Y avait-il une seule bonne raison pour libéraliser le marché des paris sportifs ? Quelle est la genèse d’une décision politique ? Qu’est-ce qui la motive, qu’est-ce qui la suscite ? Existe-t-il une demande des Français ? Entendait-on mugir dans nos campagnes le ressentiment national ?
La France fonctionnait sur un modèle qui accordait à une entreprise le monopole des jeux d’argent (les paris hippiques étant confiés à une autre) : quand on ne peut pas interdire, tentons d’organiser. Ce système assurait à l’État une rentrée d’argent, de sorte qu’en principe, les travers communs devaient aussi contribuer au bien commun.
Il y a quelques temps, la Commission Européenne s’est mis en tête d’exiger la libéralisation de ce marché et son ouverture à la concurrence. Pour quel bénéfice ? Avec quelle vision ? Le droit de la concurrence n’a pas pour vocation de protéger la concurrence, ni les concurrents, mais le consommateur.
La France a tout d’abord renâclé. Pour le principe, peut-être. Par suspicion pour les jeux d’argent. Puis elle s’est soumise. « Nous n’avons rien demandé, a affirmé Jean-François Copé lors du débat parlementaire. Nous sommes en deuxième lecture sur un texte que nous sommes obligés d’adopter en raison de la réglementation communautaire. »
« En raison du manque de contact direct entre le consommateur et l’opérateur, les jeux de hasard accessibles par l’Internet comportent des risques de nature différente et d’une importance accrue par rapport aux marchés traditionnels de tels jeux en ce qui concerne d’éventuelles fraudes commises par les opérateurs contre les consommateurs. »
En conséquence, la Cour estime qu’un État membre a le droit d’interdire l’activité d’entreprises qui proposent des jeux de hasard sur internet.
Lâcheté donc, qui consiste à reporter sur l’Europe une décision politique que l’on n’assume pas.
Double lâcheté. Car on invoque aussi internet, qui est en passe de rivaliser avec l’Europe en termes de défausse politique : à quoi cela servirait-il, nous dit-on, donc d’interdire les paris sportifs, puisqu’il suffit de se connecter sur un site maltais pour s’y adonner ? Les débats parlementaires en portent trace : ils seraient des milliers, des dizaines de milliers à parier aujourd’hui sur des sites illégaux. Alors… légalisons ! Depuis quand le fait que l’illégalité soit répandue constitue-t-elle un argument en faveur de la légalisation ? Surtout à droite ?! Depuis le travail dominical, me direz-vous peut-être. Passons… Cet argument ne manque pas d’évoquer l’irritant « nous sommes des millions, ils veulent faire de nous des pirates » des tenants du téléchargement illégal. Nous parlons en effet là du même pouvoir politique qui se prévaut d’une capacité à filtrer internet lorsqu’il s’agit de protéger les droits d’auteurs (et des majors) et qui s’affirme impuissant à restreindre l’offre illégale de jeu. Quelle est la cohérence ? On craint de ne la trouver que dans l’intérêt financier…
Le projet de loi maintient certes l’idée d’une participation au bien commun, spécialement via l’investissement dans les structures sportives. Et l’on souligne aussi que les sociétés de paris ne manqueront pas de venir sponsoriser davantage les équipes de football. Chic, le sport pourra ainsi continuer de se vautrer dans le fric. Quel est le bénéfice par rapport à la situation antérieure ? Nous aurons simplement plus d’opérateurs. L’accès aux paris sera plus aisé ? Quel progrès !
On peut même penser qu’il sera encouragé, facilité, promu. Il n’y a pas, dans le projet de loi, de dispositions relatives à la règlementation de la publicité. Alors que, pour le vin, qui peut également conduire à une addiction, le législateur va jusqu’à définir quels types de publicités sont admissibles sur le net, pour les jeux, l’autorité de régulation instaurée par le projet de loi « peut » réglementer la publicité. Lorsqu’on sait que les sociétés de paris en ligne n’ont pas attendu que leur activité soit légale pour en faire la publicité sur les sites de presse, on imagine quel respect elles auront de ces dispositions, à supposer que celles-ci soient jamais édictées.
Au-delà même de l’objet de ce texte, on ne se soucie plus tant de démontrer qu’un choix politique serait bon. Qu’il serait favorable au bien commun, à l’intérêt général. On n’ose plus le faire. Alors on l’adopte pour des raisons dogmatiques – l’addiction à la libéralisation – pour ne pas dire obscures et, pour éluder le débat, on présente ce choix comme le fruit de contraintes extérieurs. Double lâcheté politique, triple préjudice : du fait de l’addiction, de l’atteinte à la décence ordinaire qui voit dans le travail la source du revenu, et de la défiance du politique, qui finit en pantin d’impératifs extérieurs.
On se rend compte que l’on commence à vieillir lorsque les jeunes femmes vous regardent dire certaines choses, sans comprendre, et avec de grands yeux écarquillés. Par exemple je vous invite à demander « On se regarde une VHS? » à une demoiselle née après 1985… vous risquez le bide ! Ou encore à lâcher négligemment: « Tout cela ne vaut pas un numéro de l’Heure de vérité avec Georges Marchais ! »… il est fort probable que l’incompréhension soit totale, surtout si vous en rajoutez une couche sur François-Henri de Virieu !
Ainsi, qu’est-ce que la jeunesse peut comprendre au charabia d’une dépêche AFP diffusée en janvier 1986 et ayant pour titre « Pierre Mauroy sur minitel » ? C’est pourtant la très jolie découverte que je viens de faire en furetant dans les archives de la grande maison de la Place de la bourse… vantant la nouveauté d’un abyssal et nébuleux service télématique nommé 3615 Gauche assistée par ordinateur (GAO). La dépêche nous apprenait que ce service « informatique » avait été « lancé conjointement par quatre clubs de gauche : Priorité a gauche, La Mémoire courte, Gais pour les Libertés et Espaces 89 » et permettait à « chacun de poser une question à une personnalité pour obtenir une réponse personnelle ».
L’AFP nous précisait fièrement qu' »aucun secteur n’était épargné par la curiosité des minitellistes » Ces coquins de minitellistes! « On m’a demandé mon poids « , a soupiré M. Mauroy … Mauroy ? C’est qui ce Mauroy ? C’est un ancien premier ministre socialiste et un maire de Lille, ma chérie Et c’est le père de Martine Aubry, comme Jacques Delors, enfin je crois… Et ça veut dire quoi « socialiste » ? Laisse tomber, petite, c’est de la préhistoire ancienne… Et le Minitel, c’est quoi ? Un mauvais rêve.
Jean-Joseph Weerts, Marat assassiné ! 13 juillet 1793, 8 h du soir, 1880.
Exposer la guillotine à quelques dizaines de mètres de L’Origine du monde de Courbet : Robert Badinter et Jean Clair ont eu cette audace dans « Crime et châtiment », l’exposition qu’ils signent au musée d’Orsay. Plus pudiques que le peintre communard, Badinter et Clair ont jeté un léger voile noir sur la « Veuve » qui accueille les visiteurs. Trois décennies après sa mise à la retraite, la nudité de « Louisette », même devenue une pièce de musée, aurait choqué. Cette reconversion rappelle de surcroît que l’engin de mort et le musée sont contemporains. L’inauguration du premier musée public en France, le Louvre, précéda d’un an le premier usage de la guillotine : ainsi ces deux faces d’une culture en pleine mutation sont-elles réunies à Orsay.
Pour la voir, notre regard doit non seulement percer ce crêpe de soie translucide, mais lever les multiples voiles dont les images l’ont couverte : du criminel au politique, de l’histoire au voyeurisme, de la tête de Louis XVI à celle de Hamida Djandoubi[1. Condamné pour meurtre et exécuté le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi fut le dernier à subir en France la peine capitale. ], la machine du docteur Guillotin nous hante depuis deux siècles. Plus qu’une réflexion sur la justice, « Crime et châtiment » est un chantier archéologique des représentations : littéraires, ainsi que le suggère son titre ; scientifiques, car de la quête de la bosse du crime à celle du gène de la délinquance, les savants cherchent depuis toujours à percer le mystère de Caïn ; et, bien sûr, visuelles.
[access capability= »lire_inedits »]Le talent de Jean Clair éclate dans le mariage somptueusement orchestré de l’histoire des idées et de celle des arts. Des chefs-d’œuvre de la peinture jettent une lumière crue sur notre imaginaire collectif du crime, du châtiment et de la justice, en particulier sur sa part la plus sombre, faite de fascination et de brutalité plutôt que de compassion et de repentir.
Dans cette exploration de l’économie symbolique du visuel, deux mains invisibles sont à l’œuvre. La première, induite par le choix de commencer l’histoire à la fin du XVIIIe siècle, est celle d’une profonde métamorphose puissamment ressentie par les contemporains. C’est le moment où émergent de nouvelles classes sociales : la bourgeoisie et les ouvriers, futurs prolétaires. Derrière la Révolution française, omniprésente dans l’exposition, s’en cache une autre : la révolution industrielle, c’est-à-dire la rencontre – vite transformée en confrontation −, sans précédent par son intensité et son importance numérique, entre riches et pauvres dans l’espace urbain. Le Paris de l’époque était certes ancien par son nom, mais radicalement nouveaux par sa sociologie. Les peurs et les fantômes engendrés par cette cohabitation nouvelle sont insinués par chaque objet, chaque image, chaque mot de l’exposition. Comment comprendre l’acception moderne du mot « crime » sans se rappeler qu’il fut employé par un groupe social (la bourgeoisie, pour aller vite) pour en criminaliser un autre (les pauvres, pour aller encore plus vite) ? Le sentiment d’insécurité installe durablement dans les villes, et avec lui l’idée que le mal est un phénomène sociologique et anthropologique.
Derrière les œuvres qui se répondent, s’encouragent et parfois se défient d’une salle à l’autre, on devine l’action d’une autre main cachée, ou plutôt d’une paire de mains, celle d’Anne-Marie Grosholtz, plus connue sous le nom de Mme Tussaud, qui façonna dans la cire un imaginaire dans lequel nous baignons encore. Cette artiste de génie fut parmi les premières à imaginer des objets et des mises en scène de cire qui permettaient, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, aux habitants de villes de trouver un exutoire à leurs nouvelles angoisses et de projeter leurs nouvelles peurs. Dans les années 1760, le médecin suisse Philippe Curtius, officiellement oncle de Mlle Grosholtz, quitte Berne et ses activités médicales pour s’installer à Paris, où il expose ses représentations en cire de personnages célèbres. Dans ses expositions permanentes boulevard du Temple (ou du Crime !) et au Palais-Royal, Curtius – aidé par sa jeune apprentie-protégée – propose au public, dans son « Salon de cire » ou « de figures », deux « cabinets », l’un exposant des statues de cire des célébrités de l’époque et l’autre, « Le Cabinet des grands voleurs », de célèbres criminels. Dans la première salle, on pouvait contempler la Du Barry, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. Dans la seconde, la principale attraction était Antoine-François Desrues. Condamné à mort pour avoir empoisonné Mme de La Motte et son fils, il avait été publiquement exécuté (roué) en place de Grève par le célèbre bourreau Sanson. Pour compléter ce joyeux mélange dans le spectacle des célébrités du « peuple », du crime, du monde intellectuel et de l’Histoire, Curtius expose aussi la chemise portée par le bon roi Henri IV le jour où Ravaillac l’a poignardé. Boulevard du Temple, théâtres et « cabinets » participent ainsi à l’évolution d’une société de spectacle où la dimension visuelle prime.
Le public ne s’y est pas trompé. Le succès de ces célébrités de cire témoigne de la nouvelle vision du monde qui est en train d’émerger. Ainsi, le 12 juillet 1789, une foule massée dans les jardins du Palais-Royal et chauffée par un discours de Camille Desmoulins « emprunte » les bustes de Necker et du duc d’Orléans – tous deux considérés comme des amis du peuple – et les porte, sur des piques, en tête d’une manifestation. Quarante-huit heures plus tard, ce sont deux autres têtes, des vraies cette fois, qui sont portées au bout de piques : celles du gouverneur de la Bastille et du prévôt des marchands. Tout en se défendant d’avoir participé à ces lynchages, Curtius n’a jamais caché sa participation à la prise de la Bastille en tant qu’officier de la Garde nationale. Après l’émeute, les têtes coupées ont été apportées à Mlle Grosholtz, la future Madame Tussaud, pour qu’elle en crée des copies en cire. Plus tard, elle exécutera le buste de la princesse de Lamballe, de Philippe-Egalité et même un masque mortuaire de Louis XVI. Un continuum s’établit entre le spectacle, l’exposition et la représentation d’un côté et la rue, le politique et le réel de l’autre. Le XIXe siècle n’est pas encore né, mais nous sommes déjà entrés de plain-pied dans la modernité.
