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Honduras, mon beau souci

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Soudain, j’ai eu l’impression d’avoir neuf ans. En soi, ce n’était pas désagréable. Ce qu’on a vu, brièvement, sur nos écrans et qui m’a donné cette sensation, en revanche, l’était bien davantage. Des militaires, dans une capitale latino-américaine, qui sillonnent des avenues plus désertes que le cerveau d’un néo-conservateur. Des blindés qui prennent position devant un palais présidentiel. Des manifestations populaires, entre trouille et héroïsme, dispersées par des coups de feu.

J’ai cru, comme on dit dans les romans de science-fiction, à une déchirure du continuum spatio-temporel. J’étais revenu au 11 septembre[1. Il y a de ces dates tout de même. Et dire que c’est pourtant le jour anniversaire de la naissance d’une de nos plus charmantes causeuses.] 1973 et la première chaîne en noir et blanc montrait l’armée chilienne cernant et bombardant Allende et ses derniers partisans dans le palais de la Moneda, pour la plus grande gloire de la CIA, d’ITT, des actionnaires des mines de cuivre et du général Pinochet.

Mais non, je n’avais plus neuf ans. Il y en avait maintenant des centaines, de chaînes, toutes en couleurs, dont certaines prétendent à une information en flux continu et pourtant se montraient bien avares d’informations sur la question. En même temps, ce n’était rien, ce n’était qu’un coup d’Etat, un putsch, un golpe, un pronunciamiento, et dans un pays d’intérêt franchement secondaire : le Honduras. Même pas une équipe de foutebaule digne de ce nom, c’est dire… Bref, un événement très périphérique. Vous imaginez un peu, ce qu’on peut en avoir à faire du Honduras, quand Téhéran s’enflamme et que Maïqueule Djaquesonne vient de mourir. Non, soyez sérieux, il faut savoir hiérarchiser l’information, tout de même. Et puis titrer sur « Coup d’État à Tegucigalpa », cela vous a tout de suite l’allure d’un SAS des années 1970, ce qui manque de crédibilité pour les journaux de référence.

Mais voilà, le président renversé est bolivarien, c’est-à-dire très proche d’Hugo Chavez. Il s’appelle Manuel Zelaya et, à l’origine, était plutôt un homme de droite. Seulement, il s’est aperçu que la politique de Chavez, ce n’était pas si mal. Que la finalité de tout gouvernement, comme on le sait depuis Aristote, devrait être la philia, c’est-à-dire une certaine concorde entre les citoyens, une volonté d’harmonie et que cela suppose une relative égalité, donc une redistribution la plus juste possible des richesses produites. On s’excuse de dire tant de gros mots au pays du bouclier fiscal, mais il semblerait que quelque chose qui ressemble à la construction d’un socialisme du XXIe siècle soit en train de se jouer, en ce moment précis, dans toute une série de pays latino-américains, et que cette construction se fasse, ô rage, ô désespoir, avec l’assentiment des peuples qui reconduisent leurs gouvernants aux affaires avec une régularité désespérante pour l’observateur néo-libéral alexandreadlérisé.

Que s’apprêtait à faire Manuel Zelaya ? À organiser un référendum constitutionnel l’autorisant à se représenter. Les observateurs estiment qu’il allait le gagner de manière écrasante. Manuel Zelaya, contrairement à Nicolas Sarkozy, quand il veut changer sa constitution, le demande à son peuple. Il ne compte pas sur une unique voix de majorité au Congrès, celle d’un ex-futur ministre d’ouverture qui paraît-il est toujours socialiste. Mais demander son avis au peuple, pour le néo-libéral alexandradlerisé, et surtout depuis le référendum de 2005, c’est populiste. D’ailleurs, c’est bien connu, tous les chefs d’Etats bolivariens sont populistes. Populiste, dans la novlangue de l’Empire du Bien, fait partie du tiercé de la disqualification, juste après antisémite et pédophile. Plus généralement, il y aura, à l’avenir, une histoire à écrire du traitement de la révolution bolivarienne par les médias français. Les « spécialistes » du Monde par exemple, comme Marie Delcas ou Paulo Paranagua, écrivent sur la question des articles tellement caricaturaux qu’ils seraient refusés par la CIA qui trouverait ça un peu gros, même pour une opération de déstabilisation à l’ancienne.

Ce qui gêne, chez Chavez, Morales, Correa, Ortega, c’est qu’ils sont en train de réussir. Là où comme n’importe quel militaire hondurien, le penseur de garde français veut voir des dictateurs marxisants, il y a en fait une politique du « prendre soin », telle que la définit Stiegler où le rapport à l’autre, au monde, à l’amour est en passe d’être réinventé. Qui sait que Chavez lit davantage Les Evangiles, Don Quichotte et Les Misérables[2. Chavez a fait distribuer dans les quartiers pauvres de Caracas, à l’été 2006, demi-million d’exemplaires de Don Quichotte. Il a beau avoir serré la main d’un ministre au nom de la real politik, ce que je déplore, ce genre de geste me fait dire qu’il n’a pas grand chose de commun avec les massacreurs enturbannés du Hamas ou de Téhéran. D’ailleurs, d’après mes informations, il y aurait moins de burqas à Caracas que dans certaines banlieues françaises. L’émancipation, sans doute…] que Marx et Engels pour mener sa politique ? Et qu’il pense déjà à l’après-pétrole alors que ce fut le carburant de sa révolution ? Que la fameuse phase du dépérissement de l’Etat, qui devrait pourtant plaire à nos libéraux, semble même déjà entamée avec des transferts de pouvoir de plus en plus grands aux communautés de base (communes, conseils ouvriers et paysans, etc.) ? Alors évidemment, comme le capitalisme est entrain de retourner à l’âge de pierre, ça énerve.

Ça énerve tellement qu’on poutche. Manuel Zelaya s’est retrouvé arrêté dans ses propres bureaux, envoyé au Costa Rica et au revoir monsieur. Confessons-le, nous avons cru à un moment à un coup des Américains. C’est vrai, quoi, la situation avait quand même un côté très vintage guerre froide. On s’était dit : « Tiens, Obama, il en profite que toute la planète ait les yeux tournés vers l’Iran pour renouer avec la bonne vieille doctrine Monroe qui veut que l’Amérique centrale et caraïbe soit l’équivalent de notre Françafrique. »

Mais non, la condamnation est tombée, ferme et sans appel, avec demande d’explication aux ambassadeurs et tout l’habituel toutim diplomatique. Celui qui a dû être embêté, c’est Roberto Micheletti, actuel président par intérim, et candidat malheureux à l’élection présidentielle. Il s’est trompé d’époque, le pauvre homme. Il a cru bien faire et voilà que tout le monde lui tombe dessus à l’ONU comme ailleurs. Même à Washington. Il doit se sentir presque aussi bête que certains journalistes français qui ont osé, dès le renversement de Zelaya connu, avancer l’explication d’une armée hondurienne sauvant la légalité et la liberté. Ce que furent d’ailleurs les arguments, déjà, d’une bonne partie de la presse française en… 1936 pour justifier l’agression franquiste contre la toute jeune République espagnole.

Alors, que cette sinistre pantalonnade serve au moins à modifier la perception caricaturale que l’on veut donner sous nos latitudes de l’ALBA (Alternativa Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América), un traité politique et commercial destiné résister à l’impérialisme étatsunien et à ses tentatives constantes de déstabilisation. L’ALBA comprend, outre le Honduras, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et Cuba, des pays qui tentent d’élaborer une alternative à la catastrophe en cours et où les indicateurs de santé, d’éducation, de lutte contre les cartels et l’insécurité endémique semblent, enfin, indiquer que ces peuples potentiellement riches pourraient sortir de la misère noire.

Alors, sans croire pour autant aux modèles clés en main, on pourrait peut-être cesser de les caricaturer et les regarder faire. Et, peut-être, essayer à notre tour deux ou trois de leurs idées. Parce que depuis septembre 2008, sincèrement, on n’a plus grand chose à perdre.

Fluide est agile

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L’art de Gainsbourg ne ressemble à rien d’autre. Celui de Bashung pas davantage. Il n’en va pas autrement de celui d’[aji].

La boîte noire de l’OVNI n’a toujours pas été retrouvée. Pourtant, les autorités martiennes sont formelles : le véhicule aurait été dérobé par un terrien encore non-identifié, dans le sang duquel elles soupçonnent d’ores et déjà la présence de fortes quantités d’alcool et de poésie. (Du coup, les martiens sont verts, forcément.)

Nous ne connaissons de son nom que sa prononciation : [aji]. En marocain, cela signifie « viens ! ». Alors, allez-y ! Vous n’en reviendrez pas.

