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Iran : même pas mal !

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Mahmoud Ahmadinejad

Grande nouvelle ! Les dirigeants chinois seraient maintenant disposés à ne pas opposer leur veto à un nouveau train de sanctions imposées par l’ONU à la République islamique d’Iran qui s’obstine à poursuivre son programme d’armement nucléaire.

Après la Russie, qui s’est ralliée au principe d’une pression internationale accrue sur le régime de Téhéran en échange d’un nouveau traité entre Moscou et Washington sur la réduction des armements stratégiques, c’est Pékin qui semble de mettre au diapason de la ligne « dure » des Occidentaux.

En fait, lorsque l’on regarde l’affaire de plus près, le « revirement » des Chinois consiste simplement à accepter de discuter, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU augmenté de l’Allemagne, de l’ampleur d’éventuelles sanctions s’ajoutant à celles déjà en vigueur.

Ces discussions devraient se poursuivre jusqu’à la fin du printemps, une échéance proposée par Barack Obama lors de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy. La Chine, et dans une moindre mesure la Russie, vont se battre pour que ces sanctions soient les moins douloureuses possibles pour le régime de Mahmoud Ahmadinejad. Elles seront soutenues, au sein du Conseil de sécurité, par le Brésil et la Turquie qui y siègent actuellement comme membres non permanents.

L’attitude de Pékin est toute de subtilité asiatique : les dirigeants chinois sont opposés à ce que Téhéran se dote d’armes nucléaires, mais ne soutiendra pas des sanctions « mordantes », telles que l’embargo sur les livraisons de carburant raffiné ou l’interdiction des ports internationaux à la flotte commerciale iranienne.

Le texte qui sera soumis au Conseil de sécurité sera donc, obligatoirement, un texte de compromis, et le temps nécessaire à sa rédaction mis à profit pour négocier en coulisses avec Téhéran d’une sortie de crise où personne ne perdrait la face. Cette séquence de quatre mois correspond, comme par hasard, à l’exigence adressée à Benyamin Netanyahou de gel des constructions à Jérusalem-Est.

L’option militaire, qui était encore sur la table avant l’accession de Barack Obama à la Maison Blanche, comme recours, au moins rhétorique, dans le dialogue avec Téhéran, est maintenant explicitement écartée par le Département d’Etat et le Pentagone.

Tous les efforts de la diplomatie US sont actuellement consacrés à dissuader Israël de se livrer à une attaque préventive contre les installations nucléaires iraniennes, en échange d’un « parapluie » nucléaire américain face aux menaces de Téhéran. Deux journalistes israéliens de Haaretz, Avi Issacharoff et Amos Harel, très bien introduits dans l’establishment militaire et diplomatique israélien, ont fait récemment état de la conviction de la plupart des hauts responsables de l’Etat juif : l’administration américaine se prépare à vivre avec un Iran doté de l’arme nucléaire, et discute avec ses alliés européens membres de l’OTAN de la posture à adopter dans cette éventualité. Le discours alarmiste de Barack Obama , le 2 avril , sur CBS News, affirmant que Téhéran poursuit imperturbablement ses objectifs nucléaires montre, certes, qu’il est tout à fait au courant de ce qui se passe. Mais ces propos ne s’accompagnent, en aucune façon d’une escalade, même verbale, de nature à faire comprendre à Ahmadinejad et Khamenei qu’ils risquent gros à se comporter de la sorte.

Même si l’on n’est pas la petite souris que l’on rêverait d’être lors des briefings stratégiques à la Maison Blanche, on peut imaginer la teneur des échanges entre les divers acteurs de ce dossier. Les militaires sont obnubilés par une sortie d’Irak, prévue pour la fin de l’année, qui ne soit pas pourrie par des attentats perpétrés par des milices chiites proches de Téhéran, plutôt calmes en ce moment. La neutralité iranienne dans le conflit afghan – les mollahs iraniens ne portent pas les talibans sunnites dans leur cœur – est précieuse, car elle évite de précipiter les persophones afghans dans la rébellion. Enfin, un Iran nucléaire, c’est peut-être ennuyeux pour les alliés traditionnels des Etats-Unis au Moyen-Orient (Egypte, Arabie Saoudite), mais cela ne menace en rien la sécurité des Etats-Unis. On devrait pouvoir calmer les angoisses de Ryad et du Caire avec le déploiement de quelques missiles nucléaires à moyenne portée dans le secteur. Les diplomates, ces « petits messieurs en pantalon rayé » que méprisait Harry Truman, ne portent plus de pantalon rayé, mais restent des champions de l’appeasement tous azimuts et se remettent lentement des traumatismes à répétition subis pendant l’ère George W. Bush. Les représentants de l’économie ont une peur bleue d’un nouveau choc pétrolier qui pourrait survenir si la crise iranienne dégénérait en un affrontement violent, armé ou non. La presse et l’opinion publique, aux Etats-Unis et en Europe sont peu mobilisées sur cette question. Le mouvement de solidarité avec les opposants iraniens à Ahmadinejad, qui est bien réel, ne contribue pas à pousser les gouvernants vers la fermeté : un choc frontal avec le régime de Téhéran pourrait provoquer un mouvement de rassemblement populaire autour du régime, affirment des exilés iraniens et ceux qui les soutiennent.

Rien n’incite donc Washington à pousser les feux sur ce dossier, et l’on ne voit pas comment des Européens, plus lucides sur les dégâts prévisibles provoqués par un Iran nucléaire que la nouvelle administration américaine, pourraient agir seuls, ou même persuader Washington de se montrer plus ferme.

Au bout du bout du banc, le dilemme est porté par les seuls Israéliens : to hit or not to hit, frapper ou ne pas frapper. L’Iran puissance régionale nucléaire, cela signifie la fin du pouvoir de dissuasion d’Israël vis-à-vis du Hezbollah et du Hamas, l’ébranlement des régimes « modérés » de la région, principalement en Jordanie et en Egypte où les islamistes auront beau jeu de faire valoir que la résistance paie plus que la soumission. On peut estimer, sans être traité d’apprenti-sorcier, qu’il est légitime, d’un point de vue israélien, de tout faire pour éviter de se retrouver dans une telle situation. L’hypothèse, avancée par quelques têtes d’œufs de think tanks américains de gauche, selon laquelle la possession de l’arme nucléaire responsabiliserait le régime des mollahs, comme elle a jadis rendu rationnelle et prudente la politique extérieure de l’URSS, ne semble pas de nature à rassurer les gens ordinaires de Tel Aviv ou Haïfa.

Tout cela, comme disait ma grand-mère, ne présage rien de bon pour nous. Et ce nous, en l’occurrence, va bien au-delà de ceux qui se réclament de la culture et de la tradition juive.

Le journalisme est-il un « métier pourri » ?

Jean-Luc Mélenchon

D’accord, Jean-Luc Mélenchon est mal tombé. Tant qu’à s’attaquer aux journalistes, mieux aurait valu choisir un puissant, une star de la profession. Affronter Apathie, Demorand ou Pujadas, ça aurait eu plus d’allure que de tomber à bras raccourcis sur un étudiant de l’école de journalisme de Sciences Po. Enfin, le jeune Félix Briaud aura ainsi eu droit à son quart d’heure de célébrité et, sans doute, aux félicitations de ses professeurs tous soigneusement recrutés dans les médias où on pense bien.

D’autre part, si le patron du Front de Gauche a bien raison de s’en prendre au goût des médias – y compris des plus sérieux – pour l’insignifiant et le people, il a mal choisi son terrain. En effet, la réouverture des maisons closes serait assurément un progrès, à la fois pour la paix des familles et pour les dames qui y officieraient. C’est donc un sujet d’intérêt général– même si le patron du Front de Gauche considère la sexualité comme une affaire bourgeoise…

Pour finir, c’est très mal de traiter de « petite cervelle » quelqu’un dont, à l’évidence, on n’a pas eu le temps de mesurer le tour de crane. Et puis, au lieu de parler de notre « métier pourri », Mélenchon aurait pu dire qu’il était « mal parti » ou se lamenter sur notre « profession sinistrée » – intellectuellement et socialement, ce qui devrait d’ailleurs susciter l’intérêt de ce bon marxiste.

Si toutefois on consent à mettre ce vocabulaire, un peu excessif et somme toute négligé pour un homme qui brandit la dignitas, sur le compte de la colère, il faut admettre que ses propos relèvent du bon sens. Qu’un homme politique veuille être interrogé sur son programme plutôt que sur sa vie privée ou l’élection de Miss France, cela devrait être une évidence.

Je n’en suis pas très fière, mais ça me réjouit toujours qu’un politique se permette d’engueuler un journaliste. Rien n’est pire que le spectacle de ces élus acceptant de se faire maltraiter en direct par des interviewers qui se croient rebelles parce qu’ils jouent les flics ou insulter par des pseudo-comiques qui, comme le résume notre ami Alain Finkielkraut, réclament la liberté quand ils veulent l’impunité. Ou plutôt si, il y a pire : les politiques qui, depuis la fameuse question posée par Ardisson à Michel Rocard, acceptent n’importe quoi pour passer à la télé, y compris les questions et les voisinages les plus dégradants.

Seulement, il ne suffit pas de s’en prendre aux journalistes. Dans le trio que forment journalistes, politiques et public, tout le monde conspire dans le même sens, celui de l’indigence et de l’insignifiance quand ce n’est pas celui de la vulgarité. Si des journalistes ou des amuseurs faisant office de journalistes exercent aujourd’hui un pouvoir exorbitant quoi qu’en disent ceux qui hurlent tous les quatre matins à la  liberté menacée, c’est bien parce que les politiques ont accepté de se dessaisir du leur. « On ne gouverne pas contre Le Monde », disait Jospin, officialisant la transformation des contre-pouvoirs en pouvoir. On aimerait convaincre ses successeurs que gouverner, c’est aussi et peut-être d’abord être capable de s’opposer au Monde – et aux autres.

Gaffe à la cédille

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Si vous êtes l’heureux possesseur d’un iPhone, mieux vaut demander à vos interlocuteurs « Comment vas-tu ? » plutôt que « Comment ça va ? ». Tout d’abord parce que c’est plus joli, mais surtout parce que, d’après nos vigilants confrères de 60 millions de consommateurs, la lettre c, quand elle est pourvue d’une cédille, fait dérailler les téléphones d’Apple et exploser le tarif des SMS. Méfiance, donc, mais pas de parano non plus. Tout d’abord parce qu’on est à l’abri de ce type de déboires si on dispose d’un forfait SMS illimité, ce qui est plus que fréquent pour les iPhones. Et puis les mots à cédille sont plutôt rares dans l’univers du texto : on n’en trouve ni dans « Téhou? », ni dans « Apl! », ni dans « biz », ni même dans « Sava? »

L’Eglise à l’Index ?

Autant l’avouer tout de suite, je suis catholique. Je sais que c’est grave, mais j’assume. Courageusement. Autant vous l’avouer aussi, au risque de vous surprendre, je ne suis pas pédophile. Normal, me répondrez-vous, vous n’êtes pas prêtre. En effet.

D’ailleurs au risque de vous surprendre encore un peu plus, je n’ai jamais eu, enfant, affaire à un curé pédophile et Dieu sait (Dieu merci, d’ailleurs, comme dirait mon pote Lecœur de Direct 8) que j’en aurai vu, des curés. Jusqu’ici, je suis sûr que vous vous dites que ce papier n’est pas très intéressant. Alors, venons-en aux faits, puisqu’on n’a pas que ça à foutre, surtout sur internet, y a aussi morandini.com à regarder, Eric Zemmour à écouter et le mur de Facebook à rafraîchir.

On nous délivre en cascade depuis quelques jours, en une cascade à tel point ininterrompue qu’on se demande forcément qui en a ouvert les vannes, des « révélations » sur des cas, innombrables semble-t-il, de pédophilie presbytérienne. Les agissements passés de ces curés sont abominables et moi, qui suis catholique, j’ai honte. J’ai vraiment honte, contrairement à divers commentateurs qui, même en prenant un air grave et en baissant pudiquement les yeux, arrivent de plus en plus mal à dissimuler leur joie maligne de voir tomber dans la fange ordinaire d’un mal qui est ici tout sauf banal des hommes consacrés à Dieu lesquels, prêchant une morale horripilante toute la journée, se révèlent en réalité comme les pires pourceaux.

