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Les dégonflés


Les dégonflés

Souvenons nous. 1999, la croissance, Jospin, la gauche plurielle, les 35 heures, le temps libre. Michelin, cette belle entreprise chérie des Français, ce symbole du rayonnement de mondial de notre industrie fait la gaffe du siècle quand le groupe annonce 7500 « suppressions d’emplois », malgré ses résultats financiers en forte hausse. Aussi sec, la Bourse salue l’opération et le titre prend 20% dans la journée…

1999, c’était il y a mille ans. Ce qui avait fait scandale à l’époque, c’était aussi la réponse de Lionel Jospin, auxdits ouvriers ainsi qu’aux autres plansocialisés par des entreprises ultraprofitables (comme Danone-Lu). Jospin leur avait dit : « l’Etat ne peut pas tout ». En clair : démerdez vous avec l’ANPE, ce qu’il reste de syndicats et le grand capital. La gauche a eu le mérite en une phrase d’annoncer son impuissance politique, refusant même toute discussion sur la possibilité de faire voter un amendement qui aurait sévèrement limité la possibilité pour une entreprise profitable de licencier. Ceux pour qui l’Etat-Jospin ne pouvait rien s’en souviendront, de la façon qu’on sait, en 2002, sans que la gauche, une fois séchées ses larmes du 21 avril, en tire jamais les conséquences. Etonnez-vous après ça que les métallos des vallées perdues des Ardennes, aient voté en 2007, pour celui qui leur promettait de ne pas laisser dormir en paix les patrons voyous et d’aller chercher la croissance avec les dents. Certes, pas plus que la gauche, Sarkozy n’a jamais eu l’intention de faire quoi que ce soit, mais au moins, il aura eu les mots qu’il faut, ça méritait une récompense…

Nous voici en 2009, et Michelin nous refait le coup de la « suppression de postes ». Derrière ces mots cliniques, certaines usines seront rayées de la carte, d’autres vidées, comme à Montceau les Mines, de la moitié de leurs ouvriers, prélude habituel à la fermeture totale. Bien sûr, cette fois, Michelin n’affiche pas de résultats financiers faramineux, mais dans le fond on y est presque. Le groupe annonce un milliard d’euros d’investissements en Inde. Je fabriquerais des pneus, je ferai pareil, disons-le. L’Indien va bien finir par s’enrichir, donc autant lui refourguer de la camelote locale. Mais j’aurais peut-être un peu plus de décence et j’éviterais de dire aux licenciés et aux pouvoirs publics français que tout ça, ma pauvre dame, c’est la faute à la crise mondiale qui n’en finit pas.

Car quand que libéral de choc Michel Rollier, le patron de Michelin, nous explique la dure réalité de la crise, et se casse avec l’argent public sans être inquiété par la police, il oublie juste de dire que c’est cette saleté d’Etat-Providence et ce crétin de contribuable qui l’ont aidé à coups de milliards d’argent public à moderniser ses usines, qui l’ont exonéré de dizaines de millions de cotisations sociales pour annualiser le temps de travail, et qui, bien sûr, financeront demain son plan « social ».

Mais Rollier aurait tort de se priver : personne n’ira lui porter la contradiction. La gauche, le PS et le PC, dont c’est quand même un peu le métier est aux abonnés mourants. Allez vas-y, tape, lui dit l’électeur d’en bas genre moi-même. Y’a un boulevard! Venge la jospinade, retrousse tes manches camarade et va chercher enfin ton électorat avec les dents. Ce serait tellement simple, en vérité : un peu de démagogie, un peu de moralité, on n’est même pas obligé de faire de l’économie. Mais la gauche ne dit rien. Elle manifestouille en traînant les pieds, envoie des communiqués à l’eau de rose du genre « si ça continue, il faudra que ça cesse ». Et pis c’est tout. Manque d’idées ? Pré-canicule ? Non, c’est juste qu’elle a elle aussi, comme Jospin, comme Sarkozy, baissé les bras. Elle préfère se payer des indignations environnementales, constitutionnelles, homophiles, libertitudesques, et j’en passe. Les patrons voyous peuvent dormir tranquille, l’électrosocialogramme de la gauche est aussi plat qu’un film d’Emmanuel Mouret. Va falloir bouger, les petits, sinon, chez vous aussi on va bientôt baisser le rideau…

Ne cherchez rien ici à propos du NPA, on est pas là pour rire les amis.

Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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