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Variations saisonnières

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Enfin une bonne nouvelle concernant l’un des fléaux de notre temps : la violence en milieu scolaire, qui jusque là n’a cessé de s’accroître – rappelons-nous de l’intrusion au lycée de Gagny le 10 mars dernier. Après cet incident très médiatisé, le gouvernement avait décidé de prendre le problème à bras le corps, avec un plan ad hoc cosigné par les ex-ministres de l’Education nationale et de l’Intérieur, Xavier Darcos et Michèle Alliot-Marie. Eh bien, ça marche ! Des données récemment recueillies montrent clairement une baisse significative, voire une chute, de ce type de délits dans la plupart des établissements, y compris dans des zones réputées « sensibles ». Mais ne crions pas victoire trop tôt : les spécialistes craignent que cette accalmie, constatée depuis le 30 juin ne prenne fin dès le début du mois de septembre.

Debré : « H1N1 : laissez pisser ! »

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Ne le répétez pas à Juliette Gréco : j’adore les dimanches. Se lever à 7 heures, descendre sur le boulevard, commander un café à la terrasse du coin, écouter la blague dominicale du garçon – toujours la même – et ouvrir le Journal du Dimanche, il n’y a pas mieux dans la vie.

Pas mieux, sauf agoniser dans son grabat, expectorer comme pas permis et se lamenter, entre deux souffles rauques, sur son pauvre sort : « Le médecin m’a dit que c’était une angine, mais je le connais bien, il n’a pas voulu m’alarmer, j’ai H1N1, je l’ai vu à la télé, fièvre, céphalée, maux de gorge, grouinements intempestifs, tous les symptômes sont là, je vais crever, pas de doute, j’aurais dû mettre un masque. » Et puis le miracle : on ouvre le Journal du Dimanche et on y lit une interview de Bernard Debré qui déclare, en substance, que la grippe H1N1 n’est pas dangereuse, que les pouvoirs publics en font beaucoup trop et que tout ça ne vaut pas le premier rhume venu. Atchoum ? À vos souhaits !

On bondit alors du lit, on tousse un grand coup et on répète la leçon du professeur Debré : « H1N1, laissez pisser ! » Le plus grand urologue de Paris a parlé ; personne n’ira le contredire.

Sauf que, dans la vraie vie, quelqu’un qui irait consulter un urologue pour soigner sa grippe aurait vite fait de finir aux urgences psychiatriques. Nous tenons donc à affranchir nos confrères du JDD : le nez, la gorge et les oreilles ne se situent qu’à de très intimes et agréables occasions au niveau des organes dont l’urologie traitent les affections. En permanence, ce serait du vice.

Cependant, Bernard Debré a raison. On nous rebat tellement les oreilles avec la pandémie de grippe porcine que nous serons morts d’une otite médiatique avant d’avoir contracté le virus H1N1. Il n’est pas un jour sans que le sacro-saint principe de précaution n’apporte avec lui son lot de nouvelles ridicules : ces jours-ci, ce sont des adolescents français que l’on a mis en quarantaine dans un collège de la région parisienne et que l’on a exhibés, masqués, au Journal de 20 heures.

Plus édifiant encore : en Grande-Bretagne, l’Eglise anglicane a pris cette semaine des mesures à la hauteur de la pandémie. Elle a fait vider les bénitiers de ses paroisses afin de limiter la contamination des fidèles qui n’auraient pas manqué pour faire leurs dévotions de s’asperger, les cons, de H1N1 béni. Si les curés commencent à douter de Dieu pour placer au-dessus de Lui le principe de précaution, c’est que l’heure du Jugement a sonné.

Cette pandémie a des airs apocalyptiques, mais d’une apocalypse où tout le monde se mettrait à sonner de la trompette tandis que l’Ange exterminateur serait un cul-de-jatte aux petits bras : 800 morts au niveau mondial depuis l’apparition de la grippe A, quand la grippe saisonnière vous produit quelques milliers de macchabées annuels simplement en France ! Le rendement mortuaire de cette pandémie-là n’est pas au rendez-vous.

Pourquoi donc tant de bruit pour, apparemment, si peu de choses ?

Cela tient certainement à l’histoire et à la structure de la veille sanitaire mondiale : la grippe est, pour ainsi dire, la raison d’être de l’OMS. Du moins, c’est à cause de la grippe espagnole de 1918 et de ses dizaines de millions de morts (beaucoup plus que la Première Guerre mondiale elle-même) qu’a été créé le Comité d’Hygiène International, embryon de la future Organisation Mondiale de la Santé. Le système sanitaire international a alors été entièrement conçu pour affronter les pandémies grippales – ce qui explique d’ailleurs parfois ses insuffisances dans d’autres domaines. Autant le dire : si la grippe actuelle était la même que celle de 1918, la réaction de l’OMS aurait été totalement justifiée.

Mais l’hyperactivité de l’OMS sur la grippe A n’aurait produit aucun effet sans le suivisme des Etats. Depuis le début de la « crise », tous les gouvernements se sont pliés aux recommandations de l’Organisation mondiale, sans jamais trop rechigner, parfois en les devançant. Certes, on peut critiquer ce panurgisme, mais il faut savoir ce que l’on veut de nos gouvernants : quand ils ne sont pas assez diligents en matière de santé publique, on les accuse de tous les maux ; quand ils le sont trop, on les accuse aussi.

Le souvenir de la canicule de 2003 est dans tous les esprits de la classe politique : personne n’envie le destin de Jean-François Mattei. Encore qu’on serait bien inspiré de se demander si l’ancien ministre n’a pas joué un peu trop vite le rôle du bouc émissaire dans cette histoire-là. Quand des petits vieux crèvent chez eux, est-ce la faute du ministre de la Santé ou celle d’une société qui appelle « séniors » ses vieillards pour ne plus aller les visiter ? En 2003, nos vieux ne sont pas morts des effets de la canicule, mais de la solitude et de l’abandon.

Bref, c’est le ministre qui a toujours tort. Et l’ancestral adage est avéré : il vaut mieux être malade ou mort que ministre de la Santé et en tailleur rose. Quel que soit le scénario, c’est la faute au ministre.

Ce qui peut, enfin, expliquer, l’hyper-vigilance de l’OMS comme des Etats sur cette affaire-là, c’est la grande inconnue que nous promet la grippe A dans les prochains mois. Selon certains virologues, le virus pourrait encore muter. Dans le meilleur des cas, on s’en sortira avec du paracétamol. Dans le pire, avec les pieds devant.

L’iPhone aphone ?

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SFR, Orange et Bouygues se livrent depuis un mois à une guerre publicitaire géante. L’objet en est la dernière version de l’iPhone d’Apple, le 3GS, chacun nous expliquant que c’est bien sûr chez lui et pas chez le méchant voisin qu’il faut se procurer le petit bijou. Comme d’habitude dans ces cas-là, difficile de comparer les offres absconses des trois opérateurs, même quand on a un mois de congés pour se plonger dans les clauses restrictives et les notes en bas de pages. Mais pour une fois, le choix sera moins complexe qu’à l’accoutumée, il existe un point de comparaison objectif, où les trois grands sont d’ailleurs à égalité : chez SFR, chez Orange et chez Bouygues, le nouvel iPhone est en rupture de stock, et donc totalement indisponible…

Les vrais-semblants de Mehdi Belhaj Kacem

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Qu’est-ce que l’ironie ? C’est la question que pose Mehdi Belhaj Kacem dans Ironie et vérité, le deuxième tome de L’esprit du nihilisme, imposante entreprise philosophique en cinq tomes à laquelle il travaille depuis quelques années.

L’ironie est d’abord, selon lui, « le trait anthropologique et « psychologique » dominant du nihilisme démocratique occidental. » « La jeunesse est rigolarde et dépressive, morne et jouisseuse », écrit-t-il. Très justement, il estime que l’ironie de masse contemporaine est « profondément mélancolique, et même dépressive. » Il rejoint là, ironiquement, des vérités énoncées également par deux infâmes réactionnaires qu’il honnit : Houellebecq et Beigbeder, qui avaient déjà pressenti dans nos overdoses de second degré sans issue la dernière marche précédant le suicide.

