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Il faut que Copenhague échoue !

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Sale temps pour les climatologues.
Sale temps pour les climatologues.

Sommet de la dernière chance pour sauver la planète et l’humanité : les techniques de marketing les plus modernes et les pratiques de propagande les plus anciennes ont été mises à contribution, pour que « cette fois, on ne dise pas: on ne savait pas ». Désormais on sait ce qui nous attend si on ne fait rien et ce qu’il faut faire pour être pardonné. Il s’agit de sauver l’humanité, et en bonus toutes les espèces encore vivantes que nos abus n’ont pas encore éliminées. Pour cela, le chacun pour soi doit disparaître au profit du tout solidaire.

Communiant dans un élan altruiste inégalé, les dirigeants du monde entier, enfin agrégés en un être global et responsable, pourront alors faire jaillir la « force » toute puissance, d’ordinaire attribuée et réservée à Dieu, pour agir sur la nature, renverser les cycles, ouvrir ou refermer la mer, et limiter la hausse future de la température moyenne à 2 degrés. On se demande pourquoi ils n’en profiteraient pas pour limiter aussi à 2 % la hausse du chômage, de l’inflation, des accidents, la baisse de la bourse, du prix du pétrole.

Nous implorons un miracle de notre nouvelle divinité : la planète devenue une personne morale qui se fâche, punit, pardonne, récompense.

Elle nous tient par la peur. J’ai peur, tu as peur, vous avez peur, nous avons peur. De quoi ? De la nature qui perd la boule et dévaste tout parce que nous autres, humains occidentaux, avons abusé sans vergogne de ses générosités. Ceux qui nous disent cela ne sont pas des charlatans et des prédicateurs, mais des scientifiques – les climatologues qui, en faisant tourner leurs ordinateurs, ont réussi à faire parler la planète. Comment refuser cette promesse d’un monde meilleur ?

L’ennui, c’est que cet « immense espoir » repose sur un malentendu de taille. L’état de connaissance actuel de la climatologie ne lui permet de déterminer ni l’évolution du climat à court, moyen et long terme, ni les causes des dérèglements récents. Elles peuvent être naturelles, liées à l’activité humaine ou les deux.

Or, le GIEC transforme les croyances en certitudes, les hypothèses en vérités établies. Peut-être est-il légitime de décider de la réduction des émissions de CO², mais l’imposer comme le seul moyen de sauver la planète relève de la manipulation idéologique. Que les chercheurs défendent leurs convictions, c’est normal. En revanche, quand ils entretiennent la confusion sur la validité de leurs résultats, et se font dans les médias les propagandistes de l’apocalypse quelque chose ne va pas.

La climatologie est appelée à se développer avec succès. Mais elle n’en est qu’aux balbutiements. Rappelons qu’elle n’est pas une science qui a fait ses preuves, mais une agrégation ad hoc de disciplines très diverses allant de l’astronomie à la glaciologie, en passant par la géologie, l’océanographie, l’hydrologie, l’agronomie, la modélisation, chacune n’ayant qu’une vue très partielle des « choses » du climat. Un peu de modestie et de retenue de la part des climatologues seraient donc bienvenues.

Naguère peu développée, la communauté des climatologues s’est transformée en quelques années en une véritable entreprise multinationale dotée d’organismes unitaires qui parlent d’une seule voix. Grâce à un lobbying politique et médiatique efficace, elle s’est installée dans une logique d’entreprise monopoliste qui défend son pouvoir et ses intérêts. Elle a réussi à imposer à l’opinion publique et aux politiques sa « vision » de l’évolution du monde. Loin de favoriser la recherche, ce type d’organisation, unique en science, bloque son libre développement. Cette logique est dangereuse par nature, comme l’a révélé le récent « climategate », qui a mis au jour les petits arrangements entre climatologues alarmistes pour préserver la « ligne officielle » du GIEC.

Un grand nombre de climatologues alarmistes aiment à rappeler que la climatologie n’est pas la météorologie. En effet, et c’est bien dommage. Car la météorologie, grâce à ses prévisions allant de quelques heures à plusieurs jours, soumet ses hypothèses au contrôle expérimental des milliers de fois par an et partout dans le monde. Elle peut donc être considérée comme une science dure même si son degré de fiabilité laisse encore à désirer.

Compte tenu de ses horizons de prédiction très longs, il faudra à la climatologie quelques siècles pour éventuellement atteindre le niveau de la météorologie. Jusqu’à présent, elle n’a été capable que de reproduire le passé, du moins ce que l’on en connaît. Elle n’a fait aucune prédiction avérée. Et tant bien même en ferait-elle une ou deux, ce ne serait pas suffisant pour établir un degré de fiabilité valide.

Le GIEC nous dit que 90 % des scientifiques sont convaincus de la pertinence des thèses alarmistes ; il en conclut que l’hypothèse de la responsabilité humaine a un coefficient de probabilité de 90 % et qu’au nom du principe de précaution, il serait criminel d’attendre d’être sûrs à 100 % pour agir. Seulement, s’agissant d’une situation unique, celle de l’évolution du climat pendant le siècle à venir, l’utilisation de probabilités n’a aucun sens opératoire : nous n’avons qu’une seule planète et qu’un seul climat. Face à une menace incertaine, il est parfois préférable de ne rien faire. Or, la conviction des climatologues ne suffit pas à assurer que leurs modèles permettent de prédire ce qu’il adviendra d’un climat dont on ne connaît pas les lois qui le régissent. La science est amorale, elle ne se décide ni au consensus ni à la majorité, elle se construit par les découvertes des lois de la nature.

Il est indéniable que notre production de CO² a énormément augmenté en raison des excès de notre mode de vie occidental et du gaspillage afférent des ressources épuisables. Mais nos excès et notre contribution au CO² atmosphérique n’ont peut-être rien à voir avec la survie de la planète. Or, quiconque doute de la culpabilité humaine dans l’évolution du climat est immédiatement accusé de cautionner la pollution, le gaspillage, les inégalités et tous les maux du monde. L’état du climat n’a rien à voir avec l’état de la société. On n’a jamais résolu un problème en désignant un bouc émissaire. Réduire notre production de CO² ne créera pas un monde plus juste.

La réalité finit toujours pas s’imposer, mais ce retour au réel peut se payer au prix fort. Méfions-nous de nos bons sentiments, de nos peurs archaïques, de notre conviction d’omnipuissance. Osons dire non à la grande incantation sacrificielle de Copenhague, refusons les sirènes rédemptrices d’un monde sans CO² humain. Ce n’est pas la planète qui est en danger, c’est la société. Et face à ce danger-là, le seul remède, c’est l’intelligence humaine.

Un peu de chaleur grâce à Carla Bruni

Le Parisien nous apprend, dans son édition du mardi 15 décembre, que Carla Bruni a des amis SDF. Au moins un : Denis. On connaissait Mme Sarkozy proche des rock-stars, des politiques, des artistes, des philosophes, mais pas encore des « plus défavorisés ». La « première Dame de France », nous apprend Le Parisien, va faire la une de la prochaine livraison de Macadam, publication vendue par les sans-abris. Carla y évoquera sa fondation, « mon mari », ainsi que son mystérieux ami Denis-le-sans-abri : « Avec le temps, dit-elle, nous avons tissé des liens amicaux. Je m’arrête parfois pour le saluer et, très vite, nous parlons de lecture et de musique. » La first Lady nationale confesse même avoir proposé à Denis de le loger à l’hôtel pour éviter les rigueurs de la rue… On reste pantois devant cette orgie miniature de communication élyséenne, bien plus glaçante, en vérité, que l’actuelle vague de froid.

In vino veritas

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bouteille

L’autre soir avec des amis, les bouteilles sur la table étaient vides, mais le débat sur le débat battait son plein. La conversation était venue comme ça, sans qu’on sache trop comment, entre la poire et le fromage. Certains étaient pour, les autres étaient contre. Chacun a vite choisi son camp, et n’en a plus bougé. Il a fallu trouver des noms pour les deux partis.

Les beaufs ou assimilés étaient pour. « L’identité c’est important d’en parler, impossible de s’orienter et d’avancer dans le vaste monde sans savoir qui on est. Pour aller quelque part, il faut savoir d’où l’on vient, c’est mieux, disaient-ils. »

Les bobos ou assimilés étaient contre. « Tout ça c’est rien que des sarkozeries pour gagner les élections. Et ça fait le jeu du Front national, qui va en profiter pour tirer les marrons du feu. » « – Pour laisser les marrons au feu tu veux dire, répliquait un beauf hilare. » « – Carton jaune ! C’est une blague hortefasciste, assenait un opposé. »

Bref, on rigolait bien entre nous, et d’autres noms d’oiseaux fusaient bientôt gentiment par-dessus la table encombrée, « approuveurs de débat, sarkozystes lepénisés ! », « bobopposants débatteurs ! ». On le voit, les noms c’est bien pour distinguer les com(dé)battants, mais au fond, c’était beaubofs contre bobeaufs à Paris sur Seine, la routine participative et citoyenne dans ce beau pays de France.

Il y avait juste un léger malaise qu’on ressentait un peu, nous, les impliqués. Car pesait sur nous le regard lointain et supérieur d’un silencieux, un philosophe de notre connaissance, toujours vachement aérien dans son coin. Ses sentences lapidaires étaient respectées, et même craintes par les deux partis. Depuis longtemps, il connaissait lui, mais pas nous, « la grande réponse qu’on doit faire aux outrages ». Patience, vertu. Détachement. C’était notre maître de philosophie à nous autres, les messieurs Jourdain du jour, un peu euphoriques de constater par nous-mêmes que nous avions fait du débat sans le savoir. Mais le maître de philosophie cassait l’ambiance. Car le débat sur le débat sur l’identité, pour lui, on l’a vite compris malgré les brumes de l’alcool, c’était pour les manants. Pour les bouseux « en perte de repères ». Mais pas pour lui, en prise qu’il était avec le cosmos. Un grand sage qui parlait aux étoiles. La solidarité avec le petit monde étriqué de la nation, ça le faisait bien marrer. C’était pas à sa hauteur. Lui était fluide et léger, sa patrie était au firmament. Pour rien au monde on ne l’aurait fait débattre sur l’opportunité du débat, même l’estomac lesté et l’esprit euphorisé par le Givry. Il était tout juste d’accord pour lâcher deux trois phrases, comme ça de loin en loin, un vague sourire en coin. « Franchement, à l’heure de la mondialisation mondialo-mondiale, ce débat sur le débat, c’est complètement franco-franchouillard ! ». Et deux bouteilles plus tard, il ajoutait, en fixant d’un œil toujours malicieux et vaguement supérieur le clan des bobopposants : « Moi, je dis ça comme ça mais vous les opposés au débat, vous ne valez pas plus que les approuveurs de débats, tous vous entrez tout pareil dans le jeu au petit Nicolas. » On faisait semblant de l’ignorer, les uns et les autres, et citoyennement on débattait de plus belle. Alors, un peu vexé par notre bruyant silence, et à peu près complètement désinhibé par le divin breuvage qu’il avait consommé comme nous autres sans trop de modération, il en rajouta une couche, qu’il croyait ultime, en agitant son index céleste sous nos nez sublunaires, mais l’œil sombre, plus du tout malicieux cette fois-ci : « Je dis non au débat sur le débat. La planète brûle ! Les pauvres sont pauvres ! » Il y tenait à renvoyer dos à dos les patriotes impliqués et les opposants concernés. Et surtout, il voulait que ça se sache.

