« Élections, piège à cons » : l’impertinence soixante-huitarde va comme un gant à la farce démocratique produite par la classe politique naufragée. En juin 1968 les contestataires de mai entendaient, par ce slogan, dénoncer le choix de Charles De Gaulle de dissoudre l’Assemblée nationale ; les élections allaient malgré tout lui offrir une majorité absolue.
Cette fois, ce sont les perdants des législatives qui se partagent les 39 postes du gouvernement de Michel Barnier, constitué samedi soir. Non seulement le nouveau Premier ministre n’a su concrétiser ses promesses du 5 septembre de « tourner la page » et d’apporter « des ruptures », mais la macronie, désavouée par les urnes, se taille la part du lion (seize ministres, dont sept reconduits). Les Républicains de Laurent Wauquiez, faibles de leurs 47 députés, se partageront 15 maroquins avec les Divers droite. Les miettes n’ont pas été proposées aux indésirables vainqueurs du 7 juillet, le Nouveau Front populaire et le RN allié à Éric Ciotti.
Parler de coup d’État ou de putsch pour qualifier ce jeu de bonneteau serait certes excessif : la mascarade s’est déroulée sans violence, avec l’assentiment de partis soucieux de leur survie et d’hommes politiques ambitieux n’oubliant pas de remercier leurs « mamans » (Attal, Barnier) sur le perron de l’Hôtel de Matignon. Le mot qui vient, devant ce déni démocratique, est celui d’usurpation. Un monde politique prend fin pour n’avoir jamais su représenter la vraie France. La santé mentale, annoncée dimanche soir sur France 2 comme « grande cause nationale » par le Premier ministre, est d’abord un fléau qui frappe ces élites refusant le réel.
Bruno Retailleau (LR), nommé à l’Intérieur par Barnier, saura-t-il néanmoins corriger les premières impuissances du Premier ministre, confronté aux blessures ardentes de l’égo présidentiel et à ses pièges de braconnier ? Le sénateur de la Vendée, qui fut proche de Philippe de Villiers et du courant souverainiste, a comme atout d’avoir les idées claires sur les sujets interdits (immigration de peuplement, libanisation de la nation, infiltration islamiste, etc.). Il fait partie de ces rares élus qui ont pensé l’effondrement du vieux monde claquemuré.
Mais lui comme d’autres à droite n’ont pas été au bout de leurs réflexions. Retailleau ne semble pas vouloir admettre que le nouveau monde s’élabore en dehors du système dépassé dont il reste un acteur. L’alternative se construit au cœur du peuple abandonné, que le RN en mutation s’emploie à fédérer. Or, pour avoir choisi de collaborer avec la macronie récusée, Retailleau et ses amis ont pris le risque de sombrer avec le Titanic. Ainsi, le ministre de l’Intérieur devra composer avec le socialiste Didier Migaud, imposé par le chef de l’État au ministère de la Justice : un choix qui fera inutilement perdurer l’opposition entre la police et la justice, au plus grand profit des délinquants. Il est trop tôt bien sûr pour juger le gouvernement, sous surveillance de Marine Le Pen. Contraint au pointillisme des compromis, Barnier s’oblige à la modestie. Mais les Français, déjà trahis après leur vain refus de la constitution européenne en 2005, ne supporteront pas longtemps le mauvais spectacle de leur cocufiage, probables impôts supplémentaires en plus. Gare au cave qui se rebiffe !
Mis en scène de façon outrancière par Barrie Kosky, Les brigands deviennent vite assommants. Puis, il faut supporter les calembours inédits d’Antonio Cuenca Ruiz. Enfin, entre en scène la navrante Sandrine Sarroche… Des huées ont été entendues, lâchées des balcons le soir où nous étions présents.
Ca vrille, ça sautille, ça virevolte, ça pétille dans un paroxysme de frénésie burlesque, de malice et de facétie. Tourbillon de danses carnavalesques, de travestissements teintés de lubricité qu’accuse le flamboiement des costumes : la foule des brigands déchaînés envahit le plateau du Palais Garnier, dont le somptueux rideau de carton lourdement ornementé qu’on connait, se lève sur les ors fatigués d’un palais à l’abandon, aux parois ouvragées, grisâtres, maculées de graffitis morbides ou obscènes.
Montée – démontée, pour mieux dire ! – par le metteur en scène australien Barrie Kosky, fanatique d’Offenbach (cf. La Belle Hélène, à Berlin cette année), cette nouvelle production marque le retour à l’Opéra de Paris du célèbre opéra-bouffe qui, au sommet de la carrière d’Offenbach, triompha en 1869 au Théâtre des Variétés, pour entrer bientôt dans la pure tradition de l’Opéra-Comique.
Travestissement roi
Il est parfaitement légitime et même souhaitable, en 2024, de sortir Offenbach de la naphtaline boulevardière, vaguement égrillarde, où le bourgeois en frac du Second Empire trouvait à se divertir. Le duo des librettistes, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, ne seraient-ils pas, quelques années plus tard, ceux de Carmen (1875) ? Dramaturges, romanciers, vaudevillistes et princes de l’opérette, ces deux-là étaient les vedettes du temps. Leurs répliques en vers s’enchaînent ici avec la même aisance – « Jadis vous n’aviez qu’une patrie/ Maintenant vous en aurez deux/ La nouvelle c’est l’Italie/ L’Espagn’, cest cell’ de vos aïeux (…) Y’a des gens qui se disent Espagnols/ Et qui n’sont pas du tout Espagnols » – que les numéros de la partition – musique facile, paroles allusives qui font alors rire aux éclats, Napoléon III ayant pris pour épouse, comme chacun sait, l’ibérique Eugénie de Montijo…
Bref, redonner de l’engrais à la sève comique des Brigands ne fait pas de mal, revitaminer la veine discrètement subversive qui change ces bandits de grand chemin en métaphore des possédants et autres gens de pouvoir n’a rien d’abusif. Il faut bien reconnaître que Barrie Kosky y parvient, mais à quel prix : brillamment campé, malgré son accent, par le ténor néerlandais Marcel Beekman, le chef des brigands, Falsacappa, méconnaissable sous son obscène cuirasse de chair enveloppée d’une longue robe rouge vif, endosse l’aspect d’une hystérique drag-queen emperruquée, monstrueusement fardée, exacte copie de « Divine », l’héroïne camp du mémorable film-culte américain ultra trash de John Waters, Pink Flamingos (1972).
Le travestissement fait d’ailleurs loi d’un bout à l’autre d’un spectacle où les protagonistes vont de déguisement en déguisement (en ermites, en mendiants, en Espagnols, en marmitons…) : de là à exposer un chanteur en lycra noir sado-maso ; des prêtres derviches en chasuble, des bonnes sœurs en danseuses de french-cancan ; des marmitons en loufiats de brasserie ; des carabiniers en uniformes de gendarmes des années 1970, coiffés de képis ; une princesse de Grenade au costume calqué sur ceux des toiles de Vélasquez ? De même, l’outrance volontaire des danseurs, petits allumeurs torse et jambes nus, et qui s’embouteillent avec le chœur nombreux, dans une perpétuelle, explosive et démente saturnale… L’affichage rutilant du mauvais goût, ce carambolage des époques (dont le livret, au reste, assume la fluidité) a la vertu d’investir ce répertoire très convenu d’un peu d’acide. Corrosif ? Pas tant que ça.
L’intervention malvenue de Sandrine Sarroche
De fait, on ne suivra pas Kosky jusqu’au bout de sa logique : au lieu de se contenter de respecter le livret, le régisseur l’entrelarde, non seulement de nouveaux dialogues auxquels la plume d’Antonio Cuenca Ruiz imprime une tonalité résolument canaille, mais pour dissiper les obscurités (avérées) de cette intrigue à tiroirs aux mille rebondissements improbables, il intercale aux numéros, pour le spectateur qui serait éventuellement noyé, des digests sensés en désembrouiller la pelote. Didactisme agaçant. Mais ce n’est pas le pire. Le summum de la trivialité est atteint avec les calembours et autres gags dont notre « correcteur » se croit autorisé de farcir l’œuvre : ce n’est plus de l’opéra-bouffe, c’est de la bouffissure ! Jeux de mots sur la « ligne 7 du métro qui mène à la station Opéra », par exemple… Mais surtout, au dernier acte, la chroniqueuse et humoriste Sandrine Sarroche, surgissant sur scène dans sa mise BCBG, s’arroge un petit couplet parodique en alexandrins suivi d’un show de son cru qui, dans le rôle d’Antonio, le Caissier, changé en « ministre du Budget » (sic), lui inspire cette fable : « il était une fois un ancien banquier devenu président » – je ne nomme personne suivez mon regard. Ou, mieux encore, lui fait évoquer – ha !ha ! ha ! – le… « palais Barnier ». Empalé par le sketch, le patrimoine lyrique a rendu l’âme.
Il est heureux que les chanteurs, eux, ne la lui ravissent tout à fait. Sous la baguette du transalpin Stefano Montanari qui fait à cette occasion son entrée à l’Opéra de Paris, l’orchestre maison charge d’énergie les mélodies entêtantes et espiègles du barde national, malgré de nombreux décalages avec le chœur – mais quelle importance quand le spectacle tire à ce point vers le cabaret. Belle performance pourtant de Marie Perbost, en Fiorella, la fille de Falsacappa, tandis qu’Antoinette Dennefeld excelle dans le rôle de son amant Fragoletto, tout autant que Laurent Naouri dans celui du chef des carabiniers. Mentionnons Adriana Bignani Lesca, en Princesse de Grenade, Philippe Talbot, en Comte de Gloria-Cassis… Beaucoup des rôles secondaires étant confiés à des membres de la Troupe lyrique ou de l’Académie de l’Opéra. Ce n’est pas contre eux qu’au tomber de rideau montent, au milieu des salves d’applaudissement, les huées lâchées des balcons, mais bien contre cette régie donnée pour transgressive et qui, en somme, se contente un peu trop grassement de faire la blague, comme on dit.
Dans un des textes du programme intitulé sans rire : « Pluralité du travestissement offenbachien (sic) ; le protéiforme comme matrice », la musicienne et chercheuse Capucine Amalvy rappelle que « si nous sommes tenté.e.s (sic) par une lecture contemporaine, (…) en oscillant entre les binarités, l’œuvre tord les représentations essentialistes ». Non, vraiment, vous croyez ?
Les brigands. Opéra-Bouffe en trois actes de Jacques Offenbach. Direction : Stefano Montanari. Mise en Scène : Barrie Kosky. Opéra et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Marcel Beekman, Marie Perbost, Yann Beuron, Laurent Naouri, Matthias Vidal, Philippe Talbot, Eugénie Joneau, Leonardo Cortallazzi, Eric Huchet… Palais Garnier. Paris. Durée : 2h50. Les 24, 26, 27 septembre, 2, 3, 5, 8, 12 octobre à 19h30. (Spectacle repris du 26 juin au 12 juillet 2025).
Notre chroniqueur ne s’est jamais laissé aller à se moquer d’un élève en grande difficulté. Bien au contraire : il a toujours tâché de comprendre d’où venaient les difficultés du disciple… Il n’est pas du genre à se moquer des errances de Sébastien Delogu, bien qu’il soit ostensiblement ignare, incompétent, de culture nulle et qu’il drague l’électorat antisémite. C’est du côté de la formation du député de Marseille qu’il faut essayer de trouver les sources de ses errances — les siennes et celles de ses semblables, tous réunis à gauche, comme par un fait exprès.
Je ne suis pas de ceux qui se gaussent lorsqu’ils entendent Sébastien Delogu ânonner (un joli verbe, en ce qui le concerne) difficilement un texte qu’il a sous les yeux, ou ignorer qui était Pétain. (Quelle idée ils ont eue, à LFI, de demander à un Delogu de lire leur déclaration… Ou est-ce pour que leur électorat le plus analphabète s’identifie à un député qui ne l’est pas moins ? Ça procèderait assez du mépris dans lequel les gens de gauche tiennent les gens de peu…)
La dyslexie est un handicap dont on n’a pas à se moquer — encore que les clients de l’ancien chauffeur de taxi marseillais puissent s’inquiéter, rétrospectivement, des capacités du député des Quartiers Nord à distinguer sa droite de sa gauche. Pédagogue un jour, pédagogue toujours. Je me suis efforcé de comprendre la source de ses difficultés — et de celles de nombre de ses compagnons de route. Alors écoutez bien : Sébastien Delogu est né en 1987 — deux ans après l’apparition dans les salles de classe de Ratus, le manuel des éditions Hatier qui a permis de détruire à la source les capacités cognitives d’une génération entière : plébiscité par les « professeurs des écoles » (90% dans les années 1990, encore 80% aujourd’hui) qui avaient opté pour une méthode « idéo-visuelle » (c’est-à-dire à départ global), censée augmenter rapidement le sac de mots des élèves les plus ignares, Ratus est le modèle-type des manuels d’apprentissage du lire-écrire qui ont fabriqué à la chaîne des dyslexies « apprises », rendu presque impossible une lecture fluide, et détruit par avance la possibilité d’apprendre quoi que ce soit. Ajoutez à cela que cette génération a pris de plein fouet les consignes des pédagogues constructivistes qui se sont installés au ministère de l’Education avec Lionel Jospin, et ont inspiré sa loi délétère de 1989. Conformément à ce que préconisait alors Philippe Meirieu, gourou en chef de la secte, Delogu et ses petits camarades ont sans doute appris à lire dans les notices des appareils ménagers…
(Je dois à la vérité de dire que Meirieu, en 1999, est revenu sur ses préconisations antérieures : « Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d’emploi d’appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j’estimais que c’était plus proche d’eux. Je me suis trompé », déclara-t-il ainsi au Figaro en 1999. Trop tard : le mal était fait, et ceux qui le suivaient aveuglément ont négligé d’ouvrir les yeux sur les désastres qu’ils provoquaient).
Parce que Delogu n’est pas le seul à appartenir à la génération Ratus. Manuel Bompard et Marine Tondelier sont nés en 1986, Mathilde Panot en 1989, Adrien Quatennens en 1990. Une belle brochette d’intellects à la dérive, tous abreuvés de pédagogies déficientes — Jean-Claude Michéa avait par avance posé le diagnostic de cette génération perdue en sortant, en 1999, L’Enseignement de l’ignorance, dont le titre résume les failles des pédagogies du désastre.
Plaignons ces purs produits du constructivisme, cette belle théorie selon laquelle l’enfant construit lui-même ses propres savoirs, ce qui leur permet en même temps d’en rester à « areuh-areuh » et d’appartenir à LFI.