Il est vain d’envoyer des fleurs à [aji]. Dès le seuil, dès la première des quatorze marches de Fluide, on voit ce qu’il en fait : il les piétine à l’envi pour en faire sa couche. Les artistes, ce gars-là, il les mange.

Avec [aji], plus moyen non plus de néantiser à Paris-Cages. Il y déchaîne sans ambages l’océan en personne, l’océan soi-même, ce machin insensé bouillonnant d’embruns et qui peut faire mal aux bobos, voire même l’inverse.

[aji] estime que nous vivons dans une « époque statique, aux mœurs paralytiques ». Il aimerait que « des astéroïdes réveillent ces humanoïdes ». Avec Fluide, voilà qui est fait.

Je dois cependant vous mettre en garde contre un autre fléau demeuré jusqu’à présent inexpliqué : la plupart de ceux qui ont écouté [aji] se sont fait écraser quelques heures plus tard en traversant un passage-piéton. Mais ce n’est pas phénomène propre à émouvoir l’animal : « Toutes les catastrophes [lui] semblent naturelles ».

Lyriquement et humoristiquement, [aji] rend sensible le néant métaphysique absolu de l’enfer contemporain, où seuls les supermarchés parlent encore aux périphériques. Son écriture ciselée, ses vers de laine, font saigner exactement ce qui nous manque. Ils nous font un mal de chien à l’absolu. Tant mieux.

Les musiques superbes, de styles invariablement variés, qui servent les mots et la voix très belle d’[aji], sont dues à une bande de cinglés improbables : Théo Josso, Laurent Le Corre, Rachid Sefrioui, Benjamin de Roubaix, Evrim Evci, Lionel Lecointe et Jean Barthélémy. Une bande d’[aji]tés, j’avoue.

Fluide s’achève par un poème sans musique, qui déconne pas vraiment rose dans l’espérance, comme dirait Louis.

Pourtant, il vous est permis de chercher une lueur d’espoir : c’est celle du zinc doré du Galactic Bar, sur lequel « un soir un perroquet prédit la fin ».

Le Galactic Bar, où la métropole terminale s’inverse en océan, est d’un accès aussi simple que difficile : il brille, là-bas, tout au fond de nos cœurs sales.

Sarkozy-Olivennes, où est le problème ?

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On nous dit que le service politique du Nouvel Observateur gronde. Son nouveau patron, Denis Olivennes se serait vendu à l’Infâme. Chez mes amis de Marianne2, Régis Soubrouillard nous explique que le Nouvel Obs veut devenir la gazette de la Cour. Je suis vraiment désolé mais Régis se trompe.

Malgré tous les beaux discours républicains d’Henri Guaino, Nicolas Sarkozy a toujours été fasciné par la « deuxième gauche ». Lorsqu’il était le factotum d’Edouard Balladur, alors que ce dernier, Premier ministre, préparait sa quête de la présidence, l’actuel locataire de l’Elysée entretenait les meilleures relations avec toute l’intelligentsia politico-médiatique qui se réunissait dans la Fondation Saint-Simon. Alain Minc, déjà à l’œuvre, se définissait « de gauche et libéral », et milita ouvertement pour Edouard Balladur, cela rapidement facilité par le fait que Jacques Delors eût exprimé son peu de goût pour les campagnes électorales. Nicolas Sarkozy tira deux conclusions de cette époque. D’abord, il ne faut absolument pas être identifié à la « pensée unique » et il faut toujours la vilipender, ainsi que l’avait fait Jacques Chirac. Enfin, et surtout, ces idées là sont évidemment les bonnes et il faut les mettre en œuvre discrètement, c’est à dire en les travestissant d’un discours inverse.
Cette stratégie fut admirablement appliquée lors de la campagne présidentielle de 2007. Profitant de l’absence d’un candidat gaulliste, il put tenir le discours républicain et patriote qu’attendait son électorat, tout en veillant bien à ce que le programme de l’UMP, en parfaite contradiction avec ses prestations publiques, détaille toutes les mesures à prendre dans la volonté d’adaptation à la mondialisation, vieille marotte de la droite libérale et de la gauche libérale.

Traité de Lisbonne, Rapport Attali, appel à Kouchner et Jouyet, appui de la candidature de DSK au FMI inaugurèrent ainsi les premiers mois du quinquennat Sarko. Il y eut aussi la remise du rapport Olivennes – tiens, tiens[1. Denis Olivennes, alors patron de la FNAC, proposa alors l’essentiel de ce qui allait devenir la Loi HADOPI. A passage, demander à un vendeur de disques de pondre un rapport sur le sujet revenait à commander une étude sur l’alcoolisme au PDG de Pernod-Ricard.]… Seulement voilà, bien que fasciné par l’intelligence de ces gens là, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas s’empêcher de se comporter comme un vulgaire Bernard Tapie, horresco referens dans ce milieu. C’est là qu’interviennent deux évènements majeurs : Carla et la crise.

Grâce au mariage avec Carla Bruni, Nicolas Sarkozy a pu reprendre langue avec la gauche caviar. Après avoir tenté une communication mélangeant maladroitement George Bush et Georges Marchais, il s’est rendu compte, qu’il s’agissait là d’une impasse. En découvrant que les références négatives à La Princesse de Clèves avaient produit un engouement pour Madame de La Fayette au point que cette dernière grimpa en flèche aux classements des ventes, Carla et les communicants de l’Elysée s’activèrent et on apprit que le Président lisait maintenant Zola dans l’avion présidentiel, même si la conversion se révélait peu naturelle[2. Au point qu’il prononça “Roujon-Macquart” au lieu de Rougon-Macquart devant les journalistes stupéfaits.].

Et puis il y eut la crise où Nicolas Sarkozy exécuta une pirouette digne des meilleurs gymnastes : il n’eut plus que le mot “régulation” à la bouche, mot qui résonne agréablement aux oreilles des sociaux-démocrates de tout poil. Surtout pas de protectionnisme, cela ferait de la peine à Pascal Lamy et à DSK, mais de la ré-gu-la-tion ! En fait, on tente à peine de réguler le système bancaire et financier et c’est quand même la moindre des choses quand les Etats sauvent ce dernier de la faillite. En ce qui concerne les échanges de biens manufacturés, en revanche, il n’est pas question de réguler du tout. Le monde est mondial, ainsi que le chantent depuis longtemps Jacques Attali, Alain Madelin et Daniel Cohn-Bendit.

Denis Olivennes, en définitive, sert les idées qu’il a toujours défendues. Jean Daniel l’a compris, lui le fondateur du journal. Les journalistes du Nouvel Obs, si on leur explique bien, devraient bien finir par le comprendre eux aussi.
En revanche, pourquoi Valeurs actuelles n’est pas encore un journal d’opposition ? Cela, j’ai davantage de mal à me l’expliquer…

Don’t cry for me, Alaska

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Sarah Palin ne se contente pas d’être sublimement belle, de maîtriser parfaitement le clignement d’œil avec une coquetterie piquante et de représenter l’archétype irrésistible de la sensualité quadra, elle sait aussi imposer sa chance, serrer son bonheur et aller vers son risque. Ce 3 juillet, veille de la Fête Nationale étatsunienne, elle a annoncé sa démission de gouverneur de l’Alaska depuis sa résidence de Wassila. Elle a également précisé qu’elle ne briguerait pas ne nouveau mandat aux élections du mid-term de 2010 à ce poste. Elle a évidemment créé une surprise considérable. Dans le camp républicain, on s’accorde à penser qu’il s’agirait d’un coup politique afin de mieux se positionner dans la course à la présidentielle de 2012. Même si cette stratégie audacieuse est bien digne de celle qui allie un physique divin à un véritable génie politique, nous serions plus enclins à suivre certains commentateurs qui évoquent à mot couvert une love story avec un écrivain français qui travaillerait régulièrement pour un salon de discussion on line.

Exit Laporte, par la petite porte

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C’est une banale et triste histoire de maltraitance. Celle d’un brave garçon, un peu simplet mais généreux, lâché dans un monde de brutes qui s’ingénient à faire de sa vie un enfer. Comme souvent dans ce genre de circonstances, la loi du silence et l’indifférence des voisins laissent se perpétuer une situation intolérable.

Pendant deux ans, jour après jour, un homme a été en butte aux humiliations, coup bas, lazzis et avanies de la part de ses camarades de travail, qui avaient fait de lui leur tête de turc.

Cet homme s’appelle Bernard Laporte, ci-devant secrétaire d’Etat aux sports, dont Nicolas Sarkozy vient de mettre fin au calvaire en l’exfiltrant d’un gouvernement où il souffrait le martyre.

