,66%, bas pour la Turquie. L’AKP et le Parti d’action nationaliste ont donc reculé dans dix-neuf grandes villes, singulièrement dans le nord-ouest industrialisé. La petite percée du Nouveau parti de la prospérité, formation islamo-conservatrice très virulente sur le conflit israélo-palestinien, et les pro-kurdes de DEM très présents près des frontières orientales, ont fait le reste.

La société civile turque reste vive dans un pays qui possède une vieille culture politique où s’expriment des dizaines de partis politiques différents aux idéologies parfois baroques vu d’Europe. Conforté, Ekrem Imamoglu peut devenir ce meneur progressiste que l’opposition turque attendait. Âgé de 53 ans, ce qui est très jeune dans le paysage politique turc, il a un boulevard devant lui avec la mairie d’Istanbul et des alliés dirigeant les plus grandes villes, dont Ankara et Izmir. De son côté, Erdogan a annoncé tirer la leçon du scrutin et promis de « réparer » les erreurs qu’il aurait pu commettre. Le peut-il encore ? Animal politique rusé, le président turc a quatre ans sans élections pour y parvenir. Il va devoir réconcilier un peuple qui menace encore de se diviser, tiraillé entre les affects conservateurs de son électorat et la volonté de regarder vers l’Europe de la jeunesse des grandes villes.

Une dichotomie somme toute classique qui se retrouve dans la plupart des nations modernes aujourd’hui.