En revanche, Mélenchon, Ruffin, Autain, Arenas et les autres n’ont pas cette excuse. Eux, c’est délibérément qu’ils ont opté pour La France Insoumise, arboré le drapeau des assassins palestiniens à tout propos, tenu des discours incendiaires, exhibé les photos du Lider aux illettrés dont on guignait le vote, et autres mirifiques fantaisies dont ils s’évertuent à nous prouver qu’elles sont « de gauche ». Si la droite était jadis, à en croire De Gaulle, « la plus bête du monde », la gauche a fait de son mieux pour la dépasser sur le chemin de l’obscurantisme.
À noter que nombre de « néoprofs » d’aujourd’hui, parmi les trentenaires — et la plupart de ceux que les jurys des concours ont refusé d’admettre, tant était crasse leur ignorance, mais que les syndicats voudraient que l’on intègre immédiatement comme titulaires — appartiennent à la même génération de cerveaux déglingués. Ce qui les amène, dans le plus pur respect de la loi Jospin qui régit toujours l’Educ-Nat, à écouter religieusement les discours débraillés de leurs élèves sur la platitude de la Terre, la primauté de la charia sur la loi française, l’infériorité naturelle des femmes, toutes impures, et autres balivernes qu’un enseignant sérieux (des générations antérieures) balaierait d’un haussement d’épaules : la liberté d’expression des élèves est précieuse, surtout quand il se tait.
J’habite Marseille. Quoi que j’aie du travail par-dessus la tête, j’offre à Sébastien Delogu de le prendre en cours particulier pour lui ré-apprendre le b-a-ba, le décryptage des mots et une culture de base — par exemple en lui faisant lire le texte complet de la loi de 1905 :« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Ça a quand même une autre gueule que le mode d’emploi de votre machine à laver… Répétez après moi en lisant tous les mots, élève Delogu ! Et puis allez l’expliquer aux filles voilées qui ont aveuglément voté pour vous.
Ces derniers jours, le jeune Gabriel Attal s’est cru autorisé à donner la marche à suivre à son successeur, Michel Barnier… C’est qu’il a « une histoire à écrire avec les Français », estime-t-il dans Le Point.
On excusera, je l’espère, mon ignorance et ma sottise, mais j’ai longtemps pensé que l’École Alsacienne, si réputée par ailleurs, était le lieu où se préparaient les futurs compétiteurs du championnat du monde de choucroute garnie. Il n’en est rien, m’a-t-on fait savoir.
Attal sorti de Matignon : il pédale dans la choucroute !
On me dit aussi que Monsieur Attal et tant d’autres maîtres queux de la politique actuelle seraient passés par cet établissement. Or, s’ils avaient produit quelque chose d’aussi profitable à l’humanité, au peuple de France, qu’une vraie bonne choucroute, cela se saurait. Là encore il n’en est rien.
Au vu de ce que ce même M. Attal nous montre ces derniers jours, je serais davantage enclin à imaginer que, dans les murs de ladite école, on enseignerait plutôt la suffisance, l’arrogance, la mauvaise foi et l’incorrection.
Après un petit CDD de huit mois à Matignon, après quelques séjours touristiques, je veux dire éphémères, dans divers ministères, après quasiment dix années de marcronisme actif, après surtout la déculottée électorale qu’on connaît, sanction du bilan laissé, on l’a vu lors de la passation de pouvoir entre son successeur à Matignon et lui, accaparer longuement, bien trop longuement, éhontément dirais-je, la parole. Il parlait, parlait, parlait se croyant manifestement autorisé à donner des conseils, à édicter une feuille de route – « Ceci et encore cela est sur votre bureau, Monsieur le Premier ministre » – se comportant non pas en sortant, en exfiltré pour cause d’échec cuisant mais en une sorte d’inamovible titulaire du poste, d’occupant de droit, seulement victime d’un incident de parcours, d’une parenthèse forcée.
Conseils d’ami ?
D’ailleurs ne donne-t-il pas tous les signes de n’avoir pas encore bien compris que, Premier ministre, ni même touriste-ministre, il ne l’était plus? Il se permet encore ces dernières heures de donner des consignes au successeur, de lui fixer des lignes rouges à ne pas dépasser, de lui intimer des ordres, de lui imposer une marche à suivre. Il est vrai que l’état dans lequel il laisse le pays le rend légitime à vouloir absolument imposer sa marque à tout ce monde pour aujourd’hui, demain et les temps à venir.
On pourrait penser que, les joues encore meurtries de la baffe électorale encaissée, le jeunot au petit sourire tête à claques aurait la décence, la délicatesse de se taire, l’élégance de souhaiter bon vent à l’homme d’âge et d’expérience qui a l’exemplaire courage de reprendre en main le bâton merdeux qu’il lui laisse. De toute évidence, l’école par laquelle M. Attal est passé ne lui a pas enseigné cet art-là, si appréciable en politique comme dans maints aspects de la vie en société : l’art d’agir et de réagir en ayant soin de s’imposer un minimum de classe.
Plus qu’une courte semaine pour visiter l’exposition Incursion dans l’atelier de Rougemont. Elle se tient depuis la mi-juillet quai de Conti, en libre accès, dans cette prestigieuse enceinte parisienne de l’Institut de France, qui abrite l’Académie des Beaux-arts.
L’exposition préludait à la toute récente parution, en ce mois de septembre sous les auspices des éditions Norma, d’une monographie (bilingue français-anglais) consacrée à ce protée – peintre, dessinateur, designer, sculpteur, installateur, décorateur… – que fut Guy de Rougemont, disparu il y a trois ans, à l’âge de 86 ans. Dirigé par l’émérite spécialiste américaine Gay Gassmann, préfacé par l’architecte d’intérieur bien connu Jacques Grange et nourri de contributions amies – depuis les galeristes Pierre Passebon ou Diane de Polignac jusqu’ à l’historien d’art fort érudit Adrien Goetz, en passant par l’artiste argentin Julio Le Parc – le « beau livre », de très grand format, constitue un hommage appuyé au disparu.
En 1935, Guy Joachim Edgard René du Temple de Rougemont ne naît pas dans la crotte, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa mère descend en droite ligne de Caroline Murat, la sœur de Napoléon. Les sœurs de Guy, toutes duchesses ou princesses, seront-elles-mêmes durablement implantées dans le milieu étroit des musées, des galeries, des marchands d’art et des acheteurs fortunés… Son père, général et diplomate en poste aux États-Unis, lui aura ouvert de bonne heure l’idiome, les charmes et les réseaux de la hype society nord-américaine.
Gay Gassmann le souligne : « l’homme Guy de Rougement avait tellement de contradictions : un artiste français extrêmement fier de son héritage, un dandy qui évoluait à travers la scène parisienne avec aisance et grâce. Un enchanteur et un raconteur, qui connaissait tout le monde et ne supportait guère les imbéciles. Un intellectuel dévoué aux livres et, curieusement, un rebelle (…) Rougemont s’intéresse à tout, et tout l’inspire ».
De fait, ce « pont entre grand art et art mineur » qu’évoque le patron de la Galerie du Passage, éditeur de la Table nuage à la quelle Rougemont doit une bonne part de sa célébrité, cette passerelle (aujourd’hui tellement galvaudée, minée par les barbouilleurs du « street art »), il n’allait pas de soi d’en lancer les arches sur le fleuve des Trente Glorieuses. Gassmann, encore : « né aristocrate, [Rougemont] est en même temps, à sa façon, un militant (…) Il n’hésite pas à qualifier quelqu’un ou quelque chose de ‘’bourgeois’’ ou de bureaucratique, tout en louant le modèle familial traditionnel et conventionnel ».
Marié avec la rayonnante Anne-Marie Deschodt – laquelle fut, en premières noces, l’épouse du grand cinéaste Louis Malle – l’artiste ornera son épée d’académicien de la devise familiale : « Age quod agis » : « fais ce que tu fais ». Rougemont aura beaucoup fait, et ce sur tous les registres de la création plastique. On se souvient qu’en 1974, il « met en couleur » en PVC polychromes les colonnes du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Un an plus tôt, il érige ses « totems » à Cergy-Pontoise ou au Plessis-Robinson. En 1977, il colore l’autoroute A 4, sur 30 km, avec des sculptures bien flashy. Commandes publiques – ah, le fameux 1% artistique imposé par la bureaucratie pour « animer » l’espace urbain et paysager… Comme l’observe Julie Goy dans un des textes qui enrichissent l’ouvrage : « l’œuvre de Guy de Rougemont est à double tranchant, oscillant constamment entre une volonté de simple prolongement artistique de la ville, et une volonté de contraste, de rupture avec ce qui existe ». Un bon exemple en reste le pavage de l’esplanade du musée d’Orsay.
Ces réalisations parfaitement datées ont l’heur de ne pas éclipser quantité de productions dont rendent compte les photos ‘’pleine page’’ qui constellent ce gros livre à l’élégante couverture rigide : le grand salon iconique de Henri Samuel, composé vers 1978 au 118 de la rue du Faubourg Saint-Honoré ; le magnifique atelier de Rougemont, rue des Quatre Fils, là même où Madame du Deffand tenait salon trois siècles plus tôt ; jusqu’au bar du Mark Hôtel, à New-York, déco millésimée 2010.
Aquarelliste, Rougemont conçoit du mobilier ; désigner, il crée des couverts en porcelaine, tel ce service Arlequin, en 1992. Graphiste, il dessine l’étiquette du Château Mouton Rothschild, cru 2011… Ou encore scénographie le bureau de François Catroux, la salle à manger de Françoise Dumas ou celle du couple Jacques-Henri et Cécile de Durfort. Il décore l’appartement Dior du 30 avenue Montaigne. Ou même l’intérieur d’un jet privé, à l’occasion. Bref, ce pape du pop copain de Warhol n’en aura pas moins été, à sa manière, le pontife du chic.
Guy de Rougemont a eu droit à une rétrospective : elle remonte à 1990 – sise au Musée des Arts Décoratifs. L’aimable Adrien Goetz conclut : « il détestait l’idée d’être muséifié tout vif ». Mort, l’inclassable grand seigneur aurait-il la classe d’un classique ?
En librairies : Guy de Rougemont, par Gay Gassmann. 256p., 250 illustrations. Norma éditions, 2024.
Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne
Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »
Ère lacrymale et victimaire
Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.
Sixième roman pour Emma Becker
Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir uneœuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménageà trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »
La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade !
Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !
Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.) « L’autricenous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, lesbrisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’unefemme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo. Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.
Nouveaux départs ?
En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.
Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vied’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.
Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.
L’entrisme et le séparatisme islamistes à l’hôpital progressent. Enquête sur le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza », la nouvelle alliance des soignants et des Frères Musulmans.
Le mercredi 3 juillet 2024, le parvis du Sacré-Cœur de Montmartre est occupé par un rassemblement de soignants revêtus de blouses médicales et de keffiehs. C’est le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza » (BBG pour les intimes) qui manifeste.
Ce phénomène est inédit à plus d’un titre : dans un pied-de-nez à l’Église de France, des soignants choisissent d’occuper l’esplanade d’un lieu de culte catholique. Ils descendent dans la rue, non pas pour alerter l’opinion publique sur la condition de nos hôpitaux, mais pour s’exprimer politiquement sur un conflit qui se joue à 3000 kilomètres de la France. Jamais des blouses blanches ne sont descendues manifester pour les victimes de la guerre du Kosovo, de l’Arménie ou du Congo… mais passons. Enfin, face au micro du média turc TRT, ces mêmes soignants sortent du principe de neutralité de la fonction publique, et revendiquent être également venus « pour faire barrage à l’extrême-droite »[1]. Quelle analyse tirer de ce gloubi-boulga idéologique ?
La création de ce collectif répond à des critères parfaitement légaux, et il nous apparaît légitime que des soignants puissent s’émouvoir de la condition de blessés de guerre ou des difficultés d’exercice du personnel médical humanitaire. À notre tour, nous sommes dans le droit de nous interroger sur l’objectif réel des BBG et d’analyser leurs discours. Nous avons décidé de participer à leurs manifestations dans le but de côtoyer leurs membres et d’écouter leurs revendications. Quel est le vrai message porté par les « Blouses Blanches pour Gaza » ?
Chez les BBG, le fréro-salafisme est administré en perfusion
Le collectif des BBG s’est constitué au lendemain de la riposte israélienne sur la bande de Gaza, à la suite de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. L’opacité règne sur les membres fondateurs de ce collectif : à peine sait-on que plusieurs soignants proviennent de l’entité PalMed (un réseau de soignants issus des Frères Musulmans[2]) ; que leur canal de discussion est un groupe interne WhatsApp (« Il ne faudrait pas que la police tombe dessus, car il y aurait de quoi nous faire tomber » s’inquiète un membre des BBG, quelques semaines avant l’arrestation d’Imane Maarifi[3]) ; et que leur seule vitrine est un compte Instagram tenu par la fille d’un des médecins du collectif, étudiante en communication.
Si les membres des BBG privilégient l’anonymat, dans une stratégie de dissimulation, dans les manifestations pro-palestiniennes, deux infirmiers s’expriment en revanche publiquement et de façon récurrente au micro d’Euro-Palestine ou d’Urgence-Palestine : Sébastien Wildemann, ex-infirmier libéral et actuel directeur des soins dans une antenne de soins à domicile d’Île-de-France ; mais, surtout, Imane Maarifi, infirmière libérale à Plaisir (78). Elle se revendique comme infirmière du réseau frériste PalMed et membre active des BBG.
Le 5 septembre, le député LFI Thomas Portes annonce sur X qu’Imane Maarifi vient d’être arrêtée à son domicile pour faire l’objet d’une garde-à-vue[4]. Relâchée dès l’après-midi, elle brandit un drapeau palestinien dans une posture victorieuse et s’exprime en story sur Instagram, en s’assurant que le commissariat soit filmé en arrière-plan. Imane Maarifi nous apprend qu’elle aurait été placée en garde-à-vue pour avoir menacé de mort des Juifs – les propriétaires des Salons Hoche (Paris 8ème), dont les lieux accueillaient un salon de l’immobilier israélien – et se réjouit que les charges aient été abandonnées, ayant pu prouver sa bonne foi. Depuis sa convocation, Imane Maarifi est célébrée comme une héroïne de guerre. Invitée sur les médias pro-palestiniens (Le Media, Paroles d’Honneur etc.), elle livre les détails de sa convocation. Nous y apprenons que les Salons Hoche auraient reçu près de 300 appels de menaces et d’apologie du terrorisme (« On va vous faire comme le Bataclan ») et que le contenu du téléphone d’Imane Maarifi serait en cours d’analyse (« Ils ont extrait ce qu’ils avaient à extraire », relate-t-elle platement. Dont le groupe WhatsApp des BBG, s’interroge-t-on ?). Enfin, Imane Maarifi s’épanche longuement sur son douloureux vécu de mère courage. Au cours de son interrogatoire, elle affirme avoir été heurtée par des questions autour de ses enfants (« Ils m’ont demandé, qu’est-ce que j’explique à mes enfants sur mon militantisme ? Qu’est-ce que je leur dis sur ce qui se passe à Gaza ? Je leur ai dit, je ne comprends pas le lien »[5]). Le lien est pourtant simple : en évoluant dans un milieu fréro-salafiste tel que celui d’Urgence Palestine, Imane Maarifi – ainsi que les autres membres des BBG – ne risque-t-elle pas de se radicaliser et d’exposer ses enfants mineurs à cette même idéologie ?
