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Des chiffres et des leurres


Des chiffres et des leurres
Photo Flickr.com / Andres Rueda
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Photo Flickr.com / Andres Rueda

Tant pis pour mon CV d’archéogauchiste, voire de stal grand teint, j’avoue ne pas avoir la religion de l’impôt, enfin de tous les impôts. Et quand certains, comme Manuel Valls , proposent de liquider simultanément le bouclier fiscal et l’ISF, j’ai l’impression qu’on va plutôt dans le bon sens –à condition bien sûr de ne pas se contenter de ça n’y même de s’arrêter à une banale tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu.

Tout d’abord l’ISF : d’humeur sportive aujourd’hui, je commencerai par plaider contre moi-même : il va de soi que l’argument selon lequel il faut l’abolir parce que nos voisins européens l’ont fait est irrecevable. Ou alors on interdit illico la corrida et les fromages qui ne sont pas en plastique- et puis tant qu’à faire, on réintroduit le droit du sang dans la constitution, comme chez nos bons voisins allemands. Non en vérité, s’il faut en finir avec ces vaches sacrées, c’est parce que les sommes en jeu relèvent de la petite bière.

L’ISF rapporte grosso modo trois milliards par an et le bouclier fiscal coûte à la louche un demi milliard. Une peccadille absolue au regard des ponctions budgétaires générées par les niches fiscales (un manque à gagner de 70 à 75 milliards d’euros par an -dont plus de 20 millards pour la seule niche Copé sur les cessions de parts!). Il faudrait aussi se pencher sur les niches sociales, qui regroupent toutes les exemptions de charges salariales et surtout patronales qui s’élèvent à 33 milliards – à eux seuls, les allègements de cotisations des entreprises sur les bas salaires ont coûté 22,8 milliards d’euros en 2009. C’est bien sûr de ce côté-là qu’il faut chercher l’argent. Pas par présupposé idéologique, mais arithmétique, tout bêtement parce que c’est là qu’il est.

On m’objectera que les niches fiscales et sociales créent de l’emploi, ou le protègent. Foutaises, ou quasi comme. En l’occurrence, elles protégent surtout les marges bénéficiaires et les dividendes. Si j’étais un libéral authentique, j’imagine que je serais épouvanté à la seule idée qu’une entreprise qui fait des profits bénéficie en même temps d’exemptions de charges, ne serait-ce parce que ça fausse le jeu de la libre concurrence mondiale, et puis surtout parce que c’est nous qui paye. Quant à l’intérêt de ces cadeaux Bonux en matière d’emploi, on vient d’en avoir une démonstration évidente avec l’impact zéro de la baisse de la TVA dans la restauration.

Autre piste sérieuse pour faire rabouler le pognon, la lutte contre la fraude. La fourchette basse de l’évaluation de la fraude fiscale et sociale se situe entre 29 et 40 milliards . Il faut savoir que l’ensemble des personnels des secteurs concernés (fisc, mais aussi URSSAF ou Inspection du Travail), ne cessent de se plaindre des diminutions de personnel ou de l’absence d’investissements de modernisation. Ce qui fait que par exemple, les contrôles se concentreront plus sur les salariés (fastoche) que sur les professions libérales (long et compliqué). Mais chacun sait que les médecins ou les avocats ne fraudent jamais le fisc…

Bref, des chantiers à ouvrir, il y en a. A terme on pourrait même, en s’y attelant sérieusement résorber sans trop de casse le déficit budgétaire ou celui de l’Assurance-maladie. Mais à gauche comme à droite, on préfère se focaliser pour ou contre des gadgets insignifiants comme le bouclier ou l’ISF, dans lesquels j’ai de plus en plus de mal à voir autre chose que des leurres. Le fait que la quasi totalité des forces politiques hexagonales soit d’accord sur les dogmes liés à l’Europe ou à l’entreprise sans jamais oser nous dire ce qu’il y a dedans augure mal d’une telle remise à plat.

Certes on parlera beaucoup de niches dans les jours à venir, mais parions qu’on se contentera d’en parler. Les capitaux privés financés sur fonds publics ont de beaux jours devant eux. Ça s’appelle le libéralisme à la française.



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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