C’est dans Paris Match, qui, cette fois-ci, se penche sur une vraie détresse, que Bernard Laporte a raconté ses malheurs.

On lui a tout fait. Passe encore que sa ministre de tutelle, la redoutable Rosine Bachelot, ait limité son pré carré à un bac à sable où il pouvait faire mumuse pendant qu’elle allait parader dans les temples du sport-spectacle : la politique, c’est un métier, et les arpettes doivent en baver jusqu’à ce qu’ils deviennent assez costauds pour se faire respecter.

Brimé par sa patronne, Bernard aurait pu trouver quelque réconfort auprès de ses camarades de chambrée du gouvernement Fillon. Il n’en fut rien. Au contraire, chacun s’ingéniait à en rajouter dans les brimades, bizutages et autres cruautés dont seuls les enfants dans les cours de récréation et les membres d’un gouvernement de la République sont capables.

Dans ces jeux pervers, les filles ne sont pas les dernières à se mettre en avant, avec une perfidie encore plus cruelle pour les victimes que la brutalité fruste des mâles. Ainsi, Rachida Dati laissa courir la rumeur d’un Laporte géniteur de sa petite Zohra sans tenir compte des dommages que ce bobard allait provoquer dans la famille de l’ancien entraîneur de l’équipe de France de rugby. « Rachida, du moment qu’on parle d’elle, elle est contente ! », explique Bernard, qui se demande aujourd’hui si l’ex-Garde des sceaux n’était pas elle-même à la source de cette rumeur dévastatrice.

Dans le milieu dont Bernard est issu, on sait depuis longtemps que les gonzesses ne sont bonnes qu’au pieu ou à la cuisine, et nulle part ailleurs, et que la bonne odeur des vestiaires après le match et les libations de la troisième mi-temps sont les remèdes les plus efficaces contre les coups durs de la vie.

Laporte a fait l’expérience que la politique, c’est encore moins les bisounours que le rugby. Il en veut particulièrement à Bernard Kouchner, non de lui avoir fait un coup de vice lors d’une mêlée ministérielle, mais de l’avoir purement et simplement ignoré, de ne pas lui voir accordé plus d’attention qu’à un garde républicain de l’Elysée : « Il ne m’a jamais dit bonjour, jamais adressé la parole », se plaint-il, en constatant, amer, qu’il était « transparent » aux yeux du ministre des Affaires étrangères.

Et de conclure, non sans lucidité : « Pour eux, je n’avais pas les codes, pas le vernis, pas les réseaux, je n’existais pas. »

J’avoue avoir été, un bref instant, saisi d’une compassion pour ce « petit Chose » jeté dans la foire aux vanités politiques, enclin à me faire le défenseur du brimé contre ses tourmenteurs. Et puis m’est revenu en mémoire le Laporte éructant contre ses joueurs à la mi-temps, les traitant plus bas que terre au prétexte de les motiver. C’est peut être efficace – encore que son successeur Marc Liévremont obtienne des résultats honorables avec des méthodes moins brutales –, mais cela relativise considérablement les lamentations du secrétaire d’Etat remercié. Sarkozy aurait dû appeler son compère Jo Maso au gouvernement, au moins les choses auraient été claires.

Luc Chatel, « soit-disant » expert en éducation

Pour une fois médisant, le journal Libération croit devoir nous informer que le nouveau ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, ne se serait jamais exprimé sur les questions brûlantes dont il devra dorénavant s’occuper. C’est une erreur. En fouillant bien, on trouve en effet sur le très contournable blog du nouveau ministre une note, en date du 12 avril 2007, appelant à une reforme d’urgence de l’Université.

Certes, Luc Chatel à l’Education n’aura pas directement la lourde tâche de porter la réforme perpétuelle de l’Université que poursuit aujourd’hui Valérie Pécresse, mais celle-ci pourra, pour achever enfin la réforme en question (en même temps que son objet), s’inspirer des réflexions définitives sur l’Université compilées par le nouveau ministre dans son articulet. On y lit notamment que « sous couvert d’une soit-disant (sic) impossibilité de réformer l’université, la France entame un retard considérable dans ce domaine ».

Que le nouveau pensionnaire de l’Hôtel de Rochechouart puisse envisager que la France « entame un retard considérable » dans un domaine quelconque, cela n’étonnera que ceux qui ne lisent pas L’Express.fr et ignorent donc que la chanson préférée du nouveau ministre de l’Education est l’inécoutable Stayin’Alive des Bee Gees, que son livre favori est signé Madame de La Fayette, pardon, Alain Peyrefitte, sans parler de son émission télé culte, le seul classique audiovisuel encore diffusé de nos jours, je veux dire Téléfoot.

Valérie Pécresse pourra aussi s’intéresser à la mesure phare proposée par Luc Chatel dans cette note : la création de zones franches dans les universités, « afin de simplifier l’installation d’entreprises à proximité ». L’idée étant sans doute de permettre aux étudiants d’y travailler le dimanche, et même les autres jours, puisque l’obsession du ministre est de « palier l’inadéquation entre les formations des jeunes diplômés et les besoins du marché du travail », par la création d’un service de l’orientation « mieux connecté ». Entre deux sourires, on aura néanmoins un peu d’indulgence pour notre nouveau ministre, qui a des circonstances atténuantes : il n’est pas comme son prédécesseur agrégé de lettres classiques, mais titulaire d’un DESS de Marketing.

La cantatrice morte

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Séquence 1 : Deux parfaits hommes du monde, debout, en smoking, tiennent des coupes de champagne et une bouteille. Le premier porte élégamment la coupe à ses lèvres, puis lève le visage vers le ciel et crache une fontaine de champagne qui pleut sur son visage. Ils échangent un sourire de jubilation complice et, l’instant d’après, reprennent leur attitude distinguée et altière, tandis que le second homme se livre à son tour au même rituel, qui se répète à l’infini.

Séquence 2 : Une femme bande de ses mains les yeux d’un homme. L’homme se met à courir en cercle de manière effrénée, en tirant la femme derrière lui, comme un cheval aussi puissant qu’aveugle. Ce mouvement évoque une joie absolue et un désespoir absolu, absolument inséparables l’un de l’autre.

Séquence 3 : Une femme se coiffe avec de la laque, très longuement, avec délectation, donnant un immense volume à sa chevelure tout en regardant le public avec une fierté enivrée. Une autre femme arrive du fond de la scène, arborant une crinière prodigieuse, deux fois plus haute que celle de la première femme. Elle se promène d’un air indolent, détaché, tandis que sa rivale sombre dans le désespoir.

Séquence 4 : Un télévendeur postmoderne, affublé d’un casque et d’un micro, assis devant son écran, enregistre à l’infini des commandes de pizzas en répétant sans fin en américain les mêmes phrases toutes faites, avec un faux enjouement mécanique. Simultanément, l’autre partie de la scène est occupée par un tableau tragique. Une dizaine d’hommes et de femmes à quatre pattes, le visage tourné vers le sol, semblable à un troupeau épuisé et désespéré, pousse de la tête une très grande table qui glisse sur le sol sans que nul ne sache où il faut la conduire. Pourtant, leur destin ne dépend que de cette question.

Séquence 5 : Une charmante jeune femme en bikini est vêtue d’une robe de ballons rouges. Elle regarde avec coquetterie un groupe d’hommes torses nus en train de fumer. Les hommes s’approchent soudain avec une lenteur sadique et la dénudent en crevant les ballons un à un avec leurs cigarettes, tandis qu’elle pousse des cris suraigus à chaque explosion.

La femme qui nous a fait voir à travers la chair de ses danseuses et de ses danseurs ces cinq visions, et mille autres, la reine de l’imagination exacte, la chorégraphe et danseuse Pina Bausch est morte d’un cancer à l’âge de 68 ans.