Nous ne pouvions plus ignorer, au stade ultime du pinardisme qui est un humanisme que nous avions atteint depuis longtemps, ce sentiment désagréable d’être mis tous dans le même sac, nous qui tenions tant comme lui à affirmer notre point de vue bien original à nous et à nul autre pareil. C’est ainsi que le piège de l’unanimisme s’est vite refermé sur son instigateur. Constatons-le, laïcité ou pas laïcité, il nous faut impliquer dans nos débats les dieux qui daignent descendre de l’Olympe pour jeter un regard détaché sur les querelles des mortels. Le silence éternel de ces espaces infinis nous effraie. Mais heureusement, grâce au Givry, nous avons les moyens de les faire parler :

– Alors toi comme ça, le philosophe, tu dis non au débat sur le débat. Tu crois que tu pourrais développer un peu, et après je m’octroie un droit de réponse, lâcha, goguenard, un bobopposant débatteur, c’est-à-dire un bobeauf. 
– Tu vois, ajouta un beaubof, c’est ça l’intégration à la française. Un verre ça va, trois verres, bonjour les débats !

Morano est vénère

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Nadine Morano, que l’on a connue mieux inspirée, a déclaré que les jeunes musulmans ne devraient pas parler le verlan. Elle a raison, évidemment, le verlan est cette langue inventée par les médias pour faire croire aux jeunes qu’ils ont un argot que personne ne comprend, alors qu’il n’y a rien de plus ridiculement médiatique que cette inversion systématique des syllabes. On est loin de celui de Villon, de ses camarades bandits de grands chemins et autre tire-laines. Ce qui a gêné, à raison, chez Morano, c’est la confusion musulman et jeune, musulman et verlan, musulman et conduite à risques. Sinon, dans l’actuel climat de délation nous pouvons lui signaler « une députée européenne musulmane », qui ne parle pas en verlan mais exprime avec une étrange désinvolture publique son ennui pour la charge que les électeurs lui ont confiée.

Un gêneur nommé Guaino

guaino

Féru d’histoire, Henri Guaino doit penser, ces jours-ci, que l’Elysée ressemble à la Florence des Médicis : chausse-trapes à tous les étages, cabales et complots en tout genre, bruissement des dagues, fioles de poison à toute heure. Bref quelqu’un veut sa tête. Ou quelques-uns. Et l’un de ses ennemis s’est chargé de le faire savoir au Figaro qui a généreusement consacré vendredi dernier une page à une réunion où semble-t-il, les assiettes ont volé après que le conseiller spécial avait violemment dénoncé – mais en interne – la brillante idée de Luc Chatel de rendre l’histoire-géo optionnelle pour les terminale S.

Manquement à la solidarité, éructent ses collègues qui l’accusent de déstabiliser le président. D’autres – nous, par exemple – pourraient trouver salutaire que le conseiller spécial préfère la compagnie d’Alain Finkielkraut et de Max Gallo à celle de la FCPE, du Sgen CFDT et autres pédagogistes fossoyeurs de la transmission. En plein débat sur l’identité nationale, ne pas transiger sur l’enseignement de l’histoire auprès des futures élites relève d’un certain souci de cohérence prisé même par l’électorat de droite.

Certes, ce n’est pas très neuf. Cet électron libre même pas passé par l’ENA s’est taillé une place à part dans la géographie du sarkozysme. Le président tolère beaucoup de son conseiller spécial et on imagine aisément que ce statut de chouchou, s’agissant d’une tête brûlée, agace ses petits camarades. Il est vrai que Guaino, qui a aussi la tête bien faite, a sa propre conception du devoir et de l’histoire et s’est payé le luxe d’avoir raison contre Mme Lagarde quand celle-ci jurait que la crise n’était pas systémique et qu’elle épargnerait l’Union européenne. Le fait d’être un esprit libre et d’avoir raison contre les importants fait sans doute de lui l’importun par excellence.

En fait, les conciliabules conspiratifs ne sont que les aléas normaux de la vie de bureau qui, même dans une monarchie républicaine, a souvent quelque chose d’une école maternelle.

D’abord, il y a le style. Guaino est une grande gueule, il aime parler aux médias et les médias aiment le faire parler – tout en lui consacrant volontiers des papiers fielleux comme viennent de le faire, à trois jours d’intervalle, Le Figaro et Le Monde. Dans pas mal de rédactions, il semble être le seul sarkozyste vaguement fréquentable, peut-être parce qu’il apparaît comme le moins sarkozyste de tous. Phénomène inédit que cette « plume qui parle », ce qui crée parfois un étrange effet larsen. On ne sait plus s’il faut parler des discours de Guaino ou de ceux du président – ce qui, pour certains, les rend doublement détestables.

Non seulement il la ramène, mais il joue sa partition solo. La petite musique républicaine, néo-gaulliste, étatiste, on appelle ça comme on veut, les références à la grande Histoire, tout cela ne doit pas toujours être très tendance à l’Elysée, où certains doivent s’irriter de ce magistère du verbe pendant qu’eux ont, pensent-ils, les mains dans le cambouis.

Au demeurant, si certains estiment qu’il a trop d’influence, d’autres, sensibles à son verbe flamboyant, lui reprochent de n’en avoir pas assez et d’être l’alibi républicain d’un Nicolas Sarkozy qui ne le serait point. En somme, il serait délégué à l’habillage, préposé à l’imaginaire. C’est oublier que le verbe est un élément central de la politique française, raison pour laquelle il fascine ou révulse. Quand le président emploie le mot « assimilation », jusque-là proscrit par peur du lobby multi-culturaliste, sa parole n’est-elle pas en soi une action ?

Si Guaino n’était qu’un faiseur de chansonnettes, un bibelot républicain, posée sur la présidentielle cheminée, ou un petit singe grincheux qui s’écrierait entre deux raclements de gorge « Vive de Gaulle ! », « Vive le programme du CNR ! », il faut réguler le capitalisme, il n’irriterait pas tant.

Derrière ces secrets d’alcôve complaisamment diffusés, se livre une véritable bataille politique dont l’issue dépend de la réponse à une question. Que veut le président ? La rupture, les indicateurs de performance, la politique de l’offre, la cure d’amincissement de l’Etat, bref la greffe du modèle anglo-saxon ou plutôt un volontarisme étatique, un bonapartisme revisité ouvert aux hommes d’affaires mais méfiant à l’égard des chimères du marché autorégulé ? Le multiculturalisme échevelé ou l’assimilation républicaine ?

Le Sarkozy de la crise a renoué avec une filiation républicaine et bonapartiste. Mais le Sarko d’avant, le chantre de la rupture, des baisses d’impôts et du bouclier fiscal, celui que semblent préférer la plupart de ses conseillers, n’a pas forcément dit son dernier mot.

À l’Elysée, certains semblent confondre accalmie et sortie de crise et n’ont rien de plus pressé que de revenir au statu quo ante. La clarification viendra en son temps. Mais avant que le réel ne se rappelle à tous, il faut espérer que Guaino gagnera la partie contre les professionnels de l’amnésie, appelés aussi les visiteurs du soir.

La triche, c’est la vie

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Quelle hystérie ! La main de Thierry Henry a déclenché des indignations toujours morales, parfois légitimes mais le plus souvent grotesques. Certes, ce n’est pas un bon exemple pour nos chers petits que l’on tente encore de persuader de la glorieuse incertitude du sport entre deux jeux-concours pour attrape-nigauds de TF1. Certes, l’équipe nationale a joué comme une bande de chèvres et a manqué d’élégance (sauf le chat Lloris) du début à la fin du match. Certes, les embrassades des joueurs après le but avaient quelque chose d’obscène, d’indécent.

Mais quiconque se rappelle avoir joué un match de foot sait bien que, dans l’enfer du jeu, la morale s’échappe très loin des crampons. Même dans le foot amateur, même dans celui qui se pratique sur un terrain vague (quoique, avec l’immobilier, il y en a de moins en moins) ou sur une plage, la tentation de la triche est permanente.

[access capability= »lire_inedits »]On peut toujours brûler Thierry Henry au bûcher des tricheurs. Mais c’est la vie d’un tricheur ou l’arnaque que les gens vont voir au cinéma. Le gangster fait plus recette que la vie du Christ. Et je ne souhaite pas un monde sans triche, même à mon pire ennemi. Un autre monde est peut-être possible. Mais sans tricheurs, quel ennui!

Sans parler du fait qu’à entendre les partisans des excuses nationales − auxquels Ségolène Royal ne s’est pas encore jointe − il faudrait aussi demander des excuses aux Serbes pour l’exclusion du gardien de but de la France lors de la phase éliminatoire ; exiger une autocritique vis-à-vis de l’expulsion de Blanc en demi-finale du Mondial de 1998 ; convoquer d’urgence Angela Merkel à l’Elysée pour l’agression de Battiston par Schumacher lors du France-Allemagne de demi-finale de la Coupe du monde 1982.

Mais il y a sans doute bien autre chose dans les cris d’orfraie. On sent le désir irrépressible, chez certains, d’éprouver une honte nationale. Ah, c’est qu’ils n’en sont pas fiers de la qualification française ! À juste titre. Mais la main d’Henry donne à beaucoup l’envie de s’excuser. Pour les crimes du colonialisme. Pour les enfants juifs envoyés dans les camps durant l’Occupation. Pour la torture en Algérie. Pour le renvoi des Afghans. Pour le non-passage du nuage de Tchernobyl au-dessus des campagnes françaises. Bon, allez, on arrête là, la ligne est trop difficile à tenir : comment être contre la triche et défendre Thierry Henry ? Contre le foot tout-fric et la honte nationale ? Contre la torture en Algérie et contre le fait de s’en excuser encore cinquante ans après ? OK, je renonce.

Il ne me reste plus qu’à beugler avec la meute : Henry, démission ! L’Irlande au Cap !

PS : Sans revenir forcément sur le sens général ce que j’ai écrit à chaud, quelques jours de recul m’ont permis de saisir ce qui ne se percevait pas sur le moment : la réaction contre la main d’Henry peut aussi être interprétée comme une réaction patriotique sur le thème : « La France ne peut pas vaincre sans panache ». Si c’est le cas, et sans doute ce sentiment doit exister (la preuve, dimanche 22 novembre, un amateur a volontairement raté un penalty qui ne lui paraissait pas mérité en faveur de son équipe), j’ai pêché par pessimisme… [/access]

Qui gagne perd

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Thierry Henry
Celui qui ne joue pas le jeu s'exclut de la partie.

On peut admettre qu’un jeu est une pure convention, qu’il n’existe que par les règles qui le définissent. Les règles d’un jeu semblent avoir, pour la clarté de la discussion, deux avantages remarquables sur d’autres systèmes de règles : elles n’impliquent aucune transcendance, aucune croyance collective que nous nous sentirions tenus de respecter ; elles sont cependant universellement connues et appliquées, même par les enfants des rues de Bogota, de Liverpool ou de Lagos qui sont réputés vivre en dehors de l’ordre établi. Un enfant de six ans est capable de comprendre la nature purement conventionnelle du jeu : celui qui ne joue pas le jeu s’exclut de la partie.

Cette évidence est d’ailleurs si forte que, depuis un bon quart de siècle, les tenants de l’économie libérale ne cessent de plaider pour que les réglementations, excessives, rigides et tatillonnes, laissent la place à de simples règles du jeu, parfois appelées codes de bonne conduite ou encore bonnes pratiques, librement adoptées et acceptées par les acteurs économiques. Il y a dans cette revendication une évidente volonté de réduire le champ de ce qui doit obéir à des règles, mais plus encore l’idée que les bonnes règles sont celles qui peuvent être directement appliquées par ceux qui y ont consenti. Les enfants des rues ont parfois besoin d’un arbitre mais, semble-t-il, pas d’une autorité pour interpréter les règles applicables au football.

