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Frédéric Mitterrand a-t-il bien enterré Bambi ?

« Nous avons tous un Michael Jackson en nous » : la mort de Michael Jackson, qui lui a donné l’occasion de son premier communiqué officiel, inaugure le mandat de Frédéric Mitterrand au ministère de la Culture en même temps qu’elle en donne le ton.

Plus encore que dans les grands desseins ou les projets prestigieux (qui devraient se faire rares en ces temps de vaches maigres, qui ne relèvent même pas de ce « cow art » qui avait essaimé il y a trois ans sur les trottoirs de Paris), plus sûrement que dans la gestion de dossiers aussi riches en épines que pauvres en paillettes (Hadopi, chronologie des médias, sans parler des intermittents du talent, qui n’ont plus fait parler d’eux depuis trop longtemps), le neveu de Tonton ne devrait pas manquer d’exceller dans la célébration lyrique, larme toujours au coin de la voix et paupière vibrante d’empathie glamour, des grands de ce monde, à l’occasion de leur disparition ou de leur passage rue de Valois pour s’y voir épingler une quelconque rosette lors de l’étape parisienne de leur dernière tournée de promotion. Le tout dans ce style inimitable qui fit les belles heures de « Etoiles et toiles » ou de « Destins », à mi chemin des Belles histoires de l’oncle Paul et de la rubrique people de Têtu : « En rejoignant les mythes fracassés dont la culture américaine est prodigue tels Marylin Monroe, James Dean ou Elvis Presley, il emporte avec lui le rêve impossible de l’adolescence perpétuelle », écrit-il ainsi de Michael Jackson.

À moins que, décidé à se faire un prénom en politique, Frédéric Mitterrand, enterrant avec Bambi « le rêve impossible de l’adolescence perpétuelle », ne se révèle le ministre de la Culture que l’on n’attendait plus : celui des révisions déchirantes, qui mettrait fin à des décennies de clientélisme somptuaire, cessant d’acheter la paix culturelle à coups de subventions à des spectacles fantômes et invisibles, de célébrations de l’art contemporien, de nominations d’artistes au pouvoir de nuisance inversement proportionnel à leur génie, pour s’atteler à un grand dessein aussi peu glamour qu’historique : être celui qui sauvera le patrimoine français de la ruine et de l’abandon qui le guettent chaque jour davantage. On peut toujours rêver.

Mitterrand, la farce tranquille

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Tout ceux qui ont minimisé l’ampleur du remaniement de mardi dernier en seront pour leurs frais. L’équipe Fillon IV ne passera pas inaperçue. De tous les Français, il est encore trop tôt pour le dire. En revanche, c’est une bénédiction pour ceux d’entre eux qui écoutent Europe1 le matin : l’imitation du nouveau ministre de la Culture par Nicolas Canteloup vaut à elle seule qu’on se réveille dès 8 h 30. C’est hilarant, percutant et jamais cruel. Personne jusque-là n’avait jamais si bien caricaturé le style inimitable de Frédéric Mitterrand, à l’exception, bien sûr, de Frédéric Mitterrand lui-même…

Thriller à domicile

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J’étais encore plongée dans un demi-sommeil, le drap remonté jusqu’au nez, l’esprit vide de toute pensée, calme et sereine. Willy à mes côtés ronflait. Et ses ronflements, tambour-major du matin, scandaient mon combat contre l’irrésistible instinct du travailleur, celui qui vous expulse de votre lit et vous entraîne aux toilettes, à la salle de bains, au placard de la cuisine, dont vous sortez un bol sans en avoir envie. Je hais les matins, qui sentent le savon et le café frais.

Je luttais à armes inégales. Ne pas céder. Ne pas entrouvrir une seule paupière. Ne pas se rendormir non plus : c’est généralement là que le réveil, sournois, vous guette. J’en étais là de mes méditations que mes pensées furent happées, toutes entières, par le bruit étourdissant de la radio. On y diffusait des chansons en boucle. Chose horrible pour une radio allemande, ce n’était ni Anton aus Tirol, ni son homologue non moins séduisant, Julio Iglesias, mais un chanteur que j’eus grand-peine à reconnaître.

Willy m’y aida. Il se tenait debout, au milieu de la chambre, et il dansait. Il avait l’air ravi. Il me regardait sans rien dire, portant de temps à autre sa main vers son entrejambe et poussant de petits cris aigus. Il mimait maintenant un moonwalk et, ma foi, il ne se débrouillait pas si mal pour un Michael Jackson de quatre-vingt-quinze kilos.

Lorsque la chanson s’interrompit et que l’animateur de la SWR fit appel à ses plus larmoyants trémolos pour lancer : « Der King of Pop ist tot. Michael Jackson starb im Alter von fünfzig Jahren in Los Angeles… », ce fut comme l’apocalypse. Un grand « vlam », suivi d’un cri de douleur : mon moonwalker de mari était étendu de tout son long.

Comme il ne se relevait pas, que ses râles devenaient de plus en plus rauques et qu’il ne répondait pas aux questions inquiètes que je lui lançais – « Bon, Willy, quand t’auras fini de faire le con, tu pourras aller me préparer un café » –, je résolus à me lever.

Le spectacle était effroyable. Sa tête avait buté contre le rebord de la commode et une mare de sang se dessinait autour. Il respirait, il n’était pas mort. Du moins, pas encore. Bonne poire, plutôt que de me ruer vers le dressing pour voir si j’avais quelque chose de noir à me mettre, j’appelai le 112.