Mehdi Belhaj Kacem s’en prend à raison au « type d’énonciation obligatoire qu’est l’autodérision imprescriptiblement préalable à la dérision de tout ce qui existe », à l’ironie transformée en « l’impératif catégorique ». Il écrit encore : « Nous faisons semblant de faire semblant d’être dupes, nous « jouons » les dupes d’un air « dégagé », et c’est ainsi que nous le sommes vraiment. »

Simultanément, Ironie et vérité comporte un éloge de « la grande ironie », celle de Kierkegaard, des romantiques allemands et de la grande veine de l’ironie française, celle de Marivaux et Diderot avant tout. « Esprit français, défendons-nous », écrit-il en une sentence que les « innommables lecteurs réactionnaires de Causeur » apprécieront.

Refusant de s’en tenir à la dénonciation pure et simple de l’ironie contemporaine, il note avec acuité que « tout le monde est spontanément porté à saisir sa vérité propre, hors même de tout regard extérieur, par l’ironie et l’autodérision. » Il soutient, en dernier lieu, que « la vérité, de toujours, est elle-même de structure ironique, […] la structure de l’ironie étant celle qui ne force pas la vérité à s’avouer, mais la laisse à sa caractéristique ontologique majeure, qui est son indécidabilité. »

Cette dernière thèse, probablement la plus importante aux yeux de l’auteur, m’est demeurée hélas, au terme de la lecture de son opuscule, parfaitement incompréhensible. Car s’il est l’héritier de Lacan, Deleuze, Derrida et Badiou pour le meilleur, il l’est aussi pour le pire : par ses difficultés à s’arracher à la jouissance d’être incompréhensible, par laquelle il gâche des talents de pensée et d’écriture exceptionnels.

Presque tous ses textes, dont certains sont splendides (notamment, dans Society, ceux sur le coup de foudre et la pornographie), sont écrits comme au fil de l’inconscient. Il s’engage dans des questionnements passionnants, mais laisse chacun en suspens, l’abandonne presque toujours en cours de route. Il procède en intriquant et en traitant simultanément une telle multiplicité de questions qu’il est naturellement impossible de le suivre. Ces questions, qui comportent déjà leur difficulté intrinsèque, pourraient aisément être abordées de manière successive, pour épargner au lecteur une difficulté, elle, parfaitement artificielle.

En outre, les démonstrations de Mehdi Belhaj Kacem sont trop souvent interrompues par des règlements de compte personnels avec tel ou tel philosophe contemporain, dans lesquels toute rigueur philosophique est abdiquée. Dans Ironie et vérité, c’est le cas notamment avec Baudrillard et Tiqqun, dans des pages très piteuses où la confusion atteint son sommet et où l’auteur prétend réfuter des thèses qu’il n’est pas même capable (ou du moins le feint-il) d’exposer de manière cohérente et fidèle.

Mehdi Belhaj Kacem se refuse par ailleurs presque toujours à définir rigoureusement ses concepts avant d’en user. Il estime peut-être que tout ce qui est, même vaguement, linéaire, est par là même nécessairement réactionnaire et haïssable. Cela me semble faux. Enfin, je trouve dommageable à sa pensée son recours très fréquent à l’argument d’autorité (du genre : Lacan l’a dit, donc c’est vrai), quel que soit le coefficient d’ironie dont cet usage peut être affecté, ainsi que sa tendance à céder plus qu’à son tour au « prestige de la belle formule », incompréhensible de préférence.

En dépit de tout cela, il y a beaucoup de belles pages dans Ironie et vérité, sur Socrate par exemple, ou sur la pièce tardive de Marivaux Les acteurs de bonne foi. Hélas, Mehdi Belhaj Kacem réserve pour finir à l’ironie le même sort qu’à ses autres concepts. Il en propose plusieurs définitions manifestement (ironiquement ?) contradictoires entre elles, en laissant à la perspicacité du lecteur le soin de les articuler elle-même – c’est-à-dire de faire son boulot dialectique à sa place. Son ouvrage ne propose ainsi aucun critère distinctif permettant de discerner pourquoi la « grande ironie » est grande, et vraie, et pourquoi « l’ironie de masse » ne l’est pas. Si ce qu’il nomme « l’indiscernable » ou « l’indécidable » de la vérité, ce sont cette confusion et cette overdose de paradoxes, je ne peux que m’inscrire en faux contre son concept de vérité.

Mehdi Belhaj Kacem est l’un des êtres les plus doués de sa génération. Son talent mérite beaucoup mieux. Puisse-t-il guérir promptement de ses overdoses d’abysses, briller moins afin d’éclairer davantage le vulgaire – ses frères mortels.

L'esprit du nihilisme: Tome 1, Ironie et vérité

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Parle à mon cul, ma tête est malade !

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J’ai parmi mes proches beaucoup d’hommes et de femmes qui ont suivi une psychanalyse. Certains en suivent encore. Je n’ai pas remarqué que mes amis à psy étaient plus équilibrés, plus chanceux en amour ou s’entendaient mieux avec leur mère que mes amis sans. Cela doit-il nous amener à remettre en cause la supériorité des thérapeutes occidentaux sur les marabouts africains ? Cela mérite peut-être une étude. Dans l’ensemble, je n’observe pas que les gens quittent le divan en meilleur état mental qu’ils ne l’étaient en entrant, mais on me dit que sans analyse ce serait pire, je veux bien le croire.

Tout ceci reste bien mystérieux pour moi et je ne m’étendrai pas sur une question dont j’ignore presque tout. L’économie que je réalise en me passant de psy doit suffire à mon bonheur et je n’ai pas d’opinion sur cette science, en tout cas quand elle s’exerce entre adultes consentants. Mais il arrive que certains praticiens dépassent les bornes. Le Dr Daniel Cosculluela, psychiatre de 52 ans, dont le procès a fait l’actualité d’un soir le mois dernier a pris 12 ans de réclusion et une interdiction d’exercer définitive pour avoir abusé sexuellement de quatre de ses patientes.

Mettre sous hypnose de pauvres femmes crédules qui se déshabillent avant de s’allonger sur le divan, pour mener une introspection à leur insu, ce n’est pas joli, joli et le docteur aurait pu se contenter de sa Porsche pour les amadouer et arriver à ses fins. Ses pratiques l’ont mené en prison et la justice a été rendue, ne revenons pas sur la condamnation.

Pourtant, l’énoncé des accusations portées contre le satyre m’a laissé un peu perplexe. Le docteur était accusé d’avoir « placé ses patientes par des pratiques inhabituelles dans un état de dépendance susceptible d’altérer leur volonté pour leur imposer des relations sexuelles ».

Jusqu’à présent, personne n’a porté plainte contre moi mais depuis le verdict de ce procès, je suis inquiet. Pourrais-je un jour être trainé en justice par une femme ou pourquoi pas quatre pour les avoir « placées dans un état de dépendance », ou pour avoir « altéré leur volonté afin de leur imposer des relations sexuelles » ? Je croyais qu’il fallait précisément altérer les volontés pour obtenir des relations sexuelles sans avoir à les imposer. Je tenais même cette condition comme une règle de base de la séduction. Comment faire pour mettre une femme dans son lit la première fois sans promesse de lendemain ni de sentiments et sans avoir au préalable altéré un peu sa volonté ? Comment la faire revenir sans la placer par des pratiques inhabituelles pour elle dans un état de dépendance ? Sommes-nous menacés par nos habitudes de séduction ? Devrons-nous adopter de nouvelles pratiques plus conforme à la législation ?

Tous les rites de la relation amoureuse, toutes les preuves de cet amour qu’on nous réclame à cor et à cri, des fleurs de la Saint Valentin au week-end romantique, à quoi servent-ils sinon à altérer la volonté et placer en état de dépendance ? La déclaration d’amour, cette arme fatale pour la volonté du sexe faible et redoutable pour s’assurer sa dépendance devra-elle être placée sous contrôle judiciaire ?

Autre chose, les pratiques inhabituelles ainsi que la mise en état de dépendance dont on accuse le psychiatre dans cette affaire peuvent-elles être entendues au sens sexuel du terme et être retenues à charge dans d’autres contextes que celui d’une thérapie? Serons-nous jugés pour nous être livrés à des pratiques sexuelles inhabituelles plaçant des femmes dans un état de dépendance sexuelle afin de leur imposer des relations sexuelles ?