Universel et populaire, le football est à l’identité nationale ce que le théâtre était, selon Aristote, à l’identité de la cité grecque : un moment de catharsis, c’est-à-dire d’expression inoffensive des passions collectives. C’est en tout cas ce que nous avons cru lorsque nous avons gagné la Coupe du monde. La grande dispute provoquée par la main de Thierry Henry révèle cependant un grand malentendu entre le peuple et ses élus sur ce qu’il faut entendre par « respect des règles ».

[access capability= »lire_inedits »]Résumons-nous : la règle applicable est qu’au football, on ne touche pas la balle avec la main. Le cas d’espèce est qu’un joueur a permis à son équipe de marquer un but décisif (pour l’issue du match et pour la suite de la compétition) en déviant la balle avec la main. Notons qu’à la différence du Code pénal, la règle du jeu ne distingue pas la faute intentionnelle de la maladresse puisque l’adresse est la compétence même du joueur. La faute est donc entière, manifeste et de grande conséquence pour le sens du jeu. Mais l’arbitre n’a pas vu la faute et accorde le point marqué. La question posée est dès lors la suivante : quelle est la conséquence d’une faute dépourvue de sanction ?

François Hollande juge qu’il s’agit d’un « incident grave sur le plan de l’éthique sportive » qui ne doit toutefois pas déboucher sur un « débat national » ; « la main d’Henry n’est pas politique », conclut-il . Mais le débat national a bien lieu et ce membre éminent du corps législatif se trompe : la question de l’impunité, c’est-à-dire la question de l’effectivité des règles, est en permanence au cœur du débat national. Elle se pose à propos des incivilités des mineurs, de la banalisation de la consommation de cannabis, du sort réservé aux sans-papiers, des excès de vitesse, de la fraude fiscale, de la rémunération des chefs d’entreprise et des traders, des catastrophes industrielles, de la mise en examen d’un ancien chef de l’État… C’est une question éminemment politique parce que, si le mot jacobinisme a un sens, c’est celui de la construction de l’unité nationale par l’égalité devant la loi. C’est une question éminemment politique parce que le politique prétend, dans ce pays, réaliser le bien commun en répondant à chaque incertitude collective par une loi. Or, sous des figures diverses, la seule réponse du politique à notre question, c’est l’esquive.

Il y a d’abord l’esquive par la procédure, c’est-à-dire par les règles d’application des règles, qu’on appelle en l’occurrence les règles de l’arbitrage. Le président de la fédération française de football, suivi par le porte-parole adjoint de l’UMP, les invoque aussitôt en parlant de « faute d’arbitrage favorable ». Il faut donc comprendre qu’il existe, derrière les règles de procédure permettant d’appliquer les règles du jeu, une « règle du jeu de la procédure » qui est en gros un pari sur les maladresses de l’arbitre, résumé d’une phrase lapidaire par le coprésident des Verts au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit : « La main de Thierry Henry, c’est le summum de la chance, mais le football, c’est comme ça », ce qu’en d’autres temps on appelait la « glorieuse incertitude du sport », la noblesse de la chose tempérant sans doute l’égalité républicaine des règles.

Mais la condition de possibilité de la procédure, bien connue de tous les professionnels chargés de faire respecter les règles, est la liberté qui leur est laissée de voir ou de ne pas voir la faute. C’est un adage bien connu dans la police que l’homme qui prend le plus de décisions chaque jour est le gardien de la paix : chaque jour, sur la voie publique, il décide de voir ou de ne pas voir l’infraction. Or cette condition est invalidée par la télévision : même si l’arbitre, le sélectionneur de l’équipe de France et le président de la République n’ont pu, de là où ils étaient, voir la faute, le peuple, lui, de son canapé, a tout vu. La question est politique parce que, si la procédure et la règle du jeu de cette procédure font obstacle au respect de la règle du jeu, comment le peuple pourrait-il respecter ceux qui administrent les règles ? C’est ici que deux philosophies des règles s’opposent : les virtuoses qui jouent avec les règles sont contre l’utilisation de la vidéo dans l’arbitrage, mais ceux qui ont compris que l’arbitrage du peuple ne pourrait indéfiniment être bafoué commencent à s’y résoudre, à l’instar du ministre de l’Education nationale : « Je suis à fond pour l’arbitrage vidéo, en tant qu’amateur de foot et non pas comme porte-parole du gouvernement. »

Au plus haut niveau, on pratique contre toute attente la déclinaison de compétence. Au premier ministre irlandais, s’exprimant au nom des victimes (et qui pourrait lui contester ce rôle ?) qui demande, depuis la tribune de son Parlement, que le match soit rejoué, arguant que l’énormité de la faute au regard de l’enjeu anéantit la validité du match, le premier ministre français répond que « les gouvernements ne devraient pas s’immiscer dans le fonctionnement de la Fédération internationale » et le président français : « Ne me demandez pas de me substituer à l’arbitre, aux instances du football français, aux instances du football européen : laissez-moi à ma place ». La FIFA ne saurait cependant donner raison aux Irlandais, « aucun point de règlement ne permettant de remettre en cause le résultat ». Mais celui qui détient la compétence en dernier ressort peut-il légitimement opposer une règle de procédure à la règle du jeu ?

On trouve enfin une autre figure coutumière de la rhétorique de l’action, le changement de règle, souvent qualifié de réforme : « Je trouve, dit la ministre de l’Économie, que la FIFA ferait bien de regarder les règles en vigueur parce que je trouve que ce serait bien de pouvoir, dans de telles circonstances, décider peut-être de faire rejouer un match. Si les règles sont mauvaises, il faut les remettre en cause. » Il s’agit bien sûr de la règle de procédure et non de la règle du jeu, mais le propos permet néanmoins de ne pas statuer sur le respect de celle-ci.

Le jeu des règles interdit décidément le respect de la règle du jeu. La première à en tirer les conséquences est la secrétaire d’État aux sports. Elle s’aventure d’abord sur le terrain de la justification technique de la faute (« Vous ne pouvez pas savoir exactement d’où vient le ballon et où il part… »), mais comprend vite que la maladresse, comme on l’a vu plus haut, n’est pas opposable à la règle du jeu. Barrée sur le terrain politique par la déclinaison de compétence précédemment exposée, elle choisit de dissoudre la sanction de la faute dans la morale, figure abondamment pratiquée à propos des banquiers au moment de la crise financière. Au-dessus des règles, il y a les valeurs, l’éthique sportive : « Il ne m’appartient pas d’accabler Henry, mais de lui renvoyer la balle pour qu’il dise la vérité. Cela relève de son intimité, de son rapport à la vérité et des valeurs du football. C’est à Thierry Henry de dire si son geste est volontaire ou non. Il le doit au public. Il doit être honnête. C’est aussi la réputation de la France qui est engagée. Pour ma part, je crois aux valeurs du sport sans lesquelles on tue l’esprit du sport. La dimension très populaire et éducative du football donne à ses acteurs une importante responsabilité ». Déclaration qui mérite d’être citée en entier, parce qu’elle décrit le changement de paradigme que la secrétaire d’État est contrainte d’opérer pour retrouver le chemin du respect des règles, dont elle voit bien qu’elle ne peut s’écarter dans un entretien où il est aussi question du dopage : arbitre, procédure et institutions, tous les médiateurs chargés d’assurer le respect des règles sont congédiés au profit d’un rapport intime à la vérité, aux valeurs et d’une responsabilité personnelle de chacun dans la transmission de ces valeurs par l’exemple de la foi. Mais, en admettant que l’éthique comme respect de soi puisse être une réponse au dopage considéré comme un mensonge du corps, il est douteux qu’elle permette de rétablir le jeu en tant que respect d’une règle commune.

La règle du jeu est une règle nue. Sans appareil ni interprétation, dépourvue de tout ésotérisme, elle n’est instituée que par l’usage et ne se perpétue que par l’apprentissage. Sa violation saute aux yeux de tous, anéantit le sens même du jeu et, du même coup, ses effets cathartiques. À force d’esquiver les conséquences de ces violations, on laisse l’impuni pour seul vainqueur. La ministre de la Santé et des Sports « a résumé l’ambivalence des émotions ressenties par de nombreux Français, entre un lâche soulagement et une grande inquiétude ».

On aurait tort de sous-estimer l’obscur ressentiment qui restera de ce Munich dérisoire.[/access]

Les peuples heureux n’ont pas d’équipe de foot !

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Babyfoot

C’était en juillet 1969. Honduras et Salvador disputaient les matches éliminatoires de la Coupe du monde de foot. L’affaire se solda par une guerre entre les deux pays – la guerre des Cent heures –, deux mille morts dans chaque camp et des milliers de blessés. « Les peuples heureux, comme ne l’écrivait pas Hegel, n’ont pas d’équipe de foot. »

Évidemment, il serait sot de prendre des prétextes pour des causes ; la guerre des Cent heures a des raisons bien plus économiques et politiques que sportives. Mais le foot est, comme le note Yannick Blanc, une « expression des passions collectives ». Peut-être l’une des dernières.

[access capability= »lire_inedits »]Cela suffirait donc à expliquer l’émotion suscitée, lors du match France-Irlande, par « la main de Thierry Henry ». Faut-il faire comme si de rien n’était, comme nous y invite Philippe Cohen, refuser cette qualification indûment acquise comme y appelle Élisabeth Lévy ou continuer à s’intéresser à la main de Henry autant qu’à celle de sa sœur qui viendrait négligemment se retrouver dans la culotte d’un zouave, comme je m’y résoudrais personnellement très bien ? Chacun a son avis. Personne n’est d’accord.

Vous l’aurez compris : le foot, il y a des stades pour ça. Et, à Causeur, le ballon rond n’est pas une préoccupation de tous les instants. Alors, pourquoi revenir sur cette histoire-là ? Si la main de Henry a fait autant de bruit, c’est qu’elle interroge notre rapport à la règle, c’est-à-dire notre relation au droit, au code, aux usages comme aux tabous.

Or, si nous n’acceptons pas que la règle du jeu ne soit pas respectée dans un match, nous admettons bien d’autres choses : notamment que le code électoral évolue au gré des opportunités politiques, que les IUFM invitent les professeurs des écoles à ne pas corriger les fautes de leurs élèves ou que la façon de faire des enfants à l’ancienne soit tenue pour la chose la plus ringarde qui soit quand le chic est d’être homosexuel et d’adopter.

On ne transige pas avec la règle du jeu. Sauf quand on ne veut plus jouer.[/access]

Tous contre un !

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Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de brume, 1818, Kunsthalle, Hambourg.
Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de brume, 1818, Kunsthalle, Hambourg.

Tout le monde partage leurs idées, mais ils sacrifieront leur vie pour elles. Mobilisés pour défendre la liberté menacée, ils ignorent que le spectacle qu’ils donnent, en répétant bruyamment devant caméras et micros qu’on cherche à les faire taire, est hautement cocasse. Mais on ne rigole pas avec le sarkozysme. Regroupés en rangs serrés autour de Marie NDiaye, les néo-résistants croient aux billevesées qu’ils se racontent les uns aux autres. Ils sont la France qui dit « non » à celle de la « beaufitude archéo-réac« [1. Pêché dans les Inrocks, comme l’essentiel des citations.], la France debout contre le pays de Pétain et de Sarkozy. Quand ils se promènent dans la rue − à supposer que leur mission civilisatrice leur laisse le loisir de faire ce genre de choses −, ils doivent se demander lesquels, parmi les passants, sont sûrs et lesquels les livreront à la police sarkozyste. À 53 % de salauds, n’importe qui est suspect.