– Oui, Monsieur, mon mari ne bouge plus… La tête ouverte, c’est ça…. Il y a du sang qu’on pourrait faire du boudin pour une famille nombreuse… Oui, je pense qu’il va assez mal, sinon je ne vous appellerais pas… Heureusement que c’est du parquet, on pourra ravoir les taches…

Quelques minutes plus tard, une demi-douzaine de pompiers, même pas beaux, pas musclés, un peu bedonnants, enfilaient Willy dans l’ambulance des secours. C’est entre la maison et la clinique qu’il se réveilla : « LaToya, souffla-t-il, LaToya, où est Bubbles ?… » Puis, il s’évanouit à nouveau.

Dans son bureau, le docteur Bannasch me rassura :

– Votre époux n’a que de légères contusions. Le scanner n’a révélé aucun traumatisme interne. Il n’y a qu’à le recoudre. Heureusement que vous êtes tombés chez nous, l’ambulance vous aurait conduits ailleurs que dans la meilleure clinique de chirurgie réparatrice du Bade-Wurtemberg, mes sagouins de confrères auraient fait à votre mari une cicatrice immonde. Tandis que là, d’ici trois jours, on ne verra plus rien.
– Oui, oui, mais ça n’entraîne pas de surcoûts ? Parce que si votre intervention n’est pas prise en charge par notre mutuelle, je ne vous dis qu’une chose, docteur : vous pouvez le découdre et lui bricoler une bonne grosse cicatrice bien remboursée.
– Non. Ne vous inquiétez pas… De toute façon, le métier est foutu.
– Vous prêchez une convaincue : j’ai toujours dit que la chirurgie esthétique…
– …réparatrice ! Ne nous enfoncez pas plus bas que terre ! Moi, Madame, je suis un homme à bout : oh, bien sûr, il en restera bien, des grosses à liposucer. Une tonne de cellulite, une Porsche neuve. Mais, avec la mort de Michael, plus rien d’artistique à rêver ni à espérer. La mort, quoi !

Il chialait comme un gosse, quand il entreprit de faire trois pas de moonwalk. Sa nuque buta contre une armoire. Malgré le sang qui sourdait de son crâne à gros bouillons, il trouva la force de hurler de douleur avant de s’écrouler. Je refermai pudiquement la porte du bureau derrière moi.

J’attendis une heure, dans la chambre de Willy, qu’on me le remonte du bloc. N’y tenant plus, j’allai trouver l’infirmière de l’étage, qui me dit : votre mari est dans sa chambre depuis plus d’une heure. Quand elle vint constater avec moi que la pièce était vide de tout convalescent, elle sonna l’alerte.

Il nous fallut trois heures pour remettre la main sur Willy. Le gros pansement qu’il avait noué autour de la tête lui donnait des allures de pacha. Il trônait au milieu de cinq ou six petits leucémiques, leur racontant des histoires de fées et de lutins volants. La scène était touchante. Il maugréa un peu quand on le fit sortir du service de pédiatrie pour le raccompagner à sa chambre. Mais il se laissa faire.

La clinique ne voulut prêter aucun crédit aux plaintes des parents des petits cancéreux. Une fille de salle moustachue vint simplement nous dire que Willy était guéri et qu’on ne le garderait pas plus longtemps en observation.

Je l’ai ramené à la maison. Il reste assis toute la journée, prostré dans un coin. Parfois, il se lève. Il porte alors ostensiblement une main à son entrejambe et pousse de petits cris suraigus. J’ai peur.

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Xavier Darcos n’en a pas fini avec les études

Un honorable commentateur de Causeur, au cours d’un fil, a bien voulu attirer notre attention sur la situation sociale désastreuse des salariés du notariat depuis le début de la crise. Il semblerait, en effet, que la situation soit des plus critiques dans les études : entre novembre et juin 2008, la CGT-notariat nous apprend que plus de 2 000 suppressions de poste, dont 700 licenciements secs, ont eu lieu dans un secteur qui compte environ 49 000 salariés actifs. La CGT-notariat met en cause notamment une politique opportuniste de dégraissage utilisant pour prétexte la baisse des transactions dans le domaine immobilier. Espérons que le tout nouveau ministre du Travail, monsieur Xavier Darcos, saura, dans cette affaire, tirer les choses au clerc.

De la misère en milieu journalistique

Retenez bien ces deux noms : Guillaume Chauvin et Rémi Hubert. Ces deux étudiants des Arts déco de Strasbourg, nous rapporte Le Monde du 25 juin, ont réussi un coup fumant : berner un jury de professionnels du photojournalisme réuni sous la houlette d’Olivier Royant, directeur artistique de Paris Match pour décerner le prix annuel du photoreportage, qui récompense des jeunes désireux de se lancer dans cette estimable activité. En ces temps de crise de la presse, recevoir 5000 € et voir ses œuvres publiées dans ce prestigieux hebdomadaire constitue déjà en soi un exploit que les jeunes admirateurs des Robert Capa, Marc Riboud ou Henri Cartier-Bresson rêvent d’accomplir.

Mais tel n’était pas l’objectif des sieurs Chauvin et Hubert. Ils se proposaient d’accomplir un « geste artistique retentissant » à l’occasion de la remise de ce prix, en participant au concours avec un reportage bidonné de A à Z, mais réalisé « dans l’esprit de Paris Match » comme le stipule le règlement. Ils choisissent alors un sujet : la misère en milieu étudiant, et les moyens de survie économique de celles et ceux qui la subissent. Ils trouvent un titre accrocheur « Des étudiants option précarité », et réunissent quelques copains et copines qui sont censés raconter une vie propre à susciter l’indignation et la compassion des braves gens lecteurs de Paris-Match. Ainsi, une étudiante en philosophie, qui se prostitue pour subvenir à ses besoins déclare : « Pour pouvoir étudier le jour, je me sers de mon cul la nuit… De temps en temps je reviens à l’appart entre midi et deux pour dormir. C’est dingue d’en être arrivée là. Heureusement j’arrive encore à le cacher. » Lamentable, mais totalement bidon, comme tous les autres « témoignages » rapportés dans le dossier présenté au prestigieux jury. Nos deux lascars ne se font pas trop d’illusions : « On trouvait ça un peu caricatural, on pensait que ça ne passerait jamais ! » Raté ! C’est passé et même très bien passé puisque les jurés n’y ont vu que du feu et ont décerné le prix aux faussaires.