Entendons-nous bien. J’ai honte de ces prêtres, pas de l’Eglise catholique. Ce qui est bien dans l’Eglise, disait mon Bernanos favori, c’est qu’on est entre pécheurs. En l’occurrence, comme des millions, des centaines de millions d’autres catholiques, je me serais volontiers passé de cette cohabitation. Je me serais surtout volontiers passé de l’existence des pédophiles en général, qu’ils soient curetons ou libertins de confession, ou encore personne. Mais je n’ai pas honte de mon Eglise, de l’Eglise tout court, car, comme disait ailleurs le même Bernanos sans craindre l’apparence du paradoxe, « notre Eglise est l’Eglise des saints ». Et en ce moment même, j’en vois bien un de ces saints qui, surexposé, est l’objet destinal de toutes ces révélations : le petit homme en blanc, parce qu’il a entrepris tel un autre Christ de nettoyer les écuries d’Augias, de crever l’abcès, de faire le ménage, est chargé du poids de tous les péchés du monde. Nul doute qu’il s’y soit soumis en connaissance de cause. Mais peu importe à l’opinion publique le courage du Pape. Ce n’est pas cela qu’elle veut.

Le travail qui devrait nous faire frémir si nous n’y étions déjà habitués depuis des décennies, c’est celui qu’accomplissent les journalistes des quatre coins du monde, qui se sont ligués comme un seul homme contre un seul homme pour enfin faire venir au jour la vérité. Il y a un paradoxe profond dans notre époque, une faille qui clive son être : alors qu’elle fait profession de religion scientifique, qu’elle a pris définitivement le costume du technicien à qui on ne la fait pas, de l’expert surdoué en toutes matières, elle fait aussi bien abstraction des chiffres qu’elle idolâtrait la minute d’avant quand ils ont le mauvais goût de la contredire. On vient de le voir avec l’étrange affaire Zemmour à qui personne n’a su opposer le moindre chiffre qui invalidât sa phrase. Que celle-ci ait été opportune, je ne le crois pas, mais c’est une autre affaire.

On le voit aussi avec l’affaire de la pédophilie des prêtres. De deux choses l’une : soit on pense que ce sont des êtres intrinsèquement pervers et qu’il faut interdire formellement leur ministère, comme on ferait de la première secte venue ou, à tout le moins, les débarrasser de gré ou de force d’un célibat qui aurait fait d’eux ces monstres ; soit l’on est choqué que des hommes consacrés à la charité, au Bien sous toutes ses formes, aient pu fauter, et l’on rend ainsi témoignage à la foi qui les meut habituellement. Ce n’est certainement pas cette deuxième option qui prévaut dans l’orchestre des faiseurs de scoops actuels.

Il leur faut donc démontrer que le catholicisme ou le célibat de ses prêtres engendrerait les tendances ou les actes pédophiles. Et là, ils vont avoir du fil à retordre. Redonnons encore une fois des chiffres qui trainent un peu partout, mais qu’on n’aura pas de raison de cesser de répéter tant qu’ils n’auront pas vraiment été lus : d’une part, selon le ministère français de la Justice, 90% des affaires recensées de pédophilie concernent des hommes mariés. D’autre part, selon les données annoncées Mgr Charles J. Scicluna, ministère public du tribunal de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Avvenire, de 2001 à 2010, il y a eu environ 3.000 accusations regardant des prêtres diocésains ou religieux pour des crimes commis ces 50 dernières années, dont seulement, si l’on ose dire, 10 % peuvent être qualifiées véritablement en pédophilie. On arrive donc à 300 prêtres sur 400.000 dans le monde. On peut bien entendu supposer que de nombreux cas n’auront pas été portés à la connaissance des autorités, mais cela reste de l’ordre de l’hypothèse. Mais surtout, last but not least, Philip Jenkins, qui est le spécialiste américain du sujet (et qui n’est pas catholique) après avoir enquêté pendant 20 ans sur le lien possible entre pédophilie et célibat consacré, arrive au chiffre précis pour le diocèse de Chicago d’1,8 % de prêtres coupables de faute sur mineur, dont un seul sur 2200 était véritablement pédophile. Il y ajoutait cette déclaration déterminante : « Mes travaux sur des cas au cours des 20 dernières années n’indiquent aucune preuve quelle qu’elle soit que les catholiques ou les autres clercs célibataires soient plus susceptibles d’être impliqués dans l’inconduite ou de mauvais traitements que les ministres de toute autre confession – ou même, que les non-clercs[1. Le 3 mars 2002 dans la Pittsburgh Post Gazette]. »

On pourra en outre consulter une étude britannique, qui rapporte que sur 60 cas d’abus par des ministres du culte, toutes confessions confondues, 25 sont le fait de prêtres catholiques, 35 de protestants et d’anglicans (mariés) ; que selon les chiffres du Guardian, la proportion de pédophiles dans l’Eglise est rigoureusement la même que dans les autres milieux ; que, toujours selon Jenkins, cité par le journaliste italien Massimo Introvigne, « si l’on compare l’Eglise catholique des Etats-Unis aux différentes « dénominations » protestantes, on découvre que la présence de pédophiles est – selon les dénominations – de deux à dix fois plus élevée parmi les membres du clergé protestant que chez les prêtres catholiques. » ; et enfin, toujours d’après Introvigne, que « dans le même temps où une centaine de prêtres américains étaient condamnés pour abus sexuel sur des enfants, le nombre de professeurs d’éducation physique et d’entraîneurs d’équipes sportives – eux aussi en grande majorité mariés – reconnus coupables du même crime par les tribunaux américains avoisinait les 6000. »

Je suis bien d’accord avec vous, les journalistes, ce ne sont que des chiffres qui ne soignent pas du tout les victimes des abus de religieux pervertis. Qui au contraire, auraient plutôt tendance à les assommer un peu plus s’il était possible. Mais qu’au moins, devant ces chiffres, l’on cesse enfin de nous bassiner avec la question du célibat catholique latin. Une bonne fois.

De toute façon, ne me prenez pas pour un imbécile : je ne vous prends pas pour des imbéciles non plus et je sais très bien que vous ne voulez qu’une chose, atteindre cette pauvre Eglise dans son cœur. Et comme vous êtes des malins, vous savez que son cœur est à Rome et que c’est surtout un petit Allemand à tête de gros chat qui le fait battre (d’un point de vue humain, s’entend). Tant qu’il n’aura pas été roulé dans la boue, vous ne serez pas satisfaits.

Avouez, avouez au moins que vous aurez tout essayé, avec une persévérance qui vous honore : ses origines teutonnes, son passage forcé à la Hitlerjugend, son retour en arrière laissant présager des avant-hier qui chantent en latin, Pie XII et les Juifs, la capote et les Africains, la gamine brésilienne violée et avortée. Maintenant, les pédophiles. Ce qui vous emmerde bien, c’est qu’il n’ait jamais, lui, au grand jamais, caressé le moindre enfant : alors vous avez tenté de l’avoir par son frère, antique bonhomme tout ce qu’il y a de plus pur, vous avez fait donner la cavalerie aux gros sabots d’Hans Küng, le rival mimétique malheureux, vous avez fait dire aux Irlandais qu’il ne leur demandait pas assez pardon dans sa lettre ; et maintenant, vous ressortez l’histoire d’un curé américain ayant sévi il y a 35 ans et mort depuis. C’est un peu comme si l’on accusait tout Hollywood et tout le CNC français d’avoir couvert Polanski. Comme si toute la gauche française, Libé en tête, devait payer pour les âneries de Cohn-Bendit des années 1970.

En fait, vous me faites bien rigoler, même si je ne devrais pas dans la situation actuelle. Moi, j’ai mal. Mes curés me font mal. Vous, vous instrumentalisez des histoires sordides pour avoir la tête d’un octogénaire qui persiste à ne pas penser comme vous. Vous êtes sûrs de perdre devant la morale de l’Histoire, mais vous continuez. Pauvres de vous.

Des scientifiques demandent une « police » de la science

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Ce n’était pas une blague. Le 1er avril, Libération a publié en « une » un appel de quatre cents scientifiques qui demandent aux plus hautes autorités scientifiques du pays de remettre de l’ordre dans la pratique de la science en France. Il leur est entre autres suggéré de réaffirmer leur confiance dans les travaux des signataires et de rétablir leur dignité, qui selon eux, aurait été bafouée dans les médias par une petite poignée de climato-sceptiques citant Claude Allègre et Vincent Courtillot. Tout cela au nom de l’éthique scientifique et d’un supposé pacte moral entre les chercheurs et la société.

Ce n’est pas le fond de la controverse scientifique qui est là en jeu. C’est la démarche qui est sidérante. En effet, si les signataires s’estiment victimes d’affirmations mensongères ou calomnieuses, cela relève de la loi. C’est donc à la justice, pas aux institutions scientifiques qu’ils doivent faire appel. Demander à celles-ci de trancher en désignant les bons et les mauvais est proprement effrayant quand on en envisage toutes les conséquences. Les signataires ont-ils réfléchi au précédent qu’ils ont créé ?

« Combien de divisions ? » Les climato-alarmistes se prévalent sans cesse de cet argument stalinien. Ainsi l’unanimité des 2500 scientifiques du GIEC (chiffre contestable d’ailleurs) aurait force de preuve, de même que le fait d’aligner 400 signatures démontrerait la validité scientifique des affirmations des pétitionnaires. Ce serait presque le contraire. Une avancée scientifique est toujours le fait que d’une ou quelques personnes. Comme je l’ai rappelé à maintes reprises, la science est amorale, elle ne se décide pas, ni au consensus, ni à la majorité, ni à l’unanimité. Elle se démontre, et c’est tout. Peu importe par qui et pourquoi. Et surtout, on ne tranche pas un débat scientifique, on le fait progresser.

Cette pétition n’a rien à voir avec la science, elle a à voir avec la police de la science. Des scientifiques – que l’on croyait fort sourcilleux sur leur liberté académique – demandent à leurs tutelles d’intervenir pour les défendre au nom de ce qu’ils appellent l’éthique scientifique. Ils accusent ceux qui ne sont pas d’accord avec eux d’oublier « les principes de base de l’éthique scientifique, rompant le pacte moral qui lie chaque scientifique avec la société ». Et dire que Galilée fut à l’honneur l’année dernière… Cela me rappelle cette phrase de Schumpeter sur le marxisme : « La qualité religieuse du marxisme explique également une attitude caractéristique du marxiste orthodoxe à l’égard de ses contradicteurs. À ses yeux, comme aux yeux de tout croyant en une foi, l’opposant ne commet pas seulement une erreur, mais aussi un péché. Toute dissidence est condamnée, non seulement du point de vue intellectuel, mais encore du point de vue moral. » Malheureusement, cette vision limpide énoncée dès 1942 n’a eu aucune influence concrète sur les nombreuses dérives du marxisme à travers le monde pendant plusieurs décennies, ce qui ne porte pas spécialement à l’optimisme.

Tout citoyen, et encore plus tout responsable devrait avoir à cœur d’œuvrer pour maintenir une stricte séparation, entre science et la religion bien sûr, mais aussi entre vérité et croyance scientifique. S’il est légitime que des scientifiques croient en leur modèle, cela n’en fait pas une vérité. La confusion des genres serait in fine néfaste pour toutes, et en plus ferait monter la « température humaine » de bien plus de deux degrés.

Lorsque j’ai eu connaissance, le 24 mars, de la première version de cette pétition qui était encore plus délirante que celle qui a été publiée, le contenu m’a semblé tellement grotesque , la démarche si hallucinante, que j’ai cru à un canular. Dans ce climat religieux, cette atmosphère d’inquisition, je n’arrive toujours pas à me défaire de l’idée que cette pétition était un poisson d’avril !

Halte aux mots anxiogènes !

