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Manifs interdites au moins de 18 ans?

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Photo : Ernst Morales

La jeunesse est dans la rue – en tout cas, quelques dizaines de milliers de ses représentants. Cette menace, toutes les générations l’ont proférée à l’adresse des gouvernants. Battre le pavé fait partie des rites d’initiation. Après tout, si ce groupe mythique que l’on appelle « les jeunes » s’incarne, de loin en loin, dans l’action collective, cela veut peut-être dire que l’individu-roi n’a pas totalement triomphé.

Alors, bien sûr, on peut juger que les lycéens sont à côté de la plaque en s’opposant à une réforme qui permet, faute de mieux, de sauver les meubles de la retraite par répartition. On peut trouver inquiétant et même déprimant qu’ils se soucient de l’âge auquel ils pourront cesser de travailler avant même d’avoir commencé, comme si l’âge adulte n’était plus un état désirable mais un mauvais moment à passer, comme si passer du lycée à la maison de retraite était la dernière utopie que l’on ait en rayon. Il est vrai que, comme l’a excellemment observé Luc Rosenzweig, ces petits-enfants de soixante-huitards que l’on menace du chômage depuis l’enfance, voient leurs parents trimer quand leurs grands-parents, après avoir joui sans entrave et goûté aux joies des stocks-options, hésitent entre croisière et camping-cars : il y a sans doute de quoi être découragé. Il n’est pas certain, cependant, que ce soient les plus précaires ou ceux qui sont le plus menacés de le devenir qui défilent dans nos rues et bloquent leurs lycées. « Chez moi, on est neuf. Alors je dois aller en cours pour avoir un bon métier plus tard. Ce blocage sabote notre avenir », déclare dans Libération Ryad, élève au lycée Voltaire. Bref, la révolte est encore largement un luxe de petits-bourgeois. Interrogée dans le même article, Sophia qui fait partie des initiateurs du blocus reconnaît qu’elle fait un peu ça « pour louper les cours ». Sophia aimerait être agent immobilier « pour avoir une belle maison et gagner assez d’argent pour finir dans l’humanitaire ». Si ce n’est pas de l’idéalisme. On notera au passage que ce 15 octobre, soit, plus d’un mois après la rentrée, Lucie-Lou, élève dans le même lycée, a réussi à assister à son cours de philo, le premier de l’année.

À les entendre s’exprimer, on se dit aussi que ces grands bébés ne comprennent pas grand-chose aux slogans qu’ils ânonnent avec une maitrise de la langue de bois digne des vieux routiers de la politique et du syndicalisme. Pour ma part, ce qui me rend perplexe, c’est l’aisance avec laquelle ils se considèrent à la fois comme des victimes et des ayants-droit : on dirait que leur problème n’est pas de changer le monde mais qu’on l’aménage pour eux. En se comportant comme des créanciers qui réclament leur dû, nos jeunes rebelles prouvent au moins qu’ils sont des Français comme les autres.

En les caressant dans le sens du poil, les socialistes qui sont assez contents que Sarkozy fasse le sale boulot, même mal, font preuve de démagogie et d’une bonne dose d’hypocrisie. Reste qu’en agitant le spectre de la violence pour discréditer les manifestants, c’est le gouvernement qui se montre irresponsable. Avoir peur de la jeunesse ou faire semblant d’avoir peur, c’est admettre qu’on est incapable de maintenir l’ordre. Que le gouvernement critique politiquement ceux qui le défient dans la rue, c’est de bonne guerre, qu’il tienne bon face aux grévistes, c’est logique, mais la mission du ministre de l’Intérieur et de la police est aussi de garantir l’exercice du droit de manifester. Après tout, peut-être que les jeunes sont cons, mais ça aussi, c’est un droit.

Les racines musulmanes de l’identité européenne

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Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.

Nous vivons des temps obscurs. Un sentiment d’insécurité qui se propage telle une peste nauséabonde sclérose les Européens et les empêche de vivre les promesses de la modernité. Les mêmes qui, naguère, étaient si fiers de s’imaginer phares de l’humanité font profil bas. Sous l’influence de dirigeants qui instrumentalisent cyniquement leurs peurs, les peuples européens se replient piteusement sur une identité à la fois tautologique et fantasmée. L’Europe ne serait rien d’autre qu’elle-même ! Quelle drôle d’idée ! À l’heure des identités floues  et des appropriations ludiques du passé, il y aurait pourtant autre chose à faire que de réaffirmer ce qu’on croit être des évidences. À l’ère du transsexuel, de l’interculturel et du post-national, il est temps d’inventer, après l’alter-monde, les alter-racines.[access capability= »lire_inedits »]

La joyeuse énergie de l’indéterminé

« Je fais ce que je veux avec mes cheveux », disait la dame de la publicité ; faisons ce que nous voulons avec nos racines aussi. Rien ne doit résister à l’appropriation par l’esprit du temps de ce que la frilosité de nos aînés avait placé hors de notre atteinte. Voilà que le passé lui-même est à nous ! Après avoir mondialisé la production et la consommation des biens et de services, après avoir mondialisé les pratiques culturelles, il est plus que temps de franchir un nouveau et ultime cap et de mondialiser enfin nos racines. Exigeons pour cela la réanimation dans le peuple européen d’un esprit ludique et frondeur, un esprit d’enfance qui refuse les limitations sclérosantes, les assignations identitaires, bref qui refuse l’esprit adulte, celui du renoncement triste de ceux, les benêts, qui se contentent idiotement d’être ce qu’ils sont. Il faut se battre avec la joyeuse énergie de l’indéterminé contre cette morne résignation à n’être rien d’autre que soi. Parce que l’Europe aurait presque vingt siècles de christianisme derrière elle, elle serait chrétienne, ou aurait, version soft, des « racines chrétiennes » ! Cette réaffirmation sottement identitaire constitue une scandaleuse discrimination (d’autant plus scandaleuse qu’elle se donne l’apparence de l’évidence) à l’encontre de l’Autre en soi, c’est-à-dire, très prioritairement, du muslim qui sommeille en chacun de nous, et peut-être aussi du rom, mais cela, c’est l’avenir qui le dira.

Aime ton prochain comme toi-même. Et même un peu plus.

Fort heureusement, face aux islamophobes, ces Européens qui, par une peur d’être contaminés par ce qui n’est pas soi, s’interrogent encore sur la possibilité de ne plus être ce qu’ils furent, il y a les islamophiles, ceux qui acceptent joyeusement et simplement de bazarder tout ce fatras identitaire pour se découvrir Autre. Aime ton prochain comme toi-même, et même encore un peu plus. Face à la peur des peureux, l’amour des amoureux. Les ouverts face aux frileux. Le schéma est simple, mais pertinent. Comme dans le Coran, où les mécréants sont le pire de la créature destiné au feu de la géhenne, et les croyants le meilleur destiné au paradis. Back to the basics manichéens d’avant les complications de la théologie catholique. Les ouverts, ce sont notamment ces penseurs courageux qui, sans tabou, se proposent de mettre à jour tout ce que nous autres Européens devons à cette immense civilisation qu’est l’Islam. A mille lieux des dénis identitaires politiquement corrects, des universitaires audacieux exposent sans fard l’immense dette que l’Europe a contractée à l’égard des lumières islamiques.

Souvenons-nous : aux VIIe et VIIIe siècles, alors que l’Europe chrétienne émergeait à peine des invasions barbares, l’Islam harmonieux répandait sa civilisation pacificatrice sur presque tout ce qui restait de la méditerranée romaine. Alors que ce qui deviendra la France, sous l’influence néfaste d’un bien nommé Pépin et de son fils Charles, restait boudeusement à l’écart de ce vaste processus d’ouverture à l’Autre initié par la conquête musulmane, la Sicile, l’Espagne et bien d’autres contrées arriérées de l’antique empire romain passaient d’un cœur léger sous la coupe de la civilisation musulmane où fut rapidement créé le statut des dhimmis, assurant ainsi une remarquable stabilité à un empire multiculturel. Ainsi furent jetées les bases de l’opposition fondatrice que nous connaissons aujourd’hui entre l’obsolète esprit de la nation dont le socle est le rejet de l’Autre, bizarrement incarné en France par d’anciens thuriféraires de la construction européenne, et l’esprit multiculturel de la grande civilisation musulmane dont un des plus fidèles et lumineux avatars est sans doute, justement, la construction européenne actuelle, fondée qu’elle est sur l’amour du prochain tant qu’il ne discrimine pas et l’apologie de la diversité obligatoire. [/access]

Les Inrockects

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Tout vient trop tard à qui sait attendre : fidèle lecteur depuis vingt ans des Inrocks (surtout pour les CD), je commence tout juste à pouvoir le lire. J’ai bien aimé la une du n° 775 titrée « Le vrai rocker s’habille réac » et j’ai adoré, dans le même numéro, le petit « billet dur » adressé à Raphaël par Christophe Conte. Extrait: « Dans Libération, tu racontais ainsi l’autre jour qu’à l’heure pile de la mort de Bashung, tu avais vu “une trouée lumineuse dans le ciel”. Il faut vite que tu changes de dealer. Ceci dit, moi le jour de la mort de Patrick Topaloff j’avais la peau du ventre bien tendue, mais c’était sans doute une coïncidence

Avec des coïncidences comme ça, je me réabonne et je te file le CD !

Maman au biberon, papa au Salon

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Photo : Daniel Spils

Il faut aller au Salon de l’auto. Pardon, au Mondial de l’Automobile comme ils voudraient qu’on dise. Il faut y aller même quand, comme moi, on roule à vélo dans Paris, ou en Clio pourrie à la campagne. Parce que si l’on veut avoir une idée de ce qu’est la France aujourd’hui, un bref séjour Porte de Versailles évitera à l’ethnologue curieux d’avoir à se cogner des allers et retours entre Paris et Montluçon, Périgueux ou Bobigny.