Ces derniers auraient pu la boucler, empocher leur chèque, frimer devant leurs copains en leur montrant le reportage publié dans Paris Match, et réfléchir au bidonnage suivant susceptible d’alimenter leur compte en banque. Mais on oublie que, parfois, des jeunes peuvent se comporter autrement que comme les voyous cyniques qu’ils ne manqueront pas de devenir par la suite. Ils ont mangé le morceau lors de la remise du prix, le 24 juin, transformant cette cérémonie en un « geste artistique retentissant », qui laissa le jury sans voix et désemparé, au point qu’il laissa les récipiendaires partir avec le chèque de 5000 €. Cette magnanimité ne dura cependant que le temps, pour la direction de Paris Match de reprendre ses esprits et de faire opposition sur le chèque, qui abondera l’édition 2010 du prix. Cela laisse un an aux impétrants pour réaliser un double bidonnage qui recevra une double ration de pépètes…

On pourrait profiter de cette fable pour faire, une fois de plus, le procès de cette presse à sensation, pour qui un bon gros mensonge bien saignant est préférable à une grise vérité, se gausser, comme Coluche, du « choc des mots et du poids des photos », et stigmatiser le coupable aveuglement des responsables de ces publications… C’est oublier que reportage et bidonnage sont aussi unis que les lèvres et les dents, comme aurait dit le président Mao.

Pour avoir quelque peu fréquenté ces milieux, je puis témoigner que personne n’est dupe de ces « reportages » de la presse écrite ou audiovisuelle dont le caractère sensationnel n’a d’égal que le rapport très lointain qu’ils entretiennent avec la réalité. Les exemples de falsifications patentes qui parviennent jusqu’à la publication ou la diffusion, et dont on apprend par la suite la vraie nature sont suffisamment nombreux pour le prouver. Comme ce documentaire télé sur les trafics d’organes, en l’occurrence des yeux volés à des enfants sud-américains, qui reçut le prix Albert Londres en 1995 et où les pauvres petits, examinés par des spécialistes français, se révélèrent aveugles à cause d’une maladie infantile. La « bidonneuse » conserva son prix et poursuivit une carrière brillante et prolifique dans le monde du documentaire de télévision. Cette dérive ne concerne pas que la presse dite « de caniveau ». J’ai souvenir d’une page entière du Monde consacrée, au début des années 2000, à une bouleversifiante histoire d’espions du Mossad infiltrés aux Etats-Unis sous couvert de venir étudier les beaux-arts. Ces faux étudiants mais vrais espions étaient supposés avoir eu vent des préparatifs de l’attentat du 11 septembre et conservé par devers eux ces précieuses informations. Cette « meyssannerie » passa sans encombre tous les filtres mis en place par le « quotidien de référence » et reçut in fine le bon à tirer d’un grand moraliste de la profession, l’excellent Edwy Plenel. Jamais le journal ne présenta les moindres excuses à ses lecteurs et l’auteur de ce morceau d’anthologie forgeronne poursuit une brillante carrière au sein de la rédaction du Monde.

Ceux qui affirmeront que jamais, au grand jamais, de telles pratiques ne se sont produites dans l’organe de presse dont ils ont la responsabilité sont soit des imbéciles, soit des menteurs. La vérité est que les histoires bidonnées sont mille fois plus excitantes, donc vendeuses, que la complexe et triste vérité et que la loi non écrite du milieu veut qu’un bidonnage qui ne trahit pas trop la réalité en lui donnant le surcroît de peps dont elle manque est tout à fait moralement acceptable.

C’est ce qu’ont découvert tous seuls, comme des grands, les jeunes Chauvin et Hubert. Ils pourront se consoler d’avoir perdu, avec panache, les 5000 € qui auraient pu ensoleiller leurs vacances, en sollicitant un stage au bureau de Jérusalem de France 2, où ils seront, j’en suis certain, accueillis à bras ouverts.

Photo de une : «  »Il ne faut pas se fier aux apparences : ce n’est pas forcément ceux que l’on croit qui souffrent de la précarité. Quand j’ai vu par hasard une de mes élèves faire le trottoir, j’ai eu un choc. » Pierre, membre du corps enseignant. » © Guillaume Chauvin et Rémi Hubert, 2009.

Iran : qui a vraiment perdu les élections ?

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À court et moyen terme, nul ne sait qui va gagner le bras de fer engagé en Iran depuis les élections présidentielles du 12 juin. Mais même si le régime arrive à réduire ses opposants au silence et à se maintenir, les mollahs vont devoir réviser à la baisse leurs prétentions à ce que l’Iran accède au statut de puissance régionale. Dans la région comme dans le reste du monde, et malgré la lourde censure, on a vu les images venues de Téhéran. Même ceux qui croient et souhaitent dur comme fer à la victoire d’Ahmadinejad et de Khamenei sont bien obligés de se rendre à l’évidence : le régime peut basculer du jour au lendemain. Comme les conseillers et les princes après le premier malaise d’un roi craint et vieillissant, tous les protagonistes internationaux raisonnables doivent maintenant envisager ce scénario, qualifié il y a quelques semaines de wishful thinking.

Pendant les premiers jours de la crise, on pouvait encore croire à une querelle de famille entre les enfants de la révolution. Ahmadinejad aurait pu jouer le rôle d’un Premier ministre de la Ve République, celui du fusible qui protège le chef de l’Etat, mais la décision de Khamenei d’abandonner sa position d’arbitre non-partisan a compromis le régime tout entier.