La presse a largement rendu compte des résultats du concours Francomots lancé par le secrétariat d’Etat à la francophonie. Ce concours, dont le but était de faire reculer les anglicismes, a accouché de quelques propositions crétines comme l’usage de « bolidage » à la place de tuning, de « ramdam » pour buzz (l’origine arabe de ramdam étant plus « correcte » que l’origine anglo-saxonne de buzz…), l’utilisation de « e-blabla » pour tchat, etc. Bref, un grand moment de rigolade pour les jeunes et l’occasion pour l’Afp de diffuser une dépêche au titre abyssal : « Des « néomots » rigolos pour bouter l’anglais hors du français ». Rigolo ? La presse a peu parlé, en revanche, des travaux de la sous-commission « mots anxiogènes » de la délégation à la langue française du ministère de la culture, qui a rendu ses conclusions au même moment : est recommandé l’effacement progressif des dictionnaires – et des discours publics – certains mots « anxiogènes », « dépassés » et « peu recommandables ». Ainsi est-il proposé de bannir le mot « nuit » au profit de « suspension temporaire du jour ». Il est suggéré également de mettre le « crépuscule » inquiétant au fond d’un trou. La sous-commission nous invite aussi à user avec une grande parcimonie des formules anxiogènes « ne peut », « n’est vraiment pas capable », « n’est pas assez belle », « ne peut pas passer en 5e avec ces notes », etc. Un Grenelle des néomots sera bientôt lancé afin de trouver des substituts acceptables à des notions négatives telles que : « religion », « moralité », « mort », « travail », « fidélité », « famille », « individualité », ou encore « langage ». Skyrock, la radio rap, devrait être associée au projet, ainsi que la Ratp, qui propose, dans ce contexte, un grand concours de slam citoyen.

Le bouclier et la burqa

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Il est des juxtapositions douloureuses. Celle qui voit se télescoper dans les JT la sanctuarisation du bouclier fiscal et l’enterrement de la loi anti-burqa relève du cas d’école.

Il est bien évident que l’opération poudre aux yeux mise en place pour hâter et célébrer le déculottage sarkozyste sur le « voile intégral » se solde par un fiasco non moins intégral. Pourtant, le Monde, le Figaro et Libé, dans un chœur touchant de vierges au Dalloz entre les dents, ont tenté, tout comme la gauche mainstream, de nous faire avaler le canular du Mais malgré les efforts des uns et des autres, il n’aura pas échappé à grand monde que ce refilage de mistigri au Conseil d’Etat était cousu de fil à plomb. D’autant plus qu’une semaine avant, on nous avait servi le même gag avec la taxe carbone et que la Belgique, c’est-à-dire l’État le plus impuissant – et le plus eurocompatible – de l’Union, n’a pas gobé, elle, le fabliau du Palais Royal selon lequel une bonne grosse interdiction de derrière les fagots nous exposait « à de sérieux risques au regard de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Donc on se fout du peuple, ce qui après tout n’est pas très grave en soi : c’est même le plus commun des modes de gouvernement, à Paris comme à Pékin, Londres ou Bamako. Le petit problème, c’est que tout le monde s’en aperçoit. Un peu comme avec la taxe carbone, donc. Mais aussi comme avec le Traité de Lisbonne, ou les aventures de Jean Sarkozy à l’EPAD et quelques autres faits d’armes élyséens. Le petit problème, c’est que mis bout à bout, ce qu’on a sous le nez n’est plus du simple foutage de gueule, c’est un 26 octobre postmoderne, dilué dans l’espace et le temps. Pour ceux qui n’étaient pas nés, on rappellera que le 26 octobre 1995, Jacques Chirac, élu cinq mois plus tôt dans l’enthousiasme sur le thème de la fracture sociale, avait expliqué aux Français que la résorption d’icelle était reportée sine die pour cause – déjà ! – d’Union Européenne.

Chiraquisation donc, mais hypocrite : l’actuel président n’a pas le courage de nous dire en face que son triptyque gagnant de 2007 populisme/réactivité/volontarisme était désormais bon pour les Archives nationales et qu’il avait rompu avec l’idée même de rupture. Et c’est pile à ce moment-là que déboule sur les plateaux la noria ministérielle de seconds couteaux prêts à se faire tuer sur place pour défendre le bouclier fiscal. Mettez-vous à la place d’un agriculteur, d’un délocalisé, d’un surendetté, ou plus banalement d’un électeur lambda. Ils n’ont pas forcément cru que le président irait chercher les points de croissance avec les dents. Mais ils ont cru qu’il se donnerait du mal. Et voilà qu’ils constatent aujourd’hui que les canines présidentielles s’en prennent surtout aux mollets de ceux qui contestent son bouclier fiscal. Or chacun sent bien qu’il existait douze mille façons raisonnables d’expédier ce gadget pour rentiers à la trappe. La crise mondiale blabla, la solidarité nationale taratata, les équilibres budgétaires et patati et patata…

C’est d’autant plus désolant que je ne suis pas moi-même accro au bouclier fiscal, pas plus qu’à l’ISF ou aux droits de succession. Et dans les deux sens. J’ai pas de religion, comme dirait l’autre, ou, plus précisément, je n’ai pas l’impression que leur maintien, leur suspension, ou leur suppression créerait un seul emploi supplémentaire. Parce qu’économiquement tout cela se passe à la marge de la marge. On est dans l’opérette économique. Une fiction qui arrange beaucoup de monde, à gauche comme à droite. Qui permet de faire croire qu’on est pour l’entreprise ou bien pour les travailleurs, alors qu’on a cédé à d’autres, sans discontinuer depuis trente ans, toutes les clefs et tous les leviers. Que toutes les politiques industrielles, économiques et sociales relèvent de l’accompagnement et de l’ajustement. Ce fut la force de Sarkozy d’avoir fait croire qu’on allait sortir de ce destin de nation-caniche : les sondages actuels sont à la hauteur de la déception. Certes, il n’est écrit nulle part que le constat de divorce acté aux régionales entre le président et son peuple de droite soit éternel. Mais on voit mal comment il va recoller les morceaux. Et ce n’est sûrement pas avec des messages tels que le bouclier ou la burqa que ses électeurs vont avoir envie de rentrer dormir à la maison…

Rupture, vous avez dit rupture ?

Un référendum sur la burqa ?

Pour tout dire, quand il m’arrivait – pas si souvent que cela d’ailleurs – de croiser, à la fin de mes vingt années de ZEP, des femmes en burqa, j’éprouvais à titre personnel un véritable sentiment de tristesse plus que de colère. Un très vieux fond judéo-chrétien me renvoyait, évidemment, à je ne sais quelle obscure culpabilité. Ces burqa ou même simplement ces foulards et ces hidjab chez des filles de plus en plus jeunes, c’était de ma faute.

Oui, j’aurais pu, nous aurions pu peut-être empêcher ça, empêcher que ne se referment sur la République les deux mâchoires du même piège à cons. D’un côté, à l’intérieur de l’école, le pédagogisme béat inconsciemment ethno-différentialiste et, à l’extérieur, des gouvernements de gauche ou de droite qui juraient qu’il n’y a pas d’alternative au néo-libéralisme, qui lui, pour le coup n’était pas voilé mais complètement échevelé. Nous aurions pu, mais nous étions si peu nombreux, soldats d’une armée qui n’avait plus envie de gagner la bataille de l’émancipation.

Le résultat était là : les corps gracieux, amis de l’espace, dans la ville aux friches industrielles refondées en théâtre d’art contemporain, avaient en quinze ans à peine cédé la place à des corps fantômes qui prouvaient mieux que n’importe quelle statistique économique que le repli identitaire s’était substitué à la lutte des classes.

Nous nous souvenions dans notre ville, au milieu des années 1980, que les premières revendications sur le voile étaient paradoxalement apparues chez des filles « qui s’en étaient sorties », élèves en hypokhâgne et en khâgne. Mais bien sûr, comme souvent, le paradoxe n’était qu’apparent. Ces jeunes filles qui lisaient Plutarque à main levée avaient dû tout prendre, tout arracher pour en arriver là. Rien ne leur avait été donné : elles avaient dû lutter contre une école qui gérait leur relégation sous les ripolinages de plus en plus délirants de « projets » pédagogiques qui étaient autant de villages Potemkine, elles avaient dû, souvent, lutter contre le grandfratriarcat encouragé par les anges de l’antiracisme comme vaseline sociale pour maintenir un semblant de vie familiale dans les quartiers.

Alors, le voile en hypokhâgne. Pour dire merde. Pour dire non. Pour mettre le système face à ses contradictions. « Oui, j’ai eu mention très bien au bac philo mais ce n’est pas grâce à votre école, à vos associations, à votre feinte compassion, à votre vrai mépris. » Qu’on regarde, pour se faire une idée de ce que je dis, les déclarations de Jeannette Bougrab, la nouvelle présidente de la Halde, dans un récent portrait d’elle dans la presse. Des choses du genre, alors qu’elle est une brillante élève de terminale C, « vous devriez faire infirmière plutôt que médecin ». Tout ça dit par des profs qui devaient probablement voter socialiste.

À droite, entre parenthèses, cela devrait calmer les idées reçues sur un enseignement tenu par des profs marxistes. S’ils avaient été majoritairement et efficacement marxistes, les profs en question, ce n’est pas avec un voile sur la tête qu’elles seraient arrivées en classe prépa, les beurettes, mais avec au mieux la carte du parti communiste ou de la LCR et au pire un cocktail Molotov. Mais non, les profs étaient sous la férule de Meirieu, lui-même devenu hiérarque d’Europe écologie. Vous voyez bien, amis de droite, que vous ne risquez plus grand chose de cette engeance-là

Alors le voile, ce voile de jeunes intellectuelles révoltées comme affirmation sans issue.

Maintenant, nous n’en sommes plus là, évidemment. Il n’y a que quelques sociéto-démagos du NPA pour faire croire qu’une candidate voilée, ça fait partie de la France d’aujourd’hui qui concilierait émancipation et signes religieux ostentatoires.

En tout cas, je ne sais pas qui était à la manœuvre, mais c’est réussi.

Parce que plus ça va sur cette question, moins ça va. André Gerin, sénateur maire communiste, est monté au feu sur la question et a initié une commission parlementaire sur la burqa, pointe avancée de cette névrose identitaire. Moi, Gerin, je lui faisais confiance. Il allait bien resituer le problème : le chiffrer, le circonscrire, faire le lien entre burqa et misère sociale, plus qu’entre burqa et je ne sais quelle invasion islamiste. Ou alors, mais ça revient au même, lier intégrisme religieux et relégation économique.

Mais voilà, Copé, brillant stratège, tout à sa carrière et à son opposition à Sarkozy, a grillé la politesse de la commission et réclamé une loi. La loi que finalement vient de proposer le président un peu inquiet tout de même par sa récente hémorragie électorale. Et avec une remarquable constance dans l’aveuglement, toujours persuadé qu’elle est due, cette déroute, à un traitement insuffisant de l’immigration et de l’insécurité alors que le FN doit son succès, avant tout, à une campagne sociale.

Comme vient de nous l’expliquer notre chère rédactrice en chef, cette loi qui prévoyait une interdiction totale de la burqa a été déclarée contraire au droit par le Conseil d’état. Il faudrait donc d’après Elisabeth que le président appelle à un référendum.

Un référendum sur la burqa, quand on propose moins de cent cinquante euros aux Conti pour aller bosser en Tunisie, ne nous semble pas une priorité mais bon, admettons.
Eh bien, je dis : « Chiche ! »

Je dis chiche parce que la burqa est devenue plus qu’un symbole ; elle est devenue la cristallisation de toutes les peurs et les frustrations des uns et des autres. Il faut effectivement laisser la parole au peuple. On a parfois de bonnes surprises : le referendum de 2005 a été assez amusant, dans le genre.

Je suis certain que dans l’esprit d’Elisabeth, il ne pas de stigmatiser qui que ce soit mais qu’elle le propose au nom d’une ligne républicaine forte, au nom de l’égalité.

Mais si je lui fais confiance à elle, ce n’est pas le cas pour beaucoup d’autres qui refuseront d’articuler cette interdiction sur la question sociale et trouveront là un prétexte juridique à un vote aimablement raciste.

Alors pour dissiper tous les doutes, je propose que le libellé de la question soumise à nos compatriotes soit le suivant : « Etes vous favorable à l’interdiction totale de la Burqa et pour un smic à 2500 euros ? »

Il aurait été plus simple de mettre tout de suite le smic à 2500 euros pour faire disparaître la burqa, mais bon, je ne vais pas sombrer dans l’utopie, non plus…

À vos marques !

