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Le triton est une sirène comme une autre!

Et vice-versa…


Le triton est une sirène comme une autre!
Pratique du mermaiding dans une piscine à Dusseldorf, Allemagne, janvier 2023 © Martin Meissner/AP/SIPA

La radio publique a bien changé en cinquante ans. Si France Musique continue de proposer de belles émissions sur la musique classique mais aussi sur le jazz, la musique contemporaine, l’opéra, etc., et de superbes concerts dirigés par de grands chefs d’orchestre, France Inter est devenue une station politiquement et exclusivement « progressiste », selon le propre aveu de sa directrice Adèle Van Reeth. France Info, quant à elle, dégoise en continu une information plus ou moins subtilement orientée, comme sa consœur précédemment citée, à gauche. Mouv est une radio essentiellement à « destination des jeunes » – ce qui avertit instantanément sur le niveau intellectuel et culturel attendu. Mais le changement le plus important concerne la radio culturelle du service public, France Culture. Il fut un temps où il était impossible de se tromper : il y avait un ton et un esprit qui distinguaient France Culture de toutes les autres radios, publiques ou privées – on peut encore les découvrir ou se les remémorer en écoutant les Nuits de France Culture, lesquelles proposent la rediffusion d’anciens, voire très anciens enregistrements d’émissions littéraires (dernièrement sur Pessoa), de fictions radiophoniques, de lectures de romans, de conférences savantes (dernièrement sur Péguy), d’entretiens passionnants, etc.

Les pieds sur terre…

Dans la journée, en revanche, c’est de plus en plus souvent le grand n’importe quoi. Nombre d’émissions, portant sur des sujets dans « l’air du temps » et entrelardées de « respirations » musicales consternantes, ne se distinguent plus de celles de n’importe quelle autre station de radio moderne. L’idéologie progressiste y a bien sûr fait son nid, comme presque partout. France Culture propose par exemple en ce moment de découvrir les podcasts de l’écolo-féministe Salomé Saqué nous expliquant « comment s’indigner » en prenant pour modèles… Christiane Taubira, Adèle Haenel ou Greta Thunberg, ou d’écouter un reportage sur le mermaiding, cette activité aquatique venue des États-Unis et consistant à nager avec une queue de sirène en guise de palme. Coincé dans les embouteillages, nous avons trente minutes à perdre – nous écoutons par conséquent ce reportage sur… les Sirènes et les Tritons.

Marie-Ange confie à France Culture avoir voulu être danseuse étoile lorsqu’elle était plus jeune. Mais la discipline de la danse classique lui est apparue trop dure, trop exigeante. Après avoir travaillé quinze ans à Disneyland Paris, elle a décidé de devenir une sirène et de pratiquer ce fameux mermaiding. Redoutant les profondeurs marines, elle se contente pour le moment des piscines pour secouer sa « jolie queue de sirène » dans tous les sens. Marie-Ange a sans doute instinctivement compris qu’on ne saurait se contenter, sur France Culture, de cette simple description. Sachant que l’époque est au déballage de « valeurs », quelles qu’elles soient, notre sirène d’eau douce évoque soudain des « valeurs de liberté et de solidarité avec ses amies sirènes et ses amis tritons » sorties d’on ne sait où. Mais, glougloute-t-elle emportée par son élan, « j’écoute d’abord ce qui est important pour moi et j’ose dire non. Je ne dis pas oui alors que j’ai envie de dire non ». Nous ne saurons jamais de quoi il retourne. Après une ultime plongée en apnée dans les eaux chlorées, notre sardine des piscines assure qu’il y aura « peut-être un jour des sirènes avec des tatouages et le crâne rasé » et que ce sera « ok en fait, car être sirène, ça permet d’affirmer cette authenticité et de pouvoir l’affirmer au grand jour ». Un corps de poiscaille, un QI de bigorneau, une éloquence de palourde… tout se tient !

Idées vaseuses

Après les sirènes, les tritons. Au micro de France Culture – nous disons bien et répétons : France Culture – Kewin explique qu’il a participé au premier concours Mister Triton en 2019 où il s’est présenté revêtu d’une nageoire composée d’écailles bleues et dorées. Il l’a emporté haut la queue et a reçu en guise de trophées un trident de deux mètres et une couronne de coquillages. Timide, il affirmait à l’époque que « l’avantage, quand on est sous l’eau, c’est qu’on n’a pas trop besoin d’interagir ». Aujourd’hui, il nage avec sa fille, lui en triton, elle en sirène, pour la plus grande joie des autres nageurs qui s’extasient devant la performance familiale. Quant à Romuald, Mister Triton en 2023, il confie au même micro s’être « toujours senti comme un poisson dans l’eau ». Monsieur La Sirène – c’est, dit-il, son nom officiel de triton – ondule de la nageoire dès qu’il a un moment à lui. Il aime les colliers de perles, les nageoires qui en jettent et les bracelets dorés. Il recherche le « côté glamour », ajoute-t-il avec une voix fluette. Son rêve ? Nager dans un aquarium avec des poissons. « Ça fait forcément rêver les gens. » Nous ignorons où il est allé chercher ça.

Ce calamiteux reportage nous a permis au moins de découvrir une nouvelle espèce de mutants, celle des triples buses aquatiques, scindée en deux branches, la femme-buse-sirène et l’homme-buse-triton – en attendant les sous-branches, les rameaux trans : la femme-buse-triton et l’homme-buse-sirène, Romuald, alias Monsieur La Sirène, nous ayant déjà donné un petit aperçu de ce dernier. La fluidité aqueuse dans laquelle s’ébrouent ces nouveaux spécimens correspond assez exactement à la fluidité intellectuelle qui règne dans certaines mares universitaires ou médiatiques. Ici et là, on clapote gentiment en gargouillant des âneries sur la promesse narcissique d’être « soi-même » ou de découvrir « son être authentique ». On patauge dans la fluidité de genre et dans l’indistinction totale – moteurs d’un nombrilisme autorisant toutes les manipulations, toutes les mutilations, toutes les aberrations. Ce retour à l’amphibien est symptomatique – il présage un retour à la case départ, c’est-à-dire dans la vase. Notons enfin que, comme un fait exprès, ou comme un signe, le reportage sur ces batraciens d’un nouveau genre a été supervisé par une dénommée… Lucie Tétard.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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