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La dictée du petit Louis

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Avertissement : C’est après avoir découvert cette dépêche de l’AFP publiée sur le site internet du Figaro et concernant l’obtention de la deuxième année de droit de Jean Sarkozy que j’ai eu l’idée de ce texte. Le lecteur est prévenu que les déclarations et sentiments prêtés aux différents protagonistes ne sont issus que de l’imagination malicieuse de l’auteur. Toute coïncidence ne serait que fortuite, comme on l’écrit dans ces cas-là. DD.

Vendredi 14 h 00. Le figaro.fr annonce que Louis Sarkozy a fait deux fautes et demie à sa dictée de fin de semaine. Cette performance, ajoute l’auteur de la dépêche, permet au benjamin du Président de demeurer en tête de sa classe d’une courte tête.

Vendredi 16 h 28. Mediapart annonce que Paul-Henri E. qui n’a fait qu’une seule faute à la même dictée conteste les résultats de Louis Sarkozy. Une virgule oubliée n’aurait pas été comptabilisée par l’instituteur alors que cela avait déjà été sanctionné pour lui-même d’une demi-faute le mois précédent. Mediapart conclut son papier d’un « Selon que vous soyez puissant ou misérable » bien senti.

Vendredi 18 h 34. L’Elysée conteste « sereinement mais fermement » les allégations de Mediapart. Le communiqué précise que l’instituteur avait bien prévenu que la ponctuation ferait l’objet d’une sanction car ayant fait l’objet d’exercices pendant la semaine précédent la dictée où l’enfant Paul-Henri avait eu une demi-faute alors qu’il était convenu pour les trois dictées suivantes – dont celle de ce vendredi – que ce ne serait plus le cas.

Vendredi 19 h 12. Au « Grand Journal » de Canal +, Catherine Nay minimise la polémique en donnant des explications qui ne sont pas sans rappeler le communiqué de l’Elysée. Joseph Macé-Scaron, quant à lui, explique que « deux fautes et demie ou trois fautes, ce n’est guère terrible pour un fils de Président de la République » et ajoute que le mépris pour la langue française de son père n’est certainement pas pour rien dans cet échec.

Vendredi 23 h 22. L’AFP annonce que Maître Olivier Metzner a accepté de défendre les intérêts de Paul-Henri E.

Samedi 11 h 44. Dans « Ça se dispute » sur I-Télé, Nicolas Domenach moque les justifications de l’Elysée : « Cela démontre à quel point le président de la République ne maîtrise plus sa communication et semble à mille lieues des préoccupations des Français. » Eric Zemmour lui rétorque que cela démontre surtout le faible niveau des écoliers d’aujourd’hui, bénéficiant pourtant de barèmes généreux. Il ajoute que Nicolas Domenach ferait mieux de fustiger le pédagogisme et la permissivité qui tuent l’Ecole de la République à petit feu depuis trente ans.

Dimanche 13 h 08. Sur Canal +, chez Anne-Sophie Lapix, Edouard Balladur, interrogé à propos de la polémique du moment par la journaliste, conseille au petit Louis, qu’il a bien connu, de travailler davantage son orthographe et sa grammaire afin qu’il soit bien armé linguistiquement. C’est une condition de sa liberté future, précise t-il.

Dimanche 16 h 53. Rebondissement dans l’affaire « Dictée de Louis » : Mediapart a recueilli le témoignage de Jean-Baptiste M. qui aurait vu que Louis Sarkozy avait un dictionnaire sur les genoux pendant la dictée. L’affaire prend une autre ampleur.

Dimanche 18 h 42. Interrogé par Jean-Michel Aphatie sur les dernières révélations du site cher à Edwy Plenel, Arnaud Montebourg répond que « si cette tricherie est avérée, c’est très grave pour les institutions de la République ». « Il s’agirait d’un acte délinquant », croit-il bon d’ajouter.

Lundi 8 h 21. Sur Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach reçoit Maître Olivier Metzner. Ce dernier annonce qu’il a saisi le Rectorat de Paris afin que soit diligentée une enquête sur cette triste affaire.

Lundi 9 h 44. Frédéric Lefebvre déclare lors du point-presse de l’UMP que « Louis Sarkozy est un jeune homme brillant, qu’il ne doit pas être mieux traité que les autres enfants mais qu’il ne doit pas non plus être moins bien traité ». Il accuse Mediapart de se comporter en « torchon numérique digne des années trente. »

Lundi 9 h 58. Sur France Info, Nadine Morano souhaite soutenir « ce si brillant jeune garçon qu’est Louis Sarkozy qui, s’il ne doit pas être mieux traité que d’autres enfants, ne doit pas pour autant être moins bien considéré ». Elle ajoute que « certains sites internet trotsko-fascistes pourraient éviter de telles polémiques dignes de l’avant-guerre ».

Lundi 10 h 24. Xavier Bertrand dénonce « ces nouveaux médias, héritiers de la presse nauséabonde de l’entre deux guerres, qui n’hésitent pas à stigmatiser un enfant qui, s’il n’a pas plus de droits que les autres, n’en a pas moins non plus ». Il ajoute qu’il connaît personnellement Louis, « un enfant très brillant ».

Lundi 19 h 28. À « On refait le monde », sur RTL, Elisabeth Lévy n’y va pas par quatre chemins : « Cette histoire de dictée, ça me fiche les jetons. Si vous voulez, même si les résultats en orthographe de nos enfants -à commencer par ceux du fils du Président- ne sont pas brillants, ce n’est pas une raison pour en rajouter dans l’anti-sarkozysme primaire. »

Lundi 20 h 24. Sur France 2, Philippe Meirieu s’interroge : « Pourquoi stigmatise-t-on donc encore les enfants en comptant leurs fautes d’orthographe ? »

Mardi 8 h 01. Sur Antidote, le blog de David Desgouilles, un papier au vitriol est publié sur Philippe Meirieu, ses déclarations de la veille et son influence décidément désastreuse sur l’Ecole de la République.

Mardi 12 h 00. Rebondissement dans l’affaire. Mediapart annonce que Luc Châtel a demandé lui même les palmes académiques pour l’instituteur du petit Louis et que, circonstance aggravante, la femme d’Eric Woerth était présente au mariage du neveu du directeur de l’école.

Mardi 19 h 25. Grave incident sur le plateau du « Grand Journal » de Canal + : Après que Jean-Luc Mélenchon a traité de « tête de linotte » Ariane Massenet qui l’interrogeait sur l’affaire de la dictée, Jean-Michel Aphatie, prenant la défense de sa consœur ainsi outragée, qualifie le président du parti de gauche de « stalinien de la pire espèce ». Mélenchon balance alors son verre d’eau à la figure de l’éditorialiste en le qualifiant de « valet des puissants et de monomaniaque de la dette ». Aphatie, prenant à témoin l’assistance, sort sa carte de presse comme un rempart et, le visage humidifié – sans qu’on sache s’il s’agissait de larmes ou de l’eau jetée par son agresseur –, hurle : « on attaque la liberté de la presse, on attaque la liberté de la presse ! »

Mercredi 13 h 00. À la « une » du Monde, Luc Ferry et Jack Lang signent une tribune : « Pour une dictée non stigmatisante ».

Mercredi 15 h 28. À l’Assemblée nationale, interrogé par le député Mariani sur les honteuses allégations de Mediapart sur la famille du président de la République, Brice Hortefeux s’emmêle les pinceaux et annonce que « plusieurs empreintes génitales ont été retrouvées par la police scientifique sur le dictionnaire du petit Louis Sarkozy ».

Mercredi 18 h 00. Jusque-là discret sur cette triste affaire, le Parti socialiste produit un communiqué : « Les déclarations du ministre de l’Intérieur, au delà d’un lapsus qui prête à sourire, démontrent à quel point les services de l’Etat sont instrumentalisés dans le seul intérêt de l’Elysée. »

Mercredi 18 h 02. Frédéric Lefebvre, Nadine Morano, Xavier Bertrand et Dominique Paillé réagissent sur différents médias en fustigeant l’irresponsabilité du Parti socialiste, son goût immodéré de la polémique et son absence de solutions pour améliorer la vie quotidienne des Français.

Jeudi 11 h 41. De passage à Annecy, pour inaugurer un Institut technologique, Nicolas Sarkozy plaisante (ou pas ?) en signant le livre d’or : « Je la mets où, la virgule ? »

Jeudi 20 h 06. Luc Châtel, invité du JT de TF1, annonce que, dans une volonté d’apaisement et en accord avec le président de la République, le directeur de l’école et l’instituteur, cette « dictée de la honte » (ainsi que l’a qualifiée Libération à sa « une » le jour même) ne comptera pas dans la moyenne du trimestre. Une nouvelle épreuve sera soumise à tous les élèves de la classe, tous les dictionnaires ayant été déposés avant dans une salle attenante. C’est Philippe Sollers lui-même et le président de jury de l’agrégation de lettres classiques qui ont accepté d’en faire la correction.

Jeudi 22 h 31. Maître Olivier Metzner annonce le retrait de toute poursuite de la part de son jeune client mais précise néanmoins qu’il assistera lui-même à la dictée afin d’en contrôler la bonne exécution.

Vendredi 9 h 04. Sous les caméras de BFM-TV, de I-Télé, de LCI et de la Chaîne parlementaire, les enfants de la classe du petit Louis font leur nouvelle dictée. Sans doute déstabilisés par un tel environnement, les élèves produisent des copies catastrophiques, la moins mauvaise, Marie-Sophie T., faisant 8 fautes.

Faut que ça saigne !

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Pieter Aertsen, Etal de boucher, 1551
Pieter Aertsen, Etal de boucher, 1551.

Dans le village où, enfant, nous passions nos vacances de prince des villes revenu à la vie sauvage, il arrivait presque chaque été qu’un paysan tuât un cochon. Ce jour-là, l’animal ne quittait pas la porcherie. Il attendait l’événement, dans un état d’incompréhension et d’inquiétude mêlées. Enfin, il était sorti de force, puis hissé sur une table de planches improvisée. Six hommes solides le maintenaient et menaient l’affaire à son terme. Le boucher ambulant entaillait une grosse veine qui faisait relief dans la gorge du goret ; le gros bouillon de sang qui s’échappait de sa blessure emportait avec lui ses râles de protestation douloureuse. Le petit Parisien feignait d’être écœuré par le spectacle, mais n’en perdait rien. Son trouble se dissipait dans l’atmosphère de gaîté qui suivait immédiatement cette cérémonie sanglante, et pourtant admissible. Le porc était nécessaire à l’accomplissement de ces choses toujours recommencées et délicieuses : boudin, saucisson, jambon…[access capability= »lire_inedits »]

Il ne nous suffit pas de tuer les animaux, il faut aussi qu’ils souffrent, et qu’on les frappe, et qu’on les mutile, et qu’on les estropie. Nous ne nous satisfaisons pas de les exploiter et de les asservir : nous jouissons de les humilier et de voir dans leurs yeux l’effroi que nous leur inspirons. Nous les rouons de coups pour les diriger vers le lieu de leur supplice, où ils parviennent, souvent, les membres brisés. Comme ils ne peuvent plus seulement se mouvoir, nous les soulevons de terre à l’aide de palans, et c’est ainsi, suspendus, terrifiés, pantins calomniés, qu’ils se présentent au pistolet. Nous rions de leur lente agonie ; leurs postures grotesques, leurs mouvements saccadés, leur masque d’effarement, alors que la vie s’épuise en eux avec lenteur, augmentent encore notre joie mauvaise. Souvent, leurs spasmes interminables gonflent notre colère absurde, et quand ils sont morts, nous les agonissons d’injures. 