Je me rappelle la première rencontre, il y a treize ans environ. Mon ami B., envers qui ma gratitude n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui, m’invita un soir au Théâtre de la Ville. Au commencement de la pièce, une femme s’avança du fond de la scène en traînant une jambe raide, le corps figé, boitant avec une extraordinaire bizarrerie. Une femme pâle, infiniment maigre, le corps sillonné par le temps, une femme d’une tristesse infinie. Une femme d’une beauté inconcevable : elle, Pina Bausch. Arrivant à hauteur du premier rang des spectateurs, elle a serré une première main, tendant le bras d’un geste roide et, d’une voix tout aussi figée, mécanique, mimant un enthousiasme extrême, elle a lancé, en anglais : « I love Paris ! I love Paris ! » Puis la scène s’est répétée avec une vingtaine de spectateurs, toujours à l’identique, l’immense danseuse allant de l’un à l’autre de la même démarche d’infirme, de crabe paralytique. Enfin, elle a gagné le fond de la scène en continuant toute seule, dans le vide, sa rengaine mécanique. La scène était parfaitement grotesque. Et d’une parfaite étrangeté. Mais elle était aussi incompréhensiblement bouleversante, soulevant le fond de l’âme, c’est-à-dire le fond du corps. Pendant une heure et demi, du commencement jusqu’à l’entracte, puis à nouveau une heure et demi, après l’entracte, il m’est arrivé une chose qui ne m’est jamais advenue une autre fois dans ma vie : toutes les larmes de mon corps, toutes les larmes de mon existence, se sont mises à couler sans discontinuer. Et, simultanément ou presque, pendant trois heures, j’ai ri, de tout mon corps, j’ai ri.

Je défie quiconque d’assister à une pièce de Pina Bausch sans sentir son corps tout entier devenir mémoire vive, chair de temps. Sans voir sous ses yeux défiler toute sa vie, tous ses amours, toute sa misère, tous les échecs de sa vie, toutes les joies pures.

Qui est cette boiteuse misérable ? J’ai pensé immédiatement à Joséphine la cantatrice ou Le peuple des souris, la nouvelle écrite par Kafka au sanatorium quelques mois avant sa mort. Pina Bausch, c’est Joséphine. Joséphine, la plus indigente des souris, incapable de chanter, comme elle est incapable de vivre. Plus que toute autre, elle est indigne et incapable de faire partie du peuple des souris. Parfois cependant son chant manqué, boiteux, la misère infinie de son chant au dessous de tout chant, deviennent soudain un sifflement, un sifflement curieux, irrésistible, envoûtant, qui transfigure le peuple tout entier. Qui fait renaître la communauté tout entière dans son impitoyable vérité musicale. Fellini savait lui aussi que Pina Bausch est notre cantatrice. C’est dans ce rôle qu’elle apparaît de manière éblouissante dans E la nave va : une cantatrice, une cantatrice aveugle, pour qui les sons sont devenus des couleurs intérieures.

Nous aurons besoin du chant de Pina Bausch jusqu’à notre mort, c’est prévisible. Notre dette envers son drôle de sifflement, son art, est infinie.

NPA/Michael Jackson : l’étau se resserre

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Michael Jackson était-il membre du NPA ? Pour incongrue que puisse paraître la question, et sans sombrer dans le complotisme, il est tout de même étrange de constater un nombre de similitudes entre le chanteur récemment décédé et l’officine trotskyste ripolinée qui dépasse, à notre avis, la simple coïncidence. Sans même prendre en compte le fait que Bambi semble avoir été l’icône partagée par facteur de la Quatrième Internationale et par l’inventeur du mouneouaulque, comment ne pas constater que le NPA et Michael Jackson ont en commun d’avoir voulu cacher leurs origines, d’avoir pour cela utilisé la chirurgie esthétique, d’être partis en morceaux suite aux opérations ratées, (ça démissionne pas mal dans les instances du NPA pour rejoindre le Front de Gauche ces jours-ci), d’être morts et malgré tout d’être toujours présents, sur toutes les chaînes, aux heures de grande écoute alors que de fait, ils n’existent plus.

Les dégonflés

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Souvenons nous. 1999, la croissance, Jospin, la gauche plurielle, les 35 heures, le temps libre. Michelin, cette belle entreprise chérie des Français, ce symbole du rayonnement de mondial de notre industrie fait la gaffe du siècle quand le groupe annonce 7500 « suppressions d’emplois », malgré ses résultats financiers en forte hausse. Aussi sec, la Bourse salue l’opération et le titre prend 20% dans la journée…

1999, c’était il y a mille ans. Ce qui avait fait scandale à l’époque, c’était aussi la réponse de Lionel Jospin, auxdits ouvriers ainsi qu’aux autres plansocialisés par des entreprises ultraprofitables (comme Danone-Lu). Jospin leur avait dit : « l’Etat ne peut pas tout ». En clair : démerdez vous avec l’ANPE, ce qu’il reste de syndicats et le grand capital. La gauche a eu le mérite en une phrase d’annoncer son impuissance politique, refusant même toute discussion sur la possibilité de faire voter un amendement qui aurait sévèrement limité la possibilité pour une entreprise profitable de licencier. Ceux pour qui l’Etat-Jospin ne pouvait rien s’en souviendront, de la façon qu’on sait, en 2002, sans que la gauche, une fois séchées ses larmes du 21 avril, en tire jamais les conséquences. Etonnez-vous après ça que les métallos des vallées perdues des Ardennes, aient voté en 2007, pour celui qui leur promettait de ne pas laisser dormir en paix les patrons voyous et d’aller chercher la croissance avec les dents. Certes, pas plus que la gauche, Sarkozy n’a jamais eu l’intention de faire quoi que ce soit, mais au moins, il aura eu les mots qu’il faut, ça méritait une récompense…

Nous voici en 2009, et Michelin nous refait le coup de la « suppression de postes ». Derrière ces mots cliniques, certaines usines seront rayées de la carte, d’autres vidées, comme à Montceau les Mines, de la moitié de leurs ouvriers, prélude habituel à la fermeture totale. Bien sûr, cette fois, Michelin n’affiche pas de résultats financiers faramineux, mais dans le fond on y est presque. Le groupe annonce un milliard d’euros d’investissements en Inde. Je fabriquerais des pneus, je ferai pareil, disons-le. L’Indien va bien finir par s’enrichir, donc autant lui refourguer de la camelote locale. Mais j’aurais peut-être un peu plus de décence et j’éviterais de dire aux licenciés et aux pouvoirs publics français que tout ça, ma pauvre dame, c’est la faute à la crise mondiale qui n’en finit pas.

Car quand que libéral de choc Michel Rollier, le patron de Michelin, nous explique la dure réalité de la crise, et se casse avec l’argent public sans être inquiété par la police, il oublie juste de dire que c’est cette saleté d’Etat-Providence et ce crétin de contribuable qui l’ont aidé à coups de milliards d’argent public à moderniser ses usines, qui l’ont exonéré de dizaines de millions de cotisations sociales pour annualiser le temps de travail, et qui, bien sûr, financeront demain son plan « social ».

Mais Rollier aurait tort de se priver : personne n’ira lui porter la contradiction. La gauche, le PS et le PC, dont c’est quand même un peu le métier est aux abonnés mourants. Allez vas-y, tape, lui dit l’électeur d’en bas genre moi-même. Y’a un boulevard! Venge la jospinade, retrousse tes manches camarade et va chercher enfin ton électorat avec les dents. Ce serait tellement simple, en vérité : un peu de démagogie, un peu de moralité, on n’est même pas obligé de faire de l’économie. Mais la gauche ne dit rien. Elle manifestouille en traînant les pieds, envoie des communiqués à l’eau de rose du genre « si ça continue, il faudra que ça cesse ». Et pis c’est tout. Manque d’idées ? Pré-canicule ? Non, c’est juste qu’elle a elle aussi, comme Jospin, comme Sarkozy, baissé les bras. Elle préfère se payer des indignations environnementales, constitutionnelles, homophiles, libertitudesques, et j’en passe. Les patrons voyous peuvent dormir tranquille, l’électrosocialogramme de la gauche est aussi plat qu’un film d’Emmanuel Mouret. Va falloir bouger, les petits, sinon, chez vous aussi on va bientôt baisser le rideau…

Ne cherchez rien ici à propos du NPA, on est pas là pour rire les amis.

Sarkozy, remanieur universel

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L’hyperractivité du président de la République ne semble pas absorber la totalité de son énergie vitale. Ainsi, il ne lui suffit pas d’assumer seul la tâche délicate de nommer, déplacer ou congédier les membres du gouvernement français. Il s’est trouvé une activité complémentaire et, espérons-le pour lui, convenablement rémunérée de consultant international en remaniement. La télévision israélienne rapporte en effet que, lors de son récent entretien à l’Elysée avec Benyamin Nétanyahou, Nicolas Sarkozy a fortement incité son interlocuteur à virer le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, pour le remplacer par Tzipi Livni. L’intéressé a moyennement apprécié et l’a fait savoir dans un communiqué furibard de son ministère. Sarkozy devrait se méfier : l’ex-Moldave Lieberman a beau être surnommé Yvette par ses amis, ce n’est pas une gonzesse. On lui connait quelques relations anciennes et étroites dans les quartiers chauds de Kiev, Chisinau ou Odessa, qui n’hésitent devant rien pour laver l’honneur bafoué de leurs vieux amis.

