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Quand on compte, on n’aime pas


Quand on compte, on n’aime pas

Boulier

SOS Racisme a raison. De plus en plus d’entreprises françaises pratiquent la discrimination. L’ennui, c’est que l’association qui regarde le monde à travers les lunettes fournies par la Halde oublie de préciser qu’il s’agit généralement de discrimination positive. Oui, McDonald’s, Eurodisney et d’autres comptent les Noirs et les Arabes, sauf que ce n’est pas pour les éliminer mais pour en avoir plus – et plus encore pour pouvoir le proclamer. D’ailleurs, on appelle ça l’affirmative action. Non seulement on le fait, mais on veut que ça se sache. On compte parce qu’on aime.

On comprend les protestations désolées des entreprises dénoncées alors qu’elles s’efforcent de « benettoniser » leurs équipes. C’est un peu comme si on reprochait aux producteurs « équitables » de pratiquer la discrimination à l’embauche des enfants. « Comment peut-on nous accuser, nous qui sommes à la pointe du combat ! » Hier, les entreprises étaient citoyennes, elles affichaient leurs bonnes relations sociales et leur politique salariale progressiste. Le business d’aujourd’hui doit se montrer vert et divers. N’en doutons pas, nous verrons apparaître le classement des entreprises les plus diverses (pour les plus vertes, cela doit exister). On créera un label qualité décerné par l’Etat et des lobbyistes bénévoles et bien orientés lutteront pour qu’il soit étendu à l’échelle européenne. Les programmes « diversité », qui doivent déjà exister dans pas mal d’entreprises du CAC 40, se multiplieront puis, pour obliger les récalcitrants à changer, on votera une loi rendant obligatoire la création, dans toutes les entreprises, d’un poste de responsable de la diversité – qui existe déjà à France Télévisions et à Radio France. On autorisera la publicité comparative : « Ici, il y en a plus qu’ailleurs. » La télévision publique organisera le championnat de France de la diversité. Et pour finir, on créera une taxe diversité dont devront s’acquitter les entreprises qui s’obstinent à demeurer trop pâles.

[access capability= »lire_inedits »]Oublions le cas des offices HLM. Sur ce point, SOS se paie notre tête. Voilà des années que tout le monde réclame à cor et à cri que l’on en finisse avec les ghettos ethniques. Le reportage nostalgique sur la banlieue du bon vieux temps où cohabitaient Arabes, Africains, juifs, Espagnols, Portugais et même des « de souche » est un classique. Alors qu’on chante sur tous les tons les vertus du métissage, il devrait s’arrêter au pied des immeubles ? Seulement, pour mélanger les origines, il faut bien les identifier.

Passons sur le terme de « fichage ethnique » censé effrayer les braves gens en leur rappelant que les heures les plus sombres de notre histoire sont devant nous. À ce compte-là, il faudrait parler de fichage social à propos des bénéficiaires d’allocations – qui constituent en quelque sorte des fichiers de pauvres. Et que dire des fichiers de vieux qu’établissent patiemment les services chargés de verser le minimum vieillesse ? Ces scandales doivent cesser au plus vite.

L’intérêt du rapport des ex-potes (je ne suis pas sûre que cette terminologie vintage ait toujours cours), est qu’en épinglant des entreprises peu suspectes de racisme, il montre que, s’il y a une bonne et une mauvaise discrimination, elles vont toujours ensemble. Défendue en France par un lobby bruyant emmené par le semi-ministre Yazid Sabeg, la discrimination positive est le visage souriant de la discrimination tout court. D’abord, elle peut se retourner à tout instant, le jour où l’on considère que la minorité concernée est servie en avantages divers. Si Eurodisney décide qu’il lui faut x % d’Asiatiques (correspondant je suppose à leur proportion « scientifiquement » mesurée dans la clientèle), le Chinois qui se présente à l’embauche une fois le quota atteint se fera jeter parce qu’il est chinois et pas ceci ou cela. Ensuite, favoriser X parce qu’il satisfait aux critères, c’est nécessairement défavoriser Y qui n’y satisfait pas. Il faut bien, me dira-t-on, faire quelque chose pour corriger l’injustice qui fait qu’on embauche plus facilement Pierre que Ahmed et qu’on loue son appartement plus volontiers à un Dupont ou un Lévy qu’à un Camara. Le problème, en l’occurrence, n’est pas de le faire mais de le dire. La discrimination positive commence avec l’affichage. Donner un coup de pouce à l’égalité des chances en favorisant un individu qui se trouve appartenir à un groupe globalement défavorisé est parfaitement acceptable.