Les caprices de notre machinale cruauté

En son temps, il n’y avait pas d’homme plus doux, plus attentionné que le prêtre oratorien Nicolas Malebranche (1638-1715), métaphysicien, philosophe « extasié de Descartes ». Or, un matin, il chassa un chien qui l’importunait d’un si violent coup de pied que les gens qui l’accompagnaient s’en étonnèrent. Et l’aimable penseur de rétorquer : « Eh ! Quoi ! Ne savez-vous pas bien que cela ne sent point ? ». Dans les abattoirs industriels comme dans les arènes, de quelque côté qu’il se tourne, l’animal se heurte à nos traditions, à nos croyances, à nos simples besoins qui l’accablent et lui réservent le pire des sorts. Il sert aux rites de la pensée magique, païenne, ou rationnelle. Il se conforme, bien malgré lui, au modèle cartésien de l’animal-machine, il satisfait aux caprices de notre machinale cruauté. 

Afin d’assouvir plus honnêtement notre pulsion, nous enrôlons le divin. En l’invoquant, nous sollicitons le sens du symbole, qui masque nos mauvaises manières. Dans le rituel d’égorgement, nous prétendons que nos bas instincts sont gouvernés par un Dieu de colère inassouvi. Ainsi justifiés, nous reproduisons le rite par lequel se renouvelle, dans le sang, la tragédie qui nous hante depuis la nuit des temps. Chaque année, des centaines de milliers de moutons australiens, pour le plus grand profit de leurs éleveurs, traversent l’océan en direction des pays du Golfe. Ceux qui auront survécu à ce voyage cauchemardesque sont attendus avec impatience par les sacrificateurs.

Et nous, qui prétendons au Ciel, nous avons fait de la Terre l’Enfer des animaux, qui sont nos légions de damnés.[/access]

Cespedes, post-philosophe in the poste

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Vincent Cespedes

En tant que travailleur non-gréviste, j’estime avoir des droits. Et nombreux en plus. En particulier le droit de voir dans le poste des émissions à vocation plus ou moins culturelles qui me disent des choses censées, voire même intéressantes lorsque je reviens d’une longue journée passée au bureau, puis dans les transports perturbés. Mais depuis qu’un ahuri qui se prétend philosophe et écrivain, je veux dire Vincent Cespedes, squatte mes plateaux préférés, celui de Franz-Olivier Giesbert sur la « deux » et celui de Frédéric Taddei sur la « trois », ce n’est plus le cas du tout.

Cespedes, un homme de l’après

L’ami Vincent est un beau gosse, c’est indéniable. Il aime à faire pétiller pour nous (enfin surtout pour ma femme j’imagine) ses jolis yeux mouillés qui brillent sur l’écran de tous les feux de sa vanité, et Dieu sait s’ils sont nombreux. Mais quant à dire quelque chose d’intéressant, non, il n’en est pas là, ou alors exclusivement malgré lui. Certains ont prétendu que Cespedes était à la philosophie ce que Brice de Nice est au surf, une pure virtualité, au mieux un horizon d’attente. C’est trop dire ou trop peu. Cespedes est un homme de l’après, je veux dire du poste (de télé) et du post (de la philosophie), c’est un tard venu qui compense avantageusement par une barbe impeccable sa parfaite absence de complexe, et de concept. Les complexes, c’est bon pour les cathos coincés (un pléonasme) et les concepts c’est bon pour Kant, et Kant c’est moisi et ça sert à rien pour pécho les meufs (encore un pléonasme).

Plutôt que de perdre son temps à critiquer la raison pure, Cespedes a récemment mis sur le marché, L’Homme expliqué aux femmes, une version, estampillée philo mais tout aussi creuse, du best-seller niaiseux Les Hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. Et Cespedes lui, d’où vient-il ? Nul ne le sait, même si chacun peut voir où il va : n’importe où, mais vite. Cours, Vincent, cours !

Internet : et l’homme se leva du canapé

Oui, je sais, je suis un aigri, et un jaloux en plus, qui voudrait pouvoir pérorer à la place de Cespedes à la télé. C’est pour ça que je dis du mal, je sais, je sais. Oui, mais moi, contrairement à vous, je sais aussi pourquoi Internet a été inventé et, par conséquent, pourquoi je suis là parmi vous. C’est pas du tout afin d’améliorer la qualité des communications de l’armée américaine, ou pour diffuser la post-culture jusque dans des zones qu’elle avait jusque-là épargnées, ou dans je ne sais quelle autre bonne intention. Non, c’est beaucoup moins glorieux que tout ça. Un jour, le consommateur avachi sur son canapé en a eu marre que le poste ne lui réponde pas quand il se répandait en invectives narquoises contre ses présentateurs préférés. Il avait beau agonir la dame de la télé, elle restait souriante, d’une impassibilité christique face aux avanies. C’était rageant… Lorsque Internet est arrivé, l’homme s’est levé du canapé (à l’ahurissement inquiet de sa progéniture et de son épouse), mais il s’est vite rassis (au soulagement de tous) devant un autre écran, celui de son ordinateur, et s’est mis à insulter par écrit l’homme de la télé, ou de la radio, ou plus souvent encore celui de l’assemblée nationale et du gouvernement. Et ô miracle, l’homme de la télé, de la radio, etc., l’a entendu ! Il a même eu l’air peiné parfois. L’interactivité était née, et avec elle l’intelligence collective, et le journalisme citoyen, et plein de belles autres choses dans le même genre. Le moteur du développement d’Internet, c’est la vengeance et le ressentiment. Alors laissez-moi tranquille avec votre aigreur, bien sûr que je suis là pour me défouler, comme tout le monde.

Mais revenons à notre mouton émissaire, l’ami Cespedes. Vincent a écrit dans son ouvrage de référence[1. Je déconne, il est des fois où le risque d’être mal compris est trop grave.], Mai 68, la Philosophie est à la rue, pardon, dans la rue : « Le sexe de mai est philosophique. lâcher-prise sensuel clashant d’abord et avant tout l’amour institutionnalisé : rôles sexuels, famille patriarcale, non-dits, carcans… n’y voir qu’hédonisme et arithmétique des jouissances, c’est donc passer à côté. »

Personnellement, en tant que non-philosophe ayant fait quelques études de philosophie, je trouve donc ce donc merveilleux, un pur chef-d’œuvre post-philosophique à lui tout seul.

Dans ce même ouvrage, Cespedes, visiblement en forme, a aussi écrit, et je vous jure que c’est vrai, on peut le vérifier aisément à la page 277 de l’ouvrage en question, quatrième paragraphe :

« C’est au nom de l’ici-et-maintenant que Mai refuse le réformisme et les élections, comme les migraines et les dépressions. Sa philosophie : intensifier le présent grâce au mélange humain, pour que la vie change here and now, sans préavis, immédiatement. J’aimerais conclure sur l’urgence, à mes yeux, d’une telle conversion. »

C’est au nom de l’ici-et-maintenant
Que Mai refuse le réformisme et les élections,
Comme les migraines et les dépressions.
Sa philosophie : intensifier le présent
Grâce au mélange humain,
Pour que la vie change here and now,
Sans préavis,
Immédiatement.
J’aimerais conclure sur l’urgence,
À mes yeux,
D’une telle conversion.

C’est encore mieux en vers, non ? Ça sonne presque Minimum Respect. Est-ce qu’il ne serait pas un peu aussi post-poète sur les bords du PAF, notre post-philosophe ? Il faudrait quand même lui dire que les mélanges, même humains, ça craint pour les migraines.

Mais soyons sérieux un instant. Pour que la vie change here and now, il faut donc se convertir. Au risque des pires malentendus, cette prose a (presque) de quoi plaire au (post ?) chrétien que je suis. Vince, tu ne trouves pas que ça limite-limite, cette prose crypto-catho ? Il faut vite lever cette ambigüité mortifère pour ta nonpensée et pour ta visibilité médiatique. Vince, tu m’écoutes ?

Non, tu ne m’écoutes pas, je sais que tu ne m’écoutes pas, malgré toute l’interactivité du monde. J’ai pourtant une hypothèse à te soumettre pour conclure moi aussi. Vincent, tu n’es pas un homme, même expliqué aux femmes, tu es un personnage de roman. Et je sais même de quel roman. Tu es un personnage inventé par François Taillandier. Dans le dernier tome de sa Grande Intrigue, Time to turn, Taillandier s’attarde sur un mot d’ordre apparu comme par magie, qui appelle l’humanité à prendre un grand tournant pour enfin entrer dans la légèreté de l’après. Vincent, tu es le premier homme de l’après, celui qui répond à l’impératif du grand changement avant tout le monde, le bon petit soldat de la (post)modernité.

Mais à la lumière de Taillandier, on pourrait quand même reprocher au post-philosophe sa pusillanimité : ce n’est pas à se convertir qu’il y a urgence aujourd’hui mais, soyons précis, à prendre un turn. En plus de sonner catho-coincé, la conversion ça sonne affreusement vieille France (car Vincent, toujours volontaire pour les causes gagnées d’avance n’hésite pas à l’occasion et comme il se doit à s’en prendre aussi « au brave Français […] dans sa Francitude »). Il te faut donc aller plus loin, beaucoup plus loin, Vincent. Pourquoi en rester à l’obsolète langue française alors qu’on peut oser le turn dans la novlang anglo-américanisante. Tu as d’ailleurs déjà pris ce virage, tu es on the right track. Here and now, time to turn ! Vince, you hear me ?

TIME TO TURN

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Casse sociale ?

A. s’est coupé ce matin en se rasant ; il a jeté rageusement la double lame SupraCut, pourtant volé la veille à Lidl, contre le miroir ébréché des toilettes.
B. ne reçoit plus de sms de Sarah. Leur caresses en cachette lui manquent, son sourire quand elle est collée à C. le dévaste.
C. éjacule toujours trop tôt avec Sarah, à cause des images qui lui brouillent la tête, à cause de Sarah aussi, cette p…
D. s’est encore disputé avec son beau-père, qui ne lui parlera pas avant qu’il se décide à faire le premier pas. Il ne supporte plus la morgue de celui-ci, quand il lui tend son argent de poche, billets de 100 euros qui sentent l’Hugo Boss et le tabac froid.
E. ne retourne en prison que dans trois jours : il a tout le temps qu’il faut.
F. s’est fait renvoyer du lycée après avoir frappé jusqu’au sang une prof qui n’était même pas la sienne.
G. est la risée des autres parce que ses Converse sont fendues depuis plus d’une semaine.
H. n’a pas fait son compte ce mois-ci ; les flics ont trouvé sa réserve à l’intérieur du lampadaire. Il leur fera payer.
I. n’ira pas sur la tombe de son frère cette année, et n’adressera plus la parole à son père saoul sur le divan.
J. ne sait plus s’il a envie de se faire un gréviste, un CRS ou une lycéenne, mais il sent que ça vient.
K. a besoin de nouvelles fringues, et de montres aussi.
L. s’est fait tatouer « Tony » sur le poignet et un « Montana » vertical sur la cuisse, mais tous les autres l’appellent le Fou.
M. a changé d’imam. Le précédent lui parlait d’obéissance et de foi, mais le nouveau sait ce qui est bon pour lui : mettre à sac ce qui s’interpose entre son âme et Dieu.
N. n’a pas de religion ; pas de parents non plus, du reste. Elevé par une tante qui ne parle pas français, au milieu de nombreux cousins qui braillent, il ne s’isole jamais mieux que sur son skyblog guerrier où il est le chef de Crew Commando.
O. est l’un des meilleurs pour le tir de mortier : son bras bouge à peine au moment de la déflagration.
P. a fait deux ans de psycho et sent la honte monter. Quand il crie, les autres baissent instantanément les yeux.
Q. pense que ses collègues du syndicat ne voient pas assez loin et qu’ils se feront avoir comme d’habitude.
R. a donné plus de gifles qu’il n’en a reçues, aux profs, aux éducateurs, à ses sœurs, à sa mère aussi. Il n’y a que son petit frère qui l’apaise, juste en souriant.
S. a douze ans mais c’est lui qui, l’année passée, a réussi à blesser un pompier sans se faire prendre. Respecté dans le quartier, et même au-delà, il est souvent interviewé dans les reportages-choc.
T. a la rage contre les Français qui ont fait de son père un larbin et de son frère un rappeur en vogue.
U. va de dilemme en dilemme : musulman accro à la bière, sentimental ne rechignant pas au viol, rmiste gagnant plus que toute sa famille réunie.
V. aime bien faire pleurer ceux qui se mettent en travers de son chemin : il sait qu’il fait peur et rien ne peut l’empêcher d’aimer ça.
W. prend son rôle très au sérieux. Il a tout le harnachement qu’il faut et le vocabulaire qui va avec : pour un peu on jurerait que c’est un vrai.
X. insulte en américain, en français et dans sa langue maternelle. Il rêve de Malcolm et aimerait éradiquer, vraiment éradiquer, tous les bouffons.
Y.. n’oubliera jamais la silhouette silencieuse de ses parents, il y a sept ans, revenus la tête basse de l’usine qui n’a jamais rouvert.
Z. aime sentir ce frisson qui vous prend quand on détale dans la fumée, cette ivresse des sirènes hurlantes et des caméras affolées.