Imane Maarifi
L’étroitesse des liens entre les BBG et Urgence Palestine
Le collectif d’Urgence Palestine s’est créé, lui aussi, à la suite du 7 octobre. En se baladant sur leur site, on y découvre parmi leurs principales revendications : « Cessez-le-feu et fin du blocus immédiats », « La fin de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid », « Boycott, désinvestissement, sanctions contre Israël », « Soutien à la résistance du peuple Palestinien ». Nous sommes donc bien loin des aspirations supposées médicales des BBG. Pourtant, ces derniers ont un lien très fort avec ce collectif et principalement avec son leader, Omar Alsoumi, qui était à leurs côtés lors d’un rassemblement le 8 septembre sur la Place de la Nation, pour le retour du Drapeau de la Libération. De quelle libération parle-t-on ? Pas de celle des Gazaouis sous la coupe de l’organisation terroriste du Hamas. Ni de celles des otages israéliens. Depuis son départ de la Place de la République à Paris le 14 août, le drapeau palestinien en question traverse des grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg…) pour appeler à la libération de la Palestine de l’Etat sioniste !
Omar Alsoumi est né d’un père palestinien, diplômé de Sciences-Po, porte-parole de PYM (Palestian Youth Movement) : mouvement affilé au FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), classé depuis plus de vingt ans sur la liste des organisations terroristes par l’Union Européenne. Omar Alsoumi est également le fondateur de « Boussole Palestine » qui, entre autres, fait pression pour le port de l’abaya à l’école. Il était présent à la marche du 8 mars pour la journée internationale des Droits des Femmes, au cours de laquelle les femmes du collectif « Nous Vivrons » ne furent pas les bienvenues et se retrouvèrent bousculées, huées et insultées par les activistes du collectif Urgence Palestine : « Sales putes ! », « Sionistes, fascistes, vous n’êtes pas féministes » ! On a compris ce jour-là que nos BBG, dont la majorité est pourtant composée de femmes, pouvaient apparemment frayer avec des individus ayant une conception bien particulière de la cause féminine et du viol, selon que l’on soit juive ou palestinienne.
Notre enquête nous a également amené à croiser sur les publications Instagram des BBG une figure incontournable du salafisme : le Frère Élias d’Imzalène (Eli Yess Zareli, de son vrai nom), également membre actif d’Urgence Palestine. Cheveux longs souvent attachés, barbe fournie, dominant de sa hauteur la foule, Élias d’Imzalène a un sacré CV. Fiché S par les services de renseignements, prédicateur salafiste à la mosquée de Torcy – fermée en 2017 – où il appelait les fidèles à arrêter d’être « des Français légalistes, républicains et patriotes », fondateur du média « Islam et Info », co-organisateur de la Marche contre l’islamophobie en 2019 au cours de laquelle la foule avait scandé « Allah Akbar » devant le Bataclan, on a pu l’apercevoir proche de membres de La France Insoumise comme Thomas Portes, Rima Hassan, ou Ersilia Soudais, en conférence ou en manifestation. Gardons le meilleur pour la fin : dimanche 8 septembre – le fameux jour du retour du Drapeau de la Libération – il lance carrément un appel à mener l’« Intifada » (« Révolte ») : « Est-ce qu’on est prêts à mener l’Intifada dans Paris ? Pour nos banlieues, dans nos quartiers, pour leur montrer que la voie de la libération vient de nous. Qu’elle démarre de Paris, qu’elle passera par Marseille ». Ce même jour, nous le voyons remettre le drapeau palestinien à une soignante des BBG. Elle-même le remettra à Rima Hassan, la députée européenne qui avait participé le 16 août à une manifestation à Amman, en Jordanie, dans laquelle des manifestants portaient le bandeau vert de l’organisation terroriste et brandissaient des pancartes rendant hommage au chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, tué le 31 juillet à Téhéran.
Si Urgence Palestine a tout du réseau pro-Hamas, qui réunit à la fois antisémites et islamistes, qu’en est-il alors des BBG ? Nos Blouses Blanches ont des étranges fréquentations – Élias d’Imzalène, Omar Alsouni, Rima Hassan – qui ne peuvent que nous interroger sur la vraie nature de leurs revendications.
Si tu suis l’Esprit Soumoud, les fers à lisser et Freud tu boudes !
Dans un live diffusé en août sur le compte Instagram des BBG, Imane Maarifi présente le podcast « Esprit Soumoud ». Ce podcast présente le travail de deux psychologues voilées et membres des BBG : Najat Najari-Balhag et Ismahene Laidaoui. Abdelghani Boudik, créateur du podcast « Ramadan », s’occupe de la technique. Par le passé, Ismahene Laidaoui est intervenue à l’Institut D’Clic de Bobigny, fief du salafiste Nader Abou Anas, lui-même disciple d’Yves Leseur, aujourd’hui appelé Cheikh Ayoub, Français converti au Pakistan et figure de proue du salafisme français[6]. Le podcast d’« Esprit Soumoud » est la mise en lumière de l’UESCP des BBG, à savoir l’Unité d’Écoute de la Souffrance Coloniale en Palestine.
Au micro d’« Esprit Soumoud »[7], les deux psychologues rejettent « le fantasme de la neutralité du psychologue » et appellent leurs confrères à une posture militante « avant-gardiste et anticoloniale ». La lutte de Najat Najari-Balhag et d’Ismahene Laidaoui tient de ce qu’elles appellent « la décolonisation des esprits », car – en s’appuyant sur leur propre interprétation du livre de Frantz Fanon, les Damnés de la Terre – elles estiment que la santé mentale ne peut être dissociée du combat politique. L’une d’entre elles, issue d’une famille militante du FLN, explique la continuité qu’elle voit entre la guerre d’indépendance algérienne et celle qui se déroule sur la bande de Gaza. Dans une posture de rejet de toute influence coloniale, les deux femmes expliquent avoir arrêté de se lisser les cheveux (cette pratique étant perçue comme un « signe de beauté caucasienne » : « Je me blanchisais dans mon identité », dit l’une d’elle), revendiquent le port du voile (verbalisé comme un outil de lutte contre l’assimilation française), le retour à la religion, la lutte contre les violences policières et le port de signes distinctifs pro-palestiniens, tels que la pastèque ou le keffieh. À leurs patients pro-palestiniens, elles se présentent « comme une alliée » ; de leur identité, elles affirment qu’elle est « arabo-musulmane » ; de leur difficulté à porter le voile dans la fonction publique, elles se disent « salies par un extérieur qui a tort ». Plus inquiétant, elles remettent en question leur socle de formation universitaire (« La psychologie clinique, la psychanalyse, les concepts tels que le complexe d’Œdipe, ça ne pouvait pas faire sens avec ma culture ») ; elles rejettent les théories de Freud, vues comme une lecture occidentale de l’esprit qui ne concernerait pas la psyché et donc les problématiques des patients de culture arabo-musulmane. Elles concluent : « La colonisation des esprits, c’est nier les différences de cultures comme d’autres nient la différence des couleurs ». Placé sous de tels auspices, l’avenir de la santé mentale en France s’annonce préoccupant.
Imane Maarifi et Ismahene Laidaoui
Les BBG sous tension : la crainte de l’AMIF
L’AMIF. L’Association des Médecins Israélites de France. Ces quatre lettres reviennent en boucle dans les rangs des membres des BBG. Lorsqu’elles sont évoquées dans les manifestations pro-palestiniennes, les nuques se raidissent, et le ton monte. Pour nos militants, le projet est clair : pour pouvoir perdurer, l’objectif premier est d’abattre l’AMIF. Pourquoi ?
Depuis le 7 octobre, des soignants pro-palestiniens peuvent faire la propagande de leurs opinions antisionistes sur les réseaux sociaux. Ces dérives sont signalées à l’AMIF, qui porte plainte et envoie les brebis galeuses au Conseil de l’Ordre pour y être sanctionnées. Depuis, la menace que représente l’AMIF est prise très au sérieux, et les BBG ont donc décidé d’agir. On tente d’approcher des membres du Conseil de l’Ordre pour adoucir la situation, valoriser l’engagement pro-palestinien, expliquer que les Gazaouis sont des victimes et les Israéliens des génocidaires… Une tentative d’influence courtoise, toujours avec sourire et bienveillance, bien sûr. Rappelons que les Facultés de Médecine sont déjà prises d’assaut par un syndicat frériste[8], l’OMAS, qui s’évertue à placer ses pions sous la forme d’étudiants radicalisés. Plus que jamais, le Conseil de l’Ordre doit donc rester vigilant pour ne pas basculer, lui aussi, sous l’influence des Frères Musulmans ou de soignants acquis à la cause du Hamas. Une chose est sûre : avec l’augmentation croissante des propos antisionistes voire antisémites dans le corps (para)médical, la lutte ne fait que commencer. Et la Chambre Disciplinaire du Conseil de l’Ordre risque bien de devoir recruter…
Panique morale dans la presse ce matin, où l’on feint de croire que le gouvernement de Michel Barnier est affreusement conservateur
À peine nommé, le gouvernement Barnier provoque la polémique. La chasse aux sorcières réacs est ouverte. C’est l’acte II de la comédie antifasciste. Il y a deux mois, on luttait contre le fascisme imaginaire du Rassemblement national. Aujourd’hui, la gauche et le centre hurlent au retour de l’ordre moral. Dans leur ligne de mire, une dizaine de ministres trop conservateurs, c’est-à-dire trop cathos, en particulier Bruno Retailleau (lequel, entre autres crimes, a été autrefois proche de Philippe De Villiers). Les médias de gauche, toujours prompts à assurer la police de la pensée, dressent la liste noire : il y a ceux qui ont voté contre le mariage pour tous, ceux qui étaient contre la constitutionnalisation de l’IVG, ceux qui ont signé une tribune favorable à l’école privée (il va falloir dénoncer tous les Français qui y inscrivent leurs mômes). Il ne manque qu’un ministre amateur de corrida ! Libération, organe central de la gauche culturelle, titre ce matin sur le « pacte réac ».
Le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure dénonce un gouvernement réactionnaire en forme d’ « insulte à la démocratie ». Quant aux néo-féministes, elles sont déchaînées. Selon la militante Caroline De Haas, « Macron donne le pouvoir à des anti-IVG, des homophobes et des transphobes ». Plus étonnant, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal somme le nouveau de s’engager à ne pas toucher à la PMA et aux droits des LGBT. Ce que Michel Barnier a d’ailleurs fait sans barguigner sur France 2 hier soir.
Peut-on comprendre ces inquiétudes ?
Non. Je ne les comprends pas et je ne les crois pas parce qu’eux-mêmes n’y croient pas. Cette question sociétale est un leurre, une diversion. Personne n’a l’intention de revenir sur le mariage pour tous ou de restreindre le droit à l’IVG. Et tout le monde le sait. Mais pour tous ces beaux esprits, la liberté de pensée, c’est quand on pense comme eux. Tous ceux qui osent afficher des opinions conservatrices devraient être éliminés de la vie publique. Précisons par ailleurs qu’on pouvait être contre le mariage pour tous sans une once d’homophobie. Qu’on a le droit d’être personnellement hostile à l’IVG, sans vouloir la remettre en cause. Qu’on a le droit d’être pour la prudence s’agissant de changement de sexe d’adolescents. Et enfin qu’on devrait avoir le droit d’être catho sans se faire traiter de noms d’oiseau. On ne sait pas qui la gauche et l’Attalie comptent mobiliser avec ces sujets dont la majorité des Français se fiche éperdument. Gabriel Attal veut-il se poser en patron des futurs frondeurs qui entendent mener la vie dure à Barnier ? Peut-être veut-il rappeler que, s’il s’apprête à soutenir un gouvernement de droite, et probablement à voter un budget d’austérité, il est toujours dans le bon camp, le camp progressiste. Pour l’intérêt du pays, on repassera.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin
Michel Barnier a formé son gouvernement. La gauche protestataire continue de prétendre qu’on lui a volé l’élection. La droite récupère d’intéressants ministères dont l’Intérieur. Le bloc macroniste se révèle de plus en plus fissuré.
La formation du gouvernement Barnier ne s’est pas faite sans difficulté. A l’heure où celui-ci est enfin connu, rares sont ceux qui parient sur sa longévité. Non que Michel Barnier soit un mauvais choix. Au contraire. En des circonstances aussi critiques, sa désignation relève d’une forme de sagesse. Il laisse le psychodrame permanent à LFI et à la gauche, le rôle de la drama queen à Jean-Luc Mélenchon. Lui réinstalle une image plus « vieille France » de l’incarnation politique, et nous lui en sommes tous gré. C’est un homme de devoir qui se tient devant nous et cela nous change. Pour autant, si les Français ont applaudi ce choix, le Premier ministre devenant dès sa nomination « personnalité politique préférée des Français », tous les comportements de la classe politique montrent qu’ils en sont déjà au coup d’après et même au coup d’après le coup d’après…
Le palais de l'@Elysee a annoncé, samedi 21 septembre 2024, la nomination du Gouvernement de @MichelBarnier.
En effet, l’épisode de la composition du gouvernement prouve bien que nos politiques n’ont pas conscience de notre situation collective. Les appels à la responsabilité des uns et des autres ne sont que des postures. Personne n’est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l’avenir du pays. Voilà pourquoi aucun poids lourds de la politique n’est venu. Pour donner le coup de talon qui fait remonter à la surface, encore faut-il avoir touché le fond. La conscience de ce qui nous menace et la réalité de notre déclin n’est pas encore suffisamment forte pour déplacer les lignes de force, rendre possible ce qui ne l’était pas, pensable ce qui paraissait inatteignable. C’est peut-être au pied du mur qu’on voit le maçon, mais c’est quand ils sont incrustés dans les briques que les politiques se révèlent. Nous n’y sommes pas encore, ce qui signifie que les ambitions personnelles des uns et des autres sont plus fortes que l’appel à un hypothétique sens des responsabilités. En politique, on voit souvent les catastrophes venir de loin mais on n’opère les changements nécessaires qu’après l’effondrement. Car c’est souvent seulement à ce moment-là que les gens acceptent de prendre leur perte. Il faut dire que c’est souvent parce qu’elle s’est réalisée. La nécessité du changement de logiciel se fait sentir bien avant l’impact, mais la réalité du changement dans l’action arrive en général après.
