Accueil Site Page 2971

La psychiatrie, maladie française

136
Cocorico ? Les Français, grands consommateurs de psychotropes et de psychiatres.
Cocorico ? Les Français, grands consommateurs de psychotropes et de psychiatres.

Des dizaines de milliers de personnes internées contre leur gré chaque année, séparées de leur famille et de leurs enfants, forcées de se soigner à domicile ou dans un établissement fermé, avec la complicité passive et souvent active de la loi, de la police et du système judiciaire, dans la quasi indifférence d’une société entretenue dans la peur de l’autre et de l’étrange, où chacun peut être suspect et, à son tour, interné contre sa volonté. On pense à 1984 de George Orwell, bien sûr, mais aussi aux sinistres méthodes de l’ex-Union soviétique et de ses satellites et parfois, dit-on, de la Russie de Poutine. Eh bien non, c’est en France et en 2010 que cela se passe.

Les chiffres sont difficiles à réunir, tant l’opacité règne sur la planète psychiatrique : il y aurait 1,5 millions de personnes (en 2000) prises en charge par la médecine psychiatrique chaque année en France, dont 70 000 internées, à comparer aux 65 000 personnes incarcérées pour des faits de justice. Par ailleurs, la chose est connue : les Français sont parmi les plus grands consommateurs de médicaments psychotropes dans le monde et parmi les mieux encadrés par la profession de psychiatre, quatre fois plus nombreuse en France qu’en Italie par exemple. Ceci explique peut-être cela, mais le tableau n’en est pas plus acceptable au pays des droits de l’homme et de la liberté.

Comment en est-on arrivé là ? Quelques lignes ne suffiront sans doute pas pour faire le tour de la question. Pourtant, la cause essentielle de cette sinistre exception française est probablement à rechercher dans l’aura dont bénéficie injustement la discipline psychiatrique dans notre pays. C’est en France depuis le XVIIIe siècle, et aussi en Allemagne, qu’est né et a prospéré le concept moderne de santé mentale et de son recours, la médecine psychiatrique. Avec Pinel, Esquirol, Charcot, Laborit et Delay, pour ne citer que les plus connus, a été inventée une nouvelle pathologie, la maladie mentale. Depuis, les Américains ont largement pris le relais, avec notamment leur immense industrie pharmaceutique – mais les Européens ne sont pas à la traine dans ce domaine – et leur fameux DSM (Diagnostic and Statistical Manual), qui classe et stigmatise avec minutie troubles du comportement et pathologies mentales, véritable bible de tout ce qui porte « psy » dans le monde occidental.

Le syllogisme de l’argumentation psychiatrique est finalement assez facile à démonter : les comportements étranges sont des maladies mentales. Or, les maladies relèvent de la médecine. De ce fait, c’est aux médecins spécialisés en psychiatrie que revient le droit de qualifier et de traiter les maladies mentales, tout comme un médecin au sens traditionnel le fait lors d’un diagnostic pathologique somatique. C’est malheureusement grâce à cette imposture pseudo-scientifique que la France enferme physiquement et chimiquement des milliers de citoyens dont le seul tort est de ne pas correspondre aux canons comportementaux de la majorité de la population. Les concepts de névroses, de psychoses et des troubles du comportement sont éloquents.

Précisément – et les théoriciens de la psychiatrie ne s’y sont pas trompés – c’est chacun d’entre nous, citoyen, qui peut « tomber » dans la maladie mentale, c’est votre conjoint, votre enfant ou vos proches pour lesquels il est légitime que vous les signaliez afin de les faire soigner, contre leur volonté si nécessaire. C’est le sens qu’il faut comprendre aux récentes campagnes de communication, par exemple sur le thème de la dépression nerveuse, où on apprend qu’au moins 15 % de la population en sont potentiellement victimes. Il en est aussi de cette subtile et efficace entreprise de désinformation ou de formation des esprits, comme on voudra, en matière de vraie-fausse alarme sur la surconsommation de médicaments psychotropes. Mais pour quoi faire finalement ? Pour en prendre moins ou plus ? Pour aller consulter un psychiatre plutôt que les généralistes, grands prescripteurs de psychotropes ? On ne sait pas vraiment… A ce point de gravité de la prise en charge du mal-être français, on peut aussi s’interroger sur l’inquiétant rapprochement de la justice et de la psychiatrie pour traiter de la délinquance et des déviances en général. Si en réalité les deux ont partie liée depuis plusieurs siècles – on se souvient notamment de la loi de 1838 sur l’internement d’office, revisitée en 1990 et en 2002 –, tout semble prêt pour légitimer plus encore la psychiatrie dans sa toute-puissance, malgré les artifices de l’inopérante loi sur la dignité et l’accès à l’information des « patients », notamment.

La psychiatrie est un pouvoir. Elle peut dire le bien et le mal ; elle qualifie le sain et le malsain d’esprit ; elle nie tout discernement personnel à travers le fameux « déni de la pathologie » face auquel le désormais « malade » ne peut peut-être que sans voix, sans voie et impuissant ; elle met un terme à la liberté des individus, avec la complicité trop facilement crédule des autorités administratives et judiciaires, sans jugement, à discrétion et arbitrairement malgré les apparences du contradictoire en matière d’internement sans consentement de l’intéressé ; elle peut enfin obliger à se soigner, en clair prendre des médicaments abêtissants, véritable camisole et addiction chimique, à travers l’injonction thérapeutique et sous la menace de l’enfermement, au besoin dans une chambre d’isolement ou avec d’inacceptables électrochocs, aussi durablement que le psychiatre le décidera, pouvoir exorbitant qu’aucun magistrat ou personnel pénitentiaire ne détient à lui seul.

De nombreux Français éprouvent des difficultés à vivre, à travailler et à trouver le bonheur seul, en couple ou en famille. Notre société occidentale – des psychiatres français ou européens ont cependant réussi à trouver quelques pathologies en Afrique, grâce à l’ethnopsychiatrie… – génère bien des maux séculaires ou contemporains. Loin l’idée selon laquelle tout va bien dans le meilleur des mondes, sans déprime, sans accès de violence contre soi-même ou contre autrui, tout cela sans cause ou incidence psychique dans la vie de nos concitoyens. Pour autant, on ne saurait accepter qu’une pseudoscience exerce un tel magistère sur l’existence de nombreux d’entre nous et dans l’organisation de la Nation, d’autant qu’elle n’a jamais rien démontré ni expliqué du malaise humain sur un plan formel, qu’il en aille de la biologie, de la génétique ou de l’imagerie médicale notamment.

Plus grave encore, la psychiatrie n’a jamais guéri qui que ce soit. Si guérir signifie « se défendre » contre une agression bactérienne par exemple, pour se rétablir, les psychiatres en vérité ne font que soigner au sens de « s’occuper de », sans jamais libérer des soi-disant symptômes dont ils affublent leurs malades. D’ailleurs, comment pourraient-ils guérir à coups de médicaments l’histoire tragique de chacun, itinéraire si personnel et si intime qu’ils ignorent la plupart du temps ? Il est vrai qu’il y faut du temps, de la patience et de l’humilité, dans le respect de la liberté du sujet, toutes choses souvent étrangères à l’arrogance et aux certitudes de leur discipline.

Nous avons le droit de refuser et de réfuter ce pouvoir, qui a su s’imposer dans les mécanismes de la politique nationale de santé publique. Souvenons-nous qu’au XIXe siècle, une autre discipline toute aussi médicalement incontestable alors voyait le jour avec l’hygiénisme. Fort heureusement, les forces politiques mais aussi littéraires et artistiques – on pense bien sûr à Zola – et bien d’autres acteurs de la société civile et universitaire ont démontré magistralement que de pathologies hygiénistes il y avait surtout des conditions matérielles et sociales épouvantables. Depuis, exit l’hygiénisme. Les mécanismes du système mis à jour, puissions-nous espérer qu’il en soit ainsi de la psychiatrie.

Dieu reconnaîtra les saints

562

ratzinger

Benoîtement, le pape a accepté hier que la Congrégation pour les Causes des Saints proclame un décret selon lequel son prédécesseur pendant la seconde guerre mondiale, Pie XII, était paré de « vertus héroïques ». Aussitôt, l’invincible armada des exégètes papologues, à qui rien n’échappe puisque 20 autres décrets accompagnaient celui concernant Eugenio Pacelli – c’est son nom de baptême -, s’est mise en branle. L’objet de son ire : il s’agit d’un pas (de l’oie ?) supplémentaire sur la voie impénétrable de la béatification.

Certains soulignent que Benoît XVI a fait exprès de sortir cette bombe papale un samedi, jour de shabbat, afin que les Juifs ne protestent pas trop fort. Raté, nous raconte Le Parisien : « La communauté juive (…) toutefois, hier soir, en Italie, a déclaré « rester critique » quant à cette décision. » Apparemment, le correspondant du quotidien à Rome est allé sonder tous les Italiens de confession juive. Belle performance en quelques heures.

Puis l’incontournable Richard Prasquier, président du CRIF, fidèle à son habitude de globalisation des opinions individuelles, s’est fendu d’une déclaration à 20 minutes : « La béatification du pape Pie XII, en dehors d’un consensus d’historiens indépendants, risquerait de porter un coup dur aux relations de confiance qui se sont établies entre l’Eglise catholique et le monde juif. »

Brice Barillon fait peur dans sa revue de presse du jour sur RFI.fr, en parlant de « pape noir », ce qui fait très comploteur négatif à la Da Vinci Code. Un noir au Vatican ? Mais que fait la garde suisse ?

Stephan Kramer, le secrétaire général du Conseil central des juifs d’Allemagne, fait dans le comique involontaire : « L’Eglise catholique essaie là de réécrire l’Histoire sans avoir permis qu’il y ait une discussion scientifique sérieuse. » Vouloir soumettre une décision papale à la science, il fallait oser.

En revanche, Serge Klarsfeld, fondateur de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France, et qu’on peut créditer d’une moralité sourcilleuse sur le sujet, ose prêcher dans le désert : « Cette décision ne me choque pas. Pie XII a défendu l’Eglise contre le nazisme, a effectué quelques interventions discrètes pour sauver des gens. »

Le pape est un chef d’entreprise. On peut déplorer ses choix, mais ils s’adressent à sa clientèle. Comme dit Elisabeth Lévy (cela ne fait jamais de mal de citer la papesse de Causeur) : « Le pape est pape. » Il travaille à faire avancer son business. À ce titre, d’ailleurs, c’est le seul patron qui peut buller tout en travaillant. S’il considère que plaider la cause de Pie XII vaut le coup, pourquoi pas ?

Soit l’on est catholique et papiste, et l’on a confiance en la sagesse de Benoît XVI, sinon dans son infaillibilité.

Soit l’on est catholique mais d’un naturel soupçonneux, depuis l’affaire Williamson. Benoît XVI a déclaré avoir connaissance d’archives secrètes prouvant que Pie XII avait aidé à cacher des juifs pourchassés dans des couvents. Cela sera donc, espérons-le, exposé lors du long processus de béatification. Le reste est littérature. Pas de quoi en pondre une mitre.