En dépit des simplificateurs de tout poil qui aimeraient tant les absoudre, les féliciter ou les maudire en bloc, ces vingt-six individus ont pu se retrouver cet après-midi-là place Bellecour, unis le temps d’une échauffourée : tous casseurs ! 

Paris-Bagdad : un air de revenez-y

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Une bonne idée d’escapade de dernière minute si vous n’avez pas d’essence pour aller voir mamie à Romorantin pour les vacances de la Toussaint, ou bien si les grévistes SNCF menacent votre séjour thalasso à Plombières-les-Bains : la liaison aérienne Paris-Bagdad devrait bientôt reprendre. Interrompue depuis près de 20 ans suite à l’invasion du Koweit par Saddam Hussein et à la première guerre du Golfe, la ligne, autrefois opérée par Air France, va être rouverte par la petite compagnie française Aigle Azur, samedi prochain 30 octobre.

À bord de ce vol inaugural, réservé aux VIP, on trouvera, outre Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État au Commerce extérieur, une conséquente délégation de chefs d’entreprise. Après tout, ce n’est pas parce qu’on n’a même pas participé à la destruction de l’Irak qu’on ne doit pas tenter sa chance pour sa reconstruction…

On a tous quelque chose d’Averroès

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Statue d'Averroès à Cordoue
Statue d'Averroès à Cordoue.

Averroès a bon dos. Jacques Attali n’est pas le seul à s’en prévaloir pour vanter les mérites de l’islam, comme il l’a fait le 21 septembre, sur le plateau de Frédéric Taddéi.

Quand cet économiste assène que l’immigration est inéluctable voire souhaitable, passe encore. Michèle Tribalat, dans Les Yeux grands fermés, lui apporte la contradiction. On préfère l’ignorer quand il serait urgent de débattre. Mais quand il affirme que « cette dimension musulmane de la France […] est un atout extraordinaire qu’il faut considérer comme une force », c’est au nom même de la République, certes accueillante, mais indivisible et laïque, qu’il convient de l’interpeller.

Averroès, donc, est souvent mis à contribution pour glorifier une Andalousie où le pouvoir islamique aurait développé un âge d’or œcuménique et nourrir implicitement le mythe des « racines musulmanes de l’Europe ». Gardons à l’esprit que cet intéressant commentateur d’Aristote, bien que banni par le Calife, était un homme de son temps et qu’il faisait appliquer la charia. D’ailleurs, même l’UOIF se revendique de lui[1.Le lycée Averroès de Lille, dont le fondateur, Amar Lasfar, a déclaré qu’il  » est aussi une vitrine, un laboratoire pour l’UOIF ».]…[access capability= »lire_inedits »]

Un peu court en histoire, Jacques Attali ne l’est pas moins en sociologie, mêlant allègrement religion et origine géographique, musulman et Arabe. Or l’immigration « musulmane » fut d’abord maghrébine et arabophone mais, pour l’essentiel, non arabe, car elle était majoritairement kabyle.

En outre, décréter que l’islam est l’unique horizon possible pour les immigrés venus du continent africain satisfait certainement mollahs et oulémas, pas les réfugiés qui croyaient échapper en Europe à la menace islamiste. Pas l’Iranienne Fariba Hachtroudi, journaliste et écrivain, menacée de mort en 1985 pour son combat contre la loi islamique. Invitée sur le plateau de « Paroles du monde » (Public Sénat) le 23 septembre, tout en précisant que l’application de la charia relève d’une certaine interprétation du Coran, elle observe que les pratiques chariatiques s’exportent dans les pays occidentaux et suscitent l’inquiétude : « C’est comme si l’Occident se réveillait d’un seul coup, alors que des gens […] le disent depuis trente ans : ça va arriver à nos portes. »

Et lorsque « ça » sera arrivé à nos portes parce que Jacques Attali considère qu’il faut plus d’islam quand il faudrait plus de laïcité, d’éducation et de liberté, il ne nous restera qu’à pleurer en compagnie du journaliste koweïtien Ahmed Al-Sarref qui nous avertit: « Un jour, on regrettera l’Europe. »[/access]

Gainsbourg, à la fin

On croyait tout connaître de Serge Gainsbourg, dont on célèbrera l’année prochaine les vingt ans de la disparition. On pensait avoir déjà visité tous les recoins de son labyrinthe biographique et créatif, on s’estimait parfaitement familier des moindres détails de sa vie… On se trompait sur presque toute la ligne. Il manquait quelque chose, à ceux qui n’ont pas connu personnellement le chanteur, pour finir de l’approcher par le cœur et par l’esprit. En l’occurrence, le livre touchant de Constance Meyer.

Carrière perdue d’artiste peintre

Plusieurs événements gainsbouriens notables ont jalonné l’année : le premier a été le film Gainsbourg vie héroïque  de Johan Sfar, qui a mis au jour – sur le mode du conte onirico-philosophique – les méandres psychologiques complexes du chanteur, pris en tenaille entre un éternel regret pour une carrière perdue d’artiste peintre, un vague mépris pour la chanson (considéré comme un « art mineur »), une violente détestation de sa « gueule », etc. Un joli portrait « rêvé », qui mettait sciemment de côté le Gainsbourg de « tous les jours », celui de la vie privée, et qui ne faisait qu’effleurer les dernières années de la vie du chanteur. Le second événement a été une réédition de la biographie « définitive » de Gilles Verlant, qui permet de saisir l’auteur de la Javanaise à travers un grand nombre de témoignages passionnants. Le troisième événement a été la publication de deux récits autobiographiques de femmes discrètes qui ont traversé la vie de Gainsbourg sans être connues du grand public. Sa première femme, Elisabeth Lévitzky (Lise et Lulu, First), que le chanteur a rencontré dans les années 1940 alors que son projet était encore d’être un artiste peintre ; et la jeune Constance Meyer (La jeune-fille et Gainsbourg, l’Archipel) qui a accompagné le poète dans les dernières années de sa vie.

L’intrépide pisseuse

Si le livre de Lévitzky (co-écrit avec Bertrand Dicale) est riche d’enseignements sur la préhistoire de l’artiste, le témoignage de Constance Meyer, La jeune fille et Gainsbourg, est autrement plus intéressant en ce qu’il apporte un éclairage sur les dernières années de la vie de l’artiste ; période durant laquelle un envahissant « Gainsbarre » médiatique cherchait volontairement à brouiller les pistes.

Constance Meyer rencontre Gainsbourg au milieu des années 80, alors qu’elle n’a que 16 ans. Aujourd’hui la jeune-femme a la quarantaine, et fait profession de réaliser des « patchworks » photographiques. On aimerait beaucoup reprendre à notre compte cette notion de « patchwork », car son témoignage se présente comme une accumulation saisissante – et touchante – de parcellaires « choses vues » qui démontre que l’anecdote mène parfois, très légitimement, au fragment biographique. Traversant Paris juchée sur son cyclomoteur Ciao, l’intrépide « pisseuse » glisse sous la porte de l’hôtel particulier de Serge, rue de Verneuil, une lettre de fan énamourée comportant un numéro de téléphone. Gainsbourg appelle la lolita. S’en suit une histoire d’amour singulière, qui va courir de 1986 à la mort du chanteur.

La jeune fille et Gainsbourg livre un témoignage émouvant sur le vrai Gainsbourg. Celui qui, au sommet de sa gloire, était encore un incorrigible timide avec les femmes. Celui qui surjouait le goujat alcoolique dans les médias, et réservait à ses intimes le visage d’un homme subtile et raffiné. Ce témoignage nous permet aussi de voir l’artiste au travail, composant la musique percutante de Tenue de soirée pour Blier fils, ou concevant son propre long-métrage Stan the Flasher, puissamment inspiré par son rapport aux jeunes filles
.
Constance Meyer, à travers des chapitres courts et une vraie économie d’écriture, réussit également à nous communiquer sa nostalgie des années 1980 ; un passé joyeux sans téléphones portables ; un temps poétique où l’on s’envoyait des télégrammes amoureux ; une époque où le monde de la musique – pas tout à fait entré dans l’ère mortifère du CD – savait encore ce que veut dire « chanson française »…

Et ce, notamment, grâce à l’élégance de l’univers Gainsbourg.

Florina Ilis : on vous avait prévenu

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Excellente nouvelle pour l’art du roman : la romancière roumaine Florina Ilis est la lauréate 2010 du Prix Courrier international pour La Croisade des enfants. J’avais signalé aux lecteurs de Causeur ce roman majeur passé un peu inaperçu en France, qui est bel et bien le meilleur livre étranger de 2010. La Croisade des enfants est une exploration profonde et dévastatrice de ce qu’il reste de nos âmes par gros temps postmoderne. Samouraï à l’ouïe et à la vue perpétuellement aux aguets, Florina Ilis révèle avec une grande nouveauté formelle la mutation anthropologique en cours et les périls de l’infantilisation planétaire.

La Croisade des enfants avait été célébré unanimement en Roumanie à sa parution en 2005. Grâce au Prix Courrier international, la France vient de rattraper un peu son retard romanesque sur la Roumanie.

Jean s’enterre

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Jean d'Ormesson
Jean d'Ormesson.

Jean d’Ormesson ? Mais pourquoi parler de lui ici – où l’on fait profession de penser ? Eh bien, parce que lui aussi, figurez-vous. Trente ans déjà que ce dindon avantageux m’énerve, et je suis poli. Si j’étais Jésus, je lui poserais volontiers la question : « Qu’as-tu fait de tes talents ? »

Je ne pense évidemment pas à ses talents littéraires, et pour cause : je ne parle que de ce que je connais. Non seulement je n’ai jamais écrit de roman, mais je ne trouve pas le temps d’en lire[1. En entier.]. Il s’agit ici des « talents » au sens de la parabole christique, plus vaste : l’ensemble des dons reçus par chaque homme de Dieu[2. S’Il existe.].

L’Ormesson qui m’agace, ce n’est pas l’auteur de ces fictions sans doute passionnantes, puisque mon épouse Frigide le dit. C’est le personnage public, son magistère social, son autorité morale et ce qu’il en fait : pas grand-chose en vérité, à part des postures calculées et des mines de vieille coquette. Le bougre est malin, mais comme un singe ; vif, mais comme un éclair de chez Ladurée ; pétillant, mais comme un mousseux débouché par Voltaire.[access capability= »lire_inedits »]

Les frères Bogdanov n’écrivent pas plus de conneries

Voyez son dernier bouquin, cette « Chose étrange » où il nous explique en 319 pages le comment du pourquoi de l’Univers, avec un esprit de synthèse qui blufferait Stephen Hawking et René Girard réunis. En fait de références, on songe plutôt ici aux frères Bogdanov qui, tout bien pesé, dans Le Visage de Dieu, n’écrivent pas plus de conneries.

Sauf que Jean, il a la classe ! La preuve : archétype de la haute bourgeoisie installée[3. Fauteuil n° 12 à l’Académie française, s’il vous plaît !], il n’en bénéficie pas moins d’une singulière complicité de la part des progressistes les plus énervés. Depuis un regrettable malentendu avec Jean Ferrat sur la guerre du Vietnam, il y a quarante ans, personne ou presque n’a haussé le ton contre lui[4. À part Hersant et Pauwels dans les années 1980, mais ça, ça l’arrangeait plutôt.].