Ainsi ce gouvernement n’offre quasiment aucune grille de lecture. On se rapproche du mur mais on ne mange pas encore les briques. Ceux qui le composent ont des histoires trop légères et pas assez signifiantes pour transmettre un quelconque message à la nation. Ils sont pour la plupart des inconnus, ce qui ne présage pas de leur capacité, mais ne donne pas une idée très claire de ce que porte ce collectif gouvernemental. A force de ne vouloir heurter personne, il est pour l’heure dépourvu de ligne de force et les soupçons de la gauche lui tiennent lieu de capacité de fermeté.
Le résultat de 15 jours de tractation est d’ailleurs conforme à la feuille de route fixée : ne pas trop crisper la diversité des alliés. Michel Barnier, expérimenté et capable de trouver des compromis dans la tension, comme il l’a prouvé avec le Brexit, possède les qualités nécessaires, mais il va falloir compter avec un président sans colonne vertébrale ni vision, susceptible de tout et surtout de n’importe quoi et un Gabriel Attal qui pense le pouvoir suprême à sa portée et attend que la décomposition du PS lui permette d’arrondir sa pelote En marche. Bien sûr, il est de bon ton dans la période d’insister sur la nécessité d’un gouvernement de large rassemblement, d’union nationale.
Mais pour cela encore faut-il savoir pour quoi ou contre quoi se fait cette union. Contre le RN, selon la logique du front républicain ? Il aurait alors fallu porter au pouvoir un parti, LFI, qui a remis la dynamique antisémite au cœur de la constitution de son électorat et fait de la haine des Juifs un levier politique. Il aurait alors fallu porter au pouvoir une gauche qui a fermé les yeux sur la trahison de son histoire et de son honneur, une gauche qui surtout n’a pas gagné les élections. Et puis quid du RN. A côté de LFI et de ses outrances, le parti parait très assagi, mais comment justifier une participation ou un soutien quand on a mobilisé tout l’imaginaire de la Seconde Guerre mondiale pour inviter les Français à « faire barrage » au fascisme, comme si on assistait au retour d’Hitler à travers les succès du parti de Marine Le Pen. Quand un pays est aussi divisé et que les clivages ont été exacerbés, seul le sentiment à la fois de la menace et de la nécessité peut faire retrouver le chemin du commun. Nous sommes tombés bas, mais nous n’en sommes pas là.
Vieux réflexes
Les vieux réflexes politiciens sont donc revenus. D’un côté, à droite de l’échiquier, on a l’habitude de gouverner. Lorsqu’on lui confie les rênes, sa logique n’est pas forcément le partage, elle lui préfère la cohésion politique. De l’autre, la macronie, n’est jamais parvenue à incarner un courant de pensée défini. La désormais très grande faiblesse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron a fait ressurgir les rivalités et l’expression très diverse de sa majorité, chaque élément du puzzle se projetant déjà vers la présidentielle.
Le nouveau gouvernement se retrouve donc en situation extrêmement précaire car à sa majorité très relative s’ajoute une pression constante en son sein et autour de lui. La gauche, de façon assez ridicule, ne cesse de hurler au déni de démocratie. Alors que non seulement elle n’a pas de majorité, mais surtout qu’elle n’a pas su se mettre en ordre de marche. Elle s’est même ridiculisée en allant chercher une parfaite inconnue pour une fonction aussi importante dans un temps si particulier. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle n’aura de cesse de protester, installant un (très) mauvais climat au parlement. « L’heure est grave, l’extrême droite est aux portes du pouvoir » nous dit-elle, mais ça ne la contraint aucunement à la retenue, sans parler de tenue. Elle hurle aussi à la « droitisation », laissant entendre un recul sociétal généralisé sur les droits des homosexuels, l’IVG, la PMA… Or, aucun de ces droits n’est menacé. Alors, pourquoi ce jeu malsain ?
Parce que quand vous n’avez ni projet, ni idée, ni même une direction, résoudre des problèmes qui n’existent pas ou que vous créez pour l’occasion est une des meilleures méthodes pour mobiliser des militants et vous targuer d’immenses succès. Succès d’autant plus appréciables qu’ils ne vous ont rien coûté, puisqu’ils sont en trompe-l’œil. Le meilleur exemple récent de cela est la constitutionnalisation de l’IVG. Le droit n’était pas menacé, la constitution n’est pas le catalogue du désirable mais la référence en matière d’organisation des pouvoirs, donc n’est pas faite pour sanctuariser ce type de droit, mais qu’importe, l’essentiel est que l’on a fait croire aux Français qu’il venait là de s’accomplir un grand geste politique. Alors que le seul vrai grand geste politique revient à Simone Veil. C’est cette tactique à la Gribouille qui est mise en œuvre par la gauche. Cela consiste à hystériser certains dossiers en faisant croire aux groupes concernés que leurs droits sont menacés : droits des homosexuels, accès à la PMA. Puis on hurle que l’on ne laissera rien passer. Ce qui est facile puisque rien n’est en route. Et enfin on explique que l’on a écarté le danger, grâce à sa mobilisation. Cela permet d’occuper le terrain, sans travailler, sans réfléchir, sans agir réellement, mais on marque des points auprès de ses groupes cibles, tout en travaillant à instituer une méfiance généralisée et à distiller un sentiment de menace dans les groupes minoritaires. Le sociétal se prête parfaitement à ce genre de manipulation.
Pendant ce temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont plutôt discrets
Michel Barnier, en plus de gérer une majorité éruptive et une gauche protestataire stérile, doit également faire avec les grands vainqueurs des Européennes et des législatives, le Rassemblement national. Lui n’a qu’à regarder les choses se déliter en évitant les erreurs. Il sait qu’il est potentiellement le prochain vainqueur. Son mauvais score au second tour des législatives n’est dû qu’à un nouvel et ultime (?) réflexe de barrage construit sur la culpabilisation. Mais lutter contre le soi-disant fascisme auprès d’authentiques antisémites a porté un vrai coup à un dispositif fondé sur une certaine idée du bien en politique. Idée qui a été durablement piétinée.
La faiblesse de la majorité relative à droite, voulue par le président de la République, est aussi liée à cette donnée de départ qu’est l’exclusion, voire la stigmatisation de 11 millions d’électeurs ayant porté leur choix sur des élus du RN. Le Premier ministre n’est pas non plus aidé par une Assemblée nationale qui, au lieu de prendre acte du poids démocratique des élus du RN, a préféré largement l’exclure des distributions de postes à responsabilité.
En résumé, tout le monde explique que la crise démocratique traversée, voire institutionnelle, oblige à la responsabilité, mais en réalité personne ne prend réellement les mesures en rapport. Ce tableau laisse penser que la bonne volonté du Premier ministre ne sera pas suffisante, mais nul ne lui en voudra de ne pas réussir là où il ne pouvait qu’échouer. Le seul point qui mette tout le monde d’accord est que le responsable de tout cela est un président qui n’a jamais réellement su se mettre au diapason d’une fonction qui, en concentrant tant de pouvoirs, dirige toutes les flèches contre elle en cas de difficultés. Pire, à chaque fois que crise il y eut, il a donné le sentiment que lui seul pouvait comprendre et apporter une réponse appropriée. De ce constat découle une conséquence naturelle : il est le problème. Dans ces conditions il est très probable que le Premier ministre ne soit que l’un des derniers éléments du chemin à parcourir pour faire décanter la situation. Il s’agit d’accumuler les échecs pour que les cartes puissent être totalement rebattues et redonnent ainsi à un nouvel élu, la légitimité d’agir. Tout le monde parie donc que le président démonétisé sera contraint de redonner la parole au peuple. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre d’autre du gouvernement Barnier que l’établissement d’un budget et la gestion des affaires courantes. Espérons néanmoins qu’il conserve ce style plus apaisé qui évitera que la prochain épisode ne se déroule dans un trop grand tumulte.
Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis quarante ans. L’homme est aussi un pionnier: il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.
Après deux mois d’exil sur l’île de Ré, j’ai hâte de retrouver « mon » Paris, celui des bistrots, des petits commerces et des marchés en plein air. Dès mon retour, j’irai ainsi déjeuner au Bistrot du Sommelier, boulevard Haussmann, en face duquel vivait Marcel Proust il y a un siècle. Cette institution parisienne a été créée il y a quarante ans par Philippe Faure-Brac, un sommelier de 24 ans né à Marseille. Sacré meilleur sommelier du monde à Rio en 1992, Philippe est un grand monsieur du vin unanimement respecté et qui, en plus, ne joue pas « perso », mais aide et encourage les futurs jeunes sommeliers.
À l’époque, les grands crus n’intéressaient pas grand monde, on buvait du « pinard » en carafe, surtout du rouge, et l’image du sommelier était vieillotte. En créant son bistrot, Philippe Faure-Brac a voulu rendre le monde du vin plus accessible et stimulant. Il était un pionnier : « Rendez-vous compte, je servais le soir de la Romanée-Conti au verre, à 50 francs le verre ! Avec mon chef Laurent Petit (futur trois étoiles Michelin à Annecy), nous avons été les premiers à proposer des menus dégustation autour du vin, c’était vraiment nouveau à l’époque. »
Filet mignon de cochon en croûte de chorizo, chou rouge aux épices et nuage de persil, servi avec une Romanée-Conti 1971.
En ce temps-là, les sommeliers parisiens n’allaient pas dans le vignoble mais se contentaient de bien gérer leurs caves. « Pour moi, aller à la rencontre des vignerons a toujours été une source d’inspiration. On ne buvait que du Bordeaux, du Bourgogne et un peu de Champagne… »
Aujourd’hui, un sommelier digne de ce nom se doit de faire le tour du monde et de tout connaître. Son cerveau a mémorisé des milliers d’informations aussi bien théoriques que sensorielles.
Ces connaissances, Philippe Faure-Brac les a, plus que tout autre, mais c’est avant tout un homme qui sait faire du vin un objet de partage et d’union, loin des modes et des querelles de chapelles. Je vous recommande ainsi d’aller chez lui le vendredi soir : à la fin du dîner, vous le verrez entonner a capella Brel, Bécaud, Nougaro et Lama, face à des clients ahuris et enchantés.
On va aussi au Bistrot du Sommelier pour découvrir les pépites qu’il sait chiner, comme ce somptueux Pouilly-Fumé de la vigneronne Marielle Michot, un vin exceptionnel, salin et tranchant, élevé « à l’ancienne » dans des fûts de chêne de 500 litres, qu’il propose par exemple pour déguster un lieu jaune juteux parfumé à la citronnelle et accompagné d’un risotto de courgettes aux gambas.
Charles Aznavour venait souvent le voir. « Un jour, dans ma cave, il me dit : “De toute façon, il n’y a pas meilleur que Château Pétrus” (il ne buvait que ça). Je lui dis : “Monsieur Charles, vous pourriez boire autre chose”, et je lui sers un verre à l’aveugle. Il le hume, le goûte, prend la bouteille et regarde l’étiquette, c’était une Côte Rôtie de Guigal cuvée “La Turque”… En voyant ce mot, il me foudroie du regard, quelle gaffe je venais de faire, lui, l’Arménien d’origine, je ne savais plus où me mettre ! Aznavour part dans un coin, prend le temps de goûter, puis il revient vers moi, l’œil brillant : “C’est tellement bon qu’on peut oublier l’Histoire !” »
Malgré sa célébrité, Philippe Faure-Brac continue de servir lui-même les vins et les plats, toujours au taquet… il est là, présent en salle, comme l’étaient ses parents et ses grands-parents restaurateurs à Briançon. Il a gardé intact en lui l’amour de ce métier si dénigré.
Dans les années 1980, les œnologues étaient tout-puissants, on croyait que l’on pouvait faire de grands vins en cave grâce à la technologie, mais on a très vite pris conscience que c’était une illusion : « Le grand vin résulte d’une somme de détails : le soin apporté à l’environnement, à la vie des sols, au végétal, à la cueillette manuelle, au tri des raisins… On a compris que les grands vignerons étaient des paysans, des gens de la terre qui savent observer la nature. »
Je m’ouvre à lui sur ces jeunes sommeliers qui ont si souvent tenté de me fourguer du jus de raisin fermenté en guise de vin. « En effet, les vins d’aujourd’hui sont faits pour être bus jeunes. 90 % des vins produits sont consommés dans l’année. La vérité est que les grands vins ont besoin de temps pour se complexifier, pour digérer ce qu’ils ont reçu de leur terroir, l’ivresse qu’ils procurent au bout de quinze ans est extraordinaire. Je pense par exemple aux vins de Jean-Louis Chave, sur l’appellation Hermitage, dans la vallée du Rhône. »
Et la rivalité Bordeaux-Bourgogne ? « La Bourgogne triomphe depuis 2005. Elle a su affirmer une vision. Les Bordelais, eux, ont un problème : c’est le négoce chargé de distribuer leurs vins, ils se sont coupés du goût des consommateurs. En Bourgogne, le vigneron vous accueille alors qu’il est sur son tracteur… Clairement, à Bordeaux, la qualité technique est au rendez-vous, mais il faut aller au-delà, il faut retrouver de l’émotion, être plus à l’écoute du terroir, préférer l’infusion à l’extraction, donner une touche humaine. J’aime bien les vins du Domaine de l’A de Christine et Stéphane Derenoncourt en Côtes de Castillon. J’aime aussi les Pomerol de Jean-Marie Bouldy à Pomerol. »
Au Bistrot du Sommelier, les plats sont superbes, à l’image du poulpe confit au safran ou du veau taillé dans le quasi nappé d’un jus à la truffe… Une vraie leçon de gastronomie car, selon Faure-Brac, les chefs amoureux du vin sont devenus très rares : « Autrefois il y avait Alain Senderens, un génie des accords avec qui j’ai beaucoup travaillé. Très peu de cuisiniers ont encore cette sensibilité. »
Alors autant en profiter. Les grands vins sont essentiellement mystérieux et laissent un intarissable souvenir.
Le Bistrot du Sommelier 97, bd Haussmann, 75008 Paris Menu à 41 euros. Dégustation de deux vins surprises : 18 euros. www.bistrotdusommelier.eu
« Élections, piège à cons » : l’impertinence soixante-huitarde va comme un gant à la farce démocratique produite par la classe politique naufragée. En juin 1968 les contestataires de mai entendaient, par ce slogan, dénoncer le choix de Charles De Gaulle de dissoudre l’Assemblée nationale ; les élections allaient malgré tout lui offrir une majorité absolue.