Une Bentley et une épouse neuves

La bagnole c’est pour les hommes : du haut de notre permis de conduire obtenu à 18 ans sans trop de mal, on se disait que les voitures, c’était fait autant pour les hommes que pour les femmes. Je ne connais pas le taux de féminisation chez les conducteurs mais je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, on trouverait vraiment moins de gonzesses au volant que d’hommes. Donc, mon pauvre esprit malade se disait, puisque –selon la formule consacrée- la moitié des conducteurs sont des conductrices, le Salon de l’auto doit aussi s’adresser à ces clientes potentielles. Je me disais donc, que le mythe de l’hôtesse court vêtue virevoltant autour de la grosse cylindrée ressortait des mythes urbains. Et que si ça se trouve, les constructeurs ont embauché au moins autant de clones de Daniel Craig que de Pamela Anderson pour ouvrir les portières et débiter la fiche technique des engins. Patatras. Des hôtesses, partout, en jupe, en robe, en mini-jupe, en mini-robe. Jusqu’à celles qui défilent toutes les 5 minutes sur le stand Lamborghini façon fashion-motor-week et se déshabillent entre les modèles…

La bagnole, c’est pour les hommes, les vrais : dehors les gonzesses, à moins d’être hôtesse. Bizarrement, les seuls visiteurs que j’ai vus accompagnés d’une femme sont ceux qui vont pouvoir acheter des voitures sans s’endetter sur 15 ans auprès de Cofinoga. Le gentleman-driver amateur de Porsche ou de Maserati, chemise bien repassée et mèche qui brille, a le droit de rentrer sur le stand et d’essayer les autos sous le regard envieux du loulou de banlieue ou de province qui peut juste brandir son instamatic, -non, son appareil numérique, je sais- pour ramener des chouettes photos de ladite voiture. Le client à gros potentiel est généralement accompagné donc d’une femme, qui a bien raison de ne pas le laisser seul. Sait-on jamais, pris de folie, il pourrait repartir avec une Bentley et une épouse neuves.

Le syndrome du canapé en cuir

Tout ça me laisse perplexe : je croyais aussi bêtement, que depuis au moins vingt ans, les hommes avaient fini de situer leur virilité dans leur bagnole. Qu’à part quelques rappeurs crétins, qui continuent à mettre des filles en zérokini qui nettoient les Hummer dans leurs clips, personne ne pensait qu’une grosse voiture égale un gros potentiel de drague, pour rester polie. Il semble que je connais bien mal les hommes. Et les femmes aussi, puisque si les messieurs sont si à cran sur la cylindrée du moteur, c’est que ça doit bien rencontrer un écho quelque part chez le sexe d’en face. Bref, je suis inquiète pour mon pays.

La bagnole, c’est pour ceux qui aiment les canapés en buffle de chez Cuir Center : je suis inquiète car j’ai toujours cru qu’une voiture c’était un truc qui roulait et permettait d’aller un endroit à l’autre en réduisant les temps de parcours, les risques et la fatigue. Je sais, moi aussi il m’arrive de trouver certains modèles plus jolis et confortables que d’autres. Mais j’aurais à acheter une voiture pour aller à mon travail de cadre moyen, je ne m’endetterais pas sur 15 ans à taux variable. Or l’hétéro à sac à dos du salon de l’auto s’endette, quand il en a marre de rêver tous les deux ans. Je ne juge pas, mais je trouve ça bizarre. Et je me souviens du canapé en cuir à 2000 euros qu’on voit dans les prospectus que lâche régulièrement mon facteur dans ma boîte aux lettres. Je ne vois pas l’intérêt d’un meuble pareil, c’est cher, froid et le chat ne peut même pas y faire ses griffes. Pourtant il s’en vend des milliers, dans toutes les banlieues de France. À des gens qui s’endettent pour ça. Question de statut social. Comme la télé LED géante, ou autrefois la cuisine intégrée en chêne massif. Statut social. Voir ce vieux pays rendu à un statut social automobile ou à canapé en cuir, m’attriste. Mais c’est la France et donc ma France : My country, right or wrong ! Et j’ai envie de donner un petit conseil à nos gouvernants en mal de popularité : au lieu d’aller à Rome baiser les mules du Pape, allez tous les jours Parc des Expositions, et faites-y des promesses sur les radars, les contraventions ou la fin des limitations de vitesse. Un bon moyen pas cher, si ce n’est de regagner des électeurs, au moins de les toucher de près.

Sans papiers, sans soucis!

« Certes, ce n’est pas tout d’abord sans peine ni sans mal que le bourgeois est ajusté et tourné pour être transformé en machine. Mais pour peu qu’il soit devenu un chiffre dans la somme politique, il a fait son bonheur et l’on peut, à tous points de vue, considérer qu’il est accompli dès lors que, de personne humaine qu’il était, il s’est métamorphosé en personnage. »
F. Schlegel

S’il y a d’évidents et de forts avantages à vivre en France, y en a-t-il encore à être français ? Avoir ses papiers en règle ici, à moins d’être très riche, c’est s’exposer à payer ses impôts comme un imbécile et le ticket modérateur comme un larbin. C’est s’exposer à devoir défendre sans cesse, par esprit imbécilement patriote et filial, l’histoire de France, sa culture, ses cathédrales, sa révolution, son Panthéon, son régime de liberté. C’est souffrir jour après jour du poids insoutenable de la mémoire de l’esclavage, de la colonisation, de la collaboration, des croisades et autres fariboles notoirement commises par les Français de toutes les époques. Perdre fortuitement ses papiers, se faire rayer de l’état-civil, c’est au contraire gagner le juste statut d’apatride. Devenir clandestin, c’est le début de la vraie vie. La seule chose que vous perdez provisoirement, c’est le droit de vote. Mais rassurez-vous : vous pouvez compter sur le travail des associations ad hoc qui vous l’obtiendront bientôt. Comme vous résidez de façon immémoriale sur le territoire, vous serez parmi les premiers à pouvoir voter en tant qu’étranger. Juste retour des choses. Pour le reste, quelle différence entre vous et un autochtone ? Vous êtes un être humain comme les autres, et ce n’est pas un morceau de papier qui vous manque qui pourra vous faire traiter comme un moins que rien.

Le statut d’apatride ou de clandestin vous confère des droits inaliénables : l’aide médicale d’Etat, par exemple, vous délivre définitivement de tout souci pour les soins médicaux. La France qui a bien à se faire pardonner vis-à-vis de vous vous offre tout, jusqu’à la chirurgie plastique si vous estimez devoir en bénéficier absolument. Et pensez ! Fini l’impôt sur le revenu, fini le loyer hors de prix : on se doit de vous reloger décemment, c’est votre droit opposable, et ne doutez pas qu’on mettra le paquet. Evidemment, le plus intéressant pour vous est de travailler au noir : pas de charges sociales, pas de revenu déclaré, à vous les allocs. Si vous êtes une femme, n’hésitez pas à ne pas vous marier ou à faire disparaître avec le reste de votre état-civil votre acte marital. Déclarez vivre seule avec quelques enfants, par mesure de justice élémentaire vous toucherez l’API, qui n’est pas d’un montant négligeable. Pour trouver du travail, rien de plus simple : vous êtes assez doué et irremplaçable pour venir pourvoir un poste en manque de personnel qualifié. Votre patron sera sans doute décoré in fine pour avoir pris le risque de faire travailler un clandestin qu’autrement l’inique système aurait réduit à la mendicité. Or, vous, vous avez le sens de votre dignité. Notez-le, cela vous sera d’un considérable secours dans la deuxième phase du programme.

Pour l’instant, concentrez-vous sur l’imparable logique de votre acte : les riches planquent leur argent en Suisse. Les patrons n’hésitent à faire fabriquer en Chine ce qu’ils vous revendront. Autant de tire-au-flanc dont l’exemple doit vous inspirer. Pas de raison pour vous de continuer à faire partie de ce peuple de voleurs, de menteurs et d’assassins. Pas de raison qu’en raison d’un absurde droit du sang, vous ayez hérité de leur francité tarée. Libérez-vous, évadez-vous de l’intérieur. La terre n’est à personne, le soleil brille pour tout le monde.

Français ? Vous êtes enfin devenu une marchandise

Arrivé ici, une alternative cruciale s’offre à vous : soit, après avoir vécu un certain temps sous le régime du clandestin, vous décidez de briguer la nationalité française, ce qui fera de vous un citoyen nouveau issu de la diversité, vous conférant tous les avantages de cette fraîche incorporation à la communauté de destin : le droit de critiquer sans cesse son passé, la victimisation permanente et l’accès aux dernières normes de la discrimination positive. Nul doute qu’avec le talent dont vous avez preuve jusqu’à maintenant, avec la détermination à vous en sortir qui vous caractérise, vous ne preniez rapidement du grade et l’ascenseur social. J’ai confiance en vous.

Soit, autre alternative, vous êtes vraiment un pur, un battant et vous choisissez d’éradiquer l’humanité en vous. Vous devenez un bien. Votre nouveau statut de marchandise vous confère le droit imprescriptible de circuler où bon vous semble, et a fortiori de rester dans ce quartier, cette rue qui est à vous. Vous êtes à vendre, certes, mais nul n’est autorisé à vous jeter dans la nature. Au contraire, on est tenu de vous recycler. Se changer en capitaux est une assez bonne idée : n’hésitez pas à vous faire titriser, par exemple. Opter pour le devenir panier de monnaies vous ouvrira des horizons aventureux : vous connaîtrez les joies de l’inflation, de l’émission et des bons du trésor. Vous avez de fortes chances de finir en Chine, bien à l’abri dans les coffres de la Banque centrale. Mais le nec plus ultra demeure encore dans l’acquisition du statut de bien culturel. Trésor national, vous êtes à jamais intouchable. On vous nettoie, on vous restaure, on vous bichonne. On vous admire et votre cote ne cesse de monter. Vous êtes devenu un patrimoine.

Les analyses pénétrantes de Christine Lagarde

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Depuis lundi matin, les journaux évoquent un entretien que Christine Lagarde a accordé à la chaîne ABC aux Etats-Unis ce dimanche. Notre ministre de l’économie dissertait sur « l’aide » qu’une moindre présence de libido et de testostérone apporte à la gent féminine dans l’exercice des responsabilités publiques.