Soit on n’est ni l’un ni l’autre, et gloser des heures sur ce choix papal relève ou bien d’une attirance suspecte pour le folklore vaticanesque (soutane comprise), ou bien la reconnaissance implicite du principe de sainteté, ce qui est édifiant. On peut imaginer qu’un Marocain musulman se fiche comme de sa première babouche de la sainteté supposée d’un Lama de cinq ans du fin fond du Tibet. Dans un autre genre, la proclamation de « vénérable » de Pie XII ne fait pas gloser chez les Indiens athées de la jungle amazonienne.

Au fond, nous touchons ici du doigt divin la propension médiatico-contemporaine à jauger le passé au présent, en fonction du futur du passé.

Pour simplifier, trois possibilités sont envisageables :

1. Le pape de l’époque a vraiment failli, et il aurait fallu le déjuger puis le juger à l’époque. Il savait, et n’a rien fait ; que penser alors du cas Roosevelt, coupable de n’avoir pas considéré la situation des populations assassinées dans les camps, pour anticiper l’intervention alliée en Europe ? Voire, Pie XII aurait profité de la situation : personne de sérieux ne s’engage à soutenir une telle abomination.

2. Pie XII n’a pas été à la hauteur lorsqu’il a vu sans réagir les convois de Juifs partir vers l’horreur, mais a tenté de sauver des vies par d’autres biais. Ce n’est pas glorieux, mais cela n’a rien à voir avec l’attitude d’un salaud. Richard Prasquier lui-même l’admet : « Il est certain que le pape a pu faciliter le sauvetage de certains juifs de Rome. » Alors quoi ? Les archives en cours de classement devraient mettre tout le monde d’accord. L’Etat d’Israël, par la voix d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Yigal Palmor, a d’ailleurs la réaction la plus saine : « Le processus de béatification ne nous regarde pas, c’est une question qui ne concerne que l’Eglise catholique. Quant au rôle de Pie XII, c’est aux historiens de l’évaluer et c’est pourquoi nous demandons l’ouverture des archives du Vatican durant la guerre mondiale. »

Mais Richard Prasquier enfonce le clou : « La communauté juive dans son ensemble reste marquée par le fait qu’il ne s’est jamais exprimé avec force sur la monstruosité qu’a été l’extermination des juifs. » Apprécions le syncrétique totalitaire « dans son ensemble ». Et surtout, l’argument sur la « force » d’une expression, du genre : cela dépend où on met le curseur.

3. Pie XII fit un grand humaniste, auteur d’initiatives secrètes mais efficaces permettant de le considérer comme un Juste. C’est la thèse du rabbin Dalin, auteur d’un livre controversé sur le sujet. C’est sans doute l’opinion du pape actuel. On le voit, le débat ne trace pas une ligne blanche entre les membres de communautés. Il traverse largement les différences nationales ou religieuses.

Il semblerait que dans le pire des cas, le discret Eugenio Pacelli, – en plus d’avoir un nom d’emprunt old style qui sonne comme une injure homophobe lâchée dans les embouteillages : « espèce de Pie XII » – fut plutôt coupable de pusillanimité publique, et responsable de bonté privée. Pas à l’image de ce que l’on se fait d’un grand homme d’Eglise, dans le monde d’aujourd’hui peuplé de héros théoriques, mais plutôt à celle d’un homme tout court dans des temps que les commentateurs du jour n’ont pas vécu.

Cela en fait-il un saint ? Certainement pas. Mais plutôt que d’agiter à tout va le chiffon cardinalice de l’incompréhension entre les communautés, laissons Benoît à son business : Dieu reconnaîtra les siens.

Un gland ou une truffe ?

18

Sans doute désespéré par l’échec du sommet de Copenhague et la contre-attaque médiatique des nonistes du réchauffement planétaire, un infirmier de Saint-Quentin, en Picardie, alors que la température de la ville était de moins 6°, n’a pas hésité à sortir son sexe, longuement, devant deux passantes emmitouflées. A-t-il voulu faire remonter le thermomètre afin d’attirer l’attention sur le scandaleux résultat a minima obtenu au Danemark ? On ne peut pas dire que son geste écologique, et héroïque étant donné le froid sibérien, ait été compris. Promptement appelée, la police a arrêté l’homme quelques heures plus tard. Il n’avait pas d’antécédents judiciaires, mais des engelures sur le membre.

Le vicaire et la strip-teaseuse

Le Finistère, pointe avancée de la Bretagne, doit son nom à l’expression « là où finit la terre »… Mais un article du Parisien de vendredi pourrait nous faire penser que c’est là aussi que finit la dignité et que la modernité explose dans toute sa réjouissante horreur comique. Le journal nous informe d’une décision du tribunal des Prud’hommes de Rennes exigeant que les autorités de l’Eglise catholique de Bretagne s’acquittent des 300 € qu’ils refusaient à une strip-teaseuse, ou plutôt une « danseuse artistique », pour une récente prestation : « Lors du vernissage d’une exposition d’art contemporain dans la chapelle Saint-Pierre de Mahalon (Sud-Finistère), la chorégraphie de Corinne Duval sur le thème de l’enfermement s’était terminée par un strip-tease intégral sur l’autel. Un vicaire du diocèse et le prêtre chargé de l’art sacré dans le département avaient juste eu le temps de sortir avant ce final. » On se moquera moins de cette fuite burlesque des hommes d’Eglise bretons devant la nudité féminine que de la posture de cette jeune artiste en carton qui s’est défendue en déclarant : « J’ai fait ma prestation sans volonté de choquer. » Ben voyons ! Et faudra-t-il rire ou pleurer de ces curés qui organisent dans les lieux de culte des vernissages d’art contemporain  sur le thème de « l’enfermement » ? Corinne, demain, tu recommences dans une mosquée ? Chiche ?
 

Un beau livre pour les affreux

92
Calamity Jane
Calamity Jane

C’est entendu, les beaux livres, en général, sont laids et inintéressants. On offre à Noël une histoire de la peinture impressionniste, des instruments agricoles dans la culture amish ou encore, et ce serait ce qu’il y a de moins pire, des pochettes de 45 tours de l’époque yéyé. On sait qu’ils ne seront pas lus, qu’il resteront purement décoratifs sur la table du salon et les Anglais qui sont bien plus hypocrites que nous en manière de convenances sociales ont même un mot pour ça : les « coffee table books« .

Ils ont toujours ces beaux livres, des formats aussi maniables qu’un char Abrams dans une ruelle de Fallouja et sont remplis de jolies photos où il semble que les photographes, avec une indécence aussi esthétique que métaphysique mettent le même soin à rendre les contrastes de la série des Nymphéas, d’un cadavre de bonne sœur pendant la guerre d’Espagne ou d’un vistemboir[1. Un clin d’œil pour les lecteurs de Jacques Perret. (Et les autres, ils font quoi ? EL)] dans une ferme de Pennsylvanie. Quant aux textes, ils sont en général étiques et insipides, proses fatiguées d’écrivains commis d’office qui avaient besoin d’argent[2. C’est un mal endémique dans la profession, faut comprendre.] ou de spécialistes aussi ennuyeux qu’un jour sans pain d’épices. Ces beaux livres, d’ailleurs, coûtent un prix fou, sont retrouvés six mois après dans des solderies et se sont surtout arrachés dans les salles de rédaction où chaque journaliste veut en traiter un maximum pour les suppléments spéciaux des journaux de fin d’année et par la même occasion s’octroyer un substantiel complément de revenus en revendant ces services de presses sur papier glacés.

Maintenant, oubliez tout ce que je viens de dire, souvenez vous que les exceptions confirment la règle et allez (vous) offrir Hors la loi de Laurent Maréchaux chez Arthaud.
Sous-titré « Anarchistes, illégalistes, as de la gâchette…, ils ont choisi la liberté », il satisfera autant l’anarchiste que le libertarien, l’amateur de poésie surréaliste que le révolutionnaire kominternien.

Simplement, Laurent Maréchaux a voulu rendre hommage, en notre époque d’approbation généralisée, à ces magnifiques figures du dur et beau travail du Négatif, à ceux pour qui, comme aimait à le dire Debord, « il n’y aura nulle réconciliation possible avec ce monde-là ».
Hors la loi de Maréchaux est d’abord une paradoxale tentative de mise en ordre chronologique et thématique de ces hommes et femmes qui n’aimaient que le bruit, la fureur, la résistance, l’excès, la violence, la lutte, la contradiction, l’odeur de la poudre et ont embrassé plus souvent qu’à leur tour la lame de la guillotine, le nœud coulant des justices hâtives de l’ouest américain ou le visage blême de l’exécution sommaire par des policiers avides de gloire médiatique.

Le générique est impressionnant et fait rêver. On commence par une femme, la Kahina, reine et guerrière, infatigable résistante kabyle à l’invasion arabe, pionnière des techniques de guérilla et l’on termine par Jacques Mesrine et François Besse que l’on ne présente plus sauf quand on est Laurent Maréchaux, c’est à dire un véritable écrivain, et que l’on sait redonner des couleurs à un sujet apparemment rebattu. Mais la collection d’affreux glorieux est de toute manière un régal pour le gourmet : il sera question de Villon et de Rimbaud, des pirates et corsaires Jehan Ango, Edward Teach et de leur consœur Ching Shih qui écuma la mer de Chine au début du XIXème siècle et ajouta une touche de modération féminine à son goût du carnage : « Personne ne devra débaucher pour son plaisir les felles captives prises dans les villages et amenées à bord.»

Maréchaux a su ici offrir une jolie théorie des exceptions, au sens premier du mot. Sublimés par une iconographie documentaire somptueuse et souvent inédite, c’est un plaisir renouvelé de croiser Bonnot et Victor Serge, le second ayant été le théoricien du premier avant d’entamer sa carrière de révolutionnaire professionnel.

Sont ainsi réunis dans cette auberge charmante des figures aussi différentes que Camility Jane (beaucoup moins calamiteuse que les Dalton, eux aussi de la fête) et Marius Jacob, l’illégaliste qui servit de modèle pour Arsène Lupin ou encore Thoreau et Phoolen Devi, la reine indienne des brigands tuée par la police en 2001.

Il semble bien que le sujet même de ce livre encourage finalement à la reprise individuelle : autrement dit, si vous n’avez pas d’argent, volez-le. C’est un hommage que comprendra certainement l’excellent Maréchaux, par ailleurs auteur de plusieurs romans au Dilettante.

Un hypocrite répond à Anelka

272

Anelka

Mardi, dans 20minutes.fr, j’ai eu l’occasion de lire, dans un entretien avec le footballeur Anelka, un passage qu’il faudrait graver dans le marbre tant il symbolise l’air du temps. Qu’on en juge :

« — Qu’est ce qui vous manque en Angleterre, que vous aviez en France ?
— Rien. En France, tu ne peux pas faire ce que tu as envie. J’aimerais bien habiter en France, mais ce n’est pas possible. On sait pourquoi, niveau fiscalité… Si je veux rouler en grosse voiture, je suis regardé différemment. J’aime bien aller à Paris, c’est ma ville. Mais quand je sais que je peux repartir. Deux semaines, un mois, six mois, c’est bien. Je ne veux pas jouer au foot et payer (ndlr, aux impôts) 50% de ce que je gagne. L’argent que j’ai, il est pour mes enfants (ndlr, il n’en a qu’un pour le moment). Si je peux leur offrir quelque chose, je le ferais là où il n’y a pas de fiscalité. C’est comme ça que je le vois. Si certains sont choqués tant pis. Mais la France, c’est un pays hypocrite. »

Voilà. Tout pour ma gueule, et celle de ma progéniture.