À Londres, où Mme Tussaud s’installe en 1802, son travail ne cesse de renforcer ce continuum, de tisser cet imaginaire qui est toujours le nôtre. La Révolution, objet historique complexe, devient dans ses expositions un cabinet d’épouvante où la guillotine joue un rôle central. Le spectateur de l’époque éprouve un frisson d’horreur et de plaisir en même temps. Les révolutionnaires, Robespierre en tête, sont représentés par Mme Tussaud comme des monstres. Cette manière de représenter les acteurs de la Révolution n’est pas étrangère au fait que, dans le cinéma populaire, surtout anglais, du XXe siècle, les bourreaux – vilains ou pervers – arborent une cocarde tricolore et les victimes/héros sont plutôt du côté de l’aristocratie. Mais bien avant cela, il existait des passerelles entre la production de Mme Tussaud et d’autres représentations. Ainsi, la jeune nièce de Curtius fut parmi les premières à arriver sur la scène du meurtre de Marat et c’est d’après ses masques mortuaires que le peintre David réalisa son tableau-icône, l’une des images les plus emblématiques de la Révolution. Et pour boucler la boucle, le patron de presse Arthur Meyer, propriétaire du Gaulois, se tournera vers le caricaturiste Grévin pour lancer le musée de cire dont l’Histoire de France sera l’une des salles les plus populaires. Pour des générations de petits Français, la scénette de l’assassinat de Marat par une Charlotte Corday toute de blanc vêtue, exposée au musée Grévin, fut l’image même de l’Histoire : un film d’horreur qu’on regarde en se cachant les yeux, mais en écartant un peu les doigts. Ceux qui, devenus adultes, iront visiter « Crime et Châtiment » ne pourront pas user de cette échappatoire. Dans le miroir que sont les œuvres présentées, ils ne pourront se soustraire au spectacle des bas-fonds de l’âme humaine, qu’elle soit celle des juges ou des assassins.
L’exposition »Crime et chatiment » est présentée du 16 mars au 27 juin 2010, au musée d’Orsay. À lire le magnifique catalogue de l’exposition, édité par Gallimard et le musée d’Orsay : Crime et châtiment, de Jean Clair, 49 €.
Tant pis pour mon CV d’archéogauchiste, voire de stal grand teint, j’avoue ne pas avoir la religion de l’impôt, enfin de tous les impôts. Et quand certains, comme Manuel Valls , proposent de liquider simultanément le bouclier fiscal et l’ISF, j’ai l’impression qu’on va plutôt dans le bon sens –à condition bien sûr de ne pas se contenter de ça n’y même de s’arrêter à une banale tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu.
Tout d’abord l’ISF : d’humeur sportive aujourd’hui, je commencerai par plaider contre moi-même : il va de soi que l’argument selon lequel il faut l’abolir parce que nos voisins européens l’ont fait est irrecevable. Ou alors on interdit illico la corrida et les fromages qui ne sont pas en plastique- et puis tant qu’à faire, on réintroduit le droit du sang dans la constitution, comme chez nos bons voisins allemands. Non en vérité, s’il faut en finir avec ces vaches sacrées, c’est parce que les sommes en jeu relèvent de la petite bière.
L’ISF rapporte grosso modo trois milliards par an et le bouclier fiscal coûte à la louche un demi milliard. Une peccadille absolue au regard des ponctions budgétaires générées par les niches fiscales (un manque à gagner de 70 à 75 milliards d’euros par an -dont plus de 20 millards pour la seule niche Copé sur les cessions de parts!). Il faudrait aussi se pencher sur les niches sociales, qui regroupent toutes les exemptions de charges salariales et surtout patronales qui s’élèvent à 33 milliards – à eux seuls, les allègements de cotisations des entreprises sur les bas salaires ont coûté 22,8 milliards d’euros en 2009. C’est bien sûr de ce côté-là qu’il faut chercher l’argent. Pas par présupposé idéologique, mais arithmétique, tout bêtement parce que c’est là qu’il est.
On m’objectera que les niches fiscales et sociales créent de l’emploi, ou le protègent. Foutaises, ou quasi comme. En l’occurrence, elles protégent surtout les marges bénéficiaires et les dividendes. Si j’étais un libéral authentique, j’imagine que je serais épouvanté à la seule idée qu’une entreprise qui fait des profits bénéficie en même temps d’exemptions de charges, ne serait-ce parce que ça fausse le jeu de la libre concurrence mondiale, et puis surtout parce que c’est nous qui paye. Quant à l’intérêt de ces cadeaux Bonux en matière d’emploi, on vient d’en avoir une démonstration évidente avec l’impact zéro de la baisse de la TVA dans la restauration.
Autre piste sérieuse pour faire rabouler le pognon, la lutte contre la fraude. La fourchette basse de l’évaluation de la fraude fiscale et sociale se situe entre 29 et 40 milliards . Il faut savoir que l’ensemble des personnels des secteurs concernés (fisc, mais aussi URSSAF ou Inspection du Travail), ne cessent de se plaindre des diminutions de personnel ou de l’absence d’investissements de modernisation. Ce qui fait que par exemple, les contrôles se concentreront plus sur les salariés (fastoche) que sur les professions libérales (long et compliqué). Mais chacun sait que les médecins ou les avocats ne fraudent jamais le fisc…
Bref, des chantiers à ouvrir, il y en a. A terme on pourrait même, en s’y attelant sérieusement résorber sans trop de casse le déficit budgétaire ou celui de l’Assurance-maladie. Mais à gauche comme à droite, on préfère se focaliser pour ou contre des gadgets insignifiants comme le bouclier ou l’ISF, dans lesquels j’ai de plus en plus de mal à voir autre chose que des leurres. Le fait que la quasi totalité des forces politiques hexagonales soit d’accord sur les dogmes liés à l’Europe ou à l’entreprise sans jamais oser nous dire ce qu’il y a dedans augure mal d’une telle remise à plat.
Certes on parlera beaucoup de niches dans les jours à venir, mais parions qu’on se contentera d’en parler. Les capitaux privés financés sur fonds publics ont de beaux jours devant eux. Ça s’appelle le libéralisme à la française.
Rachida Dati aura finalement été l’élément le plus romanesque de ce demi-quinquennat sarkozyste où l’indécence l’aura disputé au ridicule et le machiavélisme de pacotille à la mauvaise lecture de Christian Salmon sur le storytelling, ce dernier d’ailleurs n’ayant fait que découvrir la lune avec cette théorie qui rhabille hâtivement d’oripeaux pseudo-scientifiques l’antique nécessité pour tout pouvoir de créer sa propre mythologie.
La politique, même en ces temps de Twitter et de Facebook, de virtualité anglo-saxonne et de protestantisme merkellien larvé, vous aurez beau faire, c’est une question de corps, de présence charnelle, d’incarnation. Surtout en France. C’est pour cela que Jospin a perdu : pas assez de corps comme on pourrait le dire d’un Chinon. Et que Villepin a ses chances comme Royal a eu les siennes. On sent qu’ils ne sont pas que des pixels, ceux-là, qu’ils n’existent pas seulement par la grâce des écrans. Qu’ils sont encore en trois dimensions, ce qui devient rare.
Et Rachida Dati, elle, aura été le corps le plus désiré, le plus haï, le plus fantasmé, le plus scruté, le plus méprisé, le plus célébré, le plus moqué, le plus envié de tous ceux qui participèrent à cette comédie de la rupture où Sarkozy qui voulait retrouver la cause du peuple sombra surtout dans la cause du people jusqu’à la catastrophe risible de ces jours-ci sur la rumeur relatives à d’éventuels déboires sur le couple présidentiel.
Dans les cités, la rumeur, c’est un groupe de rap. À l’Elysée, la rumeur, c’est une méthode de gouvernement pour se dégager d’élections catastrophiques, de fronde chez les godillots puisque apparemment, ces jours-ci, même les caves du centrisme se rebiffent avec Hervé Morin dans le rôle de Maurice Biraud. Pour faire oublier aussi les crispations autistes sur le bouclier fiscal, les ouvriers délocalisables pour des paies de 137 euros et ceux qui un peu partout menacent de faire sauter le bastringue puisque le bastringue n’est plus à eux.
Mais revenons à Rachida. C’est fou ce que Rachida aura été utile. Et utilisée. Instrumentalisée, même.
J’ai déjà dit ici toute la sympathie paradoxale que m’inspirait, bien malgré moi, l’ancienne Garde des Sceaux, à l’origine d’une des politiques les plus répressives en matière de justice depuis 1945 et à un redécoupage de la carte judiciaire à la mitrailleuse lourde des contraintes budgétaires. J’ai aimé l’idée qu’elle ait vaincu tous les déterminismes comme seules savent le faire les beurettes qui ont décidé que justement, parce que tout était contre elles (misère économique, oppression grandfratriarcale, aliénation religieuse), il fallait être impitoyable, sans scrupule comme une force qui va. J’ai aimé l’idée de retrouver en elle cette rage maitrisée de mes anciennes élèves. L’humiliation et le sentiment d’injustice, chez les meilleures d’entre elles, ça donne des Jeannette Bougrab, des Fadela Amara, des Rachida Dati, des Nora Berra. Autant dire des invincibles. Le choix de servir la droite, chez ces femmes, est d’ailleurs logique puisque la gauche sociétale les a plus ou moins trahies en voulant les cantonner dans des postures victimaires. Et Rachida sur le perron de l’Elysée en 2007, lors de la photo de groupe du gouvernement, parachevait bien cruellement une défaite totale de la deuxième gauche et de son ethnodifférentialisme à la sauce compassionnelle.
« Regardez-moi, a dit Rachida arrivée au sommet, regardez mon corps. Tout a été fait pour le refouler, pour faire de lui un invisible, un tabou, un refoulé comme pour tant de mes sœurs ; eh bien moi, je vais l’exposer, le faire exulter, lui donner l’écrin des robes de grands couturiers, me féminiser jusqu’à l’insolence. Je vais jouer la provocation, à la fois sexuelle (je suis une belle femme seule, arabe, et j’assume) et sociale (j’ai réussi, je fais ce que je veux). Et si vous n’êtes pas content, c’est le même prix pour vous et le même pris pour moi. »
Qu’elle se retrouve maintenant au cœur de cette pantalonnade présidentielle est à peine surprenant. Se rappeler que si Rachida a rendu son corps si insolent, elle n’a fait que copier son mentor présidentiel. Lui, ce qui lui arrive ces jours-ci et dont il joue si bien n’est que l’aboutissement de la confusion qu’il a entretenu depuis le début de son mandat entre les deux corps du Roi, aurait dit Kantorowicz, c’est-à-dire le charnel et le politique, le privé et le public.
Dans les romans noirs, il faut toujours une femme fatale, une méchante. Elle est souvent brune, d’ailleurs, chez les grands auteurs (Chandler, Goodis, Thompson) s’opposant à la blonde archangélique et rédemptrice. Rachida était donc idéale pour le rôle de la traitresse, la jalouse, la rancunière. Vous n’imaginez tout de même pas la délicieuse princesse gaulliste au charme corrégien Nathalie Kosciusko-Morizet à la tête d’on ne sait quel complot pour discréditer la présidence sous prétexte qu’elle aurait été reléguée à des sous-secrétariats d’Etat aux missions hypothétiques. Ni Valérie Pécresse, icône d’un certain bcbg versaillais, qui, partie pour la plus grande gloire du Chef à la boucherie électorale en Ile de France, en aurait conçu une légitime rancœur. Trop vieille France pour ça.
Non, on vous le répète : la méchante est brune, et extrêmement sexuée, avec un corps dont on sait tout ou presque. Qu’il a été soumis à un mariage quasi forcé en 1991, qu’il a porté un enfant dans une surexposition médiatique qui a montré à quel point les hommes de pouvoir et les journalistes demeurent de gros beaufs aux blagues grasses. Un corps qui rit avec ses copines au téléphone quand il se retrouve dans un placard doré au Parlement européen et qui avoue son ennui comme il avoue ses plaisirs.
C’est donc la faute de Rachida.
Comme c’est tout de même un peu gros, la First lady incarnant l’aile bobo-sociétale du régime[1. Quand on entend parler Carla Bruni, on trouve que Marine Le Pen est de gauche.] corrige le tir et assure que Rachida ne peut-être à l’origine de la rumeur, que ce n’est pas son genre. Peu importe si elle est démentie aussitôt par notre vieil ami Squarcini[2. Célèbre idéologue antiterroriste connu pour avoir réduit à néant une dangereuse cellule dormante de philosophes corréziens.] de la DCRI qui assure qu’une enquête a bien été demandée en haut lieu pour chercher l’origine de la chose. Il faut dire que tout cet appareil politico-médiatique, de même qu’il fut longtemps fasciné par le corps de Rachida et oubliait les suicidés dans les prisons, aujourd’hui oublie la crise et laisse table ouverte à ce remake de Splendeurs et misères des courtisanes, à moins que ce ne soit celui des Feux de l’amour parce que tout cela est tellement peu français, quand on y pense, que l’on a davantage l’impression d’être au Texas que chez Balzac.