Intrigué par cette fameuse « aide », je me suis mis en quête d’autres déclarations que Mme Lagarde aurait pu avoir sur ce thème et qui expliciterait davantage sa pensée. Je n’ai pas été déçu du voyage. Le 1er octobre dernier, pour la Tribune, elle a donné un éclairage fort détonnant sur les responsabilités dans la crise financière. Qu’on en juge. Lorsqu’on lui demande si la donne aurait été changée si Lehmann Brothers s’était appelé Lehmann Sisters, Christine Lagarde n’hésite pas : « Oui. J’en suis convaincue. Intuitivement, je pense qu’il y a moins de libido féminine dans le rapport de compétitivité permanent qui se joue dans les salles de marché. ».

Son intuition -féminine, bien entendu- ne la trompe pas. Elle en est convaincue. La testostérone, voilà l’ennemie ! D’ailleurs, plus loin, elle enfonce le clou : « […] le compost financier a été l’élément déterminant. Et si vous regardez la sphère financière, vous y rencontrez une grande majorité de paires de pantalons. ». On notera au passage la délicatesse qui la pousse à préférer évoquer les pantalons à autres choses pour désigner ce qui va par deux chez les messieurs. Et d’oublier au passage les combats féministes d’avant-garde menés par la municipalité parisienne. Mais on comprend malgré tout entre les lignes, que ce qui pose problème, au premier chef, dans les bourses, ce sont bien les couilles.

Point de problème systémique, donc. Alors que le G20 va débuter et que notre Président de la République souhaite apporter à ses partenaires quelques propositions pour réformer le capitalisme mondialisé, sa ministre lui apprend doctement que ce n’est pas la peine et que le problème se situe au niveau de son caleçon. Il suffit simplement de n’embaucher que des traideuses.

Islam : où est le problème ?

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Sayyid Shah Kallimullah Husayni
Portrait de Sayyid Shah Kallimullah Husayni, miniature, vers 1670.

Je n’ai pas de problème avec l’islam. L’islam en a peut-être un avec moi, je veux dire avec nous ou avec vous, mais je n’en ai pas l’impression. Par exemple, j’ai un problème avec le capitalisme qui, après avoir produit de la richesse, produit surtout de la misère en se financiarisant. Il explique ces jours-ci, avec l’aplomb et un art accompli du nonsense, qu’il faut travailler plus et gagner moins alors que les grands patrons travaillent moins et gagnent toujours plus. J’ai un problème, aussi, avec les boutefeux de la guerre civile ethnique qui n’ont pas fait leur service militaire mais veulent rouler des mécaniques rue Myrha[1. Et je n’ai pourtant aucune sympathie pour les gens qui prient dans l’espace public.] dans des apéros « républicains » heureusement virtuels, car ces gens-là aiment bien allumer l’incendie mais envoient toujours les autres les éteindre. The same old story, comme chantait Billie Holliday. Quand il y a une guerre, ceux qui veulent la faire sont rarement ceux qui la font. C’est pour cela qu’il y a assez peu de vieux sur les monuments aux morts et que je serais curieux de connaître, parmi le tout petit nombre d’intellectuels néoconservateurs français qui voulaient envoyer nos pioupious au feu en 2003, combien étaient ou avaient été ne serait-ce qu’officiers de réserve.[access capability= »lire_inedits »]

Irak et Turquie : l’échec du « containment » islamophobe

Comme l’a balancé Eric Raoult à un petit journaliste de Canal+ qui croyait faire le malin en lui demandant ce qu’il pensait du cadeau fait par l’UMP à Chirac dans le remboursement des frais de bouche de la mairie de Paris : « Au lieu de dire des conneries, tu ferais mieux de remercier le président qui a empêché ton grand frère de revenir de Bagdad dans un sac en plastique. »

Les islamophobes, au moins ceux qui le sont sur un plan géopolitique, sincèrement, je ne les comprends pas. Les troupes américaines s’en vont après avoir laissé plusieurs milliers de morts à eux sur le terrain et plusieurs centaines de milliers chez les autochtones. Pour quel résultat ? Eh bien, la création d’une mosaïque de principautés musulmanes très hargneuses où chiites et sunnites vont se mettre sur la tronche de plus belle dès que la dernière section de GI aura quitté la Zone verte. Or, qu’y avait-il avant l’intervention américaine ? Un pays laïque. C’était une dictature, méchante, cruelle, mais laïque, et Saddam Hussein valait ce qu’il valait, il n’empêche qu’il tenait son monde. Alors pourquoi cette guerre ? Ce n’était pas pour sauver la civilisation occidentale ? Ç’aurait été pour de simples questions d’approvisionnement pétrolier ? Je sens qu’on va encore dire que je ramène tout à l’économie.

Même chose avec la Turquie. Voilà un pays que tout le monde commence à regarder d’un sale œil. Il sert de base arrière aux flottilles dites « de la paix » et son président, Recip Erdogan, musulman modéré[2. Je suis d’accord : c’est un oxymore. Comme « capitalisme moral ».], remet tranquillement mais sûrement en cause les acquis du kémalisme. Rappelons que Mustafa Kemal avait, dès les années 1920, occidentalisé son pays, que sa laïcité intransigeante avait forcé les hommes à se raser et les femmes à se dévoiler, que la séparation entre l’islam et l’Etat a fait de la Turquie le seul pays, avec le Mexique, qui ait en la matière une conception proche de la nôtre. Assez logiquement, les Turcs se disent : « Nous allons adhérer à l’Europe » ; et l’Europe leur dit, en gros dès les années 1960 : « D’accord, mais dans trente ans, le temps que vous vous développiez un peu. »

Trente ans passent… D’accord, mais il faut arrêter avec les Kurdes, vous vous comportez n’importe comment ! Ils se calment et libèrent même le leader condamné à mort. Eh bien tiens, puisqu’on parle de peine de mort, ce serait bien de l’abolir. Les Turcs l’abolissent. Mais voilà, la porte reste toujours fermée. Résultat : le peuple turc, qui se sent tout de même un peu humilié, vote et revote en masse pour l’AKP, le parti de Recip Erdogan.

Donc, si je fais les comptes, les partisans du « choc des civilisations » et du containment de l’islamisme ont surtout réussi à transformer deux Etats pro-occidentaux en deux Etats énervés (et encore l’appellation d’Etat pour ce qui reste de l’Irak est un bien grand mot.)

Le seul Etat qui aurait le droit d’être islamophobe, c’est Israël. Pour le coup, entre le Hezbollah libanais et le Hamas gazaoui, il est en première ligne. C’est sans doute pour ça que l’inflexible « Bibi » Nétanyahou a décidé d’accepter l’idée de pourparlers directs. Pour sauver le soldat Abbas, le dernier Palestinien qui ne soit pas islamiste.

L’islamisme n’est pas consubstantiel à la cause palestinienne, c’est même historiquement une forme assez récente de cette revendication, alors que l’OLP et le Fatah étaient avant tout laïques et progressistes avant d’être débordés par une fraction religieuse qui a prospéré sur le désespoir, la misère et − soyons honnête − une corruption endémique dans l’Autorité palestinienne.

Voile, burqa, islam des caves : problèmes réglés

Mais je reviens dans nos parages et, je le répète, je n’ai pas de problème avec l’islam. Je n’aime pas l’idée qu’un marchand de malbouffe procède à une opération marketing dans plusieurs villes. Mais lui rappeler simplement que l’actionnaire majoritaire de ses mangeoires est la Caisse des dépôts et consignations, donc vous et moi, pourrait peut-être l’inciter à changer de stratégie commerciale. À moins que certains politiques aient intérêt à ce que se créent des ghettos communautarisés comme autant d’abcès de fixation. Je n’ose le penser.

Plus généralement, je suis très étonné qu’on soit islamophobe dans un pays comme le nôtre où, dès qu’un problème se posait en la matière, il était jusqu’à maintenant résolu avec la fermeté républicaine qui s’impose. Le voile à l’Ecole ? Une loi. L’islam des caves ? Un Conseil français du culte musulman initié par Chevènement et parachevé par Sarkozy. La burqa ? Une loi initiée par mon camarade André Gerin. On le voit : la question fait en plus l’objet d’un consensus républicain qui n’exclut que quelques ayatollahs des deux camps, partisans d’un gauchisme angélique ou d’une droite ethnico-saucissono-pinardière.

Non, je n’ai pas de problème avec l’islam parce que les problèmes qu’il pose ont été réglés, se règlent ou se règleront.

À moins, c’est vrai, qu’on fasse soudain un lien entre immigration et délinquance. À moins qu’on refuse de constater que les inégalités sociales, scolaires, sanitaires ont tendance à se concentrer dans les mêmes endroits. À moins qu’on remette en question le droit du sol et l’égalité des citoyens devant la loi. À moins qu’on se mette à essentialiser ou instrumentaliser tels ou tels de nos compatriotes.

À moins donc qu’on cesse d’être Français.

Dans ce cas, comme c’est le seul pays que j’aime pour ce qu’il a eu de générosité et de génie (les deux se confondent toujours, au bout du compte), il ne serait pas impossible que je demande à être déchu de ma nationalité.[/access]

Ils ont du bol, en Bolivie

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Dans les défilés du 12 octobre, si l’on n’a pas vu, comme l’a dit Gil Mihaely, le dernier prix Nobel d’Economie favorable à ce que la durée de temps de travail s’aligne sur l’espérance de vie, certains auront peut-être aperçu un homme au teint olivâtre et à la coupe en bol digne de Mireille Matthieu. Dans ce cas, c’était sans doute Evo Morales, actuel président de la république de Bolivie, ouvertement chaviste et réélu régulièrement.

Depuis le mois de mai 2010, la Bolivie a en effet décidé de reporter l’âge légal de la retraite de 65 à 58 ans. A taux plein, évidemment. Ce fou d’Evo Morales a en effet estimé que les gains de productivité, notamment dans les mines (où a été reconnue la notion de pénibilité avec départ à 51 ans), devaient être redistribués à ceux qui en sont les principaux artisans, notamment sous forme de temps. Bon, évidemment Morales n’est pas un prix Nobel d’Economie ni même un expert du FMI. C’est juste un élu du peuple.