Honduras, mon beau souci

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Soudain, j’ai eu l’impression d’avoir neuf ans. En soi, ce n’était pas désagréable. Ce qu’on a vu, brièvement, sur nos écrans et qui m’a donné cette sensation, en revanche, l’était bien davantage. Des militaires, dans une capitale latino-américaine, qui sillonnent des avenues plus désertes que le cerveau d’un néo-conservateur. Des blindés qui prennent position devant un palais présidentiel. Des manifestations populaires, entre trouille et héroïsme, dispersées par des coups de feu.

J’ai cru, comme on dit dans les romans de science-fiction, à une déchirure du continuum spatio-temporel. J’étais revenu au 11 septembre[1. Il y a de ces dates tout de même. Et dire que c’est pourtant le jour anniversaire de la naissance d’une de nos plus charmantes causeuses.] 1973 et la première chaîne en noir et blanc montrait l’armée chilienne cernant et bombardant Allende et ses derniers partisans dans le palais de la Moneda, pour la plus grande gloire de la CIA, d’ITT, des actionnaires des mines de cuivre et du général Pinochet.

Mais non, je n’avais plus neuf ans. Il y en avait maintenant des centaines, de chaînes, toutes en couleurs, dont certaines prétendent à une information en flux continu et pourtant se montraient bien avares d’informations sur la question. En même temps, ce n’était rien, ce n’était qu’un coup d’Etat, un putsch, un golpe, un pronunciamiento, et dans un pays d’intérêt franchement secondaire : le Honduras. Même pas une équipe de foutebaule digne de ce nom, c’est dire… Bref, un événement très périphérique. Vous imaginez un peu, ce qu’on peut en avoir à faire du Honduras, quand Téhéran s’enflamme et que Maïqueule Djaquesonne vient de mourir. Non, soyez sérieux, il faut savoir hiérarchiser l’information, tout de même. Et puis titrer sur « Coup d’État à Tegucigalpa », cela vous a tout de suite l’allure d’un SAS des années 1970, ce qui manque de crédibilité pour les journaux de référence.

Mais voilà, le président renversé est bolivarien, c’est-à-dire très proche d’Hugo Chavez. Il s’appelle Manuel Zelaya et, à l’origine, était plutôt un homme de droite. Seulement, il s’est aperçu que la politique de Chavez, ce n’était pas si mal. Que la finalité de tout gouvernement, comme on le sait depuis Aristote, devrait être la philia, c’est-à-dire une certaine concorde entre les citoyens, une volonté d’harmonie et que cela suppose une relative égalité, donc une redistribution la plus juste possible des richesses produites. On s’excuse de dire tant de gros mots au pays du bouclier fiscal, mais il semblerait que quelque chose qui ressemble à la construction d’un socialisme du XXIe siècle soit en train de se jouer, en ce moment précis, dans toute une série de pays latino-américains, et que cette construction se fasse, ô rage, ô désespoir, avec l’assentiment des peuples qui reconduisent leurs gouvernants aux affaires avec une régularité désespérante pour l’observateur néo-libéral alexandreadlérisé.

Que s’apprêtait à faire Manuel Zelaya ? À organiser un référendum constitutionnel l’autorisant à se représenter. Les observateurs estiment qu’il allait le gagner de manière écrasante. Manuel Zelaya, contrairement à Nicolas Sarkozy, quand il veut changer sa constitution, le demande à son peuple. Il ne compte pas sur une unique voix de majorité au Congrès, celle d’un ex-futur ministre d’ouverture qui paraît-il est toujours socialiste. Mais demander son avis au peuple, pour le néo-libéral alexandradlerisé, et surtout depuis le référendum de 2005, c’est populiste. D’ailleurs, c’est bien connu, tous les chefs d’Etats bolivariens sont populistes. Populiste, dans la novlangue de l’Empire du Bien, fait partie du tiercé de la disqualification, juste après antisémite et pédophile. Plus généralement, il y aura, à l’avenir, une histoire à écrire du traitement de la révolution bolivarienne par les médias français. Les « spécialistes » du Monde par exemple, comme Marie Delcas ou Paulo Paranagua, écrivent sur la question des articles tellement caricaturaux qu’ils seraient refusés par la CIA qui trouverait ça un peu gros, même pour une opération de déstabilisation à l’ancienne.

Ce qui gêne, chez Chavez, Morales, Correa, Ortega, c’est qu’ils sont en train de réussir. Là où comme n’importe quel militaire hondurien, le penseur de garde français veut voir des dictateurs marxisants, il y a en fait une politique du « prendre soin », telle que la définit Stiegler où le rapport à l’autre, au monde, à l’amour est en passe d’être réinventé. Qui sait que Chavez lit davantage Les Evangiles, Don Quichotte et Les Misérables[2. Chavez a fait distribuer dans les quartiers pauvres de Caracas, à l’été 2006, demi-million d’exemplaires de Don Quichotte. Il a beau avoir serré la main d’un ministre au nom de la real politik, ce que je déplore, ce genre de geste me fait dire qu’il n’a pas grand chose de commun avec les massacreurs enturbannés du Hamas ou de Téhéran. D’ailleurs, d’après mes informations, il y aurait moins de burqas à Caracas que dans certaines banlieues françaises. L’émancipation, sans doute…] que Marx et Engels pour mener sa politique ? Et qu’il pense déjà à l’après-pétrole alors que ce fut le carburant de sa révolution ? Que la fameuse phase du dépérissement de l’Etat, qui devrait pourtant plaire à nos libéraux, semble même déjà entamée avec des transferts de pouvoir de plus en plus grands aux communautés de base (communes, conseils ouvriers et paysans, etc.) ? Alors évidemment, comme le capitalisme est entrain de retourner à l’âge de pierre, ça énerve.

Ça énerve tellement qu’on poutche. Manuel Zelaya s’est retrouvé arrêté dans ses propres bureaux, envoyé au Costa Rica et au revoir monsieur. Confessons-le, nous avons cru à un moment à un coup des Américains. C’est vrai, quoi, la situation avait quand même un côté très vintage guerre froide. On s’était dit : « Tiens, Obama, il en profite que toute la planète ait les yeux tournés vers l’Iran pour renouer avec la bonne vieille doctrine Monroe qui veut que l’Amérique centrale et caraïbe soit l’équivalent de notre Françafrique. »

Mais non, la condamnation est tombée, ferme et sans appel, avec demande d’explication aux ambassadeurs et tout l’habituel toutim diplomatique. Celui qui a dû être embêté, c’est Roberto Micheletti, actuel président par intérim, et candidat malheureux à l’élection présidentielle. Il s’est trompé d’époque, le pauvre homme. Il a cru bien faire et voilà que tout le monde lui tombe dessus à l’ONU comme ailleurs. Même à Washington. Il doit se sentir presque aussi bête que certains journalistes français qui ont osé, dès le renversement de Zelaya connu, avancer l’explication d’une armée hondurienne sauvant la légalité et la liberté. Ce que furent d’ailleurs les arguments, déjà, d’une bonne partie de la presse française en… 1936 pour justifier l’agression franquiste contre la toute jeune République espagnole.

Alors, que cette sinistre pantalonnade serve au moins à modifier la perception caricaturale que l’on veut donner sous nos latitudes de l’ALBA (Alternativa Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América), un traité politique et commercial destiné résister à l’impérialisme étatsunien et à ses tentatives constantes de déstabilisation. L’ALBA comprend, outre le Honduras, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et Cuba, des pays qui tentent d’élaborer une alternative à la catastrophe en cours et où les indicateurs de santé, d’éducation, de lutte contre les cartels et l’insécurité endémique semblent, enfin, indiquer que ces peuples potentiellement riches pourraient sortir de la misère noire.

Alors, sans croire pour autant aux modèles clés en main, on pourrait peut-être cesser de les caricaturer et les regarder faire. Et, peut-être, essayer à notre tour deux ou trois de leurs idées. Parce que depuis septembre 2008, sincèrement, on n’a plus grand chose à perdre.

Fluide est agile

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L’art de Gainsbourg ne ressemble à rien d’autre. Celui de Bashung pas davantage. Il n’en va pas autrement de celui d’[aji].

La boîte noire de l’OVNI n’a toujours pas été retrouvée. Pourtant, les autorités martiennes sont formelles : le véhicule aurait été dérobé par un terrien encore non-identifié, dans le sang duquel elles soupçonnent d’ores et déjà la présence de fortes quantités d’alcool et de poésie. (Du coup, les martiens sont verts, forcément.)

Nous ne connaissons de son nom que sa prononciation : [aji]. En marocain, cela signifie « viens ! ». Alors, allez-y ! Vous n’en reviendrez pas.