Rachida, évidemment, survivra à tout cela. On peut comme le très fair-play Hortefeux, le doigt sur la couture de son pantalon sarkozien, obéir illico presto aux ordres énervé du Palais et lui retirer voiture, agents de sécurités et téléphone portable, elle s’en remettra. Elle a été habituée à des punitions plus mesquines puisqu’elle faillit se faire virer de son lycée pour indiscipline. Et puis une 607, ça va, ça vient.
Elle, elle pourra s’en passer sans problème parce que contrairement à tout ce petit monde qui la lapide ces jours-ci, elle n’a pas été élevée dans le coton de la bourgeoisie.
Et elle sait ce que marcher à pied veut dire. Ce qui est toujours utile dans les traversées du désert.
« Les bases de la République ont sauté : la mixité sociale n’existe plus. On a construit une société de classe, de statuts, de privilèges, dans laquelle on favorise des clientèles politiques et non pas une mobilisation collective pour réussir. »
Olivier Besancenot
Jean-Luc Mélenchon
Eric Zemmour
Jean-Paul Delevoye
Des indices :
Olivier Besancenot est actuellement occupé à mater une scission dans le Vaucluse (département de la candidate voilée) et à stopper l’hémorragie militante du NPA.
Jean-Luc Mélenchon est interdit de médias pour les mille ans à venir puisqu’il est Front de Gauche et qu’il a dit son fait à un jeune impétrant journaliste avantageux.
Eric Zemmour est actuellement en fuite et il est recherché activement par la police de la pensée.
Il resterait bien le doux Jean-Paul Delevoye, maire UMP de Bapaume qui vient de voir son mandat de médiateur de la république prorogé d’un an. Mais, non, n’est-ce pas, ce n’est pas possible… Il n’oserait pas, tout de même…
Insoluble « affaire Zemmour » ! Le coupable est la seule victime, et pourtant il ne peut s’en prendre qu’à lui-même… À moi Miss Marple, et le colonel Moutarde !
Le plus épatant, dans cette affaire, c’est qu’elle ait tant tardé. Depuis des années, le vibrion s’agite dans tous les sens et dans des médias toujours plus nombreux. Il y multiplie à plaisir aphorismes nauséeux® et prises de position directement contraires aux droits de l’homme et du cheval d’arçon.
Pourquoi avoir ainsi invité cet ennemi des libertés à s’exprimer devant tout le monde en toute liberté ? C’est qu’il y a de la demande, hélas ! Après avoir testé successivement la droite et la gauche, puis les deux ensemble dans toutes les positions, quarante millions d’électeurs se retrouvent, ces temps-ci, un peu blasés. En témoignent bien sûr le taux d’abstention record aux récentes élections régionales ; la remontée du FN qui – surprise ! – n’avait pas plus disparu que les problèmes qui l’ont créé ; et même, dans un autre registre[1. « Dans un autre registre » ? Voire… Je m’étonne qu’aucun politoLOlogue n’ait songé à accuser Zemmour de la remontée du vote FN.], la percée médiatique de Zemmour, le Croisé sarrazin.
[access capability= »lire_inedits »]Sans doute faut-il l’ardeur d’un néophyte, même de deuxième génération, pour clamer encore ce que les « vieux Français » fourbus n’osent même plus marmonner. Sans doute faut-il désormais des anars de droite pour remettre en cause la soumission à l’autorité mise en évidence en 1963 par les expériences du Pr Milgram[2. Et encore avant, semble-t-il, par le chancelier Hitler, et encore récemment par France 2, avec son putassier « Jeu de la mort » (en fait, un doc à grand spectacle démago et tout pourri).]. Encore ne s’agissait-il là que de science ; dans l’affaire qui nous occupe, l’autorité est carrément « d’ordre moral ».
Sans tomber directement sous le coup de la loi – malin, le singe ! –, le discours zemmourien ne cesse de violenter les valeurs les-plus‑fondamentales de la République, comme le droit de proclamer qu’il fait nuit en plein jour ou celui, pour les hommes, d’être des femmes comme les autres (cf. Monty Python, La Vie de Brian, XI, 3).
Mais c’est seulement au bout de toutes ces années que le CSA, les ligues de vertu et Le Figaro se sont émus de conserve. Et de quoi, s’il vous plaît ? Là est le comble du paradoxe : même pas d’une saillie plus scandaleuse qu’à l’ordinaire ; de l’énoncé d’un fait. « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. »
Une « intuition » aussitôt confirmée, sur son blog, par l’avocat général Philippe Bilger[3. L’homme par qui j’aimerais être jugé, pour peu que je commette un crime.] : « Je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles, et parfois criminelles, à Paris, et il ne pourra que constater la validité de ce fait. » En disant ça, l’excellent homme savait de quoi il parlait – mais pas l’essentiel : ce qui allait lui tomber sur le coin de la tronche. Le 24 mars, dans « L’Objet du scandale », il était mis à la question par le térébrant duo Miller-Bonnaud. Et dès le lendemain, il était convoqué par son supérieur, le procureur général, comme un vulgaire Zemmour par son Mougeotte…
Alors ? Affaire de médias, affaire de mœurs, affaire d’État ? Les trois, mon objecteur ! Toute vérité n’est pas bonne à dire, dès lors qu’elle risque de heurter la sensibilité d’une minorité sensible.
Pour éviter à l’avenir de tels débordements, il convient de légiférer. Je propose le vote solennel, par les deux assemblées réunies en Congrès, d’une loi ayant valeur constitutionnelle. La « Loi sur la Vérité », ça sonne bien, non ?
Du coup, n’importe qui ne pourrait plus se laisser aller à énoncer comme ça, publiquement, n’importe quel fait. En revanche, bien entendu, la liberté d’opinion resterait protégée et même élargie ! Idéalement, dans une démocratie digne de ce pseudo, Zemmour devrait pouvoir balancer impunément à BHL que la plupart des juifs sont des dealers, ou au président du CRAN que les Noirs sont décidément un peu nombreux dans les médias.
Mais je m’égare… C’est la faute à Bilger, aussi, et à ses arguties sur les « faits » qui, en vérité, sont parfaitement hors sujet. En fait de faits, le chœur des faux-culs a fait mine de comprendre l’inverse de ce que disait Zemmour pour mieux s’en indigner.
Vérifiez par vous-mêmes auprès des « vraies gens », si vous en connaissez. Ce que le public d’attention moyenne aura retenu, c’est quoi ? Pour Zemmour, la plupart des Noirs et des Arabes sont des trafiquants ! Ou, encore mieux, les Nègres et les bougnoules, c’est pas sa tasse de thé.
Bref, il passe désormais auprès d’eux pour un gros raciste. La simple mention de son nom les hérisse, furieux et humiliés qu’ils sont par ce qu’on leur a dit qu’il avait dit d’eux…
Eh bien Eric, regarde-moi, je fais mes yeux sérieux : tu as le devoir de lutter contre cette « forgerie » ! Au-delà de ta personne, il y va de l’idée de cohésion nationale à laquelle tu prétends être si attaché. Allez, ça ne va pas te plaire, mais je le dis quand même : je rêve d’un Petit frère bis, version optimiste ! Pour défendre les mêmes thèses, tu y mettrais en scène d’honnêtes citoyens amoureux de la France, et pourtant d’origine chelou.
− Ça relève plutôt du passé !, tu me diras.
– Ta Mélancolie française aussi !, répondrai-je du tac au tac.
– Justement, je suis pas d’un naturel optimiste, enchaîneras-tu.
– Et alors, trancherai-je, t’as qu’à dire que ton narrateur est optimiste ! Dans un roman, on peut tout se permettre, non ?
En attendant, permets-moi un instant de me la jouer solennelle, comme Miller & Bonnaud toute l’année : aucun Français issu de l’immigration ne devrait se sentir exclu de la communauté nationale par tes propos – même scandaleusement trafiqués. Et pour tout dire, ta phrase, même avant son « inversion satanique », était déjà un peu sèche.
Compte tenu du climat de tension actuel (et vraisemblablement destiné à durer), des francs-tireurs comme toi n’ont pas intérêt, ni même le droit, de rater leur cible. « Feu sur les ours savants de l’antiracisme », bien sûr ! Mais pas au risque de blesser des innocents et de tirer contre ton camp.
Les responsables du désordre établi, tu l’as déjà dit et écrit, c’est pas les saisonniers de Lampedusa ou de Calais. Ce sont nos gouvernants infoutus, depuis trente ans, et comme génétiquement, de conduire une politique cohérente en matière d’immigration[4. Comme d’ailleurs, dans d’autres domaines, que seule la place nous empêche d’aborder ici.].
À ta décharge[5. Y en a même, chez les humoristes humanistes, qui t’appellent « Détritus ». Yo !], je reconnais volontiers que des truc simples comme ça, c’est pas évident à faire passer à la télé. Chez Ardisson, bien sûr, on t’aurait coupé au montage en moins de temps qu’il n’en faut pour démentir. Chez Durand, c’est pas mieux : apparemment, ses deux flics en plastique ont le droit de poser toutes les questions sans être obligés contractuellement d’écouter les réponses. Fallait voir le pauvre Eric s’échiner en vain à leur faire entendre une idée simple : c’est le droit du sol qui rend indispensable l’assimilation[6. Le droit du sang, c’est plus coulant…]. Non, ces gens-là ne veulent entendre que l’utopie qui les nourrit. Ni sol ni sang, ni assimilation ni intégration : juste « accueillir toute la misère du monde » – et même un peu plus s’il y a de la place ! Bien sûr que c’est aberrant, et alors ? Bien sûr que Rocard disait le contraire ; mais aussi, t’as vu où ça l’a mené, pour finir ?
Il a pas un métier facile, le Zemmour ! Vous me direz : il l’a bien cherché… Mais moi qui l’ai connu avant vous[7. En 1989, au Quotidien de Paris, t’as mieux ?], je peux témoigner d’un truc : il n’a pas choisi son credo comme un créneau. Le mec a observé, enquêté, lu, réfléchi même…
Le pire, pour lui, c’est qu’il a conclu à la tradition – au sens où elle s’oppose à l’utopie. A l’en croire, la politique ne consiste pas à inventer le meilleur des mondes ; juste à éviter le pire. Même que, d’après lui, la question se serait déjà posée dans l’histoire du monde, y compris au niveau de la France…
Alors, quoi ? Zemmour, martyr de ses idées ? N’exagérons rien. L’ouragan CSA-Figaro-Licra ne l’a pas emporté. Reste la semonce de France Télévisions : la liberté d’expression, paraît-il, ne peut se concevoir que « dans le respect des valeurs du service public ». À Eric, désormais, d’en tirer les leçons qui s’imposent – notamment sur la longueur de sa laisse médiatique.
S’il se calme, il peut encore aspirer à devenir l’Alain Duhamel des années 2030 – avec sourire, Solex et cerveau coordonnés. Le genre à justifier toutes ses erreurs par sa déontologie : drapeau blanc, je suis l’ONU de la Pensée !
Après la tempête, sur I>Télé puis chez Ruquier, ce béjaune d’Eric a reconnu, très ému, « avoir perdu [son] calme » chez Ardisson. Les deux fois, j’ai craint qu’il ne s’effondre : mais non ! Il s’est arrêté juste à temps, après avoir montré qu’il ne savait pas trop bien comment marche la télé, c’est dire à quel point il était resté humain.
Dieu veuille qu’il ne se calme pas plus que ça ! Nous avons besoin de rebelles, et Zemmour en est un. La preuve : il préfère les Stones aux Beatles ! Le rock qui va en taule plutôt que la pop décorée par la Reine.
Pour autant, n’allez pas croire que je partage toutes les idées de ce monsieur. Moi aussi, je peux prendre mes distances ! Quand par exemple, dans Mélancolie française, il se prend à désespérer de l’avenir de la France, je dis non ! « Le désespoir en politique est une sottise absolue », comme disait, heu, Charles Maurras.
Tiens, au fait, c’est bon pour Zemmour, ça : si un vieux collabo, sourd et mort de surcroît, le traite de « sot », c’est qu’il ne peut pas être tout à fait mauvais. Moi, en revanche, je suis mal pris, avec ma citation à la con…[/access]
L’administration Obama a décidé de rayer du vocabulaire officiel du Conseil national de sécurité des Etats-Unis les mots « jihad » et « islamisme extrémiste ». Voilà une excellente nouvelle, comme aurait dit le brave soldat Chveik. En effet, ce qui n’est pas désigné par son nom par la plus puissante nation du globe cesse du même fait d’exister. Il reste aux historiens à trouver des formulations adéquates pour caractériser les inspirateurs et les exécutants des attentats du 11 septembre 2001. Un truc du genre : « Des avions détournés par des jeunes des cités planétaires influencés par une interprétation radicale de l’une des religions monothéistes ont percuté le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington ». Les militaires engagés en Irak et en Afghanistan devront se creuser la cervelle pour dénommer ceux qui se font sauter au milieu des population civiles. Jadis, nos braves soldats engagés en Indochine et en Algérie ne faisaient pas dans le détail : ceux d’en face, c’étaient les « salopards ». Cela ne garantit pas la victoire, mais ça soulage.