L’école étant obligatoire jusqu’à seize ans, footballeurs compris, Nicolas Anelka a pourtant certainement assisté à quelques cours d’instruction civique. Il semble malheureusement qu’au cours de ces derniers, il se soit souvent assoupi près du radiateur. Dévouons nous donc pour lui en rappeler quelques rudiments agrémentés d’exemples concrets.
Imaginons un jeune adolescent de 14 ans en 1993. Nous l’appellerons Nicolas A. Il entre dans à l’Institut National du Football à Clairefontaine dans la région parisienne. Il s’agit d’un centre de formation financé par l’Etat et qui a pour but de former ce qui pourrait devenir l’élite du football de demain. Financé par l’Etat, cela signifie que c’est payé par les impôts. J’ai donc participé moi-même à loger, nourrir et blanchir Monsieur Anelka puisque je payais des impôts ces années là. J’ai aussi participé à payer tous les entraîneurs qui lui ont appris à contrôler correctement un ballon, les masseurs qui ont pris soin de ses beaux muscles et les jardiniers qui tondaient la pelouse sur laquelle il allait s’entraîner.

Voilà à quoi sert la fiscalité, notamment. C’est aussi très pratique pour financer le bitume sur lequel la Ferrari et la Porsche pourront rouler. Mais il n’y pas que cela. En France, nous avons un système qui s’appelle “Sécurité sociale”. Revenons au petit Nicolas A., footballeur à Clairefontaine en 1994. Il a un gros bobo au genou. Grâce à l’assurance-maladie et aux cotisations que tous les travailleurs voient déduites de leurs salaires, on a pu le remettre sur pied afin qu’il puisse continuer à jouer et à devenir un grand footballeur. Moi-même, j’ai donc participé à soigner les bobos de Monsieur Anelka.

Donc, Monsieur Anelka préfère vivre en Angleterre. La fiscalité y est plus douce, surtout pour les stars du ballon rond. Cela comporte quelques inconvénients. Par exemple, beaucoup d’Anglais viennent se faire soigner à Calais. Et, dans le pays de Sa Gracieuse Majesté, on forme beaucoup moins de footballeurs de qualité qu’en France. Il n’y a pas d’INF. Les clubs anglais préfèrent acheter le joueur déjà formé, brésilien, néerlandais, africain ou français. C’est moins hasardeux. J’entends déjà mon Nicolas qui rétorque :”ils sont bien plus malins, vous zavez qu’à faire pareil !” Sauf que si tout le monde fait pareil, on ne forme plus de joueurs et on a une qualité du foot qui disparaît.

Nous sommes en Angleterre. Restons y. Allons même à Londres, dans le quartier de Chelsea. Il y a là un club qui, notamment, rémunère grassement un certain Nicolas Anelka. Oui, 483 000 euros mensuels, on peut estimer que le mot “grassement” n’est pas de trop. Ce club est la propriété d’un certain Abramovitch. Au prix où sont payés les joueurs dans cette équipe, il va de soi que le proprio y met beaucoup de sa poche personnelle. En tant que citoyen français, évidemment, je n’ai rien à dire contre ce mécénat. Chelsea est la danseuse de Monsieur Abramovitch ; c’est son droit le plus strict après tout. Si j’étais citoyen russe, en revanche, je serais un peu plus agacé. Car la fortune de Roman Abramovitch s’est construite sur le dos du Peuple russe, spolié par la privatisation de l’industrie pétrolière pendant les années Eltsine.

Donc, en France, on prélève et redistribue davantage que de l’autre côté de la Manche. Pourtant, un autre Nicolas a mis en place un bouclier fiscal à 50%. Cela ne suffit pas à Anelka. L’autre Nicolas, pourtant, n’aime pas beaucoup l’hypocrisie. Il n’arrête pas de le dire. Son côté bling-bling, il le justifie par une aversion pour elle, justement. Anelka devrait être séduit par une France dirigée par un homme aussi décomplexé devant l’argent que Nicolas Sarkozy.

Même pas. Il veut gagner ses quatre-vingts smics mensuels et les garder rien que pour lui. Surtout ne rien rendre au pays qui lui a permis d’arriver là où il est. Et lui cracher à la gueule !

Donc, les hypocrites seront francs. Ils suggèrent à Monsieur Anelka de rester bien loin de la France qu’il abhorre. De garder ses jugements sur notre fiscalité et la redistribution qu’elle permet, et de les mettre à la banque avec son pognon.

Jetlag éditorial

22
Manhattan, Flickr / Aku
Manhattan, Flickr / Aku

Depuis de longues années, un micro-phénomène me chiffonne : pourquoi faut-il attendre qu’un livre soit traduit en français pour qu’on en parle en France ?
En vrai, c’est une question très intéressée. Parce que tout bêtement je suis incapable de lire mes auteurs de chevet en VO (en anglais, donc, en ce qui me concerne, sans vouloir vexer les talentueux écrivains moldaves ou indonésiens).
J’ai essayé, hein. Mais non. Lire Miami Blues de Charles Willeford accroché à un Harrap’s, ce doit être à peu près aussi agréable que d’aller aux Maldives avec Christine Angot. Et dans ce genre d’affaires, j’entends la littérature, le plaisir compte aussi. Je sais bien qu’en ce domaine comme dans quelques autres, l’attente fait partie du plaisir. Mais trois mois dans l’escalier, c’est long.
Donc quand un livre que j’attends paraît aux USA et qu’on ne m’en dit rien de par chez moi, je m’énerve. Et je trouve ça bizarre, surtout quand il s’agit d’un ouvrage qui, dès sa publication chez nous, sera qualifié par toute la presse de « livre-événement ».

Pour illustrer mon propos, trois exemples, très différents me viennent à l’esprit :

Le premier cas, celui qui, pour tout vous dire, a motivé ce papier c’est le dernier tome de la trilogie Underworld USA. Blood’s a Rover, publié à New-York en septembre dernier chez Alfred A. Knopf. Perso, j’attends ce livre en me rongeant les ongles depuis huit ans. On n’est certes pas obligé de considérer, comme moi, qu’Ellroy est un des plus grands, sinon le plus grand écrivain de sa génération. Mais bon, même ses pires détracteurs ont du mal à faire comme s’il comptait pour du beurre de cacahuète. Comme le tome précédent s’achève avec les assassinats de Martin Luther King et de Bob Kennedy en 1968, on se doute bien que le prochain va nous parler de l’ère Nixon et du Vietnam. Mais mis à part ce qu’on a deviné tout seul, on ne saura rien de plus. Donnera-t-il, comme il l’a fait pour l’assassinat de JFK, sa version toute personnelle du Watergate ? Ellroy déboulonnera-t-il la statue des preux chevaliers du Washington Post ? Naturellement, je ne veux pas qu’on me raconte l’histoire, sinon je me fâche, mais j’aurais bien aimé qu’on me parle un peu du livre, ou au moins de l’accueil que lui a fait la critique anglo-saxonne. Eh bien non, on ne m’en dira rien, faut croire que c’est un sujet moins porteur que Mon neurone vu du ciel par Yann Arthus-Bertrand.

Autre sujet de perplexité mienne, on aurait pu imaginer que la presse française allait se précipiter sur The Original of Laura,  l’ultime livre de Vladimir Nabokov, sauvé des flammes par son fils. Attendu depuis plus de trente ans, objet de tous les fantasmes, enfin sorti à la mi-novembre en langue anglaise, le volume, édité, là encore par Alfred A. Knopf, avec les fac-similés du manuscrit, est un objet magnifique. Alors, que vaut ce successeur du merveilleux Ada ou l’Ardeur ? Aussi bien que Lolita ? Chef d’œuvre ou fond de tiroir ? Depuis un mois, la guerre des critiques fait rage aux Etats-Unis. Et en France ? Silence total (seuls quelques articles ont raconté les circonstances de sa publication). On devra attendre qu’il paraisse en VF, chez Gallimard, dans plusieurs mois, la traduction ayant pris du retard.

Et le pire, c’est que ce déni d’existence ne vaut pas que pour la bonne littérature, il frappe aussi les produits de consommation courante. Le dernier Dan Brown, Le symbole perdu, a paru le 26 novembre dernier chez Lattès, deux mois et demi, donc après sa publication en anglais. Entre-temps, silence radio, tans pis pour les accros au Da Vinci ! Certes Le Monde en a parlé sur une page entière, mais consacrée uniquement aux aspects économiques du best-seller annoncé. Quant aux groupies de Dan, ils y auront juste appris qu’on y parlait de francs-maçons. Bien fait pour eux, ça leur apprendra à s’intéresser à ce genre de prose.

Alors pourquoi ce jet-lag monstrueux, à l’ère supposée du village global et de l’info en temps réel? Ma première hypothèse est triste, mais somme toute bienveillante : les critiques littéraires lisent mal l’anglais, ou disons aussi mal que moi. Ceci suffit-il à expliquer cela ? Hum. Pas besoin d’être agrégé ou traducteur professionnel pour prendre connaissance de ce que disent de tel ou tel livre les collègues de la presse anglo-saxonne, ou prendre connaissance via le net des interviews de l’auteur, pour raconter au moins quelque bricoles, histoire de donner un peu de grain à moudre aux impatients. Ce n’est pas si dur, moi, je l’ai bien fait pour Ellroy.

Ma deuxième hypothèse est plus inquiétante, mais pas si méchante. Elle tient à la nature même des rapports complexes et pervers (ce dernier adjectif est utilisé ici sans l’ombre d’un jugement de valeur) qu’entretiennent maisons d’édition et critiques littéraires. On va donc évacuer d’emblée l’hypothèse poujadiste qui voudrait que les premières tiennent les seconds par les parties, pour s’orienter plutôt vers la barbichette mutuelle. N’empêche, le vecteur de la plupart des papiers publiés en pages livres, ce n’est pas l’excitation que le journaliste peut avoir pour un auteur ou son travail, c’est ce qu’on appelle  » le programme « , la liste des ouvrages à paraître qu’assènent sans discontinuer les attachées de presse. De facto, elles déterminent l’agenda des rubriques livres, un peu comme l’AFP est le rédac chef masqué des pages d’actu.
Or, pour les éditeurs, parler d’un livre trop longtemps avant qu’il ne soit en place chez les libraires, même à l’ère du buzz, est considéré comme violemment anti économique (grosso modo, d’après ce qu’expliquent les commerciaux du secteur, parce que le client potentiel, entend parler du livre de Machintruc, se pourlèche les babines, file le chercher à la FNAC, ne le trouve pas et achète autre chose et laisse tomber l’affaire, bref, la cata). On ajoutera à cela que dans la presse écrite, les rubriques livres (comme leurs cousines  » déco  » et  » art de vivre  » génèrent leur propres encarts de pub –ceux des éditeurs- ça crée des liens.