La retraite, enjeu libidinal majeur

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La semaine dernière, tout près de chez moi, devant le lycée Guillaume Fichet de Bonneville (Haute-Savoie) deux jeunes filles, élèves de seconde, ont été victimes de graves brûlures. Elles participaient à un mouvement spontané de lycéens de protestation contre la réforme des retraites. Pour donner un caractère plus festif à leur mouvement, les potaches avaient décidé d’allumer un feu à un amas de détritus entassés devant la grille du lycée. On ne s’embarrasse pas, quand on est jeune, de procédés archaïques pour faire jaillir la flamme : on arrose le tout de white spirit et on craque une allumette. Résultat : l’une des deux jeunes filles est en soins intensifs à l’hôpital Saint-Luc de Lyon, spécialisé dans les soins aux grands brûlés.

Cette histoire a fait grand bruit, et a provoqué des réactions en haut lieu, notamment celle du ministre de l’Education, Luc Chatel, qui dénonce « l’irresponsabilité de tous ceux qui mettent les lycéens en danger en les appelant à participer à des actions qui risquent de dégénérer ». Connaissant un peu le secteur, je doute fort que les amis d’Olivier Besancenot soient pour grand-chose dans cette agitation lycéenne qui se nourrit de bien d’autres passions que la hargne anticapitaliste du NPA.

Ecoutant, l’autre dimanche, sur France Culture l’émission style café du commerce qui succède à la messe dominicale, dont le taulier s’appelle Philippe Meyer, j’ai entendu deux des piliers de ce bar, Eric Le Boucher et Jean-Louis Bourlanges s’offusquer de cette mobilisation des lycéens : « Ils devraient aller contre-manifester ! », pestaient les deux barbons, « au bout du compte ce sont eux qui vont payer la note des retraites de leurs parents, et rembourser la dette publique maousse contractée par les générations précédentes ! ». Economiquement et sociologiquement, ce raisonnement est imparable : la fracture générationnelle mise en lumière par Louis Chauvel et quelques autres bons esprits est bien réelle. La génération des « baby-boomers » s’est sucrée à mort en surfant sur les « Trente glorieuses », payant son patrimoine immobilier en monnaie de singe, alors que les salaires grimpaient plus vite que l’inflation, et en profitant au maximum des « acquis sociaux », dont la retraite à soixante ans n’est pas le moindre.

Le dilemme de Papy et Mamy : camping-car ou voilier de douze mètres ?

N’empêche, les teenagers d’aujourd’hui n’ont aucunement tendance à vouloir substituer la lutte des âges à la lutte des classes. Et il ne s’agit pas, en la matière, d’un effet supplémentaire de la dégradation de la qualité de l’enseignement. Ces jeunes semblent avoir choisi leur intérêt libidinal plutôt que leur intérêt économique, ce que Messieurs Le Boucher et Bourlanges n’ont pas compris, en dépit de leur tête pleine de chiffres et de savoir. Avec l’allongement de la durée de la vie, et l’amélioration de sa qualité pour ceux que l’on nomme désormais les séniors, les ados d’aujourd’hui peuvent comparer l’existence de leurs parents et celle de leurs grands-parents. Aux premiers la galère quotidienne, les salaires qui stagnent, l’angoisse sur la pérennité de leur emploi, le stress provoqué par la pression au boulot. Cela concerne tout le secteur central de la société, de l’ouvrier ou de l’employé qualifié jusqu’au cadre supérieur. Aux seconds, papy et mamy, le teint bronzé toute l’année, les voyages lointains, la tranquillité de ceux qui ont acquis leur logement depuis longtemps et les dilemmes angoissants : camping-car ou voilier de 12 mètres ? Il n’a pas échappé non plus à nos adolescents, grâce à quelque allusions salaces lors des repas de famille, qu’une nouvelle pharmacopée pouvait animer, chez les anciens, une activité badine au delà de la limite où le ticket n’est plus valable, comme disait le regretté Romain Gary.

Dans son dernier livre Le mariage d’amour a-t-il échoué ?, Pascal Bruckner désigne les retraités comme « les post-adolescents de la société moderne », ce qui les met en prise directe avec leurs ados de petits-enfants.
En fait, ce qui leur conviendrait le mieux, aux lycéens manifestants de ces dernières semaines, c’est de réduire au minimum le temps séparant la fin de leurs études de celui de leur passage au statut de retraités, l’idéal étant que cet intervalle tende vers zéro.
La vraie question, alors, n’est pas de « résoudre le problème des retraites » dans une logique purement comptable, mais de réintégrer le travail dans une zone d’intensité libidinale qui le rende attractif pour les nouvelles générations, ce qui est une toute autre paire de manches.

Le djihad laïque, ça suffit !

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Mosquée de Paris

En 1991, l’Union soviétique disparaît de la carte en laissant pour seule héritière une Russie en proie au chaos. L’islam remplace alors peu à peu le socialisme comme idéologie révolutionnaire dans les pays du Moyen-Orient, ce qui est une aubaine pour les Etats-Unis à la recherche désespérée d’un nouvel ennemi pour justifier leur centralité financière. Les événements du 11-Septembre concrétisent ce passage de témoin en faisant émerger une nouvelle incarnation du Mal, sous la forme du barbu islamiste qui déteste l’Amérique, sa liberté et sa prospérité au nom d’idées moyenâgeuses. L’Empire va donc pouvoir repartir en croisade pour faire étalage de sa puissance, du moins le croit-il.

La théorie du « choc des civilisations » s’est depuis diffusée dans tout le monde occidental. L’islam n’est plus la religion des peuples d’Orient, mais le totalitarisme du XXIe siècle, conquérant et belliqueux comme à l’époque de Mahomet. L’islamophobie n’est plus une forme de la xénophobie nauséabonde du bas peuple aux bas instincts, mais une idée à la mode, particulièrement chez les élites éclairées qui profitent de l’occasion pour revêtir leur costume de résistant remisé depuis belle lurette. Même la gauche dite républicaine s’y met, sous couvert de laïcité, de défense du droit des femmes, quand ce n’est pas de la République elle-même. [access capability= »lire_inedits »]

Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Histoire de poule et d’œuf

Il est vrai que, dans le même temps, les populations musulmanes se sont radicalisées dans une crispation identitaire. On a vu les voiles se multiplier, la burqa apparaître, la nourriture halal se généraliser, des prières se tenir dans les rues, au moins sur Dailymotion… Effet d’optique lié à un reflux de la tolérance à l’égard des manifestations d’une culture exogène ou réalité d’un nouveau communautarisme revendicateur nourri par une immigration toujours plus nombreuse et concentrée ? Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Un vrai problème d’œuf et de poule impossible à trancher.

Quelles que soient les causes, on constatera simplement que la tension monte entre deux communautés. D’un coté, les populations immigrées, les musulmans, les racailles et habitants des cités, rassemblés dans un amalgame répulsif à souhait. De l’autre, des Français racistes, intolérants, coupables de discriminations ou de « stigmatisation », comme on dit aujourd’hui.

Si cette tension ne se manifestait que par des joutes verbales autour de symboles, comme le débat public national en raffole, cela serait fâcheux mais pas bien grave. Le problème c’est que la situation peut exploser à la moindre étincelle. Qu’un agent des forces de l’ordre soit tué à l’occasion d’une nouvelle émeute dans un quartier sensible, que la police ouvre le feu, soit sur instruction, soit parce que l’un de ses agents aura perdu ses nerfs, et ce sont toutes les banlieues qui s’embraseront aussitôt, plongeant la France dans une guerre civile communautaire comme elle n’en a pas connu depuis les guerres de religions, avec des conséquences politiques absolument imprévisibles.

Voilà pour le constat. Jusque-là, je pense que tout le monde sera d’accord, en espérant ne pas avoir fait dans le déni de réalité, donné dans l’angélisme ou la bien-pensance, pour reprendre la ligne de défense préférée des adversaires de l’islam.

Et maintenant, qu’est ce qu’on fait ?

Le drame de la période est que, face à la posture moraliste « anti-stigmatisation », on n’entend guère qu’un discours haineux de pure confrontation dont les seuls effets possibles seront de précipiter la guerre civile que l’on prétend vouloir éviter.

Ces nouveaux croisés soulignent à longueur d’articles tout ce qu’il y a d’antirépublicain dans la charia, réfutent toute distinction entre la pratique normale de la religion musulmane et l’islamisme radical, dénoncent le machisme au nom de la sacro-sainte égalité homme-femme quand ce n’est pas l’arriération mentale que traduit l’observation de prescriptions religieuses.

Leur rêve ultime est probablement de finir en martyrs de la cause laïque, comme Théo Van Gogh, ou simplement de subir une fatwa en bonne et due forme, ce qui est pour le moins paradoxal venant de prétendus laïques. Ils ne reculeront devant aucune provocation. Et si leurs apéros-saucisson et leurs textes accusateurs ne suffisent pas, ils iront s’il le faut jusqu’au blasphème le plus insultant, au nom bien sûr, des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

On peut les comprendre. L’opinion est clairement en attente d’une réaction après des décennies d’immigration présentée comme une fatalité et de droit à la différence trop longtemps célébré. La libération de la parole xénophobe (au sens de rejet de celui qui se comporte en étranger sur le sol national) est incontestablement un puissant facteur de dynamique électorale et de succès médiatique. Sarkozy l’a bien compris, mais il n’est manifestement pas le seul.

Philosophiquement, l’islamophobie est déjà en soi critiquable, car si certaines critiques de l’islam sont fondées, l’exercice inverse, qui consisterait à interroger la culture dominante dans la France contemporaine, pourrait bien donner lieu à une critique tout aussi dévastatrice. Faisons donc l’inventaire des valeurs qui fondent aujourd’hui notre vivre-ensemble et demandons-nous s’il n’y a pas là une terrible carence qui pousse ces populations à se replier sur leur culture d’origine pour retrouver des valeurs fédératives consacrées dans des pratiques collectives ainsi qu’un sentiment d’appartenance qui fait cruellement défaut dans le pays de la laïcité.

Sur le plan pratique, la pensée islamophobe est en revanche absolument contre-productive et extrêmement dangereuse. Ce discours hémiplégique, qui flatte les uns et braque les autres, ne peut qu’exacerber les tensions, accélérer le durcissement de la société et de notre système politique et précipiter un véritable « choc des civilisations » sur notre sol.