On savait que déjà depuis les Grecs que l’exercice du pouvoir peut provoquer l’hubris, une démesure proche de la folie qui peut mener ceux qui en sont atteints au bord de l’abîme, et même au-delà.
On constate aujourd’hui, en observant le comportement de notre président de la République, qu’un autre danger menace les détenteurs de la charge suprême : devenir stupide, pour rester poli.
On s’était déjà interrogé, au moment du procès Clearstream, sur ce qui avait poussé Nicolas Sarkozy à tenter d’obtenir la mise à mort judiciaire d’un ex rival déjà politiquement terrassé.
Le plaisir de voir son pire ennemi pendu à un symbolique croc de boucher est éphémère et ne rapporte pas gros en terme d’estime de la part de ses concitoyens : la vengeance fait partie des passions tristes définies par Spinoza. Elle ne vous grandit pas aux yeux des autres, alors que la clémence appliquée avec discernement peut vous élever au dessus du commun des mortels et renvoyer au néant ceux qui ont cherché, sans succès, à vous détruire par de vils stratagèmes. On a pu voir le résultat de cette obstination procédurière : un Villepin relaxé par le tribunal et politiquement requinqué, susceptible de faire trébucher Nicolas Sarkozy en 2012 en le privant, au premier tour, de voix de droite bien nécessaires en ces temps troublés et incertains.
Le traitement de « l’affaire des rumeurs » par l’Élysée est un nouvel élément venant conforter la théorie du pouvoir-qui-rend-con (foin de précautions oratoires, car à ce niveau de cafouillage, un adjectif plus policé ne correspondrait pas à la gravité de la situation).
Un jeune crétin qui gagne péniblement son bifteck en bloguant pour un sous-traitant du Journal du Dimanche trouve subtil de balancer sur le site de ce journal la rumeur qui traîne dans tous les dîners en villes de la capitale sur de supposées infidélités conjugales réciproques du couple présidentiel avec des personnalités connues du show biz et de la politique. La rumeur fait le tour de la planète, et reçoit l’onction de journaux réputés sérieux dans les principaux pays européens. La presse française s’écrase, mais ne peut rien contre le buzz parti sur le web comme une fusée.
De l’Élysée, on n’entendra rien pendant plusieurs semaines, à l’exception d’une phrase de Nicolas Sarkozy en réponse à une question d’un journaliste-morpion anglais lors d’une conférence de presse commune, à Londres, avec Gordon Brown. « Je n’ai pas une seconde, même une demi-seconde, à perdre avec ces élucubrations », avait-il alors déclaré. C’était le 12 mars 2010, et il eût été sage de s’en tenir là : quelle que soit la réalité de la relation conjugale qu’il entretient avec son épouse, il est parfaitement en droit de refuser de faire état publiquement de sa vie privée dans l’exercice de ses fonctions politiques. Mais en même temps que le président de la République prononçait ces définitives paroles, on s’activait dans l’ombre, en son nom, pour découvrir qui pouvait bien être à l’origine de ces rumeurs. Le premier à être mis sous la pression élyséenne, par l’intermédiaire de son grand patron Lagardère, fut Olivier Jay, directeur de la rédaction du JDD. S’il existe, dans notre profession, quelqu’un de moins préparé à ce genre d’embrouilles, c’est bien Olivier Jay, que j’ai connu jadis comme responsable du service de presse de l’archevêché de Paris au temps de Mgr Lustiger. Le pauvre a dû passer une semaine sainte plutôt morose. Le jeune crétin est viré, son chef direct démissionne, mais cela ne suffit pas pour calmer l’ire élyséenne. On invite avec une certaine fermeté la direction du JDD à porter plainte contre X pour introduction frauduleuse d’informations sur le site web du journal, ce qui semble en l’occurrence juridiquement hasardeux. Auparavant, le directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, avait demandé à Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, le contre-espionnage français issu de la fusion de la DST et des RG, de mener une enquête sur l’origine de ces rumeurs. Comme les deux super-flics entretiennent des relations très étroites avec Nicolas Sarkozy (Frédéric Péchenard est même un ami d’enfance de ce dernier), il n’est pas pensable un quart de seconde que cette initiative ait été prise sans, au moins, le consentement du président.
La veille des fêtes pascales, l’Élysée ouvre la boite à gifles, en off et en on. Pierre Charon, intime du président lance la « théorie du complot ». La « firme », comme se désignent eux-mêmes les inconditionnels de la garde rapprochée de Sarkozy (Pierre Charon, Frank Louvrier, Brice Hortefeux et quelques autres), laisse entendre que Rachida Dati ne serait pas étrangère à la diffusion de la rumeur.
Résultat : la presse française, qui jusque-là s’était efforcée de rester dans les limites de la tradition nationale en matière de traitement de la vie privée des personnages publics se sent déliée de tout devoir de discrétion. De crapoteuse, l’affaire devient po-li-ti-que, donc on fonce !
Pour essayer d’éteindre l’incendie, on envoie, mercredi 7 janvier Carla Bruni répondre aux questions de l’employé de Lagardère, Claude Askolovitch sur Europe 1, radio propriété de ce même Lagardère.
En substance, la first lady (ou prima donna, mais là ça le fait pas question voix) déclare qu’elle et son mari ont toujours traité ces rumeurs par le mépris, que c’est bien embêtant, mais qu’il faut bien vivre avec, que Rachida Dati reste leur amie, et que jamais il n’y a eu d’enquête policière sur cette affaire avant la plainte déposée par le JDD. Moyennant quoi, la belle Carla passe soit pour une menteuse, soit pour une conne : Squarcini confirme à tous les médias qui veulent bien l’entendre que, début mars, ses limiers de la DCRI ont bien enquêté sur l’origine des rumeurs apparues sur le site du JDD. On en est là. Question à un million d’euros : comment aurait-on pu gérer plus mal une affaire qui n’est ni la première, ni la dernière de ce genre à se développer dans les arrières-boutiques putrides des officines plus ou moins proches des lieux où s’exerce la puissance ? La réponse est peut-être à trouver dans l’immortel ouvrage de science politique rédigé il y a trente ans par Michel-Antoine Burnier et le regretté Frédéric Bon intitulé Que le meilleur perde !. Les auteurs développent de manière brillante que l’objectif des hommes politiques n’est pas de gagner les élections mais de les perdre. Ils déploient pour ce faire une énergie immense, qui n’est hélas, pas toujours couronnée de succès. Il leur arrive parfois d’être élu. Mais on ne les y reprendra plus.
NB : Paul Deschanel (1855-1922) occupa brièvement la fonction de président de la République du 18 février au 21 septembre 1920. Sa démission fut provoquée par un accident ferroviaire hors du commun : il était tombé du wagon-lit où il passait la nuit, et fut retrouvé errant hébété sur la voie par un employé des chemins de fer. La presse et la vox populi le firent passer pour fou, ce qui rendit impossible son maintien à l’Élysée. Néanmoins, l’un de ses biographes affirme que « Deschanel n’est visiblement pas le président fou que l’on croit. Si on détecte chez lui un désir de fuite dans le travail, une occupation effrénée, une angoisse de déplaire, ces éléments sont tous d’ordre névrotique mais ne peuvent être considérés comme maniaques. Il aspira longtemps à une carrière artistique (écrivain et comédien) et ses discours, tous fameux, trahissent un besoin de séduction et une inclination nette au théâtralisme, voire à l’histrionisme (attitude caractérisée par le besoin d’attirer l’attention sur soi et de séduire l’entourage) ». Toute ressemblance avec (…) ne serait que pure coïncidence.
« On ne peut rien faire. » En votant pour Nicolas Sarkozy, les Français espéraient vaguement en finir avec cette ritournelle. On l’entend de nouveau chantonnée de toute part, de François Fillon, pour qui réforme est synonyme de réduction des déficits et uniquement de cela, à Jean-Claude Trichet, prêt à sacrifier tous les peuples d’Europe pour sauver l’euro, en passant par tous ceux qui ne cessent de susurrer au président qu’il ne faut fâcher ni les marchés, ni les Allemands, ni les Chinois, ni le FMI, ni la Commission, ni le CAC 40, ni Le Monde, ni Canal+, ni France Inter, ni les juifs, ni les musulmans, ni les Noirs… je sais, j’en oublie.
Les seuls qu’on ait le droit – ou même le devoir – de mécontenter sont les électeurs de Sarkozy, plus précisément ses électeurs issus des classes populaires. Ceux qui ont fait la différence en 2007. Il est vrai que beaucoup, avant de se rallier à la promesse volontariste, avaient fait un crochet par le Front national – souvent après avoir abandonné la gauche[1. « Un électeur lepéniste, c’est un communiste qui s’est fait cambrioler deux fois », me glisse un camarade. Ce n’est pas une blague. Ou pas seulement.]. Répondre à certaines de leurs attentes serait donc par nature un crime, tandis que « ne pas leur faire de cadeau » serait en soi une preuve de courage politique, surtout si cela consiste à ne rien faire.
[access capability= »lire_inedits »]Ces intermittents du lepénisme sont un alibi parfait pour poursuivre la « seule politique possible » désavouée par une majorité de Français en mai 2005. On se rappelle la désastreuse opération publicitaire imaginée par Julien Dray sous la forme d’une photo, publiée en « une » de Paris Match, de Nicolas Sarkozy et François Hollande se faisant des mamours sous le drapeau européen. Derrière la comédie de l’affrontement entre la gauche et la droite, on assiste bien à la reconstitution de la ligue dissoute UMPS.
On nous promet pour 2012 un nouveau choc de titans entre Sarkozy et l’un des innombrables candidats de gauche qui, les sondages en attestent, le battront au premier tour. En vérité, le clivage entre ceux qui croient à la politique et ceux qui n’y croient pas passe non seulement dans chaque camp, mais aussi à l’intérieur du cerveau présidentiel. L’ennui, c’est que là, ça penche du mauvais côté. Le volontarisme, c’est une affaire d’affects, de flonflons et de verbe, tandis que la raison incite toujours à la politique de ménagement de la chèvre et du chou. Quand le président affirme haut et fort qu’il ira au conflit pour sauver l’agriculture française, sans doute y croit-il. Nous, on n’y croit plus.
On les voit d’ici, ces conseillers et ces technocrates qui devraient avoir pour mission de transformer la décision politique en réalité administrative, préparer la retraite dès qu’un risque d’affrontement se profile. « Vous n’y pensez pas, Monsieur le président, la chaise vide, c’était une autre époque. Aujourd’hui, la France ne peut rien seule. » Ils l’ont laissé tenir ses discours musclés, à Davos et ailleurs, mais quand il aurait fallu congédier sèchement des « agences de rating » qui se croient autorisées à noter la République française, ils ont organisé la débandade. Par leurs criailleries, ils ont obtenu que le montant du grand emprunt soit compatible avec les exigences de cette police autoproclamée des finances publiques qui, voyez-vous, menaçait de « dégrader » la France, rien que ça, comme elle s’apprête peut-être à le faire pour le Portugal et l’Espagne.
Les euro-béats continuent à peupler nos médias et les couloirs de l’Élysée. Mais derrière chaque recul ou presque, on trouve une merveilleuse invention européenne. Dès qu’il s’agit de préserver la France d’un multiculturalisme qui lui va mal au teint – et qui ne réussit guère à ses voisins –, on en appelle à la future sagesse de la Cour européenne des droits de l’homme qui ne manquera pas, nous dit-on, de condamner la France. « On ne peut pas prendre le risque, Monsieur le président. »
Dans la litanie du renoncement, le « sauvetage » de la Grèce fera date. Voilà des années qu’on nous serine que seule l’Europe unie peut rivaliser économiquement avec l’Amérique et les autres, et elle ne peut que se résoudre piteusement à confier l’un de ses plus vieux membres aux « bons soins » du FMI, dont on peut s’attendre à ce qu’il fasse prévaloir la voix de la raison et des marchés financiers.
On me dira que le rapport de forces est défavorable et que toutes ces chimères politiques sont bien jolies, mais qu’il faut être réaliste. Peut-être. Peut-être sommes-nous incapables de reprendre la main face aux pouvoirs que nous avons mis en place pour nous censurer et, en somme, nous protéger de nos penchants coupables à l’autodétermination. Peut-être les États sont-ils déjà morts d’impuissance. En ce cas, qu’on nous donne du fric, du sexe et des jeux, et qu’on cesse de nous ennuyer avec les élections. Comme spectacle, il y a tout de même plus marrant.[/access]
Y avait-il une seule bonne raison pour libéraliser le marché des paris sportifs ? Quelle est la genèse d’une décision politique ? Qu’est-ce qui la motive, qu’est-ce qui la suscite ? Existe-t-il une demande des Français ? Entendait-on mugir dans nos campagnes le ressentiment national ?