[access capability= »lire_inedits »]Imaginez la préparation, dans le secret d’une arrière-cuisine sombre, du « Spécial Résistance » des Inrocks. « Vive la France qui résiste au sarkozysme« , proclame la « une », habillée aux couleurs du drapeau. Etonnant d’ailleurs. Pour le reste, au pays de Non-Non, un benêt représente un danger fasciste et une meute ivre de bonne conscience la résistance. Le benêt, c’est Eric Raoult, député séquano-dyonisien qui vient de se payer un quart d’heure de gloire de deux semaines avec seulement trois phrases en confondant prix Goncourt et concours de l’ENA. Il a donc exigé que la lauréate, Marie NDiaye, assume la dignité de sa nouvelle fonction en reniant ses propos tenus précédemment dans les Inrocks sur le caractère « monstrueux, vulgaire et fliqué » de la France sarkozyste.

« Écris et tais-toi ! » Ainsi l’hebdomadaire, qui ne va pas lâcher un si bon filon, résume-t-il l’injonction supposément adressée, non plus à la seule Marie NDiaye, mais à tout ce qui compte et pense rive gauche. Moi, j’aurais titré : « Taisez-vous, Raoult !« , mais ils ne m’ont rien demandé. Le Raincy, ça rime avec Vichy, non ? De droite à gauche, dans les médias et les dîners en ville, les cabinets ministériels et les meetings de Besancenot, de Ségolène Royal à Carla Bruni, la France entière montre du doigt le symbole de la tyrannie qui vient. Le vice-président du Front national juge qu’il est « un démocrate de pissotière » ! Même Raoult n’est plus vraiment d’accord avec Raoult[2. Qui se définit joliment comme un Maxime Gremetz de droite.]. Oui, mais on ne va pas changer l’épique qui gagne[3. Il est vrai que Fredo Mitterrand aurait pu dire un petit quelque chose, mais il est quand même rigolo que la Résistance soit à ce point obnubilée par les discours officiels. De Gaulle attendait-il de Radio-Paris qu’elle défende la liberté ?]. Depuis qu’il n’y a plus de fascisme, l’antifascisme est indémodable.

Espérant peut-être trouver « censure à son pied » (Muray, forever), la journaliste affirme que Marie NDiaye ne parle pas à tort et à travers (c’est mal imité). Quand elle dit « monstrueux« , elle veut dire « monstrueux« . L’écrivain confirme et parle d' »intimidation« . Juliette Binoche, dont on voit les larmes en la lisant, cite Duras, nous rappelle que le gouvernement de Sarkozy est celui de « l’agressivité sournoise et bien réelle » et nous exhorte à ne pas oublier « les enfants sortis de force de l’école« . Dommage qu’ils n’aient pas interrogé la Cotillard, elle aurait expliqué que, sous couvert de vacciner contre « la grippe machin nin-nin » comme dit Bennasar, on pratique des tests ADN en masse. « Ils semblent rêver d’une dictature à la Staline« , avance gravement Daniel Buren (on lui a sucré une subvention ?). Appelés à la rescousse sur une pleine page, des lecteurs du Monde évoquent les persécutions subies par Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsyne, comparent l’écrivain à Victor Hugo persécuté. Le même jour, un édito sobrement intitulé « Bavures » complète très joliment le décor, donnant à l’ensemble un vague fumet « Chili 73 » ou « Allemagne 33 », toujours très apprécié de la clientèle en mal de sensations fortes. Le pire, c’est que, comme le démontre Marc Cohen, on peut toujours compter sur la Sarkozie et dépendances pour fournir à ce petit monde sa dose de frisson en ânonnant les mots qui font peur.

Toute cette agitation est surréaliste − au sens propre. Ou peut-être sous-réaliste. À entendre les représentants de la « France qui résiste« , une seule conclusion s’impose : le réel a disparu. C’est fâcheux. Mais qu’est-ce qu’on se marre ![/access]

Quand on compte, on n’aime pas

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Boulier

SOS Racisme a raison. De plus en plus d’entreprises françaises pratiquent la discrimination. L’ennui, c’est que l’association qui regarde le monde à travers les lunettes fournies par la Halde oublie de préciser qu’il s’agit généralement de discrimination positive. Oui, McDonald’s, Eurodisney et d’autres comptent les Noirs et les Arabes, sauf que ce n’est pas pour les éliminer mais pour en avoir plus – et plus encore pour pouvoir le proclamer. D’ailleurs, on appelle ça l’affirmative action. Non seulement on le fait, mais on veut que ça se sache. On compte parce qu’on aime.

On comprend les protestations désolées des entreprises dénoncées alors qu’elles s’efforcent de « benettoniser » leurs équipes. C’est un peu comme si on reprochait aux producteurs « équitables » de pratiquer la discrimination à l’embauche des enfants. « Comment peut-on nous accuser, nous qui sommes à la pointe du combat ! » Hier, les entreprises étaient citoyennes, elles affichaient leurs bonnes relations sociales et leur politique salariale progressiste. Le business d’aujourd’hui doit se montrer vert et divers. N’en doutons pas, nous verrons apparaître le classement des entreprises les plus diverses (pour les plus vertes, cela doit exister). On créera un label qualité décerné par l’Etat et des lobbyistes bénévoles et bien orientés lutteront pour qu’il soit étendu à l’échelle européenne. Les programmes « diversité », qui doivent déjà exister dans pas mal d’entreprises du CAC 40, se multiplieront puis, pour obliger les récalcitrants à changer, on votera une loi rendant obligatoire la création, dans toutes les entreprises, d’un poste de responsable de la diversité – qui existe déjà à France Télévisions et à Radio France. On autorisera la publicité comparative : « Ici, il y en a plus qu’ailleurs. » La télévision publique organisera le championnat de France de la diversité. Et pour finir, on créera une taxe diversité dont devront s’acquitter les entreprises qui s’obstinent à demeurer trop pâles.

[access capability= »lire_inedits »]Oublions le cas des offices HLM. Sur ce point, SOS se paie notre tête. Voilà des années que tout le monde réclame à cor et à cri que l’on en finisse avec les ghettos ethniques. Le reportage nostalgique sur la banlieue du bon vieux temps où cohabitaient Arabes, Africains, juifs, Espagnols, Portugais et même des « de souche » est un classique. Alors qu’on chante sur tous les tons les vertus du métissage, il devrait s’arrêter au pied des immeubles ? Seulement, pour mélanger les origines, il faut bien les identifier.

Passons sur le terme de « fichage ethnique » censé effrayer les braves gens en leur rappelant que les heures les plus sombres de notre histoire sont devant nous. À ce compte-là, il faudrait parler de fichage social à propos des bénéficiaires d’allocations – qui constituent en quelque sorte des fichiers de pauvres. Et que dire des fichiers de vieux qu’établissent patiemment les services chargés de verser le minimum vieillesse ? Ces scandales doivent cesser au plus vite.

L’intérêt du rapport des ex-potes (je ne suis pas sûre que cette terminologie vintage ait toujours cours), est qu’en épinglant des entreprises peu suspectes de racisme, il montre que, s’il y a une bonne et une mauvaise discrimination, elles vont toujours ensemble. Défendue en France par un lobby bruyant emmené par le semi-ministre Yazid Sabeg, la discrimination positive est le visage souriant de la discrimination tout court. D’abord, elle peut se retourner à tout instant, le jour où l’on considère que la minorité concernée est servie en avantages divers. Si Eurodisney décide qu’il lui faut x % d’Asiatiques (correspondant je suppose à leur proportion « scientifiquement » mesurée dans la clientèle), le Chinois qui se présente à l’embauche une fois le quota atteint se fera jeter parce qu’il est chinois et pas ceci ou cela. Ensuite, favoriser X parce qu’il satisfait aux critères, c’est nécessairement défavoriser Y qui n’y satisfait pas. Il faut bien, me dira-t-on, faire quelque chose pour corriger l’injustice qui fait qu’on embauche plus facilement Pierre que Ahmed et qu’on loue son appartement plus volontiers à un Dupont ou un Lévy qu’à un Camara. Le problème, en l’occurrence, n’est pas de le faire mais de le dire. La discrimination positive commence avec l’affichage. Donner un coup de pouce à l’égalité des chances en favorisant un individu qui se trouve appartenir à un groupe globalement défavorisé est parfaitement acceptable.

Qu’un patron de chaîne recrute Harry Roselmack ou Audrey Pulvar (tous deux excellents) de préférence à des blondes et blonds, très bien, mais pourquoi claironner qu’ils sont noirs ? Pense-t-on que le téléspectateur est aveugle au point de ne pas voir les « minorités visibles » ?

D’accord, on est loin du compte. Tout le monde n’a pas la chance de travailler dans une entreprise citoyenne. S’il est choquant pour l’esprit que l’appartenance ethnique soit un atout, il l’est encore plus pour la morale qu’elle soit un obstacle. De ce point de vue, le CV anonyme, qui met à égalité des candidats d’égale valeur, est sans doute, avec le concours, l’outil le plus républicain de la méritocratie.

Donc, ce n’est pas tous les jours marrant pour Ahmed. Les gazettes appellent ça le racisme ordinaire, expliquant avec une délectation morbide qu’il est partout. En réalité, il s’agit de méfiance culturelle, pas de hiérarchie des races. Les bons paient pour les méchants, le Français comme vous et moi pour le sauvageon et le dealer, on connaît la chanson, c’est injuste mais difficile à combattre. Ça donne une dame qui « ne loue pas à des Noirs » et un patron de PME qui « ne veut pas d’Arabes dans sa boîte ». C’est pas bien. Mais, à supposer qu’on puisse le prouver – ce qui deviendra plus difficile au fur et à mesure que les gens apprendront à cacher leurs vilains préjugés – doit-on fermer l’entreprise pour crime de discrimination ? Obliger le patron à embaucher Ahmed – ce qui n’augure pas très bien de leur collaboration ? Peut-on condamner les sentiments condamnables ? Et que fera-t-on au patron qui a préféré une fille qui avait un joli sourire à une autre à la mine revêche ?

Que dira-t-on au bouffeur de curés qui n’a pas plus envie d’embaucher une femme voilée qu’un homme qui porte la kippa ? Sanctionnera-t-on le DRH qui hésite à recruter trop de femmes ou de musulmans parce qu’il redoute d’avoir trop d’absence pendant le ramadan ou de congés-maternité ? Oui, la formule « trop de » choque, mais il faudra bien qu’on admettre qu’elle est l’inévitable pendant de « pas assez de ».

L’espace du travail ne relève pas de la vie privée, mais il n’appartient pas non plus entièrement à la sphère publique. Il n’est pas un espace où règnent seulement le choix rationnels et la recherche du profit. Il est peuplé d’être humains affectés de goûts et d’affinités certes déplorables, mais qu’il faut bien prendre en compte tant qu’on n’aura pas lancé la nécessaire rééducation des masses.

Il est curieux qu’on ne puisse même pas imaginer qu’Ahmed n’a pas été embauché parce que le courant n’est pas passé, qu’il présentait mal, ne parlait pas arabe ou n’était pas assez calé en informatique. On pense au ruban de Moebius qui change de face sans qu’on puisse le repérer – un truc qui rend fou. C’est ainsi qu’un antiracisme plein d’excellentes intentions assigne chacun à résidence raciale. Dans l’imaginaire des antiracistes, comme dans celui des racistes, Ahmed est réduit à une seule dimension : il n’est plus qu’un Arabe, c’est donc pour cela qu’il n’a pas eu le job. Cela s’appelle « intégrer ».[/access]

Il faut que Copenhague échoue !

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Sale temps pour les climatologues.
Sale temps pour les climatologues.
Sale temps pour les climatologues.

