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«Pour avoir une chance de gagner, il nous faut dix fois plus d’armes»

Rencontre avec un homme ukrainien ordinaire, après deux ans de guerre avec la Russie


«Pour avoir une chance de gagner, il nous faut dix fois plus d’armes»
Ivan Ponomarenko sur la place Maïdan, Kiev, Ukraine, mars 2024 © Alexis Brunet

À Kiev, notre contributeur a rencontré Ivan Ponomarenko, un architecte ukrainien reconverti en opérateur de drones. Alors que l’armée russe semble en position de force, le soldat sonne le tocsin.


« Si je ne m’étais pas engagé dans l’armée, qui l’aurait fait à ma place ? », lance Ivan Ponomarenko sur la place Maïdan. Avant la guerre, ce Kiévien de 43 ans était architecte et maniait des drones pendant son temps libre. En février 2022, lors de l’invasion russe, il envoie sa femme et ses deux enfants dans les Balkans. En mai 2022, il s’engage dans l’armée comme opérateur de drones.

Bricolage de drones civils

Si les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans n’ont pas le droit de quitter le pays, l’armée manque de volontaires. Dans la capitale, impossible d’échapper aux affiches officielles appelant à rejoindre le front. Quelques jours avant notre rencontre, Ivan Ponomarenko était sur le front dans le sud-est du pays, territoire qui s’étend de la région de Kherson au Donbass. Pour des raisons de sécurité, nous ne saurons pas exactement où.

S’il connait des soldats qui manient des drones kamikazes, Ivan Ponomarenko manie des drones uniquement dans le cadre d’opérations de reconnaissance aérienne, précise-t-il. Militaires, civils, tous les engins sont bienvenus. Lors de collectes menées sur Instagram ou sur Facebook, des Ukrainiens achètent des drones civils en Europe de l’Ouest. Ils les donnent ensuite à l’armée pour qu’elle les retape et s’en serve.

En ces temps de pénurie d’armes, ce bricolage est loin d’être isolé. Alors que les villes de Kharkiv, Kherson, Odessa ou même Kiev sont actuellement pilonnées par des drones russes, pas une semaine ne passe sans que Volodymyr Zelensky exhorte l’Occident à lui fournir des systèmes de défense anti-missiles ou des armes.

« Ça fait deux ans qu’on attend des F-16. Pourquoi n’arrivent-ils pas ? Ce ne sont pourtant pas des armes extraordinaires mais des avions utilisés lors de la guerre du Vietnam », peste pour sa part Ivan Ponomarenko, qui estime à environ 2 000 le nombre d’avions de guerre dont dispose la Russie, en face desquels il va falloir bien plus que dix ou vingt F16…

Des champs de bataille dignes de la 2nde Guerre mondiale

« La bataille de Bakhmut ou d’Avdïïvka, par exemple, ressemble beaucoup à celle de Verdun. Elles n’ont rien à voir avec la bataille de Falloujah en Irak. Ce qui est en train de se passer sur le front n’a rien à voir avec les guerres d’Irak mais est très proche de la Première ou de la Seconde guerre mondiale », assure celui qui va régulièrement sur les champs de bataille.

Au vu du dynamisme et de l’apparente légèreté des rues de Kiev, il paraît surréaliste d’imaginer la capitale occupée par des chars russes. « À Kherson non plus, ils ne s’imaginaient pas que ça leur tomberait dessus du jour au lendemain. Et pourtant… », rétorque-t-il.

Ville du sud comptant alors environ 300 000 habitants, Kherson a été occupée par les troupes russes de mars à septembre 2022. « Des femmes y ont été violées, des gens ont été torturés par le FSB, mis en prison sans jugement ou tués par balle dans la forêt », assure Ivan Ponomarenko, avant de rappeler qu’avant d’être un champ de ruine, la ville de Donetsk comptait un million d’habitants et une équipe de foot, le Chakhtar Donetsk, qui a gagné la coupe de l’UEFA en 2009.

Si la conversation prend un tour politique, c’est qu’Ivan Ponomarenko sent que l’heure est grave. « Je crois que les dirigeants occidentaux n’ont pas encore pris la mesure de cette guerre. En face de nous, nous n’avons pas des miliciens avec des kalachnikovs comme en Irak ou en Afghanistan », souligne-t-il, précisant bien qu’il s’exprime en son nom propre et non en celui de l’armée.

Quand des soldats achètent des balles à leurs frais…

« Il y a en face une armée énorme, celle du pays le plus grand du monde d’un point de vue géographique : La Russie. Pour avoir une chance de gagner cette guerre, il nous faut donc dix fois plus d’armes », prévient-il.

Des soldats ukrainiens sont contraints de faire venir à leur frais des balles de fusil depuis l’Europe de l’Ouest, confie-t-il, avant de rappeler que dans la dernière aide militaire de l’Allemagne, il y a 10 000 obus d’artillerie. Insuffisant : « Un canon tire au moins 100 obus par jour. Je vous laisse compter », explique-t-il avec un mélange d’humour et de résignation.

Ivan Ponomarenko s’est rendu avec l’armée à Boutcha, dans la banlieue de Kiev, deux jours après sa libération. Il y aurait personnellement vu des corps de civils tués, violés ou torturés par des soldats russe. Une remise des pendules à l’heure alors que des mises en cause de l’authenticité du massacre de Boutcha fleurissent sur les réseaux sociaux depuis deux ans.

La propagande russe serait d’ailleurs « très forte en Europe de l’Ouest », selon lui. Les Européens de l’Ouest, et notamment les Français, auraient une image romantique et tronquée de la Russie. « Un pays où l’esclavage était courant jusqu’à la fin du XIXème siècle », assure-t-il. « Certains chez vous pensent que Léon Tolstoï est le Victor Hugo russe, alors que Tolstoï avait des serfs », ajoute-t-il même, avant de préciser qu’il parle couramment russe et qu’il s’est rendu très souvent en Russie avant la guerre.

Comme la plupart des Ukrainiens croisés, Ivan Ponomarenko ne doute pas un instant que Vladimir Poutine compte s’attaquer aux pays baltes ou à la Moldavie s’il gagne la guerre en Ukraine. À l’heure où sont écrites ces lignes, Volodymyr Zelensky vient d’abaisser l’âge légal de la mobilisation à 25 ans. Pour sa part, lors d’un échange sur WhatsApp, le soldat m’informe qu’il est tout juste de retour du front de Kherson après que son bataillon a subi une attaque de drones russes. « Quelques gars sont à l’hôpital mais personne n’est mort donc ça va », commente-t-il sobrement. En voilà un qui n’a pas peur de défendre son pays.



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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