Là, ça devient très inquiétant. Serons-nous demain montrés du doigt pour les talents qui nous valent d’être convoités aujourd’hui ? L’état de dépendance de nos amoureuses nous sera-t-il un jour reproché ? Devrons- nous modérer nos prouesses pour échapper à des poursuites judiciaires ?

Evidemment, tout est question d’interprétation mais la judiciarisation de la société française et la féminisation de la magistrature ne me rassurent en rien. Je ne me sens pas à l’abri d’une juge d’Outreau. Exposés par la législation à la vengeance de femmes trompées ou désaimées, regretterons-nous un jour l’âge d’or d’avant les procès, celui des cris et des gifles, quand les filles hystériques savaient ne pas se tenir ?

Mais c’est sans doute pour les femmes que le risque est le plus grand. Une justice qui leur interdirait d’altérer les volontés des mâles et de les placer en état de dépendance sonnerait le glas du règne féminin. Et nous, les hommes, qui ne vivons que dans l’espoir de voir nos volontés altérées et dans l’extase de notre dépendance, en serions les premières victimes. En fait le danger de cette jurisprudence nous menace tous. Les uns et les autres, ne poursuivons-nous pas toute notre vie la quête de ce pays merveilleux ou les volontés s’anéantissent et ou la dépendance est totale ? Ne courrons-nous pas tous après ce trouble de l’âme ou la dépendance a remporté sur la volonté une victoire écrasante ? Ne cherchons-nous pas tous l’amour ?

Défendons ensemble, main dans la main, nos droits à vivre en esclaves, à faire le contraire de ce que l’on veut et à ne plus pouvoir nous passer les uns des autres, si nous voulons rester des hommes. Et des femmes.

La luxure, c’est pas du luxe !

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« Je ne suis pas un irresponsable dépensier, je ne suis en rien un homme qui vit dans la luxure. » A en croire cette citation du Monde extraite du rapport de l’enquête policière sur les supposées malversations financières de Julien Dray, cette sombre histoire de fric se doublerait d’une croustillante histoire de fesses. En effet, ce que semble nier le député de l’Essonne, c’est de se livrer à des pratiques sexuelles que la morale réprouve, la luxure étant, comme chacun sait, un péché capital ayant trait à la chair. Comme il semble que la libido de Juju soit essentiellement horlogère, on peut faire l’hypothèse que le flic ayant procédé à son interrogatoire ait confondu luxe et luxure. Si cela devait être le cas, ce fonctionnaire devrait arrêter, de son côté, certaines pratiques réputées rendre sourd.

L’enfer, c’est les autres…

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La bonne nouvelle pour tous ceux qui – en Amérique Latine notamment – souhaitaient voir les USA s’immiscer d’un peu moins près dans leurs affaires intérieures, c’est qu’avec Obama, les choses sont visiblement en train de changer : le vice-président américain Joe Biden vient de déclarer hier lors d’un discours officiel : « Nous sommes contre la notion de sphères d’influence qui datent du 19e siècle et n’ont rien à faire au 21e. » La mauvaise nouvelle, c’est que cette déclaration, faite à Tbilissi, concernait exclusivement le soutien apporté par la Russie aux séparatistes abkhazes et ossètes en Georgie…

Obama prend un râteau à l’est

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Avant la chute du communisme, on les appelait les dissidents : Sakharov, Havel, Walesa ont connu la prison, d’autres furent contraints à l’exil. Pendant que les gouvernements de l’Occident démocratique cherchaient des accommodements avec l’Union Soviétique, ils incarnaient la résistance intraitable au totalitarisme communiste. Grâce à eux, quelques intellectuels maoïstes français furent dispensés d’une cure de silence repentant dans une quelconque Trappe laïque, après s’être reconvertis dans la défense des persécutés de derrière le Rideau de fer.

Aujourd’hui, alors que l’on va bientôt célébrer le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cette génération dissidente a, pour l’essentiel, quitté le devant de la scène politique où elle avait été propulsée après l’effondrement des régimes communistes.

Mais elle n’a pas renoncé à s’exprimer publiquement au nom de leur expérience historique, et à dire leur fait sans détour aux dirigeants d’aujourd’hui, comme ils le firent jadis face aux tyrans post-staliniens.

En ce mois de juillet, le Tour de France, les bonbonnes dans les usines en voie de liquidation et la castagne au PS ont barré, à de rares exceptions près, le chemin des médias à une lettre ouverte fort intéressante adressée au président des Etats-Unis par vingt anciens responsables politiques de pays d’Europe centrale et orientale. On retrouve dans cette liste les icônes de la dissidence qui sont encore de ce monde, et même un ex-communiste, l’ancien président polonais Alexander Kwasniewski. Ce sont ceux à qui, en mai 2003, Jacques Chirac avait reproché d’avoir « manqué une bonne occasion de se taire » pour cause de soutien à la guerre d’Irak. L’injonction venue de l’Elysée provoqua chez eux plus d’hilarité que de colère : ils avaient tenu tête à Brejnev et au Kremlin, alors une gueulante de Corrézien, ils pouvaient faire avec.

Ces gens-là ne sont donc pas du genre à se laisser intimider, fût-ce par celui qui dispose à la fois de la puissance militaire la plus considérable et d’une popularité sans égale dans la foule mondialisée, le président des Etats-Unis Barack Obama.

Ils tirent la sonnette d’alarme devant ce qu’ils considèrent comme un désengagement des Etats-Unis de l’Europe centrale et orientale au profit de la recherche d’un accord global avec la Russie de Poutine et Medvedev, notamment sur la réduction des arsenaux nucléaires.

En terme choisis, ils reprochent à Obama de se faire balader par des Russes qui, écrivent-ils, « mènent une politique extérieure comme une puissance du XIXe siècle avec les méthodes du XXIe siècle », cherchant à étendre leur zone d’influence par toutes sortes de moyens, y compris les plus technologiquement sophistiqués, comme la piraterie informatique.

Ils s’inquiètent également de la passivité de cette OTAN à laquelle ils ont adhéré avec enthousiasme devant les agressions militaires ou économiques de pays qui se sont émancipés de la tutelle soviétique et sont sortis de l’orbite russe, comme la Géorgie et l’Ukraine. Ils donnent au passage une petite leçon de kremlinologie moderne à une Administration américaine qui semble avoir oublié les leçons de la Guerre froide, sous prétexte que les Russes ont, pour l’instant renoncé à disputer aux Etats-Unis la suprématie planétaire : « Au niveau mondial, la Russie se comporte, sur la plupart des sujets, comme une puissance soucieuse du maintien du statu quo. Au niveau régional et vis à vis de nos nations, cependant, elle agit comme une puissance révisionniste. Elle conteste nos droits à faire nos propres expériences historiques. Elle revendique une position privilégiée quant à la détermination de nos choix en matière de sécurité. Elle fait usage de tous les moyens, licites et illicites de guerre économique – blocus énergétique, investissements politiquement ciblés, corruption et manipulation des medias – pour faire prévaloir ses intérêts et faire obstacle à l’intégration atlantique de l’Europe centrale et orientale. »

Par ailleurs, ils constatent dans leurs pays respectifs, une désaffection croissante à l’égard des Etats-Unis, et un repli vers des positions nationalistes, voire fascisantes et antisémites dont on a pu voir les effets électoraux lors du dernier scrutin européen.

Il serait pour le moins réducteur de ne voir dans cette lettre qu’un combat d’arrière-garde de ceux qui ont soutenu George W. Bush dans ses entreprises les plus hasardeuses. Ses auteurs, qui ont le nez historiquement fin, sentent dans les premiers pas de la diplomatie est-européenne d’Obama, un parfum de Yalta qui ne leur plait pas du tout, et on les comprend.

Ils le jugeront sur son attitude dans deux dossiers qui leur tiennent particulièrement à cœur : la mise en place, en Pologne et en République Tchèque du système antimissile projeté par l’administration précédente, et le soutien des Etats Unis aux projets de gazoducs permettant d’éviter d’être soumis au chantage énergétique de Moscou.

