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Iran : qui a vraiment perdu les élections ?


Iran : qui a vraiment perdu les élections ?

À court et moyen terme, nul ne sait qui va gagner le bras de fer engagé en Iran depuis les élections présidentielles du 12 juin. Mais même si le régime arrive à réduire ses opposants au silence et à se maintenir, les mollahs vont devoir réviser à la baisse leurs prétentions à ce que l’Iran accède au statut de puissance régionale. Dans la région comme dans le reste du monde, et malgré la lourde censure, on a vu les images venues de Téhéran. Même ceux qui croient et souhaitent dur comme fer à la victoire d’Ahmadinejad et de Khamenei sont bien obligés de se rendre à l’évidence : le régime peut basculer du jour au lendemain. Comme les conseillers et les princes après le premier malaise d’un roi craint et vieillissant, tous les protagonistes internationaux raisonnables doivent maintenant envisager ce scénario, qualifié il y a quelques semaines de wishful thinking.

Pendant les premiers jours de la crise, on pouvait encore croire à une querelle de famille entre les enfants de la révolution. Ahmadinejad aurait pu jouer le rôle d’un Premier ministre de la Ve République, celui du fusible qui protège le chef de l’Etat, mais la décision de Khamenei d’abandonner sa position d’arbitre non-partisan a compromis le régime tout entier.

Le mouvement de contestation a donc déjà marqué un premier point, non seulement contre le gouvernement, mais contre le régime lui-même, touché là où ça fait le plus mal : l’image et le prestige international. Les piètres performances de l’économie et l’incapacité du gouvernement à faire face aux problèmes d’emploi et de logement ont été longtemps contrebalancés par une politique militaire et extérieure ambitieuse. Comme au temps de l’Union soviétique, le prestige de l’Empire avec les défilés de missiles et autres armements à la pointe de la technologie étaient là pour détourner l’attention du peuple de son quotidien misérable.

Depuis la guerre contre l’Irak, le pays a su se reconstruire et se positionner comme une puissance régionale de premier plan. Jouant à fond la carte chiite, l’Iran a habillement tissé sa toile de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Les mollahs ont aussi compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’un soutien aux Palestiniens les plus intransigeants. Etre les champions de la lutte contre Israël et les Etats-Unis les qualifiait pour le leadership de l’ancien camp des non-alignés.

Cette stratégie de puissance a parfaitement fonctionné et l’Iran a savamment enterré deux mines que lui seul peut neutraliser ou faire exploser : d’une part, avec ses alliés libanais (le Hezbollah) et Palestiniens (le Hamas), Téhéran verrouille le conflit israélo-palestinien, d’autre part, sa puissance nucléaire lui confère une capacité de nuisance qui lui procure une marge de manœuvre confortable vis-à-vis des puissances mondiales. Dans le Golfe, après trente ans d’absence, Téhéran s’impose et certains, comme le Qatar, en ont déjà tiré les conclusions, au grand dam de l’Arabie Saoudite.

Cet édifice sophistiqué n’est pas en train de s’écrouler mais il est incontestablement fissuré. Et ça se voit. Le Hezbollah dont le financement, le poids politique et militaire, dépendent de Téhéran, doit élaborer un « plan B », car les jours difficiles peuvent arriver sans sommation. De même, le Hamas pourrait être amené à réviser sa ligne dure face à Jérusalem et Ramallah et peut-être à chercher de nouveaux alliés. Quant à la Syrie, Assad doit sans doute se rappeler son père, qui au moment de la chute brutale de l’Union soviétique, s’est trouvé presque du jour au lendemain dépourvu d’appui stratégique majeur.

Autre revers pour le régime, la carte nucléaire n’a pas fonctionné autant qu’espéré : en faisant du « droit au nucléaire » un argument de politique intérieure, il espérait que la fierté nationale, réelle, jouerait pour lui. La contestation montre que les rêves de puissance n’ont pas étouffé l’aspiration à la liberté tout de suite. La bombe n’est plus un projet national mais le projet du régime. On ne peut plus dire que « malgré tout, c’est une démocratie ».

En bref, et même si la contestation actuelle connaît le même sort que celui des étudiants en 1999, la légitimité de l’actuel gouvernement est entamée et le rayonnement du régime est terni pour longtemps. Et on peut ajouter qu’avec lui, c’est « l’Islam politique » tout entier qui perd son élan triomphaliste car de toute évidence pour beaucoup d’Iraniens, Islam is not the solution.

Juillet 2009 · N°13

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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