Il est vain d’envoyer des fleurs à [aji]. Dès le seuil, dès la première des quatorze marches de Fluide, on voit ce qu’il en fait : il les piétine à l’envi pour en faire sa couche. Les artistes, ce gars-là, il les mange.

Avec [aji], plus moyen non plus de néantiser à Paris-Cages. Il y déchaîne sans ambages l’océan en personne, l’océan soi-même, ce machin insensé bouillonnant d’embruns et qui peut faire mal aux bobos, voire même l’inverse.

[aji] estime que nous vivons dans une « époque statique, aux mœurs paralytiques ». Il aimerait que « des astéroïdes réveillent ces humanoïdes ». Avec Fluide, voilà qui est fait.

Je dois cependant vous mettre en garde contre un autre fléau demeuré jusqu’à présent inexpliqué : la plupart de ceux qui ont écouté [aji] se sont fait écraser quelques heures plus tard en traversant un passage-piéton. Mais ce n’est pas phénomène propre à émouvoir l’animal : « Toutes les catastrophes [lui] semblent naturelles ».

Lyriquement et humoristiquement, [aji] rend sensible le néant métaphysique absolu de l’enfer contemporain, où seuls les supermarchés parlent encore aux périphériques. Son écriture ciselée, ses vers de laine, font saigner exactement ce qui nous manque. Ils nous font un mal de chien à l’absolu. Tant mieux.

Les musiques superbes, de styles invariablement variés, qui servent les mots et la voix très belle d’[aji], sont dues à une bande de cinglés improbables : Théo Josso, Laurent Le Corre, Rachid Sefrioui, Benjamin de Roubaix, Evrim Evci, Lionel Lecointe et Jean Barthélémy. Une bande d’[aji]tés, j’avoue.

Fluide s’achève par un poème sans musique, qui déconne pas vraiment rose dans l’espérance, comme dirait Louis.

Pourtant, il vous est permis de chercher une lueur d’espoir : c’est celle du zinc doré du Galactic Bar, sur lequel « un soir un perroquet prédit la fin ».

Le Galactic Bar, où la métropole terminale s’inverse en océan, est d’un accès aussi simple que difficile : il brille, là-bas, tout au fond de nos cœurs sales.

Sarkozy-Olivennes, où est le problème ?

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On nous dit que le service politique du Nouvel Observateur gronde. Son nouveau patron, Denis Olivennes se serait vendu à l’Infâme. Chez mes amis de Marianne2, Régis Soubrouillard nous explique que le Nouvel Obs veut devenir la gazette de la Cour. Je suis vraiment désolé mais Régis se trompe.

Malgré tous les beaux discours républicains d’Henri Guaino, Nicolas Sarkozy a toujours été fasciné par la « deuxième gauche ». Lorsqu’il était le factotum d’Edouard Balladur, alors que ce dernier, Premier ministre, préparait sa quête de la présidence, l’actuel locataire de l’Elysée entretenait les meilleures relations avec toute l’intelligentsia politico-médiatique qui se réunissait dans la Fondation Saint-Simon. Alain Minc, déjà à l’œuvre, se définissait « de gauche et libéral », et milita ouvertement pour Edouard Balladur, cela rapidement facilité par le fait que Jacques Delors eût exprimé son peu de goût pour les campagnes électorales. Nicolas Sarkozy tira deux conclusions de cette époque. D’abord, il ne faut absolument pas être identifié à la « pensée unique » et il faut toujours la vilipender, ainsi que l’avait fait Jacques Chirac. Enfin, et surtout, ces idées là sont évidemment les bonnes et il faut les mettre en œuvre discrètement, c’est à dire en les travestissant d’un discours inverse.
Cette stratégie fut admirablement appliquée lors de la campagne présidentielle de 2007. Profitant de l’absence d’un candidat gaulliste, il put tenir le discours républicain et patriote qu’attendait son électorat, tout en veillant bien à ce que le programme de l’UMP, en parfaite contradiction avec ses prestations publiques, détaille toutes les mesures à prendre dans la volonté d’adaptation à la mondialisation, vieille marotte de la droite libérale et de la gauche libérale.

Traité de Lisbonne, Rapport Attali, appel à Kouchner et Jouyet, appui de la candidature de DSK au FMI inaugurèrent ainsi les premiers mois du quinquennat Sarko. Il y eut aussi la remise du rapport Olivennes – tiens, tiens[1. Denis Olivennes, alors patron de la FNAC, proposa alors l’essentiel de ce qui allait devenir la Loi HADOPI. A passage, demander à un vendeur de disques de pondre un rapport sur le sujet revenait à commander une étude sur l’alcoolisme au PDG de Pernod-Ricard.]… Seulement voilà, bien que fasciné par l’intelligence de ces gens là, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas s’empêcher de se comporter comme un vulgaire Bernard Tapie, horresco referens dans ce milieu. C’est là qu’interviennent deux évènements majeurs : Carla et la crise.

Grâce au mariage avec Carla Bruni, Nicolas Sarkozy a pu reprendre langue avec la gauche caviar. Après avoir tenté une communication mélangeant maladroitement George Bush et Georges Marchais, il s’est rendu compte, qu’il s’agissait là d’une impasse. En découvrant que les références négatives à La Princesse de Clèves avaient produit un engouement pour Madame de La Fayette au point que cette dernière grimpa en flèche aux classements des ventes, Carla et les communicants de l’Elysée s’activèrent et on apprit que le Président lisait maintenant Zola dans l’avion présidentiel, même si la conversion se révélait peu naturelle[2. Au point qu’il prononça “Roujon-Macquart” au lieu de Rougon-Macquart devant les journalistes stupéfaits.].

Et puis il y eut la crise où Nicolas Sarkozy exécuta une pirouette digne des meilleurs gymnastes : il n’eut plus que le mot “régulation” à la bouche, mot qui résonne agréablement aux oreilles des sociaux-démocrates de tout poil. Surtout pas de protectionnisme, cela ferait de la peine à Pascal Lamy et à DSK, mais de la ré-gu-la-tion ! En fait, on tente à peine de réguler le système bancaire et financier et c’est quand même la moindre des choses quand les Etats sauvent ce dernier de la faillite. En ce qui concerne les échanges de biens manufacturés, en revanche, il n’est pas question de réguler du tout. Le monde est mondial, ainsi que le chantent depuis longtemps Jacques Attali, Alain Madelin et Daniel Cohn-Bendit.

Denis Olivennes, en définitive, sert les idées qu’il a toujours défendues. Jean Daniel l’a compris, lui le fondateur du journal. Les journalistes du Nouvel Obs, si on leur explique bien, devraient bien finir par le comprendre eux aussi.
En revanche, pourquoi Valeurs actuelles n’est pas encore un journal d’opposition ? Cela, j’ai davantage de mal à me l’expliquer…

Don’t cry for me, Alaska

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Sarah Palin ne se contente pas d’être sublimement belle, de maîtriser parfaitement le clignement d’œil avec une coquetterie piquante et de représenter l’archétype irrésistible de la sensualité quadra, elle sait aussi imposer sa chance, serrer son bonheur et aller vers son risque. Ce 3 juillet, veille de la Fête Nationale étatsunienne, elle a annoncé sa démission de gouverneur de l’Alaska depuis sa résidence de Wassila. Elle a également précisé qu’elle ne briguerait pas ne nouveau mandat aux élections du mid-term de 2010 à ce poste. Elle a évidemment créé une surprise considérable. Dans le camp républicain, on s’accorde à penser qu’il s’agirait d’un coup politique afin de mieux se positionner dans la course à la présidentielle de 2012. Même si cette stratégie audacieuse est bien digne de celle qui allie un physique divin à un véritable génie politique, nous serions plus enclins à suivre certains commentateurs qui évoquent à mot couvert une love story avec un écrivain français qui travaillerait régulièrement pour un salon de discussion on line.

Exit Laporte, par la petite porte

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C’est une banale et triste histoire de maltraitance. Celle d’un brave garçon, un peu simplet mais généreux, lâché dans un monde de brutes qui s’ingénient à faire de sa vie un enfer. Comme souvent dans ce genre de circonstances, la loi du silence et l’indifférence des voisins laissent se perpétuer une situation intolérable.

Pendant deux ans, jour après jour, un homme a été en butte aux humiliations, coup bas, lazzis et avanies de la part de ses camarades de travail, qui avaient fait de lui leur tête de turc.

Cet homme s’appelle Bernard Laporte, ci-devant secrétaire d’Etat aux sports, dont Nicolas Sarkozy vient de mettre fin au calvaire en l’exfiltrant d’un gouvernement où il souffrait le martyre.