Enfin, il y a des petites vexations qui sont irritantes lorsqu’elles sont infligées à des gens réputés amis, notamment sur la question des visas. Ainsi, nos épistoliers s’étonnent que Lech Walesa, comme tous les Polonais, soit contraint à demander un visa pour se rendre aux Etats-Unis, alors que notre José Bové national peut, lui, se présenter quand il veut où il veut aux agents US de l’immigration muni de sa moustache et de son seul passeport.

Certes, il existe dans le monde d’autres injustices plus dommageables, mais comme dirait Boris Vian, c’est « en protestant qu’on peut finir par obtenir des ménagements ».

Paris ville ouverte

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Le tourisme, c’est le commerce. Dans la vraie vie, on s’en était rendu compte. Une ville touristique, c’est une ville où on peut acheter et vendre tous les jours et (n’en doutons pas, c’est pour bientôt), à toute heure. Pour faire plaisir à Madame Obama, le président n’a pas proposé de lui faire visiter le Louvre un soir (il est vrai qu’il est encore ouvert le dimanche) mais de lui faire ouvrir le jour du Seigneur les boutiques de l’avenue Montaigne – qui dans l’esprit de l’hôte et de l’hôtesse sont sans doute le véritable patrimoine français.

Le feuilleton du travail dominical vient donc de s’achever avec le vote à l’arraché au Sénat de la loi proposé par le député des Bouches-du-Rhône Richard Mallié. Bien que les ardents défenseurs du texte se soient très efficacement employés à noyer le poisson, les débats devraient avoir dessillé ceux qui pensent encore que le tourisme est une conquête de l’humanité avec découverte de l’autre, frotti-frotta culturel et sensations fortes – ceux qui n’ont jamais ouvert un livre de Philippe Muray. Tout le monde le sait, faire du tourisme, c’est acheter. Et si tout le monde traque le touriste, c’est pour le plumer, point.

En vrai, le travail du dimanche n’est dans cette affaire qu’un dommage collatéral, un vieux droit social sacrifié à un droit bien plus grand, le droit d’acheter (donc de vendre). Les promoteurs de la loi, président de la République en tête, veulent étendre encore et toujours plus les territoires voués à la consommation. Et, ça tombe bien pour eux, cette obsession, ils la partagent avec pas mal de nos concitoyens, de quelque bord qu’ils soient.

Je vous épargne les discussions talmudiques entre exégètes sur les définitions comparées du tourisme selon la loi de 2006 et selon la loi Mallié. En théorie, l’ouverture le dimanche reste l’exception, ça fait plus joli comme ça. À l’arrivée, le territoire national est divisé en trois zones qui peuvent se recouper. Pour commencer, il y a tous les villages et petites villes qui seront épargnés, n’ayant pas l’heur de constituer des zones où existent des « usages de consommation de fin de semaine » – en clair, les territoires où ne poussent ni Carrefour, ni Jardiland, ces endroits où les technos pensent que les pauvres font du tourisme le samedi après-midi. Viennent ensuite ces vastes zones qualifiées de « PUCE » (périmètres d’usages de consommation exceptionnel ») sans doute parce qu’elles sont affermées aux géants de la distribution. Dans ces « PUCE », le salarié qui travaille le dimanche bénéficie normalement de contreparties.

Reste enfin, la dernière catégorie, définie de façon assez floue, des « zones touristiques et thermales ». La liberté du commerce doit y être pleine et entière, à ceci près que les commerces d’alimentation sont sommés de fermer en fin de matinée. (Or, si les deux sens du mot commerce ont encore vaguement partie liée, ce n’est pas chez les marchands de fringues mais chez le boucher, le boulanger ou au marché). Pour l’instant, seuls certains quartiers des grandes villes notamment de Paris sont concernés. Mais, et c’est bien là que se niche la plus grande entourloupe de l’affaire, il sera facile d’étendre l’un ou l’autre des régimes dérogatoires à l’ensemble des villes de plus de 1 million d’habitants, soit en les faisant passer entièrement sous le statut de PUCE, soit en les déclarant « zones touristiques totales », autrement dit, je le répète, en « zones commerciales intégrales ». Le triste destin des quartiers piétons dont le nom pouvait laisser croire qu’ils étaient destinées à la flânerie donne une idée du cauchemar qui nous attend – qui a déjà commencé.

Certes, il faudra pour cela l’accord du Conseil municipal. Il faut être juste, pour l’instant, à gauche, c’est un concert de protestations sur le thème « le salarié a le droit d’aller à l’église le dimanche », mais l’heure de vérité sonnera quand les élus des grandes villes, Paris en tête, auront à se prononcer pour de vrai. Peut-être suis-je pessimiste mais j’ai comme dans l’idée que notre gauche moderne ne résistera pas à l’alliance des commerçants, des yuppies et de tous ceux qui s’ennuient quand les magasins sont fermés.

L’ouverture des magasins le dimanche, c’est-à-dire la suppression de l’idée du dimanche, c’est moderne – cette affaire de dimanche, c’est quand même un peu catholique sur les bords. D’ailleurs, voilà des jours que je me fais engueuler de tous côtés. Les copains libéraux, confiants dans la sagesse du marché me répètent que « personne n’oblige personne à acheter le dimanche, ni d’ailleurs à travailler ». (Pour ce qui est de travailler, toute l’affaire est enrubannée par le mot magique de « volontariat » mais on peut craindre que les volontaires désignés n’aient en vérité qu’un choix très fictif). Un grand ami de gauche bien sous tous rapports, employé par la ville de Paris par ailleurs, a le droit à une double-dose. En plus des magasins qui, dans mon quartier du Marais, n’ont pas attendu la loi Mallié pour ouvrir, il prend ma colère récurrente contre Paris-Plage. « Bien sûr, tu raisonnes exactement en bobo du Marais, sans penser à tous ceux qui ne partent pas en vacances ni à ceux qui n’ont que le dimanche pour se promener et faire du lèche-vitrines ». Ah, oui, et puis, il y a New York où, selon la légende tout est ouvert 24/24. En fait, ce qui est ouvert 24/24, ce sont d’abord les Chinois et les Indiens qui vendent des sandwichs à se damner. Calvin Klein, hors soldes, ça ferme à 20 heures et, le dimanche, les portes restent closes.

L’argument new yorkais est significatif. Derrière cette frénésie d’ouvrir à la fièvre acheteuse les quelques territoires et instants qui lui résistent, il y a le désir absurde d’être partout chez soi et la croyance imbécile que toutes les villes ont la même ADN. Peut-on penser un instant que les délicates façades parisiennes qui déploient tant de facéties et de splendeurs acclimatent le monde marchand de la même façon et dans la même grammaire que les façades de verres et d’acier de Manhattan ? Je suggère à chacun de faire l’expérience d’arpenter la rue des Francs-Bourgeois un dimanche de beau temps. Venez voir par vous-mêmes les gamins grognons, les mecs impatients, les couples à bout de nerfs, les ados ronchonnes. Voilà le paradis qu’on nous promet parce que dans un pays accueillant, il faut que madame Obama puisse acheter des robes chichiteuses à ses filles.

Paris et Marseille aujourd’hui, demain Toulouse, Bordeaux et Lyon finiront par y passer ; il faut faire de nos villes des « villes ouvertes » – à la consommation et au tourisme, au tourisme consommationnel.

Rien de grave, au fond, il s’agit juste d’en finir avec les villes, ces chaudrons de sorcières où se nouaient et dénouaient les petites affaires humaines. Après tout, faire les magasins le dimanche nous épargnera définitivement la fatigue d’être soi.