La France fonctionnait sur un modèle qui accordait à une entreprise le monopole des jeux d’argent (les paris hippiques étant confiés à une autre) : quand on ne peut pas interdire, tentons d’organiser. Ce système assurait à l’État une rentrée d’argent, de sorte qu’en principe, les travers communs devaient aussi contribuer au bien commun.
Il y a quelques temps, la Commission Européenne s’est mis en tête d’exiger la libéralisation de ce marché et son ouverture à la concurrence. Pour quel bénéfice ? Avec quelle vision ? Le droit de la concurrence n’a pas pour vocation de protéger la concurrence, ni les concurrents, mais le consommateur.
La France a tout d’abord renâclé. Pour le principe, peut-être. Par suspicion pour les jeux d’argent. Puis elle s’est soumise. « Nous n’avons rien demandé, a affirmé Jean-François Copé lors du débat parlementaire. Nous sommes en deuxième lecture sur un texte que nous sommes obligés d’adopter en raison de la réglementation communautaire. »
« En raison du manque de contact direct entre le consommateur et l’opérateur, les jeux de hasard accessibles par l’Internet comportent des risques de nature différente et d’une importance accrue par rapport aux marchés traditionnels de tels jeux en ce qui concerne d’éventuelles fraudes commises par les opérateurs contre les consommateurs. »
En conséquence, la Cour estime qu’un État membre a le droit d’interdire l’activité d’entreprises qui proposent des jeux de hasard sur internet.
Lâcheté donc, qui consiste à reporter sur l’Europe une décision politique que l’on n’assume pas.
Double lâcheté. Car on invoque aussi internet, qui est en passe de rivaliser avec l’Europe en termes de défausse politique : à quoi cela servirait-il, nous dit-on, donc d’interdire les paris sportifs, puisqu’il suffit de se connecter sur un site maltais pour s’y adonner ? Les débats parlementaires en portent trace : ils seraient des milliers, des dizaines de milliers à parier aujourd’hui sur des sites illégaux. Alors… légalisons ! Depuis quand le fait que l’illégalité soit répandue constitue-t-elle un argument en faveur de la légalisation ? Surtout à droite ?! Depuis le travail dominical, me direz-vous peut-être. Passons… Cet argument ne manque pas d’évoquer l’irritant « nous sommes des millions, ils veulent faire de nous des pirates » des tenants du téléchargement illégal. Nous parlons en effet là du même pouvoir politique qui se prévaut d’une capacité à filtrer internet lorsqu’il s’agit de protéger les droits d’auteurs (et des majors) et qui s’affirme impuissant à restreindre l’offre illégale de jeu. Quelle est la cohérence ? On craint de ne la trouver que dans l’intérêt financier…
Le projet de loi maintient certes l’idée d’une participation au bien commun, spécialement via l’investissement dans les structures sportives. Et l’on souligne aussi que les sociétés de paris ne manqueront pas de venir sponsoriser davantage les équipes de football. Chic, le sport pourra ainsi continuer de se vautrer dans le fric. Quel est le bénéfice par rapport à la situation antérieure ? Nous aurons simplement plus d’opérateurs. L’accès aux paris sera plus aisé ? Quel progrès !
On peut même penser qu’il sera encouragé, facilité, promu. Il n’y a pas, dans le projet de loi, de dispositions relatives à la règlementation de la publicité. Alors que, pour le vin, qui peut également conduire à une addiction, le législateur va jusqu’à définir quels types de publicités sont admissibles sur le net, pour les jeux, l’autorité de régulation instaurée par le projet de loi « peut » réglementer la publicité. Lorsqu’on sait que les sociétés de paris en ligne n’ont pas attendu que leur activité soit légale pour en faire la publicité sur les sites de presse, on imagine quel respect elles auront de ces dispositions, à supposer que celles-ci soient jamais édictées.
Au-delà même de l’objet de ce texte, on ne se soucie plus tant de démontrer qu’un choix politique serait bon. Qu’il serait favorable au bien commun, à l’intérêt général. On n’ose plus le faire. Alors on l’adopte pour des raisons dogmatiques – l’addiction à la libéralisation – pour ne pas dire obscures et, pour éluder le débat, on présente ce choix comme le fruit de contraintes extérieurs. Double lâcheté politique, triple préjudice : du fait de l’addiction, de l’atteinte à la décence ordinaire qui voit dans le travail la source du revenu, et de la défiance du politique, qui finit en pantin d’impératifs extérieurs.
On se rend compte que l’on commence à vieillir lorsque les jeunes femmes vous regardent dire certaines choses, sans comprendre, et avec de grands yeux écarquillés. Par exemple je vous invite à demander « On se regarde une VHS? » à une demoiselle née après 1985… vous risquez le bide ! Ou encore à lâcher négligemment: « Tout cela ne vaut pas un numéro de l’Heure de vérité avec Georges Marchais ! »… il est fort probable que l’incompréhension soit totale, surtout si vous en rajoutez une couche sur François-Henri de Virieu !
Ainsi, qu’est-ce que la jeunesse peut comprendre au charabia d’une dépêche AFP diffusée en janvier 1986 et ayant pour titre « Pierre Mauroy sur minitel » ? C’est pourtant la très jolie découverte que je viens de faire en furetant dans les archives de la grande maison de la Place de la bourse… vantant la nouveauté d’un abyssal et nébuleux service télématique nommé 3615 Gauche assistée par ordinateur (GAO). La dépêche nous apprenait que ce service « informatique » avait été « lancé conjointement par quatre clubs de gauche : Priorité a gauche, La Mémoire courte, Gais pour les Libertés et Espaces 89 » et permettait à « chacun de poser une question à une personnalité pour obtenir une réponse personnelle ».
L’AFP nous précisait fièrement qu' »aucun secteur n’était épargné par la curiosité des minitellistes » Ces coquins de minitellistes! « On m’a demandé mon poids « , a soupiré M. Mauroy … Mauroy ? C’est qui ce Mauroy ? C’est un ancien premier ministre socialiste et un maire de Lille, ma chérie Et c’est le père de Martine Aubry, comme Jacques Delors, enfin je crois… Et ça veut dire quoi « socialiste » ? Laisse tomber, petite, c’est de la préhistoire ancienne… Et le Minitel, c’est quoi ? Un mauvais rêve.
Jean-Joseph Weerts, Marat assassiné ! 13 juillet 1793, 8 h du soir, 1880.
Jean-Joseph Weerts, Marat assassiné ! 13 juillet 1793, 8 h du soir, 1880.
Exposer la guillotine à quelques dizaines de mètres de L’Origine du monde de Courbet : Robert Badinter et Jean Clair ont eu cette audace dans « Crime et châtiment », l’exposition qu’ils signent au musée d’Orsay. Plus pudiques que le peintre communard, Badinter et Clair ont jeté un léger voile noir sur la « Veuve » qui accueille les visiteurs. Trois décennies après sa mise à la retraite, la nudité de « Louisette », même devenue une pièce de musée, aurait choqué. Cette reconversion rappelle de surcroît que l’engin de mort et le musée sont contemporains. L’inauguration du premier musée public en France, le Louvre, précéda d’un an le premier usage de la guillotine : ainsi ces deux faces d’une culture en pleine mutation sont-elles réunies à Orsay.
Pour la voir, notre regard doit non seulement percer ce crêpe de soie translucide, mais lever les multiples voiles dont les images l’ont couverte : du criminel au politique, de l’histoire au voyeurisme, de la tête de Louis XVI à celle de Hamida Djandoubi[1. Condamné pour meurtre et exécuté le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi fut le dernier à subir en France la peine capitale. ], la machine du docteur Guillotin nous hante depuis deux siècles. Plus qu’une réflexion sur la justice, « Crime et châtiment » est un chantier archéologique des représentations : littéraires, ainsi que le suggère son titre ; scientifiques, car de la quête de la bosse du crime à celle du gène de la délinquance, les savants cherchent depuis toujours à percer le mystère de Caïn ; et, bien sûr, visuelles.
[access capability= »lire_inedits »]Le talent de Jean Clair éclate dans le mariage somptueusement orchestré de l’histoire des idées et de celle des arts. Des chefs-d’œuvre de la peinture jettent une lumière crue sur notre imaginaire collectif du crime, du châtiment et de la justice, en particulier sur sa part la plus sombre, faite de fascination et de brutalité plutôt que de compassion et de repentir.
Dans cette exploration de l’économie symbolique du visuel, deux mains invisibles sont à l’œuvre. La première, induite par le choix de commencer l’histoire à la fin du XVIIIe siècle, est celle d’une profonde métamorphose puissamment ressentie par les contemporains. C’est le moment où émergent de nouvelles classes sociales : la bourgeoisie et les ouvriers, futurs prolétaires. Derrière la Révolution française, omniprésente dans l’exposition, s’en cache une autre : la révolution industrielle, c’est-à-dire la rencontre – vite transformée en confrontation −, sans précédent par son intensité et son importance numérique, entre riches et pauvres dans l’espace urbain. Le Paris de l’époque était certes ancien par son nom, mais radicalement nouveaux par sa sociologie. Les peurs et les fantômes engendrés par cette cohabitation nouvelle sont insinués par chaque objet, chaque image, chaque mot de l’exposition. Comment comprendre l’acception moderne du mot « crime » sans se rappeler qu’il fut employé par un groupe social (la bourgeoisie, pour aller vite) pour en criminaliser un autre (les pauvres, pour aller encore plus vite) ? Le sentiment d’insécurité installe durablement dans les villes, et avec lui l’idée que le mal est un phénomène sociologique et anthropologique.
Derrière les œuvres qui se répondent, s’encouragent et parfois se défient d’une salle à l’autre, on devine l’action d’une autre main cachée, ou plutôt d’une paire de mains, celle d’Anne-Marie Grosholtz, plus connue sous le nom de Mme Tussaud, qui façonna dans la cire un imaginaire dans lequel nous baignons encore. Cette artiste de génie fut parmi les premières à imaginer des objets et des mises en scène de cire qui permettaient, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, aux habitants de villes de trouver un exutoire à leurs nouvelles angoisses et de projeter leurs nouvelles peurs. Dans les années 1760, le médecin suisse Philippe Curtius, officiellement oncle de Mlle Grosholtz, quitte Berne et ses activités médicales pour s’installer à Paris, où il expose ses représentations en cire de personnages célèbres. Dans ses expositions permanentes boulevard du Temple (ou du Crime !) et au Palais-Royal, Curtius – aidé par sa jeune apprentie-protégée – propose au public, dans son « Salon de cire » ou « de figures », deux « cabinets », l’un exposant des statues de cire des célébrités de l’époque et l’autre, « Le Cabinet des grands voleurs », de célèbres criminels. Dans la première salle, on pouvait contempler la Du Barry, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. Dans la seconde, la principale attraction était Antoine-François Desrues. Condamné à mort pour avoir empoisonné Mme de La Motte et son fils, il avait été publiquement exécuté (roué) en place de Grève par le célèbre bourreau Sanson. Pour compléter ce joyeux mélange dans le spectacle des célébrités du « peuple », du crime, du monde intellectuel et de l’Histoire, Curtius expose aussi la chemise portée par le bon roi Henri IV le jour où Ravaillac l’a poignardé. Boulevard du Temple, théâtres et « cabinets » participent ainsi à l’évolution d’une société de spectacle où la dimension visuelle prime.
Le public ne s’y est pas trompé. Le succès de ces célébrités de cire témoigne de la nouvelle vision du monde qui est en train d’émerger. Ainsi, le 12 juillet 1789, une foule massée dans les jardins du Palais-Royal et chauffée par un discours de Camille Desmoulins « emprunte » les bustes de Necker et du duc d’Orléans – tous deux considérés comme des amis du peuple – et les porte, sur des piques, en tête d’une manifestation. Quarante-huit heures plus tard, ce sont deux autres têtes, des vraies cette fois, qui sont portées au bout de piques : celles du gouverneur de la Bastille et du prévôt des marchands. Tout en se défendant d’avoir participé à ces lynchages, Curtius n’a jamais caché sa participation à la prise de la Bastille en tant qu’officier de la Garde nationale. Après l’émeute, les têtes coupées ont été apportées à Mlle Grosholtz, la future Madame Tussaud, pour qu’elle en crée des copies en cire. Plus tard, elle exécutera le buste de la princesse de Lamballe, de Philippe-Egalité et même un masque mortuaire de Louis XVI. Un continuum s’établit entre le spectacle, l’exposition et la représentation d’un côté et la rue, le politique et le réel de l’autre. Le XIXe siècle n’est pas encore né, mais nous sommes déjà entrés de plain-pied dans la modernité.