Mieux : quand l’artiste s’improvise scientifique pour nous expliquer ce qu’on fout en ce bas-monde, ses spéculations copiées-collées sont aussitôt validées par un astrophysicien de renommée mondiale[5. Le Figaro, 2/9/10.]. Ce faisant, Trinh Xuan Thuan (car c’était lui !) ne risque pas non plus sa carrière : sur les débats abyssaux qu’il enjambe, d’Ormesson n’apporte rien de nouveau que lui-même, mais il l’apporte bien.

Reste qu’il faut vraiment être en rupture d’abonnement à Science&Vie pour gober l’indigeste compilation qu’il nous sert, même agrémentée d’exquises confidences (on allait écrire « mignardises »).

Poétiquement intitulé C’est une chose étrange à la fin que le monde, et sous-titré « roman » pour faire genre, ce bouquin se veut en fait le récit des aventures du monde des origines à nos jours et jusqu’aux fins dernières, rien de moins.

Encore Jean, modeste comme on le connaît, ne revendique-t-il pas pour lui seul la paternité d’une telle somme. Le titre, il le précise d’emblée, est d’Aragon. La problématique (« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »), de Leibniz et des Dead Pompidou’s. Les arguments, piqués un peu partout. Quant à la réponse, bien sûr, il n’y en a pas ; mais quand même, elle tourne autour de Dieu, « plus présent que moi dans ce livre ». Bel aveu pour un incroyant !

La seule chose que l’auteur revendique, en fin de compte, c’est cette appellation de « roman ». Dandysme ultime, sans doute, mais un tantinet ridicule à propos d’une « épopée cosmique »[6. Encore Le Figaro, même date.] où Jean jauge à sa mesure l’Univers, le Temps, le Sens et plus si entente. Au cœur de cette brique creuse, un seul message : nul ne saura jamais si Dieu existe ; mais Dieu sait que je suis cool !

Cornegidouille ! Après tout ce que je vous ai dit concernant d’Ormesson, j’aurais l’air con si je m’attardais sur son cas plus longtemps. Parlons donc de notre époque qui l’a fait roi, c’est-à-dire beste-selleur, doyen d’élection de l’Académie française, Grand officier de la Légion d’honneur et porte-parole de la bonne droite indifférentiste.

La première fois que j’ai eu affaire à cette race-là, ça s’appelait des giscardiens et ça voulait « accompagner le changement ». Une conception passive du pouvoir à laquelle Pompidou encore, conscient des devoirs de sa charge, s’opposait en affirmant : « Gouverner, c’est contraindre. »

Mais le temps passe et, contrairement à ce que prétendait Julien Clerc, ce n’est pas rien ! Je doute qu’au nom de la nation, quelqu’un voie encore l’intérêt d’être contraint, ou même gouverné. Voici venu le temps où tout se vaut ; où les chênes passent pour des glands, et inversement ; et où les intellectuels mêmes, las de se tromper, choisissent leurs erreurs sur plans. Logiquement, c’est l’heure du couronnement pour l’arriviste arrivé qui, depuis quatre-vingt-cinq ans, n’a jamais pensé qu’à ça – à part quelques extras.

Il avait vu juste, l’Ormesson. Avec le temps, la gauche utile a fini par rejoindre sa droite à lui, et  cette nouvelle drauche a un programme commun. Peu regardante sur les histoires de nation, d’Etat et de solidarités concrètes, elle se montre en revanche très à cheval sur les grands principes qui ne mangent pas de pain et ces petits détaux qui vous captent un électorat.

C’est son heure, et je le dis sans une once d’aigreur. Il faut quand même avoir un vrai don pour godiller délicatement, comme lui, en basses eaux métaphysiques, entre les écueils de la triste banalité (« Nous allons tous mourir ! ») et du joyeux paradoxe (« Il n’y a que les vivants qui meurent ! ») Tout ça pour conclure sur des considérations dignes d’une « tenue blanche » maçonnique de la grande époque : à l’en croire, notre héros serait le cygne agnostique dans une couvée de connards que leurs certitudes minérales de croyants ou d’athées empêchent de penser.

Mais faites-vous apporter les gazettes, mon Prince ! De nos jours, en Europe comme sur le Nouveau Continent, tout le monde est devenu agnostique comme vous. Mieux : la question même de l’existence de Dieu n’intéresse plus que les spécialistes…

Mais bon : si ça amuse encore M. d’Ormesson de s’amuser comme ça, pourquoi pas ? Son truc à lui, ça a toujours été de plaire, quoi qu’il en coûte en matière de fidélités intellectuelles ou autres. Certes, depuis une quinzaine d’années, il le confesse volontiers : le grand drame du vieillissement, pour lui, c’est la perte de l’appétence sexuelle.

Il faut bien que vieillesse se passe

Mais, comme disait ma grand-mère, « chaque âge a ses plaisirs ». Le stylo n’était-il pas, avant Onfray, un prolongement du pénis ? En bon darwinien, Jean s’est donc adapté : désormais, sur les plateaux télé, il ne regarde plus seulement les jolies jeunes femmes, mais aussi ses interlocuteurs. Il n’écoute toujours personne, en revanche ; à quoi bon ? Comme le regretté Marchais, il est « venu avec ses réponses ». Un simple assortiment de pirouettes, certes, mais qui semblent voler si haut que nul n’ose aller contre.

Et puis ce que les vraies gens écoutent surtout, c’est la petite musique de ce Jean-là, si bien accordée à son élégance naturelle. La manière familièrement altière dont il porte ses titres et son âge ; sa crinière d’un blanc éclatant, sans trace de triste jaune ni du mauve fatal ; ses beaux yeux délavés comme un jean Armani et ses tweeds coordonnés… Tout ça n’est-il pas, au fond, plus important que ce qu’il dit ?

Assurément ! Mais à ce tarif-là, pourquoi se moquer toujours du look de BHL ? Dans le genre Narcisse épanoui, la droite en plastique dispose elle aussi d’un modèle de compétition, prêt à tout,  plus que l’autre encore, pour renvoyer de lui un reflet positif. Il faut le voir, cet Immortel hors d’âge croulant sous les honneurs, balancer des gros mots à la télé pour faire le jeune-homme-vert et toujours rebelle.

Si ce jeu de rôle le distrait, grand bien lui fasse ! Il faut bien que vieillesse se passe… Mais de grâce, qu’il nous épargne ses grimaces simultanées de vieux sage, genre ermite du quai Conti ou stylite des plateaux télé. Si Jean a une chance d’entrer dans l’Histoire, ce sera comme l’incarnation parfaite du « secret » révélé à Malraux par son curé : « Il n’y a pas de grandes personnes. »[/access]

Marine rame contre Gollnisch

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Il semble bien que la messe ne soit pas dite au Front National. Marine Le Pen, ultra-favorite encore il y a quelques semaines, n’est plus assurée d’une élection dans un fauteuil. Bruno Gollnish n’a pas dit son dernier mot. Il vient ainsi de trouver dans la presse d’extrême-droite des alliés bienvenus. Minute et Rivarol ont gratifié la vice-présidente du FN d’attaques d’un beau gabarit, montrant vers qui allait leur préférence.

Il ne faut pas nier que la lutte pour les places joue un rôle dans cette offensive. Roger Holeindre, soutien de Gollnish et une des personnalités les plus respectées par les militants frontistes, a souhaité la réintégration des dissidents regroupés derrière Carl Lang[1. Depuis que Marine Le Pen a fait du Nord-Pas de Calais sa terre d’élection, prenant la place de l’ancien secrétaire général, ces deux-là ne sont plus très amis.] et son parti de France ou Bernard Antony qui incarnait la frange catholique-ultra du parti lepéniste jusqu’à ce qu’il s’en éloigne[2. Du parti lepéniste, pas de la franche catho-ultra !], horrifié par la montée en puissance de la fille du Chef, qui disait dans tous les médias de France et même de Navarre que, présidente de la République, elle ne remettrait pas en cause la loi Veil. De même, les noms d’un futur état-major circulent dans le cas d’une victoire de Marine Le Pen.

Mais cette lutte des places cache une bataille beaucoup plus décisive et – pour tout dire – plus intéressante. Et celle-ci est économique. Dans les années 1980, le programme économique et social du Front National s’inspirait du libéralisme économique. Finalement, le reagano-thatchérisme se mariait très bien avec le poujadisme anti-impôts, anti-Urssaf et tutti quanti d’un Jean-Marie Le Pen qui avait justement été élu député poujadiste trente ans auparavant. C’est ainsi que le Front National préconisait notamment la suppression de l’impôt sur le revenu. C’est le professeur de droit fiscal Jean-Claude Martinez, lequel fait justement partie des dissidents du Parti de France de Carl Lang, qui était le rédacteur du programme économique du FN.

Marine joue la France souveraine contre l’euro-mondialisme

Dans les années 1990, Le Pen a cru deux fois se faire piquer la défense des intérêts nationaux. En 1992, le duo Pasqua-Séguin d’un côté, Chevènement de l’autre, furent les moteurs du NON à Maastricht. En 1999, Charles Pasqua, profitant avec Philippe de Villiers de la scission Le Pen-Mégret, a bien failli prendre la place en arrivant en tête de toutes les listes de droite – Sarkozy compris – et laissant la liste du FN très loin derrière lui. Surtout, la géographie du vote RPF ressemblait à s’y méprendre avec celle des succès lepénistes des années antérieures.

Marine Le Pen a décidé de jouer à fond la carte de la France souveraine contre l’Euro-mondialisme. Elle a compris que l’ouvrier français se sentait davantage en danger face à la concurrence chinoise à très bas prix que par son voisin immigré ; bien souvent, d’ailleurs, ces deux-là se retrouvent dans les mêmes charrettes de licenciement. Ainsi, les observateurs ont pu remarquer que sa campagne régionale dans le Nord-Pas de Calais était axée principalement sur les dégâts de la mondialisation, laissant à sa droite sa concurrente de l’UMP Valérie Létard.

Les conceptions économiques marinistes ne conviennent pas à la frange historique de l’extrême-droite française, plutôt bourgeoise, qui, si elle rejette le libéralisme politique issu de la Révolution, épouse le libéralisme économique par intérêt de classe. Quelle n’a pas dû, d’ailleurs, être sa réaction lorsque Marine Le Pen a remis en cause la loi Pompidou-Giscard de 1973, obligeant l’Etat à financer sa dette sur les marchés financiers au lieu de le faire – sans intérêt – à la Banque de France ? Se faisant, elle rejoignait Nicolas Dupont-Aignan qui l’avait précédée sur ce thème et Jean-Luc Mélenchon qui proposait au printemps que la BCE monétise intégralement la dette grecque. Bien entendu, Bruno Gollnish souhaite aussi ouvertement le retour à une monnaie nationale[3. Quant à Jean-Claude Martinez, on en est moins certain. N’était-ce pas lui qui suggérait entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002, que, si Jean-Marie Le Pen était élu, il ne remettrait pas forcément l’entrée dans l’euro en cause ? Tout ça pour ça !] mais on doute fort qu’il partage les positions marinistes sur tous les sujets économiques. A vrai dire, il doit la trouver plutôt gaucho sur le thème et ne doit pas détester que la presse d’extrême-droite la pilonne pour les mêmes raisons.

Janvier et le congrès du FN départageant les deux prétendants approchent et si Marine Le Pen reste favorite, il semble bien que sa conquête ne soit pas si triomphale que prévu. Il lui sera alors difficile de changer le nom du parti comme elle le souhaitait ni de procéder au nettoyage nécessaire du programme et de la structure. Dès lors, les bisbilles qui viennent de refaire surface pourraient devenir le quotidien de la nouvelle présidente du FN. Pas l’idéal pour une campagne présidentielle. Finalement, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon ne doivent pas voir d’un mauvais œil la résistance de Gollnish.