Un système culturel ne se combat pas comme un système de pensée. On ne gagne pas une guerre de religion par le verbe comme on gagne une élection. On la gagne par les armes, l’extermination ou la conversion forcée ! Qui peut raisonnablement imaginer qu’un musulman qui tomberait sur un texte « riposte-laïcard » puisse se laisser convaincre que ses valeurs sont moyenâgeuses, que sa religion n’a pas décidément pas sa place dans ce beau pays qui est désormais le sien et qu’il est temps pour lui de se défaire de sa culture familiale pour enfin pleinement s’assimiler dans la nation française ?

Une culture agressée et niée ne peut que se radicaliser par réaction. Exacerber ainsi la conscience des différences culturelles ne peut que conduire à des identités irréconciliables et exclusives les unes des autres. À trop répéter aux musulmans qu’ils n’ont pas leur place en tant que tels dans la République, on les pousse à choisir entre deux identités devenues exclusives. Ils seront musulmans et rejetteront la France.

La cause de l’islamisation, c’est l’immigration sans contrôle. Légale ou illégale.

L’islamophobie ne devrait pas se revendiquer de l’héritage républicain, car non seulement elle divise au lieu de chercher à refonder l’unité nationale, mais elle s’oppose à notre tradition politique sur un point essentiel. L’ordre public a toujours été défini comme extérieur et matériel. La République s’est toujours refusée à faire la police des esprits. C’est cela aussi la laïcité !

C’est aux manifestations de l’islam − et par extension de tout ce qui peut paraître comme trop étranger pour avoir sa place sur le sol national − qu’il faut s’attaquer. Ce combat doit impérativement déboucher sur des revendications politiques et abandonner les postures trop faciles de la critique culturelle ou religieuse.

Peut-être faudrait-il commencer par s’attaquer aux causes de l’islamisation, à savoir l’immigration, légale ou illégale, dont le flux n’a jamais cessé ? Mais bien sûr, il est plus gratifiant et plus correct de dénoncer l’islamisation sous couvert de laïcité ou de féminisme, que de proposer de stopper l’immigration.

Peut-être faut-il oser durcir les conditions d’octroi de la nationalité pour faire ou refaire de ce droit un véritable parcours vers l’assimilation et, à l’occasion, redéfinir les droits et les devoirs attachés spécifiquement à la qualité de Français ?

Peut-être faudrait-il aussi se donner les moyens de fabriquer enfin un islam de France, débarrassé du contexte culturel moyen-oriental pour ne conserver que le message spirituel et les pratiques proprement religieuses, quitte à revenir temporairement sur la loi de 1905, via un nouveau Concordat qui permettait d’accoucher d’un clergé musulman de nationalité française et prêchant en français.

Peut-être aussi faut-il réglementer plus sévèrement la place de l’islam, ou de la religion en général, dans l’espace public, comme on a commencé à le faire avec l’interdiction du voile à l’Ecole puis de la burqa dans l’espace public.

Mais peut-être aussi faudrait-il reconnaître par un acte symbolique la légitimité d’un islam tolérant et modéré dans la République, par exemple en faisant d’une de ses fêtes religieuses un jour férié  ?

L’apaisement des tensions communautaires et l’intégration de l’islam dans la République, si c’est bien cela qu’on cherche, exigera en tout état de cause des efforts et des concessions des deux côtés. La nation française a été faite par la politique et non par la religion ou la culture. Traitons donc ce problème selon notre tradition, en le ramenant sur le terrain politique.[/access]

Manifs interdites au moins de 18 ans?

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Photo : Ernst Morales

La jeunesse est dans la rue – en tout cas, quelques dizaines de milliers de ses représentants. Cette menace, toutes les générations l’ont proférée à l’adresse des gouvernants. Battre le pavé fait partie des rites d’initiation. Après tout, si ce groupe mythique que l’on appelle « les jeunes » s’incarne, de loin en loin, dans l’action collective, cela veut peut-être dire que l’individu-roi n’a pas totalement triomphé.

Alors, bien sûr, on peut juger que les lycéens sont à côté de la plaque en s’opposant à une réforme qui permet, faute de mieux, de sauver les meubles de la retraite par répartition. On peut trouver inquiétant et même déprimant qu’ils se soucient de l’âge auquel ils pourront cesser de travailler avant même d’avoir commencé, comme si l’âge adulte n’était plus un état désirable mais un mauvais moment à passer, comme si passer du lycée à la maison de retraite était la dernière utopie que l’on ait en rayon. Il est vrai que, comme l’a excellemment observé Luc Rosenzweig, ces petits-enfants de soixante-huitards que l’on menace du chômage depuis l’enfance, voient leurs parents trimer quand leurs grands-parents, après avoir joui sans entrave et goûté aux joies des stocks-options, hésitent entre croisière et camping-cars : il y a sans doute de quoi être découragé. Il n’est pas certain, cependant, que ce soient les plus précaires ou ceux qui sont le plus menacés de le devenir qui défilent dans nos rues et bloquent leurs lycées. « Chez moi, on est neuf. Alors je dois aller en cours pour avoir un bon métier plus tard. Ce blocage sabote notre avenir », déclare dans Libération Ryad, élève au lycée Voltaire. Bref, la révolte est encore largement un luxe de petits-bourgeois. Interrogée dans le même article, Sophia qui fait partie des initiateurs du blocus reconnaît qu’elle fait un peu ça « pour louper les cours ». Sophia aimerait être agent immobilier « pour avoir une belle maison et gagner assez d’argent pour finir dans l’humanitaire ». Si ce n’est pas de l’idéalisme. On notera au passage que ce 15 octobre, soit, plus d’un mois après la rentrée, Lucie-Lou, élève dans le même lycée, a réussi à assister à son cours de philo, le premier de l’année.

À les entendre s’exprimer, on se dit aussi que ces grands bébés ne comprennent pas grand-chose aux slogans qu’ils ânonnent avec une maitrise de la langue de bois digne des vieux routiers de la politique et du syndicalisme. Pour ma part, ce qui me rend perplexe, c’est l’aisance avec laquelle ils se considèrent à la fois comme des victimes et des ayants-droit : on dirait que leur problème n’est pas de changer le monde mais qu’on l’aménage pour eux. En se comportant comme des créanciers qui réclament leur dû, nos jeunes rebelles prouvent au moins qu’ils sont des Français comme les autres.

En les caressant dans le sens du poil, les socialistes qui sont assez contents que Sarkozy fasse le sale boulot, même mal, font preuve de démagogie et d’une bonne dose d’hypocrisie. Reste qu’en agitant le spectre de la violence pour discréditer les manifestants, c’est le gouvernement qui se montre irresponsable. Avoir peur de la jeunesse ou faire semblant d’avoir peur, c’est admettre qu’on est incapable de maintenir l’ordre. Que le gouvernement critique politiquement ceux qui le défient dans la rue, c’est de bonne guerre, qu’il tienne bon face aux grévistes, c’est logique, mais la mission du ministre de l’Intérieur et de la police est aussi de garantir l’exercice du droit de manifester. Après tout, peut-être que les jeunes sont cons, mais ça aussi, c’est un droit.

Les racines musulmanes de l’identité européenne

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Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.
Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.

Nous vivons des temps obscurs. Un sentiment d’insécurité qui se propage telle une peste nauséabonde sclérose les Européens et les empêche de vivre les promesses de la modernité. Les mêmes qui, naguère, étaient si fiers de s’imaginer phares de l’humanité font profil bas. Sous l’influence de dirigeants qui instrumentalisent cyniquement leurs peurs, les peuples européens se replient piteusement sur une identité à la fois tautologique et fantasmée. L’Europe ne serait rien d’autre qu’elle-même ! Quelle drôle d’idée ! À l’heure des identités floues  et des appropriations ludiques du passé, il y aurait pourtant autre chose à faire que de réaffirmer ce qu’on croit être des évidences. À l’ère du transsexuel, de l’interculturel et du post-national, il est temps d’inventer, après l’alter-monde, les alter-racines.[access capability= »lire_inedits »]

La joyeuse énergie de l’indéterminé

« Je fais ce que je veux avec mes cheveux », disait la dame de la publicité ; faisons ce que nous voulons avec nos racines aussi. Rien ne doit résister à l’appropriation par l’esprit du temps de ce que la frilosité de nos aînés avait placé hors de notre atteinte. Voilà que le passé lui-même est à nous ! Après avoir mondialisé la production et la consommation des biens et de services, après avoir mondialisé les pratiques culturelles, il est plus que temps de franchir un nouveau et ultime cap et de mondialiser enfin nos racines. Exigeons pour cela la réanimation dans le peuple européen d’un esprit ludique et frondeur, un esprit d’enfance qui refuse les limitations sclérosantes, les assignations identitaires, bref qui refuse l’esprit adulte, celui du renoncement triste de ceux, les benêts, qui se contentent idiotement d’être ce qu’ils sont. Il faut se battre avec la joyeuse énergie de l’indéterminé contre cette morne résignation à n’être rien d’autre que soi. Parce que l’Europe aurait presque vingt siècles de christianisme derrière elle, elle serait chrétienne, ou aurait, version soft, des « racines chrétiennes » ! Cette réaffirmation sottement identitaire constitue une scandaleuse discrimination (d’autant plus scandaleuse qu’elle se donne l’apparence de l’évidence) à l’encontre de l’Autre en soi, c’est-à-dire, très prioritairement, du muslim qui sommeille en chacun de nous, et peut-être aussi du rom, mais cela, c’est l’avenir qui le dira.

Aime ton prochain comme toi-même. Et même un peu plus.

Fort heureusement, face aux islamophobes, ces Européens qui, par une peur d’être contaminés par ce qui n’est pas soi, s’interrogent encore sur la possibilité de ne plus être ce qu’ils furent, il y a les islamophiles, ceux qui acceptent joyeusement et simplement de bazarder tout ce fatras identitaire pour se découvrir Autre. Aime ton prochain comme toi-même, et même encore un peu plus. Face à la peur des peureux, l’amour des amoureux. Les ouverts face aux frileux. Le schéma est simple, mais pertinent. Comme dans le Coran, où les mécréants sont le pire de la créature destiné au feu de la géhenne, et les croyants le meilleur destiné au paradis. Back to the basics manichéens d’avant les complications de la théologie catholique. Les ouverts, ce sont notamment ces penseurs courageux qui, sans tabou, se proposent de mettre à jour tout ce que nous autres Européens devons à cette immense civilisation qu’est l’Islam. A mille lieux des dénis identitaires politiquement corrects, des universitaires audacieux exposent sans fard l’immense dette que l’Europe a contractée à l’égard des lumières islamiques.