Cette fois, ce sont les perdants des législatives qui se partagent les 39 postes du gouvernement de Michel Barnier, constitué samedi soir. Non seulement le nouveau Premier ministre n’a su concrétiser ses promesses du 5 septembre de « tourner la page » et d’apporter « des ruptures », mais la macronie, désavouée par les urnes, se taille la part du lion (seize ministres, dont sept reconduits). Les Républicains de Laurent Wauquiez, faibles de leurs 47 députés, se partageront 15 maroquins avec les Divers droite. Les miettes n’ont pas été proposées aux indésirables vainqueurs du 7 juillet, le Nouveau Front populaire et le RN allié à Éric Ciotti.
Parler de coup d’État ou de putsch pour qualifier ce jeu de bonneteau serait certes excessif : la mascarade s’est déroulée sans violence, avec l’assentiment de partis soucieux de leur survie et d’hommes politiques ambitieux n’oubliant pas de remercier leurs « mamans » (Attal, Barnier) sur le perron de l’Hôtel de Matignon. Le mot qui vient, devant ce déni démocratique, est celui d’usurpation. Un monde politique prend fin pour n’avoir jamais su représenter la vraie France. La santé mentale, annoncée dimanche soir sur France 2 comme « grande cause nationale » par le Premier ministre, est d’abord un fléau qui frappe ces élites refusant le réel.
Bruno Retailleau (LR), nommé à l’Intérieur par Barnier, saura-t-il néanmoins corriger les premières impuissances du Premier ministre, confronté aux blessures ardentes de l’égo présidentiel et à ses pièges de braconnier ? Le sénateur de la Vendée, qui fut proche de Philippe de Villiers et du courant souverainiste, a comme atout d’avoir les idées claires sur les sujets interdits (immigration de peuplement, libanisation de la nation, infiltration islamiste, etc.). Il fait partie de ces rares élus qui ont pensé l’effondrement du vieux monde claquemuré.
Mais lui comme d’autres à droite n’ont pas été au bout de leurs réflexions. Retailleau ne semble pas vouloir admettre que le nouveau monde s’élabore en dehors du système dépassé dont il reste un acteur. L’alternative se construit au cœur du peuple abandonné, que le RN en mutation s’emploie à fédérer. Or, pour avoir choisi de collaborer avec la macronie récusée, Retailleau et ses amis ont pris le risque de sombrer avec le Titanic. Ainsi, le ministre de l’Intérieur devra composer avec le socialiste Didier Migaud, imposé par le chef de l’État au ministère de la Justice : un choix qui fera inutilement perdurer l’opposition entre la police et la justice, au plus grand profit des délinquants. Il est trop tôt bien sûr pour juger le gouvernement, sous surveillance de Marine Le Pen. Contraint au pointillisme des compromis, Barnier s’oblige à la modestie. Mais les Français, déjà trahis après leur vain refus de la constitution européenne en 2005, ne supporteront pas longtemps le mauvais spectacle de leur cocufiage, probables impôts supplémentaires en plus. Gare au cave qui se rebiffe !
Mis en scène de façon outrancière par Barrie Kosky, Les brigands deviennent vite assommants. Puis, il faut supporter les calembours inédits d’Antonio Cuenca Ruiz. Enfin, entre en scène la navrante Sandrine Sarroche… Des huées ont été entendues, lâchées des balcons le soir où nous étions présents.
Ca vrille, ça sautille, ça virevolte, ça pétille dans un paroxysme de frénésie burlesque, de malice et de facétie. Tourbillon de danses carnavalesques, de travestissements teintés de lubricité qu’accuse le flamboiement des costumes : la foule des brigands déchaînés envahit le plateau du Palais Garnier, dont le somptueux rideau de carton lourdement ornementé qu’on connait, se lève sur les ors fatigués d’un palais à l’abandon, aux parois ouvragées, grisâtres, maculées de graffitis morbides ou obscènes.
Montée – démontée, pour mieux dire ! – par le metteur en scène australien Barrie Kosky, fanatique d’Offenbach (cf. La Belle Hélène, à Berlin cette année), cette nouvelle production marque le retour à l’Opéra de Paris du célèbre opéra-bouffe qui, au sommet de la carrière d’Offenbach, triompha en 1869 au Théâtre des Variétés, pour entrer bientôt dans la pure tradition de l’Opéra-Comique.
Travestissement roi
Il est parfaitement légitime et même souhaitable, en 2024, de sortir Offenbach de la naphtaline boulevardière, vaguement égrillarde, où le bourgeois en frac du Second Empire trouvait à se divertir. Le duo des librettistes, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, ne seraient-ils pas, quelques années plus tard, ceux de Carmen (1875) ? Dramaturges, romanciers, vaudevillistes et princes de l’opérette, ces deux-là étaient les vedettes du temps. Leurs répliques en vers s’enchaînent ici avec la même aisance – « Jadis vous n’aviez qu’une patrie/ Maintenant vous en aurez deux/ La nouvelle c’est l’Italie/ L’Espagn’, cest cell’ de vos aïeux (…) Y’a des gens qui se disent Espagnols/ Et qui n’sont pas du tout Espagnols » – que les numéros de la partition – musique facile, paroles allusives qui font alors rire aux éclats, Napoléon III ayant pris pour épouse, comme chacun sait, l’ibérique Eugénie de Montijo…
Bref, redonner de l’engrais à la sève comique des Brigands ne fait pas de mal, revitaminer la veine discrètement subversive qui change ces bandits de grand chemin en métaphore des possédants et autres gens de pouvoir n’a rien d’abusif. Il faut bien reconnaître que Barrie Kosky y parvient, mais à quel prix : brillamment campé, malgré son accent, par le ténor néerlandais Marcel Beekman, le chef des brigands, Falsacappa, méconnaissable sous son obscène cuirasse de chair enveloppée d’une longue robe rouge vif, endosse l’aspect d’une hystérique drag-queen emperruquée, monstrueusement fardée, exacte copie de « Divine », l’héroïne camp du mémorable film-culte américain ultra trash de John Waters, Pink Flamingos (1972).
Le travestissement fait d’ailleurs loi d’un bout à l’autre d’un spectacle où les protagonistes vont de déguisement en déguisement (en ermites, en mendiants, en Espagnols, en marmitons…) : de là à exposer un chanteur en lycra noir sado-maso ; des prêtres derviches en chasuble, des bonnes sœurs en danseuses de french-cancan ; des marmitons en loufiats de brasserie ; des carabiniers en uniformes de gendarmes des années 1970, coiffés de képis ; une princesse de Grenade au costume calqué sur ceux des toiles de Vélasquez ? De même, l’outrance volontaire des danseurs, petits allumeurs torse et jambes nus, et qui s’embouteillent avec le chœur nombreux, dans une perpétuelle, explosive et démente saturnale… L’affichage rutilant du mauvais goût, ce carambolage des époques (dont le livret, au reste, assume la fluidité) a la vertu d’investir ce répertoire très convenu d’un peu d’acide. Corrosif ? Pas tant que ça.
L’intervention malvenue de Sandrine Sarroche
De fait, on ne suivra pas Kosky jusqu’au bout de sa logique : au lieu de se contenter de respecter le livret, le régisseur l’entrelarde, non seulement de nouveaux dialogues auxquels la plume d’Antonio Cuenca Ruiz imprime une tonalité résolument canaille, mais pour dissiper les obscurités (avérées) de cette intrigue à tiroirs aux mille rebondissements improbables, il intercale aux numéros, pour le spectateur qui serait éventuellement noyé, des digests sensés en désembrouiller la pelote. Didactisme agaçant. Mais ce n’est pas le pire. Le summum de la trivialité est atteint avec les calembours et autres gags dont notre « correcteur » se croit autorisé de farcir l’œuvre : ce n’est plus de l’opéra-bouffe, c’est de la bouffissure ! Jeux de mots sur la « ligne 7 du métro qui mène à la station Opéra », par exemple… Mais surtout, au dernier acte, la chroniqueuse et humoriste Sandrine Sarroche, surgissant sur scène dans sa mise BCBG, s’arroge un petit couplet parodique en alexandrins suivi d’un show de son cru qui, dans le rôle d’Antonio, le Caissier, changé en « ministre du Budget » (sic), lui inspire cette fable : « il était une fois un ancien banquier devenu président » – je ne nomme personne suivez mon regard. Ou, mieux encore, lui fait évoquer – ha !ha ! ha ! – le… « palais Barnier ». Empalé par le sketch, le patrimoine lyrique a rendu l’âme.
Il est heureux que les chanteurs, eux, ne la lui ravissent tout à fait. Sous la baguette du transalpin Stefano Montanari qui fait à cette occasion son entrée à l’Opéra de Paris, l’orchestre maison charge d’énergie les mélodies entêtantes et espiègles du barde national, malgré de nombreux décalages avec le chœur – mais quelle importance quand le spectacle tire à ce point vers le cabaret. Belle performance pourtant de Marie Perbost, en Fiorella, la fille de Falsacappa, tandis qu’Antoinette Dennefeld excelle dans le rôle de son amant Fragoletto, tout autant que Laurent Naouri dans celui du chef des carabiniers. Mentionnons Adriana Bignani Lesca, en Princesse de Grenade, Philippe Talbot, en Comte de Gloria-Cassis… Beaucoup des rôles secondaires étant confiés à des membres de la Troupe lyrique ou de l’Académie de l’Opéra. Ce n’est pas contre eux qu’au tomber de rideau montent, au milieu des salves d’applaudissement, les huées lâchées des balcons, mais bien contre cette régie donnée pour transgressive et qui, en somme, se contente un peu trop grassement de faire la blague, comme on dit.
Dans un des textes du programme intitulé sans rire : « Pluralité du travestissement offenbachien (sic) ; le protéiforme comme matrice », la musicienne et chercheuse Capucine Amalvy rappelle que « si nous sommes tenté.e.s (sic) par une lecture contemporaine, (…) en oscillant entre les binarités, l’œuvre tord les représentations essentialistes ». Non, vraiment, vous croyez ?
Les brigands. Opéra-Bouffe en trois actes de Jacques Offenbach. Direction : Stefano Montanari. Mise en Scène : Barrie Kosky. Opéra et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Marcel Beekman, Marie Perbost, Yann Beuron, Laurent Naouri, Matthias Vidal, Philippe Talbot, Eugénie Joneau, Leonardo Cortallazzi, Eric Huchet… Palais Garnier. Paris. Durée : 2h50. Les 24, 26, 27 septembre, 2, 3, 5, 8, 12 octobre à 19h30. (Spectacle repris du 26 juin au 12 juillet 2025).
Notre chroniqueur ne s’est jamais laissé aller à se moquer d’un élève en grande difficulté. Bien au contraire : il a toujours tâché de comprendre d’où venaient les difficultés du disciple… Il n’est pas du genre à se moquer des errances de Sébastien Delogu, bien qu’il soit ostensiblement ignare, incompétent, de culture nulle et qu’il drague l’électorat antisémite. C’est du côté de la formation du député de Marseille qu’il faut essayer de trouver les sources de ses errances — les siennes et celles de ses semblables, tous réunis à gauche, comme par un fait exprès.
Je ne suis pas de ceux qui se gaussent lorsqu’ils entendent Sébastien Delogu ânonner (un joli verbe, en ce qui le concerne) difficilement un texte qu’il a sous les yeux, ou ignorer qui était Pétain. (Quelle idée ils ont eue, à LFI, de demander à un Delogu de lire leur déclaration… Ou est-ce pour que leur électorat le plus analphabète s’identifie à un député qui ne l’est pas moins ? Ça procèderait assez du mépris dans lequel les gens de gauche tiennent les gens de peu…)
La dyslexie est un handicap dont on n’a pas à se moquer — encore que les clients de l’ancien chauffeur de taxi marseillais puissent s’inquiéter, rétrospectivement, des capacités du député des Quartiers Nord à distinguer sa droite de sa gauche. Pédagogue un jour, pédagogue toujours. Je me suis efforcé de comprendre la source de ses difficultés — et de celles de nombre de ses compagnons de route. Alors écoutez bien : Sébastien Delogu est né en 1987 — deux ans après l’apparition dans les salles de classe de Ratus, le manuel des éditions Hatier qui a permis de détruire à la source les capacités cognitives d’une génération entière : plébiscité par les « professeurs des écoles » (90% dans les années 1990, encore 80% aujourd’hui) qui avaient opté pour une méthode « idéo-visuelle » (c’est-à-dire à départ global), censée augmenter rapidement le sac de mots des élèves les plus ignares, Ratus est le modèle-type des manuels d’apprentissage du lire-écrire qui ont fabriqué à la chaîne des dyslexies « apprises », rendu presque impossible une lecture fluide, et détruit par avance la possibilité d’apprendre quoi que ce soit. Ajoutez à cela que cette génération a pris de plein fouet les consignes des pédagogues constructivistes qui se sont installés au ministère de l’Education avec Lionel Jospin, et ont inspiré sa loi délétère de 1989. Conformément à ce que préconisait alors Philippe Meirieu, gourou en chef de la secte, Delogu et ses petits camarades ont sans doute appris à lire dans les notices des appareils ménagers…
(Je dois à la vérité de dire que Meirieu, en 1999, est revenu sur ses préconisations antérieures : « Il y a quinze ans, par exemple, je pensais que les élèves défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d’emploi d’appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. Parce que j’estimais que c’était plus proche d’eux. Je me suis trompé », déclara-t-il ainsi au Figaro en 1999. Trop tard : le mal était fait, et ceux qui le suivaient aveuglément ont négligé d’ouvrir les yeux sur les désastres qu’ils provoquaient).
Parce que Delogu n’est pas le seul à appartenir à la génération Ratus. Manuel Bompard et Marine Tondelier sont nés en 1986, Mathilde Panot en 1989, Adrien Quatennens en 1990. Une belle brochette d’intellects à la dérive, tous abreuvés de pédagogies déficientes — Jean-Claude Michéa avait par avance posé le diagnostic de cette génération perdue en sortant, en 1999, L’Enseignement de l’ignorance, dont le titre résume les failles des pédagogies du désastre.
Plaignons ces purs produits du constructivisme, cette belle théorie selon laquelle l’enfant construit lui-même ses propres savoirs, ce qui leur permet en même temps d’en rester à « areuh-areuh » et d’appartenir à LFI.