Sommet de la dernière chance pour sauver la planète et l’humanité : les techniques de marketing les plus modernes et les pratiques de propagande les plus anciennes ont été mises à contribution, pour que « cette fois, on ne dise pas: on ne savait pas ». Désormais on sait ce qui nous attend si on ne fait rien et ce qu’il faut faire pour être pardonné. Il s’agit de sauver l’humanité, et en bonus toutes les espèces encore vivantes que nos abus n’ont pas encore éliminées. Pour cela, le chacun pour soi doit disparaître au profit du tout solidaire.

Communiant dans un élan altruiste inégalé, les dirigeants du monde entier, enfin agrégés en un être global et responsable, pourront alors faire jaillir la « force » toute puissance, d’ordinaire attribuée et réservée à Dieu, pour agir sur la nature, renverser les cycles, ouvrir ou refermer la mer, et limiter la hausse future de la température moyenne à 2 degrés. On se demande pourquoi ils n’en profiteraient pas pour limiter aussi à 2 % la hausse du chômage, de l’inflation, des accidents, la baisse de la bourse, du prix du pétrole.

Nous implorons un miracle de notre nouvelle divinité : la planète devenue une personne morale qui se fâche, punit, pardonne, récompense.

Elle nous tient par la peur. J’ai peur, tu as peur, vous avez peur, nous avons peur. De quoi ? De la nature qui perd la boule et dévaste tout parce que nous autres, humains occidentaux, avons abusé sans vergogne de ses générosités. Ceux qui nous disent cela ne sont pas des charlatans et des prédicateurs, mais des scientifiques – les climatologues qui, en faisant tourner leurs ordinateurs, ont réussi à faire parler la planète. Comment refuser cette promesse d’un monde meilleur ?

L’ennui, c’est que cet « immense espoir » repose sur un malentendu de taille. L’état de connaissance actuel de la climatologie ne lui permet de déterminer ni l’évolution du climat à court, moyen et long terme, ni les causes des dérèglements récents. Elles peuvent être naturelles, liées à l’activité humaine ou les deux.

Or, le GIEC transforme les croyances en certitudes, les hypothèses en vérités établies. Peut-être est-il légitime de décider de la réduction des émissions de CO², mais l’imposer comme le seul moyen de sauver la planète relève de la manipulation idéologique. Que les chercheurs défendent leurs convictions, c’est normal. En revanche, quand ils entretiennent la confusion sur la validité de leurs résultats, et se font dans les médias les propagandistes de l’apocalypse quelque chose ne va pas.

La climatologie est appelée à se développer avec succès. Mais elle n’en est qu’aux balbutiements. Rappelons qu’elle n’est pas une science qui a fait ses preuves, mais une agrégation ad hoc de disciplines très diverses allant de l’astronomie à la glaciologie, en passant par la géologie, l’océanographie, l’hydrologie, l’agronomie, la modélisation, chacune n’ayant qu’une vue très partielle des « choses » du climat. Un peu de modestie et de retenue de la part des climatologues seraient donc bienvenues.

Naguère peu développée, la communauté des climatologues s’est transformée en quelques années en une véritable entreprise multinationale dotée d’organismes unitaires qui parlent d’une seule voix. Grâce à un lobbying politique et médiatique efficace, elle s’est installée dans une logique d’entreprise monopoliste qui défend son pouvoir et ses intérêts. Elle a réussi à imposer à l’opinion publique et aux politiques sa « vision » de l’évolution du monde. Loin de favoriser la recherche, ce type d’organisation, unique en science, bloque son libre développement. Cette logique est dangereuse par nature, comme l’a révélé le récent « climategate », qui a mis au jour les petits arrangements entre climatologues alarmistes pour préserver la « ligne officielle » du GIEC.

Un grand nombre de climatologues alarmistes aiment à rappeler que la climatologie n’est pas la météorologie. En effet, et c’est bien dommage. Car la météorologie, grâce à ses prévisions allant de quelques heures à plusieurs jours, soumet ses hypothèses au contrôle expérimental des milliers de fois par an et partout dans le monde. Elle peut donc être considérée comme une science dure même si son degré de fiabilité laisse encore à désirer.

Compte tenu de ses horizons de prédiction très longs, il faudra à la climatologie quelques siècles pour éventuellement atteindre le niveau de la météorologie. Jusqu’à présent, elle n’a été capable que de reproduire le passé, du moins ce que l’on en connaît. Elle n’a fait aucune prédiction avérée. Et tant bien même en ferait-elle une ou deux, ce ne serait pas suffisant pour établir un degré de fiabilité valide.

Le GIEC nous dit que 90 % des scientifiques sont convaincus de la pertinence des thèses alarmistes ; il en conclut que l’hypothèse de la responsabilité humaine a un coefficient de probabilité de 90 % et qu’au nom du principe de précaution, il serait criminel d’attendre d’être sûrs à 100 % pour agir. Seulement, s’agissant d’une situation unique, celle de l’évolution du climat pendant le siècle à venir, l’utilisation de probabilités n’a aucun sens opératoire : nous n’avons qu’une seule planète et qu’un seul climat. Face à une menace incertaine, il est parfois préférable de ne rien faire. Or, la conviction des climatologues ne suffit pas à assurer que leurs modèles permettent de prédire ce qu’il adviendra d’un climat dont on ne connaît pas les lois qui le régissent. La science est amorale, elle ne se décide ni au consensus ni à la majorité, elle se construit par les découvertes des lois de la nature.

Il est indéniable que notre production de CO² a énormément augmenté en raison des excès de notre mode de vie occidental et du gaspillage afférent des ressources épuisables. Mais nos excès et notre contribution au CO² atmosphérique n’ont peut-être rien à voir avec la survie de la planète. Or, quiconque doute de la culpabilité humaine dans l’évolution du climat est immédiatement accusé de cautionner la pollution, le gaspillage, les inégalités et tous les maux du monde. L’état du climat n’a rien à voir avec l’état de la société. On n’a jamais résolu un problème en désignant un bouc émissaire. Réduire notre production de CO² ne créera pas un monde plus juste.

La réalité finit toujours pas s’imposer, mais ce retour au réel peut se payer au prix fort. Méfions-nous de nos bons sentiments, de nos peurs archaïques, de notre conviction d’omnipuissance. Osons dire non à la grande incantation sacrificielle de Copenhague, refusons les sirènes rédemptrices d’un monde sans CO² humain. Ce n’est pas la planète qui est en danger, c’est la société. Et face à ce danger-là, le seul remède, c’est l’intelligence humaine.

Un peu de chaleur grâce à Carla Bruni

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Le Parisien nous apprend, dans son édition du mardi 15 décembre, que Carla Bruni a des amis SDF. Au moins un : Denis. On connaissait Mme Sarkozy proche des rock-stars, des politiques, des artistes, des philosophes, mais pas encore des « plus défavorisés ». La « première Dame de France », nous apprend Le Parisien, va faire la une de la prochaine livraison de Macadam, publication vendue par les sans-abris. Carla y évoquera sa fondation, « mon mari », ainsi que son mystérieux ami Denis-le-sans-abri : « Avec le temps, dit-elle, nous avons tissé des liens amicaux. Je m’arrête parfois pour le saluer et, très vite, nous parlons de lecture et de musique. » La first Lady nationale confesse même avoir proposé à Denis de le loger à l’hôtel pour éviter les rigueurs de la rue… On reste pantois devant cette orgie miniature de communication élyséenne, bien plus glaçante, en vérité, que l’actuelle vague de froid.

In vino veritas

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bouteille

L’autre soir avec des amis, les bouteilles sur la table étaient vides, mais le débat sur le débat battait son plein. La conversation était venue comme ça, sans qu’on sache trop comment, entre la poire et le fromage. Certains étaient pour, les autres étaient contre. Chacun a vite choisi son camp, et n’en a plus bougé. Il a fallu trouver des noms pour les deux partis.

Les beaufs ou assimilés étaient pour. « L’identité c’est important d’en parler, impossible de s’orienter et d’avancer dans le vaste monde sans savoir qui on est. Pour aller quelque part, il faut savoir d’où l’on vient, c’est mieux, disaient-ils. »

Les bobos ou assimilés étaient contre. « Tout ça c’est rien que des sarkozeries pour gagner les élections. Et ça fait le jeu du Front national, qui va en profiter pour tirer les marrons du feu. » « – Pour laisser les marrons au feu tu veux dire, répliquait un beauf hilare. » « – Carton jaune ! C’est une blague hortefasciste, assenait un opposé. »

Bref, on rigolait bien entre nous, et d’autres noms d’oiseaux fusaient bientôt gentiment par-dessus la table encombrée, « approuveurs de débat, sarkozystes lepénisés ! », « bobopposants débatteurs ! ». On le voit, les noms c’est bien pour distinguer les com(dé)battants, mais au fond, c’était beaubofs contre bobeaufs à Paris sur Seine, la routine participative et citoyenne dans ce beau pays de France.

Il y avait juste un léger malaise qu’on ressentait un peu, nous, les impliqués. Car pesait sur nous le regard lointain et supérieur d’un silencieux, un philosophe de notre connaissance, toujours vachement aérien dans son coin. Ses sentences lapidaires étaient respectées, et même craintes par les deux partis. Depuis longtemps, il connaissait lui, mais pas nous, « la grande réponse qu’on doit faire aux outrages ». Patience, vertu. Détachement. C’était notre maître de philosophie à nous autres, les messieurs Jourdain du jour, un peu euphoriques de constater par nous-mêmes que nous avions fait du débat sans le savoir. Mais le maître de philosophie cassait l’ambiance. Car le débat sur le débat sur l’identité, pour lui, on l’a vite compris malgré les brumes de l’alcool, c’était pour les manants. Pour les bouseux « en perte de repères ». Mais pas pour lui, en prise qu’il était avec le cosmos. Un grand sage qui parlait aux étoiles. La solidarité avec le petit monde étriqué de la nation, ça le faisait bien marrer. C’était pas à sa hauteur. Lui était fluide et léger, sa patrie était au firmament. Pour rien au monde on ne l’aurait fait débattre sur l’opportunité du débat, même l’estomac lesté et l’esprit euphorisé par le Givry. Il était tout juste d’accord pour lâcher deux trois phrases, comme ça de loin en loin, un vague sourire en coin. « Franchement, à l’heure de la mondialisation mondialo-mondiale, ce débat sur le débat, c’est complètement franco-franchouillard ! ». Et deux bouteilles plus tard, il ajoutait, en fixant d’un œil toujours malicieux et vaguement supérieur le clan des bobopposants : « Moi, je dis ça comme ça mais vous les opposés au débat, vous ne valez pas plus que les approuveurs de débats, tous vous entrez tout pareil dans le jeu au petit Nicolas. » On faisait semblant de l’ignorer, les uns et les autres, et citoyennement on débattait de plus belle. Alors, un peu vexé par notre bruyant silence, et à peu près complètement désinhibé par le divin breuvage qu’il avait consommé comme nous autres sans trop de modération, il en rajouta une couche, qu’il croyait ultime, en agitant son index céleste sous nos nez sublunaires, mais l’œil sombre, plus du tout malicieux cette fois-ci : « Je dis non au débat sur le débat. La planète brûle ! Les pauvres sont pauvres ! » Il y tenait à renvoyer dos à dos les patriotes impliqués et les opposants concernés. Et surtout, il voulait que ça se sache.