La dictée du petit Louis

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Avertissement : C’est après avoir découvert cette dépêche de l’AFP publiée sur le site internet du Figaro et concernant l’obtention de la deuxième année de droit de Jean Sarkozy que j’ai eu l’idée de ce texte. Le lecteur est prévenu que les déclarations et sentiments prêtés aux différents protagonistes ne sont issus que de l’imagination malicieuse de l’auteur. Toute coïncidence ne serait que fortuite, comme on l’écrit dans ces cas-là. DD.

Vendredi 14 h 00. Le figaro.fr annonce que Louis Sarkozy a fait deux fautes et demie à sa dictée de fin de semaine. Cette performance, ajoute l’auteur de la dépêche, permet au benjamin du Président de demeurer en tête de sa classe d’une courte tête.

Vendredi 16 h 28. Mediapart annonce que Paul-Henri E. qui n’a fait qu’une seule faute à la même dictée conteste les résultats de Louis Sarkozy. Une virgule oubliée n’aurait pas été comptabilisée par l’instituteur alors que cela avait déjà été sanctionné pour lui-même d’une demi-faute le mois précédent. Mediapart conclut son papier d’un « Selon que vous soyez puissant ou misérable » bien senti.

Vendredi 18 h 34. L’Elysée conteste « sereinement mais fermement » les allégations de Mediapart. Le communiqué précise que l’instituteur avait bien prévenu que la ponctuation ferait l’objet d’une sanction car ayant fait l’objet d’exercices pendant la semaine précédent la dictée où l’enfant Paul-Henri avait eu une demi-faute alors qu’il était convenu pour les trois dictées suivantes – dont celle de ce vendredi – que ce ne serait plus le cas.

Vendredi 19 h 12. Au « Grand Journal » de Canal +, Catherine Nay minimise la polémique en donnant des explications qui ne sont pas sans rappeler le communiqué de l’Elysée. Joseph Macé-Scaron, quant à lui, explique que « deux fautes et demie ou trois fautes, ce n’est guère terrible pour un fils de Président de la République » et ajoute que le mépris pour la langue française de son père n’est certainement pas pour rien dans cet échec.

Vendredi 23 h 22. L’AFP annonce que Maître Olivier Metzner a accepté de défendre les intérêts de Paul-Henri E.

Samedi 11 h 44. Dans « Ça se dispute » sur I-Télé, Nicolas Domenach moque les justifications de l’Elysée : « Cela démontre à quel point le président de la République ne maîtrise plus sa communication et semble à mille lieues des préoccupations des Français. » Eric Zemmour lui rétorque que cela démontre surtout le faible niveau des écoliers d’aujourd’hui, bénéficiant pourtant de barèmes généreux. Il ajoute que Nicolas Domenach ferait mieux de fustiger le pédagogisme et la permissivité qui tuent l’Ecole de la République à petit feu depuis trente ans.

Dimanche 13 h 08. Sur Canal +, chez Anne-Sophie Lapix, Edouard Balladur, interrogé à propos de la polémique du moment par la journaliste, conseille au petit Louis, qu’il a bien connu, de travailler davantage son orthographe et sa grammaire afin qu’il soit bien armé linguistiquement. C’est une condition de sa liberté future, précise t-il.

Dimanche 16 h 53. Rebondissement dans l’affaire « Dictée de Louis » : Mediapart a recueilli le témoignage de Jean-Baptiste M. qui aurait vu que Louis Sarkozy avait un dictionnaire sur les genoux pendant la dictée. L’affaire prend une autre ampleur.

Dimanche 18 h 42. Interrogé par Jean-Michel Aphatie sur les dernières révélations du site cher à Edwy Plenel, Arnaud Montebourg répond que « si cette tricherie est avérée, c’est très grave pour les institutions de la République ». « Il s’agirait d’un acte délinquant », croit-il bon d’ajouter.

Lundi 8 h 21. Sur Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach reçoit Maître Olivier Metzner. Ce dernier annonce qu’il a saisi le Rectorat de Paris afin que soit diligentée une enquête sur cette triste affaire.

Lundi 9 h 44. Frédéric Lefebvre déclare lors du point-presse de l’UMP que « Louis Sarkozy est un jeune homme brillant, qu’il ne doit pas être mieux traité que les autres enfants mais qu’il ne doit pas non plus être moins bien traité ». Il accuse Mediapart de se comporter en « torchon numérique digne des années trente. »

Lundi 9 h 58. Sur France Info, Nadine Morano souhaite soutenir « ce si brillant jeune garçon qu’est Louis Sarkozy qui, s’il ne doit pas être mieux traité que d’autres enfants, ne doit pas pour autant être moins bien considéré ». Elle ajoute que « certains sites internet trotsko-fascistes pourraient éviter de telles polémiques dignes de l’avant-guerre ».

Lundi 10 h 24. Xavier Bertrand dénonce « ces nouveaux médias, héritiers de la presse nauséabonde de l’entre deux guerres, qui n’hésitent pas à stigmatiser un enfant qui, s’il n’a pas plus de droits que les autres, n’en a pas moins non plus ». Il ajoute qu’il connaît personnellement Louis, « un enfant très brillant ».

Lundi 19 h 28. À « On refait le monde », sur RTL, Elisabeth Lévy n’y va pas par quatre chemins : « Cette histoire de dictée, ça me fiche les jetons. Si vous voulez, même si les résultats en orthographe de nos enfants -à commencer par ceux du fils du Président- ne sont pas brillants, ce n’est pas une raison pour en rajouter dans l’anti-sarkozysme primaire. »

Lundi 20 h 24. Sur France 2, Philippe Meirieu s’interroge : « Pourquoi stigmatise-t-on donc encore les enfants en comptant leurs fautes d’orthographe ? »

Mardi 8 h 01. Sur Antidote, le blog de David Desgouilles, un papier au vitriol est publié sur Philippe Meirieu, ses déclarations de la veille et son influence décidément désastreuse sur l’Ecole de la République.

Mardi 12 h 00. Rebondissement dans l’affaire. Mediapart annonce que Luc Châtel a demandé lui même les palmes académiques pour l’instituteur du petit Louis et que, circonstance aggravante, la femme d’Eric Woerth était présente au mariage du neveu du directeur de l’école.

Mardi 19 h 25. Grave incident sur le plateau du « Grand Journal » de Canal + : Après que Jean-Luc Mélenchon a traité de « tête de linotte » Ariane Massenet qui l’interrogeait sur l’affaire de la dictée, Jean-Michel Aphatie, prenant la défense de sa consœur ainsi outragée, qualifie le président du parti de gauche de « stalinien de la pire espèce ». Mélenchon balance alors son verre d’eau à la figure de l’éditorialiste en le qualifiant de « valet des puissants et de monomaniaque de la dette ». Aphatie, prenant à témoin l’assistance, sort sa carte de presse comme un rempart et, le visage humidifié – sans qu’on sache s’il s’agissait de larmes ou de l’eau jetée par son agresseur –, hurle : « on attaque la liberté de la presse, on attaque la liberté de la presse ! »

Mercredi 13 h 00. À la « une » du Monde, Luc Ferry et Jack Lang signent une tribune : « Pour une dictée non stigmatisante ».

Mercredi 15 h 28. À l’Assemblée nationale, interrogé par le député Mariani sur les honteuses allégations de Mediapart sur la famille du président de la République, Brice Hortefeux s’emmêle les pinceaux et annonce que « plusieurs empreintes génitales ont été retrouvées par la police scientifique sur le dictionnaire du petit Louis Sarkozy ».

Mercredi 18 h 00. Jusque-là discret sur cette triste affaire, le Parti socialiste produit un communiqué : « Les déclarations du ministre de l’Intérieur, au delà d’un lapsus qui prête à sourire, démontrent à quel point les services de l’Etat sont instrumentalisés dans le seul intérêt de l’Elysée. »

Mercredi 18 h 02. Frédéric Lefebvre, Nadine Morano, Xavier Bertrand et Dominique Paillé réagissent sur différents médias en fustigeant l’irresponsabilité du Parti socialiste, son goût immodéré de la polémique et son absence de solutions pour améliorer la vie quotidienne des Français.

Jeudi 11 h 41. De passage à Annecy, pour inaugurer un Institut technologique, Nicolas Sarkozy plaisante (ou pas ?) en signant le livre d’or : « Je la mets où, la virgule ? »

Jeudi 20 h 06. Luc Châtel, invité du JT de TF1, annonce que, dans une volonté d’apaisement et en accord avec le président de la République, le directeur de l’école et l’instituteur, cette « dictée de la honte » (ainsi que l’a qualifiée Libération à sa « une » le jour même) ne comptera pas dans la moyenne du trimestre. Une nouvelle épreuve sera soumise à tous les élèves de la classe, tous les dictionnaires ayant été déposés avant dans une salle attenante. C’est Philippe Sollers lui-même et le président de jury de l’agrégation de lettres classiques qui ont accepté d’en faire la correction.

Jeudi 22 h 31. Maître Olivier Metzner annonce le retrait de toute poursuite de la part de son jeune client mais précise néanmoins qu’il assistera lui-même à la dictée afin d’en contrôler la bonne exécution.

Vendredi 9 h 04. Sous les caméras de BFM-TV, de I-Télé, de LCI et de la Chaîne parlementaire, les enfants de la classe du petit Louis font leur nouvelle dictée. Sans doute déstabilisés par un tel environnement, les élèves produisent des copies catastrophiques, la moins mauvaise, Marie-Sophie T., faisant 8 fautes.

Faut que ça saigne !

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Pieter Aertsen, Etal de boucher, 1551
Pieter Aertsen, Etal de boucher, 1551.
Pieter Aertsen, Etal de boucher, 1551
Pieter Aertsen, Etal de boucher, 1551.

Dans le village où, enfant, nous passions nos vacances de prince des villes revenu à la vie sauvage, il arrivait presque chaque été qu’un paysan tuât un cochon. Ce jour-là, l’animal ne quittait pas la porcherie. Il attendait l’événement, dans un état d’incompréhension et d’inquiétude mêlées. Enfin, il était sorti de force, puis hissé sur une table de planches improvisée. Six hommes solides le maintenaient et menaient l’affaire à son terme. Le boucher ambulant entaillait une grosse veine qui faisait relief dans la gorge du goret ; le gros bouillon de sang qui s’échappait de sa blessure emportait avec lui ses râles de protestation douloureuse. Le petit Parisien feignait d’être écœuré par le spectacle, mais n’en perdait rien. Son trouble se dissipait dans l’atmosphère de gaîté qui suivait immédiatement cette cérémonie sanglante, et pourtant admissible. Le porc était nécessaire à l’accomplissement de ces choses toujours recommencées et délicieuses : boudin, saucisson, jambon…[access capability= »lire_inedits »]

Il ne nous suffit pas de tuer les animaux, il faut aussi qu’ils souffrent, et qu’on les frappe, et qu’on les mutile, et qu’on les estropie. Nous ne nous satisfaisons pas de les exploiter et de les asservir : nous jouissons de les humilier et de voir dans leurs yeux l’effroi que nous leur inspirons. Nous les rouons de coups pour les diriger vers le lieu de leur supplice, où ils parviennent, souvent, les membres brisés. Comme ils ne peuvent plus seulement se mouvoir, nous les soulevons de terre à l’aide de palans, et c’est ainsi, suspendus, terrifiés, pantins calomniés, qu’ils se présentent au pistolet. Nous rions de leur lente agonie ; leurs postures grotesques, leurs mouvements saccadés, leur masque d’effarement, alors que la vie s’épuise en eux avec lenteur, augmentent encore notre joie mauvaise. Souvent, leurs spasmes interminables gonflent notre colère absurde, et quand ils sont morts, nous les agonissons d’injures. 

Les caprices de notre machinale cruauté

En son temps, il n’y avait pas d’homme plus doux, plus attentionné que le prêtre oratorien Nicolas Malebranche (1638-1715), métaphysicien, philosophe « extasié de Descartes ». Or, un matin, il chassa un chien qui l’importunait d’un si violent coup de pied que les gens qui l’accompagnaient s’en étonnèrent. Et l’aimable penseur de rétorquer : « Eh ! Quoi ! Ne savez-vous pas bien que cela ne sent point ? ». Dans les abattoirs industriels comme dans les arènes, de quelque côté qu’il se tourne, l’animal se heurte à nos traditions, à nos croyances, à nos simples besoins qui l’accablent et lui réservent le pire des sorts. Il sert aux rites de la pensée magique, païenne, ou rationnelle. Il se conforme, bien malgré lui, au modèle cartésien de l’animal-machine, il satisfait aux caprices de notre machinale cruauté. 