Ton maire en slip sur la 5e Avenue

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Coup dur pour le maire de New York qui entendait bien se faire élire sans contrariétés pour un troisième mandat consécutif le 9 novembre prochain : Michael Bloomberg a un nouvel adversaire, qui se trouve être plus connu et plus aimé que lui à Manhattan et dans le monde entier. En effet, le Naked Cowboy, une légende vivante des lieux, entend se présenter à la mairie. Depuis une dizaine d’années, le cowboy nu, de son vrai nom Robert Burck, pose en slip kangourou, stetson et santiags aux côtés des touristes à Times Square, d’où il a logiquement lancé sa campagne hier. Une campagne très politique, puisque à l’heure ou nombre de collectivités territoriales américaines sont au bord de la banqueroute, il assure être le mieux placé pour en faire un maximum avec un minimum de moyens…

cowboy

Variations saisonnières

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Enfin une bonne nouvelle concernant l’un des fléaux de notre temps : la violence en milieu scolaire, qui jusque là n’a cessé de s’accroître – rappelons-nous de l’intrusion au lycée de Gagny le 10 mars dernier. Après cet incident très médiatisé, le gouvernement avait décidé de prendre le problème à bras le corps, avec un plan ad hoc cosigné par les ex-ministres de l’Education nationale et de l’Intérieur, Xavier Darcos et Michèle Alliot-Marie. Eh bien, ça marche ! Des données récemment recueillies montrent clairement une baisse significative, voire une chute, de ce type de délits dans la plupart des établissements, y compris dans des zones réputées « sensibles ». Mais ne crions pas victoire trop tôt : les spécialistes craignent que cette accalmie, constatée depuis le 30 juin ne prenne fin dès le début du mois de septembre.

Debré : « H1N1 : laissez pisser ! »

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Ne le répétez pas à Juliette Gréco : j’adore les dimanches. Se lever à 7 heures, descendre sur le boulevard, commander un café à la terrasse du coin, écouter la blague dominicale du garçon – toujours la même – et ouvrir le Journal du Dimanche, il n’y a pas mieux dans la vie.

Pas mieux, sauf agoniser dans son grabat, expectorer comme pas permis et se lamenter, entre deux souffles rauques, sur son pauvre sort : « Le médecin m’a dit que c’était une angine, mais je le connais bien, il n’a pas voulu m’alarmer, j’ai H1N1, je l’ai vu à la télé, fièvre, céphalée, maux de gorge, grouinements intempestifs, tous les symptômes sont là, je vais crever, pas de doute, j’aurais dû mettre un masque. » Et puis le miracle : on ouvre le Journal du Dimanche et on y lit une interview de Bernard Debré qui déclare, en substance, que la grippe H1N1 n’est pas dangereuse, que les pouvoirs publics en font beaucoup trop et que tout ça ne vaut pas le premier rhume venu. Atchoum ? À vos souhaits !

On bondit alors du lit, on tousse un grand coup et on répète la leçon du professeur Debré : « H1N1, laissez pisser ! » Le plus grand urologue de Paris a parlé ; personne n’ira le contredire.

Sauf que, dans la vraie vie, quelqu’un qui irait consulter un urologue pour soigner sa grippe aurait vite fait de finir aux urgences psychiatriques. Nous tenons donc à affranchir nos confrères du JDD : le nez, la gorge et les oreilles ne se situent qu’à de très intimes et agréables occasions au niveau des organes dont l’urologie traitent les affections. En permanence, ce serait du vice.

Cependant, Bernard Debré a raison. On nous rebat tellement les oreilles avec la pandémie de grippe porcine que nous serons morts d’une otite médiatique avant d’avoir contracté le virus H1N1. Il n’est pas un jour sans que le sacro-saint principe de précaution n’apporte avec lui son lot de nouvelles ridicules : ces jours-ci, ce sont des adolescents français que l’on a mis en quarantaine dans un collège de la région parisienne et que l’on a exhibés, masqués, au Journal de 20 heures.

Plus édifiant encore : en Grande-Bretagne, l’Eglise anglicane a pris cette semaine des mesures à la hauteur de la pandémie. Elle a fait vider les bénitiers de ses paroisses afin de limiter la contamination des fidèles qui n’auraient pas manqué pour faire leurs dévotions de s’asperger, les cons, de H1N1 béni. Si les curés commencent à douter de Dieu pour placer au-dessus de Lui le principe de précaution, c’est que l’heure du Jugement a sonné.

Cette pandémie a des airs apocalyptiques, mais d’une apocalypse où tout le monde se mettrait à sonner de la trompette tandis que l’Ange exterminateur serait un cul-de-jatte aux petits bras : 800 morts au niveau mondial depuis l’apparition de la grippe A, quand la grippe saisonnière vous produit quelques milliers de macchabées annuels simplement en France ! Le rendement mortuaire de cette pandémie-là n’est pas au rendez-vous.

Pourquoi donc tant de bruit pour, apparemment, si peu de choses ?

Cela tient certainement à l’histoire et à la structure de la veille sanitaire mondiale : la grippe est, pour ainsi dire, la raison d’être de l’OMS. Du moins, c’est à cause de la grippe espagnole de 1918 et de ses dizaines de millions de morts (beaucoup plus que la Première Guerre mondiale elle-même) qu’a été créé le Comité d’Hygiène International, embryon de la future Organisation Mondiale de la Santé. Le système sanitaire international a alors été entièrement conçu pour affronter les pandémies grippales – ce qui explique d’ailleurs parfois ses insuffisances dans d’autres domaines. Autant le dire : si la grippe actuelle était la même que celle de 1918, la réaction de l’OMS aurait été totalement justifiée.

Mais l’hyperactivité de l’OMS sur la grippe A n’aurait produit aucun effet sans le suivisme des Etats. Depuis le début de la « crise », tous les gouvernements se sont pliés aux recommandations de l’Organisation mondiale, sans jamais trop rechigner, parfois en les devançant. Certes, on peut critiquer ce panurgisme, mais il faut savoir ce que l’on veut de nos gouvernants : quand ils ne sont pas assez diligents en matière de santé publique, on les accuse de tous les maux ; quand ils le sont trop, on les accuse aussi.

Le souvenir de la canicule de 2003 est dans tous les esprits de la classe politique : personne n’envie le destin de Jean-François Mattei. Encore qu’on serait bien inspiré de se demander si l’ancien ministre n’a pas joué un peu trop vite le rôle du bouc émissaire dans cette histoire-là. Quand des petits vieux crèvent chez eux, est-ce la faute du ministre de la Santé ou celle d’une société qui appelle « séniors » ses vieillards pour ne plus aller les visiter ? En 2003, nos vieux ne sont pas morts des effets de la canicule, mais de la solitude et de l’abandon.

Bref, c’est le ministre qui a toujours tort. Et l’ancestral adage est avéré : il vaut mieux être malade ou mort que ministre de la Santé et en tailleur rose. Quel que soit le scénario, c’est la faute au ministre.

Ce qui peut, enfin, expliquer, l’hyper-vigilance de l’OMS comme des Etats sur cette affaire-là, c’est la grande inconnue que nous promet la grippe A dans les prochains mois. Selon certains virologues, le virus pourrait encore muter. Dans le meilleur des cas, on s’en sortira avec du paracétamol. Dans le pire, avec les pieds devant.

L’iPhone aphone ?

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SFR, Orange et Bouygues se livrent depuis un mois à une guerre publicitaire géante. L’objet en est la dernière version de l’iPhone d’Apple, le 3GS, chacun nous expliquant que c’est bien sûr chez lui et pas chez le méchant voisin qu’il faut se procurer le petit bijou. Comme d’habitude dans ces cas-là, difficile de comparer les offres absconses des trois opérateurs, même quand on a un mois de congés pour se plonger dans les clauses restrictives et les notes en bas de pages. Mais pour une fois, le choix sera moins complexe qu’à l’accoutumée, il existe un point de comparaison objectif, où les trois grands sont d’ailleurs à égalité : chez SFR, chez Orange et chez Bouygues, le nouvel iPhone est en rupture de stock, et donc totalement indisponible…

Les vrais-semblants de Mehdi Belhaj Kacem

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Qu’est-ce que l’ironie ? C’est la question que pose Mehdi Belhaj Kacem dans Ironie et vérité, le deuxième tome de L’esprit du nihilisme, imposante entreprise philosophique en cinq tomes à laquelle il travaille depuis quelques années.

L’ironie est d’abord, selon lui, « le trait anthropologique et « psychologique » dominant du nihilisme démocratique occidental. » « La jeunesse est rigolarde et dépressive, morne et jouisseuse », écrit-t-il. Très justement, il estime que l’ironie de masse contemporaine est « profondément mélancolique, et même dépressive. » Il rejoint là, ironiquement, des vérités énoncées également par deux infâmes réactionnaires qu’il honnit : Houellebecq et Beigbeder, qui avaient déjà pressenti dans nos overdoses de second degré sans issue la dernière marche précédant le suicide.