En revanche, Mélenchon, Ruffin, Autain, Arenas et les autres n’ont pas cette excuse. Eux, c’est délibérément qu’ils ont opté pour La France Insoumise, arboré le drapeau des assassins palestiniens à tout propos, tenu des discours incendiaires, exhibé les photos du Lider aux illettrés dont on guignait le vote, et autres mirifiques fantaisies dont ils s’évertuent à nous prouver qu’elles sont « de gauche ». Si la droite était jadis, à en croire De Gaulle, « la plus bête du monde », la gauche a fait de son mieux pour la dépasser sur le chemin de l’obscurantisme.
À noter que nombre de « néoprofs » d’aujourd’hui, parmi les trentenaires — et la plupart de ceux que les jurys des concours ont refusé d’admettre, tant était crasse leur ignorance, mais que les syndicats voudraient que l’on intègre immédiatement comme titulaires — appartiennent à la même génération de cerveaux déglingués. Ce qui les amène, dans le plus pur respect de la loi Jospin qui régit toujours l’Educ-Nat, à écouter religieusement les discours débraillés de leurs élèves sur la platitude de la Terre, la primauté de la charia sur la loi française, l’infériorité naturelle des femmes, toutes impures, et autres balivernes qu’un enseignant sérieux (des générations antérieures) balaierait d’un haussement d’épaules : la liberté d’expression des élèves est précieuse, surtout quand il se tait.
J’habite Marseille. Quoi que j’aie du travail par-dessus la tête, j’offre à Sébastien Delogu de le prendre en cours particulier pour lui ré-apprendre le b-a-ba, le décryptage des mots et une culture de base — par exemple en lui faisant lire le texte complet de la loi de 1905 :« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Ça a quand même une autre gueule que le mode d’emploi de votre machine à laver… Répétez après moi en lisant tous les mots, élève Delogu ! Et puis allez l’expliquer aux filles voilées qui ont aveuglément voté pour vous.
Ces derniers jours, le jeune Gabriel Attal s’est cru autorisé à donner la marche à suivre à son successeur, Michel Barnier… C’est qu’il a « une histoire à écrire avec les Français », estime-t-il dans Le Point.
On excusera, je l’espère, mon ignorance et ma sottise, mais j’ai longtemps pensé que l’École Alsacienne, si réputée par ailleurs, était le lieu où se préparaient les futurs compétiteurs du championnat du monde de choucroute garnie. Il n’en est rien, m’a-t-on fait savoir.
Attal sorti de Matignon : il pédale dans la choucroute !
On me dit aussi que Monsieur Attal et tant d’autres maîtres queux de la politique actuelle seraient passés par cet établissement. Or, s’ils avaient produit quelque chose d’aussi profitable à l’humanité, au peuple de France, qu’une vraie bonne choucroute, cela se saurait. Là encore il n’en est rien.
Au vu de ce que ce même M. Attal nous montre ces derniers jours, je serais davantage enclin à imaginer que, dans les murs de ladite école, on enseignerait plutôt la suffisance, l’arrogance, la mauvaise foi et l’incorrection.
Après un petit CDD de huit mois à Matignon, après quelques séjours touristiques, je veux dire éphémères, dans divers ministères, après quasiment dix années de marcronisme actif, après surtout la déculottée électorale qu’on connaît, sanction du bilan laissé, on l’a vu lors de la passation de pouvoir entre son successeur à Matignon et lui, accaparer longuement, bien trop longuement, éhontément dirais-je, la parole. Il parlait, parlait, parlait se croyant manifestement autorisé à donner des conseils, à édicter une feuille de route – « Ceci et encore cela est sur votre bureau, Monsieur le Premier ministre » – se comportant non pas en sortant, en exfiltré pour cause d’échec cuisant mais en une sorte d’inamovible titulaire du poste, d’occupant de droit, seulement victime d’un incident de parcours, d’une parenthèse forcée.
Conseils d’ami ?
D’ailleurs ne donne-t-il pas tous les signes de n’avoir pas encore bien compris que, Premier ministre, ni même touriste-ministre, il ne l’était plus? Il se permet encore ces dernières heures de donner des consignes au successeur, de lui fixer des lignes rouges à ne pas dépasser, de lui intimer des ordres, de lui imposer une marche à suivre. Il est vrai que l’état dans lequel il laisse le pays le rend légitime à vouloir absolument imposer sa marque à tout ce monde pour aujourd’hui, demain et les temps à venir.
On pourrait penser que, les joues encore meurtries de la baffe électorale encaissée, le jeunot au petit sourire tête à claques aurait la décence, la délicatesse de se taire, l’élégance de souhaiter bon vent à l’homme d’âge et d’expérience qui a l’exemplaire courage de reprendre en main le bâton merdeux qu’il lui laisse. De toute évidence, l’école par laquelle M. Attal est passé ne lui a pas enseigné cet art-là, si appréciable en politique comme dans maints aspects de la vie en société : l’art d’agir et de réagir en ayant soin de s’imposer un minimum de classe.
Plus qu’une courte semaine pour visiter l’exposition Incursion dans l’atelier de Rougemont. Elle se tient depuis la mi-juillet quai de Conti, en libre accès, dans cette prestigieuse enceinte parisienne de l’Institut de France, qui abrite l’Académie des Beaux-arts.
L’exposition préludait à la toute récente parution, en ce mois de septembre sous les auspices des éditions Norma, d’une monographie (bilingue français-anglais) consacrée à ce protée – peintre, dessinateur, designer, sculpteur, installateur, décorateur… – que fut Guy de Rougemont, disparu il y a trois ans, à l’âge de 86 ans. Dirigé par l’émérite spécialiste américaine Gay Gassmann, préfacé par l’architecte d’intérieur bien connu Jacques Grange et nourri de contributions amies – depuis les galeristes Pierre Passebon ou Diane de Polignac jusqu’ à l’historien d’art fort érudit Adrien Goetz, en passant par l’artiste argentin Julio Le Parc – le « beau livre », de très grand format, constitue un hommage appuyé au disparu.
En 1935, Guy Joachim Edgard René du Temple de Rougemont ne naît pas dans la crotte, c’est le moins qu’on puisse dire. Sa mère descend en droite ligne de Caroline Murat, la sœur de Napoléon. Les sœurs de Guy, toutes duchesses ou princesses, seront-elles-mêmes durablement implantées dans le milieu étroit des musées, des galeries, des marchands d’art et des acheteurs fortunés… Son père, général et diplomate en poste aux États-Unis, lui aura ouvert de bonne heure l’idiome, les charmes et les réseaux de la hype society nord-américaine.
Gay Gassmann le souligne : « l’homme Guy de Rougement avait tellement de contradictions : un artiste français extrêmement fier de son héritage, un dandy qui évoluait à travers la scène parisienne avec aisance et grâce. Un enchanteur et un raconteur, qui connaissait tout le monde et ne supportait guère les imbéciles. Un intellectuel dévoué aux livres et, curieusement, un rebelle (…) Rougemont s’intéresse à tout, et tout l’inspire ».
De fait, ce « pont entre grand art et art mineur » qu’évoque le patron de la Galerie du Passage, éditeur de la Table nuage à la quelle Rougemont doit une bonne part de sa célébrité, cette passerelle (aujourd’hui tellement galvaudée, minée par les barbouilleurs du « street art »), il n’allait pas de soi d’en lancer les arches sur le fleuve des Trente Glorieuses. Gassmann, encore : « né aristocrate, [Rougemont] est en même temps, à sa façon, un militant (…) Il n’hésite pas à qualifier quelqu’un ou quelque chose de ‘’bourgeois’’ ou de bureaucratique, tout en louant le modèle familial traditionnel et conventionnel ».
Marié avec la rayonnante Anne-Marie Deschodt – laquelle fut, en premières noces, l’épouse du grand cinéaste Louis Malle – l’artiste ornera son épée d’académicien de la devise familiale : « Age quod agis » : « fais ce que tu fais ». Rougemont aura beaucoup fait, et ce sur tous les registres de la création plastique. On se souvient qu’en 1974, il « met en couleur » en PVC polychromes les colonnes du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Un an plus tôt, il érige ses « totems » à Cergy-Pontoise ou au Plessis-Robinson. En 1977, il colore l’autoroute A 4, sur 30 km, avec des sculptures bien flashy. Commandes publiques – ah, le fameux 1% artistique imposé par la bureaucratie pour « animer » l’espace urbain et paysager… Comme l’observe Julie Goy dans un des textes qui enrichissent l’ouvrage : « l’œuvre de Guy de Rougemont est à double tranchant, oscillant constamment entre une volonté de simple prolongement artistique de la ville, et une volonté de contraste, de rupture avec ce qui existe ». Un bon exemple en reste le pavage de l’esplanade du musée d’Orsay.
Ces réalisations parfaitement datées ont l’heur de ne pas éclipser quantité de productions dont rendent compte les photos ‘’pleine page’’ qui constellent ce gros livre à l’élégante couverture rigide : le grand salon iconique de Henri Samuel, composé vers 1978 au 118 de la rue du Faubourg Saint-Honoré ; le magnifique atelier de Rougemont, rue des Quatre Fils, là même où Madame du Deffand tenait salon trois siècles plus tôt ; jusqu’au bar du Mark Hôtel, à New-York, déco millésimée 2010.
Aquarelliste, Rougemont conçoit du mobilier ; désigner, il crée des couverts en porcelaine, tel ce service Arlequin, en 1992. Graphiste, il dessine l’étiquette du Château Mouton Rothschild, cru 2011… Ou encore scénographie le bureau de François Catroux, la salle à manger de Françoise Dumas ou celle du couple Jacques-Henri et Cécile de Durfort. Il décore l’appartement Dior du 30 avenue Montaigne. Ou même l’intérieur d’un jet privé, à l’occasion. Bref, ce pape du pop copain de Warhol n’en aura pas moins été, à sa manière, le pontife du chic.
Guy de Rougemont a eu droit à une rétrospective : elle remonte à 1990 – sise au Musée des Arts Décoratifs. L’aimable Adrien Goetz conclut : « il détestait l’idée d’être muséifié tout vif ». Mort, l’inclassable grand seigneur aurait-il la classe d’un classique ?
En librairies : Guy de Rougemont, par Gay Gassmann. 256p., 250 illustrations. Norma éditions, 2024.
Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne
Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »
Ère lacrymale et victimaire
Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.
Sixième roman pour Emma Becker
Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir uneœuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménageà trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »
La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade !
Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !
Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.) « L’autricenous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, lesbrisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’unefemme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo. Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.
Nouveaux départs ?
En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.
Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vied’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.
Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.
De gauche à droite, Omar Alsoumi, Sébastien Wildemann et Élias d’Imzalène. Réseaux sociaux.
L’entrisme et le séparatisme islamistes à l’hôpital progressent. Enquête sur le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza », la nouvelle alliance des soignants et des Frères Musulmans.
Le mercredi 3 juillet 2024, le parvis du Sacré-Cœur de Montmartre est occupé par un rassemblement de soignants revêtus de blouses médicales et de keffiehs. C’est le « Collectif des Blouses Blanches pour Gaza » (BBG pour les intimes) qui manifeste.
Ce phénomène est inédit à plus d’un titre : dans un pied-de-nez à l’Église de France, des soignants choisissent d’occuper l’esplanade d’un lieu de culte catholique. Ils descendent dans la rue, non pas pour alerter l’opinion publique sur la condition de nos hôpitaux, mais pour s’exprimer politiquement sur un conflit qui se joue à 3000 kilomètres de la France. Jamais des blouses blanches ne sont descendues manifester pour les victimes de la guerre du Kosovo, de l’Arménie ou du Congo… mais passons. Enfin, face au micro du média turc TRT, ces mêmes soignants sortent du principe de neutralité de la fonction publique, et revendiquent être également venus « pour faire barrage à l’extrême-droite »[1]. Quelle analyse tirer de ce gloubi-boulga idéologique ?
La création de ce collectif répond à des critères parfaitement légaux, et il nous apparaît légitime que des soignants puissent s’émouvoir de la condition de blessés de guerre ou des difficultés d’exercice du personnel médical humanitaire. À notre tour, nous sommes dans le droit de nous interroger sur l’objectif réel des BBG et d’analyser leurs discours. Nous avons décidé de participer à leurs manifestations dans le but de côtoyer leurs membres et d’écouter leurs revendications. Quel est le vrai message porté par les « Blouses Blanches pour Gaza » ?
Chez les BBG, le fréro-salafisme est administré en perfusion
Le collectif des BBG s’est constitué au lendemain de la riposte israélienne sur la bande de Gaza, à la suite de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. L’opacité règne sur les membres fondateurs de ce collectif : à peine sait-on que plusieurs soignants proviennent de l’entité PalMed (un réseau de soignants issus des Frères Musulmans[2]) ; que leur canal de discussion est un groupe interne WhatsApp (« Il ne faudrait pas que la police tombe dessus, car il y aurait de quoi nous faire tomber » s’inquiète un membre des BBG, quelques semaines avant l’arrestation d’Imane Maarifi[3]) ; et que leur seule vitrine est un compte Instagram tenu par la fille d’un des médecins du collectif, étudiante en communication.
Si les membres des BBG privilégient l’anonymat, dans une stratégie de dissimulation, dans les manifestations pro-palestiniennes, deux infirmiers s’expriment en revanche publiquement et de façon récurrente au micro d’Euro-Palestine ou d’Urgence-Palestine : Sébastien Wildemann, ex-infirmier libéral et actuel directeur des soins dans une antenne de soins à domicile d’Île-de-France ; mais, surtout, Imane Maarifi, infirmière libérale à Plaisir (78). Elle se revendique comme infirmière du réseau frériste PalMed et membre active des BBG.
Le 5 septembre, le député LFI Thomas Portes annonce sur X qu’Imane Maarifi vient d’être arrêtée à son domicile pour faire l’objet d’une garde-à-vue[4]. Relâchée dès l’après-midi, elle brandit un drapeau palestinien dans une posture victorieuse et s’exprime en story sur Instagram, en s’assurant que le commissariat soit filmé en arrière-plan. Imane Maarifi nous apprend qu’elle aurait été placée en garde-à-vue pour avoir menacé de mort des Juifs – les propriétaires des Salons Hoche (Paris 8ème), dont les lieux accueillaient un salon de l’immobilier israélien – et se réjouit que les charges aient été abandonnées, ayant pu prouver sa bonne foi. Depuis sa convocation, Imane Maarifi est célébrée comme une héroïne de guerre. Invitée sur les médias pro-palestiniens (Le Media, Paroles d’Honneur etc.), elle livre les détails de sa convocation. Nous y apprenons que les Salons Hoche auraient reçu près de 300 appels de menaces et d’apologie du terrorisme (« On va vous faire comme le Bataclan ») et que le contenu du téléphone d’Imane Maarifi serait en cours d’analyse (« Ils ont extrait ce qu’ils avaient à extraire », relate-t-elle platement. Dont le groupe WhatsApp des BBG, s’interroge-t-on ?). Enfin, Imane Maarifi s’épanche longuement sur son douloureux vécu de mère courage. Au cours de son interrogatoire, elle affirme avoir été heurtée par des questions autour de ses enfants (« Ils m’ont demandé, qu’est-ce que j’explique à mes enfants sur mon militantisme ? Qu’est-ce que je leur dis sur ce qui se passe à Gaza ? Je leur ai dit, je ne comprends pas le lien »[5]). Le lien est pourtant simple : en évoluant dans un milieu fréro-salafiste tel que celui d’Urgence Palestine, Imane Maarifi – ainsi que les autres membres des BBG – ne risque-t-elle pas de se radicaliser et d’exposer ses enfants mineurs à cette même idéologie ?