Mais comme je le disais plus haut, ce lien de sujétion n’a rien d’unilatéral. Dans les rubriques livres, ce n’est pas le chef qui distribue le boulot en disant  » Toi tu vas faire Marc Lévy, toi Cormac McCarthy et pis toi La parthénogenèse pour les Nuls !« . Confrontés aux amoncellements de livres sur leurs bureaux, ce sont le plus souvent les journalistes qui font eux-mêmes le choix, un peu comme dans le monde d’avant, de ce dont il vont parler ou pas, dire du bien ou pas, bref faire vivre un livre (et son auteur) ou le laisser crever. Ce choix est d’autant plus décisif que pour l’instant, c’est la presse écrite qui donne le tempo aux suiveurs radio, télé ou internet.

Donc dans le couple éditeur-critique, chacun tient l’autre, pour le pire et le meilleur. Le pire, on vient d’en parler. Le meilleur, c’est que ce lien n’est pas banalement économique. Les uns comme les autres se sentent, à mon avis, investis d’une mission sacrée : la défense du Livre. Et donc de son industrie, qui s’appelle l’édition. Et dont un tas de gens bien intentionnés peuvent raisonnablement penser qu’elle est menacée, et qu’il faut donc la défendre en bloc, un peu comme la Profession prend cause sans nuance pour  » Le cinéma français  » au nom de la sacro-sainte exception culturelle. Et voilà aussi pourquoi, dans 95% des cas, les rubriques littéraires sont des rubriques d’actualité littéraire, voire de conso, comme en témoigne cette manie urticante d’indiquer à la fin des critiques, en plus du prix de l’ouvrage, son nombre exact de pages. Et pourquoi pas le poids exact au gramme près, pendant qu’on y est ? Ça c’est de l’info. Tout le reste n’est que littérature…

Psychodrame Rue Cambon

5

Vendredi soir, rue Cambon à Paris, certains passants ont assisté à un spectacle assez insolite. Un homme de haute stature et de forte corpulence déambulait en hurlant : « Une corde, pas héros de Duduche, une corde, pas héros de Duduche. » Médecin bien connu du quartier, le docteur Routchy a très vite reconnu Philippe Séguin, premier président de la Cour des Comptes. Au bout de quelques minutes, il comprit que l’ancien député des Vosges venait de visionner le « Grand Journal » de Canal Plus et de découvrir qu’Alain Duhamel l’avait consacré « Héros de l’année 2009 ». Bien au fait de la psychologie séguinienne, le praticien parvint à calmer son patient en lui annonçant que trente pizzerias parisiennes venaient enfin de répercuter la baisse de la TVA et que le PSG pourrait compter sur Erding et Séssegnon à Rennes samedi soir. Ouf !

Le lynchage est-il un droit de l’homme ?

138
Silvio Berlusconi, victime d'un lynchage médiatique ?
Silvio Berlusconi, victime d'un lynchage médiatique ?

Le lynchage métaphorique se porte bien, très bien même dans l’espace démocratique qui nous entoure, en deçà et au-delà de nos frontières. Il tend même à se substituer à la controverse politique, souvent trop austère et ennuyeuse pour être bankable dans les médias. Les attaques ad hominem qui stigmatisent les personnalités publiques à propos de leurs comportements privés, notamment leurs pratiques sexuelles ou leur relation à l’argent deviennent de plus en plus fréquentes, y compris dans des organes de presse réputés « de qualité », comme Le Monde en France ou La Repubblica en Italie.

Les commentateurs français habituels n’ont pas fait montre d’une compassion exagérée envers Silvio Berlusconi, victime, le 13 décembre, d’une agression spectaculaire à la sortie d’un meeting politique à Milan. Les images de son visage ensanglanté à la suite du jet, par un « déséquilibré », d’une reproduction en pierre du Duomo de la capitale lombarde ont modérément ému nos éditorialistes. Ces derniers ne manquent pas, et ils ont souvent raison, de fustiger le moindre épanchement sanguin résultant de l’utilisation, par la police, d’objets contondants du genre matraque pour empêcher quelques sauvageons de commettre leurs méfaits. Mais là, il n’y aurait pas de raison de tremper sa plume dans l’encrier de la colère.

Si le Cavaliere a craché deux incisives et ramassé une fracture du nez comme un boxeur surclassé par son adversaire, c’est la faute à pas de chance, à cette déveine qui place un cinglé en travers de votre chemin, dans ce pays où l’antipsychiatrie des années 1970 a fermé la plupart des asiles au nom d’une idéologie de l’effacement de la barrière entre le fou et le sain d’esprit. Voilà, en gros, le ton général des commentaires. D’autres, plus directs, font porter une part de la responsabilité de sa mésaventure à Berlusconi lui-même, dont les attaques verbales violentes et répétées contre la gauche, la presse et les juges feraient régner dans le pays une atmosphère propre au déchainement de la violence physique.

Les fous, c’est bien connu, ne tombent pas du ciel, et leur passage à l’acte constitue souvent un symptôme d’un dysfonctionnement social que les gens réputés sains d’esprit sont incapables de percevoir, tant leur surmoi joue efficacement le rôle de gendarme que le bon vieux Sigmund lui a assigné. Quelquefois pourtant, ces agressions contre des personnages publics sont difficiles à décrypter, car leurs victimes ne se trouvent pas au centre de polémiques passionnelles : c’est le cas, par exemple des coups de couteau, heureusement sans gravité, dont ont été victimes Philippe Douste-Blazy à Lourdes en 1997, et Bertrand Delanoë lors de la « nuit blanche » parisienne d’octobre 2002. La phobie des médecins ou des homosexuels peut fournir un début d’explication à ces gestes de déséquilibrés, mais ils ne disent rien, en apparence, qui puisse nous renvoyer à des causes moins individuelles de ces agressions. En Allemagne, les attentats dont ont été victimes, en 1990, le social-démocrate Oskar Lafontaine (un coup de couteau à quelques millimètres de l’artère jugulaire) et ministre de l’intérieur CDU Wolfgang Schaüble (trois balles de pistolets qui l’ont laissé paraplégique), deux actes de déséquilibrés, témoignaient de l’instabilité psychologique d’une nation tout entière confrontée à une situation aussi inattendue qu’angoissante : la réalisation du rêve de l’unité retrouvée. Et chacun sait qu’un rêve qui devient réalité est facteur de perturbation, au moins dans un premier temps. Il existe, parait-il, des gens qui ne se sont jamais remis d’avoir touché le magot au Loto…

En revanche, le climat entretenu autour de la personnalité de Berlusconi par une partie de la presse italienne, La Repubblica en tête, n’est peut-être pas totalement étranger au passage à l’acte du cinglé milanais. Rappelons que la campagne implacable lancée depuis cet été par le quotidien de gauche dirigé par Ezio Mauro contre le président du conseil italien portait exclusivement sur sa vie sexuelle, ses relations supposées avec une jeune fille mineure et les confessions d’une call-girl aimablement rétribuée par un entrepreneur transalpin pour aller réveiller la libido berlusconienne dans un lit à baldaquin offert à Silvio par son ami Vladimir Poutine. C’est ce que les Américains, qui s’y connaissent dans la matière, appellent une character assassination, dont il faut avoir le cuir psychologique éléphantesque d’un Bill Clinton pour se sortir indemne, et même revigoré.

Il s’agit de contourner la légitimité démocratique conférée à ce personnage par le suffrage universel par l’affirmation de son indignité à occuper les fonctions qui lui ont été confiées par le peuple. Ces pratiques, qui étaient, dans la France de la IIIe République, la spécialité de l’extrême droite maurassienne ou fascisante – tout républicain était alors de facto un usurpateur du roi ou du chef suprême – sont maintenant largement utilisées par une gauche qui a du mal à digérer la confiance renouvelée du peuple envers des personnalités jugées exécrables, vulgaires ou par trop bling-bling, selon les cas. Il est inutile de donner des exemples actuels, sauf à vouloir prendre le lecteur pour un demeuré.

Non seulement une certaine intelligentsia écrivante se réclamant de la gauche se livre allègrement à ce petit jeu de massacre, mais elle contribue à empêcher les dirigeants politiques de ce camp de manifester sa solidarité avec ceux des siens pris dans la tourmente d’un lynchage judiciaire et médiatique. Je m’honore d’avoir, dans ces colonnes, défendu avec constance l’honneur de Julien Dray, même si j’ai de sérieuses raisons de critiquer les pratiques politiques de cet ex-trotskiste qui a importé les bonnes vieilles recettes organisationnelles de la IVe Internationale au cœur de la social-démocratie. L’attitude de ses « camarades » de Solférino à son égard n’a pas été marquée par cette chaleur humaine et cette solidarité spontanée qui firent naguère partie de la culture de base des socialistes. Même un personnage aussi douteux que Roland Dumas avait eu droit a plus d’égards de la part de ses amis politiques. Le procureur général du parquet de Paris, Jean Claude Marin, a jugé que les embrouilles financières de Juju avec ses « assoces » et ses horlogers ne méritaient pas qu’on le traine devant les tribunaux, et qu’il relevait, comme le petit voleur de mob qui faute pour la première fois, d’un simple « rappel à la loi ». Julien Dray ne portera pas, comme Berlusconi, sur son visage les stigmates de l’agression dont il a été victime, mais des cicatrices qui, pour être intérieures, n’en sont pas moins douloureuses. Car ce dont il a été victime, c’est d’une tentative de lynchage politique, de la part de certains secteurs de l’Etat et d’une partie de la presse qui se sont alliés pour « se faire » une personnalité politique en vue, candidat déclaré à la direction du PS. Aujourd’hui, les mêmes journaux, dont Le Monde, qui avait mené la charge contre Dray en utilisant des fuites opportunément parvenues sur leur bureau au cours de l’enquête policière, insinuent que Julien aurait été rattrapé par le fond de culotte par l’actuel locataire de l’Elysée. Ce Jean-Claude Marin n’est-il pas ce proc chargé par Sarko himself de pendre Galouzeau à un croc de boucher ? C’est, diraient les Anglais add insult to injury, ajouter l’insulte à la blessure. Pour tout dire, je trouve cela proprement dégueulasse.

NPA ? Juste un doigt

49

Le NPA dans sa politique autistique a réussi à diviser ses militants (les 8.000 de ce grand parti de masse) en trois tendances équivalentes à l’approche des élections régionales : une unitaire avec le Front de Gauche, une suicidaire composée d’anciens LO, qui veulent rester seuls jusqu’au bout, et une besancenaire, qui acceptera éventuellement des alliances au second tour mais désire se compter au premier. L’appareil stalinien du Parti des jeunes sympas a néanmoins fait triompher la ligne de la direction. Seulement, les sondages étant ce qu’ils sont, le NPA est donné partout largement distancé par le Front de Gauche. Moins chouchou des médias qu’auparavant, Besancenot a choisi une manière originale de reprendre la main en se faisant casser le doigt par un gendarme lors d’une échauffourée devant l’Assemblée nationale. Mais l’époque est loin où il aurait couru tous les plateaux avec la main plâtrée. Le pouvoir n’a plus besoin de ce trop faiblard opposant officiel de Sa Majesté. Maintenant, il y a Europe Ecologie. Sic transit gloria Trotski.