Le mouvement de contestation a donc déjà marqué un premier point, non seulement contre le gouvernement, mais contre le régime lui-même, touché là où ça fait le plus mal : l’image et le prestige international. Les piètres performances de l’économie et l’incapacité du gouvernement à faire face aux problèmes d’emploi et de logement ont été longtemps contrebalancés par une politique militaire et extérieure ambitieuse. Comme au temps de l’Union soviétique, le prestige de l’Empire avec les défilés de missiles et autres armements à la pointe de la technologie étaient là pour détourner l’attention du peuple de son quotidien misérable.

Depuis la guerre contre l’Irak, le pays a su se reconstruire et se positionner comme une puissance régionale de premier plan. Jouant à fond la carte chiite, l’Iran a habillement tissé sa toile de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Les mollahs ont aussi compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’un soutien aux Palestiniens les plus intransigeants. Etre les champions de la lutte contre Israël et les Etats-Unis les qualifiait pour le leadership de l’ancien camp des non-alignés.

Cette stratégie de puissance a parfaitement fonctionné et l’Iran a savamment enterré deux mines que lui seul peut neutraliser ou faire exploser : d’une part, avec ses alliés libanais (le Hezbollah) et Palestiniens (le Hamas), Téhéran verrouille le conflit israélo-palestinien, d’autre part, sa puissance nucléaire lui confère une capacité de nuisance qui lui procure une marge de manœuvre confortable vis-à-vis des puissances mondiales. Dans le Golfe, après trente ans d’absence, Téhéran s’impose et certains, comme le Qatar, en ont déjà tiré les conclusions, au grand dam de l’Arabie Saoudite.

Cet édifice sophistiqué n’est pas en train de s’écrouler mais il est incontestablement fissuré. Et ça se voit. Le Hezbollah dont le financement, le poids politique et militaire, dépendent de Téhéran, doit élaborer un « plan B », car les jours difficiles peuvent arriver sans sommation. De même, le Hamas pourrait être amené à réviser sa ligne dure face à Jérusalem et Ramallah et peut-être à chercher de nouveaux alliés. Quant à la Syrie, Assad doit sans doute se rappeler son père, qui au moment de la chute brutale de l’Union soviétique, s’est trouvé presque du jour au lendemain dépourvu d’appui stratégique majeur.

Autre revers pour le régime, la carte nucléaire n’a pas fonctionné autant qu’espéré : en faisant du « droit au nucléaire » un argument de politique intérieure, il espérait que la fierté nationale, réelle, jouerait pour lui. La contestation montre que les rêves de puissance n’ont pas étouffé l’aspiration à la liberté tout de suite. La bombe n’est plus un projet national mais le projet du régime. On ne peut plus dire que « malgré tout, c’est une démocratie ».

En bref, et même si la contestation actuelle connaît le même sort que celui des étudiants en 1999, la légitimité de l’actuel gouvernement est entamée et le rayonnement du régime est terni pour longtemps. Et on peut ajouter qu’avec lui, c’est « l’Islam politique » tout entier qui perd son élan triomphaliste car de toute évidence pour beaucoup d’Iraniens, Islam is not the solution.

Farrah s’en va

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La main droite, ou gauche, de tous les garçons ayant eu entre 12 et 16 ans en France, en 1978, est en deuil. Nous venons en effet d’apprendre le décès d’un cancer de Farrah Fawcett Major à l’age de 62 ans. Farrah Fawcett Major, qui fut à la ville la femme de L’Homme qui valait trois milliards, déclencha une véritable épidémie onaniste dans notre pays. Ceux qui découvrirent, en même temps que le deuxième choc pétrolier, la silhouette blonde et les yeux bleus de Farrah, alias Jill Monroe qui devait enchanter de sa présence lumineuse la série Drôles de Dames sur Antenne 2, ne manquèrent plus ce rendez-vous aussi sacré que la parution mensuelle de Lui. Seule une minorité d’intellectuels lui préférait la brune Jaclyn Smith quant à Kate Jackon et son allure d’institutrice, ses fans se limitaient à quelques pervers se destinant à l’éducation nationale. La gigantesque Farrah Fawcett Major, elle, aura eu une influence décisive, encore mal évaluée par les historiens et les sociologues, dans la création d’une libido masculine fantasmant sur les brushings à la lionne et les souitecheurtes rouges. Cela méritait d’être salué. Avec elle, c’est tout l’érotisme post-psychédélique de l’Amérique démocrate-cartérienne qui disparaît. Et notre jeunesse masturbatoire aussi.

Il n’y aura pas de loi sur la burqa

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Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.

Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.

Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.

Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.

Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !

Rendez-vous en 2017 !

Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.

Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.

Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…

Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.

Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.

Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.

Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.

Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…

A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…

Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.

A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…

Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.

Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.

Crisse de remaniement

Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, le remaniement ministériel du 23 juin n’a pas été un simple jeu de chaises musicales organisé avant l’été par qui vous savez… Il marque un virage important dans la politique du gouvernement : à droite toute ! Est-ce vraiment bien raisonnable de jouer les libéraux par gros temps ? L’avenir le dira. Pour l’heure, une seule chose est acquise : fort des derniers succès électoraux de sa majorité, le Premier ministre a laissé parler son libéralisme grand teint… Et le signal le plus fort de ce nouveau cap est, évidemment, le changement de ministre de l’Economie, une décision qui n’a échappé à personne, sauf à ceux qui n’ont pas voulu prendre cette nouvelle réalité en compte. On souhaite d’ailleurs beaucoup de succès à Clément Gignac, que Jean Charest, Premier ministre du Québec, vient d’installer à la tête du ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Remaniement en-deçà de l’Atlantique, remaniement au-delà.