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Ségolène Royal vient de déposer à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) la marque « Université populaire ». Tous ceux qui, depuis des lustres, et même plus, ont passé quelques soirées parfois passionnantes, parfois chiantes, sur les chaises incommodes des salles municipales pour entendre les conférences-débats organisées sous ce sigle en avalent leur dentier. L’UP une marque ? comme Chevignon ou Hermès? Il fallait une allumée comme Ségolène, sans doute induite en erreur par un compagnon à la redresse dans le créneau marque, pour oser ce hold-up sur ce patrimoine immatériel de milliers de bénévoles laïcs, de gauche, et furieusement hostiles à la marchandisation de leurs soirées culturelles. Ségo, aujourd’hui, t’as perdu la présidentielle !

L’idéologie, une passion française ?

Toits à Québec (David Paul Ohmer, flickr.com).

Vue du Québec, la violente polémique qui a opposé Éric Zemmour au système médiatique français, ainsi qu’à ce para-pouvoir officieux, agité mais efficace, que sont les associations dites « antiracistes », fait figure de symptôme. Le mal dont il est ici question n’a pas de cure connue et mute avec une régularité exaspérante d’une époque à l’autre, dans l’ignorance délibérée de la vérité. La passion idéologique, loin d’être éteinte, continue de faire des flammèches partout où elle passe.

Voici, en effet, une lumière bien particulière dont la vocation principale est d’incendier et d’aveugler, plutôt que d’éclairer et d’apaiser. Le degré de haine et de détestation, les manifestations de bêtise, les procès d’intention et les appels au lynchage dont fut l’objet Éric Zemmour, à la suite de propos pourtant bien peu exceptionnels (« si les Noirs et les Arabes sont contrôlés plus souvent, c’est parce que la plupart des trafiquants sont des Noirs et des Arabes, c’est un fait » [je résume]) sont parfaitement déraisonnables, mais ils ne devraient plus surprendre de la part d’une classe politico-médiatique ne se sentant plus en rien redevable de la souveraineté populaire ou de l’intérêt général.

À la bourse du standing médiatique, l’apparence de vertu est trop payante, la négation du réel trop tentante, pour que la vertu réelle incarnée par des intelligences de sens commun comme Zemmour s’impose comme pôle de convergence du débat public.

Car enfin, Zemmour a-t-il raison, oui ou non ? On sait que la République française interdit les statistiques ethniques officielles, ce qui rend ce genre de postulat toujours un peu périlleux – d’un point de vue méthodologique, s’entend. Dans la lettre qu’il a adressée à la LICRA, Zemmour cite cependant ses sources : « Il y a quelques années, une enquête commandée par le ministère de la Justice, pour évaluer le nombre d’imans nécessaires, évaluait le pourcentage de musulmans dans les prisons entre 70 et 80 %. En 2004, l’islamologue Farhad Khosrokhavar, dans un livre L’islam dans les prisons (Balland), confirmait ce chiffre. En 2007, dans un article du Point, qui avait eu accès aux synthèses de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), on évaluait entre 60 et 70 % des suspects répertoriés issus de l’immigration. Il y a près de dix ans, la commissaire Lucienne Bui Trong, chargée des violences urbaines à la direction centrale des RG, relevait que 85 % de leurs auteurs sont d’origine maghrébine. Dans un article du Monde, du 16 mars 2010, les rapports des RG sur les bandes violentes établissaient que 87 % étaient de nationalité française, 67 % d’origine maghrébine et 17 % d’origine africaine. La ‘plupart’ est donc, au regard de ces chiffres, le mot qui convient. »

Or, il semblerait que ce soit moins la validité des propos qui soit en cause que leur caractère prétendument « insupportable ». Apparemment, « la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes » ne se dit pas, à tout le moins pas de cette façon, même si « c’est un fait ». Veut-on dire par là que l’énoncé de vérités n’est plus permis sur le territoire de la République ? Voilà qui serait original, à défaut d’être raisonnable. On sait que, depuis une vingtaine d’années, les sociétés occidentales tirent une grande fierté de leurs innovations toujours plus poussées en matière de contrôle du discours public. Elles s’idolâtrent et se contemplent, s’imitent et se cajolent.  Leur appareil d’État, secondé par d’innombrables satellites associatifs, ne cesse de gonfler à mesure que grandit leur amour du genre humain. Cette sentimentalité paternaliste  qui croit devoir intervenir à tout moment pour protéger tous et chacun de la blessure de la parole relève d’une fraternité pastorale dangereuse, à peine digne de la non-pensée des marchands de pub et des écrivains humanitaires. Elle stigmatise de facto le réel comme une source de haine, en tant qu’il serait une source de division et de différenciation. L’important ne serait plus d’être fidèle à la réalité, mais de lui substituer une interprétation collagène qui viendra en effacer les strates les moins présentables. Car contrairement à la vie, le décor publicitaire de gauche comme de droite n’a pas d’envers. Il est la façade du néant.

Dans son texte du 26 mars dernier dans Le Monde, Caroline Fourest, par exemple, ne conteste pas la sur-représentation des Noirs et des Arabes comme trafiquants. Elle écrit : « Enfin, oui, Éric Zemmour, la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. Non pas parce que le fait d’être noir ou arabe mène naturellement ou culturellement au trafic. Mais parce qu’on a beaucoup plus de chance de devenir dealer de shit que journaliste quand on naît dans des familles pauvres ne misant pas sur la culture. » On remarque d’abord le malheureux procédé qui consiste à entremêler dans son propre raisonnement, pour mieux le tortiller et le falsifier, le raisonnement de l’adversaire. Ce « non pas parce que le fait d’être noir ou arabe mène naturellement ou culturellement au trafic » n’a rien à voir de près ou de loin avec ce qu’a dit Éric Zemmour, mais Fourest fait comme si. On comprend que, pour elle, l’important est moins ce qu’il a dit que ce qu’il aurait voulu dire. Aveuglée par l’idéologie anti-raciste, elle prête des intentions et des « fantasmes » à celui qui se sera contenté d’énoncer une vérité factuelle.

Le sujet n’étant plus la sur-représentation des Noirs et des Arabes comme trafiquants, mais le « cas Zemmour », la polémique a donc tourné autour des prétendues intentions racistes du journaliste. C’est d’ailleurs pourquoi elle a pris des proportions aussi impressionnantes. La violence qu’elle a véhiculé – et continue de véhiculer – n’entre pas dans la catégorie du « débat sulfureux », ce qui serait beaucoup trop commode. Par son hostilité de principe à toute vérité et à toute méthodologie, elle rappelle plutôt le mécanisme primitif du lynchage et du procès inquisitorial. Il ne peut pas y avoir débat lorsqu’on s’ingénie, par mauvaise foi, à parasiter les termes de la polémique, ceci pour mieux encourager l’expulsion d’un homme qu’on ne veut plus voir comme un interlocuteur, mais comme un accusé.

Lorsque les médias les plus autorisés parlent, de façon répétitive, de la lettre de Zemmour à la LICRA comme d’une « lettre d’excuses », ils n’informent plus, ils désinforment. Zemmour ne s’est pas excusé ; il n’avait d’ailleurs pas à le faire. Il a simplement exprimé des regrets quant à la souffrance que la déformation de ses propos par les médias aurait pu causer chez ceux de ses « compatriotes noirs et arabes », honnêtes citoyens, pères de famille, qui seraient fidèles comme lui à l’esprit de la France.

Que dire d’autre de cette lettre sinon qu’elle est admirable de clarté et de sobriété sur les ressorts profonds de l’affaire ? Si Zemmour l’a écrite pour clarifier sa position et contrer des déformations irresponsables, les médias, en retour, l’ont lue pour y trouver la confirmation d’un « aveu », autrement dit du plaidoyer de culpabilité de l’accusé. Il fallait à tout prix que Zemmour, quoi qu’il dise pour sa défense, apparaisse penaud et déconfit. La guerre médiatique en est une d’images et d’archétypes, où le « dernier mot » se confond avec la « dernière impression », le « fin mot de l’histoire » avec un scénario binaire, qui voit les gagnants l’emporter sur les perdants, les procureurs sur les accusés, les gaillards sur les penauds.

Préoccupé de sa sauvegarde corporatiste et idéologique, le système n’a toutefois pas vu qu’en s’attaquant à Zemmour, il s’attaquait également, par la même occasion, à une certaine sensibilité populaire française. À travers Zemmour, il attaquait tous ceux qui, le lisant dans les journaux ou l’écoutant à la radio et à la télé, se reconnaissaient en lui. De fait, la formidable réaction en chaîne qu’a déclenché, chez son lectorat et son auditoire, la rumeur de son licenciement au Figaro, n’a été une surprise que pour ceux qui, depuis longtemps, vivent une vie médiatique à l’abri de toute réalité concrète.

En opposant la parole à la machine, la vérité à la falsification et le sens commun au politiquement correct, Zemmour subvertit l’espace médiatique en même temps qu’il met en lumière la disparition de l’espace public. C’est à la fois une réjouissance et une grande tristesse.

Sous les pavés du « village global » médiatique, subsiste l’Atlantide de la cité politique évanouie. Le « cas Zemmour », pour reprendre la formule consacrée, est avant tout symptomatique de l’impasse politique de la droite française, qui a échoué depuis une vingtaine d’années à traduire politiquement une certaine sensibilité populaire restée critique de l’idéologie de mai 68. Aujourd’hui soixante-huitarde et amie des médias à l’égal de la gauche, l’UMP laisse en plan une partie importante de l’électorat, qui n’a par ailleurs aucune envie de rallier le FN. À défaut de se retrouver au pouvoir, cette sensibilité – qui aimerait discuter sérieusement de l’école, de la délinquance, du système fiscal, de l’immigration – trouve ainsi en Zemmour un digne et éloquent représentant. Tel un homme politique, celui-ci peut compter sur une « base » bien motivée à le soutenir dans les moments les plus rudes. Ce mouvement a priori sympathique dissimule, il faut bien le dire, un aveu terrible sur l’état réel de la vie politique en France. La vague zemmourienne trahit plus profondément un ressac de la démocratie.

La fusion des grands médias et du politique, les deux clans partageant une certaine idéologie bien-pensante qui carbure au multiculturalisme, au tiers-mondisme, à l’humanitarisme, tous prétextes à la déresponsabilisation radicale des individus et à la négation du sentiment national, n’est certes pas une nouveauté. Au Québec, la « crise des accommodements raisonnables » a été l’occasion de confirmer le même type d’alliance. Les intellectuels « experts », les journalistes-relais et les politiciens dits « progressistes » se retrouvèrent, main dans la main, sous la coupe d’un État thérapeutique assumant plus que jamais sa rupture avec sa fonction politique. Le bavardage médiatique et académique, people ou expertocrate, ne servit qu’à légitimer l’activisme technocratique et la mission de rééducation du nouvel ordre régnant.

Comme toutes les sociétés occidentales, le Québec fait face à une offensive majeure de subversion de ses institutions, au profit d’extrémismes à la fois intérieurs et extérieurs, les plus doctrinaires de nos supposés « progressistes » s’entendant fort bien avec les « réactionnaires » étrangers les plus radicaux. Mais le politiquement correct qui applique également sa terreur dans notre pays n’est clairement pas aussi fort qu’en France. Nos Commissions des droits de la personne et nos « Ligues des Noirs » ont déjà manifesté leur pouvoir de nuisance, mais elles sont une vraie blague en comparaison de SOS Racisme et de la Halde. Une partie du système médiatique québécois – honnie par l’intelligentsia, bien entendu – reste à l’écoute des préoccupations plus populaires et fournit une capacité de riposte aux politiques qui chercheraient à faire la critique du multiculturalisme d’État. Comme partout ailleurs, la liberté d’expression est minée mais elle reste de beaucoup supérieure à celle qui prévaut en Europe.

Il y a donc un certain espoir de ressaisissement ; du moins est-ce sur cette possibilité qu’il nous faut parier. Le jour, toutefois, où un clone d’Éric Zemmour viendrait à naître au Québec et subirait un lynchage médiatique et professionnel analogue à ce que vit en ce moment le véritable Éric Zemmour en France, serait aussi le jour où il nous faudrait constater le triomphe sans partage du système. Cela pourrait avoir lieu dans quinze ans, peut-être dans dix. Il faudra, alors, proposer une analyse implacable et sans complaisance.

Je crois en avoir déjà trouvé le titre : Mélancolie québécoise.

Iran : même pas mal !