Mehdi Belhaj Kacem s’en prend à raison au « type d’énonciation obligatoire qu’est l’autodérision imprescriptiblement préalable à la dérision de tout ce qui existe », à l’ironie transformée en « l’impératif catégorique ». Il écrit encore : « Nous faisons semblant de faire semblant d’être dupes, nous « jouons » les dupes d’un air « dégagé », et c’est ainsi que nous le sommes vraiment. »

Simultanément, Ironie et vérité comporte un éloge de « la grande ironie », celle de Kierkegaard, des romantiques allemands et de la grande veine de l’ironie française, celle de Marivaux et Diderot avant tout. « Esprit français, défendons-nous », écrit-il en une sentence que les « innommables lecteurs réactionnaires de Causeur » apprécieront.

Refusant de s’en tenir à la dénonciation pure et simple de l’ironie contemporaine, il note avec acuité que « tout le monde est spontanément porté à saisir sa vérité propre, hors même de tout regard extérieur, par l’ironie et l’autodérision. » Il soutient, en dernier lieu, que « la vérité, de toujours, est elle-même de structure ironique, […] la structure de l’ironie étant celle qui ne force pas la vérité à s’avouer, mais la laisse à sa caractéristique ontologique majeure, qui est son indécidabilité. »

Cette dernière thèse, probablement la plus importante aux yeux de l’auteur, m’est demeurée hélas, au terme de la lecture de son opuscule, parfaitement incompréhensible. Car s’il est l’héritier de Lacan, Deleuze, Derrida et Badiou pour le meilleur, il l’est aussi pour le pire : par ses difficultés à s’arracher à la jouissance d’être incompréhensible, par laquelle il gâche des talents de pensée et d’écriture exceptionnels.

Presque tous ses textes, dont certains sont splendides (notamment, dans Society, ceux sur le coup de foudre et la pornographie), sont écrits comme au fil de l’inconscient. Il s’engage dans des questionnements passionnants, mais laisse chacun en suspens, l’abandonne presque toujours en cours de route. Il procède en intriquant et en traitant simultanément une telle multiplicité de questions qu’il est naturellement impossible de le suivre. Ces questions, qui comportent déjà leur difficulté intrinsèque, pourraient aisément être abordées de manière successive, pour épargner au lecteur une difficulté, elle, parfaitement artificielle.

En outre, les démonstrations de Mehdi Belhaj Kacem sont trop souvent interrompues par des règlements de compte personnels avec tel ou tel philosophe contemporain, dans lesquels toute rigueur philosophique est abdiquée. Dans Ironie et vérité, c’est le cas notamment avec Baudrillard et Tiqqun, dans des pages très piteuses où la confusion atteint son sommet et où l’auteur prétend réfuter des thèses qu’il n’est pas même capable (ou du moins le feint-il) d’exposer de manière cohérente et fidèle.

Mehdi Belhaj Kacem se refuse par ailleurs presque toujours à définir rigoureusement ses concepts avant d’en user. Il estime peut-être que tout ce qui est, même vaguement, linéaire, est par là même nécessairement réactionnaire et haïssable. Cela me semble faux. Enfin, je trouve dommageable à sa pensée son recours très fréquent à l’argument d’autorité (du genre : Lacan l’a dit, donc c’est vrai), quel que soit le coefficient d’ironie dont cet usage peut être affecté, ainsi que sa tendance à céder plus qu’à son tour au « prestige de la belle formule », incompréhensible de préférence.

En dépit de tout cela, il y a beaucoup de belles pages dans Ironie et vérité, sur Socrate par exemple, ou sur la pièce tardive de Marivaux Les acteurs de bonne foi. Hélas, Mehdi Belhaj Kacem réserve pour finir à l’ironie le même sort qu’à ses autres concepts. Il en propose plusieurs définitions manifestement (ironiquement ?) contradictoires entre elles, en laissant à la perspicacité du lecteur le soin de les articuler elle-même – c’est-à-dire de faire son boulot dialectique à sa place. Son ouvrage ne propose ainsi aucun critère distinctif permettant de discerner pourquoi la « grande ironie » est grande, et vraie, et pourquoi « l’ironie de masse » ne l’est pas. Si ce qu’il nomme « l’indiscernable » ou « l’indécidable » de la vérité, ce sont cette confusion et cette overdose de paradoxes, je ne peux que m’inscrire en faux contre son concept de vérité.

Mehdi Belhaj Kacem est l’un des êtres les plus doués de sa génération. Son talent mérite beaucoup mieux. Puisse-t-il guérir promptement de ses overdoses d’abysses, briller moins afin d’éclairer davantage le vulgaire – ses frères mortels.

L'esprit du nihilisme: Tome 1, Ironie et vérité

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Parle à mon cul, ma tête est malade !

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J’ai parmi mes proches beaucoup d’hommes et de femmes qui ont suivi une psychanalyse. Certains en suivent encore. Je n’ai pas remarqué que mes amis à psy étaient plus équilibrés, plus chanceux en amour ou s’entendaient mieux avec leur mère que mes amis sans. Cela doit-il nous amener à remettre en cause la supériorité des thérapeutes occidentaux sur les marabouts africains ? Cela mérite peut-être une étude. Dans l’ensemble, je n’observe pas que les gens quittent le divan en meilleur état mental qu’ils ne l’étaient en entrant, mais on me dit que sans analyse ce serait pire, je veux bien le croire.

Tout ceci reste bien mystérieux pour moi et je ne m’étendrai pas sur une question dont j’ignore presque tout. L’économie que je réalise en me passant de psy doit suffire à mon bonheur et je n’ai pas d’opinion sur cette science, en tout cas quand elle s’exerce entre adultes consentants. Mais il arrive que certains praticiens dépassent les bornes. Le Dr Daniel Cosculluela, psychiatre de 52 ans, dont le procès a fait l’actualité d’un soir le mois dernier a pris 12 ans de réclusion et une interdiction d’exercer définitive pour avoir abusé sexuellement de quatre de ses patientes.

Mettre sous hypnose de pauvres femmes crédules qui se déshabillent avant de s’allonger sur le divan, pour mener une introspection à leur insu, ce n’est pas joli, joli et le docteur aurait pu se contenter de sa Porsche pour les amadouer et arriver à ses fins. Ses pratiques l’ont mené en prison et la justice a été rendue, ne revenons pas sur la condamnation.

Pourtant, l’énoncé des accusations portées contre le satyre m’a laissé un peu perplexe. Le docteur était accusé d’avoir « placé ses patientes par des pratiques inhabituelles dans un état de dépendance susceptible d’altérer leur volonté pour leur imposer des relations sexuelles ».

Jusqu’à présent, personne n’a porté plainte contre moi mais depuis le verdict de ce procès, je suis inquiet. Pourrais-je un jour être trainé en justice par une femme ou pourquoi pas quatre pour les avoir « placées dans un état de dépendance », ou pour avoir « altéré leur volonté afin de leur imposer des relations sexuelles » ? Je croyais qu’il fallait précisément altérer les volontés pour obtenir des relations sexuelles sans avoir à les imposer. Je tenais même cette condition comme une règle de base de la séduction. Comment faire pour mettre une femme dans son lit la première fois sans promesse de lendemain ni de sentiments et sans avoir au préalable altéré un peu sa volonté ? Comment la faire revenir sans la placer par des pratiques inhabituelles pour elle dans un état de dépendance ? Sommes-nous menacés par nos habitudes de séduction ? Devrons-nous adopter de nouvelles pratiques plus conforme à la législation ?

Tous les rites de la relation amoureuse, toutes les preuves de cet amour qu’on nous réclame à cor et à cri, des fleurs de la Saint Valentin au week-end romantique, à quoi servent-ils sinon à altérer la volonté et placer en état de dépendance ? La déclaration d’amour, cette arme fatale pour la volonté du sexe faible et redoutable pour s’assurer sa dépendance devra-elle être placée sous contrôle judiciaire ?

Autre chose, les pratiques inhabituelles ainsi que la mise en état de dépendance dont on accuse le psychiatre dans cette affaire peuvent-elles être entendues au sens sexuel du terme et être retenues à charge dans d’autres contextes que celui d’une thérapie? Serons-nous jugés pour nous être livrés à des pratiques sexuelles inhabituelles plaçant des femmes dans un état de dépendance sexuelle afin de leur imposer des relations sexuelles ?