Frédéric Mitterrand a-t-il bien enterré Bambi ?

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« Nous avons tous un Michael Jackson en nous » : la mort de Michael Jackson, qui lui a donné l’occasion de son premier communiqué officiel, inaugure le mandat de Frédéric Mitterrand au ministère de la Culture en même temps qu’elle en donne le ton.

Plus encore que dans les grands desseins ou les projets prestigieux (qui devraient se faire rares en ces temps de vaches maigres, qui ne relèvent même pas de ce « cow art » qui avait essaimé il y a trois ans sur les trottoirs de Paris), plus sûrement que dans la gestion de dossiers aussi riches en épines que pauvres en paillettes (Hadopi, chronologie des médias, sans parler des intermittents du talent, qui n’ont plus fait parler d’eux depuis trop longtemps), le neveu de Tonton ne devrait pas manquer d’exceller dans la célébration lyrique, larme toujours au coin de la voix et paupière vibrante d’empathie glamour, des grands de ce monde, à l’occasion de leur disparition ou de leur passage rue de Valois pour s’y voir épingler une quelconque rosette lors de l’étape parisienne de leur dernière tournée de promotion. Le tout dans ce style inimitable qui fit les belles heures de « Etoiles et toiles » ou de « Destins », à mi chemin des Belles histoires de l’oncle Paul et de la rubrique people de Têtu : « En rejoignant les mythes fracassés dont la culture américaine est prodigue tels Marylin Monroe, James Dean ou Elvis Presley, il emporte avec lui le rêve impossible de l’adolescence perpétuelle », écrit-il ainsi de Michael Jackson.

À moins que, décidé à se faire un prénom en politique, Frédéric Mitterrand, enterrant avec Bambi « le rêve impossible de l’adolescence perpétuelle », ne se révèle le ministre de la Culture que l’on n’attendait plus : celui des révisions déchirantes, qui mettrait fin à des décennies de clientélisme somptuaire, cessant d’acheter la paix culturelle à coups de subventions à des spectacles fantômes et invisibles, de célébrations de l’art contemporien, de nominations d’artistes au pouvoir de nuisance inversement proportionnel à leur génie, pour s’atteler à un grand dessein aussi peu glamour qu’historique : être celui qui sauvera le patrimoine français de la ruine et de l’abandon qui le guettent chaque jour davantage. On peut toujours rêver.

Mitterrand, la farce tranquille

15

Tout ceux qui ont minimisé l’ampleur du remaniement de mardi dernier en seront pour leurs frais. L’équipe Fillon IV ne passera pas inaperçue. De tous les Français, il est encore trop tôt pour le dire. En revanche, c’est une bénédiction pour ceux d’entre eux qui écoutent Europe1 le matin : l’imitation du nouveau ministre de la Culture par Nicolas Canteloup vaut à elle seule qu’on se réveille dès 8 h 30. C’est hilarant, percutant et jamais cruel. Personne jusque-là n’avait jamais si bien caricaturé le style inimitable de Frédéric Mitterrand, à l’exception, bien sûr, de Frédéric Mitterrand lui-même…

Thriller à domicile

63

J’étais encore plongée dans un demi-sommeil, le drap remonté jusqu’au nez, l’esprit vide de toute pensée, calme et sereine. Willy à mes côtés ronflait. Et ses ronflements, tambour-major du matin, scandaient mon combat contre l’irrésistible instinct du travailleur, celui qui vous expulse de votre lit et vous entraîne aux toilettes, à la salle de bains, au placard de la cuisine, dont vous sortez un bol sans en avoir envie. Je hais les matins, qui sentent le savon et le café frais.

Je luttais à armes inégales. Ne pas céder. Ne pas entrouvrir une seule paupière. Ne pas se rendormir non plus : c’est généralement là que le réveil, sournois, vous guette. J’en étais là de mes méditations que mes pensées furent happées, toutes entières, par le bruit étourdissant de la radio. On y diffusait des chansons en boucle. Chose horrible pour une radio allemande, ce n’était ni Anton aus Tirol, ni son homologue non moins séduisant, Julio Iglesias, mais un chanteur que j’eus grand-peine à reconnaître.

Willy m’y aida. Il se tenait debout, au milieu de la chambre, et il dansait. Il avait l’air ravi. Il me regardait sans rien dire, portant de temps à autre sa main vers son entrejambe et poussant de petits cris aigus. Il mimait maintenant un moonwalk et, ma foi, il ne se débrouillait pas si mal pour un Michael Jackson de quatre-vingt-quinze kilos.

Lorsque la chanson s’interrompit et que l’animateur de la SWR fit appel à ses plus larmoyants trémolos pour lancer : « Der King of Pop ist tot. Michael Jackson starb im Alter von fünfzig Jahren in Los Angeles… », ce fut comme l’apocalypse. Un grand « vlam », suivi d’un cri de douleur : mon moonwalker de mari était étendu de tout son long.

Comme il ne se relevait pas, que ses râles devenaient de plus en plus rauques et qu’il ne répondait pas aux questions inquiètes que je lui lançais – « Bon, Willy, quand t’auras fini de faire le con, tu pourras aller me préparer un café » –, je résolus à me lever.

Le spectacle était effroyable. Sa tête avait buté contre le rebord de la commode et une mare de sang se dessinait autour. Il respirait, il n’était pas mort. Du moins, pas encore. Bonne poire, plutôt que de me ruer vers le dressing pour voir si j’avais quelque chose de noir à me mettre, j’appelai le 112.