Nous ne pouvions plus ignorer, au stade ultime du pinardisme qui est un humanisme que nous avions atteint depuis longtemps, ce sentiment désagréable d’être mis tous dans le même sac, nous qui tenions tant comme lui à affirmer notre point de vue bien original à nous et à nul autre pareil. C’est ainsi que le piège de l’unanimisme s’est vite refermé sur son instigateur. Constatons-le, laïcité ou pas laïcité, il nous faut impliquer dans nos débats les dieux qui daignent descendre de l’Olympe pour jeter un regard détaché sur les querelles des mortels. Le silence éternel de ces espaces infinis nous effraie. Mais heureusement, grâce au Givry, nous avons les moyens de les faire parler :

– Alors toi comme ça, le philosophe, tu dis non au débat sur le débat. Tu crois que tu pourrais développer un peu, et après je m’octroie un droit de réponse, lâcha, goguenard, un bobopposant débatteur, c’est-à-dire un bobeauf. 
– Tu vois, ajouta un beaubof, c’est ça l’intégration à la française. Un verre ça va, trois verres, bonjour les débats !

Morano est vénère

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Nadine Morano, que l’on a connue mieux inspirée, a déclaré que les jeunes musulmans ne devraient pas parler le verlan. Elle a raison, évidemment, le verlan est cette langue inventée par les médias pour faire croire aux jeunes qu’ils ont un argot que personne ne comprend, alors qu’il n’y a rien de plus ridiculement médiatique que cette inversion systématique des syllabes. On est loin de celui de Villon, de ses camarades bandits de grands chemins et autre tire-laines. Ce qui a gêné, à raison, chez Morano, c’est la confusion musulman et jeune, musulman et verlan, musulman et conduite à risques. Sinon, dans l’actuel climat de délation nous pouvons lui signaler « une députée européenne musulmane », qui ne parle pas en verlan mais exprime avec une étrange désinvolture publique son ennui pour la charge que les électeurs lui ont confiée.

Un gêneur nommé Guaino

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henri guaino gentil

guaino

Féru d’histoire, Henri Guaino doit penser, ces jours-ci, que l’Elysée ressemble à la Florence des Médicis : chausse-trapes à tous les étages, cabales et complots en tout genre, bruissement des dagues, fioles de poison à toute heure. Bref quelqu’un veut sa tête. Ou quelques-uns. Et l’un de ses ennemis s’est chargé de le faire savoir au Figaro qui a généreusement consacré vendredi dernier une page à une réunion où semble-t-il, les assiettes ont volé après que le conseiller spécial avait violemment dénoncé – mais en interne – la brillante idée de Luc Chatel de rendre l’histoire-géo optionnelle pour les terminale S.

Manquement à la solidarité, éructent ses collègues qui l’accusent de déstabiliser le président. D’autres – nous, par exemple – pourraient trouver salutaire que le conseiller spécial préfère la compagnie d’Alain Finkielkraut et de Max Gallo à celle de la FCPE, du Sgen CFDT et autres pédagogistes fossoyeurs de la transmission. En plein débat sur l’identité nationale, ne pas transiger sur l’enseignement de l’histoire auprès des futures élites relève d’un certain souci de cohérence prisé même par l’électorat de droite.

Certes, ce n’est pas très neuf. Cet électron libre même pas passé par l’ENA s’est taillé une place à part dans la géographie du sarkozysme. Le président tolère beaucoup de son conseiller spécial et on imagine aisément que ce statut de chouchou, s’agissant d’une tête brûlée, agace ses petits camarades. Il est vrai que Guaino, qui a aussi la tête bien faite, a sa propre conception du devoir et de l’histoire et s’est payé le luxe d’avoir raison contre Mme Lagarde quand celle-ci jurait que la crise n’était pas systémique et qu’elle épargnerait l’Union européenne. Le fait d’être un esprit libre et d’avoir raison contre les importants fait sans doute de lui l’importun par excellence.

En fait, les conciliabules conspiratifs ne sont que les aléas normaux de la vie de bureau qui, même dans une monarchie républicaine, a souvent quelque chose d’une école maternelle.

D’abord, il y a le style. Guaino est une grande gueule, il aime parler aux médias et les médias aiment le faire parler – tout en lui consacrant volontiers des papiers fielleux comme viennent de le faire, à trois jours d’intervalle, Le Figaro et Le Monde. Dans pas mal de rédactions, il semble être le seul sarkozyste vaguement fréquentable, peut-être parce qu’il apparaît comme le moins sarkozyste de tous. Phénomène inédit que cette « plume qui parle », ce qui crée parfois un étrange effet larsen. On ne sait plus s’il faut parler des discours de Guaino ou de ceux du président – ce qui, pour certains, les rend doublement détestables.

Non seulement il la ramène, mais il joue sa partition solo. La petite musique républicaine, néo-gaulliste, étatiste, on appelle ça comme on veut, les références à la grande Histoire, tout cela ne doit pas toujours être très tendance à l’Elysée, où certains doivent s’irriter de ce magistère du verbe pendant qu’eux ont, pensent-ils, les mains dans le cambouis.

Au demeurant, si certains estiment qu’il a trop d’influence, d’autres, sensibles à son verbe flamboyant, lui reprochent de n’en avoir pas assez et d’être l’alibi républicain d’un Nicolas Sarkozy qui ne le serait point. En somme, il serait délégué à l’habillage, préposé à l’imaginaire. C’est oublier que le verbe est un élément central de la politique française, raison pour laquelle il fascine ou révulse. Quand le président emploie le mot « assimilation », jusque-là proscrit par peur du lobby multi-culturaliste, sa parole n’est-elle pas en soi une action ?

Si Guaino n’était qu’un faiseur de chansonnettes, un bibelot républicain, posée sur la présidentielle cheminée, ou un petit singe grincheux qui s’écrierait entre deux raclements de gorge « Vive de Gaulle ! », « Vive le programme du CNR ! », il faut réguler le capitalisme, il n’irriterait pas tant.

Derrière ces secrets d’alcôve complaisamment diffusés, se livre une véritable bataille politique dont l’issue dépend de la réponse à une question. Que veut le président ? La rupture, les indicateurs de performance, la politique de l’offre, la cure d’amincissement de l’Etat, bref la greffe du modèle anglo-saxon ou plutôt un volontarisme étatique, un bonapartisme revisité ouvert aux hommes d’affaires mais méfiant à l’égard des chimères du marché autorégulé ? Le multiculturalisme échevelé ou l’assimilation républicaine ?

Le Sarkozy de la crise a renoué avec une filiation républicaine et bonapartiste. Mais le Sarko d’avant, le chantre de la rupture, des baisses d’impôts et du bouclier fiscal, celui que semblent préférer la plupart de ses conseillers, n’a pas forcément dit son dernier mot.

À l’Elysée, certains semblent confondre accalmie et sortie de crise et n’ont rien de plus pressé que de revenir au statu quo ante. La clarification viendra en son temps. Mais avant que le réel ne se rappelle à tous, il faut espérer que Guaino gagnera la partie contre les professionnels de l’amnésie, appelés aussi les visiteurs du soir.

La triche, c’est la vie

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Out

Out

Quelle hystérie ! La main de Thierry Henry a déclenché des indignations toujours morales, parfois légitimes mais le plus souvent grotesques. Certes, ce n’est pas un bon exemple pour nos chers petits que l’on tente encore de persuader de la glorieuse incertitude du sport entre deux jeux-concours pour attrape-nigauds de TF1. Certes, l’équipe nationale a joué comme une bande de chèvres et a manqué d’élégance (sauf le chat Lloris) du début à la fin du match. Certes, les embrassades des joueurs après le but avaient quelque chose d’obscène, d’indécent.

Mais quiconque se rappelle avoir joué un match de foot sait bien que, dans l’enfer du jeu, la morale s’échappe très loin des crampons. Même dans le foot amateur, même dans celui qui se pratique sur un terrain vague (quoique, avec l’immobilier, il y en a de moins en moins) ou sur une plage, la tentation de la triche est permanente.

[access capability= »lire_inedits »]On peut toujours brûler Thierry Henry au bûcher des tricheurs. Mais c’est la vie d’un tricheur ou l’arnaque que les gens vont voir au cinéma. Le gangster fait plus recette que la vie du Christ. Et je ne souhaite pas un monde sans triche, même à mon pire ennemi. Un autre monde est peut-être possible. Mais sans tricheurs, quel ennui!

Sans parler du fait qu’à entendre les partisans des excuses nationales − auxquels Ségolène Royal ne s’est pas encore jointe − il faudrait aussi demander des excuses aux Serbes pour l’exclusion du gardien de but de la France lors de la phase éliminatoire ; exiger une autocritique vis-à-vis de l’expulsion de Blanc en demi-finale du Mondial de 1998 ; convoquer d’urgence Angela Merkel à l’Elysée pour l’agression de Battiston par Schumacher lors du France-Allemagne de demi-finale de la Coupe du monde 1982.

Mais il y a sans doute bien autre chose dans les cris d’orfraie. On sent le désir irrépressible, chez certains, d’éprouver une honte nationale. Ah, c’est qu’ils n’en sont pas fiers de la qualification française ! À juste titre. Mais la main d’Henry donne à beaucoup l’envie de s’excuser. Pour les crimes du colonialisme. Pour les enfants juifs envoyés dans les camps durant l’Occupation. Pour la torture en Algérie. Pour le renvoi des Afghans. Pour le non-passage du nuage de Tchernobyl au-dessus des campagnes françaises. Bon, allez, on arrête là, la ligne est trop difficile à tenir : comment être contre la triche et défendre Thierry Henry ? Contre le foot tout-fric et la honte nationale ? Contre la torture en Algérie et contre le fait de s’en excuser encore cinquante ans après ? OK, je renonce.

Il ne me reste plus qu’à beugler avec la meute : Henry, démission ! L’Irlande au Cap !

PS : Sans revenir forcément sur le sens général ce que j’ai écrit à chaud, quelques jours de recul m’ont permis de saisir ce qui ne se percevait pas sur le moment : la réaction contre la main d’Henry peut aussi être interprétée comme une réaction patriotique sur le thème : « La France ne peut pas vaincre sans panache ». Si c’est le cas, et sans doute ce sentiment doit exister (la preuve, dimanche 22 novembre, un amateur a volontairement raté un penalty qui ne lui paraissait pas mérité en faveur de son équipe), j’ai pêché par pessimisme… [/access]

Qui gagne perd

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Thierry Henry
Celui qui ne joue pas le jeu s'exclut de la partie.
Thierry Henry
Celui qui ne joue pas le jeu s'exclut de la partie.

On peut admettre qu’un jeu est une pure convention, qu’il n’existe que par les règles qui le définissent. Les règles d’un jeu semblent avoir, pour la clarté de la discussion, deux avantages remarquables sur d’autres systèmes de règles : elles n’impliquent aucune transcendance, aucune croyance collective que nous nous sentirions tenus de respecter ; elles sont cependant universellement connues et appliquées, même par les enfants des rues de Bogota, de Liverpool ou de Lagos qui sont réputés vivre en dehors de l’ordre établi. Un enfant de six ans est capable de comprendre la nature purement conventionnelle du jeu : celui qui ne joue pas le jeu s’exclut de la partie.

Cette évidence est d’ailleurs si forte que, depuis un bon quart de siècle, les tenants de l’économie libérale ne cessent de plaider pour que les réglementations, excessives, rigides et tatillonnes, laissent la place à de simples règles du jeu, parfois appelées codes de bonne conduite ou encore bonnes pratiques, librement adoptées et acceptées par les acteurs économiques. Il y a dans cette revendication une évidente volonté de réduire le champ de ce qui doit obéir à des règles, mais plus encore l’idée que les bonnes règles sont celles qui peuvent être directement appliquées par ceux qui y ont consenti. Les enfants des rues ont parfois besoin d’un arbitre mais, semble-t-il, pas d’une autorité pour interpréter les règles applicables au football.