Imane Maarifi
L’étroitesse des liens entre les BBG et Urgence Palestine
Le collectif d’Urgence Palestine s’est créé, lui aussi, à la suite du 7 octobre. En se baladant sur leur site, on y découvre parmi leurs principales revendications : « Cessez-le-feu et fin du blocus immédiats », « La fin de la colonisation, de l’occupation et de l’apartheid », « Boycott, désinvestissement, sanctions contre Israël », « Soutien à la résistance du peuple Palestinien ». Nous sommes donc bien loin des aspirations supposées médicales des BBG. Pourtant, ces derniers ont un lien très fort avec ce collectif et principalement avec son leader, Omar Alsoumi, qui était à leurs côtés lors d’un rassemblement le 8 septembre sur la Place de la Nation, pour le retour du Drapeau de la Libération. De quelle libération parle-t-on ? Pas de celle des Gazaouis sous la coupe de l’organisation terroriste du Hamas. Ni de celles des otages israéliens. Depuis son départ de la Place de la République à Paris le 14 août, le drapeau palestinien en question traverse des grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg…) pour appeler à la libération de la Palestine de l’Etat sioniste !
Omar Alsoumi est né d’un père palestinien, diplômé de Sciences-Po, porte-parole de PYM (Palestian Youth Movement) : mouvement affilé au FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), classé depuis plus de vingt ans sur la liste des organisations terroristes par l’Union Européenne. Omar Alsoumi est également le fondateur de « Boussole Palestine » qui, entre autres, fait pression pour le port de l’abaya à l’école. Il était présent à la marche du 8 mars pour la journée internationale des Droits des Femmes, au cours de laquelle les femmes du collectif « Nous Vivrons » ne furent pas les bienvenues et se retrouvèrent bousculées, huées et insultées par les activistes du collectif Urgence Palestine : « Sales putes ! », « Sionistes, fascistes, vous n’êtes pas féministes » ! On a compris ce jour-là que nos BBG, dont la majorité est pourtant composée de femmes, pouvaient apparemment frayer avec des individus ayant une conception bien particulière de la cause féminine et du viol, selon que l’on soit juive ou palestinienne.
Notre enquête nous a également amené à croiser sur les publications Instagram des BBG une figure incontournable du salafisme : le Frère Élias d’Imzalène (Eli Yess Zareli, de son vrai nom), également membre actif d’Urgence Palestine. Cheveux longs souvent attachés, barbe fournie, dominant de sa hauteur la foule, Élias d’Imzalène a un sacré CV. Fiché S par les services de renseignements, prédicateur salafiste à la mosquée de Torcy – fermée en 2017 – où il appelait les fidèles à arrêter d’être « des Français légalistes, républicains et patriotes », fondateur du média « Islam et Info », co-organisateur de la Marche contre l’islamophobie en 2019 au cours de laquelle la foule avait scandé « Allah Akbar » devant le Bataclan, on a pu l’apercevoir proche de membres de La France Insoumise comme Thomas Portes, Rima Hassan, ou Ersilia Soudais, en conférence ou en manifestation. Gardons le meilleur pour la fin : dimanche 8 septembre – le fameux jour du retour du Drapeau de la Libération – il lance carrément un appel à mener l’« Intifada » (« Révolte ») : « Est-ce qu’on est prêts à mener l’Intifada dans Paris ? Pour nos banlieues, dans nos quartiers, pour leur montrer que la voie de la libération vient de nous. Qu’elle démarre de Paris, qu’elle passera par Marseille ». Ce même jour, nous le voyons remettre le drapeau palestinien à une soignante des BBG. Elle-même le remettra à Rima Hassan, la députée européenne qui avait participé le 16 août à une manifestation à Amman, en Jordanie, dans laquelle des manifestants portaient le bandeau vert de l’organisation terroriste et brandissaient des pancartes rendant hommage au chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, tué le 31 juillet à Téhéran.
Si Urgence Palestine a tout du réseau pro-Hamas, qui réunit à la fois antisémites et islamistes, qu’en est-il alors des BBG ? Nos Blouses Blanches ont des étranges fréquentations – Élias d’Imzalène, Omar Alsouni, Rima Hassan – qui ne peuvent que nous interroger sur la vraie nature de leurs revendications.
Si tu suis l’Esprit Soumoud, les fers à lisser et Freud tu boudes !
Dans un live diffusé en août sur le compte Instagram des BBG, Imane Maarifi présente le podcast « Esprit Soumoud ». Ce podcast présente le travail de deux psychologues voilées et membres des BBG : Najat Najari-Balhag et Ismahene Laidaoui. Abdelghani Boudik, créateur du podcast « Ramadan », s’occupe de la technique. Par le passé, Ismahene Laidaoui est intervenue à l’Institut D’Clic de Bobigny, fief du salafiste Nader Abou Anas, lui-même disciple d’Yves Leseur, aujourd’hui appelé Cheikh Ayoub, Français converti au Pakistan et figure de proue du salafisme français[6]. Le podcast d’« Esprit Soumoud » est la mise en lumière de l’UESCP des BBG, à savoir l’Unité d’Écoute de la Souffrance Coloniale en Palestine.
Au micro d’« Esprit Soumoud »[7], les deux psychologues rejettent « le fantasme de la neutralité du psychologue » et appellent leurs confrères à une posture militante « avant-gardiste et anticoloniale ». La lutte de Najat Najari-Balhag et d’Ismahene Laidaoui tient de ce qu’elles appellent « la décolonisation des esprits », car – en s’appuyant sur leur propre interprétation du livre de Frantz Fanon, les Damnés de la Terre – elles estiment que la santé mentale ne peut être dissociée du combat politique. L’une d’entre elles, issue d’une famille militante du FLN, explique la continuité qu’elle voit entre la guerre d’indépendance algérienne et celle qui se déroule sur la bande de Gaza. Dans une posture de rejet de toute influence coloniale, les deux femmes expliquent avoir arrêté de se lisser les cheveux (cette pratique étant perçue comme un « signe de beauté caucasienne » : « Je me blanchisais dans mon identité », dit l’une d’elle), revendiquent le port du voile (verbalisé comme un outil de lutte contre l’assimilation française), le retour à la religion, la lutte contre les violences policières et le port de signes distinctifs pro-palestiniens, tels que la pastèque ou le keffieh. À leurs patients pro-palestiniens, elles se présentent « comme une alliée » ; de leur identité, elles affirment qu’elle est « arabo-musulmane » ; de leur difficulté à porter le voile dans la fonction publique, elles se disent « salies par un extérieur qui a tort ». Plus inquiétant, elles remettent en question leur socle de formation universitaire (« La psychologie clinique, la psychanalyse, les concepts tels que le complexe d’Œdipe, ça ne pouvait pas faire sens avec ma culture ») ; elles rejettent les théories de Freud, vues comme une lecture occidentale de l’esprit qui ne concernerait pas la psyché et donc les problématiques des patients de culture arabo-musulmane. Elles concluent : « La colonisation des esprits, c’est nier les différences de cultures comme d’autres nient la différence des couleurs ». Placé sous de tels auspices, l’avenir de la santé mentale en France s’annonce préoccupant.
Imane Maarifi et Ismahene Laidaoui
Les BBG sous tension : la crainte de l’AMIF
L’AMIF. L’Association des Médecins Israélites de France. Ces quatre lettres reviennent en boucle dans les rangs des membres des BBG. Lorsqu’elles sont évoquées dans les manifestations pro-palestiniennes, les nuques se raidissent, et le ton monte. Pour nos militants, le projet est clair : pour pouvoir perdurer, l’objectif premier est d’abattre l’AMIF. Pourquoi ?
Depuis le 7 octobre, des soignants pro-palestiniens peuvent faire la propagande de leurs opinions antisionistes sur les réseaux sociaux. Ces dérives sont signalées à l’AMIF, qui porte plainte et envoie les brebis galeuses au Conseil de l’Ordre pour y être sanctionnées. Depuis, la menace que représente l’AMIF est prise très au sérieux, et les BBG ont donc décidé d’agir. On tente d’approcher des membres du Conseil de l’Ordre pour adoucir la situation, valoriser l’engagement pro-palestinien, expliquer que les Gazaouis sont des victimes et les Israéliens des génocidaires… Une tentative d’influence courtoise, toujours avec sourire et bienveillance, bien sûr. Rappelons que les Facultés de Médecine sont déjà prises d’assaut par un syndicat frériste[8], l’OMAS, qui s’évertue à placer ses pions sous la forme d’étudiants radicalisés. Plus que jamais, le Conseil de l’Ordre doit donc rester vigilant pour ne pas basculer, lui aussi, sous l’influence des Frères Musulmans ou de soignants acquis à la cause du Hamas. Une chose est sûre : avec l’augmentation croissante des propos antisionistes voire antisémites dans le corps (para)médical, la lutte ne fait que commencer. Et la Chambre Disciplinaire du Conseil de l’Ordre risque bien de devoir recruter…
Panique morale dans la presse ce matin, où l’on feint de croire que le gouvernement de Michel Barnier est affreusement conservateur
À peine nommé, le gouvernement Barnier provoque la polémique. La chasse aux sorcières réacs est ouverte. C’est l’acte II de la comédie antifasciste. Il y a deux mois, on luttait contre le fascisme imaginaire du Rassemblement national. Aujourd’hui, la gauche et le centre hurlent au retour de l’ordre moral. Dans leur ligne de mire, une dizaine de ministres trop conservateurs, c’est-à-dire trop cathos, en particulier Bruno Retailleau (lequel, entre autres crimes, a été autrefois proche de Philippe De Villiers). Les médias de gauche, toujours prompts à assurer la police de la pensée, dressent la liste noire : il y a ceux qui ont voté contre le mariage pour tous, ceux qui étaient contre la constitutionnalisation de l’IVG, ceux qui ont signé une tribune favorable à l’école privée (il va falloir dénoncer tous les Français qui y inscrivent leurs mômes). Il ne manque qu’un ministre amateur de corrida ! Libération, organe central de la gauche culturelle, titre ce matin sur le « pacte réac ».
Le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure dénonce un gouvernement réactionnaire en forme d’ « insulte à la démocratie ». Quant aux néo-féministes, elles sont déchaînées. Selon la militante Caroline De Haas, « Macron donne le pouvoir à des anti-IVG, des homophobes et des transphobes ». Plus étonnant, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal somme le nouveau de s’engager à ne pas toucher à la PMA et aux droits des LGBT. Ce que Michel Barnier a d’ailleurs fait sans barguigner sur France 2 hier soir.
Peut-on comprendre ces inquiétudes ?
Non. Je ne les comprends pas et je ne les crois pas parce qu’eux-mêmes n’y croient pas. Cette question sociétale est un leurre, une diversion. Personne n’a l’intention de revenir sur le mariage pour tous ou de restreindre le droit à l’IVG. Et tout le monde le sait. Mais pour tous ces beaux esprits, la liberté de pensée, c’est quand on pense comme eux. Tous ceux qui osent afficher des opinions conservatrices devraient être éliminés de la vie publique. Précisons par ailleurs qu’on pouvait être contre le mariage pour tous sans une once d’homophobie. Qu’on a le droit d’être personnellement hostile à l’IVG, sans vouloir la remettre en cause. Qu’on a le droit d’être pour la prudence s’agissant de changement de sexe d’adolescents. Et enfin qu’on devrait avoir le droit d’être catho sans se faire traiter de noms d’oiseau. On ne sait pas qui la gauche et l’Attalie comptent mobiliser avec ces sujets dont la majorité des Français se fiche éperdument. Gabriel Attal veut-il se poser en patron des futurs frondeurs qui entendent mener la vie dure à Barnier ? Peut-être veut-il rappeler que, s’il s’apprête à soutenir un gouvernement de droite, et probablement à voter un budget d’austérité, il est toujours dans le bon camp, le camp progressiste. Pour l’intérêt du pays, on repassera.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin
Michel Barnier a formé son gouvernement. La gauche protestataire continue de prétendre qu’on lui a volé l’élection. La droite récupère d’intéressants ministères dont l’Intérieur. Le bloc macroniste se révèle de plus en plus fissuré.
La formation du gouvernement Barnier ne s’est pas faite sans difficulté. A l’heure où celui-ci est enfin connu, rares sont ceux qui parient sur sa longévité. Non que Michel Barnier soit un mauvais choix. Au contraire. En des circonstances aussi critiques, sa désignation relève d’une forme de sagesse. Il laisse le psychodrame permanent à LFI et à la gauche, le rôle de la drama queen à Jean-Luc Mélenchon. Lui réinstalle une image plus « vieille France » de l’incarnation politique, et nous lui en sommes tous gré. C’est un homme de devoir qui se tient devant nous et cela nous change. Pour autant, si les Français ont applaudi ce choix, le Premier ministre devenant dès sa nomination « personnalité politique préférée des Français », tous les comportements de la classe politique montrent qu’ils en sont déjà au coup d’après et même au coup d’après le coup d’après…
Le palais de l'@Elysee a annoncé, samedi 21 septembre 2024, la nomination du Gouvernement de @MichelBarnier.
En effet, l’épisode de la composition du gouvernement prouve bien que nos politiques n’ont pas conscience de notre situation collective. Les appels à la responsabilité des uns et des autres ne sont que des postures. Personne n’est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l’avenir du pays. Voilà pourquoi aucun poids lourds de la politique n’est venu. Pour donner le coup de talon qui fait remonter à la surface, encore faut-il avoir touché le fond. La conscience de ce qui nous menace et la réalité de notre déclin n’est pas encore suffisamment forte pour déplacer les lignes de force, rendre possible ce qui ne l’était pas, pensable ce qui paraissait inatteignable. C’est peut-être au pied du mur qu’on voit le maçon, mais c’est quand ils sont incrustés dans les briques que les politiques se révèlent. Nous n’y sommes pas encore, ce qui signifie que les ambitions personnelles des uns et des autres sont plus fortes que l’appel à un hypothétique sens des responsabilités. En politique, on voit souvent les catastrophes venir de loin mais on n’opère les changements nécessaires qu’après l’effondrement. Car c’est souvent seulement à ce moment-là que les gens acceptent de prendre leur perte. Il faut dire que c’est souvent parce qu’elle s’est réalisée. La nécessité du changement de logiciel se fait sentir bien avant l’impact, mais la réalité du changement dans l’action arrive en général après.