La psychiatrie, maladie française

136
Cocorico ? Les Français, grands consommateurs de psychotropes et de psychiatres.
Cocorico ? Les Français, grands consommateurs de psychotropes et de psychiatres.
Cocorico ? Les Français, grands consommateurs de psychotropes et de psychiatres.

Des dizaines de milliers de personnes internées contre leur gré chaque année, séparées de leur famille et de leurs enfants, forcées de se soigner à domicile ou dans un établissement fermé, avec la complicité passive et souvent active de la loi, de la police et du système judiciaire, dans la quasi indifférence d’une société entretenue dans la peur de l’autre et de l’étrange, où chacun peut être suspect et, à son tour, interné contre sa volonté. On pense à 1984 de George Orwell, bien sûr, mais aussi aux sinistres méthodes de l’ex-Union soviétique et de ses satellites et parfois, dit-on, de la Russie de Poutine. Eh bien non, c’est en France et en 2010 que cela se passe.

Les chiffres sont difficiles à réunir, tant l’opacité règne sur la planète psychiatrique : il y aurait 1,5 millions de personnes (en 2000) prises en charge par la médecine psychiatrique chaque année en France, dont 70 000 internées, à comparer aux 65 000 personnes incarcérées pour des faits de justice. Par ailleurs, la chose est connue : les Français sont parmi les plus grands consommateurs de médicaments psychotropes dans le monde et parmi les mieux encadrés par la profession de psychiatre, quatre fois plus nombreuse en France qu’en Italie par exemple. Ceci explique peut-être cela, mais le tableau n’en est pas plus acceptable au pays des droits de l’homme et de la liberté.

Comment en est-on arrivé là ? Quelques lignes ne suffiront sans doute pas pour faire le tour de la question. Pourtant, la cause essentielle de cette sinistre exception française est probablement à rechercher dans l’aura dont bénéficie injustement la discipline psychiatrique dans notre pays. C’est en France depuis le XVIIIe siècle, et aussi en Allemagne, qu’est né et a prospéré le concept moderne de santé mentale et de son recours, la médecine psychiatrique. Avec Pinel, Esquirol, Charcot, Laborit et Delay, pour ne citer que les plus connus, a été inventée une nouvelle pathologie, la maladie mentale. Depuis, les Américains ont largement pris le relais, avec notamment leur immense industrie pharmaceutique – mais les Européens ne sont pas à la traine dans ce domaine – et leur fameux DSM (Diagnostic and Statistical Manual), qui classe et stigmatise avec minutie troubles du comportement et pathologies mentales, véritable bible de tout ce qui porte « psy » dans le monde occidental.

Le syllogisme de l’argumentation psychiatrique est finalement assez facile à démonter : les comportements étranges sont des maladies mentales. Or, les maladies relèvent de la médecine. De ce fait, c’est aux médecins spécialisés en psychiatrie que revient le droit de qualifier et de traiter les maladies mentales, tout comme un médecin au sens traditionnel le fait lors d’un diagnostic pathologique somatique. C’est malheureusement grâce à cette imposture pseudo-scientifique que la France enferme physiquement et chimiquement des milliers de citoyens dont le seul tort est de ne pas correspondre aux canons comportementaux de la majorité de la population. Les concepts de névroses, de psychoses et des troubles du comportement sont éloquents.

Précisément – et les théoriciens de la psychiatrie ne s’y sont pas trompés – c’est chacun d’entre nous, citoyen, qui peut « tomber » dans la maladie mentale, c’est votre conjoint, votre enfant ou vos proches pour lesquels il est légitime que vous les signaliez afin de les faire soigner, contre leur volonté si nécessaire. C’est le sens qu’il faut comprendre aux récentes campagnes de communication, par exemple sur le thème de la dépression nerveuse, où on apprend qu’au moins 15 % de la population en sont potentiellement victimes. Il en est aussi de cette subtile et efficace entreprise de désinformation ou de formation des esprits, comme on voudra, en matière de vraie-fausse alarme sur la surconsommation de médicaments psychotropes. Mais pour quoi faire finalement ? Pour en prendre moins ou plus ? Pour aller consulter un psychiatre plutôt que les généralistes, grands prescripteurs de psychotropes ? On ne sait pas vraiment… A ce point de gravité de la prise en charge du mal-être français, on peut aussi s’interroger sur l’inquiétant rapprochement de la justice et de la psychiatrie pour traiter de la délinquance et des déviances en général. Si en réalité les deux ont partie liée depuis plusieurs siècles – on se souvient notamment de la loi de 1838 sur l’internement d’office, revisitée en 1990 et en 2002 –, tout semble prêt pour légitimer plus encore la psychiatrie dans sa toute-puissance, malgré les artifices de l’inopérante loi sur la dignité et l’accès à l’information des « patients », notamment.

La psychiatrie est un pouvoir. Elle peut dire le bien et le mal ; elle qualifie le sain et le malsain d’esprit ; elle nie tout discernement personnel à travers le fameux « déni de la pathologie » face auquel le désormais « malade » ne peut peut-être que sans voix, sans voie et impuissant ; elle met un terme à la liberté des individus, avec la complicité trop facilement crédule des autorités administratives et judiciaires, sans jugement, à discrétion et arbitrairement malgré les apparences du contradictoire en matière d’internement sans consentement de l’intéressé ; elle peut enfin obliger à se soigner, en clair prendre des médicaments abêtissants, véritable camisole et addiction chimique, à travers l’injonction thérapeutique et sous la menace de l’enfermement, au besoin dans une chambre d’isolement ou avec d’inacceptables électrochocs, aussi durablement que le psychiatre le décidera, pouvoir exorbitant qu’aucun magistrat ou personnel pénitentiaire ne détient à lui seul.

De nombreux Français éprouvent des difficultés à vivre, à travailler et à trouver le bonheur seul, en couple ou en famille. Notre société occidentale – des psychiatres français ou européens ont cependant réussi à trouver quelques pathologies en Afrique, grâce à l’ethnopsychiatrie… – génère bien des maux séculaires ou contemporains. Loin l’idée selon laquelle tout va bien dans le meilleur des mondes, sans déprime, sans accès de violence contre soi-même ou contre autrui, tout cela sans cause ou incidence psychique dans la vie de nos concitoyens. Pour autant, on ne saurait accepter qu’une pseudoscience exerce un tel magistère sur l’existence de nombreux d’entre nous et dans l’organisation de la Nation, d’autant qu’elle n’a jamais rien démontré ni expliqué du malaise humain sur un plan formel, qu’il en aille de la biologie, de la génétique ou de l’imagerie médicale notamment.

Plus grave encore, la psychiatrie n’a jamais guéri qui que ce soit. Si guérir signifie « se défendre » contre une agression bactérienne par exemple, pour se rétablir, les psychiatres en vérité ne font que soigner au sens de « s’occuper de », sans jamais libérer des soi-disant symptômes dont ils affublent leurs malades. D’ailleurs, comment pourraient-ils guérir à coups de médicaments l’histoire tragique de chacun, itinéraire si personnel et si intime qu’ils ignorent la plupart du temps ? Il est vrai qu’il y faut du temps, de la patience et de l’humilité, dans le respect de la liberté du sujet, toutes choses souvent étrangères à l’arrogance et aux certitudes de leur discipline.

Nous avons le droit de refuser et de réfuter ce pouvoir, qui a su s’imposer dans les mécanismes de la politique nationale de santé publique. Souvenons-nous qu’au XIXe siècle, une autre discipline toute aussi médicalement incontestable alors voyait le jour avec l’hygiénisme. Fort heureusement, les forces politiques mais aussi littéraires et artistiques – on pense bien sûr à Zola – et bien d’autres acteurs de la société civile et universitaire ont démontré magistralement que de pathologies hygiénistes il y avait surtout des conditions matérielles et sociales épouvantables. Depuis, exit l’hygiénisme. Les mécanismes du système mis à jour, puissions-nous espérer qu’il en soit ainsi de la psychiatrie.

Dieu reconnaîtra les saints

562

ratzinger

Benoîtement, le pape a accepté hier que la Congrégation pour les Causes des Saints proclame un décret selon lequel son prédécesseur pendant la seconde guerre mondiale, Pie XII, était paré de « vertus héroïques ». Aussitôt, l’invincible armada des exégètes papologues, à qui rien n’échappe puisque 20 autres décrets accompagnaient celui concernant Eugenio Pacelli – c’est son nom de baptême -, s’est mise en branle. L’objet de son ire : il s’agit d’un pas (de l’oie ?) supplémentaire sur la voie impénétrable de la béatification.

Certains soulignent que Benoît XVI a fait exprès de sortir cette bombe papale un samedi, jour de shabbat, afin que les Juifs ne protestent pas trop fort. Raté, nous raconte Le Parisien : « La communauté juive (…) toutefois, hier soir, en Italie, a déclaré « rester critique » quant à cette décision. » Apparemment, le correspondant du quotidien à Rome est allé sonder tous les Italiens de confession juive. Belle performance en quelques heures.

Puis l’incontournable Richard Prasquier, président du CRIF, fidèle à son habitude de globalisation des opinions individuelles, s’est fendu d’une déclaration à 20 minutes : « La béatification du pape Pie XII, en dehors d’un consensus d’historiens indépendants, risquerait de porter un coup dur aux relations de confiance qui se sont établies entre l’Eglise catholique et le monde juif. »

Brice Barillon fait peur dans sa revue de presse du jour sur RFI.fr, en parlant de « pape noir », ce qui fait très comploteur négatif à la Da Vinci Code. Un noir au Vatican ? Mais que fait la garde suisse ?

Stephan Kramer, le secrétaire général du Conseil central des juifs d’Allemagne, fait dans le comique involontaire : « L’Eglise catholique essaie là de réécrire l’Histoire sans avoir permis qu’il y ait une discussion scientifique sérieuse. » Vouloir soumettre une décision papale à la science, il fallait oser.

En revanche, Serge Klarsfeld, fondateur de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France, et qu’on peut créditer d’une moralité sourcilleuse sur le sujet, ose prêcher dans le désert : « Cette décision ne me choque pas. Pie XII a défendu l’Eglise contre le nazisme, a effectué quelques interventions discrètes pour sauver des gens. »

Le pape est un chef d’entreprise. On peut déplorer ses choix, mais ils s’adressent à sa clientèle. Comme dit Elisabeth Lévy (cela ne fait jamais de mal de citer la papesse de Causeur) : « Le pape est pape. » Il travaille à faire avancer son business. À ce titre, d’ailleurs, c’est le seul patron qui peut buller tout en travaillant. S’il considère que plaider la cause de Pie XII vaut le coup, pourquoi pas ?

Soit l’on est catholique et papiste, et l’on a confiance en la sagesse de Benoît XVI, sinon dans son infaillibilité.

Soit l’on est catholique mais d’un naturel soupçonneux, depuis l’affaire Williamson. Benoît XVI a déclaré avoir connaissance d’archives secrètes prouvant que Pie XII avait aidé à cacher des juifs pourchassés dans des couvents. Cela sera donc, espérons-le, exposé lors du long processus de béatification. Le reste est littérature. Pas de quoi en pondre une mitre.

