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Gardarem lou Zemmour !


Gardarem lou Zemmour !
Zemmour, le Croisé sarrazin
Eric Zemmour
Eric Zemmour.

Insoluble « affaire Zemmour » ! Le coupable est la seule victime, et pourtant il ne peut s’en prendre qu’à lui-même… À moi Miss Marple, et le colonel Moutarde !

Le plus épatant, dans cette affaire, c’est qu’elle ait tant tardé. Depuis des années, le vibrion s’agite dans tous les sens et dans des médias toujours plus nombreux. Il y multiplie à plaisir aphorismes nauséeux® et prises de position directement contraires aux droits de l’homme et du cheval d’arçon.

Pourquoi avoir ainsi invité cet ennemi des libertés à s’exprimer devant tout le monde en toute liberté ? C’est qu’il y a de la demande, hélas ! Après avoir testé successivement la droite et la gauche, puis les deux ensemble dans toutes les positions, quarante millions d’électeurs se retrouvent, ces temps-ci, un peu blasés. En témoignent bien sûr le taux d’abstention record aux récentes élections régionales ; la remontée du FN qui – surprise ! – n’avait pas plus disparu que les problèmes qui l’ont créé ; et même, dans un autre registre[1. « Dans un autre registre » ? Voire… Je m’étonne qu’aucun politoLOlogue n’ait songé à accuser Zemmour de la remontée du vote FN.], la percée médiatique de Zemmour, le Croisé sarrazin.

[access capability= »lire_inedits »]Sans doute faut-il l’ardeur d’un néophyte, même de deuxième génération, pour clamer encore ce que les « vieux Français » fourbus n’osent même plus marmonner. Sans doute faut-il désormais des anars de droite pour remettre en cause la soumission à l’autorité mise en évidence en 1963 par les expériences du Pr Milgram[2. Et encore avant, semble-t-il, par le chancelier Hitler, et encore récemment par France 2, avec son putassier « Jeu de la mort » (en fait, un doc à grand spectacle démago et tout pourri).]. Encore ne s’agissait-il là que de science ; dans l’affaire qui nous occupe, l’autorité est carrément « d’ordre moral ».

Sans tomber directement sous le coup de la loi – malin, le singe ! –, le discours zemmourien ne cesse de violenter les valeurs les-plus‑fondamentales de la République, comme le droit de proclamer qu’il fait nuit en plein jour ou celui, pour les hommes, d’être des femmes comme les autres (cf. Monty Python, La Vie de Brian, XI, 3).

Mais c’est seulement au bout de toutes ces années que le CSA, les ligues de vertu et Le Figaro se sont émus de conserve. Et de quoi, s’il vous plaît ? Là est le comble du paradoxe : même pas d’une saillie plus scandaleuse qu’à l’ordinaire ; de l’énoncé d’un fait. « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. »

Une « intuition » aussitôt confirmée, sur son blog, par l’avocat général Philippe Bilger[3. L’homme par qui j’aimerais être jugé, pour peu que je commette un crime.] : « Je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles, et parfois criminelles, à Paris, et il ne pourra que constater la validité de ce fait. » En disant ça, l’excellent homme savait de quoi il parlait – mais pas l’essentiel : ce qui allait lui tomber sur le coin de la tronche. Le 24 mars, dans « L’Objet du scandale », il était mis à la question par le térébrant duo Miller-Bonnaud. Et dès le lendemain, il était convoqué par son supérieur, le procureur général, comme un vulgaire Zemmour par son Mougeotte…

Alors ? Affaire de médias, affaire de mœurs, affaire d’État ? Les trois, mon objecteur ! Toute vérité n’est pas bonne à dire, dès lors qu’elle risque de heurter la sensibilité d’une minorité sensible.

Pour éviter à l’avenir de tels débordements, il convient de légiférer. Je propose le vote solennel, par les deux assemblées réunies en Congrès, d’une loi ayant valeur constitutionnelle. La « Loi sur la Vérité », ça sonne bien, non ?

Du coup, n’importe qui ne pourrait plus se laisser aller à énoncer comme ça, publiquement, n’importe quel fait. En revanche, bien entendu, la liberté d’opinion resterait protégée et même élargie ! Idéalement, dans une démocratie digne de ce pseudo, Zemmour devrait pouvoir balancer impunément à BHL que la plupart des juifs sont des dealers, ou au président du CRAN que les Noirs sont décidément un peu nombreux dans les médias.

Mais je m’égare… C’est la faute à Bilger, aussi, et à ses arguties sur les « faits » qui, en vérité, sont parfaitement hors sujet. En fait de faits, le chœur des faux-culs a fait mine de comprendre l’inverse de ce que disait Zemmour pour mieux s’en indigner.

Vérifiez par vous-mêmes auprès des « vraies gens », si vous en connaissez. Ce que le public d’attention moyenne aura retenu, c’est quoi ? Pour Zemmour, la plupart des Noirs et des Arabes sont des trafiquants ! Ou, encore mieux, les Nègres et les bougnoules, c’est pas sa tasse de thé.