Souvenons-nous : aux VIIe et VIIIe siècles, alors que l’Europe chrétienne émergeait à peine des invasions barbares, l’Islam harmonieux répandait sa civilisation pacificatrice sur presque tout ce qui restait de la méditerranée romaine. Alors que ce qui deviendra la France, sous l’influence néfaste d’un bien nommé Pépin et de son fils Charles, restait boudeusement à l’écart de ce vaste processus d’ouverture à l’Autre initié par la conquête musulmane, la Sicile, l’Espagne et bien d’autres contrées arriérées de l’antique empire romain passaient d’un cœur léger sous la coupe de la civilisation musulmane où fut rapidement créé le statut des dhimmis, assurant ainsi une remarquable stabilité à un empire multiculturel. Ainsi furent jetées les bases de l’opposition fondatrice que nous connaissons aujourd’hui entre l’obsolète esprit de la nation dont le socle est le rejet de l’Autre, bizarrement incarné en France par d’anciens thuriféraires de la construction européenne, et l’esprit multiculturel de la grande civilisation musulmane dont un des plus fidèles et lumineux avatars est sans doute, justement, la construction européenne actuelle, fondée qu’elle est sur l’amour du prochain tant qu’il ne discrimine pas et l’apologie de la diversité obligatoire. [/access]

Les Inrockects

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Tout vient trop tard à qui sait attendre : fidèle lecteur depuis vingt ans des Inrocks (surtout pour les CD), je commence tout juste à pouvoir le lire. J’ai bien aimé la une du n° 775 titrée « Le vrai rocker s’habille réac » et j’ai adoré, dans le même numéro, le petit « billet dur » adressé à Raphaël par Christophe Conte. Extrait: « Dans Libération, tu racontais ainsi l’autre jour qu’à l’heure pile de la mort de Bashung, tu avais vu “une trouée lumineuse dans le ciel”. Il faut vite que tu changes de dealer. Ceci dit, moi le jour de la mort de Patrick Topaloff j’avais la peau du ventre bien tendue, mais c’était sans doute une coïncidence

Avec des coïncidences comme ça, je me réabonne et je te file le CD !

Maman au biberon, papa au Salon

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Photo : Daniel Spils
Photo : Daniel Spils

Il faut aller au Salon de l’auto. Pardon, au Mondial de l’Automobile comme ils voudraient qu’on dise. Il faut y aller même quand, comme moi, on roule à vélo dans Paris, ou en Clio pourrie à la campagne. Parce que si l’on veut avoir une idée de ce qu’est la France aujourd’hui, un bref séjour Porte de Versailles évitera à l’ethnologue curieux d’avoir à se cogner des allers et retours entre Paris et Montluçon, Périgueux ou Bobigny.

Une Bentley et une épouse neuves

La bagnole c’est pour les hommes : du haut de notre permis de conduire obtenu à 18 ans sans trop de mal, on se disait que les voitures, c’était fait autant pour les hommes que pour les femmes. Je ne connais pas le taux de féminisation chez les conducteurs mais je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, on trouverait vraiment moins de gonzesses au volant que d’hommes. Donc, mon pauvre esprit malade se disait, puisque –selon la formule consacrée- la moitié des conducteurs sont des conductrices, le Salon de l’auto doit aussi s’adresser à ces clientes potentielles. Je me disais donc, que le mythe de l’hôtesse court vêtue virevoltant autour de la grosse cylindrée ressortait des mythes urbains. Et que si ça se trouve, les constructeurs ont embauché au moins autant de clones de Daniel Craig que de Pamela Anderson pour ouvrir les portières et débiter la fiche technique des engins. Patatras. Des hôtesses, partout, en jupe, en robe, en mini-jupe, en mini-robe. Jusqu’à celles qui défilent toutes les 5 minutes sur le stand Lamborghini façon fashion-motor-week et se déshabillent entre les modèles…

La bagnole, c’est pour les hommes, les vrais : dehors les gonzesses, à moins d’être hôtesse. Bizarrement, les seuls visiteurs que j’ai vus accompagnés d’une femme sont ceux qui vont pouvoir acheter des voitures sans s’endetter sur 15 ans auprès de Cofinoga. Le gentleman-driver amateur de Porsche ou de Maserati, chemise bien repassée et mèche qui brille, a le droit de rentrer sur le stand et d’essayer les autos sous le regard envieux du loulou de banlieue ou de province qui peut juste brandir son instamatic, -non, son appareil numérique, je sais- pour ramener des chouettes photos de ladite voiture. Le client à gros potentiel est généralement accompagné donc d’une femme, qui a bien raison de ne pas le laisser seul. Sait-on jamais, pris de folie, il pourrait repartir avec une Bentley et une épouse neuves.

Le syndrome du canapé en cuir

Tout ça me laisse perplexe : je croyais aussi bêtement, que depuis au moins vingt ans, les hommes avaient fini de situer leur virilité dans leur bagnole. Qu’à part quelques rappeurs crétins, qui continuent à mettre des filles en zérokini qui nettoient les Hummer dans leurs clips, personne ne pensait qu’une grosse voiture égale un gros potentiel de drague, pour rester polie. Il semble que je connais bien mal les hommes. Et les femmes aussi, puisque si les messieurs sont si à cran sur la cylindrée du moteur, c’est que ça doit bien rencontrer un écho quelque part chez le sexe d’en face. Bref, je suis inquiète pour mon pays.

La bagnole, c’est pour ceux qui aiment les canapés en buffle de chez Cuir Center : je suis inquiète car j’ai toujours cru qu’une voiture c’était un truc qui roulait et permettait d’aller un endroit à l’autre en réduisant les temps de parcours, les risques et la fatigue. Je sais, moi aussi il m’arrive de trouver certains modèles plus jolis et confortables que d’autres. Mais j’aurais à acheter une voiture pour aller à mon travail de cadre moyen, je ne m’endetterais pas sur 15 ans à taux variable. Or l’hétéro à sac à dos du salon de l’auto s’endette, quand il en a marre de rêver tous les deux ans. Je ne juge pas, mais je trouve ça bizarre. Et je me souviens du canapé en cuir à 2000 euros qu’on voit dans les prospectus que lâche régulièrement mon facteur dans ma boîte aux lettres. Je ne vois pas l’intérêt d’un meuble pareil, c’est cher, froid et le chat ne peut même pas y faire ses griffes. Pourtant il s’en vend des milliers, dans toutes les banlieues de France. À des gens qui s’endettent pour ça. Question de statut social. Comme la télé LED géante, ou autrefois la cuisine intégrée en chêne massif. Statut social. Voir ce vieux pays rendu à un statut social automobile ou à canapé en cuir, m’attriste. Mais c’est la France et donc ma France : My country, right or wrong ! Et j’ai envie de donner un petit conseil à nos gouvernants en mal de popularité : au lieu d’aller à Rome baiser les mules du Pape, allez tous les jours Parc des Expositions, et faites-y des promesses sur les radars, les contraventions ou la fin des limitations de vitesse. Un bon moyen pas cher, si ce n’est de regagner des électeurs, au moins de les toucher de près.

Sans papiers, sans soucis!

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« Certes, ce n’est pas tout d’abord sans peine ni sans mal que le bourgeois est ajusté et tourné pour être transformé en machine. Mais pour peu qu’il soit devenu un chiffre dans la somme politique, il a fait son bonheur et l’on peut, à tous points de vue, considérer qu’il est accompli dès lors que, de personne humaine qu’il était, il s’est métamorphosé en personnage. »
F. Schlegel

S’il y a d’évidents et de forts avantages à vivre en France, y en a-t-il encore à être français ? Avoir ses papiers en règle ici, à moins d’être très riche, c’est s’exposer à payer ses impôts comme un imbécile et le ticket modérateur comme un larbin. C’est s’exposer à devoir défendre sans cesse, par esprit imbécilement patriote et filial, l’histoire de France, sa culture, ses cathédrales, sa révolution, son Panthéon, son régime de liberté. C’est souffrir jour après jour du poids insoutenable de la mémoire de l’esclavage, de la colonisation, de la collaboration, des croisades et autres fariboles notoirement commises par les Français de toutes les époques. Perdre fortuitement ses papiers, se faire rayer de l’état-civil, c’est au contraire gagner le juste statut d’apatride. Devenir clandestin, c’est le début de la vraie vie. La seule chose que vous perdez provisoirement, c’est le droit de vote. Mais rassurez-vous : vous pouvez compter sur le travail des associations ad hoc qui vous l’obtiendront bientôt. Comme vous résidez de façon immémoriale sur le territoire, vous serez parmi les premiers à pouvoir voter en tant qu’étranger. Juste retour des choses. Pour le reste, quelle différence entre vous et un autochtone ? Vous êtes un être humain comme les autres, et ce n’est pas un morceau de papier qui vous manque qui pourra vous faire traiter comme un moins que rien.

Le statut d’apatride ou de clandestin vous confère des droits inaliénables : l’aide médicale d’Etat, par exemple, vous délivre définitivement de tout souci pour les soins médicaux. La France qui a bien à se faire pardonner vis-à-vis de vous vous offre tout, jusqu’à la chirurgie plastique si vous estimez devoir en bénéficier absolument. Et pensez ! Fini l’impôt sur le revenu, fini le loyer hors de prix : on se doit de vous reloger décemment, c’est votre droit opposable, et ne doutez pas qu’on mettra le paquet. Evidemment, le plus intéressant pour vous est de travailler au noir : pas de charges sociales, pas de revenu déclaré, à vous les allocs. Si vous êtes une femme, n’hésitez pas à ne pas vous marier ou à faire disparaître avec le reste de votre état-civil votre acte marital. Déclarez vivre seule avec quelques enfants, par mesure de justice élémentaire vous toucherez l’API, qui n’est pas d’un montant négligeable. Pour trouver du travail, rien de plus simple : vous êtes assez doué et irremplaçable pour venir pourvoir un poste en manque de personnel qualifié. Votre patron sera sans doute décoré in fine pour avoir pris le risque de faire travailler un clandestin qu’autrement l’inique système aurait réduit à la mendicité. Or, vous, vous avez le sens de votre dignité. Notez-le, cela vous sera d’un considérable secours dans la deuxième phase du programme.