À Londres, où Mme Tussaud s’installe en 1802, son travail ne cesse de renforcer ce continuum, de tisser cet imaginaire qui est toujours le nôtre. La Révolution, objet historique complexe, devient dans ses expositions un cabinet d’épouvante où la guillotine joue un rôle central. Le spectateur de l’époque éprouve un frisson d’horreur et de plaisir en même temps. Les révolutionnaires, Robespierre en tête, sont représentés par Mme Tussaud comme des monstres. Cette manière de représenter les acteurs de la Révolution n’est pas étrangère au fait que, dans le cinéma populaire, surtout anglais, du XXe siècle, les bourreaux – vilains ou pervers – arborent une cocarde tricolore et les victimes/héros sont plutôt du côté de l’aristocratie. Mais bien avant cela, il existait des passerelles entre la production de Mme Tussaud et d’autres représentations. Ainsi, la jeune nièce de Curtius fut parmi les premières à arriver sur la scène du meurtre de Marat et c’est d’après ses masques mortuaires que le peintre David réalisa son tableau-icône, l’une des images les plus emblématiques de la Révolution. Et pour boucler la boucle, le patron de presse Arthur Meyer, propriétaire du Gaulois, se tournera vers le caricaturiste Grévin pour lancer le musée de cire dont l’Histoire de France sera l’une des salles les plus populaires. Pour des générations de petits Français, la scénette de l’assassinat de Marat par une Charlotte Corday toute de blanc vêtue, exposée au musée Grévin, fut l’image même de l’Histoire : un film d’horreur qu’on regarde en se cachant les yeux, mais en écartant un peu les doigts. Ceux qui, devenus adultes, iront visiter « Crime et Châtiment » ne pourront pas user de cette échappatoire. Dans le miroir que sont les œuvres présentées, ils ne pourront se soustraire au spectacle des bas-fonds de l’âme humaine, qu’elle soit celle des juges ou des assassins.
L’exposition »Crime et chatiment » est présentée du 16 mars au 27 juin 2010, au musée d’Orsay. À lire le magnifique catalogue de l’exposition, édité par Gallimard et le musée d’Orsay : Crime et châtiment, de Jean Clair, 49 €.
Tant pis pour mon CV d’archéogauchiste, voire de stal grand teint, j’avoue ne pas avoir la religion de l’impôt, enfin de tous les impôts. Et quand certains, comme Manuel Valls , proposent de liquider simultanément le bouclier fiscal et l’ISF, j’ai l’impression qu’on va plutôt dans le bon sens –à condition bien sûr de ne pas se contenter de ça n’y même de s’arrêter à une banale tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu.
Tout d’abord l’ISF : d’humeur sportive aujourd’hui, je commencerai par plaider contre moi-même : il va de soi que l’argument selon lequel il faut l’abolir parce que nos voisins européens l’ont fait est irrecevable. Ou alors on interdit illico la corrida et les fromages qui ne sont pas en plastique- et puis tant qu’à faire, on réintroduit le droit du sang dans la constitution, comme chez nos bons voisins allemands. Non en vérité, s’il faut en finir avec ces vaches sacrées, c’est parce que les sommes en jeu relèvent de la petite bière.
L’ISF rapporte grosso modo trois milliards par an et le bouclier fiscal coûte à la louche un demi milliard. Une peccadille absolue au regard des ponctions budgétaires générées par les niches fiscales (un manque à gagner de 70 à 75 milliards d’euros par an -dont plus de 20 millards pour la seule niche Copé sur les cessions de parts!). Il faudrait aussi se pencher sur les niches sociales, qui regroupent toutes les exemptions de charges salariales et surtout patronales qui s’élèvent à 33 milliards – à eux seuls, les allègements de cotisations des entreprises sur les bas salaires ont coûté 22,8 milliards d’euros en 2009. C’est bien sûr de ce côté-là qu’il faut chercher l’argent. Pas par présupposé idéologique, mais arithmétique, tout bêtement parce que c’est là qu’il est.
On m’objectera que les niches fiscales et sociales créent de l’emploi, ou le protègent. Foutaises, ou quasi comme. En l’occurrence, elles protégent surtout les marges bénéficiaires et les dividendes. Si j’étais un libéral authentique, j’imagine que je serais épouvanté à la seule idée qu’une entreprise qui fait des profits bénéficie en même temps d’exemptions de charges, ne serait-ce parce que ça fausse le jeu de la libre concurrence mondiale, et puis surtout parce que c’est nous qui paye. Quant à l’intérêt de ces cadeaux Bonux en matière d’emploi, on vient d’en avoir une démonstration évidente avec l’impact zéro de la baisse de la TVA dans la restauration.
Autre piste sérieuse pour faire rabouler le pognon, la lutte contre la fraude. La fourchette basse de l’évaluation de la fraude fiscale et sociale se situe entre 29 et 40 milliards . Il faut savoir que l’ensemble des personnels des secteurs concernés (fisc, mais aussi URSSAF ou Inspection du Travail), ne cessent de se plaindre des diminutions de personnel ou de l’absence d’investissements de modernisation. Ce qui fait que par exemple, les contrôles se concentreront plus sur les salariés (fastoche) que sur les professions libérales (long et compliqué). Mais chacun sait que les médecins ou les avocats ne fraudent jamais le fisc…
Bref, des chantiers à ouvrir, il y en a. A terme on pourrait même, en s’y attelant sérieusement résorber sans trop de casse le déficit budgétaire ou celui de l’Assurance-maladie. Mais à gauche comme à droite, on préfère se focaliser pour ou contre des gadgets insignifiants comme le bouclier ou l’ISF, dans lesquels j’ai de plus en plus de mal à voir autre chose que des leurres. Le fait que la quasi totalité des forces politiques hexagonales soit d’accord sur les dogmes liés à l’Europe ou à l’entreprise sans jamais oser nous dire ce qu’il y a dedans augure mal d’une telle remise à plat.
Certes on parlera beaucoup de niches dans les jours à venir, mais parions qu’on se contentera d’en parler. Les capitaux privés financés sur fonds publics ont de beaux jours devant eux. Ça s’appelle le libéralisme à la française.
Rachida Dati aura finalement été l’élément le plus romanesque de ce demi-quinquennat sarkozyste où l’indécence l’aura disputé au ridicule et le machiavélisme de pacotille à la mauvaise lecture de Christian Salmon sur le storytelling, ce dernier d’ailleurs n’ayant fait que découvrir la lune avec cette théorie qui rhabille hâtivement d’oripeaux pseudo-scientifiques l’antique nécessité pour tout pouvoir de créer sa propre mythologie.
La politique, même en ces temps de Twitter et de Facebook, de virtualité anglo-saxonne et de protestantisme merkellien larvé, vous aurez beau faire, c’est une question de corps, de présence charnelle, d’incarnation. Surtout en France. C’est pour cela que Jospin a perdu : pas assez de corps comme on pourrait le dire d’un Chinon. Et que Villepin a ses chances comme Royal a eu les siennes. On sent qu’ils ne sont pas que des pixels, ceux-là, qu’ils n’existent pas seulement par la grâce des écrans. Qu’ils sont encore en trois dimensions, ce qui devient rare.
Et Rachida Dati, elle, aura été le corps le plus désiré, le plus haï, le plus fantasmé, le plus scruté, le plus méprisé, le plus célébré, le plus moqué, le plus envié de tous ceux qui participèrent à cette comédie de la rupture où Sarkozy qui voulait retrouver la cause du peuple sombra surtout dans la cause du people jusqu’à la catastrophe risible de ces jours-ci sur la rumeur relatives à d’éventuels déboires sur le couple présidentiel.
Dans les cités, la rumeur, c’est un groupe de rap. À l’Elysée, la rumeur, c’est une méthode de gouvernement pour se dégager d’élections catastrophiques, de fronde chez les godillots puisque apparemment, ces jours-ci, même les caves du centrisme se rebiffent avec Hervé Morin dans le rôle de Maurice Biraud. Pour faire oublier aussi les crispations autistes sur le bouclier fiscal, les ouvriers délocalisables pour des paies de 137 euros et ceux qui un peu partout menacent de faire sauter le bastringue puisque le bastringue n’est plus à eux.
Mais revenons à Rachida. C’est fou ce que Rachida aura été utile. Et utilisée. Instrumentalisée, même.
J’ai déjà dit ici toute la sympathie paradoxale que m’inspirait, bien malgré moi, l’ancienne Garde des Sceaux, à l’origine d’une des politiques les plus répressives en matière de justice depuis 1945 et à un redécoupage de la carte judiciaire à la mitrailleuse lourde des contraintes budgétaires. J’ai aimé l’idée qu’elle ait vaincu tous les déterminismes comme seules savent le faire les beurettes qui ont décidé que justement, parce que tout était contre elles (misère économique, oppression grandfratriarcale, aliénation religieuse), il fallait être impitoyable, sans scrupule comme une force qui va. J’ai aimé l’idée de retrouver en elle cette rage maitrisée de mes anciennes élèves. L’humiliation et le sentiment d’injustice, chez les meilleures d’entre elles, ça donne des Jeannette Bougrab, des Fadela Amara, des Rachida Dati, des Nora Berra. Autant dire des invincibles. Le choix de servir la droite, chez ces femmes, est d’ailleurs logique puisque la gauche sociétale les a plus ou moins trahies en voulant les cantonner dans des postures victimaires. Et Rachida sur le perron de l’Elysée en 2007, lors de la photo de groupe du gouvernement, parachevait bien cruellement une défaite totale de la deuxième gauche et de son ethnodifférentialisme à la sauce compassionnelle.
« Regardez-moi, a dit Rachida arrivée au sommet, regardez mon corps. Tout a été fait pour le refouler, pour faire de lui un invisible, un tabou, un refoulé comme pour tant de mes sœurs ; eh bien moi, je vais l’exposer, le faire exulter, lui donner l’écrin des robes de grands couturiers, me féminiser jusqu’à l’insolence. Je vais jouer la provocation, à la fois sexuelle (je suis une belle femme seule, arabe, et j’assume) et sociale (j’ai réussi, je fais ce que je veux). Et si vous n’êtes pas content, c’est le même prix pour vous et le même pris pour moi. »
Qu’elle se retrouve maintenant au cœur de cette pantalonnade présidentielle est à peine surprenant. Se rappeler que si Rachida a rendu son corps si insolent, elle n’a fait que copier son mentor présidentiel. Lui, ce qui lui arrive ces jours-ci et dont il joue si bien n’est que l’aboutissement de la confusion qu’il a entretenu depuis le début de son mandat entre les deux corps du Roi, aurait dit Kantorowicz, c’est-à-dire le charnel et le politique, le privé et le public.
Dans les romans noirs, il faut toujours une femme fatale, une méchante. Elle est souvent brune, d’ailleurs, chez les grands auteurs (Chandler, Goodis, Thompson) s’opposant à la blonde archangélique et rédemptrice. Rachida était donc idéale pour le rôle de la traitresse, la jalouse, la rancunière. Vous n’imaginez tout de même pas la délicieuse princesse gaulliste au charme corrégien Nathalie Kosciusko-Morizet à la tête d’on ne sait quel complot pour discréditer la présidence sous prétexte qu’elle aurait été reléguée à des sous-secrétariats d’Etat aux missions hypothétiques. Ni Valérie Pécresse, icône d’un certain bcbg versaillais, qui, partie pour la plus grande gloire du Chef à la boucherie électorale en Ile de France, en aurait conçu une légitime rancœur. Trop vieille France pour ça.
Non, on vous le répète : la méchante est brune, et extrêmement sexuée, avec un corps dont on sait tout ou presque. Qu’il a été soumis à un mariage quasi forcé en 1991, qu’il a porté un enfant dans une surexposition médiatique qui a montré à quel point les hommes de pouvoir et les journalistes demeurent de gros beaufs aux blagues grasses. Un corps qui rit avec ses copines au téléphone quand il se retrouve dans un placard doré au Parlement européen et qui avoue son ennui comme il avoue ses plaisirs.
C’est donc la faute de Rachida.
Comme c’est tout de même un peu gros, la First lady incarnant l’aile bobo-sociétale du régime[1. Quand on entend parler Carla Bruni, on trouve que Marine Le Pen est de gauche.] corrige le tir et assure que Rachida ne peut-être à l’origine de la rumeur, que ce n’est pas son genre. Peu importe si elle est démentie aussitôt par notre vieil ami Squarcini[2. Célèbre idéologue antiterroriste connu pour avoir réduit à néant une dangereuse cellule dormante de philosophes corréziens.] de la DCRI qui assure qu’une enquête a bien été demandée en haut lieu pour chercher l’origine de la chose. Il faut dire que tout cet appareil politico-médiatique, de même qu’il fut longtemps fasciné par le corps de Rachida et oubliait les suicidés dans les prisons, aujourd’hui oublie la crise et laisse table ouverte à ce remake de Splendeurs et misères des courtisanes, à moins que ce ne soit celui des Feux de l’amour parce que tout cela est tellement peu français, quand on y pense, que l’on a davantage l’impression d’être au Texas que chez Balzac.