C’est dans Paris Match, qui, cette fois-ci, se penche sur une vraie détresse, que Bernard Laporte a raconté ses malheurs.

On lui a tout fait. Passe encore que sa ministre de tutelle, la redoutable Rosine Bachelot, ait limité son pré carré à un bac à sable où il pouvait faire mumuse pendant qu’elle allait parader dans les temples du sport-spectacle : la politique, c’est un métier, et les arpettes doivent en baver jusqu’à ce qu’ils deviennent assez costauds pour se faire respecter.

Brimé par sa patronne, Bernard aurait pu trouver quelque réconfort auprès de ses camarades de chambrée du gouvernement Fillon. Il n’en fut rien. Au contraire, chacun s’ingéniait à en rajouter dans les brimades, bizutages et autres cruautés dont seuls les enfants dans les cours de récréation et les membres d’un gouvernement de la République sont capables.

Dans ces jeux pervers, les filles ne sont pas les dernières à se mettre en avant, avec une perfidie encore plus cruelle pour les victimes que la brutalité fruste des mâles. Ainsi, Rachida Dati laissa courir la rumeur d’un Laporte géniteur de sa petite Zohra sans tenir compte des dommages que ce bobard allait provoquer dans la famille de l’ancien entraîneur de l’équipe de France de rugby. « Rachida, du moment qu’on parle d’elle, elle est contente ! », explique Bernard, qui se demande aujourd’hui si l’ex-Garde des sceaux n’était pas elle-même à la source de cette rumeur dévastatrice.

Dans le milieu dont Bernard est issu, on sait depuis longtemps que les gonzesses ne sont bonnes qu’au pieu ou à la cuisine, et nulle part ailleurs, et que la bonne odeur des vestiaires après le match et les libations de la troisième mi-temps sont les remèdes les plus efficaces contre les coups durs de la vie.

Laporte a fait l’expérience que la politique, c’est encore moins les bisounours que le rugby. Il en veut particulièrement à Bernard Kouchner, non de lui avoir fait un coup de vice lors d’une mêlée ministérielle, mais de l’avoir purement et simplement ignoré, de ne pas lui voir accordé plus d’attention qu’à un garde républicain de l’Elysée : « Il ne m’a jamais dit bonjour, jamais adressé la parole », se plaint-il, en constatant, amer, qu’il était « transparent » aux yeux du ministre des Affaires étrangères.

Et de conclure, non sans lucidité : « Pour eux, je n’avais pas les codes, pas le vernis, pas les réseaux, je n’existais pas. »

J’avoue avoir été, un bref instant, saisi d’une compassion pour ce « petit Chose » jeté dans la foire aux vanités politiques, enclin à me faire le défenseur du brimé contre ses tourmenteurs. Et puis m’est revenu en mémoire le Laporte éructant contre ses joueurs à la mi-temps, les traitant plus bas que terre au prétexte de les motiver. C’est peut être efficace – encore que son successeur Marc Liévremont obtienne des résultats honorables avec des méthodes moins brutales –, mais cela relativise considérablement les lamentations du secrétaire d’Etat remercié. Sarkozy aurait dû appeler son compère Jo Maso au gouvernement, au moins les choses auraient été claires.

Luc Chatel, « soit-disant » expert en éducation

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Pour une fois médisant, le journal Libération croit devoir nous informer que le nouveau ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, ne se serait jamais exprimé sur les questions brûlantes dont il devra dorénavant s’occuper. C’est une erreur. En fouillant bien, on trouve en effet sur le très contournable blog du nouveau ministre une note, en date du 12 avril 2007, appelant à une reforme d’urgence de l’Université.

Certes, Luc Chatel à l’Education n’aura pas directement la lourde tâche de porter la réforme perpétuelle de l’Université que poursuit aujourd’hui Valérie Pécresse, mais celle-ci pourra, pour achever enfin la réforme en question (en même temps que son objet), s’inspirer des réflexions définitives sur l’Université compilées par le nouveau ministre dans son articulet. On y lit notamment que « sous couvert d’une soit-disant (sic) impossibilité de réformer l’université, la France entame un retard considérable dans ce domaine ».

Que le nouveau pensionnaire de l’Hôtel de Rochechouart puisse envisager que la France « entame un retard considérable » dans un domaine quelconque, cela n’étonnera que ceux qui ne lisent pas L’Express.fr et ignorent donc que la chanson préférée du nouveau ministre de l’Education est l’inécoutable Stayin’Alive des Bee Gees, que son livre favori est signé Madame de La Fayette, pardon, Alain Peyrefitte, sans parler de son émission télé culte, le seul classique audiovisuel encore diffusé de nos jours, je veux dire Téléfoot.

Valérie Pécresse pourra aussi s’intéresser à la mesure phare proposée par Luc Chatel dans cette note : la création de zones franches dans les universités, « afin de simplifier l’installation d’entreprises à proximité ». L’idée étant sans doute de permettre aux étudiants d’y travailler le dimanche, et même les autres jours, puisque l’obsession du ministre est de « palier l’inadéquation entre les formations des jeunes diplômés et les besoins du marché du travail », par la création d’un service de l’orientation « mieux connecté ». Entre deux sourires, on aura néanmoins un peu d’indulgence pour notre nouveau ministre, qui a des circonstances atténuantes : il n’est pas comme son prédécesseur agrégé de lettres classiques, mais titulaire d’un DESS de Marketing.

La cantatrice morte

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Séquence 1 : Deux parfaits hommes du monde, debout, en smoking, tiennent des coupes de champagne et une bouteille. Le premier porte élégamment la coupe à ses lèvres, puis lève le visage vers le ciel et crache une fontaine de champagne qui pleut sur son visage. Ils échangent un sourire de jubilation complice et, l’instant d’après, reprennent leur attitude distinguée et altière, tandis que le second homme se livre à son tour au même rituel, qui se répète à l’infini.

Séquence 2 : Une femme bande de ses mains les yeux d’un homme. L’homme se met à courir en cercle de manière effrénée, en tirant la femme derrière lui, comme un cheval aussi puissant qu’aveugle. Ce mouvement évoque une joie absolue et un désespoir absolu, absolument inséparables l’un de l’autre.

Séquence 3 : Une femme se coiffe avec de la laque, très longuement, avec délectation, donnant un immense volume à sa chevelure tout en regardant le public avec une fierté enivrée. Une autre femme arrive du fond de la scène, arborant une crinière prodigieuse, deux fois plus haute que celle de la première femme. Elle se promène d’un air indolent, détaché, tandis que sa rivale sombre dans le désespoir.

Séquence 4 : Un télévendeur postmoderne, affublé d’un casque et d’un micro, assis devant son écran, enregistre à l’infini des commandes de pizzas en répétant sans fin en américain les mêmes phrases toutes faites, avec un faux enjouement mécanique. Simultanément, l’autre partie de la scène est occupée par un tableau tragique. Une dizaine d’hommes et de femmes à quatre pattes, le visage tourné vers le sol, semblable à un troupeau épuisé et désespéré, pousse de la tête une très grande table qui glisse sur le sol sans que nul ne sache où il faut la conduire. Pourtant, leur destin ne dépend que de cette question.

Séquence 5 : Une charmante jeune femme en bikini est vêtue d’une robe de ballons rouges. Elle regarde avec coquetterie un groupe d’hommes torses nus en train de fumer. Les hommes s’approchent soudain avec une lenteur sadique et la dénudent en crevant les ballons un à un avec leurs cigarettes, tandis qu’elle pousse des cris suraigus à chaque explosion.

La femme qui nous a fait voir à travers la chair de ses danseuses et de ses danseurs ces cinq visions, et mille autres, la reine de l’imagination exacte, la chorégraphe et danseuse Pina Bausch est morte d’un cancer à l’âge de 68 ans.