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Mahmoud Ahmadinejad

Mahmoud Ahmadinejad

Grande nouvelle ! Les dirigeants chinois seraient maintenant disposés à ne pas opposer leur veto à un nouveau train de sanctions imposées par l’ONU à la République islamique d’Iran qui s’obstine à poursuivre son programme d’armement nucléaire.

Après la Russie, qui s’est ralliée au principe d’une pression internationale accrue sur le régime de Téhéran en échange d’un nouveau traité entre Moscou et Washington sur la réduction des armements stratégiques, c’est Pékin qui semble de mettre au diapason de la ligne « dure » des Occidentaux.

En fait, lorsque l’on regarde l’affaire de plus près, le « revirement » des Chinois consiste simplement à accepter de discuter, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU augmenté de l’Allemagne, de l’ampleur d’éventuelles sanctions s’ajoutant à celles déjà en vigueur.

Ces discussions devraient se poursuivre jusqu’à la fin du printemps, une échéance proposée par Barack Obama lors de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy. La Chine, et dans une moindre mesure la Russie, vont se battre pour que ces sanctions soient les moins douloureuses possibles pour le régime de Mahmoud Ahmadinejad. Elles seront soutenues, au sein du Conseil de sécurité, par le Brésil et la Turquie qui y siègent actuellement comme membres non permanents.

L’attitude de Pékin est toute de subtilité asiatique : les dirigeants chinois sont opposés à ce que Téhéran se dote d’armes nucléaires, mais ne soutiendra pas des sanctions « mordantes », telles que l’embargo sur les livraisons de carburant raffiné ou l’interdiction des ports internationaux à la flotte commerciale iranienne.

Le texte qui sera soumis au Conseil de sécurité sera donc, obligatoirement, un texte de compromis, et le temps nécessaire à sa rédaction mis à profit pour négocier en coulisses avec Téhéran d’une sortie de crise où personne ne perdrait la face. Cette séquence de quatre mois correspond, comme par hasard, à l’exigence adressée à Benyamin Netanyahou de gel des constructions à Jérusalem-Est.

L’option militaire, qui était encore sur la table avant l’accession de Barack Obama à la Maison Blanche, comme recours, au moins rhétorique, dans le dialogue avec Téhéran, est maintenant explicitement écartée par le Département d’Etat et le Pentagone.

Tous les efforts de la diplomatie US sont actuellement consacrés à dissuader Israël de se livrer à une attaque préventive contre les installations nucléaires iraniennes, en échange d’un « parapluie » nucléaire américain face aux menaces de Téhéran. Deux journalistes israéliens de Haaretz, Avi Issacharoff et Amos Harel, très bien introduits dans l’establishment militaire et diplomatique israélien, ont fait récemment état de la conviction de la plupart des hauts responsables de l’Etat juif : l’administration américaine se prépare à vivre avec un Iran doté de l’arme nucléaire, et discute avec ses alliés européens membres de l’OTAN de la posture à adopter dans cette éventualité. Le discours alarmiste de Barack Obama , le 2 avril , sur CBS News, affirmant que Téhéran poursuit imperturbablement ses objectifs nucléaires montre, certes, qu’il est tout à fait au courant de ce qui se passe. Mais ces propos ne s’accompagnent, en aucune façon d’une escalade, même verbale, de nature à faire comprendre à Ahmadinejad et Khamenei qu’ils risquent gros à se comporter de la sorte.

Même si l’on n’est pas la petite souris que l’on rêverait d’être lors des briefings stratégiques à la Maison Blanche, on peut imaginer la teneur des échanges entre les divers acteurs de ce dossier. Les militaires sont obnubilés par une sortie d’Irak, prévue pour la fin de l’année, qui ne soit pas pourrie par des attentats perpétrés par des milices chiites proches de Téhéran, plutôt calmes en ce moment. La neutralité iranienne dans le conflit afghan – les mollahs iraniens ne portent pas les talibans sunnites dans leur cœur – est précieuse, car elle évite de précipiter les persophones afghans dans la rébellion. Enfin, un Iran nucléaire, c’est peut-être ennuyeux pour les alliés traditionnels des Etats-Unis au Moyen-Orient (Egypte, Arabie Saoudite), mais cela ne menace en rien la sécurité des Etats-Unis. On devrait pouvoir calmer les angoisses de Ryad et du Caire avec le déploiement de quelques missiles nucléaires à moyenne portée dans le secteur. Les diplomates, ces « petits messieurs en pantalon rayé » que méprisait Harry Truman, ne portent plus de pantalon rayé, mais restent des champions de l’appeasement tous azimuts et se remettent lentement des traumatismes à répétition subis pendant l’ère George W. Bush. Les représentants de l’économie ont une peur bleue d’un nouveau choc pétrolier qui pourrait survenir si la crise iranienne dégénérait en un affrontement violent, armé ou non. La presse et l’opinion publique, aux Etats-Unis et en Europe sont peu mobilisées sur cette question. Le mouvement de solidarité avec les opposants iraniens à Ahmadinejad, qui est bien réel, ne contribue pas à pousser les gouvernants vers la fermeté : un choc frontal avec le régime de Téhéran pourrait provoquer un mouvement de rassemblement populaire autour du régime, affirment des exilés iraniens et ceux qui les soutiennent.

Rien n’incite donc Washington à pousser les feux sur ce dossier, et l’on ne voit pas comment des Européens, plus lucides sur les dégâts prévisibles provoqués par un Iran nucléaire que la nouvelle administration américaine, pourraient agir seuls, ou même persuader Washington de se montrer plus ferme.

Au bout du bout du banc, le dilemme est porté par les seuls Israéliens : to hit or not to hit, frapper ou ne pas frapper. L’Iran puissance régionale nucléaire, cela signifie la fin du pouvoir de dissuasion d’Israël vis-à-vis du Hezbollah et du Hamas, l’ébranlement des régimes « modérés » de la région, principalement en Jordanie et en Egypte où les islamistes auront beau jeu de faire valoir que la résistance paie plus que la soumission. On peut estimer, sans être traité d’apprenti-sorcier, qu’il est légitime, d’un point de vue israélien, de tout faire pour éviter de se retrouver dans une telle situation. L’hypothèse, avancée par quelques têtes d’œufs de think tanks américains de gauche, selon laquelle la possession de l’arme nucléaire responsabiliserait le régime des mollahs, comme elle a jadis rendu rationnelle et prudente la politique extérieure de l’URSS, ne semble pas de nature à rassurer les gens ordinaires de Tel Aviv ou Haïfa.

Tout cela, comme disait ma grand-mère, ne présage rien de bon pour nous. Et ce nous, en l’occurrence, va bien au-delà de ceux qui se réclament de la culture et de la tradition juive.

Le journalisme est-il un « métier pourri » ?

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Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon

D’accord, Jean-Luc Mélenchon est mal tombé. Tant qu’à s’attaquer aux journalistes, mieux aurait valu choisir un puissant, une star de la profession. Affronter Apathie, Demorand ou Pujadas, ça aurait eu plus d’allure que de tomber à bras raccourcis sur un étudiant de l’école de journalisme de Sciences Po. Enfin, le jeune Félix Briaud aura ainsi eu droit à son quart d’heure de célébrité et, sans doute, aux félicitations de ses professeurs tous soigneusement recrutés dans les médias où on pense bien.

D’autre part, si le patron du Front de Gauche a bien raison de s’en prendre au goût des médias – y compris des plus sérieux – pour l’insignifiant et le people, il a mal choisi son terrain. En effet, la réouverture des maisons closes serait assurément un progrès, à la fois pour la paix des familles et pour les dames qui y officieraient. C’est donc un sujet d’intérêt général– même si le patron du Front de Gauche considère la sexualité comme une affaire bourgeoise…

Pour finir, c’est très mal de traiter de « petite cervelle » quelqu’un dont, à l’évidence, on n’a pas eu le temps de mesurer le tour de crane. Et puis, au lieu de parler de notre « métier pourri », Mélenchon aurait pu dire qu’il était « mal parti » ou se lamenter sur notre « profession sinistrée » – intellectuellement et socialement, ce qui devrait d’ailleurs susciter l’intérêt de ce bon marxiste.

Si toutefois on consent à mettre ce vocabulaire, un peu excessif et somme toute négligé pour un homme qui brandit la dignitas, sur le compte de la colère, il faut admettre que ses propos relèvent du bon sens. Qu’un homme politique veuille être interrogé sur son programme plutôt que sur sa vie privée ou l’élection de Miss France, cela devrait être une évidence.

Je n’en suis pas très fière, mais ça me réjouit toujours qu’un politique se permette d’engueuler un journaliste. Rien n’est pire que le spectacle de ces élus acceptant de se faire maltraiter en direct par des interviewers qui se croient rebelles parce qu’ils jouent les flics ou insulter par des pseudo-comiques qui, comme le résume notre ami Alain Finkielkraut, réclament la liberté quand ils veulent l’impunité. Ou plutôt si, il y a pire : les politiques qui, depuis la fameuse question posée par Ardisson à Michel Rocard, acceptent n’importe quoi pour passer à la télé, y compris les questions et les voisinages les plus dégradants.

Seulement, il ne suffit pas de s’en prendre aux journalistes. Dans le trio que forment journalistes, politiques et public, tout le monde conspire dans le même sens, celui de l’indigence et de l’insignifiance quand ce n’est pas celui de la vulgarité. Si des journalistes ou des amuseurs faisant office de journalistes exercent aujourd’hui un pouvoir exorbitant quoi qu’en disent ceux qui hurlent tous les quatre matins à la  liberté menacée, c’est bien parce que les politiques ont accepté de se dessaisir du leur. « On ne gouverne pas contre Le Monde », disait Jospin, officialisant la transformation des contre-pouvoirs en pouvoir. On aimerait convaincre ses successeurs que gouverner, c’est aussi et peut-être d’abord être capable de s’opposer au Monde – et aux autres.

Gaffe à la cédille

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Si vous êtes l’heureux possesseur d’un iPhone, mieux vaut demander à vos interlocuteurs « Comment vas-tu ? » plutôt que « Comment ça va ? ». Tout d’abord parce que c’est plus joli, mais surtout parce que, d’après nos vigilants confrères de 60 millions de consommateurs, la lettre c, quand elle est pourvue d’une cédille, fait dérailler les téléphones d’Apple et exploser le tarif des SMS. Méfiance, donc, mais pas de parano non plus. Tout d’abord parce qu’on est à l’abri de ce type de déboires si on dispose d’un forfait SMS illimité, ce qui est plus que fréquent pour les iPhones. Et puis les mots à cédille sont plutôt rares dans l’univers du texto : on n’en trouve ni dans « Téhou? », ni dans « Apl! », ni dans « biz », ni même dans « Sava? »

L’Eglise à l’Index ?

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Autant l’avouer tout de suite, je suis catholique. Je sais que c’est grave, mais j’assume. Courageusement. Autant vous l’avouer aussi, au risque de vous surprendre, je ne suis pas pédophile. Normal, me répondrez-vous, vous n’êtes pas prêtre. En effet.

D’ailleurs au risque de vous surprendre encore un peu plus, je n’ai jamais eu, enfant, affaire à un curé pédophile et Dieu sait (Dieu merci, d’ailleurs, comme dirait mon pote Lecœur de Direct 8) que j’en aurai vu, des curés. Jusqu’ici, je suis sûr que vous vous dites que ce papier n’est pas très intéressant. Alors, venons-en aux faits, puisqu’on n’a pas que ça à foutre, surtout sur internet, y a aussi morandini.com à regarder, Eric Zemmour à écouter et le mur de Facebook à rafraîchir.

On nous délivre en cascade depuis quelques jours, en une cascade à tel point ininterrompue qu’on se demande forcément qui en a ouvert les vannes, des « révélations » sur des cas, innombrables semble-t-il, de pédophilie presbytérienne. Les agissements passés de ces curés sont abominables et moi, qui suis catholique, j’ai honte. J’ai vraiment honte, contrairement à divers commentateurs qui, même en prenant un air grave et en baissant pudiquement les yeux, arrivent de plus en plus mal à dissimuler leur joie maligne de voir tomber dans la fange ordinaire d’un mal qui est ici tout sauf banal des hommes consacrés à Dieu lesquels, prêchant une morale horripilante toute la journée, se révèlent en réalité comme les pires pourceaux.