Afin d’assouvir plus honnêtement notre pulsion, nous enrôlons le divin. En l’invoquant, nous sollicitons le sens du symbole, qui masque nos mauvaises manières. Dans le rituel d’égorgement, nous prétendons que nos bas instincts sont gouvernés par un Dieu de colère inassouvi. Ainsi justifiés, nous reproduisons le rite par lequel se renouvelle, dans le sang, la tragédie qui nous hante depuis la nuit des temps. Chaque année, des centaines de milliers de moutons australiens, pour le plus grand profit de leurs éleveurs, traversent l’océan en direction des pays du Golfe. Ceux qui auront survécu à ce voyage cauchemardesque sont attendus avec impatience par les sacrificateurs.

Et nous, qui prétendons au Ciel, nous avons fait de la Terre l’Enfer des animaux, qui sont nos légions de damnés.[/access]

Cespedes, post-philosophe in the poste

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Vincent Cespedes
Vincent Cespedes

En tant que travailleur non-gréviste, j’estime avoir des droits. Et nombreux en plus. En particulier le droit de voir dans le poste des émissions à vocation plus ou moins culturelles qui me disent des choses censées, voire même intéressantes lorsque je reviens d’une longue journée passée au bureau, puis dans les transports perturbés. Mais depuis qu’un ahuri qui se prétend philosophe et écrivain, je veux dire Vincent Cespedes, squatte mes plateaux préférés, celui de Franz-Olivier Giesbert sur la « deux » et celui de Frédéric Taddei sur la « trois », ce n’est plus le cas du tout.

Cespedes, un homme de l’après

L’ami Vincent est un beau gosse, c’est indéniable. Il aime à faire pétiller pour nous (enfin surtout pour ma femme j’imagine) ses jolis yeux mouillés qui brillent sur l’écran de tous les feux de sa vanité, et Dieu sait s’ils sont nombreux. Mais quant à dire quelque chose d’intéressant, non, il n’en est pas là, ou alors exclusivement malgré lui. Certains ont prétendu que Cespedes était à la philosophie ce que Brice de Nice est au surf, une pure virtualité, au mieux un horizon d’attente. C’est trop dire ou trop peu. Cespedes est un homme de l’après, je veux dire du poste (de télé) et du post (de la philosophie), c’est un tard venu qui compense avantageusement par une barbe impeccable sa parfaite absence de complexe, et de concept. Les complexes, c’est bon pour les cathos coincés (un pléonasme) et les concepts c’est bon pour Kant, et Kant c’est moisi et ça sert à rien pour pécho les meufs (encore un pléonasme).

Plutôt que de perdre son temps à critiquer la raison pure, Cespedes a récemment mis sur le marché, L’Homme expliqué aux femmes, une version, estampillée philo mais tout aussi creuse, du best-seller niaiseux Les Hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. Et Cespedes lui, d’où vient-il ? Nul ne le sait, même si chacun peut voir où il va : n’importe où, mais vite. Cours, Vincent, cours !

Internet : et l’homme se leva du canapé

Oui, je sais, je suis un aigri, et un jaloux en plus, qui voudrait pouvoir pérorer à la place de Cespedes à la télé. C’est pour ça que je dis du mal, je sais, je sais. Oui, mais moi, contrairement à vous, je sais aussi pourquoi Internet a été inventé et, par conséquent, pourquoi je suis là parmi vous. C’est pas du tout afin d’améliorer la qualité des communications de l’armée américaine, ou pour diffuser la post-culture jusque dans des zones qu’elle avait jusque-là épargnées, ou dans je ne sais quelle autre bonne intention. Non, c’est beaucoup moins glorieux que tout ça. Un jour, le consommateur avachi sur son canapé en a eu marre que le poste ne lui réponde pas quand il se répandait en invectives narquoises contre ses présentateurs préférés. Il avait beau agonir la dame de la télé, elle restait souriante, d’une impassibilité christique face aux avanies. C’était rageant… Lorsque Internet est arrivé, l’homme s’est levé du canapé (à l’ahurissement inquiet de sa progéniture et de son épouse), mais il s’est vite rassis (au soulagement de tous) devant un autre écran, celui de son ordinateur, et s’est mis à insulter par écrit l’homme de la télé, ou de la radio, ou plus souvent encore celui de l’assemblée nationale et du gouvernement. Et ô miracle, l’homme de la télé, de la radio, etc., l’a entendu ! Il a même eu l’air peiné parfois. L’interactivité était née, et avec elle l’intelligence collective, et le journalisme citoyen, et plein de belles autres choses dans le même genre. Le moteur du développement d’Internet, c’est la vengeance et le ressentiment. Alors laissez-moi tranquille avec votre aigreur, bien sûr que je suis là pour me défouler, comme tout le monde.

Mais revenons à notre mouton émissaire, l’ami Cespedes. Vincent a écrit dans son ouvrage de référence[1. Je déconne, il est des fois où le risque d’être mal compris est trop grave.], Mai 68, la Philosophie est à la rue, pardon, dans la rue : « Le sexe de mai est philosophique. lâcher-prise sensuel clashant d’abord et avant tout l’amour institutionnalisé : rôles sexuels, famille patriarcale, non-dits, carcans… n’y voir qu’hédonisme et arithmétique des jouissances, c’est donc passer à côté. »

Personnellement, en tant que non-philosophe ayant fait quelques études de philosophie, je trouve donc ce donc merveilleux, un pur chef-d’œuvre post-philosophique à lui tout seul.

Dans ce même ouvrage, Cespedes, visiblement en forme, a aussi écrit, et je vous jure que c’est vrai, on peut le vérifier aisément à la page 277 de l’ouvrage en question, quatrième paragraphe :

« C’est au nom de l’ici-et-maintenant que Mai refuse le réformisme et les élections, comme les migraines et les dépressions. Sa philosophie : intensifier le présent grâce au mélange humain, pour que la vie change here and now, sans préavis, immédiatement. J’aimerais conclure sur l’urgence, à mes yeux, d’une telle conversion. »

C’est au nom de l’ici-et-maintenant
Que Mai refuse le réformisme et les élections,
Comme les migraines et les dépressions.
Sa philosophie : intensifier le présent
Grâce au mélange humain,
Pour que la vie change here and now,
Sans préavis,
Immédiatement.
J’aimerais conclure sur l’urgence,
À mes yeux,
D’une telle conversion.

C’est encore mieux en vers, non ? Ça sonne presque Minimum Respect. Est-ce qu’il ne serait pas un peu aussi post-poète sur les bords du PAF, notre post-philosophe ? Il faudrait quand même lui dire que les mélanges, même humains, ça craint pour les migraines.

Mais soyons sérieux un instant. Pour que la vie change here and now, il faut donc se convertir. Au risque des pires malentendus, cette prose a (presque) de quoi plaire au (post ?) chrétien que je suis. Vince, tu ne trouves pas que ça limite-limite, cette prose crypto-catho ? Il faut vite lever cette ambigüité mortifère pour ta nonpensée et pour ta visibilité médiatique. Vince, tu m’écoutes ?

Non, tu ne m’écoutes pas, je sais que tu ne m’écoutes pas, malgré toute l’interactivité du monde. J’ai pourtant une hypothèse à te soumettre pour conclure moi aussi. Vincent, tu n’es pas un homme, même expliqué aux femmes, tu es un personnage de roman. Et je sais même de quel roman. Tu es un personnage inventé par François Taillandier. Dans le dernier tome de sa Grande Intrigue, Time to turn, Taillandier s’attarde sur un mot d’ordre apparu comme par magie, qui appelle l’humanité à prendre un grand tournant pour enfin entrer dans la légèreté de l’après. Vincent, tu es le premier homme de l’après, celui qui répond à l’impératif du grand changement avant tout le monde, le bon petit soldat de la (post)modernité.

Mais à la lumière de Taillandier, on pourrait quand même reprocher au post-philosophe sa pusillanimité : ce n’est pas à se convertir qu’il y a urgence aujourd’hui mais, soyons précis, à prendre un turn. En plus de sonner catho-coincé, la conversion ça sonne affreusement vieille France (car Vincent, toujours volontaire pour les causes gagnées d’avance n’hésite pas à l’occasion et comme il se doit à s’en prendre aussi « au brave Français […] dans sa Francitude »). Il te faut donc aller plus loin, beaucoup plus loin, Vincent. Pourquoi en rester à l’obsolète langue française alors qu’on peut oser le turn dans la novlang anglo-américanisante. Tu as d’ailleurs déjà pris ce virage, tu es on the right track. Here and now, time to turn ! Vince, you hear me ?

TIME TO TURN

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Casse sociale ?

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A. s’est coupé ce matin en se rasant ; il a jeté rageusement la double lame SupraCut, pourtant volé la veille à Lidl, contre le miroir ébréché des toilettes.
B. ne reçoit plus de sms de Sarah. Leur caresses en cachette lui manquent, son sourire quand elle est collée à C. le dévaste.
C. éjacule toujours trop tôt avec Sarah, à cause des images qui lui brouillent la tête, à cause de Sarah aussi, cette p…
D. s’est encore disputé avec son beau-père, qui ne lui parlera pas avant qu’il se décide à faire le premier pas. Il ne supporte plus la morgue de celui-ci, quand il lui tend son argent de poche, billets de 100 euros qui sentent l’Hugo Boss et le tabac froid.
E. ne retourne en prison que dans trois jours : il a tout le temps qu’il faut.
F. s’est fait renvoyer du lycée après avoir frappé jusqu’au sang une prof qui n’était même pas la sienne.
G. est la risée des autres parce que ses Converse sont fendues depuis plus d’une semaine.
H. n’a pas fait son compte ce mois-ci ; les flics ont trouvé sa réserve à l’intérieur du lampadaire. Il leur fera payer.
I. n’ira pas sur la tombe de son frère cette année, et n’adressera plus la parole à son père saoul sur le divan.
J. ne sait plus s’il a envie de se faire un gréviste, un CRS ou une lycéenne, mais il sent que ça vient.
K. a besoin de nouvelles fringues, et de montres aussi.
L. s’est fait tatouer « Tony » sur le poignet et un « Montana » vertical sur la cuisse, mais tous les autres l’appellent le Fou.
M. a changé d’imam. Le précédent lui parlait d’obéissance et de foi, mais le nouveau sait ce qui est bon pour lui : mettre à sac ce qui s’interpose entre son âme et Dieu.
N. n’a pas de religion ; pas de parents non plus, du reste. Elevé par une tante qui ne parle pas français, au milieu de nombreux cousins qui braillent, il ne s’isole jamais mieux que sur son skyblog guerrier où il est le chef de Crew Commando.
O. est l’un des meilleurs pour le tir de mortier : son bras bouge à peine au moment de la déflagration.
P. a fait deux ans de psycho et sent la honte monter. Quand il crie, les autres baissent instantanément les yeux.
Q. pense que ses collègues du syndicat ne voient pas assez loin et qu’ils se feront avoir comme d’habitude.
R. a donné plus de gifles qu’il n’en a reçues, aux profs, aux éducateurs, à ses sœurs, à sa mère aussi. Il n’y a que son petit frère qui l’apaise, juste en souriant.
S. a douze ans mais c’est lui qui, l’année passée, a réussi à blesser un pompier sans se faire prendre. Respecté dans le quartier, et même au-delà, il est souvent interviewé dans les reportages-choc.
T. a la rage contre les Français qui ont fait de son père un larbin et de son frère un rappeur en vogue.
U. va de dilemme en dilemme : musulman accro à la bière, sentimental ne rechignant pas au viol, rmiste gagnant plus que toute sa famille réunie.
V. aime bien faire pleurer ceux qui se mettent en travers de son chemin : il sait qu’il fait peur et rien ne peut l’empêcher d’aimer ça.
W. prend son rôle très au sérieux. Il a tout le harnachement qu’il faut et le vocabulaire qui va avec : pour un peu on jurerait que c’est un vrai.
X. insulte en américain, en français et dans sa langue maternelle. Il rêve de Malcolm et aimerait éradiquer, vraiment éradiquer, tous les bouffons.
Y.. n’oubliera jamais la silhouette silencieuse de ses parents, il y a sept ans, revenus la tête basse de l’usine qui n’a jamais rouvert.
Z. aime sentir ce frisson qui vous prend quand on détale dans la fumée, cette ivresse des sirènes hurlantes et des caméras affolées.