Universel et populaire, le football est à l’identité nationale ce que le théâtre était, selon Aristote, à l’identité de la cité grecque : un moment de catharsis, c’est-à-dire d’expression inoffensive des passions collectives. C’est en tout cas ce que nous avons cru lorsque nous avons gagné la Coupe du monde. La grande dispute provoquée par la main de Thierry Henry révèle cependant un grand malentendu entre le peuple et ses élus sur ce qu’il faut entendre par « respect des règles ».

[access capability= »lire_inedits »]Résumons-nous : la règle applicable est qu’au football, on ne touche pas la balle avec la main. Le cas d’espèce est qu’un joueur a permis à son équipe de marquer un but décisif (pour l’issue du match et pour la suite de la compétition) en déviant la balle avec la main. Notons qu’à la différence du Code pénal, la règle du jeu ne distingue pas la faute intentionnelle de la maladresse puisque l’adresse est la compétence même du joueur. La faute est donc entière, manifeste et de grande conséquence pour le sens du jeu. Mais l’arbitre n’a pas vu la faute et accorde le point marqué. La question posée est dès lors la suivante : quelle est la conséquence d’une faute dépourvue de sanction ?

François Hollande juge qu’il s’agit d’un « incident grave sur le plan de l’éthique sportive » qui ne doit toutefois pas déboucher sur un « débat national » ; « la main d’Henry n’est pas politique », conclut-il . Mais le débat national a bien lieu et ce membre éminent du corps législatif se trompe : la question de l’impunité, c’est-à-dire la question de l’effectivité des règles, est en permanence au cœur du débat national. Elle se pose à propos des incivilités des mineurs, de la banalisation de la consommation de cannabis, du sort réservé aux sans-papiers, des excès de vitesse, de la fraude fiscale, de la rémunération des chefs d’entreprise et des traders, des catastrophes industrielles, de la mise en examen d’un ancien chef de l’État… C’est une question éminemment politique parce que, si le mot jacobinisme a un sens, c’est celui de la construction de l’unité nationale par l’égalité devant la loi. C’est une question éminemment politique parce que le politique prétend, dans ce pays, réaliser le bien commun en répondant à chaque incertitude collective par une loi. Or, sous des figures diverses, la seule réponse du politique à notre question, c’est l’esquive.

Il y a d’abord l’esquive par la procédure, c’est-à-dire par les règles d’application des règles, qu’on appelle en l’occurrence les règles de l’arbitrage. Le président de la fédération française de football, suivi par le porte-parole adjoint de l’UMP, les invoque aussitôt en parlant de « faute d’arbitrage favorable ». Il faut donc comprendre qu’il existe, derrière les règles de procédure permettant d’appliquer les règles du jeu, une « règle du jeu de la procédure » qui est en gros un pari sur les maladresses de l’arbitre, résumé d’une phrase lapidaire par le coprésident des Verts au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit : « La main de Thierry Henry, c’est le summum de la chance, mais le football, c’est comme ça », ce qu’en d’autres temps on appelait la « glorieuse incertitude du sport », la noblesse de la chose tempérant sans doute l’égalité républicaine des règles.

Mais la condition de possibilité de la procédure, bien connue de tous les professionnels chargés de faire respecter les règles, est la liberté qui leur est laissée de voir ou de ne pas voir la faute. C’est un adage bien connu dans la police que l’homme qui prend le plus de décisions chaque jour est le gardien de la paix : chaque jour, sur la voie publique, il décide de voir ou de ne pas voir l’infraction. Or cette condition est invalidée par la télévision : même si l’arbitre, le sélectionneur de l’équipe de France et le président de la République n’ont pu, de là où ils étaient, voir la faute, le peuple, lui, de son canapé, a tout vu. La question est politique parce que, si la procédure et la règle du jeu de cette procédure font obstacle au respect de la règle du jeu, comment le peuple pourrait-il respecter ceux qui administrent les règles ? C’est ici que deux philosophies des règles s’opposent : les virtuoses qui jouent avec les règles sont contre l’utilisation de la vidéo dans l’arbitrage, mais ceux qui ont compris que l’arbitrage du peuple ne pourrait indéfiniment être bafoué commencent à s’y résoudre, à l’instar du ministre de l’Education nationale : « Je suis à fond pour l’arbitrage vidéo, en tant qu’amateur de foot et non pas comme porte-parole du gouvernement. »

Au plus haut niveau, on pratique contre toute attente la déclinaison de compétence. Au premier ministre irlandais, s’exprimant au nom des victimes (et qui pourrait lui contester ce rôle ?) qui demande, depuis la tribune de son Parlement, que le match soit rejoué, arguant que l’énormité de la faute au regard de l’enjeu anéantit la validité du match, le premier ministre français répond que « les gouvernements ne devraient pas s’immiscer dans le fonctionnement de la Fédération internationale » et le président français : « Ne me demandez pas de me substituer à l’arbitre, aux instances du football français, aux instances du football européen : laissez-moi à ma place ». La FIFA ne saurait cependant donner raison aux Irlandais, « aucun point de règlement ne permettant de remettre en cause le résultat ». Mais celui qui détient la compétence en dernier ressort peut-il légitimement opposer une règle de procédure à la règle du jeu ?

On trouve enfin une autre figure coutumière de la rhétorique de l’action, le changement de règle, souvent qualifié de réforme : « Je trouve, dit la ministre de l’Économie, que la FIFA ferait bien de regarder les règles en vigueur parce que je trouve que ce serait bien de pouvoir, dans de telles circonstances, décider peut-être de faire rejouer un match. Si les règles sont mauvaises, il faut les remettre en cause. » Il s’agit bien sûr de la règle de procédure et non de la règle du jeu, mais le propos permet néanmoins de ne pas statuer sur le respect de celle-ci.

Le jeu des règles interdit décidément le respect de la règle du jeu. La première à en tirer les conséquences est la secrétaire d’État aux sports. Elle s’aventure d’abord sur le terrain de la justification technique de la faute (« Vous ne pouvez pas savoir exactement d’où vient le ballon et où il part… »), mais comprend vite que la maladresse, comme on l’a vu plus haut, n’est pas opposable à la règle du jeu. Barrée sur le terrain politique par la déclinaison de compétence précédemment exposée, elle choisit de dissoudre la sanction de la faute dans la morale, figure abondamment pratiquée à propos des banquiers au moment de la crise financière. Au-dessus des règles, il y a les valeurs, l’éthique sportive : « Il ne m’appartient pas d’accabler Henry, mais de lui renvoyer la balle pour qu’il dise la vérité. Cela relève de son intimité, de son rapport à la vérité et des valeurs du football. C’est à Thierry Henry de dire si son geste est volontaire ou non. Il le doit au public. Il doit être honnête. C’est aussi la réputation de la France qui est engagée. Pour ma part, je crois aux valeurs du sport sans lesquelles on tue l’esprit du sport. La dimension très populaire et éducative du football donne à ses acteurs une importante responsabilité ». Déclaration qui mérite d’être citée en entier, parce qu’elle décrit le changement de paradigme que la secrétaire d’État est contrainte d’opérer pour retrouver le chemin du respect des règles, dont elle voit bien qu’elle ne peut s’écarter dans un entretien où il est aussi question du dopage : arbitre, procédure et institutions, tous les médiateurs chargés d’assurer le respect des règles sont congédiés au profit d’un rapport intime à la vérité, aux valeurs et d’une responsabilité personnelle de chacun dans la transmission de ces valeurs par l’exemple de la foi. Mais, en admettant que l’éthique comme respect de soi puisse être une réponse au dopage considéré comme un mensonge du corps, il est douteux qu’elle permette de rétablir le jeu en tant que respect d’une règle commune.

La règle du jeu est une règle nue. Sans appareil ni interprétation, dépourvue de tout ésotérisme, elle n’est instituée que par l’usage et ne se perpétue que par l’apprentissage. Sa violation saute aux yeux de tous, anéantit le sens même du jeu et, du même coup, ses effets cathartiques. À force d’esquiver les conséquences de ces violations, on laisse l’impuni pour seul vainqueur. La ministre de la Santé et des Sports « a résumé l’ambivalence des émotions ressenties par de nombreux Français, entre un lâche soulagement et une grande inquiétude ».

On aurait tort de sous-estimer l’obscur ressentiment qui restera de ce Munich dérisoire.[/access]

Les peuples heureux n’ont pas d’équipe de foot !

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Babyfoot

Babyfoot

C’était en juillet 1969. Honduras et Salvador disputaient les matches éliminatoires de la Coupe du monde de foot. L’affaire se solda par une guerre entre les deux pays – la guerre des Cent heures –, deux mille morts dans chaque camp et des milliers de blessés. « Les peuples heureux, comme ne l’écrivait pas Hegel, n’ont pas d’équipe de foot. »

Évidemment, il serait sot de prendre des prétextes pour des causes ; la guerre des Cent heures a des raisons bien plus économiques et politiques que sportives. Mais le foot est, comme le note Yannick Blanc, une « expression des passions collectives ». Peut-être l’une des dernières.

[access capability= »lire_inedits »]Cela suffirait donc à expliquer l’émotion suscitée, lors du match France-Irlande, par « la main de Thierry Henry ». Faut-il faire comme si de rien n’était, comme nous y invite Philippe Cohen, refuser cette qualification indûment acquise comme y appelle Élisabeth Lévy ou continuer à s’intéresser à la main de Henry autant qu’à celle de sa sœur qui viendrait négligemment se retrouver dans la culotte d’un zouave, comme je m’y résoudrais personnellement très bien ? Chacun a son avis. Personne n’est d’accord.

Vous l’aurez compris : le foot, il y a des stades pour ça. Et, à Causeur, le ballon rond n’est pas une préoccupation de tous les instants. Alors, pourquoi revenir sur cette histoire-là ? Si la main de Henry a fait autant de bruit, c’est qu’elle interroge notre rapport à la règle, c’est-à-dire notre relation au droit, au code, aux usages comme aux tabous.

Or, si nous n’acceptons pas que la règle du jeu ne soit pas respectée dans un match, nous admettons bien d’autres choses : notamment que le code électoral évolue au gré des opportunités politiques, que les IUFM invitent les professeurs des écoles à ne pas corriger les fautes de leurs élèves ou que la façon de faire des enfants à l’ancienne soit tenue pour la chose la plus ringarde qui soit quand le chic est d’être homosexuel et d’adopter.

On ne transige pas avec la règle du jeu. Sauf quand on ne veut plus jouer.[/access]

Tous contre un !

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Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de brume, 1818, Kunsthalle, Hambourg.
Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de brume, 1818, Kunsthalle, Hambourg.
Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de brume, 1818, Kunsthalle, Hambourg.

Tout le monde partage leurs idées, mais ils sacrifieront leur vie pour elles. Mobilisés pour défendre la liberté menacée, ils ignorent que le spectacle qu’ils donnent, en répétant bruyamment devant caméras et micros qu’on cherche à les faire taire, est hautement cocasse. Mais on ne rigole pas avec le sarkozysme. Regroupés en rangs serrés autour de Marie NDiaye, les néo-résistants croient aux billevesées qu’ils se racontent les uns aux autres. Ils sont la France qui dit « non » à celle de la « beaufitude archéo-réac« [1. Pêché dans les Inrocks, comme l’essentiel des citations.], la France debout contre le pays de Pétain et de Sarkozy. Quand ils se promènent dans la rue − à supposer que leur mission civilisatrice leur laisse le loisir de faire ce genre de choses −, ils doivent se demander lesquels, parmi les passants, sont sûrs et lesquels les livreront à la police sarkozyste. À 53 % de salauds, n’importe qui est suspect.