Soit on n’est ni l’un ni l’autre, et gloser des heures sur ce choix papal relève ou bien d’une attirance suspecte pour le folklore vaticanesque (soutane comprise), ou bien la reconnaissance implicite du principe de sainteté, ce qui est édifiant. On peut imaginer qu’un Marocain musulman se fiche comme de sa première babouche de la sainteté supposée d’un Lama de cinq ans du fin fond du Tibet. Dans un autre genre, la proclamation de « vénérable » de Pie XII ne fait pas gloser chez les Indiens athées de la jungle amazonienne.

Au fond, nous touchons ici du doigt divin la propension médiatico-contemporaine à jauger le passé au présent, en fonction du futur du passé.

Pour simplifier, trois possibilités sont envisageables :

1. Le pape de l’époque a vraiment failli, et il aurait fallu le déjuger puis le juger à l’époque. Il savait, et n’a rien fait ; que penser alors du cas Roosevelt, coupable de n’avoir pas considéré la situation des populations assassinées dans les camps, pour anticiper l’intervention alliée en Europe ? Voire, Pie XII aurait profité de la situation : personne de sérieux ne s’engage à soutenir une telle abomination.

2. Pie XII n’a pas été à la hauteur lorsqu’il a vu sans réagir les convois de Juifs partir vers l’horreur, mais a tenté de sauver des vies par d’autres biais. Ce n’est pas glorieux, mais cela n’a rien à voir avec l’attitude d’un salaud. Richard Prasquier lui-même l’admet : « Il est certain que le pape a pu faciliter le sauvetage de certains juifs de Rome. » Alors quoi ? Les archives en cours de classement devraient mettre tout le monde d’accord. L’Etat d’Israël, par la voix d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Yigal Palmor, a d’ailleurs la réaction la plus saine : « Le processus de béatification ne nous regarde pas, c’est une question qui ne concerne que l’Eglise catholique. Quant au rôle de Pie XII, c’est aux historiens de l’évaluer et c’est pourquoi nous demandons l’ouverture des archives du Vatican durant la guerre mondiale. »

Mais Richard Prasquier enfonce le clou : « La communauté juive dans son ensemble reste marquée par le fait qu’il ne s’est jamais exprimé avec force sur la monstruosité qu’a été l’extermination des juifs. » Apprécions le syncrétique totalitaire « dans son ensemble ». Et surtout, l’argument sur la « force » d’une expression, du genre : cela dépend où on met le curseur.

3. Pie XII fit un grand humaniste, auteur d’initiatives secrètes mais efficaces permettant de le considérer comme un Juste. C’est la thèse du rabbin Dalin, auteur d’un livre controversé sur le sujet. C’est sans doute l’opinion du pape actuel. On le voit, le débat ne trace pas une ligne blanche entre les membres de communautés. Il traverse largement les différences nationales ou religieuses.

Il semblerait que dans le pire des cas, le discret Eugenio Pacelli, – en plus d’avoir un nom d’emprunt old style qui sonne comme une injure homophobe lâchée dans les embouteillages : « espèce de Pie XII » – fut plutôt coupable de pusillanimité publique, et responsable de bonté privée. Pas à l’image de ce que l’on se fait d’un grand homme d’Eglise, dans le monde d’aujourd’hui peuplé de héros théoriques, mais plutôt à celle d’un homme tout court dans des temps que les commentateurs du jour n’ont pas vécu.

Cela en fait-il un saint ? Certainement pas. Mais plutôt que d’agiter à tout va le chiffon cardinalice de l’incompréhension entre les communautés, laissons Benoît à son business : Dieu reconnaîtra les siens.

Un gland ou une truffe ?

18

Sans doute désespéré par l’échec du sommet de Copenhague et la contre-attaque médiatique des nonistes du réchauffement planétaire, un infirmier de Saint-Quentin, en Picardie, alors que la température de la ville était de moins 6°, n’a pas hésité à sortir son sexe, longuement, devant deux passantes emmitouflées. A-t-il voulu faire remonter le thermomètre afin d’attirer l’attention sur le scandaleux résultat a minima obtenu au Danemark ? On ne peut pas dire que son geste écologique, et héroïque étant donné le froid sibérien, ait été compris. Promptement appelée, la police a arrêté l’homme quelques heures plus tard. Il n’avait pas d’antécédents judiciaires, mais des engelures sur le membre.

Le vicaire et la strip-teaseuse

77

Le Finistère, pointe avancée de la Bretagne, doit son nom à l’expression « là où finit la terre »… Mais un article du Parisien de vendredi pourrait nous faire penser que c’est là aussi que finit la dignité et que la modernité explose dans toute sa réjouissante horreur comique. Le journal nous informe d’une décision du tribunal des Prud’hommes de Rennes exigeant que les autorités de l’Eglise catholique de Bretagne s’acquittent des 300 € qu’ils refusaient à une strip-teaseuse, ou plutôt une « danseuse artistique », pour une récente prestation : « Lors du vernissage d’une exposition d’art contemporain dans la chapelle Saint-Pierre de Mahalon (Sud-Finistère), la chorégraphie de Corinne Duval sur le thème de l’enfermement s’était terminée par un strip-tease intégral sur l’autel. Un vicaire du diocèse et le prêtre chargé de l’art sacré dans le département avaient juste eu le temps de sortir avant ce final. » On se moquera moins de cette fuite burlesque des hommes d’Eglise bretons devant la nudité féminine que de la posture de cette jeune artiste en carton qui s’est défendue en déclarant : « J’ai fait ma prestation sans volonté de choquer. » Ben voyons ! Et faudra-t-il rire ou pleurer de ces curés qui organisent dans les lieux de culte des vernissages d’art contemporain  sur le thème de « l’enfermement » ? Corinne, demain, tu recommences dans une mosquée ? Chiche ?
 

Un beau livre pour les affreux

92
Calamity Jane
Calamity Jane
Calamity Jane

C’est entendu, les beaux livres, en général, sont laids et inintéressants. On offre à Noël une histoire de la peinture impressionniste, des instruments agricoles dans la culture amish ou encore, et ce serait ce qu’il y a de moins pire, des pochettes de 45 tours de l’époque yéyé. On sait qu’ils ne seront pas lus, qu’il resteront purement décoratifs sur la table du salon et les Anglais qui sont bien plus hypocrites que nous en manière de convenances sociales ont même un mot pour ça : les « coffee table books« .

Ils ont toujours ces beaux livres, des formats aussi maniables qu’un char Abrams dans une ruelle de Fallouja et sont remplis de jolies photos où il semble que les photographes, avec une indécence aussi esthétique que métaphysique mettent le même soin à rendre les contrastes de la série des Nymphéas, d’un cadavre de bonne sœur pendant la guerre d’Espagne ou d’un vistemboir[1. Un clin d’œil pour les lecteurs de Jacques Perret. (Et les autres, ils font quoi ? EL)] dans une ferme de Pennsylvanie. Quant aux textes, ils sont en général étiques et insipides, proses fatiguées d’écrivains commis d’office qui avaient besoin d’argent[2. C’est un mal endémique dans la profession, faut comprendre.] ou de spécialistes aussi ennuyeux qu’un jour sans pain d’épices. Ces beaux livres, d’ailleurs, coûtent un prix fou, sont retrouvés six mois après dans des solderies et se sont surtout arrachés dans les salles de rédaction où chaque journaliste veut en traiter un maximum pour les suppléments spéciaux des journaux de fin d’année et par la même occasion s’octroyer un substantiel complément de revenus en revendant ces services de presses sur papier glacés.

Maintenant, oubliez tout ce que je viens de dire, souvenez vous que les exceptions confirment la règle et allez (vous) offrir Hors la loi de Laurent Maréchaux chez Arthaud.
Sous-titré « Anarchistes, illégalistes, as de la gâchette…, ils ont choisi la liberté », il satisfera autant l’anarchiste que le libertarien, l’amateur de poésie surréaliste que le révolutionnaire kominternien.

Simplement, Laurent Maréchaux a voulu rendre hommage, en notre époque d’approbation généralisée, à ces magnifiques figures du dur et beau travail du Négatif, à ceux pour qui, comme aimait à le dire Debord, « il n’y aura nulle réconciliation possible avec ce monde-là ».
Hors la loi de Maréchaux est d’abord une paradoxale tentative de mise en ordre chronologique et thématique de ces hommes et femmes qui n’aimaient que le bruit, la fureur, la résistance, l’excès, la violence, la lutte, la contradiction, l’odeur de la poudre et ont embrassé plus souvent qu’à leur tour la lame de la guillotine, le nœud coulant des justices hâtives de l’ouest américain ou le visage blême de l’exécution sommaire par des policiers avides de gloire médiatique.

Le générique est impressionnant et fait rêver. On commence par une femme, la Kahina, reine et guerrière, infatigable résistante kabyle à l’invasion arabe, pionnière des techniques de guérilla et l’on termine par Jacques Mesrine et François Besse que l’on ne présente plus sauf quand on est Laurent Maréchaux, c’est à dire un véritable écrivain, et que l’on sait redonner des couleurs à un sujet apparemment rebattu. Mais la collection d’affreux glorieux est de toute manière un régal pour le gourmet : il sera question de Villon et de Rimbaud, des pirates et corsaires Jehan Ango, Edward Teach et de leur consœur Ching Shih qui écuma la mer de Chine au début du XIXème siècle et ajouta une touche de modération féminine à son goût du carnage : « Personne ne devra débaucher pour son plaisir les felles captives prises dans les villages et amenées à bord.»

Maréchaux a su ici offrir une jolie théorie des exceptions, au sens premier du mot. Sublimés par une iconographie documentaire somptueuse et souvent inédite, c’est un plaisir renouvelé de croiser Bonnot et Victor Serge, le second ayant été le théoricien du premier avant d’entamer sa carrière de révolutionnaire professionnel.

Sont ainsi réunis dans cette auberge charmante des figures aussi différentes que Camility Jane (beaucoup moins calamiteuse que les Dalton, eux aussi de la fête) et Marius Jacob, l’illégaliste qui servit de modèle pour Arsène Lupin ou encore Thoreau et Phoolen Devi, la reine indienne des brigands tuée par la police en 2001.

Il semble bien que le sujet même de ce livre encourage finalement à la reprise individuelle : autrement dit, si vous n’avez pas d’argent, volez-le. C’est un hommage que comprendra certainement l’excellent Maréchaux, par ailleurs auteur de plusieurs romans au Dilettante.

Un hypocrite répond à Anelka

272

Anelka

Mardi, dans 20minutes.fr, j’ai eu l’occasion de lire, dans un entretien avec le footballeur Anelka, un passage qu’il faudrait graver dans le marbre tant il symbolise l’air du temps. Qu’on en juge :

« — Qu’est ce qui vous manque en Angleterre, que vous aviez en France ?
— Rien. En France, tu ne peux pas faire ce que tu as envie. J’aimerais bien habiter en France, mais ce n’est pas possible. On sait pourquoi, niveau fiscalité… Si je veux rouler en grosse voiture, je suis regardé différemment. J’aime bien aller à Paris, c’est ma ville. Mais quand je sais que je peux repartir. Deux semaines, un mois, six mois, c’est bien. Je ne veux pas jouer au foot et payer (ndlr, aux impôts) 50% de ce que je gagne. L’argent que j’ai, il est pour mes enfants (ndlr, il n’en a qu’un pour le moment). Si je peux leur offrir quelque chose, je le ferais là où il n’y a pas de fiscalité. C’est comme ça que je le vois. Si certains sont choqués tant pis. Mais la France, c’est un pays hypocrite. »

Voilà. Tout pour ma gueule, et celle de ma progéniture.