En dépit des simplificateurs de tout poil qui aimeraient tant les absoudre, les féliciter ou les maudire en bloc, ces vingt-six individus ont pu se retrouver cet après-midi-là place Bellecour, unis le temps d’une échauffourée : tous casseurs ! 

Paris-Bagdad : un air de revenez-y

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Une bonne idée d’escapade de dernière minute si vous n’avez pas d’essence pour aller voir mamie à Romorantin pour les vacances de la Toussaint, ou bien si les grévistes SNCF menacent votre séjour thalasso à Plombières-les-Bains : la liaison aérienne Paris-Bagdad devrait bientôt reprendre. Interrompue depuis près de 20 ans suite à l’invasion du Koweit par Saddam Hussein et à la première guerre du Golfe, la ligne, autrefois opérée par Air France, va être rouverte par la petite compagnie française Aigle Azur, samedi prochain 30 octobre.

À bord de ce vol inaugural, réservé aux VIP, on trouvera, outre Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État au Commerce extérieur, une conséquente délégation de chefs d’entreprise. Après tout, ce n’est pas parce qu’on n’a même pas participé à la destruction de l’Irak qu’on ne doit pas tenter sa chance pour sa reconstruction…

On a tous quelque chose d’Averroès

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Statue d'Averroès à Cordoue
Statue d'Averroès à Cordoue.
Statue d'Averroès à Cordoue
Statue d'Averroès à Cordoue.

Averroès a bon dos. Jacques Attali n’est pas le seul à s’en prévaloir pour vanter les mérites de l’islam, comme il l’a fait le 21 septembre, sur le plateau de Frédéric Taddéi.

Quand cet économiste assène que l’immigration est inéluctable voire souhaitable, passe encore. Michèle Tribalat, dans Les Yeux grands fermés, lui apporte la contradiction. On préfère l’ignorer quand il serait urgent de débattre. Mais quand il affirme que « cette dimension musulmane de la France […] est un atout extraordinaire qu’il faut considérer comme une force », c’est au nom même de la République, certes accueillante, mais indivisible et laïque, qu’il convient de l’interpeller.

Averroès, donc, est souvent mis à contribution pour glorifier une Andalousie où le pouvoir islamique aurait développé un âge d’or œcuménique et nourrir implicitement le mythe des « racines musulmanes de l’Europe ». Gardons à l’esprit que cet intéressant commentateur d’Aristote, bien que banni par le Calife, était un homme de son temps et qu’il faisait appliquer la charia. D’ailleurs, même l’UOIF se revendique de lui[1.Le lycée Averroès de Lille, dont le fondateur, Amar Lasfar, a déclaré qu’il  » est aussi une vitrine, un laboratoire pour l’UOIF ».]…[access capability= »lire_inedits »]

Un peu court en histoire, Jacques Attali ne l’est pas moins en sociologie, mêlant allègrement religion et origine géographique, musulman et Arabe. Or l’immigration « musulmane » fut d’abord maghrébine et arabophone mais, pour l’essentiel, non arabe, car elle était majoritairement kabyle.

En outre, décréter que l’islam est l’unique horizon possible pour les immigrés venus du continent africain satisfait certainement mollahs et oulémas, pas les réfugiés qui croyaient échapper en Europe à la menace islamiste. Pas l’Iranienne Fariba Hachtroudi, journaliste et écrivain, menacée de mort en 1985 pour son combat contre la loi islamique. Invitée sur le plateau de « Paroles du monde » (Public Sénat) le 23 septembre, tout en précisant que l’application de la charia relève d’une certaine interprétation du Coran, elle observe que les pratiques chariatiques s’exportent dans les pays occidentaux et suscitent l’inquiétude : « C’est comme si l’Occident se réveillait d’un seul coup, alors que des gens […] le disent depuis trente ans : ça va arriver à nos portes. »

Et lorsque « ça » sera arrivé à nos portes parce que Jacques Attali considère qu’il faut plus d’islam quand il faudrait plus de laïcité, d’éducation et de liberté, il ne nous restera qu’à pleurer en compagnie du journaliste koweïtien Ahmed Al-Sarref qui nous avertit: « Un jour, on regrettera l’Europe. »[/access]

Gainsbourg, à la fin

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On croyait tout connaître de Serge Gainsbourg, dont on célèbrera l’année prochaine les vingt ans de la disparition. On pensait avoir déjà visité tous les recoins de son labyrinthe biographique et créatif, on s’estimait parfaitement familier des moindres détails de sa vie… On se trompait sur presque toute la ligne. Il manquait quelque chose, à ceux qui n’ont pas connu personnellement le chanteur, pour finir de l’approcher par le cœur et par l’esprit. En l’occurrence, le livre touchant de Constance Meyer.

Carrière perdue d’artiste peintre

Plusieurs événements gainsbouriens notables ont jalonné l’année : le premier a été le film Gainsbourg vie héroïque  de Johan Sfar, qui a mis au jour – sur le mode du conte onirico-philosophique – les méandres psychologiques complexes du chanteur, pris en tenaille entre un éternel regret pour une carrière perdue d’artiste peintre, un vague mépris pour la chanson (considéré comme un « art mineur »), une violente détestation de sa « gueule », etc. Un joli portrait « rêvé », qui mettait sciemment de côté le Gainsbourg de « tous les jours », celui de la vie privée, et qui ne faisait qu’effleurer les dernières années de la vie du chanteur. Le second événement a été une réédition de la biographie « définitive » de Gilles Verlant, qui permet de saisir l’auteur de la Javanaise à travers un grand nombre de témoignages passionnants. Le troisième événement a été la publication de deux récits autobiographiques de femmes discrètes qui ont traversé la vie de Gainsbourg sans être connues du grand public. Sa première femme, Elisabeth Lévitzky (Lise et Lulu, First), que le chanteur a rencontré dans les années 1940 alors que son projet était encore d’être un artiste peintre ; et la jeune Constance Meyer (La jeune-fille et Gainsbourg, l’Archipel) qui a accompagné le poète dans les dernières années de sa vie.

L’intrépide pisseuse

Si le livre de Lévitzky (co-écrit avec Bertrand Dicale) est riche d’enseignements sur la préhistoire de l’artiste, le témoignage de Constance Meyer, La jeune fille et Gainsbourg, est autrement plus intéressant en ce qu’il apporte un éclairage sur les dernières années de la vie de l’artiste ; période durant laquelle un envahissant « Gainsbarre » médiatique cherchait volontairement à brouiller les pistes.

Constance Meyer rencontre Gainsbourg au milieu des années 80, alors qu’elle n’a que 16 ans. Aujourd’hui la jeune-femme a la quarantaine, et fait profession de réaliser des « patchworks » photographiques. On aimerait beaucoup reprendre à notre compte cette notion de « patchwork », car son témoignage se présente comme une accumulation saisissante – et touchante – de parcellaires « choses vues » qui démontre que l’anecdote mène parfois, très légitimement, au fragment biographique. Traversant Paris juchée sur son cyclomoteur Ciao, l’intrépide « pisseuse » glisse sous la porte de l’hôtel particulier de Serge, rue de Verneuil, une lettre de fan énamourée comportant un numéro de téléphone. Gainsbourg appelle la lolita. S’en suit une histoire d’amour singulière, qui va courir de 1986 à la mort du chanteur.

La jeune fille et Gainsbourg livre un témoignage émouvant sur le vrai Gainsbourg. Celui qui, au sommet de sa gloire, était encore un incorrigible timide avec les femmes. Celui qui surjouait le goujat alcoolique dans les médias, et réservait à ses intimes le visage d’un homme subtile et raffiné. Ce témoignage nous permet aussi de voir l’artiste au travail, composant la musique percutante de Tenue de soirée pour Blier fils, ou concevant son propre long-métrage Stan the Flasher, puissamment inspiré par son rapport aux jeunes filles
.
Constance Meyer, à travers des chapitres courts et une vraie économie d’écriture, réussit également à nous communiquer sa nostalgie des années 1980 ; un passé joyeux sans téléphones portables ; un temps poétique où l’on s’envoyait des télégrammes amoureux ; une époque où le monde de la musique – pas tout à fait entré dans l’ère mortifère du CD – savait encore ce que veut dire « chanson française »…

Et ce, notamment, grâce à l’élégance de l’univers Gainsbourg.

Florina Ilis : on vous avait prévenu

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Excellente nouvelle pour l’art du roman : la romancière roumaine Florina Ilis est la lauréate 2010 du Prix Courrier international pour La Croisade des enfants. J’avais signalé aux lecteurs de Causeur ce roman majeur passé un peu inaperçu en France, qui est bel et bien le meilleur livre étranger de 2010. La Croisade des enfants est une exploration profonde et dévastatrice de ce qu’il reste de nos âmes par gros temps postmoderne. Samouraï à l’ouïe et à la vue perpétuellement aux aguets, Florina Ilis révèle avec une grande nouveauté formelle la mutation anthropologique en cours et les périls de l’infantilisation planétaire.

La Croisade des enfants avait été célébré unanimement en Roumanie à sa parution en 2005. Grâce au Prix Courrier international, la France vient de rattraper un peu son retard romanesque sur la Roumanie.

La croisade des enfants

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Jean s’enterre

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Jean d'Ormesson
Jean d'Ormesson.
Jean d'Ormesson
Jean d'Ormesson.

Jean d’Ormesson ? Mais pourquoi parler de lui ici – où l’on fait profession de penser ? Eh bien, parce que lui aussi, figurez-vous. Trente ans déjà que ce dindon avantageux m’énerve, et je suis poli. Si j’étais Jésus, je lui poserais volontiers la question : « Qu’as-tu fait de tes talents ? »

Je ne pense évidemment pas à ses talents littéraires, et pour cause : je ne parle que de ce que je connais. Non seulement je n’ai jamais écrit de roman, mais je ne trouve pas le temps d’en lire[1. En entier.]. Il s’agit ici des « talents » au sens de la parabole christique, plus vaste : l’ensemble des dons reçus par chaque homme de Dieu[2. S’Il existe.].

L’Ormesson qui m’agace, ce n’est pas l’auteur de ces fictions sans doute passionnantes, puisque mon épouse Frigide le dit. C’est le personnage public, son magistère social, son autorité morale et ce qu’il en fait : pas grand-chose en vérité, à part des postures calculées et des mines de vieille coquette. Le bougre est malin, mais comme un singe ; vif, mais comme un éclair de chez Ladurée ; pétillant, mais comme un mousseux débouché par Voltaire.[access capability= »lire_inedits »]

Les frères Bogdanov n’écrivent pas plus de conneries

Voyez son dernier bouquin, cette « Chose étrange » où il nous explique en 319 pages le comment du pourquoi de l’Univers, avec un esprit de synthèse qui blufferait Stephen Hawking et René Girard réunis. En fait de références, on songe plutôt ici aux frères Bogdanov qui, tout bien pesé, dans Le Visage de Dieu, n’écrivent pas plus de conneries.

Sauf que Jean, il a la classe ! La preuve : archétype de la haute bourgeoisie installée[3. Fauteuil n° 12 à l’Académie française, s’il vous plaît !], il n’en bénéficie pas moins d’une singulière complicité de la part des progressistes les plus énervés. Depuis un regrettable malentendu avec Jean Ferrat sur la guerre du Vietnam, il y a quarante ans, personne ou presque n’a haussé le ton contre lui[4. À part Hersant et Pauwels dans les années 1980, mais ça, ça l’arrangeait plutôt.].