Entendons-nous bien. J’ai honte de ces prêtres, pas de l’Eglise catholique. Ce qui est bien dans l’Eglise, disait mon Bernanos favori, c’est qu’on est entre pécheurs. En l’occurrence, comme des millions, des centaines de millions d’autres catholiques, je me serais volontiers passé de cette cohabitation. Je me serais surtout volontiers passé de l’existence des pédophiles en général, qu’ils soient curetons ou libertins de confession, ou encore personne. Mais je n’ai pas honte de mon Eglise, de l’Eglise tout court, car, comme disait ailleurs le même Bernanos sans craindre l’apparence du paradoxe, « notre Eglise est l’Eglise des saints ». Et en ce moment même, j’en vois bien un de ces saints qui, surexposé, est l’objet destinal de toutes ces révélations : le petit homme en blanc, parce qu’il a entrepris tel un autre Christ de nettoyer les écuries d’Augias, de crever l’abcès, de faire le ménage, est chargé du poids de tous les péchés du monde. Nul doute qu’il s’y soit soumis en connaissance de cause. Mais peu importe à l’opinion publique le courage du Pape. Ce n’est pas cela qu’elle veut.

Le travail qui devrait nous faire frémir si nous n’y étions déjà habitués depuis des décennies, c’est celui qu’accomplissent les journalistes des quatre coins du monde, qui se sont ligués comme un seul homme contre un seul homme pour enfin faire venir au jour la vérité. Il y a un paradoxe profond dans notre époque, une faille qui clive son être : alors qu’elle fait profession de religion scientifique, qu’elle a pris définitivement le costume du technicien à qui on ne la fait pas, de l’expert surdoué en toutes matières, elle fait aussi bien abstraction des chiffres qu’elle idolâtrait la minute d’avant quand ils ont le mauvais goût de la contredire. On vient de le voir avec l’étrange affaire Zemmour à qui personne n’a su opposer le moindre chiffre qui invalidât sa phrase. Que celle-ci ait été opportune, je ne le crois pas, mais c’est une autre affaire.

On le voit aussi avec l’affaire de la pédophilie des prêtres. De deux choses l’une : soit on pense que ce sont des êtres intrinsèquement pervers et qu’il faut interdire formellement leur ministère, comme on ferait de la première secte venue ou, à tout le moins, les débarrasser de gré ou de force d’un célibat qui aurait fait d’eux ces monstres ; soit l’on est choqué que des hommes consacrés à la charité, au Bien sous toutes ses formes, aient pu fauter, et l’on rend ainsi témoignage à la foi qui les meut habituellement. Ce n’est certainement pas cette deuxième option qui prévaut dans l’orchestre des faiseurs de scoops actuels.

Il leur faut donc démontrer que le catholicisme ou le célibat de ses prêtres engendrerait les tendances ou les actes pédophiles. Et là, ils vont avoir du fil à retordre. Redonnons encore une fois des chiffres qui trainent un peu partout, mais qu’on n’aura pas de raison de cesser de répéter tant qu’ils n’auront pas vraiment été lus : d’une part, selon le ministère français de la Justice, 90% des affaires recensées de pédophilie concernent des hommes mariés. D’autre part, selon les données annoncées Mgr Charles J. Scicluna, ministère public du tribunal de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Avvenire, de 2001 à 2010, il y a eu environ 3.000 accusations regardant des prêtres diocésains ou religieux pour des crimes commis ces 50 dernières années, dont seulement, si l’on ose dire, 10 % peuvent être qualifiées véritablement en pédophilie. On arrive donc à 300 prêtres sur 400.000 dans le monde. On peut bien entendu supposer que de nombreux cas n’auront pas été portés à la connaissance des autorités, mais cela reste de l’ordre de l’hypothèse. Mais surtout, last but not least, Philip Jenkins, qui est le spécialiste américain du sujet (et qui n’est pas catholique) après avoir enquêté pendant 20 ans sur le lien possible entre pédophilie et célibat consacré, arrive au chiffre précis pour le diocèse de Chicago d’1,8 % de prêtres coupables de faute sur mineur, dont un seul sur 2200 était véritablement pédophile. Il y ajoutait cette déclaration déterminante : « Mes travaux sur des cas au cours des 20 dernières années n’indiquent aucune preuve quelle qu’elle soit que les catholiques ou les autres clercs célibataires soient plus susceptibles d’être impliqués dans l’inconduite ou de mauvais traitements que les ministres de toute autre confession – ou même, que les non-clercs[1. Le 3 mars 2002 dans la Pittsburgh Post Gazette]. »

On pourra en outre consulter une étude britannique, qui rapporte que sur 60 cas d’abus par des ministres du culte, toutes confessions confondues, 25 sont le fait de prêtres catholiques, 35 de protestants et d’anglicans (mariés) ; que selon les chiffres du Guardian, la proportion de pédophiles dans l’Eglise est rigoureusement la même que dans les autres milieux ; que, toujours selon Jenkins, cité par le journaliste italien Massimo Introvigne, « si l’on compare l’Eglise catholique des Etats-Unis aux différentes « dénominations » protestantes, on découvre que la présence de pédophiles est – selon les dénominations – de deux à dix fois plus élevée parmi les membres du clergé protestant que chez les prêtres catholiques. » ; et enfin, toujours d’après Introvigne, que « dans le même temps où une centaine de prêtres américains étaient condamnés pour abus sexuel sur des enfants, le nombre de professeurs d’éducation physique et d’entraîneurs d’équipes sportives – eux aussi en grande majorité mariés – reconnus coupables du même crime par les tribunaux américains avoisinait les 6000. »

Je suis bien d’accord avec vous, les journalistes, ce ne sont que des chiffres qui ne soignent pas du tout les victimes des abus de religieux pervertis. Qui au contraire, auraient plutôt tendance à les assommer un peu plus s’il était possible. Mais qu’au moins, devant ces chiffres, l’on cesse enfin de nous bassiner avec la question du célibat catholique latin. Une bonne fois.

De toute façon, ne me prenez pas pour un imbécile : je ne vous prends pas pour des imbéciles non plus et je sais très bien que vous ne voulez qu’une chose, atteindre cette pauvre Eglise dans son cœur. Et comme vous êtes des malins, vous savez que son cœur est à Rome et que c’est surtout un petit Allemand à tête de gros chat qui le fait battre (d’un point de vue humain, s’entend). Tant qu’il n’aura pas été roulé dans la boue, vous ne serez pas satisfaits.

Avouez, avouez au moins que vous aurez tout essayé, avec une persévérance qui vous honore : ses origines teutonnes, son passage forcé à la Hitlerjugend, son retour en arrière laissant présager des avant-hier qui chantent en latin, Pie XII et les Juifs, la capote et les Africains, la gamine brésilienne violée et avortée. Maintenant, les pédophiles. Ce qui vous emmerde bien, c’est qu’il n’ait jamais, lui, au grand jamais, caressé le moindre enfant : alors vous avez tenté de l’avoir par son frère, antique bonhomme tout ce qu’il y a de plus pur, vous avez fait donner la cavalerie aux gros sabots d’Hans Küng, le rival mimétique malheureux, vous avez fait dire aux Irlandais qu’il ne leur demandait pas assez pardon dans sa lettre ; et maintenant, vous ressortez l’histoire d’un curé américain ayant sévi il y a 35 ans et mort depuis. C’est un peu comme si l’on accusait tout Hollywood et tout le CNC français d’avoir couvert Polanski. Comme si toute la gauche française, Libé en tête, devait payer pour les âneries de Cohn-Bendit des années 1970.

En fait, vous me faites bien rigoler, même si je ne devrais pas dans la situation actuelle. Moi, j’ai mal. Mes curés me font mal. Vous, vous instrumentalisez des histoires sordides pour avoir la tête d’un octogénaire qui persiste à ne pas penser comme vous. Vous êtes sûrs de perdre devant la morale de l’Histoire, mais vous continuez. Pauvres de vous.

Des scientifiques demandent une « police » de la science

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Ce n’était pas une blague. Le 1er avril, Libération a publié en « une » un appel de quatre cents scientifiques qui demandent aux plus hautes autorités scientifiques du pays de remettre de l’ordre dans la pratique de la science en France. Il leur est entre autres suggéré de réaffirmer leur confiance dans les travaux des signataires et de rétablir leur dignité, qui selon eux, aurait été bafouée dans les médias par une petite poignée de climato-sceptiques citant Claude Allègre et Vincent Courtillot. Tout cela au nom de l’éthique scientifique et d’un supposé pacte moral entre les chercheurs et la société.

Ce n’est pas le fond de la controverse scientifique qui est là en jeu. C’est la démarche qui est sidérante. En effet, si les signataires s’estiment victimes d’affirmations mensongères ou calomnieuses, cela relève de la loi. C’est donc à la justice, pas aux institutions scientifiques qu’ils doivent faire appel. Demander à celles-ci de trancher en désignant les bons et les mauvais est proprement effrayant quand on en envisage toutes les conséquences. Les signataires ont-ils réfléchi au précédent qu’ils ont créé ?

« Combien de divisions ? » Les climato-alarmistes se prévalent sans cesse de cet argument stalinien. Ainsi l’unanimité des 2500 scientifiques du GIEC (chiffre contestable d’ailleurs) aurait force de preuve, de même que le fait d’aligner 400 signatures démontrerait la validité scientifique des affirmations des pétitionnaires. Ce serait presque le contraire. Une avancée scientifique est toujours le fait que d’une ou quelques personnes. Comme je l’ai rappelé à maintes reprises, la science est amorale, elle ne se décide pas, ni au consensus, ni à la majorité, ni à l’unanimité. Elle se démontre, et c’est tout. Peu importe par qui et pourquoi. Et surtout, on ne tranche pas un débat scientifique, on le fait progresser.

Cette pétition n’a rien à voir avec la science, elle a à voir avec la police de la science. Des scientifiques – que l’on croyait fort sourcilleux sur leur liberté académique – demandent à leurs tutelles d’intervenir pour les défendre au nom de ce qu’ils appellent l’éthique scientifique. Ils accusent ceux qui ne sont pas d’accord avec eux d’oublier « les principes de base de l’éthique scientifique, rompant le pacte moral qui lie chaque scientifique avec la société ». Et dire que Galilée fut à l’honneur l’année dernière… Cela me rappelle cette phrase de Schumpeter sur le marxisme : « La qualité religieuse du marxisme explique également une attitude caractéristique du marxiste orthodoxe à l’égard de ses contradicteurs. À ses yeux, comme aux yeux de tout croyant en une foi, l’opposant ne commet pas seulement une erreur, mais aussi un péché. Toute dissidence est condamnée, non seulement du point de vue intellectuel, mais encore du point de vue moral. » Malheureusement, cette vision limpide énoncée dès 1942 n’a eu aucune influence concrète sur les nombreuses dérives du marxisme à travers le monde pendant plusieurs décennies, ce qui ne porte pas spécialement à l’optimisme.

Tout citoyen, et encore plus tout responsable devrait avoir à cœur d’œuvrer pour maintenir une stricte séparation, entre science et la religion bien sûr, mais aussi entre vérité et croyance scientifique. S’il est légitime que des scientifiques croient en leur modèle, cela n’en fait pas une vérité. La confusion des genres serait in fine néfaste pour toutes, et en plus ferait monter la « température humaine » de bien plus de deux degrés.

Lorsque j’ai eu connaissance, le 24 mars, de la première version de cette pétition qui était encore plus délirante que celle qui a été publiée, le contenu m’a semblé tellement grotesque , la démarche si hallucinante, que j’ai cru à un canular. Dans ce climat religieux, cette atmosphère d’inquisition, je n’arrive toujours pas à me défaire de l’idée que cette pétition était un poisson d’avril !

Halte aux mots anxiogènes !

