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Les trains ratés de Ségolène


Les trains ratés de Ségolène

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Il ne suffit pas de détester Ségolène Royal. Encore faut-il savoir pourquoi. Le vrai pourquoi, s’entend. Pas l’épidermique, ni le politique. Pour tout dire, nous pensons que les gens qui apprécient son style ou partagent ses opinions ont encore plus de raisons que quiconque d’être furieux contre elle. C’est quand même eux qu’elle a grugés le plus raide.

Le divorce à l’italienne avec Vincent Peillon, savamment mis en scène et pré-vendu aux médias à la manière du mariage de Tony Parker et Eva Longoria, est en effet le énième épisode d’un soap en apparence assez traditionnel dans son écriture (la petite nana sortie de nulle part qui à la fin triomphe des gros méchants, genre Erin Brokovitch), mais en réalité son scénario est résolument moderne. On est plus près de Twin Peaks que de Plus belle la vie : on n’y comprendra rien si on oublie que tout ce qui se passe d’important n’est pas montré à l’écran. Non pas parce qu’il y a dissimulation – ce qui en politique est un non-événement – mais parce que ce qui est crucial, c’est ce qui n’est pas advenu.

Ce qui n’est pas advenu, c’est essentiellement une chose : le divorce de Ségolène d’avec un parti qui n’a jamais vraiment voulu d’elle. A deux cents occasions, elle a dit et redit que le parti était usé, sclérosé, fossilisé. On peut partager ce constat, ou pas. Mais, en partant du postulat que Ségolène croit à ce qu’elle dit, on est bien obligé de se demander ce qu’elle fiche encore là-dedans. Ce constat de mort clinique de la gauche social-démocrate dans sa forme-parti du moment n’a en soi rien de neuf, d’autres l’ont fait avant elle. Parier sur la mort du parti a toujours fait partie de la vie d’un parti, et plus spécialement de ce parti. C’est d’ailleurs ainsi qu’est né le PCF à Tours en 1920 après la Révolution d’Octobre. C’est ainsi que les socialistes qui refusaient la guerre d’Algérie ont fondé le PSU. Quant au plus illustre des socialistes français du XXe siècle, c’est essentiellement à l’extérieur du PS qu’il a fait sa vie politique : François Mitterrand n’a rejoint la grande famille socialiste qu’à l’occasion du Congrès d’Epinay, pour en devenir illico le chef. Avant d’arriver à ses fins, le maire de Château-Chinon avait navigué dans une myriade de micro-partis ou de clubs centre-gauche fauchés, mais qui présentaient tous le même avantage: c’était lui le chef, charbonnier est maître chez soi !

Oui, pour sauver la social-démocratie dénoncée par icelle comme grabataire, l’électrochoquer, la transcender, la ressusciter, Ségolène aurait dû sortir du PS, préliminaire obligé à toute velléité de reconquista. Elle a eu de multiples occasions pour le faire, et par le haut. Elle pouvait quitter le parti après la présidentielle, où l’appareil a tout fait pour lui savonner la planche –l’histoire entière de ce complot florentin reste à écrire, mais bon, on a des yeux pour voir. Elle aurait pu claquer la porte après les journées des dupes à Reims. Elle pouvait aussi tirer sa révérence après les palinodies de commission de récolement. Elle aurait même pu, à la limite, s’appuyer sur la bérézina des européennes pour tenter une OPA plus ou moins amicale sur le nouvel électorat vert qui, massivement, correspond au noyau dur de celui qui fut le sien à la présidentielle. Mais bon, elle ne l’a pas fait. Et comme elle ne nous a pas confessé pourquoi, et que Françoise Degois n’est plus sur France Inter pour nous l’expliquer, il ne nous reste plus donc qu’à conjecturer

Si on penche pour une vision analytique, on dira que Ségolène n’a pas franchi le Rubicon (à l’envers, de fait) parce qu’il lui est insupportable de conceptualiser que le parti institutionnel voire intermédiaire, le parti des conseillers généraux madrés et des jeunes chargés de mission à lunettes Mikli la rejette, ne l’aime pas.

Le cynique, lui y verra une histoire de cagnotte (une campagne, comme dirait une amie commune, ça se paye pas avec des saucisses). Une histoire de fédés qu’on peut peut-être garder ou gagner (il faut un appareil même si on le déteste, seul moyen de mettre les braves militants en rangs d’oignons pour aller faire le boulot). Il faudrait pas non plus négliger la noria de désirdaveniristes trépignants à placer qui aux cantonales, qui aux régionales, voire dans un cabinet de maire quelconque pour les moins doués. Quitter Solferino, ça commence forcément un peu comme un saut dans le vide. Pas sûr que même les plus vaillants y soient prêts. Pas sûr, par exemple qu’une Najat Belkacem ou une Delphine Batho restent ségolénistes très longtemps si ses perspectives immédiates d’ascension politique se transmutent en aller-simple pour une traversée du désert, exercice dont on ne sort grandi que quand on n’y laisse pas sa peau. À preuve Aurélie Filippetti, qui fut longtemps plus ségoléniste que Ségo avant de l’abandonner en rase campagne (des européennes), ce qui ne veut pas dire, qu’elle ne reviendra pas un jour, of course.

Enfin, on pourra opter pour une approche au ras des pâquerettes. Si Ségolène n’a pas été capable de quitter le parti pour mieux le reconquérir, c’est tout bêtement qu’elle n’en avait pas le cran, dirons pour rester poli quand on parle d’une dame.

N’est pas Mitterrand qui veut. Si ma tante en avait, on l’appellerait Tonton.



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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