[access capability= »lire_inedits »]Imaginez la préparation, dans le secret d’une arrière-cuisine sombre, du « Spécial Résistance » des Inrocks. « Vive la France qui résiste au sarkozysme« , proclame la « une », habillée aux couleurs du drapeau. Etonnant d’ailleurs. Pour le reste, au pays de Non-Non, un benêt représente un danger fasciste et une meute ivre de bonne conscience la résistance. Le benêt, c’est Eric Raoult, député séquano-dyonisien qui vient de se payer un quart d’heure de gloire de deux semaines avec seulement trois phrases en confondant prix Goncourt et concours de l’ENA. Il a donc exigé que la lauréate, Marie NDiaye, assume la dignité de sa nouvelle fonction en reniant ses propos tenus précédemment dans les Inrocks sur le caractère « monstrueux, vulgaire et fliqué » de la France sarkozyste.

« Écris et tais-toi ! » Ainsi l’hebdomadaire, qui ne va pas lâcher un si bon filon, résume-t-il l’injonction supposément adressée, non plus à la seule Marie NDiaye, mais à tout ce qui compte et pense rive gauche. Moi, j’aurais titré : « Taisez-vous, Raoult !« , mais ils ne m’ont rien demandé. Le Raincy, ça rime avec Vichy, non ? De droite à gauche, dans les médias et les dîners en ville, les cabinets ministériels et les meetings de Besancenot, de Ségolène Royal à Carla Bruni, la France entière montre du doigt le symbole de la tyrannie qui vient. Le vice-président du Front national juge qu’il est « un démocrate de pissotière » ! Même Raoult n’est plus vraiment d’accord avec Raoult[2. Qui se définit joliment comme un Maxime Gremetz de droite.]. Oui, mais on ne va pas changer l’épique qui gagne[3. Il est vrai que Fredo Mitterrand aurait pu dire un petit quelque chose, mais il est quand même rigolo que la Résistance soit à ce point obnubilée par les discours officiels. De Gaulle attendait-il de Radio-Paris qu’elle défende la liberté ?]. Depuis qu’il n’y a plus de fascisme, l’antifascisme est indémodable.

Espérant peut-être trouver « censure à son pied » (Muray, forever), la journaliste affirme que Marie NDiaye ne parle pas à tort et à travers (c’est mal imité). Quand elle dit « monstrueux« , elle veut dire « monstrueux« . L’écrivain confirme et parle d' »intimidation« . Juliette Binoche, dont on voit les larmes en la lisant, cite Duras, nous rappelle que le gouvernement de Sarkozy est celui de « l’agressivité sournoise et bien réelle » et nous exhorte à ne pas oublier « les enfants sortis de force de l’école« . Dommage qu’ils n’aient pas interrogé la Cotillard, elle aurait expliqué que, sous couvert de vacciner contre « la grippe machin nin-nin » comme dit Bennasar, on pratique des tests ADN en masse. « Ils semblent rêver d’une dictature à la Staline« , avance gravement Daniel Buren (on lui a sucré une subvention ?). Appelés à la rescousse sur une pleine page, des lecteurs du Monde évoquent les persécutions subies par Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsyne, comparent l’écrivain à Victor Hugo persécuté. Le même jour, un édito sobrement intitulé « Bavures » complète très joliment le décor, donnant à l’ensemble un vague fumet « Chili 73 » ou « Allemagne 33 », toujours très apprécié de la clientèle en mal de sensations fortes. Le pire, c’est que, comme le démontre Marc Cohen, on peut toujours compter sur la Sarkozie et dépendances pour fournir à ce petit monde sa dose de frisson en ânonnant les mots qui font peur.

Toute cette agitation est surréaliste − au sens propre. Ou peut-être sous-réaliste. À entendre les représentants de la « France qui résiste« , une seule conclusion s’impose : le réel a disparu. C’est fâcheux. Mais qu’est-ce qu’on se marre ![/access]

Quand on compte, on n’aime pas

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Boulier

Boulier

SOS Racisme a raison. De plus en plus d’entreprises françaises pratiquent la discrimination. L’ennui, c’est que l’association qui regarde le monde à travers les lunettes fournies par la Halde oublie de préciser qu’il s’agit généralement de discrimination positive. Oui, McDonald’s, Eurodisney et d’autres comptent les Noirs et les Arabes, sauf que ce n’est pas pour les éliminer mais pour en avoir plus – et plus encore pour pouvoir le proclamer. D’ailleurs, on appelle ça l’affirmative action. Non seulement on le fait, mais on veut que ça se sache. On compte parce qu’on aime.

On comprend les protestations désolées des entreprises dénoncées alors qu’elles s’efforcent de « benettoniser » leurs équipes. C’est un peu comme si on reprochait aux producteurs « équitables » de pratiquer la discrimination à l’embauche des enfants. « Comment peut-on nous accuser, nous qui sommes à la pointe du combat ! » Hier, les entreprises étaient citoyennes, elles affichaient leurs bonnes relations sociales et leur politique salariale progressiste. Le business d’aujourd’hui doit se montrer vert et divers. N’en doutons pas, nous verrons apparaître le classement des entreprises les plus diverses (pour les plus vertes, cela doit exister). On créera un label qualité décerné par l’Etat et des lobbyistes bénévoles et bien orientés lutteront pour qu’il soit étendu à l’échelle européenne. Les programmes « diversité », qui doivent déjà exister dans pas mal d’entreprises du CAC 40, se multiplieront puis, pour obliger les récalcitrants à changer, on votera une loi rendant obligatoire la création, dans toutes les entreprises, d’un poste de responsable de la diversité – qui existe déjà à France Télévisions et à Radio France. On autorisera la publicité comparative : « Ici, il y en a plus qu’ailleurs. » La télévision publique organisera le championnat de France de la diversité. Et pour finir, on créera une taxe diversité dont devront s’acquitter les entreprises qui s’obstinent à demeurer trop pâles.

[access capability= »lire_inedits »]Oublions le cas des offices HLM. Sur ce point, SOS se paie notre tête. Voilà des années que tout le monde réclame à cor et à cri que l’on en finisse avec les ghettos ethniques. Le reportage nostalgique sur la banlieue du bon vieux temps où cohabitaient Arabes, Africains, juifs, Espagnols, Portugais et même des « de souche » est un classique. Alors qu’on chante sur tous les tons les vertus du métissage, il devrait s’arrêter au pied des immeubles ? Seulement, pour mélanger les origines, il faut bien les identifier.

Passons sur le terme de « fichage ethnique » censé effrayer les braves gens en leur rappelant que les heures les plus sombres de notre histoire sont devant nous. À ce compte-là, il faudrait parler de fichage social à propos des bénéficiaires d’allocations – qui constituent en quelque sorte des fichiers de pauvres. Et que dire des fichiers de vieux qu’établissent patiemment les services chargés de verser le minimum vieillesse ? Ces scandales doivent cesser au plus vite.

L’intérêt du rapport des ex-potes (je ne suis pas sûre que cette terminologie vintage ait toujours cours), est qu’en épinglant des entreprises peu suspectes de racisme, il montre que, s’il y a une bonne et une mauvaise discrimination, elles vont toujours ensemble. Défendue en France par un lobby bruyant emmené par le semi-ministre Yazid Sabeg, la discrimination positive est le visage souriant de la discrimination tout court. D’abord, elle peut se retourner à tout instant, le jour où l’on considère que la minorité concernée est servie en avantages divers. Si Eurodisney décide qu’il lui faut x % d’Asiatiques (correspondant je suppose à leur proportion « scientifiquement » mesurée dans la clientèle), le Chinois qui se présente à l’embauche une fois le quota atteint se fera jeter parce qu’il est chinois et pas ceci ou cela. Ensuite, favoriser X parce qu’il satisfait aux critères, c’est nécessairement défavoriser Y qui n’y satisfait pas. Il faut bien, me dira-t-on, faire quelque chose pour corriger l’injustice qui fait qu’on embauche plus facilement Pierre que Ahmed et qu’on loue son appartement plus volontiers à un Dupont ou un Lévy qu’à un Camara. Le problème, en l’occurrence, n’est pas de le faire mais de le dire. La discrimination positive commence avec l’affichage. Donner un coup de pouce à l’égalité des chances en favorisant un individu qui se trouve appartenir à un groupe globalement défavorisé est parfaitement acceptable.

Qu’un patron de chaîne recrute Harry Roselmack ou Audrey Pulvar (tous deux excellents) de préférence à des blondes et blonds, très bien, mais pourquoi claironner qu’ils sont noirs ? Pense-t-on que le téléspectateur est aveugle au point de ne pas voir les « minorités visibles » ?

D’accord, on est loin du compte. Tout le monde n’a pas la chance de travailler dans une entreprise citoyenne. S’il est choquant pour l’esprit que l’appartenance ethnique soit un atout, il l’est encore plus pour la morale qu’elle soit un obstacle. De ce point de vue, le CV anonyme, qui met à égalité des candidats d’égale valeur, est sans doute, avec le concours, l’outil le plus républicain de la méritocratie.

Donc, ce n’est pas tous les jours marrant pour Ahmed. Les gazettes appellent ça le racisme ordinaire, expliquant avec une délectation morbide qu’il est partout. En réalité, il s’agit de méfiance culturelle, pas de hiérarchie des races. Les bons paient pour les méchants, le Français comme vous et moi pour le sauvageon et le dealer, on connaît la chanson, c’est injuste mais difficile à combattre. Ça donne une dame qui « ne loue pas à des Noirs » et un patron de PME qui « ne veut pas d’Arabes dans sa boîte ». C’est pas bien. Mais, à supposer qu’on puisse le prouver – ce qui deviendra plus difficile au fur et à mesure que les gens apprendront à cacher leurs vilains préjugés – doit-on fermer l’entreprise pour crime de discrimination ? Obliger le patron à embaucher Ahmed – ce qui n’augure pas très bien de leur collaboration ? Peut-on condamner les sentiments condamnables ? Et que fera-t-on au patron qui a préféré une fille qui avait un joli sourire à une autre à la mine revêche ?

Que dira-t-on au bouffeur de curés qui n’a pas plus envie d’embaucher une femme voilée qu’un homme qui porte la kippa ? Sanctionnera-t-on le DRH qui hésite à recruter trop de femmes ou de musulmans parce qu’il redoute d’avoir trop d’absence pendant le ramadan ou de congés-maternité ? Oui, la formule « trop de » choque, mais il faudra bien qu’on admettre qu’elle est l’inévitable pendant de « pas assez de ».

L’espace du travail ne relève pas de la vie privée, mais il n’appartient pas non plus entièrement à la sphère publique. Il n’est pas un espace où règnent seulement le choix rationnels et la recherche du profit. Il est peuplé d’être humains affectés de goûts et d’affinités certes déplorables, mais qu’il faut bien prendre en compte tant qu’on n’aura pas lancé la nécessaire rééducation des masses.

Il est curieux qu’on ne puisse même pas imaginer qu’Ahmed n’a pas été embauché parce que le courant n’est pas passé, qu’il présentait mal, ne parlait pas arabe ou n’était pas assez calé en informatique. On pense au ruban de Moebius qui change de face sans qu’on puisse le repérer – un truc qui rend fou. C’est ainsi qu’un antiracisme plein d’excellentes intentions assigne chacun à résidence raciale. Dans l’imaginaire des antiracistes, comme dans celui des racistes, Ahmed est réduit à une seule dimension : il n’est plus qu’un Arabe, c’est donc pour cela qu’il n’a pas eu le job. Cela s’appelle « intégrer ».[/access]