Qu’un patron de chaîne recrute Harry Roselmack ou Audrey Pulvar (tous deux excellents) de préférence à des blondes et blonds, très bien, mais pourquoi claironner qu’ils sont noirs ? Pense-t-on que le téléspectateur est aveugle au point de ne pas voir les « minorités visibles » ?

D’accord, on est loin du compte. Tout le monde n’a pas la chance de travailler dans une entreprise citoyenne. S’il est choquant pour l’esprit que l’appartenance ethnique soit un atout, il l’est encore plus pour la morale qu’elle soit un obstacle. De ce point de vue, le CV anonyme, qui met à égalité des candidats d’égale valeur, est sans doute, avec le concours, l’outil le plus républicain de la méritocratie.

Donc, ce n’est pas tous les jours marrant pour Ahmed. Les gazettes appellent ça le racisme ordinaire, expliquant avec une délectation morbide qu’il est partout. En réalité, il s’agit de méfiance culturelle, pas de hiérarchie des races. Les bons paient pour les méchants, le Français comme vous et moi pour le sauvageon et le dealer, on connaît la chanson, c’est injuste mais difficile à combattre. Ça donne une dame qui « ne loue pas à des Noirs » et un patron de PME qui « ne veut pas d’Arabes dans sa boîte ». C’est pas bien. Mais, à supposer qu’on puisse le prouver – ce qui deviendra plus difficile au fur et à mesure que les gens apprendront à cacher leurs vilains préjugés – doit-on fermer l’entreprise pour crime de discrimination ? Obliger le patron à embaucher Ahmed – ce qui n’augure pas très bien de leur collaboration ? Peut-on condamner les sentiments condamnables ? Et que fera-t-on au patron qui a préféré une fille qui avait un joli sourire à une autre à la mine revêche ?

Que dira-t-on au bouffeur de curés qui n’a pas plus envie d’embaucher une femme voilée qu’un homme qui porte la kippa ? Sanctionnera-t-on le DRH qui hésite à recruter trop de femmes ou de musulmans parce qu’il redoute d’avoir trop d’absence pendant le ramadan ou de congés-maternité ? Oui, la formule « trop de » choque, mais il faudra bien qu’on admettre qu’elle est l’inévitable pendant de « pas assez de ».

L’espace du travail ne relève pas de la vie privée, mais il n’appartient pas non plus entièrement à la sphère publique. Il n’est pas un espace où règnent seulement le choix rationnels et la recherche du profit. Il est peuplé d’être humains affectés de goûts et d’affinités certes déplorables, mais qu’il faut bien prendre en compte tant qu’on n’aura pas lancé la nécessaire rééducation des masses.

Il est curieux qu’on ne puisse même pas imaginer qu’Ahmed n’a pas été embauché parce que le courant n’est pas passé, qu’il présentait mal, ne parlait pas arabe ou n’était pas assez calé en informatique. On pense au ruban de Moebius qui change de face sans qu’on puisse le repérer – un truc qui rend fou. C’est ainsi qu’un antiracisme plein d’excellentes intentions assigne chacun à résidence raciale. Dans l’imaginaire des antiracistes, comme dans celui des racistes, Ahmed est réduit à une seule dimension : il n’est plus qu’un Arabe, c’est donc pour cela qu’il n’a pas eu le job. Cela s’appelle « intégrer ».[/access]

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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