Mieux : quand l’artiste s’improvise scientifique pour nous expliquer ce qu’on fout en ce bas-monde, ses spéculations copiées-collées sont aussitôt validées par un astrophysicien de renommée mondiale[5. Le Figaro, 2/9/10.]. Ce faisant, Trinh Xuan Thuan (car c’était lui !) ne risque pas non plus sa carrière : sur les débats abyssaux qu’il enjambe, d’Ormesson n’apporte rien de nouveau que lui-même, mais il l’apporte bien.

Reste qu’il faut vraiment être en rupture d’abonnement à Science&Vie pour gober l’indigeste compilation qu’il nous sert, même agrémentée d’exquises confidences (on allait écrire « mignardises »).

Poétiquement intitulé C’est une chose étrange à la fin que le monde, et sous-titré « roman » pour faire genre, ce bouquin se veut en fait le récit des aventures du monde des origines à nos jours et jusqu’aux fins dernières, rien de moins.

Encore Jean, modeste comme on le connaît, ne revendique-t-il pas pour lui seul la paternité d’une telle somme. Le titre, il le précise d’emblée, est d’Aragon. La problématique (« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »), de Leibniz et des Dead Pompidou’s. Les arguments, piqués un peu partout. Quant à la réponse, bien sûr, il n’y en a pas ; mais quand même, elle tourne autour de Dieu, « plus présent que moi dans ce livre ». Bel aveu pour un incroyant !

La seule chose que l’auteur revendique, en fin de compte, c’est cette appellation de « roman ». Dandysme ultime, sans doute, mais un tantinet ridicule à propos d’une « épopée cosmique »[6. Encore Le Figaro, même date.] où Jean jauge à sa mesure l’Univers, le Temps, le Sens et plus si entente. Au cœur de cette brique creuse, un seul message : nul ne saura jamais si Dieu existe ; mais Dieu sait que je suis cool !

Cornegidouille ! Après tout ce que je vous ai dit concernant d’Ormesson, j’aurais l’air con si je m’attardais sur son cas plus longtemps. Parlons donc de notre époque qui l’a fait roi, c’est-à-dire beste-selleur, doyen d’élection de l’Académie française, Grand officier de la Légion d’honneur et porte-parole de la bonne droite indifférentiste.

La première fois que j’ai eu affaire à cette race-là, ça s’appelait des giscardiens et ça voulait « accompagner le changement ». Une conception passive du pouvoir à laquelle Pompidou encore, conscient des devoirs de sa charge, s’opposait en affirmant : « Gouverner, c’est contraindre. »

Mais le temps passe et, contrairement à ce que prétendait Julien Clerc, ce n’est pas rien ! Je doute qu’au nom de la nation, quelqu’un voie encore l’intérêt d’être contraint, ou même gouverné. Voici venu le temps où tout se vaut ; où les chênes passent pour des glands, et inversement ; et où les intellectuels mêmes, las de se tromper, choisissent leurs erreurs sur plans. Logiquement, c’est l’heure du couronnement pour l’arriviste arrivé qui, depuis quatre-vingt-cinq ans, n’a jamais pensé qu’à ça – à part quelques extras.

Il avait vu juste, l’Ormesson. Avec le temps, la gauche utile a fini par rejoindre sa droite à lui, et  cette nouvelle drauche a un programme commun. Peu regardante sur les histoires de nation, d’Etat et de solidarités concrètes, elle se montre en revanche très à cheval sur les grands principes qui ne mangent pas de pain et ces petits détaux qui vous captent un électorat.

C’est son heure, et je le dis sans une once d’aigreur. Il faut quand même avoir un vrai don pour godiller délicatement, comme lui, en basses eaux métaphysiques, entre les écueils de la triste banalité (« Nous allons tous mourir ! ») et du joyeux paradoxe (« Il n’y a que les vivants qui meurent ! ») Tout ça pour conclure sur des considérations dignes d’une « tenue blanche » maçonnique de la grande époque : à l’en croire, notre héros serait le cygne agnostique dans une couvée de connards que leurs certitudes minérales de croyants ou d’athées empêchent de penser.

Mais faites-vous apporter les gazettes, mon Prince ! De nos jours, en Europe comme sur le Nouveau Continent, tout le monde est devenu agnostique comme vous. Mieux : la question même de l’existence de Dieu n’intéresse plus que les spécialistes…

Mais bon : si ça amuse encore M. d’Ormesson de s’amuser comme ça, pourquoi pas ? Son truc à lui, ça a toujours été de plaire, quoi qu’il en coûte en matière de fidélités intellectuelles ou autres. Certes, depuis une quinzaine d’années, il le confesse volontiers : le grand drame du vieillissement, pour lui, c’est la perte de l’appétence sexuelle.

Il faut bien que vieillesse se passe

Mais, comme disait ma grand-mère, « chaque âge a ses plaisirs ». Le stylo n’était-il pas, avant Onfray, un prolongement du pénis ? En bon darwinien, Jean s’est donc adapté : désormais, sur les plateaux télé, il ne regarde plus seulement les jolies jeunes femmes, mais aussi ses interlocuteurs. Il n’écoute toujours personne, en revanche ; à quoi bon ? Comme le regretté Marchais, il est « venu avec ses réponses ». Un simple assortiment de pirouettes, certes, mais qui semblent voler si haut que nul n’ose aller contre.

Et puis ce que les vraies gens écoutent surtout, c’est la petite musique de ce Jean-là, si bien accordée à son élégance naturelle. La manière familièrement altière dont il porte ses titres et son âge ; sa crinière d’un blanc éclatant, sans trace de triste jaune ni du mauve fatal ; ses beaux yeux délavés comme un jean Armani et ses tweeds coordonnés… Tout ça n’est-il pas, au fond, plus important que ce qu’il dit ?

Assurément ! Mais à ce tarif-là, pourquoi se moquer toujours du look de BHL ? Dans le genre Narcisse épanoui, la droite en plastique dispose elle aussi d’un modèle de compétition, prêt à tout,  plus que l’autre encore, pour renvoyer de lui un reflet positif. Il faut le voir, cet Immortel hors d’âge croulant sous les honneurs, balancer des gros mots à la télé pour faire le jeune-homme-vert et toujours rebelle.

Si ce jeu de rôle le distrait, grand bien lui fasse ! Il faut bien que vieillesse se passe… Mais de grâce, qu’il nous épargne ses grimaces simultanées de vieux sage, genre ermite du quai Conti ou stylite des plateaux télé. Si Jean a une chance d’entrer dans l’Histoire, ce sera comme l’incarnation parfaite du « secret » révélé à Malraux par son curé : « Il n’y a pas de grandes personnes. »[/access]

Marine rame contre Gollnisch

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Marine Le Pen peine à imposer sa "révolution culturelle".

Il semble bien que la messe ne soit pas dite au Front National. Marine Le Pen, ultra-favorite encore il y a quelques semaines, n’est plus assurée d’une élection dans un fauteuil. Bruno Gollnish n’a pas dit son dernier mot. Il vient ainsi de trouver dans la presse d’extrême-droite des alliés bienvenus. Minute et Rivarol ont gratifié la vice-présidente du FN d’attaques d’un beau gabarit, montrant vers qui allait leur préférence.

Il ne faut pas nier que la lutte pour les places joue un rôle dans cette offensive. Roger Holeindre, soutien de Gollnish et une des personnalités les plus respectées par les militants frontistes, a souhaité la réintégration des dissidents regroupés derrière Carl Lang[1. Depuis que Marine Le Pen a fait du Nord-Pas de Calais sa terre d’élection, prenant la place de l’ancien secrétaire général, ces deux-là ne sont plus très amis.] et son parti de France ou Bernard Antony qui incarnait la frange catholique-ultra du parti lepéniste jusqu’à ce qu’il s’en éloigne[2. Du parti lepéniste, pas de la franche catho-ultra !], horrifié par la montée en puissance de la fille du Chef, qui disait dans tous les médias de France et même de Navarre que, présidente de la République, elle ne remettrait pas en cause la loi Veil. De même, les noms d’un futur état-major circulent dans le cas d’une victoire de Marine Le Pen.

Mais cette lutte des places cache une bataille beaucoup plus décisive et – pour tout dire – plus intéressante. Et celle-ci est économique. Dans les années 1980, le programme économique et social du Front National s’inspirait du libéralisme économique. Finalement, le reagano-thatchérisme se mariait très bien avec le poujadisme anti-impôts, anti-Urssaf et tutti quanti d’un Jean-Marie Le Pen qui avait justement été élu député poujadiste trente ans auparavant. C’est ainsi que le Front National préconisait notamment la suppression de l’impôt sur le revenu. C’est le professeur de droit fiscal Jean-Claude Martinez, lequel fait justement partie des dissidents du Parti de France de Carl Lang, qui était le rédacteur du programme économique du FN.

Marine joue la France souveraine contre l’euro-mondialisme

Dans les années 1990, Le Pen a cru deux fois se faire piquer la défense des intérêts nationaux. En 1992, le duo Pasqua-Séguin d’un côté, Chevènement de l’autre, furent les moteurs du NON à Maastricht. En 1999, Charles Pasqua, profitant avec Philippe de Villiers de la scission Le Pen-Mégret, a bien failli prendre la place en arrivant en tête de toutes les listes de droite – Sarkozy compris – et laissant la liste du FN très loin derrière lui. Surtout, la géographie du vote RPF ressemblait à s’y méprendre avec celle des succès lepénistes des années antérieures.

Marine Le Pen a décidé de jouer à fond la carte de la France souveraine contre l’Euro-mondialisme. Elle a compris que l’ouvrier français se sentait davantage en danger face à la concurrence chinoise à très bas prix que par son voisin immigré ; bien souvent, d’ailleurs, ces deux-là se retrouvent dans les mêmes charrettes de licenciement. Ainsi, les observateurs ont pu remarquer que sa campagne régionale dans le Nord-Pas de Calais était axée principalement sur les dégâts de la mondialisation, laissant à sa droite sa concurrente de l’UMP Valérie Létard.

Les conceptions économiques marinistes ne conviennent pas à la frange historique de l’extrême-droite française, plutôt bourgeoise, qui, si elle rejette le libéralisme politique issu de la Révolution, épouse le libéralisme économique par intérêt de classe. Quelle n’a pas dû, d’ailleurs, être sa réaction lorsque Marine Le Pen a remis en cause la loi Pompidou-Giscard de 1973, obligeant l’Etat à financer sa dette sur les marchés financiers au lieu de le faire – sans intérêt – à la Banque de France ? Se faisant, elle rejoignait Nicolas Dupont-Aignan qui l’avait précédée sur ce thème et Jean-Luc Mélenchon qui proposait au printemps que la BCE monétise intégralement la dette grecque. Bien entendu, Bruno Gollnish souhaite aussi ouvertement le retour à une monnaie nationale[3. Quant à Jean-Claude Martinez, on en est moins certain. N’était-ce pas lui qui suggérait entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002, que, si Jean-Marie Le Pen était élu, il ne remettrait pas forcément l’entrée dans l’euro en cause ? Tout ça pour ça !] mais on doute fort qu’il partage les positions marinistes sur tous les sujets économiques. A vrai dire, il doit la trouver plutôt gaucho sur le thème et ne doit pas détester que la presse d’extrême-droite la pilonne pour les mêmes raisons.

Janvier et le congrès du FN départageant les deux prétendants approchent et si Marine Le Pen reste favorite, il semble bien que sa conquête ne soit pas si triomphale que prévu. Il lui sera alors difficile de changer le nom du parti comme elle le souhaitait ni de procéder au nettoyage nécessaire du programme et de la structure. Dès lors, les bisbilles qui viennent de refaire surface pourraient devenir le quotidien de la nouvelle présidente du FN. Pas l’idéal pour une campagne présidentielle. Finalement, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon ne doivent pas voir d’un mauvais œil la résistance de Gollnish.