– Oui, Monsieur, mon mari ne bouge plus… La tête ouverte, c’est ça…. Il y a du sang qu’on pourrait faire du boudin pour une famille nombreuse… Oui, je pense qu’il va assez mal, sinon je ne vous appellerais pas… Heureusement que c’est du parquet, on pourra ravoir les taches…

Quelques minutes plus tard, une demi-douzaine de pompiers, même pas beaux, pas musclés, un peu bedonnants, enfilaient Willy dans l’ambulance des secours. C’est entre la maison et la clinique qu’il se réveilla : « LaToya, souffla-t-il, LaToya, où est Bubbles ?… » Puis, il s’évanouit à nouveau.

Dans son bureau, le docteur Bannasch me rassura :

– Votre époux n’a que de légères contusions. Le scanner n’a révélé aucun traumatisme interne. Il n’y a qu’à le recoudre. Heureusement que vous êtes tombés chez nous, l’ambulance vous aurait conduits ailleurs que dans la meilleure clinique de chirurgie réparatrice du Bade-Wurtemberg, mes sagouins de confrères auraient fait à votre mari une cicatrice immonde. Tandis que là, d’ici trois jours, on ne verra plus rien.
– Oui, oui, mais ça n’entraîne pas de surcoûts ? Parce que si votre intervention n’est pas prise en charge par notre mutuelle, je ne vous dis qu’une chose, docteur : vous pouvez le découdre et lui bricoler une bonne grosse cicatrice bien remboursée.
– Non. Ne vous inquiétez pas… De toute façon, le métier est foutu.
– Vous prêchez une convaincue : j’ai toujours dit que la chirurgie esthétique…
– …réparatrice ! Ne nous enfoncez pas plus bas que terre ! Moi, Madame, je suis un homme à bout : oh, bien sûr, il en restera bien, des grosses à liposucer. Une tonne de cellulite, une Porsche neuve. Mais, avec la mort de Michael, plus rien d’artistique à rêver ni à espérer. La mort, quoi !

Il chialait comme un gosse, quand il entreprit de faire trois pas de moonwalk. Sa nuque buta contre une armoire. Malgré le sang qui sourdait de son crâne à gros bouillons, il trouva la force de hurler de douleur avant de s’écrouler. Je refermai pudiquement la porte du bureau derrière moi.

J’attendis une heure, dans la chambre de Willy, qu’on me le remonte du bloc. N’y tenant plus, j’allai trouver l’infirmière de l’étage, qui me dit : votre mari est dans sa chambre depuis plus d’une heure. Quand elle vint constater avec moi que la pièce était vide de tout convalescent, elle sonna l’alerte.

Il nous fallut trois heures pour remettre la main sur Willy. Le gros pansement qu’il avait noué autour de la tête lui donnait des allures de pacha. Il trônait au milieu de cinq ou six petits leucémiques, leur racontant des histoires de fées et de lutins volants. La scène était touchante. Il maugréa un peu quand on le fit sortir du service de pédiatrie pour le raccompagner à sa chambre. Mais il se laissa faire.

La clinique ne voulut prêter aucun crédit aux plaintes des parents des petits cancéreux. Une fille de salle moustachue vint simplement nous dire que Willy était guéri et qu’on ne le garderait pas plus longtemps en observation.

Je l’ai ramené à la maison. Il reste assis toute la journée, prostré dans un coin. Parfois, il se lève. Il porte alors ostensiblement une main à son entrejambe et pousse de petits cris suraigus. J’ai peur.

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Xavier Darcos n’en a pas fini avec les études

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Un honorable commentateur de Causeur, au cours d’un fil, a bien voulu attirer notre attention sur la situation sociale désastreuse des salariés du notariat depuis le début de la crise. Il semblerait, en effet, que la situation soit des plus critiques dans les études : entre novembre et juin 2008, la CGT-notariat nous apprend que plus de 2 000 suppressions de poste, dont 700 licenciements secs, ont eu lieu dans un secteur qui compte environ 49 000 salariés actifs. La CGT-notariat met en cause notamment une politique opportuniste de dégraissage utilisant pour prétexte la baisse des transactions dans le domaine immobilier. Espérons que le tout nouveau ministre du Travail, monsieur Xavier Darcos, saura, dans cette affaire, tirer les choses au clerc.

De la misère en milieu journalistique

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Retenez bien ces deux noms : Guillaume Chauvin et Rémi Hubert. Ces deux étudiants des Arts déco de Strasbourg, nous rapporte Le Monde du 25 juin, ont réussi un coup fumant : berner un jury de professionnels du photojournalisme réuni sous la houlette d’Olivier Royant, directeur artistique de Paris Match pour décerner le prix annuel du photoreportage, qui récompense des jeunes désireux de se lancer dans cette estimable activité. En ces temps de crise de la presse, recevoir 5000 € et voir ses œuvres publiées dans ce prestigieux hebdomadaire constitue déjà en soi un exploit que les jeunes admirateurs des Robert Capa, Marc Riboud ou Henri Cartier-Bresson rêvent d’accomplir.

Mais tel n’était pas l’objectif des sieurs Chauvin et Hubert. Ils se proposaient d’accomplir un « geste artistique retentissant » à l’occasion de la remise de ce prix, en participant au concours avec un reportage bidonné de A à Z, mais réalisé « dans l’esprit de Paris Match » comme le stipule le règlement. Ils choisissent alors un sujet : la misère en milieu étudiant, et les moyens de survie économique de celles et ceux qui la subissent. Ils trouvent un titre accrocheur « Des étudiants option précarité », et réunissent quelques copains et copines qui sont censés raconter une vie propre à susciter l’indignation et la compassion des braves gens lecteurs de Paris-Match. Ainsi, une étudiante en philosophie, qui se prostitue pour subvenir à ses besoins déclare : « Pour pouvoir étudier le jour, je me sers de mon cul la nuit… De temps en temps je reviens à l’appart entre midi et deux pour dormir. C’est dingue d’en être arrivée là. Heureusement j’arrive encore à le cacher. » Lamentable, mais totalement bidon, comme tous les autres « témoignages » rapportés dans le dossier présenté au prestigieux jury. Nos deux lascars ne se font pas trop d’illusions : « On trouvait ça un peu caricatural, on pensait que ça ne passerait jamais ! » Raté ! C’est passé et même très bien passé puisque les jurés n’y ont vu que du feu et ont décerné le prix aux faussaires.