Ainsi ce gouvernement n’offre quasiment aucune grille de lecture. On se rapproche du mur mais on ne mange pas encore les briques. Ceux qui le composent ont des histoires trop légères et pas assez signifiantes pour transmettre un quelconque message à la nation. Ils sont pour la plupart des inconnus, ce qui ne présage pas de leur capacité, mais ne donne pas une idée très claire de ce que porte ce collectif gouvernemental. A force de ne vouloir heurter personne, il est pour l’heure dépourvu de ligne de force et les soupçons de la gauche lui tiennent lieu de capacité de fermeté.
Le résultat de 15 jours de tractation est d’ailleurs conforme à la feuille de route fixée : ne pas trop crisper la diversité des alliés. Michel Barnier, expérimenté et capable de trouver des compromis dans la tension, comme il l’a prouvé avec le Brexit, possède les qualités nécessaires, mais il va falloir compter avec un président sans colonne vertébrale ni vision, susceptible de tout et surtout de n’importe quoi et un Gabriel Attal qui pense le pouvoir suprême à sa portée et attend que la décomposition du PS lui permette d’arrondir sa pelote En marche. Bien sûr, il est de bon ton dans la période d’insister sur la nécessité d’un gouvernement de large rassemblement, d’union nationale.
Mais pour cela encore faut-il savoir pour quoi ou contre quoi se fait cette union. Contre le RN, selon la logique du front républicain ? Il aurait alors fallu porter au pouvoir un parti, LFI, qui a remis la dynamique antisémite au cœur de la constitution de son électorat et fait de la haine des Juifs un levier politique. Il aurait alors fallu porter au pouvoir une gauche qui a fermé les yeux sur la trahison de son histoire et de son honneur, une gauche qui surtout n’a pas gagné les élections. Et puis quid du RN. A côté de LFI et de ses outrances, le parti parait très assagi, mais comment justifier une participation ou un soutien quand on a mobilisé tout l’imaginaire de la Seconde Guerre mondiale pour inviter les Français à « faire barrage » au fascisme, comme si on assistait au retour d’Hitler à travers les succès du parti de Marine Le Pen. Quand un pays est aussi divisé et que les clivages ont été exacerbés, seul le sentiment à la fois de la menace et de la nécessité peut faire retrouver le chemin du commun. Nous sommes tombés bas, mais nous n’en sommes pas là.
Vieux réflexes
Les vieux réflexes politiciens sont donc revenus. D’un côté, à droite de l’échiquier, on a l’habitude de gouverner. Lorsqu’on lui confie les rênes, sa logique n’est pas forcément le partage, elle lui préfère la cohésion politique. De l’autre, la macronie, n’est jamais parvenue à incarner un courant de pensée défini. La désormais très grande faiblesse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron a fait ressurgir les rivalités et l’expression très diverse de sa majorité, chaque élément du puzzle se projetant déjà vers la présidentielle.
Le nouveau gouvernement se retrouve donc en situation extrêmement précaire car à sa majorité très relative s’ajoute une pression constante en son sein et autour de lui. La gauche, de façon assez ridicule, ne cesse de hurler au déni de démocratie. Alors que non seulement elle n’a pas de majorité, mais surtout qu’elle n’a pas su se mettre en ordre de marche. Elle s’est même ridiculisée en allant chercher une parfaite inconnue pour une fonction aussi importante dans un temps si particulier. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle n’aura de cesse de protester, installant un (très) mauvais climat au parlement. « L’heure est grave, l’extrême droite est aux portes du pouvoir » nous dit-elle, mais ça ne la contraint aucunement à la retenue, sans parler de tenue. Elle hurle aussi à la « droitisation », laissant entendre un recul sociétal généralisé sur les droits des homosexuels, l’IVG, la PMA… Or, aucun de ces droits n’est menacé. Alors, pourquoi ce jeu malsain ?
Parce que quand vous n’avez ni projet, ni idée, ni même une direction, résoudre des problèmes qui n’existent pas ou que vous créez pour l’occasion est une des meilleures méthodes pour mobiliser des militants et vous targuer d’immenses succès. Succès d’autant plus appréciables qu’ils ne vous ont rien coûté, puisqu’ils sont en trompe-l’œil. Le meilleur exemple récent de cela est la constitutionnalisation de l’IVG. Le droit n’était pas menacé, la constitution n’est pas le catalogue du désirable mais la référence en matière d’organisation des pouvoirs, donc n’est pas faite pour sanctuariser ce type de droit, mais qu’importe, l’essentiel est que l’on a fait croire aux Français qu’il venait là de s’accomplir un grand geste politique. Alors que le seul vrai grand geste politique revient à Simone Veil. C’est cette tactique à la Gribouille qui est mise en œuvre par la gauche. Cela consiste à hystériser certains dossiers en faisant croire aux groupes concernés que leurs droits sont menacés : droits des homosexuels, accès à la PMA. Puis on hurle que l’on ne laissera rien passer. Ce qui est facile puisque rien n’est en route. Et enfin on explique que l’on a écarté le danger, grâce à sa mobilisation. Cela permet d’occuper le terrain, sans travailler, sans réfléchir, sans agir réellement, mais on marque des points auprès de ses groupes cibles, tout en travaillant à instituer une méfiance généralisée et à distiller un sentiment de menace dans les groupes minoritaires. Le sociétal se prête parfaitement à ce genre de manipulation.
Pendant ce temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont plutôt discrets
Michel Barnier, en plus de gérer une majorité éruptive et une gauche protestataire stérile, doit également faire avec les grands vainqueurs des Européennes et des législatives, le Rassemblement national. Lui n’a qu’à regarder les choses se déliter en évitant les erreurs. Il sait qu’il est potentiellement le prochain vainqueur. Son mauvais score au second tour des législatives n’est dû qu’à un nouvel et ultime (?) réflexe de barrage construit sur la culpabilisation. Mais lutter contre le soi-disant fascisme auprès d’authentiques antisémites a porté un vrai coup à un dispositif fondé sur une certaine idée du bien en politique. Idée qui a été durablement piétinée.
La faiblesse de la majorité relative à droite, voulue par le président de la République, est aussi liée à cette donnée de départ qu’est l’exclusion, voire la stigmatisation de 11 millions d’électeurs ayant porté leur choix sur des élus du RN. Le Premier ministre n’est pas non plus aidé par une Assemblée nationale qui, au lieu de prendre acte du poids démocratique des élus du RN, a préféré largement l’exclure des distributions de postes à responsabilité.
En résumé, tout le monde explique que la crise démocratique traversée, voire institutionnelle, oblige à la responsabilité, mais en réalité personne ne prend réellement les mesures en rapport. Ce tableau laisse penser que la bonne volonté du Premier ministre ne sera pas suffisante, mais nul ne lui en voudra de ne pas réussir là où il ne pouvait qu’échouer. Le seul point qui mette tout le monde d’accord est que le responsable de tout cela est un président qui n’a jamais réellement su se mettre au diapason d’une fonction qui, en concentrant tant de pouvoirs, dirige toutes les flèches contre elle en cas de difficultés. Pire, à chaque fois que crise il y eut, il a donné le sentiment que lui seul pouvait comprendre et apporter une réponse appropriée. De ce constat découle une conséquence naturelle : il est le problème. Dans ces conditions il est très probable que le Premier ministre ne soit que l’un des derniers éléments du chemin à parcourir pour faire décanter la situation. Il s’agit d’accumuler les échecs pour que les cartes puissent être totalement rebattues et redonnent ainsi à un nouvel élu, la légitimité d’agir. Tout le monde parie donc que le président démonétisé sera contraint de redonner la parole au peuple. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre d’autre du gouvernement Barnier que l’établissement d’un budget et la gestion des affaires courantes. Espérons néanmoins qu’il conserve ce style plus apaisé qui évitera que la prochain épisode ne se déroule dans un trop grand tumulte.
Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis quarante ans. L’homme est aussi un pionnier: il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.
Après deux mois d’exil sur l’île de Ré, j’ai hâte de retrouver « mon » Paris, celui des bistrots, des petits commerces et des marchés en plein air. Dès mon retour, j’irai ainsi déjeuner au Bistrot du Sommelier, boulevard Haussmann, en face duquel vivait Marcel Proust il y a un siècle. Cette institution parisienne a été créée il y a quarante ans par Philippe Faure-Brac, un sommelier de 24 ans né à Marseille. Sacré meilleur sommelier du monde à Rio en 1992, Philippe est un grand monsieur du vin unanimement respecté et qui, en plus, ne joue pas « perso », mais aide et encourage les futurs jeunes sommeliers.
À l’époque, les grands crus n’intéressaient pas grand monde, on buvait du « pinard » en carafe, surtout du rouge, et l’image du sommelier était vieillotte. En créant son bistrot, Philippe Faure-Brac a voulu rendre le monde du vin plus accessible et stimulant. Il était un pionnier : « Rendez-vous compte, je servais le soir de la Romanée-Conti au verre, à 50 francs le verre ! Avec mon chef Laurent Petit (futur trois étoiles Michelin à Annecy), nous avons été les premiers à proposer des menus dégustation autour du vin, c’était vraiment nouveau à l’époque. »
Filet mignon de cochon en croûte de chorizo, chou rouge aux épices et nuage de persil, servi avec une Romanée-Conti 1971.
En ce temps-là, les sommeliers parisiens n’allaient pas dans le vignoble mais se contentaient de bien gérer leurs caves. « Pour moi, aller à la rencontre des vignerons a toujours été une source d’inspiration. On ne buvait que du Bordeaux, du Bourgogne et un peu de Champagne… »
Aujourd’hui, un sommelier digne de ce nom se doit de faire le tour du monde et de tout connaître. Son cerveau a mémorisé des milliers d’informations aussi bien théoriques que sensorielles.
Ces connaissances, Philippe Faure-Brac les a, plus que tout autre, mais c’est avant tout un homme qui sait faire du vin un objet de partage et d’union, loin des modes et des querelles de chapelles. Je vous recommande ainsi d’aller chez lui le vendredi soir : à la fin du dîner, vous le verrez entonner a capella Brel, Bécaud, Nougaro et Lama, face à des clients ahuris et enchantés.
On va aussi au Bistrot du Sommelier pour découvrir les pépites qu’il sait chiner, comme ce somptueux Pouilly-Fumé de la vigneronne Marielle Michot, un vin exceptionnel, salin et tranchant, élevé « à l’ancienne » dans des fûts de chêne de 500 litres, qu’il propose par exemple pour déguster un lieu jaune juteux parfumé à la citronnelle et accompagné d’un risotto de courgettes aux gambas.
Charles Aznavour venait souvent le voir. « Un jour, dans ma cave, il me dit : “De toute façon, il n’y a pas meilleur que Château Pétrus” (il ne buvait que ça). Je lui dis : “Monsieur Charles, vous pourriez boire autre chose”, et je lui sers un verre à l’aveugle. Il le hume, le goûte, prend la bouteille et regarde l’étiquette, c’était une Côte Rôtie de Guigal cuvée “La Turque”… En voyant ce mot, il me foudroie du regard, quelle gaffe je venais de faire, lui, l’Arménien d’origine, je ne savais plus où me mettre ! Aznavour part dans un coin, prend le temps de goûter, puis il revient vers moi, l’œil brillant : “C’est tellement bon qu’on peut oublier l’Histoire !” »
Malgré sa célébrité, Philippe Faure-Brac continue de servir lui-même les vins et les plats, toujours au taquet… il est là, présent en salle, comme l’étaient ses parents et ses grands-parents restaurateurs à Briançon. Il a gardé intact en lui l’amour de ce métier si dénigré.
Dans les années 1980, les œnologues étaient tout-puissants, on croyait que l’on pouvait faire de grands vins en cave grâce à la technologie, mais on a très vite pris conscience que c’était une illusion : « Le grand vin résulte d’une somme de détails : le soin apporté à l’environnement, à la vie des sols, au végétal, à la cueillette manuelle, au tri des raisins… On a compris que les grands vignerons étaient des paysans, des gens de la terre qui savent observer la nature. »
Je m’ouvre à lui sur ces jeunes sommeliers qui ont si souvent tenté de me fourguer du jus de raisin fermenté en guise de vin. « En effet, les vins d’aujourd’hui sont faits pour être bus jeunes. 90 % des vins produits sont consommés dans l’année. La vérité est que les grands vins ont besoin de temps pour se complexifier, pour digérer ce qu’ils ont reçu de leur terroir, l’ivresse qu’ils procurent au bout de quinze ans est extraordinaire. Je pense par exemple aux vins de Jean-Louis Chave, sur l’appellation Hermitage, dans la vallée du Rhône. »
Et la rivalité Bordeaux-Bourgogne ? « La Bourgogne triomphe depuis 2005. Elle a su affirmer une vision. Les Bordelais, eux, ont un problème : c’est le négoce chargé de distribuer leurs vins, ils se sont coupés du goût des consommateurs. En Bourgogne, le vigneron vous accueille alors qu’il est sur son tracteur… Clairement, à Bordeaux, la qualité technique est au rendez-vous, mais il faut aller au-delà, il faut retrouver de l’émotion, être plus à l’écoute du terroir, préférer l’infusion à l’extraction, donner une touche humaine. J’aime bien les vins du Domaine de l’A de Christine et Stéphane Derenoncourt en Côtes de Castillon. J’aime aussi les Pomerol de Jean-Marie Bouldy à Pomerol. »
Au Bistrot du Sommelier, les plats sont superbes, à l’image du poulpe confit au safran ou du veau taillé dans le quasi nappé d’un jus à la truffe… Une vraie leçon de gastronomie car, selon Faure-Brac, les chefs amoureux du vin sont devenus très rares : « Autrefois il y avait Alain Senderens, un génie des accords avec qui j’ai beaucoup travaillé. Très peu de cuisiniers ont encore cette sensibilité. »
Alors autant en profiter. Les grands vins sont essentiellement mystérieux et laissent un intarissable souvenir.
Le Bistrot du Sommelier 97, bd Haussmann, 75008 Paris Menu à 41 euros. Dégustation de deux vins surprises : 18 euros. www.bistrotdusommelier.eu