L’école étant obligatoire jusqu’à seize ans, footballeurs compris, Nicolas Anelka a pourtant certainement assisté à quelques cours d’instruction civique. Il semble malheureusement qu’au cours de ces derniers, il se soit souvent assoupi près du radiateur. Dévouons nous donc pour lui en rappeler quelques rudiments agrémentés d’exemples concrets.
Imaginons un jeune adolescent de 14 ans en 1993. Nous l’appellerons Nicolas A. Il entre dans à l’Institut National du Football à Clairefontaine dans la région parisienne. Il s’agit d’un centre de formation financé par l’Etat et qui a pour but de former ce qui pourrait devenir l’élite du football de demain. Financé par l’Etat, cela signifie que c’est payé par les impôts. J’ai donc participé moi-même à loger, nourrir et blanchir Monsieur Anelka puisque je payais des impôts ces années là. J’ai aussi participé à payer tous les entraîneurs qui lui ont appris à contrôler correctement un ballon, les masseurs qui ont pris soin de ses beaux muscles et les jardiniers qui tondaient la pelouse sur laquelle il allait s’entraîner.

Voilà à quoi sert la fiscalité, notamment. C’est aussi très pratique pour financer le bitume sur lequel la Ferrari et la Porsche pourront rouler. Mais il n’y pas que cela. En France, nous avons un système qui s’appelle “Sécurité sociale”. Revenons au petit Nicolas A., footballeur à Clairefontaine en 1994. Il a un gros bobo au genou. Grâce à l’assurance-maladie et aux cotisations que tous les travailleurs voient déduites de leurs salaires, on a pu le remettre sur pied afin qu’il puisse continuer à jouer et à devenir un grand footballeur. Moi-même, j’ai donc participé à soigner les bobos de Monsieur Anelka.

Donc, Monsieur Anelka préfère vivre en Angleterre. La fiscalité y est plus douce, surtout pour les stars du ballon rond. Cela comporte quelques inconvénients. Par exemple, beaucoup d’Anglais viennent se faire soigner à Calais. Et, dans le pays de Sa Gracieuse Majesté, on forme beaucoup moins de footballeurs de qualité qu’en France. Il n’y a pas d’INF. Les clubs anglais préfèrent acheter le joueur déjà formé, brésilien, néerlandais, africain ou français. C’est moins hasardeux. J’entends déjà mon Nicolas qui rétorque :”ils sont bien plus malins, vous zavez qu’à faire pareil !” Sauf que si tout le monde fait pareil, on ne forme plus de joueurs et on a une qualité du foot qui disparaît.

Nous sommes en Angleterre. Restons y. Allons même à Londres, dans le quartier de Chelsea. Il y a là un club qui, notamment, rémunère grassement un certain Nicolas Anelka. Oui, 483 000 euros mensuels, on peut estimer que le mot “grassement” n’est pas de trop. Ce club est la propriété d’un certain Abramovitch. Au prix où sont payés les joueurs dans cette équipe, il va de soi que le proprio y met beaucoup de sa poche personnelle. En tant que citoyen français, évidemment, je n’ai rien à dire contre ce mécénat. Chelsea est la danseuse de Monsieur Abramovitch ; c’est son droit le plus strict après tout. Si j’étais citoyen russe, en revanche, je serais un peu plus agacé. Car la fortune de Roman Abramovitch s’est construite sur le dos du Peuple russe, spolié par la privatisation de l’industrie pétrolière pendant les années Eltsine.

Donc, en France, on prélève et redistribue davantage que de l’autre côté de la Manche. Pourtant, un autre Nicolas a mis en place un bouclier fiscal à 50%. Cela ne suffit pas à Anelka. L’autre Nicolas, pourtant, n’aime pas beaucoup l’hypocrisie. Il n’arrête pas de le dire. Son côté bling-bling, il le justifie par une aversion pour elle, justement. Anelka devrait être séduit par une France dirigée par un homme aussi décomplexé devant l’argent que Nicolas Sarkozy.

Même pas. Il veut gagner ses quatre-vingts smics mensuels et les garder rien que pour lui. Surtout ne rien rendre au pays qui lui a permis d’arriver là où il est. Et lui cracher à la gueule !

Donc, les hypocrites seront francs. Ils suggèrent à Monsieur Anelka de rester bien loin de la France qu’il abhorre. De garder ses jugements sur notre fiscalité et la redistribution qu’elle permet, et de les mettre à la banque avec son pognon.

Jetlag éditorial

22
Manhattan, Flickr / Aku
Manhattan, Flickr / Aku
Manhattan, Flickr / Aku

Depuis de longues années, un micro-phénomène me chiffonne : pourquoi faut-il attendre qu’un livre soit traduit en français pour qu’on en parle en France ?
En vrai, c’est une question très intéressée. Parce que tout bêtement je suis incapable de lire mes auteurs de chevet en VO (en anglais, donc, en ce qui me concerne, sans vouloir vexer les talentueux écrivains moldaves ou indonésiens).
J’ai essayé, hein. Mais non. Lire Miami Blues de Charles Willeford accroché à un Harrap’s, ce doit être à peu près aussi agréable que d’aller aux Maldives avec Christine Angot. Et dans ce genre d’affaires, j’entends la littérature, le plaisir compte aussi. Je sais bien qu’en ce domaine comme dans quelques autres, l’attente fait partie du plaisir. Mais trois mois dans l’escalier, c’est long.
Donc quand un livre que j’attends paraît aux USA et qu’on ne m’en dit rien de par chez moi, je m’énerve. Et je trouve ça bizarre, surtout quand il s’agit d’un ouvrage qui, dès sa publication chez nous, sera qualifié par toute la presse de « livre-événement ».

Pour illustrer mon propos, trois exemples, très différents me viennent à l’esprit :

Le premier cas, celui qui, pour tout vous dire, a motivé ce papier c’est le dernier tome de la trilogie Underworld USA. Blood’s a Rover, publié à New-York en septembre dernier chez Alfred A. Knopf. Perso, j’attends ce livre en me rongeant les ongles depuis huit ans. On n’est certes pas obligé de considérer, comme moi, qu’Ellroy est un des plus grands, sinon le plus grand écrivain de sa génération. Mais bon, même ses pires détracteurs ont du mal à faire comme s’il comptait pour du beurre de cacahuète. Comme le tome précédent s’achève avec les assassinats de Martin Luther King et de Bob Kennedy en 1968, on se doute bien que le prochain va nous parler de l’ère Nixon et du Vietnam. Mais mis à part ce qu’on a deviné tout seul, on ne saura rien de plus. Donnera-t-il, comme il l’a fait pour l’assassinat de JFK, sa version toute personnelle du Watergate ? Ellroy déboulonnera-t-il la statue des preux chevaliers du Washington Post ? Naturellement, je ne veux pas qu’on me raconte l’histoire, sinon je me fâche, mais j’aurais bien aimé qu’on me parle un peu du livre, ou au moins de l’accueil que lui a fait la critique anglo-saxonne. Eh bien non, on ne m’en dira rien, faut croire que c’est un sujet moins porteur que Mon neurone vu du ciel par Yann Arthus-Bertrand.

Autre sujet de perplexité mienne, on aurait pu imaginer que la presse française allait se précipiter sur The Original of Laura,  l’ultime livre de Vladimir Nabokov, sauvé des flammes par son fils. Attendu depuis plus de trente ans, objet de tous les fantasmes, enfin sorti à la mi-novembre en langue anglaise, le volume, édité, là encore par Alfred A. Knopf, avec les fac-similés du manuscrit, est un objet magnifique. Alors, que vaut ce successeur du merveilleux Ada ou l’Ardeur ? Aussi bien que Lolita ? Chef d’œuvre ou fond de tiroir ? Depuis un mois, la guerre des critiques fait rage aux Etats-Unis. Et en France ? Silence total (seuls quelques articles ont raconté les circonstances de sa publication). On devra attendre qu’il paraisse en VF, chez Gallimard, dans plusieurs mois, la traduction ayant pris du retard.

Et le pire, c’est que ce déni d’existence ne vaut pas que pour la bonne littérature, il frappe aussi les produits de consommation courante. Le dernier Dan Brown, Le symbole perdu, a paru le 26 novembre dernier chez Lattès, deux mois et demi, donc après sa publication en anglais. Entre-temps, silence radio, tans pis pour les accros au Da Vinci ! Certes Le Monde en a parlé sur une page entière, mais consacrée uniquement aux aspects économiques du best-seller annoncé. Quant aux groupies de Dan, ils y auront juste appris qu’on y parlait de francs-maçons. Bien fait pour eux, ça leur apprendra à s’intéresser à ce genre de prose.

Alors pourquoi ce jet-lag monstrueux, à l’ère supposée du village global et de l’info en temps réel? Ma première hypothèse est triste, mais somme toute bienveillante : les critiques littéraires lisent mal l’anglais, ou disons aussi mal que moi. Ceci suffit-il à expliquer cela ? Hum. Pas besoin d’être agrégé ou traducteur professionnel pour prendre connaissance de ce que disent de tel ou tel livre les collègues de la presse anglo-saxonne, ou prendre connaissance via le net des interviews de l’auteur, pour raconter au moins quelque bricoles, histoire de donner un peu de grain à moudre aux impatients. Ce n’est pas si dur, moi, je l’ai bien fait pour Ellroy.

Ma deuxième hypothèse est plus inquiétante, mais pas si méchante. Elle tient à la nature même des rapports complexes et pervers (ce dernier adjectif est utilisé ici sans l’ombre d’un jugement de valeur) qu’entretiennent maisons d’édition et critiques littéraires. On va donc évacuer d’emblée l’hypothèse poujadiste qui voudrait que les premières tiennent les seconds par les parties, pour s’orienter plutôt vers la barbichette mutuelle. N’empêche, le vecteur de la plupart des papiers publiés en pages livres, ce n’est pas l’excitation que le journaliste peut avoir pour un auteur ou son travail, c’est ce qu’on appelle  » le programme « , la liste des ouvrages à paraître qu’assènent sans discontinuer les attachées de presse. De facto, elles déterminent l’agenda des rubriques livres, un peu comme l’AFP est le rédac chef masqué des pages d’actu.
Or, pour les éditeurs, parler d’un livre trop longtemps avant qu’il ne soit en place chez les libraires, même à l’ère du buzz, est considéré comme violemment anti économique (grosso modo, d’après ce qu’expliquent les commerciaux du secteur, parce que le client potentiel, entend parler du livre de Machintruc, se pourlèche les babines, file le chercher à la FNAC, ne le trouve pas et achète autre chose et laisse tomber l’affaire, bref, la cata). On ajoutera à cela que dans la presse écrite, les rubriques livres (comme leurs cousines  » déco  » et  » art de vivre  » génèrent leur propres encarts de pub –ceux des éditeurs- ça crée des liens.