Ces derniers auraient pu la boucler, empocher leur chèque, frimer devant leurs copains en leur montrant le reportage publié dans Paris Match, et réfléchir au bidonnage suivant susceptible d’alimenter leur compte en banque. Mais on oublie que, parfois, des jeunes peuvent se comporter autrement que comme les voyous cyniques qu’ils ne manqueront pas de devenir par la suite. Ils ont mangé le morceau lors de la remise du prix, le 24 juin, transformant cette cérémonie en un « geste artistique retentissant », qui laissa le jury sans voix et désemparé, au point qu’il laissa les récipiendaires partir avec le chèque de 5000 €. Cette magnanimité ne dura cependant que le temps, pour la direction de Paris Match de reprendre ses esprits et de faire opposition sur le chèque, qui abondera l’édition 2010 du prix. Cela laisse un an aux impétrants pour réaliser un double bidonnage qui recevra une double ration de pépètes…

On pourrait profiter de cette fable pour faire, une fois de plus, le procès de cette presse à sensation, pour qui un bon gros mensonge bien saignant est préférable à une grise vérité, se gausser, comme Coluche, du « choc des mots et du poids des photos », et stigmatiser le coupable aveuglement des responsables de ces publications… C’est oublier que reportage et bidonnage sont aussi unis que les lèvres et les dents, comme aurait dit le président Mao.

Pour avoir quelque peu fréquenté ces milieux, je puis témoigner que personne n’est dupe de ces « reportages » de la presse écrite ou audiovisuelle dont le caractère sensationnel n’a d’égal que le rapport très lointain qu’ils entretiennent avec la réalité. Les exemples de falsifications patentes qui parviennent jusqu’à la publication ou la diffusion, et dont on apprend par la suite la vraie nature sont suffisamment nombreux pour le prouver. Comme ce documentaire télé sur les trafics d’organes, en l’occurrence des yeux volés à des enfants sud-américains, qui reçut le prix Albert Londres en 1995 et où les pauvres petits, examinés par des spécialistes français, se révélèrent aveugles à cause d’une maladie infantile. La « bidonneuse » conserva son prix et poursuivit une carrière brillante et prolifique dans le monde du documentaire de télévision. Cette dérive ne concerne pas que la presse dite « de caniveau ». J’ai souvenir d’une page entière du Monde consacrée, au début des années 2000, à une bouleversifiante histoire d’espions du Mossad infiltrés aux Etats-Unis sous couvert de venir étudier les beaux-arts. Ces faux étudiants mais vrais espions étaient supposés avoir eu vent des préparatifs de l’attentat du 11 septembre et conservé par devers eux ces précieuses informations. Cette « meyssannerie » passa sans encombre tous les filtres mis en place par le « quotidien de référence » et reçut in fine le bon à tirer d’un grand moraliste de la profession, l’excellent Edwy Plenel. Jamais le journal ne présenta les moindres excuses à ses lecteurs et l’auteur de ce morceau d’anthologie forgeronne poursuit une brillante carrière au sein de la rédaction du Monde.

Ceux qui affirmeront que jamais, au grand jamais, de telles pratiques ne se sont produites dans l’organe de presse dont ils ont la responsabilité sont soit des imbéciles, soit des menteurs. La vérité est que les histoires bidonnées sont mille fois plus excitantes, donc vendeuses, que la complexe et triste vérité et que la loi non écrite du milieu veut qu’un bidonnage qui ne trahit pas trop la réalité en lui donnant le surcroît de peps dont elle manque est tout à fait moralement acceptable.

C’est ce qu’ont découvert tous seuls, comme des grands, les jeunes Chauvin et Hubert. Ils pourront se consoler d’avoir perdu, avec panache, les 5000 € qui auraient pu ensoleiller leurs vacances, en sollicitant un stage au bureau de Jérusalem de France 2, où ils seront, j’en suis certain, accueillis à bras ouverts.

Photo de une : «  »Il ne faut pas se fier aux apparences : ce n’est pas forcément ceux que l’on croit qui souffrent de la précarité. Quand j’ai vu par hasard une de mes élèves faire le trottoir, j’ai eu un choc. » Pierre, membre du corps enseignant. » © Guillaume Chauvin et Rémi Hubert, 2009.

Iran : qui a vraiment perdu les élections ?

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À court et moyen terme, nul ne sait qui va gagner le bras de fer engagé en Iran depuis les élections présidentielles du 12 juin. Mais même si le régime arrive à réduire ses opposants au silence et à se maintenir, les mollahs vont devoir réviser à la baisse leurs prétentions à ce que l’Iran accède au statut de puissance régionale. Dans la région comme dans le reste du monde, et malgré la lourde censure, on a vu les images venues de Téhéran. Même ceux qui croient et souhaitent dur comme fer à la victoire d’Ahmadinejad et de Khamenei sont bien obligés de se rendre à l’évidence : le régime peut basculer du jour au lendemain. Comme les conseillers et les princes après le premier malaise d’un roi craint et vieillissant, tous les protagonistes internationaux raisonnables doivent maintenant envisager ce scénario, qualifié il y a quelques semaines de wishful thinking.

Pendant les premiers jours de la crise, on pouvait encore croire à une querelle de famille entre les enfants de la révolution. Ahmadinejad aurait pu jouer le rôle d’un Premier ministre de la Ve République, celui du fusible qui protège le chef de l’Etat, mais la décision de Khamenei d’abandonner sa position d’arbitre non-partisan a compromis le régime tout entier.