Là, ça devient très inquiétant. Serons-nous demain montrés du doigt pour les talents qui nous valent d’être convoités aujourd’hui ? L’état de dépendance de nos amoureuses nous sera-t-il un jour reproché ? Devrons- nous modérer nos prouesses pour échapper à des poursuites judiciaires ?

Evidemment, tout est question d’interprétation mais la judiciarisation de la société française et la féminisation de la magistrature ne me rassurent en rien. Je ne me sens pas à l’abri d’une juge d’Outreau. Exposés par la législation à la vengeance de femmes trompées ou désaimées, regretterons-nous un jour l’âge d’or d’avant les procès, celui des cris et des gifles, quand les filles hystériques savaient ne pas se tenir ?

Mais c’est sans doute pour les femmes que le risque est le plus grand. Une justice qui leur interdirait d’altérer les volontés des mâles et de les placer en état de dépendance sonnerait le glas du règne féminin. Et nous, les hommes, qui ne vivons que dans l’espoir de voir nos volontés altérées et dans l’extase de notre dépendance, en serions les premières victimes. En fait le danger de cette jurisprudence nous menace tous. Les uns et les autres, ne poursuivons-nous pas toute notre vie la quête de ce pays merveilleux ou les volontés s’anéantissent et ou la dépendance est totale ? Ne courrons-nous pas tous après ce trouble de l’âme ou la dépendance a remporté sur la volonté une victoire écrasante ? Ne cherchons-nous pas tous l’amour ?

Défendons ensemble, main dans la main, nos droits à vivre en esclaves, à faire le contraire de ce que l’on veut et à ne plus pouvoir nous passer les uns des autres, si nous voulons rester des hommes. Et des femmes.

La luxure, c’est pas du luxe !

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« Je ne suis pas un irresponsable dépensier, je ne suis en rien un homme qui vit dans la luxure. » A en croire cette citation du Monde extraite du rapport de l’enquête policière sur les supposées malversations financières de Julien Dray, cette sombre histoire de fric se doublerait d’une croustillante histoire de fesses. En effet, ce que semble nier le député de l’Essonne, c’est de se livrer à des pratiques sexuelles que la morale réprouve, la luxure étant, comme chacun sait, un péché capital ayant trait à la chair. Comme il semble que la libido de Juju soit essentiellement horlogère, on peut faire l’hypothèse que le flic ayant procédé à son interrogatoire ait confondu luxe et luxure. Si cela devait être le cas, ce fonctionnaire devrait arrêter, de son côté, certaines pratiques réputées rendre sourd.

L’enfer, c’est les autres…

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La bonne nouvelle pour tous ceux qui – en Amérique Latine notamment – souhaitaient voir les USA s’immiscer d’un peu moins près dans leurs affaires intérieures, c’est qu’avec Obama, les choses sont visiblement en train de changer : le vice-président américain Joe Biden vient de déclarer hier lors d’un discours officiel : « Nous sommes contre la notion de sphères d’influence qui datent du 19e siècle et n’ont rien à faire au 21e. » La mauvaise nouvelle, c’est que cette déclaration, faite à Tbilissi, concernait exclusivement le soutien apporté par la Russie aux séparatistes abkhazes et ossètes en Georgie…

Obama prend un râteau à l’est

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Avant la chute du communisme, on les appelait les dissidents : Sakharov, Havel, Walesa ont connu la prison, d’autres furent contraints à l’exil. Pendant que les gouvernements de l’Occident démocratique cherchaient des accommodements avec l’Union Soviétique, ils incarnaient la résistance intraitable au totalitarisme communiste. Grâce à eux, quelques intellectuels maoïstes français furent dispensés d’une cure de silence repentant dans une quelconque Trappe laïque, après s’être reconvertis dans la défense des persécutés de derrière le Rideau de fer.

Aujourd’hui, alors que l’on va bientôt célébrer le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cette génération dissidente a, pour l’essentiel, quitté le devant de la scène politique où elle avait été propulsée après l’effondrement des régimes communistes.

Mais elle n’a pas renoncé à s’exprimer publiquement au nom de leur expérience historique, et à dire leur fait sans détour aux dirigeants d’aujourd’hui, comme ils le firent jadis face aux tyrans post-staliniens.

En ce mois de juillet, le Tour de France, les bonbonnes dans les usines en voie de liquidation et la castagne au PS ont barré, à de rares exceptions près, le chemin des médias à une lettre ouverte fort intéressante adressée au président des Etats-Unis par vingt anciens responsables politiques de pays d’Europe centrale et orientale. On retrouve dans cette liste les icônes de la dissidence qui sont encore de ce monde, et même un ex-communiste, l’ancien président polonais Alexander Kwasniewski. Ce sont ceux à qui, en mai 2003, Jacques Chirac avait reproché d’avoir « manqué une bonne occasion de se taire » pour cause de soutien à la guerre d’Irak. L’injonction venue de l’Elysée provoqua chez eux plus d’hilarité que de colère : ils avaient tenu tête à Brejnev et au Kremlin, alors une gueulante de Corrézien, ils pouvaient faire avec.

Ces gens-là ne sont donc pas du genre à se laisser intimider, fût-ce par celui qui dispose à la fois de la puissance militaire la plus considérable et d’une popularité sans égale dans la foule mondialisée, le président des Etats-Unis Barack Obama.

Ils tirent la sonnette d’alarme devant ce qu’ils considèrent comme un désengagement des Etats-Unis de l’Europe centrale et orientale au profit de la recherche d’un accord global avec la Russie de Poutine et Medvedev, notamment sur la réduction des arsenaux nucléaires.

En terme choisis, ils reprochent à Obama de se faire balader par des Russes qui, écrivent-ils, « mènent une politique extérieure comme une puissance du XIXe siècle avec les méthodes du XXIe siècle », cherchant à étendre leur zone d’influence par toutes sortes de moyens, y compris les plus technologiquement sophistiqués, comme la piraterie informatique.

Ils s’inquiètent également de la passivité de cette OTAN à laquelle ils ont adhéré avec enthousiasme devant les agressions militaires ou économiques de pays qui se sont émancipés de la tutelle soviétique et sont sortis de l’orbite russe, comme la Géorgie et l’Ukraine. Ils donnent au passage une petite leçon de kremlinologie moderne à une Administration américaine qui semble avoir oublié les leçons de la Guerre froide, sous prétexte que les Russes ont, pour l’instant renoncé à disputer aux Etats-Unis la suprématie planétaire : « Au niveau mondial, la Russie se comporte, sur la plupart des sujets, comme une puissance soucieuse du maintien du statu quo. Au niveau régional et vis à vis de nos nations, cependant, elle agit comme une puissance révisionniste. Elle conteste nos droits à faire nos propres expériences historiques. Elle revendique une position privilégiée quant à la détermination de nos choix en matière de sécurité. Elle fait usage de tous les moyens, licites et illicites de guerre économique – blocus énergétique, investissements politiquement ciblés, corruption et manipulation des medias – pour faire prévaloir ses intérêts et faire obstacle à l’intégration atlantique de l’Europe centrale et orientale. »

Par ailleurs, ils constatent dans leurs pays respectifs, une désaffection croissante à l’égard des Etats-Unis, et un repli vers des positions nationalistes, voire fascisantes et antisémites dont on a pu voir les effets électoraux lors du dernier scrutin européen.

Il serait pour le moins réducteur de ne voir dans cette lettre qu’un combat d’arrière-garde de ceux qui ont soutenu George W. Bush dans ses entreprises les plus hasardeuses. Ses auteurs, qui ont le nez historiquement fin, sentent dans les premiers pas de la diplomatie est-européenne d’Obama, un parfum de Yalta qui ne leur plait pas du tout, et on les comprend.

Ils le jugeront sur son attitude dans deux dossiers qui leur tiennent particulièrement à cœur : la mise en place, en Pologne et en République Tchèque du système antimissile projeté par l’administration précédente, et le soutien des Etats Unis aux projets de gazoducs permettant d’éviter d’être soumis au chantage énergétique de Moscou.