Je me rappelle la première rencontre, il y a treize ans environ. Mon ami B., envers qui ma gratitude n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui, m’invita un soir au Théâtre de la Ville. Au commencement de la pièce, une femme s’avança du fond de la scène en traînant une jambe raide, le corps figé, boitant avec une extraordinaire bizarrerie. Une femme pâle, infiniment maigre, le corps sillonné par le temps, une femme d’une tristesse infinie. Une femme d’une beauté inconcevable : elle, Pina Bausch. Arrivant à hauteur du premier rang des spectateurs, elle a serré une première main, tendant le bras d’un geste roide et, d’une voix tout aussi figée, mécanique, mimant un enthousiasme extrême, elle a lancé, en anglais : « I love Paris ! I love Paris ! » Puis la scène s’est répétée avec une vingtaine de spectateurs, toujours à l’identique, l’immense danseuse allant de l’un à l’autre de la même démarche d’infirme, de crabe paralytique. Enfin, elle a gagné le fond de la scène en continuant toute seule, dans le vide, sa rengaine mécanique. La scène était parfaitement grotesque. Et d’une parfaite étrangeté. Mais elle était aussi incompréhensiblement bouleversante, soulevant le fond de l’âme, c’est-à-dire le fond du corps. Pendant une heure et demi, du commencement jusqu’à l’entracte, puis à nouveau une heure et demi, après l’entracte, il m’est arrivé une chose qui ne m’est jamais advenue une autre fois dans ma vie : toutes les larmes de mon corps, toutes les larmes de mon existence, se sont mises à couler sans discontinuer. Et, simultanément ou presque, pendant trois heures, j’ai ri, de tout mon corps, j’ai ri.

Je défie quiconque d’assister à une pièce de Pina Bausch sans sentir son corps tout entier devenir mémoire vive, chair de temps. Sans voir sous ses yeux défiler toute sa vie, tous ses amours, toute sa misère, tous les échecs de sa vie, toutes les joies pures.

Qui est cette boiteuse misérable ? J’ai pensé immédiatement à Joséphine la cantatrice ou Le peuple des souris, la nouvelle écrite par Kafka au sanatorium quelques mois avant sa mort. Pina Bausch, c’est Joséphine. Joséphine, la plus indigente des souris, incapable de chanter, comme elle est incapable de vivre. Plus que toute autre, elle est indigne et incapable de faire partie du peuple des souris. Parfois cependant son chant manqué, boiteux, la misère infinie de son chant au dessous de tout chant, deviennent soudain un sifflement, un sifflement curieux, irrésistible, envoûtant, qui transfigure le peuple tout entier. Qui fait renaître la communauté tout entière dans son impitoyable vérité musicale. Fellini savait lui aussi que Pina Bausch est notre cantatrice. C’est dans ce rôle qu’elle apparaît de manière éblouissante dans E la nave va : une cantatrice, une cantatrice aveugle, pour qui les sons sont devenus des couleurs intérieures.

Nous aurons besoin du chant de Pina Bausch jusqu’à notre mort, c’est prévisible. Notre dette envers son drôle de sifflement, son art, est infinie.

NPA/Michael Jackson : l’étau se resserre

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Michael Jackson était-il membre du NPA ? Pour incongrue que puisse paraître la question, et sans sombrer dans le complotisme, il est tout de même étrange de constater un nombre de similitudes entre le chanteur récemment décédé et l’officine trotskyste ripolinée qui dépasse, à notre avis, la simple coïncidence. Sans même prendre en compte le fait que Bambi semble avoir été l’icône partagée par facteur de la Quatrième Internationale et par l’inventeur du mouneouaulque, comment ne pas constater que le NPA et Michael Jackson ont en commun d’avoir voulu cacher leurs origines, d’avoir pour cela utilisé la chirurgie esthétique, d’être partis en morceaux suite aux opérations ratées, (ça démissionne pas mal dans les instances du NPA pour rejoindre le Front de Gauche ces jours-ci), d’être morts et malgré tout d’être toujours présents, sur toutes les chaînes, aux heures de grande écoute alors que de fait, ils n’existent plus.

Les dégonflés

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Souvenons nous. 1999, la croissance, Jospin, la gauche plurielle, les 35 heures, le temps libre. Michelin, cette belle entreprise chérie des Français, ce symbole du rayonnement de mondial de notre industrie fait la gaffe du siècle quand le groupe annonce 7500 « suppressions d’emplois », malgré ses résultats financiers en forte hausse. Aussi sec, la Bourse salue l’opération et le titre prend 20% dans la journée…

1999, c’était il y a mille ans. Ce qui avait fait scandale à l’époque, c’était aussi la réponse de Lionel Jospin, auxdits ouvriers ainsi qu’aux autres plansocialisés par des entreprises ultraprofitables (comme Danone-Lu). Jospin leur avait dit : « l’Etat ne peut pas tout ». En clair : démerdez vous avec l’ANPE, ce qu’il reste de syndicats et le grand capital. La gauche a eu le mérite en une phrase d’annoncer son impuissance politique, refusant même toute discussion sur la possibilité de faire voter un amendement qui aurait sévèrement limité la possibilité pour une entreprise profitable de licencier. Ceux pour qui l’Etat-Jospin ne pouvait rien s’en souviendront, de la façon qu’on sait, en 2002, sans que la gauche, une fois séchées ses larmes du 21 avril, en tire jamais les conséquences. Etonnez-vous après ça que les métallos des vallées perdues des Ardennes, aient voté en 2007, pour celui qui leur promettait de ne pas laisser dormir en paix les patrons voyous et d’aller chercher la croissance avec les dents. Certes, pas plus que la gauche, Sarkozy n’a jamais eu l’intention de faire quoi que ce soit, mais au moins, il aura eu les mots qu’il faut, ça méritait une récompense…

Nous voici en 2009, et Michelin nous refait le coup de la « suppression de postes ». Derrière ces mots cliniques, certaines usines seront rayées de la carte, d’autres vidées, comme à Montceau les Mines, de la moitié de leurs ouvriers, prélude habituel à la fermeture totale. Bien sûr, cette fois, Michelin n’affiche pas de résultats financiers faramineux, mais dans le fond on y est presque. Le groupe annonce un milliard d’euros d’investissements en Inde. Je fabriquerais des pneus, je ferai pareil, disons-le. L’Indien va bien finir par s’enrichir, donc autant lui refourguer de la camelote locale. Mais j’aurais peut-être un peu plus de décence et j’éviterais de dire aux licenciés et aux pouvoirs publics français que tout ça, ma pauvre dame, c’est la faute à la crise mondiale qui n’en finit pas.

Car quand que libéral de choc Michel Rollier, le patron de Michelin, nous explique la dure réalité de la crise, et se casse avec l’argent public sans être inquiété par la police, il oublie juste de dire que c’est cette saleté d’Etat-Providence et ce crétin de contribuable qui l’ont aidé à coups de milliards d’argent public à moderniser ses usines, qui l’ont exonéré de dizaines de millions de cotisations sociales pour annualiser le temps de travail, et qui, bien sûr, financeront demain son plan « social ».

Mais Rollier aurait tort de se priver : personne n’ira lui porter la contradiction. La gauche, le PS et le PC, dont c’est quand même un peu le métier est aux abonnés mourants. Allez vas-y, tape, lui dit l’électeur d’en bas genre moi-même. Y’a un boulevard! Venge la jospinade, retrousse tes manches camarade et va chercher enfin ton électorat avec les dents. Ce serait tellement simple, en vérité : un peu de démagogie, un peu de moralité, on n’est même pas obligé de faire de l’économie. Mais la gauche ne dit rien. Elle manifestouille en traînant les pieds, envoie des communiqués à l’eau de rose du genre « si ça continue, il faudra que ça cesse ». Et pis c’est tout. Manque d’idées ? Pré-canicule ? Non, c’est juste qu’elle a elle aussi, comme Jospin, comme Sarkozy, baissé les bras. Elle préfère se payer des indignations environnementales, constitutionnelles, homophiles, libertitudesques, et j’en passe. Les patrons voyous peuvent dormir tranquille, l’électrosocialogramme de la gauche est aussi plat qu’un film d’Emmanuel Mouret. Va falloir bouger, les petits, sinon, chez vous aussi on va bientôt baisser le rideau…

Ne cherchez rien ici à propos du NPA, on est pas là pour rire les amis.

Sarkozy, remanieur universel

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L’hyperractivité du président de la République ne semble pas absorber la totalité de son énergie vitale. Ainsi, il ne lui suffit pas d’assumer seul la tâche délicate de nommer, déplacer ou congédier les membres du gouvernement français. Il s’est trouvé une activité complémentaire et, espérons-le pour lui, convenablement rémunérée de consultant international en remaniement. La télévision israélienne rapporte en effet que, lors de son récent entretien à l’Elysée avec Benyamin Nétanyahou, Nicolas Sarkozy a fortement incité son interlocuteur à virer le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, pour le remplacer par Tzipi Livni. L’intéressé a moyennement apprécié et l’a fait savoir dans un communiqué furibard de son ministère. Sarkozy devrait se méfier : l’ex-Moldave Lieberman a beau être surnommé Yvette par ses amis, ce n’est pas une gonzesse. On lui connait quelques relations anciennes et étroites dans les quartiers chauds de Kiev, Chisinau ou Odessa, qui n’hésitent devant rien pour laver l’honneur bafoué de leurs vieux amis.