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La presse a largement rendu compte des résultats du concours Francomots lancé par le secrétariat d’Etat à la francophonie. Ce concours, dont le but était de faire reculer les anglicismes, a accouché de quelques propositions crétines comme l’usage de « bolidage » à la place de tuning, de « ramdam » pour buzz (l’origine arabe de ramdam étant plus « correcte » que l’origine anglo-saxonne de buzz…), l’utilisation de « e-blabla » pour tchat, etc. Bref, un grand moment de rigolade pour les jeunes et l’occasion pour l’Afp de diffuser une dépêche au titre abyssal : « Des « néomots » rigolos pour bouter l’anglais hors du français ». Rigolo ? La presse a peu parlé, en revanche, des travaux de la sous-commission « mots anxiogènes » de la délégation à la langue française du ministère de la culture, qui a rendu ses conclusions au même moment : est recommandé l’effacement progressif des dictionnaires – et des discours publics – certains mots « anxiogènes », « dépassés » et « peu recommandables ». Ainsi est-il proposé de bannir le mot « nuit » au profit de « suspension temporaire du jour ». Il est suggéré également de mettre le « crépuscule » inquiétant au fond d’un trou. La sous-commission nous invite aussi à user avec une grande parcimonie des formules anxiogènes « ne peut », « n’est vraiment pas capable », « n’est pas assez belle », « ne peut pas passer en 5e avec ces notes », etc. Un Grenelle des néomots sera bientôt lancé afin de trouver des substituts acceptables à des notions négatives telles que : « religion », « moralité », « mort », « travail », « fidélité », « famille », « individualité », ou encore « langage ». Skyrock, la radio rap, devrait être associée au projet, ainsi que la Ratp, qui propose, dans ce contexte, un grand concours de slam citoyen.

Le bouclier et la burqa

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Il est des juxtapositions douloureuses. Celle qui voit se télescoper dans les JT la sanctuarisation du bouclier fiscal et l’enterrement de la loi anti-burqa relève du cas d’école.

Il est bien évident que l’opération poudre aux yeux mise en place pour hâter et célébrer le déculottage sarkozyste sur le « voile intégral » se solde par un fiasco non moins intégral. Pourtant, le Monde, le Figaro et Libé, dans un chœur touchant de vierges au Dalloz entre les dents, ont tenté, tout comme la gauche mainstream, de nous faire avaler le canular du Mais malgré les efforts des uns et des autres, il n’aura pas échappé à grand monde que ce refilage de mistigri au Conseil d’Etat était cousu de fil à plomb. D’autant plus qu’une semaine avant, on nous avait servi le même gag avec la taxe carbone et que la Belgique, c’est-à-dire l’État le plus impuissant – et le plus eurocompatible – de l’Union, n’a pas gobé, elle, le fabliau du Palais Royal selon lequel une bonne grosse interdiction de derrière les fagots nous exposait « à de sérieux risques au regard de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Donc on se fout du peuple, ce qui après tout n’est pas très grave en soi : c’est même le plus commun des modes de gouvernement, à Paris comme à Pékin, Londres ou Bamako. Le petit problème, c’est que tout le monde s’en aperçoit. Un peu comme avec la taxe carbone, donc. Mais aussi comme avec le Traité de Lisbonne, ou les aventures de Jean Sarkozy à l’EPAD et quelques autres faits d’armes élyséens. Le petit problème, c’est que mis bout à bout, ce qu’on a sous le nez n’est plus du simple foutage de gueule, c’est un 26 octobre postmoderne, dilué dans l’espace et le temps. Pour ceux qui n’étaient pas nés, on rappellera que le 26 octobre 1995, Jacques Chirac, élu cinq mois plus tôt dans l’enthousiasme sur le thème de la fracture sociale, avait expliqué aux Français que la résorption d’icelle était reportée sine die pour cause – déjà ! – d’Union Européenne.

Chiraquisation donc, mais hypocrite : l’actuel président n’a pas le courage de nous dire en face que son triptyque gagnant de 2007 populisme/réactivité/volontarisme était désormais bon pour les Archives nationales et qu’il avait rompu avec l’idée même de rupture. Et c’est pile à ce moment-là que déboule sur les plateaux la noria ministérielle de seconds couteaux prêts à se faire tuer sur place pour défendre le bouclier fiscal. Mettez-vous à la place d’un agriculteur, d’un délocalisé, d’un surendetté, ou plus banalement d’un électeur lambda. Ils n’ont pas forcément cru que le président irait chercher les points de croissance avec les dents. Mais ils ont cru qu’il se donnerait du mal. Et voilà qu’ils constatent aujourd’hui que les canines présidentielles s’en prennent surtout aux mollets de ceux qui contestent son bouclier fiscal. Or chacun sent bien qu’il existait douze mille façons raisonnables d’expédier ce gadget pour rentiers à la trappe. La crise mondiale blabla, la solidarité nationale taratata, les équilibres budgétaires et patati et patata…

C’est d’autant plus désolant que je ne suis pas moi-même accro au bouclier fiscal, pas plus qu’à l’ISF ou aux droits de succession. Et dans les deux sens. J’ai pas de religion, comme dirait l’autre, ou, plus précisément, je n’ai pas l’impression que leur maintien, leur suspension, ou leur suppression créerait un seul emploi supplémentaire. Parce qu’économiquement tout cela se passe à la marge de la marge. On est dans l’opérette économique. Une fiction qui arrange beaucoup de monde, à gauche comme à droite. Qui permet de faire croire qu’on est pour l’entreprise ou bien pour les travailleurs, alors qu’on a cédé à d’autres, sans discontinuer depuis trente ans, toutes les clefs et tous les leviers. Que toutes les politiques industrielles, économiques et sociales relèvent de l’accompagnement et de l’ajustement. Ce fut la force de Sarkozy d’avoir fait croire qu’on allait sortir de ce destin de nation-caniche : les sondages actuels sont à la hauteur de la déception. Certes, il n’est écrit nulle part que le constat de divorce acté aux régionales entre le président et son peuple de droite soit éternel. Mais on voit mal comment il va recoller les morceaux. Et ce n’est sûrement pas avec des messages tels que le bouclier ou la burqa que ses électeurs vont avoir envie de rentrer dormir à la maison…

Rupture, vous avez dit rupture ?

Un référendum sur la burqa ?

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Pour tout dire, quand il m’arrivait – pas si souvent que cela d’ailleurs – de croiser, à la fin de mes vingt années de ZEP, des femmes en burqa, j’éprouvais à titre personnel un véritable sentiment de tristesse plus que de colère. Un très vieux fond judéo-chrétien me renvoyait, évidemment, à je ne sais quelle obscure culpabilité. Ces burqa ou même simplement ces foulards et ces hidjab chez des filles de plus en plus jeunes, c’était de ma faute.

Oui, j’aurais pu, nous aurions pu peut-être empêcher ça, empêcher que ne se referment sur la République les deux mâchoires du même piège à cons. D’un côté, à l’intérieur de l’école, le pédagogisme béat inconsciemment ethno-différentialiste et, à l’extérieur, des gouvernements de gauche ou de droite qui juraient qu’il n’y a pas d’alternative au néo-libéralisme, qui lui, pour le coup n’était pas voilé mais complètement échevelé. Nous aurions pu, mais nous étions si peu nombreux, soldats d’une armée qui n’avait plus envie de gagner la bataille de l’émancipation.

Le résultat était là : les corps gracieux, amis de l’espace, dans la ville aux friches industrielles refondées en théâtre d’art contemporain, avaient en quinze ans à peine cédé la place à des corps fantômes qui prouvaient mieux que n’importe quelle statistique économique que le repli identitaire s’était substitué à la lutte des classes.

Nous nous souvenions dans notre ville, au milieu des années 1980, que les premières revendications sur le voile étaient paradoxalement apparues chez des filles « qui s’en étaient sorties », élèves en hypokhâgne et en khâgne. Mais bien sûr, comme souvent, le paradoxe n’était qu’apparent. Ces jeunes filles qui lisaient Plutarque à main levée avaient dû tout prendre, tout arracher pour en arriver là. Rien ne leur avait été donné : elles avaient dû lutter contre une école qui gérait leur relégation sous les ripolinages de plus en plus délirants de « projets » pédagogiques qui étaient autant de villages Potemkine, elles avaient dû, souvent, lutter contre le grandfratriarcat encouragé par les anges de l’antiracisme comme vaseline sociale pour maintenir un semblant de vie familiale dans les quartiers.

Alors, le voile en hypokhâgne. Pour dire merde. Pour dire non. Pour mettre le système face à ses contradictions. « Oui, j’ai eu mention très bien au bac philo mais ce n’est pas grâce à votre école, à vos associations, à votre feinte compassion, à votre vrai mépris. » Qu’on regarde, pour se faire une idée de ce que je dis, les déclarations de Jeannette Bougrab, la nouvelle présidente de la Halde, dans un récent portrait d’elle dans la presse. Des choses du genre, alors qu’elle est une brillante élève de terminale C, « vous devriez faire infirmière plutôt que médecin ». Tout ça dit par des profs qui devaient probablement voter socialiste.

À droite, entre parenthèses, cela devrait calmer les idées reçues sur un enseignement tenu par des profs marxistes. S’ils avaient été majoritairement et efficacement marxistes, les profs en question, ce n’est pas avec un voile sur la tête qu’elles seraient arrivées en classe prépa, les beurettes, mais avec au mieux la carte du parti communiste ou de la LCR et au pire un cocktail Molotov. Mais non, les profs étaient sous la férule de Meirieu, lui-même devenu hiérarque d’Europe écologie. Vous voyez bien, amis de droite, que vous ne risquez plus grand chose de cette engeance-là

Alors le voile, ce voile de jeunes intellectuelles révoltées comme affirmation sans issue.

Maintenant, nous n’en sommes plus là, évidemment. Il n’y a que quelques sociéto-démagos du NPA pour faire croire qu’une candidate voilée, ça fait partie de la France d’aujourd’hui qui concilierait émancipation et signes religieux ostentatoires.

En tout cas, je ne sais pas qui était à la manœuvre, mais c’est réussi.

Parce que plus ça va sur cette question, moins ça va. André Gerin, sénateur maire communiste, est monté au feu sur la question et a initié une commission parlementaire sur la burqa, pointe avancée de cette névrose identitaire. Moi, Gerin, je lui faisais confiance. Il allait bien resituer le problème : le chiffrer, le circonscrire, faire le lien entre burqa et misère sociale, plus qu’entre burqa et je ne sais quelle invasion islamiste. Ou alors, mais ça revient au même, lier intégrisme religieux et relégation économique.

Mais voilà, Copé, brillant stratège, tout à sa carrière et à son opposition à Sarkozy, a grillé la politesse de la commission et réclamé une loi. La loi que finalement vient de proposer le président un peu inquiet tout de même par sa récente hémorragie électorale. Et avec une remarquable constance dans l’aveuglement, toujours persuadé qu’elle est due, cette déroute, à un traitement insuffisant de l’immigration et de l’insécurité alors que le FN doit son succès, avant tout, à une campagne sociale.

Comme vient de nous l’expliquer notre chère rédactrice en chef, cette loi qui prévoyait une interdiction totale de la burqa a été déclarée contraire au droit par le Conseil d’état. Il faudrait donc d’après Elisabeth que le président appelle à un référendum.

Un référendum sur la burqa, quand on propose moins de cent cinquante euros aux Conti pour aller bosser en Tunisie, ne nous semble pas une priorité mais bon, admettons.
Eh bien, je dis : « Chiche ! »

Je dis chiche parce que la burqa est devenue plus qu’un symbole ; elle est devenue la cristallisation de toutes les peurs et les frustrations des uns et des autres. Il faut effectivement laisser la parole au peuple. On a parfois de bonnes surprises : le referendum de 2005 a été assez amusant, dans le genre.

Je suis certain que dans l’esprit d’Elisabeth, il ne pas de stigmatiser qui que ce soit mais qu’elle le propose au nom d’une ligne républicaine forte, au nom de l’égalité.

Mais si je lui fais confiance à elle, ce n’est pas le cas pour beaucoup d’autres qui refuseront d’articuler cette interdiction sur la question sociale et trouveront là un prétexte juridique à un vote aimablement raciste.

Alors pour dissiper tous les doutes, je propose que le libellé de la question soumise à nos compatriotes soit le suivant : « Etes vous favorable à l’interdiction totale de la Burqa et pour un smic à 2500 euros ? »

Il aurait été plus simple de mettre tout de suite le smic à 2500 euros pour faire disparaître la burqa, mais bon, je ne vais pas sombrer dans l’utopie, non plus…

À vos marques !