Enfin, il y a des petites vexations qui sont irritantes lorsqu’elles sont infligées à des gens réputés amis, notamment sur la question des visas. Ainsi, nos épistoliers s’étonnent que Lech Walesa, comme tous les Polonais, soit contraint à demander un visa pour se rendre aux Etats-Unis, alors que notre José Bové national peut, lui, se présenter quand il veut où il veut aux agents US de l’immigration muni de sa moustache et de son seul passeport.

Certes, il existe dans le monde d’autres injustices plus dommageables, mais comme dirait Boris Vian, c’est « en protestant qu’on peut finir par obtenir des ménagements ».

Paris ville ouverte

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Le tourisme, c’est le commerce. Dans la vraie vie, on s’en était rendu compte. Une ville touristique, c’est une ville où on peut acheter et vendre tous les jours et (n’en doutons pas, c’est pour bientôt), à toute heure. Pour faire plaisir à Madame Obama, le président n’a pas proposé de lui faire visiter le Louvre un soir (il est vrai qu’il est encore ouvert le dimanche) mais de lui faire ouvrir le jour du Seigneur les boutiques de l’avenue Montaigne – qui dans l’esprit de l’hôte et de l’hôtesse sont sans doute le véritable patrimoine français.

Le feuilleton du travail dominical vient donc de s’achever avec le vote à l’arraché au Sénat de la loi proposé par le député des Bouches-du-Rhône Richard Mallié. Bien que les ardents défenseurs du texte se soient très efficacement employés à noyer le poisson, les débats devraient avoir dessillé ceux qui pensent encore que le tourisme est une conquête de l’humanité avec découverte de l’autre, frotti-frotta culturel et sensations fortes – ceux qui n’ont jamais ouvert un livre de Philippe Muray. Tout le monde le sait, faire du tourisme, c’est acheter. Et si tout le monde traque le touriste, c’est pour le plumer, point.

En vrai, le travail du dimanche n’est dans cette affaire qu’un dommage collatéral, un vieux droit social sacrifié à un droit bien plus grand, le droit d’acheter (donc de vendre). Les promoteurs de la loi, président de la République en tête, veulent étendre encore et toujours plus les territoires voués à la consommation. Et, ça tombe bien pour eux, cette obsession, ils la partagent avec pas mal de nos concitoyens, de quelque bord qu’ils soient.

Je vous épargne les discussions talmudiques entre exégètes sur les définitions comparées du tourisme selon la loi de 2006 et selon la loi Mallié. En théorie, l’ouverture le dimanche reste l’exception, ça fait plus joli comme ça. À l’arrivée, le territoire national est divisé en trois zones qui peuvent se recouper. Pour commencer, il y a tous les villages et petites villes qui seront épargnés, n’ayant pas l’heur de constituer des zones où existent des « usages de consommation de fin de semaine » – en clair, les territoires où ne poussent ni Carrefour, ni Jardiland, ces endroits où les technos pensent que les pauvres font du tourisme le samedi après-midi. Viennent ensuite ces vastes zones qualifiées de « PUCE » (périmètres d’usages de consommation exceptionnel ») sans doute parce qu’elles sont affermées aux géants de la distribution. Dans ces « PUCE », le salarié qui travaille le dimanche bénéficie normalement de contreparties.

Reste enfin, la dernière catégorie, définie de façon assez floue, des « zones touristiques et thermales ». La liberté du commerce doit y être pleine et entière, à ceci près que les commerces d’alimentation sont sommés de fermer en fin de matinée. (Or, si les deux sens du mot commerce ont encore vaguement partie liée, ce n’est pas chez les marchands de fringues mais chez le boucher, le boulanger ou au marché). Pour l’instant, seuls certains quartiers des grandes villes notamment de Paris sont concernés. Mais, et c’est bien là que se niche la plus grande entourloupe de l’affaire, il sera facile d’étendre l’un ou l’autre des régimes dérogatoires à l’ensemble des villes de plus de 1 million d’habitants, soit en les faisant passer entièrement sous le statut de PUCE, soit en les déclarant « zones touristiques totales », autrement dit, je le répète, en « zones commerciales intégrales ». Le triste destin des quartiers piétons dont le nom pouvait laisser croire qu’ils étaient destinées à la flânerie donne une idée du cauchemar qui nous attend – qui a déjà commencé.

Certes, il faudra pour cela l’accord du Conseil municipal. Il faut être juste, pour l’instant, à gauche, c’est un concert de protestations sur le thème « le salarié a le droit d’aller à l’église le dimanche », mais l’heure de vérité sonnera quand les élus des grandes villes, Paris en tête, auront à se prononcer pour de vrai. Peut-être suis-je pessimiste mais j’ai comme dans l’idée que notre gauche moderne ne résistera pas à l’alliance des commerçants, des yuppies et de tous ceux qui s’ennuient quand les magasins sont fermés.

L’ouverture des magasins le dimanche, c’est-à-dire la suppression de l’idée du dimanche, c’est moderne – cette affaire de dimanche, c’est quand même un peu catholique sur les bords. D’ailleurs, voilà des jours que je me fais engueuler de tous côtés. Les copains libéraux, confiants dans la sagesse du marché me répètent que « personne n’oblige personne à acheter le dimanche, ni d’ailleurs à travailler ». (Pour ce qui est de travailler, toute l’affaire est enrubannée par le mot magique de « volontariat » mais on peut craindre que les volontaires désignés n’aient en vérité qu’un choix très fictif). Un grand ami de gauche bien sous tous rapports, employé par la ville de Paris par ailleurs, a le droit à une double-dose. En plus des magasins qui, dans mon quartier du Marais, n’ont pas attendu la loi Mallié pour ouvrir, il prend ma colère récurrente contre Paris-Plage. « Bien sûr, tu raisonnes exactement en bobo du Marais, sans penser à tous ceux qui ne partent pas en vacances ni à ceux qui n’ont que le dimanche pour se promener et faire du lèche-vitrines ». Ah, oui, et puis, il y a New York où, selon la légende tout est ouvert 24/24. En fait, ce qui est ouvert 24/24, ce sont d’abord les Chinois et les Indiens qui vendent des sandwichs à se damner. Calvin Klein, hors soldes, ça ferme à 20 heures et, le dimanche, les portes restent closes.

L’argument new yorkais est significatif. Derrière cette frénésie d’ouvrir à la fièvre acheteuse les quelques territoires et instants qui lui résistent, il y a le désir absurde d’être partout chez soi et la croyance imbécile que toutes les villes ont la même ADN. Peut-on penser un instant que les délicates façades parisiennes qui déploient tant de facéties et de splendeurs acclimatent le monde marchand de la même façon et dans la même grammaire que les façades de verres et d’acier de Manhattan ? Je suggère à chacun de faire l’expérience d’arpenter la rue des Francs-Bourgeois un dimanche de beau temps. Venez voir par vous-mêmes les gamins grognons, les mecs impatients, les couples à bout de nerfs, les ados ronchonnes. Voilà le paradis qu’on nous promet parce que dans un pays accueillant, il faut que madame Obama puisse acheter des robes chichiteuses à ses filles.

Paris et Marseille aujourd’hui, demain Toulouse, Bordeaux et Lyon finiront par y passer ; il faut faire de nos villes des « villes ouvertes » – à la consommation et au tourisme, au tourisme consommationnel.

Rien de grave, au fond, il s’agit juste d’en finir avec les villes, ces chaudrons de sorcières où se nouaient et dénouaient les petites affaires humaines. Après tout, faire les magasins le dimanche nous épargnera définitivement la fatigue d’être soi.

Ton maire en slip sur la 5e Avenue

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Coup dur pour le maire de New York qui entendait bien se faire élire sans contrariétés pour un troisième mandat consécutif le 9 novembre prochain : Michael Bloomberg a un nouvel adversaire, qui se trouve être plus connu et plus aimé que lui à Manhattan et dans le monde entier. En effet, le Naked Cowboy, une légende vivante des lieux, entend se présenter à la mairie. Depuis une dizaine d’années, le cowboy nu, de son vrai nom Robert Burck, pose en slip kangourou, stetson et santiags aux côtés des touristes à Times Square, d’où il a logiquement lancé sa campagne hier. Une campagne très politique, puisque à l’heure ou nombre de collectivités territoriales américaines sont au bord de la banqueroute, il assure être le mieux placé pour en faire un maximum avec un minimum de moyens…

cowboy