Le mouvement de contestation a donc déjà marqué un premier point, non seulement contre le gouvernement, mais contre le régime lui-même, touché là où ça fait le plus mal : l’image et le prestige international. Les piètres performances de l’économie et l’incapacité du gouvernement à faire face aux problèmes d’emploi et de logement ont été longtemps contrebalancés par une politique militaire et extérieure ambitieuse. Comme au temps de l’Union soviétique, le prestige de l’Empire avec les défilés de missiles et autres armements à la pointe de la technologie étaient là pour détourner l’attention du peuple de son quotidien misérable.

Depuis la guerre contre l’Irak, le pays a su se reconstruire et se positionner comme une puissance régionale de premier plan. Jouant à fond la carte chiite, l’Iran a habillement tissé sa toile de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Les mollahs ont aussi compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’un soutien aux Palestiniens les plus intransigeants. Etre les champions de la lutte contre Israël et les Etats-Unis les qualifiait pour le leadership de l’ancien camp des non-alignés.

Cette stratégie de puissance a parfaitement fonctionné et l’Iran a savamment enterré deux mines que lui seul peut neutraliser ou faire exploser : d’une part, avec ses alliés libanais (le Hezbollah) et Palestiniens (le Hamas), Téhéran verrouille le conflit israélo-palestinien, d’autre part, sa puissance nucléaire lui confère une capacité de nuisance qui lui procure une marge de manœuvre confortable vis-à-vis des puissances mondiales. Dans le Golfe, après trente ans d’absence, Téhéran s’impose et certains, comme le Qatar, en ont déjà tiré les conclusions, au grand dam de l’Arabie Saoudite.

Cet édifice sophistiqué n’est pas en train de s’écrouler mais il est incontestablement fissuré. Et ça se voit. Le Hezbollah dont le financement, le poids politique et militaire, dépendent de Téhéran, doit élaborer un « plan B », car les jours difficiles peuvent arriver sans sommation. De même, le Hamas pourrait être amené à réviser sa ligne dure face à Jérusalem et Ramallah et peut-être à chercher de nouveaux alliés. Quant à la Syrie, Assad doit sans doute se rappeler son père, qui au moment de la chute brutale de l’Union soviétique, s’est trouvé presque du jour au lendemain dépourvu d’appui stratégique majeur.

Autre revers pour le régime, la carte nucléaire n’a pas fonctionné autant qu’espéré : en faisant du « droit au nucléaire » un argument de politique intérieure, il espérait que la fierté nationale, réelle, jouerait pour lui. La contestation montre que les rêves de puissance n’ont pas étouffé l’aspiration à la liberté tout de suite. La bombe n’est plus un projet national mais le projet du régime. On ne peut plus dire que « malgré tout, c’est une démocratie ».

En bref, et même si la contestation actuelle connaît le même sort que celui des étudiants en 1999, la légitimité de l’actuel gouvernement est entamée et le rayonnement du régime est terni pour longtemps. Et on peut ajouter qu’avec lui, c’est « l’Islam politique » tout entier qui perd son élan triomphaliste car de toute évidence pour beaucoup d’Iraniens, Islam is not the solution.

Farrah s’en va

65

La main droite, ou gauche, de tous les garçons ayant eu entre 12 et 16 ans en France, en 1978, est en deuil. Nous venons en effet d’apprendre le décès d’un cancer de Farrah Fawcett Major à l’age de 62 ans. Farrah Fawcett Major, qui fut à la ville la femme de L’Homme qui valait trois milliards, déclencha une véritable épidémie onaniste dans notre pays. Ceux qui découvrirent, en même temps que le deuxième choc pétrolier, la silhouette blonde et les yeux bleus de Farrah, alias Jill Monroe qui devait enchanter de sa présence lumineuse la série Drôles de Dames sur Antenne 2, ne manquèrent plus ce rendez-vous aussi sacré que la parution mensuelle de Lui. Seule une minorité d’intellectuels lui préférait la brune Jaclyn Smith quant à Kate Jackon et son allure d’institutrice, ses fans se limitaient à quelques pervers se destinant à l’éducation nationale. La gigantesque Farrah Fawcett Major, elle, aura eu une influence décisive, encore mal évaluée par les historiens et les sociologues, dans la création d’une libido masculine fantasmant sur les brushings à la lionne et les souitecheurtes rouges. Cela méritait d’être salué. Avec elle, c’est tout l’érotisme post-psychédélique de l’Amérique démocrate-cartérienne qui disparaît. Et notre jeunesse masturbatoire aussi.

Il n’y aura pas de loi sur la burqa

629

Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.

Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.

Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.

Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.

Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !

Rendez-vous en 2017 !

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Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.

Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.

Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…

Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.

Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.

Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.

Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.

Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…

A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…

Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.

A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…

Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.

Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.

Crisse de remaniement

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Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, le remaniement ministériel du 23 juin n’a pas été un simple jeu de chaises musicales organisé avant l’été par qui vous savez… Il marque un virage important dans la politique du gouvernement : à droite toute ! Est-ce vraiment bien raisonnable de jouer les libéraux par gros temps ? L’avenir le dira. Pour l’heure, une seule chose est acquise : fort des derniers succès électoraux de sa majorité, le Premier ministre a laissé parler son libéralisme grand teint… Et le signal le plus fort de ce nouveau cap est, évidemment, le changement de ministre de l’Economie, une décision qui n’a échappé à personne, sauf à ceux qui n’ont pas voulu prendre cette nouvelle réalité en compte. On souhaite d’ailleurs beaucoup de succès à Clément Gignac, que Jean Charest, Premier ministre du Québec, vient d’installer à la tête du ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Remaniement en-deçà de l’Atlantique, remaniement au-delà.