Rachida, évidemment, survivra à tout cela. On peut comme le très fair-play Hortefeux, le doigt sur la couture de son pantalon sarkozien, obéir illico presto aux ordres énervé du Palais et lui retirer voiture, agents de sécurités et téléphone portable, elle s’en remettra. Elle a été habituée à des punitions plus mesquines puisqu’elle faillit se faire virer de son lycée pour indiscipline. Et puis une 607, ça va, ça vient.
Elle, elle pourra s’en passer sans problème parce que contrairement à tout ce petit monde qui la lapide ces jours-ci, elle n’a pas été élevée dans le coton de la bourgeoisie.
Et elle sait ce que marcher à pied veut dire. Ce qui est toujours utile dans les traversées du désert.
« Les bases de la République ont sauté : la mixité sociale n’existe plus. On a construit une société de classe, de statuts, de privilèges, dans laquelle on favorise des clientèles politiques et non pas une mobilisation collective pour réussir. »
Olivier Besancenot
Jean-Luc Mélenchon
Eric Zemmour
Jean-Paul Delevoye
Des indices :
Olivier Besancenot est actuellement occupé à mater une scission dans le Vaucluse (département de la candidate voilée) et à stopper l’hémorragie militante du NPA.
Jean-Luc Mélenchon est interdit de médias pour les mille ans à venir puisqu’il est Front de Gauche et qu’il a dit son fait à un jeune impétrant journaliste avantageux.
Eric Zemmour est actuellement en fuite et il est recherché activement par la police de la pensée.
Il resterait bien le doux Jean-Paul Delevoye, maire UMP de Bapaume qui vient de voir son mandat de médiateur de la république prorogé d’un an. Mais, non, n’est-ce pas, ce n’est pas possible… Il n’oserait pas, tout de même…
Insoluble « affaire Zemmour » ! Le coupable est la seule victime, et pourtant il ne peut s’en prendre qu’à lui-même… À moi Miss Marple, et le colonel Moutarde !
Le plus épatant, dans cette affaire, c’est qu’elle ait tant tardé. Depuis des années, le vibrion s’agite dans tous les sens et dans des médias toujours plus nombreux. Il y multiplie à plaisir aphorismes nauséeux® et prises de position directement contraires aux droits de l’homme et du cheval d’arçon.
Pourquoi avoir ainsi invité cet ennemi des libertés à s’exprimer devant tout le monde en toute liberté ? C’est qu’il y a de la demande, hélas ! Après avoir testé successivement la droite et la gauche, puis les deux ensemble dans toutes les positions, quarante millions d’électeurs se retrouvent, ces temps-ci, un peu blasés. En témoignent bien sûr le taux d’abstention record aux récentes élections régionales ; la remontée du FN qui – surprise ! – n’avait pas plus disparu que les problèmes qui l’ont créé ; et même, dans un autre registre[1. « Dans un autre registre » ? Voire… Je m’étonne qu’aucun politoLOlogue n’ait songé à accuser Zemmour de la remontée du vote FN.], la percée médiatique de Zemmour, le Croisé sarrazin.
[access capability= »lire_inedits »]Sans doute faut-il l’ardeur d’un néophyte, même de deuxième génération, pour clamer encore ce que les « vieux Français » fourbus n’osent même plus marmonner. Sans doute faut-il désormais des anars de droite pour remettre en cause la soumission à l’autorité mise en évidence en 1963 par les expériences du Pr Milgram[2. Et encore avant, semble-t-il, par le chancelier Hitler, et encore récemment par France 2, avec son putassier « Jeu de la mort » (en fait, un doc à grand spectacle démago et tout pourri).]. Encore ne s’agissait-il là que de science ; dans l’affaire qui nous occupe, l’autorité est carrément « d’ordre moral ».
Sans tomber directement sous le coup de la loi – malin, le singe ! –, le discours zemmourien ne cesse de violenter les valeurs les-plus‑fondamentales de la République, comme le droit de proclamer qu’il fait nuit en plein jour ou celui, pour les hommes, d’être des femmes comme les autres (cf. Monty Python, La Vie de Brian, XI, 3).
Mais c’est seulement au bout de toutes ces années que le CSA, les ligues de vertu et Le Figaro se sont émus de conserve. Et de quoi, s’il vous plaît ? Là est le comble du paradoxe : même pas d’une saillie plus scandaleuse qu’à l’ordinaire ; de l’énoncé d’un fait. « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. »
Une « intuition » aussitôt confirmée, sur son blog, par l’avocat général Philippe Bilger[3. L’homme par qui j’aimerais être jugé, pour peu que je commette un crime.] : « Je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles, et parfois criminelles, à Paris, et il ne pourra que constater la validité de ce fait. » En disant ça, l’excellent homme savait de quoi il parlait – mais pas l’essentiel : ce qui allait lui tomber sur le coin de la tronche. Le 24 mars, dans « L’Objet du scandale », il était mis à la question par le térébrant duo Miller-Bonnaud. Et dès le lendemain, il était convoqué par son supérieur, le procureur général, comme un vulgaire Zemmour par son Mougeotte…
Alors ? Affaire de médias, affaire de mœurs, affaire d’État ? Les trois, mon objecteur ! Toute vérité n’est pas bonne à dire, dès lors qu’elle risque de heurter la sensibilité d’une minorité sensible.
Pour éviter à l’avenir de tels débordements, il convient de légiférer. Je propose le vote solennel, par les deux assemblées réunies en Congrès, d’une loi ayant valeur constitutionnelle. La « Loi sur la Vérité », ça sonne bien, non ?
Du coup, n’importe qui ne pourrait plus se laisser aller à énoncer comme ça, publiquement, n’importe quel fait. En revanche, bien entendu, la liberté d’opinion resterait protégée et même élargie ! Idéalement, dans une démocratie digne de ce pseudo, Zemmour devrait pouvoir balancer impunément à BHL que la plupart des juifs sont des dealers, ou au président du CRAN que les Noirs sont décidément un peu nombreux dans les médias.
Mais je m’égare… C’est la faute à Bilger, aussi, et à ses arguties sur les « faits » qui, en vérité, sont parfaitement hors sujet. En fait de faits, le chœur des faux-culs a fait mine de comprendre l’inverse de ce que disait Zemmour pour mieux s’en indigner.
Vérifiez par vous-mêmes auprès des « vraies gens », si vous en connaissez. Ce que le public d’attention moyenne aura retenu, c’est quoi ? Pour Zemmour, la plupart des Noirs et des Arabes sont des trafiquants ! Ou, encore mieux, les Nègres et les bougnoules, c’est pas sa tasse de thé.
Bref, il passe désormais auprès d’eux pour un gros raciste. La simple mention de son nom les hérisse, furieux et humiliés qu’ils sont par ce qu’on leur a dit qu’il avait dit d’eux…
Eh bien Eric, regarde-moi, je fais mes yeux sérieux : tu as le devoir de lutter contre cette « forgerie » ! Au-delà de ta personne, il y va de l’idée de cohésion nationale à laquelle tu prétends être si attaché. Allez, ça ne va pas te plaire, mais je le dis quand même : je rêve d’un Petit frère bis, version optimiste ! Pour défendre les mêmes thèses, tu y mettrais en scène d’honnêtes citoyens amoureux de la France, et pourtant d’origine chelou.
− Ça relève plutôt du passé !, tu me diras.
– Ta Mélancolie française aussi !, répondrai-je du tac au tac.
– Justement, je suis pas d’un naturel optimiste, enchaîneras-tu.
– Et alors, trancherai-je, t’as qu’à dire que ton narrateur est optimiste ! Dans un roman, on peut tout se permettre, non ?
En attendant, permets-moi un instant de me la jouer solennelle, comme Miller & Bonnaud toute l’année : aucun Français issu de l’immigration ne devrait se sentir exclu de la communauté nationale par tes propos – même scandaleusement trafiqués. Et pour tout dire, ta phrase, même avant son « inversion satanique », était déjà un peu sèche.
Compte tenu du climat de tension actuel (et vraisemblablement destiné à durer), des francs-tireurs comme toi n’ont pas intérêt, ni même le droit, de rater leur cible. « Feu sur les ours savants de l’antiracisme », bien sûr ! Mais pas au risque de blesser des innocents et de tirer contre ton camp.
Les responsables du désordre établi, tu l’as déjà dit et écrit, c’est pas les saisonniers de Lampedusa ou de Calais. Ce sont nos gouvernants infoutus, depuis trente ans, et comme génétiquement, de conduire une politique cohérente en matière d’immigration[4. Comme d’ailleurs, dans d’autres domaines, que seule la place nous empêche d’aborder ici.].
À ta décharge[5. Y en a même, chez les humoristes humanistes, qui t’appellent « Détritus ». Yo !], je reconnais volontiers que des truc simples comme ça, c’est pas évident à faire passer à la télé. Chez Ardisson, bien sûr, on t’aurait coupé au montage en moins de temps qu’il n’en faut pour démentir. Chez Durand, c’est pas mieux : apparemment, ses deux flics en plastique ont le droit de poser toutes les questions sans être obligés contractuellement d’écouter les réponses. Fallait voir le pauvre Eric s’échiner en vain à leur faire entendre une idée simple : c’est le droit du sol qui rend indispensable l’assimilation[6. Le droit du sang, c’est plus coulant…]. Non, ces gens-là ne veulent entendre que l’utopie qui les nourrit. Ni sol ni sang, ni assimilation ni intégration : juste « accueillir toute la misère du monde » – et même un peu plus s’il y a de la place ! Bien sûr que c’est aberrant, et alors ? Bien sûr que Rocard disait le contraire ; mais aussi, t’as vu où ça l’a mené, pour finir ?
Il a pas un métier facile, le Zemmour ! Vous me direz : il l’a bien cherché… Mais moi qui l’ai connu avant vous[7. En 1989, au Quotidien de Paris, t’as mieux ?], je peux témoigner d’un truc : il n’a pas choisi son credo comme un créneau. Le mec a observé, enquêté, lu, réfléchi même…
Le pire, pour lui, c’est qu’il a conclu à la tradition – au sens où elle s’oppose à l’utopie. A l’en croire, la politique ne consiste pas à inventer le meilleur des mondes ; juste à éviter le pire. Même que, d’après lui, la question se serait déjà posée dans l’histoire du monde, y compris au niveau de la France…
Alors, quoi ? Zemmour, martyr de ses idées ? N’exagérons rien. L’ouragan CSA-Figaro-Licra ne l’a pas emporté. Reste la semonce de France Télévisions : la liberté d’expression, paraît-il, ne peut se concevoir que « dans le respect des valeurs du service public ». À Eric, désormais, d’en tirer les leçons qui s’imposent – notamment sur la longueur de sa laisse médiatique.
S’il se calme, il peut encore aspirer à devenir l’Alain Duhamel des années 2030 – avec sourire, Solex et cerveau coordonnés. Le genre à justifier toutes ses erreurs par sa déontologie : drapeau blanc, je suis l’ONU de la Pensée !
Après la tempête, sur I>Télé puis chez Ruquier, ce béjaune d’Eric a reconnu, très ému, « avoir perdu [son] calme » chez Ardisson. Les deux fois, j’ai craint qu’il ne s’effondre : mais non ! Il s’est arrêté juste à temps, après avoir montré qu’il ne savait pas trop bien comment marche la télé, c’est dire à quel point il était resté humain.
Dieu veuille qu’il ne se calme pas plus que ça ! Nous avons besoin de rebelles, et Zemmour en est un. La preuve : il préfère les Stones aux Beatles ! Le rock qui va en taule plutôt que la pop décorée par la Reine.
Pour autant, n’allez pas croire que je partage toutes les idées de ce monsieur. Moi aussi, je peux prendre mes distances ! Quand par exemple, dans Mélancolie française, il se prend à désespérer de l’avenir de la France, je dis non ! « Le désespoir en politique est une sottise absolue », comme disait, heu, Charles Maurras.
Tiens, au fait, c’est bon pour Zemmour, ça : si un vieux collabo, sourd et mort de surcroît, le traite de « sot », c’est qu’il ne peut pas être tout à fait mauvais. Moi, en revanche, je suis mal pris, avec ma citation à la con…[/access]
L’administration Obama a décidé de rayer du vocabulaire officiel du Conseil national de sécurité des Etats-Unis les mots « jihad » et « islamisme extrémiste ». Voilà une excellente nouvelle, comme aurait dit le brave soldat Chveik. En effet, ce qui n’est pas désigné par son nom par la plus puissante nation du globe cesse du même fait d’exister. Il reste aux historiens à trouver des formulations adéquates pour caractériser les inspirateurs et les exécutants des attentats du 11 septembre 2001. Un truc du genre : « Des avions détournés par des jeunes des cités planétaires influencés par une interprétation radicale de l’une des religions monothéistes ont percuté le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington ». Les militaires engagés en Irak et en Afghanistan devront se creuser la cervelle pour dénommer ceux qui se font sauter au milieu des population civiles. Jadis, nos braves soldats engagés en Indochine et en Algérie ne faisaient pas dans le détail : ceux d’en face, c’étaient les « salopards ». Cela ne garantit pas la victoire, mais ça soulage.