Pour l’instant, concentrez-vous sur l’imparable logique de votre acte : les riches planquent leur argent en Suisse. Les patrons n’hésitent à faire fabriquer en Chine ce qu’ils vous revendront. Autant de tire-au-flanc dont l’exemple doit vous inspirer. Pas de raison pour vous de continuer à faire partie de ce peuple de voleurs, de menteurs et d’assassins. Pas de raison qu’en raison d’un absurde droit du sang, vous ayez hérité de leur francité tarée. Libérez-vous, évadez-vous de l’intérieur. La terre n’est à personne, le soleil brille pour tout le monde.

Français ? Vous êtes enfin devenu une marchandise

Arrivé ici, une alternative cruciale s’offre à vous : soit, après avoir vécu un certain temps sous le régime du clandestin, vous décidez de briguer la nationalité française, ce qui fera de vous un citoyen nouveau issu de la diversité, vous conférant tous les avantages de cette fraîche incorporation à la communauté de destin : le droit de critiquer sans cesse son passé, la victimisation permanente et l’accès aux dernières normes de la discrimination positive. Nul doute qu’avec le talent dont vous avez preuve jusqu’à maintenant, avec la détermination à vous en sortir qui vous caractérise, vous ne preniez rapidement du grade et l’ascenseur social. J’ai confiance en vous.

Soit, autre alternative, vous êtes vraiment un pur, un battant et vous choisissez d’éradiquer l’humanité en vous. Vous devenez un bien. Votre nouveau statut de marchandise vous confère le droit imprescriptible de circuler où bon vous semble, et a fortiori de rester dans ce quartier, cette rue qui est à vous. Vous êtes à vendre, certes, mais nul n’est autorisé à vous jeter dans la nature. Au contraire, on est tenu de vous recycler. Se changer en capitaux est une assez bonne idée : n’hésitez pas à vous faire titriser, par exemple. Opter pour le devenir panier de monnaies vous ouvrira des horizons aventureux : vous connaîtrez les joies de l’inflation, de l’émission et des bons du trésor. Vous avez de fortes chances de finir en Chine, bien à l’abri dans les coffres de la Banque centrale. Mais le nec plus ultra demeure encore dans l’acquisition du statut de bien culturel. Trésor national, vous êtes à jamais intouchable. On vous nettoie, on vous restaure, on vous bichonne. On vous admire et votre cote ne cesse de monter. Vous êtes devenu un patrimoine.

Les analyses pénétrantes de Christine Lagarde

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Depuis lundi matin, les journaux évoquent un entretien que Christine Lagarde a accordé à la chaîne ABC aux Etats-Unis ce dimanche. Notre ministre de l’économie dissertait sur « l’aide » qu’une moindre présence de libido et de testostérone apporte à la gent féminine dans l’exercice des responsabilités publiques.

Intrigué par cette fameuse « aide », je me suis mis en quête d’autres déclarations que Mme Lagarde aurait pu avoir sur ce thème et qui expliciterait davantage sa pensée. Je n’ai pas été déçu du voyage. Le 1er octobre dernier, pour la Tribune, elle a donné un éclairage fort détonnant sur les responsabilités dans la crise financière. Qu’on en juge. Lorsqu’on lui demande si la donne aurait été changée si Lehmann Brothers s’était appelé Lehmann Sisters, Christine Lagarde n’hésite pas : « Oui. J’en suis convaincue. Intuitivement, je pense qu’il y a moins de libido féminine dans le rapport de compétitivité permanent qui se joue dans les salles de marché. ».

Son intuition -féminine, bien entendu- ne la trompe pas. Elle en est convaincue. La testostérone, voilà l’ennemie ! D’ailleurs, plus loin, elle enfonce le clou : « […] le compost financier a été l’élément déterminant. Et si vous regardez la sphère financière, vous y rencontrez une grande majorité de paires de pantalons. ». On notera au passage la délicatesse qui la pousse à préférer évoquer les pantalons à autres choses pour désigner ce qui va par deux chez les messieurs. Et d’oublier au passage les combats féministes d’avant-garde menés par la municipalité parisienne. Mais on comprend malgré tout entre les lignes, que ce qui pose problème, au premier chef, dans les bourses, ce sont bien les couilles.

Point de problème systémique, donc. Alors que le G20 va débuter et que notre Président de la République souhaite apporter à ses partenaires quelques propositions pour réformer le capitalisme mondialisé, sa ministre lui apprend doctement que ce n’est pas la peine et que le problème se situe au niveau de son caleçon. Il suffit simplement de n’embaucher que des traideuses.

Islam : où est le problème ?

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Sayyid Shah Kallimullah Husayni
Portrait de Sayyid Shah Kallimullah Husayni, miniature, vers 1670.
Sayyid Shah Kallimullah Husayni
Portrait de Sayyid Shah Kallimullah Husayni, miniature, vers 1670.

Je n’ai pas de problème avec l’islam. L’islam en a peut-être un avec moi, je veux dire avec nous ou avec vous, mais je n’en ai pas l’impression. Par exemple, j’ai un problème avec le capitalisme qui, après avoir produit de la richesse, produit surtout de la misère en se financiarisant. Il explique ces jours-ci, avec l’aplomb et un art accompli du nonsense, qu’il faut travailler plus et gagner moins alors que les grands patrons travaillent moins et gagnent toujours plus. J’ai un problème, aussi, avec les boutefeux de la guerre civile ethnique qui n’ont pas fait leur service militaire mais veulent rouler des mécaniques rue Myrha[1. Et je n’ai pourtant aucune sympathie pour les gens qui prient dans l’espace public.] dans des apéros « républicains » heureusement virtuels, car ces gens-là aiment bien allumer l’incendie mais envoient toujours les autres les éteindre. The same old story, comme chantait Billie Holliday. Quand il y a une guerre, ceux qui veulent la faire sont rarement ceux qui la font. C’est pour cela qu’il y a assez peu de vieux sur les monuments aux morts et que je serais curieux de connaître, parmi le tout petit nombre d’intellectuels néoconservateurs français qui voulaient envoyer nos pioupious au feu en 2003, combien étaient ou avaient été ne serait-ce qu’officiers de réserve.[access capability= »lire_inedits »]

Irak et Turquie : l’échec du « containment » islamophobe

Comme l’a balancé Eric Raoult à un petit journaliste de Canal+ qui croyait faire le malin en lui demandant ce qu’il pensait du cadeau fait par l’UMP à Chirac dans le remboursement des frais de bouche de la mairie de Paris : « Au lieu de dire des conneries, tu ferais mieux de remercier le président qui a empêché ton grand frère de revenir de Bagdad dans un sac en plastique. »

Les islamophobes, au moins ceux qui le sont sur un plan géopolitique, sincèrement, je ne les comprends pas. Les troupes américaines s’en vont après avoir laissé plusieurs milliers de morts à eux sur le terrain et plusieurs centaines de milliers chez les autochtones. Pour quel résultat ? Eh bien, la création d’une mosaïque de principautés musulmanes très hargneuses où chiites et sunnites vont se mettre sur la tronche de plus belle dès que la dernière section de GI aura quitté la Zone verte. Or, qu’y avait-il avant l’intervention américaine ? Un pays laïque. C’était une dictature, méchante, cruelle, mais laïque, et Saddam Hussein valait ce qu’il valait, il n’empêche qu’il tenait son monde. Alors pourquoi cette guerre ? Ce n’était pas pour sauver la civilisation occidentale ? Ç’aurait été pour de simples questions d’approvisionnement pétrolier ? Je sens qu’on va encore dire que je ramène tout à l’économie.

Même chose avec la Turquie. Voilà un pays que tout le monde commence à regarder d’un sale œil. Il sert de base arrière aux flottilles dites « de la paix » et son président, Recip Erdogan, musulman modéré[2. Je suis d’accord : c’est un oxymore. Comme « capitalisme moral ».], remet tranquillement mais sûrement en cause les acquis du kémalisme. Rappelons que Mustafa Kemal avait, dès les années 1920, occidentalisé son pays, que sa laïcité intransigeante avait forcé les hommes à se raser et les femmes à se dévoiler, que la séparation entre l’islam et l’Etat a fait de la Turquie le seul pays, avec le Mexique, qui ait en la matière une conception proche de la nôtre. Assez logiquement, les Turcs se disent : « Nous allons adhérer à l’Europe » ; et l’Europe leur dit, en gros dès les années 1960 : « D’accord, mais dans trente ans, le temps que vous vous développiez un peu. »

Trente ans passent… D’accord, mais il faut arrêter avec les Kurdes, vous vous comportez n’importe comment ! Ils se calment et libèrent même le leader condamné à mort. Eh bien tiens, puisqu’on parle de peine de mort, ce serait bien de l’abolir. Les Turcs l’abolissent. Mais voilà, la porte reste toujours fermée. Résultat : le peuple turc, qui se sent tout de même un peu humilié, vote et revote en masse pour l’AKP, le parti de Recip Erdogan.

Donc, si je fais les comptes, les partisans du « choc des civilisations » et du containment de l’islamisme ont surtout réussi à transformer deux Etats pro-occidentaux en deux Etats énervés (et encore l’appellation d’Etat pour ce qui reste de l’Irak est un bien grand mot.)

Le seul Etat qui aurait le droit d’être islamophobe, c’est Israël. Pour le coup, entre le Hezbollah libanais et le Hamas gazaoui, il est en première ligne. C’est sans doute pour ça que l’inflexible « Bibi » Nétanyahou a décidé d’accepter l’idée de pourparlers directs. Pour sauver le soldat Abbas, le dernier Palestinien qui ne soit pas islamiste.

L’islamisme n’est pas consubstantiel à la cause palestinienne, c’est même historiquement une forme assez récente de cette revendication, alors que l’OLP et le Fatah étaient avant tout laïques et progressistes avant d’être débordés par une fraction religieuse qui a prospéré sur le désespoir, la misère et − soyons honnête − une corruption endémique dans l’Autorité palestinienne.