Bref, il passe désormais auprès d’eux pour un gros raciste. La simple mention de son nom les hérisse, furieux et humiliés qu’ils sont par ce qu’on leur a dit qu’il avait dit d’eux…

Eh bien Eric, regarde-moi, je fais mes yeux sérieux : tu as le devoir de lutter contre cette « forgerie » ! Au-delà de ta personne, il y va de l’idée de cohésion nationale à laquelle tu prétends être si attaché. Allez, ça ne va pas te plaire, mais je le dis quand même : je rêve d’un Petit frère bis, version optimiste ! Pour défendre les mêmes thèses, tu y mettrais en scène d’honnêtes citoyens amoureux de la France, et pourtant d’origine chelou.
Ça relève plutôt du passé !, tu me diras.
– Ta Mélancolie française aussi !, répondrai-je du tac au tac.
Justement, je suis pas d’un naturel optimiste, enchaîneras-tu.
Et alors, trancherai-je, t’as qu’à dire que ton narrateur est optimiste ! Dans un roman, on peut tout se permettre, non ?

En attendant, permets-moi un instant de me la jouer solennelle, comme Miller & Bonnaud toute l’année : aucun Français issu de l’immigration ne devrait se sentir exclu de la communauté nationale par tes propos – même scandaleusement trafiqués. Et pour tout dire, ta phrase, même avant son « inversion satanique », était déjà un peu sèche.

Compte tenu du climat de tension actuel (et vraisemblablement destiné à durer), des francs-tireurs comme toi n’ont pas intérêt, ni même le droit, de rater leur cible. « Feu sur les ours savants de l’antiracisme », bien sûr ! Mais pas au risque de blesser des innocents et de tirer contre ton camp.

Les responsables du désordre établi, tu l’as déjà dit et écrit, c’est pas les saisonniers de Lampedusa ou de Calais. Ce sont nos gouvernants infoutus, depuis trente ans, et comme génétiquement, de conduire une politique cohérente en matière d’immigration[4. Comme d’ailleurs, dans d’autres domaines, que seule la place nous empêche d’aborder ici.].

À ta décharge[5. Y en a même, chez les humoristes humanistes, qui t’appellent « Détritus ». Yo !], je reconnais volontiers que des truc simples comme ça, c’est pas évident à faire passer à la télé. Chez Ardisson, bien sûr, on t’aurait coupé au montage en moins de temps qu’il n’en faut pour démentir. Chez Durand, c’est pas mieux : apparemment, ses deux flics en plastique ont le droit de poser toutes les questions sans être obligés contractuellement d’écouter les réponses. Fallait voir le pauvre Eric s’échiner en vain à leur faire entendre une idée simple : c’est le droit du sol qui rend indispensable l’assimilation[6. Le droit du sang, c’est plus coulant…]. Non, ces gens-là ne veulent entendre que l’utopie qui les nourrit. Ni sol ni sang, ni assimilation ni intégration : juste « accueillir toute la misère du monde » – et même un peu plus s’il y a de la place ! Bien sûr que c’est aberrant, et alors ? Bien sûr que Rocard disait le contraire ; mais aussi, t’as vu où ça l’a mené, pour finir ?

Il a pas un métier facile, le Zemmour ! Vous me direz : il l’a bien cherché… Mais moi qui l’ai connu avant vous[7. En 1989, au Quotidien de Paris, t’as mieux ?], je peux témoigner d’un truc : il n’a pas choisi son credo comme un créneau. Le mec a observé, enquêté, lu, réfléchi même…

Le pire, pour lui, c’est qu’il a conclu à la tradition – au sens où elle s’oppose à l’utopie. A l’en croire, la politique ne consiste pas à inventer le meilleur des mondes ; juste à éviter le pire. Même que, d’après lui, la question se serait déjà posée dans l’histoire du monde, y compris au niveau de la France…

Alors, quoi ? Zemmour, martyr de ses idées ? N’exagérons rien. L’ouragan CSA-Figaro-Licra ne l’a pas emporté. Reste la semonce de France Télévisions : la liberté d’expression, paraît-il, ne peut se concevoir que « dans le respect des valeurs du service public ». À Eric, désormais, d’en tirer les leçons qui s’imposent – notamment sur la longueur de sa laisse médiatique.

S’il se calme, il peut encore aspirer à devenir l’Alain Duhamel des années 2030 – avec sourire, Solex et cerveau coordonnés. Le genre à justifier toutes ses erreurs par sa déontologie : drapeau blanc, je suis l’ONU de la Pensée !

Après la tempête, sur I>Télé puis chez Ruquier, ce béjaune d’Eric a reconnu, très ému, « avoir perdu [son] calme » chez Ardisson. Les deux fois, j’ai craint qu’il ne s’effondre : mais non ! Il s’est arrêté juste à temps, après avoir montré qu’il ne savait pas trop bien comment marche la télé, c’est dire à quel point il était resté humain.

Dieu veuille qu’il ne se calme pas plus que ça ! Nous avons besoin de rebelles, et Zemmour en est un. La preuve : il préfère les Stones aux Beatles ! Le rock qui va en taule plutôt que la pop décorée par la Reine.

Pour autant, n’allez pas croire que je partage toutes les idées de ce monsieur. Moi aussi, je peux prendre mes distances ! Quand par exemple, dans Mélancolie française, il se prend à désespérer de l’avenir de la France, je dis non ! « Le désespoir en politique est une sottise absolue », comme disait, heu, Charles Maurras.

Tiens, au fait, c’est bon pour Zemmour, ça : si un vieux collabo, sourd et mort de surcroît, le traite de « sot », c’est qu’il ne peut pas être tout à fait mauvais. Moi, en revanche, je suis mal pris, avec ma citation à la con…[/access]

Avril 2010 · N° 22

Article extrait du Magazine Causeur



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