On savait que déjà depuis les Grecs que l’exercice du pouvoir peut provoquer l’hubris, une démesure proche de la folie qui peut mener ceux qui en sont atteints au bord de l’abîme, et même au-delà.
On constate aujourd’hui, en observant le comportement de notre président de la République, qu’un autre danger menace les détenteurs de la charge suprême : devenir stupide, pour rester poli.
On s’était déjà interrogé, au moment du procès Clearstream, sur ce qui avait poussé Nicolas Sarkozy à tenter d’obtenir la mise à mort judiciaire d’un ex rival déjà politiquement terrassé.
Le plaisir de voir son pire ennemi pendu à un symbolique croc de boucher est éphémère et ne rapporte pas gros en terme d’estime de la part de ses concitoyens : la vengeance fait partie des passions tristes définies par Spinoza. Elle ne vous grandit pas aux yeux des autres, alors que la clémence appliquée avec discernement peut vous élever au dessus du commun des mortels et renvoyer au néant ceux qui ont cherché, sans succès, à vous détruire par de vils stratagèmes. On a pu voir le résultat de cette obstination procédurière : un Villepin relaxé par le tribunal et politiquement requinqué, susceptible de faire trébucher Nicolas Sarkozy en 2012 en le privant, au premier tour, de voix de droite bien nécessaires en ces temps troublés et incertains.
Le traitement de « l’affaire des rumeurs » par l’Élysée est un nouvel élément venant conforter la théorie du pouvoir-qui-rend-con (foin de précautions oratoires, car à ce niveau de cafouillage, un adjectif plus policé ne correspondrait pas à la gravité de la situation).
Un jeune crétin qui gagne péniblement son bifteck en bloguant pour un sous-traitant du Journal du Dimanche trouve subtil de balancer sur le site de ce journal la rumeur qui traîne dans tous les dîners en villes de la capitale sur de supposées infidélités conjugales réciproques du couple présidentiel avec des personnalités connues du show biz et de la politique. La rumeur fait le tour de la planète, et reçoit l’onction de journaux réputés sérieux dans les principaux pays européens. La presse française s’écrase, mais ne peut rien contre le buzz parti sur le web comme une fusée.
De l’Élysée, on n’entendra rien pendant plusieurs semaines, à l’exception d’une phrase de Nicolas Sarkozy en réponse à une question d’un journaliste-morpion anglais lors d’une conférence de presse commune, à Londres, avec Gordon Brown. « Je n’ai pas une seconde, même une demi-seconde, à perdre avec ces élucubrations », avait-il alors déclaré. C’était le 12 mars 2010, et il eût été sage de s’en tenir là : quelle que soit la réalité de la relation conjugale qu’il entretient avec son épouse, il est parfaitement en droit de refuser de faire état publiquement de sa vie privée dans l’exercice de ses fonctions politiques. Mais en même temps que le président de la République prononçait ces définitives paroles, on s’activait dans l’ombre, en son nom, pour découvrir qui pouvait bien être à l’origine de ces rumeurs. Le premier à être mis sous la pression élyséenne, par l’intermédiaire de son grand patron Lagardère, fut Olivier Jay, directeur de la rédaction du JDD. S’il existe, dans notre profession, quelqu’un de moins préparé à ce genre d’embrouilles, c’est bien Olivier Jay, que j’ai connu jadis comme responsable du service de presse de l’archevêché de Paris au temps de Mgr Lustiger. Le pauvre a dû passer une semaine sainte plutôt morose. Le jeune crétin est viré, son chef direct démissionne, mais cela ne suffit pas pour calmer l’ire élyséenne. On invite avec une certaine fermeté la direction du JDD à porter plainte contre X pour introduction frauduleuse d’informations sur le site web du journal, ce qui semble en l’occurrence juridiquement hasardeux. Auparavant, le directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, avait demandé à Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, le contre-espionnage français issu de la fusion de la DST et des RG, de mener une enquête sur l’origine de ces rumeurs. Comme les deux super-flics entretiennent des relations très étroites avec Nicolas Sarkozy (Frédéric Péchenard est même un ami d’enfance de ce dernier), il n’est pas pensable un quart de seconde que cette initiative ait été prise sans, au moins, le consentement du président.
La veille des fêtes pascales, l’Élysée ouvre la boite à gifles, en off et en on. Pierre Charon, intime du président lance la « théorie du complot ». La « firme », comme se désignent eux-mêmes les inconditionnels de la garde rapprochée de Sarkozy (Pierre Charon, Frank Louvrier, Brice Hortefeux et quelques autres), laisse entendre que Rachida Dati ne serait pas étrangère à la diffusion de la rumeur.
Résultat : la presse française, qui jusque-là s’était efforcée de rester dans les limites de la tradition nationale en matière de traitement de la vie privée des personnages publics se sent déliée de tout devoir de discrétion. De crapoteuse, l’affaire devient po-li-ti-que, donc on fonce !
Pour essayer d’éteindre l’incendie, on envoie, mercredi 7 janvier Carla Bruni répondre aux questions de l’employé de Lagardère, Claude Askolovitch sur Europe 1, radio propriété de ce même Lagardère.
En substance, la first lady (ou prima donna, mais là ça le fait pas question voix) déclare qu’elle et son mari ont toujours traité ces rumeurs par le mépris, que c’est bien embêtant, mais qu’il faut bien vivre avec, que Rachida Dati reste leur amie, et que jamais il n’y a eu d’enquête policière sur cette affaire avant la plainte déposée par le JDD. Moyennant quoi, la belle Carla passe soit pour une menteuse, soit pour une conne : Squarcini confirme à tous les médias qui veulent bien l’entendre que, début mars, ses limiers de la DCRI ont bien enquêté sur l’origine des rumeurs apparues sur le site du JDD. On en est là. Question à un million d’euros : comment aurait-on pu gérer plus mal une affaire qui n’est ni la première, ni la dernière de ce genre à se développer dans les arrières-boutiques putrides des officines plus ou moins proches des lieux où s’exerce la puissance ? La réponse est peut-être à trouver dans l’immortel ouvrage de science politique rédigé il y a trente ans par Michel-Antoine Burnier et le regretté Frédéric Bon intitulé Que le meilleur perde !. Les auteurs développent de manière brillante que l’objectif des hommes politiques n’est pas de gagner les élections mais de les perdre. Ils déploient pour ce faire une énergie immense, qui n’est hélas, pas toujours couronnée de succès. Il leur arrive parfois d’être élu. Mais on ne les y reprendra plus.
NB : Paul Deschanel (1855-1922) occupa brièvement la fonction de président de la République du 18 février au 21 septembre 1920. Sa démission fut provoquée par un accident ferroviaire hors du commun : il était tombé du wagon-lit où il passait la nuit, et fut retrouvé errant hébété sur la voie par un employé des chemins de fer. La presse et la vox populi le firent passer pour fou, ce qui rendit impossible son maintien à l’Élysée. Néanmoins, l’un de ses biographes affirme que « Deschanel n’est visiblement pas le président fou que l’on croit. Si on détecte chez lui un désir de fuite dans le travail, une occupation effrénée, une angoisse de déplaire, ces éléments sont tous d’ordre névrotique mais ne peuvent être considérés comme maniaques. Il aspira longtemps à une carrière artistique (écrivain et comédien) et ses discours, tous fameux, trahissent un besoin de séduction et une inclination nette au théâtralisme, voire à l’histrionisme (attitude caractérisée par le besoin d’attirer l’attention sur soi et de séduire l’entourage) ». Toute ressemblance avec (…) ne serait que pure coïncidence.
« On ne peut rien faire. » En votant pour Nicolas Sarkozy, les Français espéraient vaguement en finir avec cette ritournelle. On l’entend de nouveau chantonnée de toute part, de François Fillon, pour qui réforme est synonyme de réduction des déficits et uniquement de cela, à Jean-Claude Trichet, prêt à sacrifier tous les peuples d’Europe pour sauver l’euro, en passant par tous ceux qui ne cessent de susurrer au président qu’il ne faut fâcher ni les marchés, ni les Allemands, ni les Chinois, ni le FMI, ni la Commission, ni le CAC 40, ni Le Monde, ni Canal+, ni France Inter, ni les juifs, ni les musulmans, ni les Noirs… je sais, j’en oublie.
Les seuls qu’on ait le droit – ou même le devoir – de mécontenter sont les électeurs de Sarkozy, plus précisément ses électeurs issus des classes populaires. Ceux qui ont fait la différence en 2007. Il est vrai que beaucoup, avant de se rallier à la promesse volontariste, avaient fait un crochet par le Front national – souvent après avoir abandonné la gauche[1. « Un électeur lepéniste, c’est un communiste qui s’est fait cambrioler deux fois », me glisse un camarade. Ce n’est pas une blague. Ou pas seulement.]. Répondre à certaines de leurs attentes serait donc par nature un crime, tandis que « ne pas leur faire de cadeau » serait en soi une preuve de courage politique, surtout si cela consiste à ne rien faire.
[access capability= »lire_inedits »]Ces intermittents du lepénisme sont un alibi parfait pour poursuivre la « seule politique possible » désavouée par une majorité de Français en mai 2005. On se rappelle la désastreuse opération publicitaire imaginée par Julien Dray sous la forme d’une photo, publiée en « une » de Paris Match, de Nicolas Sarkozy et François Hollande se faisant des mamours sous le drapeau européen. Derrière la comédie de l’affrontement entre la gauche et la droite, on assiste bien à la reconstitution de la ligue dissoute UMPS.
On nous promet pour 2012 un nouveau choc de titans entre Sarkozy et l’un des innombrables candidats de gauche qui, les sondages en attestent, le battront au premier tour. En vérité, le clivage entre ceux qui croient à la politique et ceux qui n’y croient pas passe non seulement dans chaque camp, mais aussi à l’intérieur du cerveau présidentiel. L’ennui, c’est que là, ça penche du mauvais côté. Le volontarisme, c’est une affaire d’affects, de flonflons et de verbe, tandis que la raison incite toujours à la politique de ménagement de la chèvre et du chou. Quand le président affirme haut et fort qu’il ira au conflit pour sauver l’agriculture française, sans doute y croit-il. Nous, on n’y croit plus.
On les voit d’ici, ces conseillers et ces technocrates qui devraient avoir pour mission de transformer la décision politique en réalité administrative, préparer la retraite dès qu’un risque d’affrontement se profile. « Vous n’y pensez pas, Monsieur le président, la chaise vide, c’était une autre époque. Aujourd’hui, la France ne peut rien seule. » Ils l’ont laissé tenir ses discours musclés, à Davos et ailleurs, mais quand il aurait fallu congédier sèchement des « agences de rating » qui se croient autorisées à noter la République française, ils ont organisé la débandade. Par leurs criailleries, ils ont obtenu que le montant du grand emprunt soit compatible avec les exigences de cette police autoproclamée des finances publiques qui, voyez-vous, menaçait de « dégrader » la France, rien que ça, comme elle s’apprête peut-être à le faire pour le Portugal et l’Espagne.
Les euro-béats continuent à peupler nos médias et les couloirs de l’Élysée. Mais derrière chaque recul ou presque, on trouve une merveilleuse invention européenne. Dès qu’il s’agit de préserver la France d’un multiculturalisme qui lui va mal au teint – et qui ne réussit guère à ses voisins –, on en appelle à la future sagesse de la Cour européenne des droits de l’homme qui ne manquera pas, nous dit-on, de condamner la France. « On ne peut pas prendre le risque, Monsieur le président. »
Dans la litanie du renoncement, le « sauvetage » de la Grèce fera date. Voilà des années qu’on nous serine que seule l’Europe unie peut rivaliser économiquement avec l’Amérique et les autres, et elle ne peut que se résoudre piteusement à confier l’un de ses plus vieux membres aux « bons soins » du FMI, dont on peut s’attendre à ce qu’il fasse prévaloir la voix de la raison et des marchés financiers.
On me dira que le rapport de forces est défavorable et que toutes ces chimères politiques sont bien jolies, mais qu’il faut être réaliste. Peut-être. Peut-être sommes-nous incapables de reprendre la main face aux pouvoirs que nous avons mis en place pour nous censurer et, en somme, nous protéger de nos penchants coupables à l’autodétermination. Peut-être les États sont-ils déjà morts d’impuissance. En ce cas, qu’on nous donne du fric, du sexe et des jeux, et qu’on cesse de nous ennuyer avec les élections. Comme spectacle, il y a tout de même plus marrant.[/access]