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Ségolène Royal vient de déposer à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) la marque « Université populaire ». Tous ceux qui, depuis des lustres, et même plus, ont passé quelques soirées parfois passionnantes, parfois chiantes, sur les chaises incommodes des salles municipales pour entendre les conférences-débats organisées sous ce sigle en avalent leur dentier. L’UP une marque ? comme Chevignon ou Hermès? Il fallait une allumée comme Ségolène, sans doute induite en erreur par un compagnon à la redresse dans le créneau marque, pour oser ce hold-up sur ce patrimoine immatériel de milliers de bénévoles laïcs, de gauche, et furieusement hostiles à la marchandisation de leurs soirées culturelles. Ségo, aujourd’hui, t’as perdu la présidentielle !

L’idéologie, une passion française ?

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Toits à Québec (David Paul Ohmer, flickr.com).
Toits à Québec (David Paul Ohmer, flickr.com).

Vue du Québec, la violente polémique qui a opposé Éric Zemmour au système médiatique français, ainsi qu’à ce para-pouvoir officieux, agité mais efficace, que sont les associations dites « antiracistes », fait figure de symptôme. Le mal dont il est ici question n’a pas de cure connue et mute avec une régularité exaspérante d’une époque à l’autre, dans l’ignorance délibérée de la vérité. La passion idéologique, loin d’être éteinte, continue de faire des flammèches partout où elle passe.

Voici, en effet, une lumière bien particulière dont la vocation principale est d’incendier et d’aveugler, plutôt que d’éclairer et d’apaiser. Le degré de haine et de détestation, les manifestations de bêtise, les procès d’intention et les appels au lynchage dont fut l’objet Éric Zemmour, à la suite de propos pourtant bien peu exceptionnels (« si les Noirs et les Arabes sont contrôlés plus souvent, c’est parce que la plupart des trafiquants sont des Noirs et des Arabes, c’est un fait » [je résume]) sont parfaitement déraisonnables, mais ils ne devraient plus surprendre de la part d’une classe politico-médiatique ne se sentant plus en rien redevable de la souveraineté populaire ou de l’intérêt général.

À la bourse du standing médiatique, l’apparence de vertu est trop payante, la négation du réel trop tentante, pour que la vertu réelle incarnée par des intelligences de sens commun comme Zemmour s’impose comme pôle de convergence du débat public.

Car enfin, Zemmour a-t-il raison, oui ou non ? On sait que la République française interdit les statistiques ethniques officielles, ce qui rend ce genre de postulat toujours un peu périlleux – d’un point de vue méthodologique, s’entend. Dans la lettre qu’il a adressée à la LICRA, Zemmour cite cependant ses sources : « Il y a quelques années, une enquête commandée par le ministère de la Justice, pour évaluer le nombre d’imans nécessaires, évaluait le pourcentage de musulmans dans les prisons entre 70 et 80 %. En 2004, l’islamologue Farhad Khosrokhavar, dans un livre L’islam dans les prisons (Balland), confirmait ce chiffre. En 2007, dans un article du Point, qui avait eu accès aux synthèses de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), on évaluait entre 60 et 70 % des suspects répertoriés issus de l’immigration. Il y a près de dix ans, la commissaire Lucienne Bui Trong, chargée des violences urbaines à la direction centrale des RG, relevait que 85 % de leurs auteurs sont d’origine maghrébine. Dans un article du Monde, du 16 mars 2010, les rapports des RG sur les bandes violentes établissaient que 87 % étaient de nationalité française, 67 % d’origine maghrébine et 17 % d’origine africaine. La ‘plupart’ est donc, au regard de ces chiffres, le mot qui convient. »

Or, il semblerait que ce soit moins la validité des propos qui soit en cause que leur caractère prétendument « insupportable ». Apparemment, « la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes » ne se dit pas, à tout le moins pas de cette façon, même si « c’est un fait ». Veut-on dire par là que l’énoncé de vérités n’est plus permis sur le territoire de la République ? Voilà qui serait original, à défaut d’être raisonnable. On sait que, depuis une vingtaine d’années, les sociétés occidentales tirent une grande fierté de leurs innovations toujours plus poussées en matière de contrôle du discours public. Elles s’idolâtrent et se contemplent, s’imitent et se cajolent.  Leur appareil d’État, secondé par d’innombrables satellites associatifs, ne cesse de gonfler à mesure que grandit leur amour du genre humain. Cette sentimentalité paternaliste  qui croit devoir intervenir à tout moment pour protéger tous et chacun de la blessure de la parole relève d’une fraternité pastorale dangereuse, à peine digne de la non-pensée des marchands de pub et des écrivains humanitaires. Elle stigmatise de facto le réel comme une source de haine, en tant qu’il serait une source de division et de différenciation. L’important ne serait plus d’être fidèle à la réalité, mais de lui substituer une interprétation collagène qui viendra en effacer les strates les moins présentables. Car contrairement à la vie, le décor publicitaire de gauche comme de droite n’a pas d’envers. Il est la façade du néant.

Dans son texte du 26 mars dernier dans Le Monde, Caroline Fourest, par exemple, ne conteste pas la sur-représentation des Noirs et des Arabes comme trafiquants. Elle écrit : « Enfin, oui, Éric Zemmour, la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. Non pas parce que le fait d’être noir ou arabe mène naturellement ou culturellement au trafic. Mais parce qu’on a beaucoup plus de chance de devenir dealer de shit que journaliste quand on naît dans des familles pauvres ne misant pas sur la culture. » On remarque d’abord le malheureux procédé qui consiste à entremêler dans son propre raisonnement, pour mieux le tortiller et le falsifier, le raisonnement de l’adversaire. Ce « non pas parce que le fait d’être noir ou arabe mène naturellement ou culturellement au trafic » n’a rien à voir de près ou de loin avec ce qu’a dit Éric Zemmour, mais Fourest fait comme si. On comprend que, pour elle, l’important est moins ce qu’il a dit que ce qu’il aurait voulu dire. Aveuglée par l’idéologie anti-raciste, elle prête des intentions et des « fantasmes » à celui qui se sera contenté d’énoncer une vérité factuelle.

Le sujet n’étant plus la sur-représentation des Noirs et des Arabes comme trafiquants, mais le « cas Zemmour », la polémique a donc tourné autour des prétendues intentions racistes du journaliste. C’est d’ailleurs pourquoi elle a pris des proportions aussi impressionnantes. La violence qu’elle a véhiculé – et continue de véhiculer – n’entre pas dans la catégorie du « débat sulfureux », ce qui serait beaucoup trop commode. Par son hostilité de principe à toute vérité et à toute méthodologie, elle rappelle plutôt le mécanisme primitif du lynchage et du procès inquisitorial. Il ne peut pas y avoir débat lorsqu’on s’ingénie, par mauvaise foi, à parasiter les termes de la polémique, ceci pour mieux encourager l’expulsion d’un homme qu’on ne veut plus voir comme un interlocuteur, mais comme un accusé.

Lorsque les médias les plus autorisés parlent, de façon répétitive, de la lettre de Zemmour à la LICRA comme d’une « lettre d’excuses », ils n’informent plus, ils désinforment. Zemmour ne s’est pas excusé ; il n’avait d’ailleurs pas à le faire. Il a simplement exprimé des regrets quant à la souffrance que la déformation de ses propos par les médias aurait pu causer chez ceux de ses « compatriotes noirs et arabes », honnêtes citoyens, pères de famille, qui seraient fidèles comme lui à l’esprit de la France.

Que dire d’autre de cette lettre sinon qu’elle est admirable de clarté et de sobriété sur les ressorts profonds de l’affaire ? Si Zemmour l’a écrite pour clarifier sa position et contrer des déformations irresponsables, les médias, en retour, l’ont lue pour y trouver la confirmation d’un « aveu », autrement dit du plaidoyer de culpabilité de l’accusé. Il fallait à tout prix que Zemmour, quoi qu’il dise pour sa défense, apparaisse penaud et déconfit. La guerre médiatique en est une d’images et d’archétypes, où le « dernier mot » se confond avec la « dernière impression », le « fin mot de l’histoire » avec un scénario binaire, qui voit les gagnants l’emporter sur les perdants, les procureurs sur les accusés, les gaillards sur les penauds.

Préoccupé de sa sauvegarde corporatiste et idéologique, le système n’a toutefois pas vu qu’en s’attaquant à Zemmour, il s’attaquait également, par la même occasion, à une certaine sensibilité populaire française. À travers Zemmour, il attaquait tous ceux qui, le lisant dans les journaux ou l’écoutant à la radio et à la télé, se reconnaissaient en lui. De fait, la formidable réaction en chaîne qu’a déclenché, chez son lectorat et son auditoire, la rumeur de son licenciement au Figaro, n’a été une surprise que pour ceux qui, depuis longtemps, vivent une vie médiatique à l’abri de toute réalité concrète.

En opposant la parole à la machine, la vérité à la falsification et le sens commun au politiquement correct, Zemmour subvertit l’espace médiatique en même temps qu’il met en lumière la disparition de l’espace public. C’est à la fois une réjouissance et une grande tristesse.

Sous les pavés du « village global » médiatique, subsiste l’Atlantide de la cité politique évanouie. Le « cas Zemmour », pour reprendre la formule consacrée, est avant tout symptomatique de l’impasse politique de la droite française, qui a échoué depuis une vingtaine d’années à traduire politiquement une certaine sensibilité populaire restée critique de l’idéologie de mai 68. Aujourd’hui soixante-huitarde et amie des médias à l’égal de la gauche, l’UMP laisse en plan une partie importante de l’électorat, qui n’a par ailleurs aucune envie de rallier le FN. À défaut de se retrouver au pouvoir, cette sensibilité – qui aimerait discuter sérieusement de l’école, de la délinquance, du système fiscal, de l’immigration – trouve ainsi en Zemmour un digne et éloquent représentant. Tel un homme politique, celui-ci peut compter sur une « base » bien motivée à le soutenir dans les moments les plus rudes. Ce mouvement a priori sympathique dissimule, il faut bien le dire, un aveu terrible sur l’état réel de la vie politique en France. La vague zemmourienne trahit plus profondément un ressac de la démocratie.

La fusion des grands médias et du politique, les deux clans partageant une certaine idéologie bien-pensante qui carbure au multiculturalisme, au tiers-mondisme, à l’humanitarisme, tous prétextes à la déresponsabilisation radicale des individus et à la négation du sentiment national, n’est certes pas une nouveauté. Au Québec, la « crise des accommodements raisonnables » a été l’occasion de confirmer le même type d’alliance. Les intellectuels « experts », les journalistes-relais et les politiciens dits « progressistes » se retrouvèrent, main dans la main, sous la coupe d’un État thérapeutique assumant plus que jamais sa rupture avec sa fonction politique. Le bavardage médiatique et académique, people ou expertocrate, ne servit qu’à légitimer l’activisme technocratique et la mission de rééducation du nouvel ordre régnant.

Comme toutes les sociétés occidentales, le Québec fait face à une offensive majeure de subversion de ses institutions, au profit d’extrémismes à la fois intérieurs et extérieurs, les plus doctrinaires de nos supposés « progressistes » s’entendant fort bien avec les « réactionnaires » étrangers les plus radicaux. Mais le politiquement correct qui applique également sa terreur dans notre pays n’est clairement pas aussi fort qu’en France. Nos Commissions des droits de la personne et nos « Ligues des Noirs » ont déjà manifesté leur pouvoir de nuisance, mais elles sont une vraie blague en comparaison de SOS Racisme et de la Halde. Une partie du système médiatique québécois – honnie par l’intelligentsia, bien entendu – reste à l’écoute des préoccupations plus populaires et fournit une capacité de riposte aux politiques qui chercheraient à faire la critique du multiculturalisme d’État. Comme partout ailleurs, la liberté d’expression est minée mais elle reste de beaucoup supérieure à celle qui prévaut en Europe.

Il y a donc un certain espoir de ressaisissement ; du moins est-ce sur cette possibilité qu’il nous faut parier. Le jour, toutefois, où un clone d’Éric Zemmour viendrait à naître au Québec et subirait un lynchage médiatique et professionnel analogue à ce que vit en ce moment le véritable Éric Zemmour en France, serait aussi le jour où il nous faudrait constater le triomphe sans partage du système. Cela pourrait avoir lieu dans quinze ans, peut-être dans dix. Il faudra, alors, proposer une analyse implacable et sans complaisance.

Je crois en avoir déjà trouvé le titre : Mélancolie québécoise.