Mais comme je le disais plus haut, ce lien de sujétion n’a rien d’unilatéral. Dans les rubriques livres, ce n’est pas le chef qui distribue le boulot en disant  » Toi tu vas faire Marc Lévy, toi Cormac McCarthy et pis toi La parthénogenèse pour les Nuls !« . Confrontés aux amoncellements de livres sur leurs bureaux, ce sont le plus souvent les journalistes qui font eux-mêmes le choix, un peu comme dans le monde d’avant, de ce dont il vont parler ou pas, dire du bien ou pas, bref faire vivre un livre (et son auteur) ou le laisser crever. Ce choix est d’autant plus décisif que pour l’instant, c’est la presse écrite qui donne le tempo aux suiveurs radio, télé ou internet.

Donc dans le couple éditeur-critique, chacun tient l’autre, pour le pire et le meilleur. Le pire, on vient d’en parler. Le meilleur, c’est que ce lien n’est pas banalement économique. Les uns comme les autres se sentent, à mon avis, investis d’une mission sacrée : la défense du Livre. Et donc de son industrie, qui s’appelle l’édition. Et dont un tas de gens bien intentionnés peuvent raisonnablement penser qu’elle est menacée, et qu’il faut donc la défendre en bloc, un peu comme la Profession prend cause sans nuance pour  » Le cinéma français  » au nom de la sacro-sainte exception culturelle. Et voilà aussi pourquoi, dans 95% des cas, les rubriques littéraires sont des rubriques d’actualité littéraire, voire de conso, comme en témoigne cette manie urticante d’indiquer à la fin des critiques, en plus du prix de l’ouvrage, son nombre exact de pages. Et pourquoi pas le poids exact au gramme près, pendant qu’on y est ? Ça c’est de l’info. Tout le reste n’est que littérature…

Psychodrame Rue Cambon

5

Vendredi soir, rue Cambon à Paris, certains passants ont assisté à un spectacle assez insolite. Un homme de haute stature et de forte corpulence déambulait en hurlant : « Une corde, pas héros de Duduche, une corde, pas héros de Duduche. » Médecin bien connu du quartier, le docteur Routchy a très vite reconnu Philippe Séguin, premier président de la Cour des Comptes. Au bout de quelques minutes, il comprit que l’ancien député des Vosges venait de visionner le « Grand Journal » de Canal Plus et de découvrir qu’Alain Duhamel l’avait consacré « Héros de l’année 2009 ». Bien au fait de la psychologie séguinienne, le praticien parvint à calmer son patient en lui annonçant que trente pizzerias parisiennes venaient enfin de répercuter la baisse de la TVA et que le PSG pourrait compter sur Erding et Séssegnon à Rennes samedi soir. Ouf !

Le lynchage est-il un droit de l’homme ?

138
Silvio Berlusconi, victime d'un lynchage médiatique ?
Silvio Berlusconi, victime d'un lynchage médiatique ?
Silvio Berlusconi, victime d'un lynchage médiatique ?

Le lynchage métaphorique se porte bien, très bien même dans l’espace démocratique qui nous entoure, en deçà et au-delà de nos frontières. Il tend même à se substituer à la controverse politique, souvent trop austère et ennuyeuse pour être bankable dans les médias. Les attaques ad hominem qui stigmatisent les personnalités publiques à propos de leurs comportements privés, notamment leurs pratiques sexuelles ou leur relation à l’argent deviennent de plus en plus fréquentes, y compris dans des organes de presse réputés « de qualité », comme Le Monde en France ou La Repubblica en Italie.

Les commentateurs français habituels n’ont pas fait montre d’une compassion exagérée envers Silvio Berlusconi, victime, le 13 décembre, d’une agression spectaculaire à la sortie d’un meeting politique à Milan. Les images de son visage ensanglanté à la suite du jet, par un « déséquilibré », d’une reproduction en pierre du Duomo de la capitale lombarde ont modérément ému nos éditorialistes. Ces derniers ne manquent pas, et ils ont souvent raison, de fustiger le moindre épanchement sanguin résultant de l’utilisation, par la police, d’objets contondants du genre matraque pour empêcher quelques sauvageons de commettre leurs méfaits. Mais là, il n’y aurait pas de raison de tremper sa plume dans l’encrier de la colère.

Si le Cavaliere a craché deux incisives et ramassé une fracture du nez comme un boxeur surclassé par son adversaire, c’est la faute à pas de chance, à cette déveine qui place un cinglé en travers de votre chemin, dans ce pays où l’antipsychiatrie des années 1970 a fermé la plupart des asiles au nom d’une idéologie de l’effacement de la barrière entre le fou et le sain d’esprit. Voilà, en gros, le ton général des commentaires. D’autres, plus directs, font porter une part de la responsabilité de sa mésaventure à Berlusconi lui-même, dont les attaques verbales violentes et répétées contre la gauche, la presse et les juges feraient régner dans le pays une atmosphère propre au déchainement de la violence physique.

Les fous, c’est bien connu, ne tombent pas du ciel, et leur passage à l’acte constitue souvent un symptôme d’un dysfonctionnement social que les gens réputés sains d’esprit sont incapables de percevoir, tant leur surmoi joue efficacement le rôle de gendarme que le bon vieux Sigmund lui a assigné. Quelquefois pourtant, ces agressions contre des personnages publics sont difficiles à décrypter, car leurs victimes ne se trouvent pas au centre de polémiques passionnelles : c’est le cas, par exemple des coups de couteau, heureusement sans gravité, dont ont été victimes Philippe Douste-Blazy à Lourdes en 1997, et Bertrand Delanoë lors de la « nuit blanche » parisienne d’octobre 2002. La phobie des médecins ou des homosexuels peut fournir un début d’explication à ces gestes de déséquilibrés, mais ils ne disent rien, en apparence, qui puisse nous renvoyer à des causes moins individuelles de ces agressions. En Allemagne, les attentats dont ont été victimes, en 1990, le social-démocrate Oskar Lafontaine (un coup de couteau à quelques millimètres de l’artère jugulaire) et ministre de l’intérieur CDU Wolfgang Schaüble (trois balles de pistolets qui l’ont laissé paraplégique), deux actes de déséquilibrés, témoignaient de l’instabilité psychologique d’une nation tout entière confrontée à une situation aussi inattendue qu’angoissante : la réalisation du rêve de l’unité retrouvée. Et chacun sait qu’un rêve qui devient réalité est facteur de perturbation, au moins dans un premier temps. Il existe, parait-il, des gens qui ne se sont jamais remis d’avoir touché le magot au Loto…

En revanche, le climat entretenu autour de la personnalité de Berlusconi par une partie de la presse italienne, La Repubblica en tête, n’est peut-être pas totalement étranger au passage à l’acte du cinglé milanais. Rappelons que la campagne implacable lancée depuis cet été par le quotidien de gauche dirigé par Ezio Mauro contre le président du conseil italien portait exclusivement sur sa vie sexuelle, ses relations supposées avec une jeune fille mineure et les confessions d’une call-girl aimablement rétribuée par un entrepreneur transalpin pour aller réveiller la libido berlusconienne dans un lit à baldaquin offert à Silvio par son ami Vladimir Poutine. C’est ce que les Américains, qui s’y connaissent dans la matière, appellent une character assassination, dont il faut avoir le cuir psychologique éléphantesque d’un Bill Clinton pour se sortir indemne, et même revigoré.

Il s’agit de contourner la légitimité démocratique conférée à ce personnage par le suffrage universel par l’affirmation de son indignité à occuper les fonctions qui lui ont été confiées par le peuple. Ces pratiques, qui étaient, dans la France de la IIIe République, la spécialité de l’extrême droite maurassienne ou fascisante – tout républicain était alors de facto un usurpateur du roi ou du chef suprême – sont maintenant largement utilisées par une gauche qui a du mal à digérer la confiance renouvelée du peuple envers des personnalités jugées exécrables, vulgaires ou par trop bling-bling, selon les cas. Il est inutile de donner des exemples actuels, sauf à vouloir prendre le lecteur pour un demeuré.

Non seulement une certaine intelligentsia écrivante se réclamant de la gauche se livre allègrement à ce petit jeu de massacre, mais elle contribue à empêcher les dirigeants politiques de ce camp de manifester sa solidarité avec ceux des siens pris dans la tourmente d’un lynchage judiciaire et médiatique. Je m’honore d’avoir, dans ces colonnes, défendu avec constance l’honneur de Julien Dray, même si j’ai de sérieuses raisons de critiquer les pratiques politiques de cet ex-trotskiste qui a importé les bonnes vieilles recettes organisationnelles de la IVe Internationale au cœur de la social-démocratie. L’attitude de ses « camarades » de Solférino à son égard n’a pas été marquée par cette chaleur humaine et cette solidarité spontanée qui firent naguère partie de la culture de base des socialistes. Même un personnage aussi douteux que Roland Dumas avait eu droit a plus d’égards de la part de ses amis politiques. Le procureur général du parquet de Paris, Jean Claude Marin, a jugé que les embrouilles financières de Juju avec ses « assoces » et ses horlogers ne méritaient pas qu’on le traine devant les tribunaux, et qu’il relevait, comme le petit voleur de mob qui faute pour la première fois, d’un simple « rappel à la loi ». Julien Dray ne portera pas, comme Berlusconi, sur son visage les stigmates de l’agression dont il a été victime, mais des cicatrices qui, pour être intérieures, n’en sont pas moins douloureuses. Car ce dont il a été victime, c’est d’une tentative de lynchage politique, de la part de certains secteurs de l’Etat et d’une partie de la presse qui se sont alliés pour « se faire » une personnalité politique en vue, candidat déclaré à la direction du PS. Aujourd’hui, les mêmes journaux, dont Le Monde, qui avait mené la charge contre Dray en utilisant des fuites opportunément parvenues sur leur bureau au cours de l’enquête policière, insinuent que Julien aurait été rattrapé par le fond de culotte par l’actuel locataire de l’Elysée. Ce Jean-Claude Marin n’est-il pas ce proc chargé par Sarko himself de pendre Galouzeau à un croc de boucher ? C’est, diraient les Anglais add insult to injury, ajouter l’insulte à la blessure. Pour tout dire, je trouve cela proprement dégueulasse.

NPA ? Juste un doigt

49

Le NPA dans sa politique autistique a réussi à diviser ses militants (les 8.000 de ce grand parti de masse) en trois tendances équivalentes à l’approche des élections régionales : une unitaire avec le Front de Gauche, une suicidaire composée d’anciens LO, qui veulent rester seuls jusqu’au bout, et une besancenaire, qui acceptera éventuellement des alliances au second tour mais désire se compter au premier. L’appareil stalinien du Parti des jeunes sympas a néanmoins fait triompher la ligne de la direction. Seulement, les sondages étant ce qu’ils sont, le NPA est donné partout largement distancé par le Front de Gauche. Moins chouchou des médias qu’auparavant, Besancenot a choisi une manière originale de reprendre la main en se faisant casser le doigt par un gendarme lors d’une échauffourée devant l’Assemblée nationale. Mais l’époque est loin où il aurait couru tous les plateaux avec la main plâtrée. Le pouvoir n’a plus besoin de ce trop faiblard opposant officiel de Sa Majesté. Maintenant, il y a Europe Ecologie. Sic transit gloria Trotski.