Voile, burqa, islam des caves : problèmes réglés

Mais je reviens dans nos parages et, je le répète, je n’ai pas de problème avec l’islam. Je n’aime pas l’idée qu’un marchand de malbouffe procède à une opération marketing dans plusieurs villes. Mais lui rappeler simplement que l’actionnaire majoritaire de ses mangeoires est la Caisse des dépôts et consignations, donc vous et moi, pourrait peut-être l’inciter à changer de stratégie commerciale. À moins que certains politiques aient intérêt à ce que se créent des ghettos communautarisés comme autant d’abcès de fixation. Je n’ose le penser.

Plus généralement, je suis très étonné qu’on soit islamophobe dans un pays comme le nôtre où, dès qu’un problème se posait en la matière, il était jusqu’à maintenant résolu avec la fermeté républicaine qui s’impose. Le voile à l’Ecole ? Une loi. L’islam des caves ? Un Conseil français du culte musulman initié par Chevènement et parachevé par Sarkozy. La burqa ? Une loi initiée par mon camarade André Gerin. On le voit : la question fait en plus l’objet d’un consensus républicain qui n’exclut que quelques ayatollahs des deux camps, partisans d’un gauchisme angélique ou d’une droite ethnico-saucissono-pinardière.

Non, je n’ai pas de problème avec l’islam parce que les problèmes qu’il pose ont été réglés, se règlent ou se règleront.

À moins, c’est vrai, qu’on fasse soudain un lien entre immigration et délinquance. À moins qu’on refuse de constater que les inégalités sociales, scolaires, sanitaires ont tendance à se concentrer dans les mêmes endroits. À moins qu’on remette en question le droit du sol et l’égalité des citoyens devant la loi. À moins qu’on se mette à essentialiser ou instrumentaliser tels ou tels de nos compatriotes.

À moins donc qu’on cesse d’être Français.

Dans ce cas, comme c’est le seul pays que j’aime pour ce qu’il a eu de générosité et de génie (les deux se confondent toujours, au bout du compte), il ne serait pas impossible que je demande à être déchu de ma nationalité.[/access]

Ils ont du bol, en Bolivie

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Dans les défilés du 12 octobre, si l’on n’a pas vu, comme l’a dit Gil Mihaely, le dernier prix Nobel d’Economie favorable à ce que la durée de temps de travail s’aligne sur l’espérance de vie, certains auront peut-être aperçu un homme au teint olivâtre et à la coupe en bol digne de Mireille Matthieu. Dans ce cas, c’était sans doute Evo Morales, actuel président de la république de Bolivie, ouvertement chaviste et réélu régulièrement.

Depuis le mois de mai 2010, la Bolivie a en effet décidé de reporter l’âge légal de la retraite de 65 à 58 ans. A taux plein, évidemment. Ce fou d’Evo Morales a en effet estimé que les gains de productivité, notamment dans les mines (où a été reconnue la notion de pénibilité avec départ à 51 ans), devaient être redistribués à ceux qui en sont les principaux artisans, notamment sous forme de temps. Bon, évidemment Morales n’est pas un prix Nobel d’Economie ni même un expert du FMI. C’est juste un élu du peuple.

La retraite, enjeu libidinal majeur

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La semaine dernière, tout près de chez moi, devant le lycée Guillaume Fichet de Bonneville (Haute-Savoie) deux jeunes filles, élèves de seconde, ont été victimes de graves brûlures. Elles participaient à un mouvement spontané de lycéens de protestation contre la réforme des retraites. Pour donner un caractère plus festif à leur mouvement, les potaches avaient décidé d’allumer un feu à un amas de détritus entassés devant la grille du lycée. On ne s’embarrasse pas, quand on est jeune, de procédés archaïques pour faire jaillir la flamme : on arrose le tout de white spirit et on craque une allumette. Résultat : l’une des deux jeunes filles est en soins intensifs à l’hôpital Saint-Luc de Lyon, spécialisé dans les soins aux grands brûlés.

Cette histoire a fait grand bruit, et a provoqué des réactions en haut lieu, notamment celle du ministre de l’Education, Luc Chatel, qui dénonce « l’irresponsabilité de tous ceux qui mettent les lycéens en danger en les appelant à participer à des actions qui risquent de dégénérer ». Connaissant un peu le secteur, je doute fort que les amis d’Olivier Besancenot soient pour grand-chose dans cette agitation lycéenne qui se nourrit de bien d’autres passions que la hargne anticapitaliste du NPA.

Ecoutant, l’autre dimanche, sur France Culture l’émission style café du commerce qui succède à la messe dominicale, dont le taulier s’appelle Philippe Meyer, j’ai entendu deux des piliers de ce bar, Eric Le Boucher et Jean-Louis Bourlanges s’offusquer de cette mobilisation des lycéens : « Ils devraient aller contre-manifester ! », pestaient les deux barbons, « au bout du compte ce sont eux qui vont payer la note des retraites de leurs parents, et rembourser la dette publique maousse contractée par les générations précédentes ! ». Economiquement et sociologiquement, ce raisonnement est imparable : la fracture générationnelle mise en lumière par Louis Chauvel et quelques autres bons esprits est bien réelle. La génération des « baby-boomers » s’est sucrée à mort en surfant sur les « Trente glorieuses », payant son patrimoine immobilier en monnaie de singe, alors que les salaires grimpaient plus vite que l’inflation, et en profitant au maximum des « acquis sociaux », dont la retraite à soixante ans n’est pas le moindre.

Le dilemme de Papy et Mamy : camping-car ou voilier de douze mètres ?

N’empêche, les teenagers d’aujourd’hui n’ont aucunement tendance à vouloir substituer la lutte des âges à la lutte des classes. Et il ne s’agit pas, en la matière, d’un effet supplémentaire de la dégradation de la qualité de l’enseignement. Ces jeunes semblent avoir choisi leur intérêt libidinal plutôt que leur intérêt économique, ce que Messieurs Le Boucher et Bourlanges n’ont pas compris, en dépit de leur tête pleine de chiffres et de savoir. Avec l’allongement de la durée de la vie, et l’amélioration de sa qualité pour ceux que l’on nomme désormais les séniors, les ados d’aujourd’hui peuvent comparer l’existence de leurs parents et celle de leurs grands-parents. Aux premiers la galère quotidienne, les salaires qui stagnent, l’angoisse sur la pérennité de leur emploi, le stress provoqué par la pression au boulot. Cela concerne tout le secteur central de la société, de l’ouvrier ou de l’employé qualifié jusqu’au cadre supérieur. Aux seconds, papy et mamy, le teint bronzé toute l’année, les voyages lointains, la tranquillité de ceux qui ont acquis leur logement depuis longtemps et les dilemmes angoissants : camping-car ou voilier de 12 mètres ? Il n’a pas échappé non plus à nos adolescents, grâce à quelque allusions salaces lors des repas de famille, qu’une nouvelle pharmacopée pouvait animer, chez les anciens, une activité badine au delà de la limite où le ticket n’est plus valable, comme disait le regretté Romain Gary.

Dans son dernier livre Le mariage d’amour a-t-il échoué ?, Pascal Bruckner désigne les retraités comme « les post-adolescents de la société moderne », ce qui les met en prise directe avec leurs ados de petits-enfants.
En fait, ce qui leur conviendrait le mieux, aux lycéens manifestants de ces dernières semaines, c’est de réduire au minimum le temps séparant la fin de leurs études de celui de leur passage au statut de retraités, l’idéal étant que cet intervalle tende vers zéro.
La vraie question, alors, n’est pas de « résoudre le problème des retraites » dans une logique purement comptable, mais de réintégrer le travail dans une zone d’intensité libidinale qui le rende attractif pour les nouvelles générations, ce qui est une toute autre paire de manches.

Le djihad laïque, ça suffit !

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Mosquée de Paris

Mosquée de Paris

En 1991, l’Union soviétique disparaît de la carte en laissant pour seule héritière une Russie en proie au chaos. L’islam remplace alors peu à peu le socialisme comme idéologie révolutionnaire dans les pays du Moyen-Orient, ce qui est une aubaine pour les Etats-Unis à la recherche désespérée d’un nouvel ennemi pour justifier leur centralité financière. Les événements du 11-Septembre concrétisent ce passage de témoin en faisant émerger une nouvelle incarnation du Mal, sous la forme du barbu islamiste qui déteste l’Amérique, sa liberté et sa prospérité au nom d’idées moyenâgeuses. L’Empire va donc pouvoir repartir en croisade pour faire étalage de sa puissance, du moins le croit-il.

La théorie du « choc des civilisations » s’est depuis diffusée dans tout le monde occidental. L’islam n’est plus la religion des peuples d’Orient, mais le totalitarisme du XXIe siècle, conquérant et belliqueux comme à l’époque de Mahomet. L’islamophobie n’est plus une forme de la xénophobie nauséabonde du bas peuple aux bas instincts, mais une idée à la mode, particulièrement chez les élites éclairées qui profitent de l’occasion pour revêtir leur costume de résistant remisé depuis belle lurette. Même la gauche dite républicaine s’y met, sous couvert de laïcité, de défense du droit des femmes, quand ce n’est pas de la République elle-même. [access capability= »lire_inedits »]

Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Histoire de poule et d’œuf

Il est vrai que, dans le même temps, les populations musulmanes se sont radicalisées dans une crispation identitaire. On a vu les voiles se multiplier, la burqa apparaître, la nourriture halal se généraliser, des prières se tenir dans les rues, au moins sur Dailymotion… Effet d’optique lié à un reflux de la tolérance à l’égard des manifestations d’une culture exogène ou réalité d’un nouveau communautarisme revendicateur nourri par une immigration toujours plus nombreuse et concentrée ? Offensive de l’islam ou réaction contre l’islamophobie ? Un vrai problème d’œuf et de poule impossible à trancher.

Quelles que soient les causes, on constatera simplement que la tension monte entre deux communautés. D’un coté, les populations immigrées, les musulmans, les racailles et habitants des cités, rassemblés dans un amalgame répulsif à souhait. De l’autre, des Français racistes, intolérants, coupables de discriminations ou de « stigmatisation », comme on dit aujourd’hui.

Si cette tension ne se manifestait que par des joutes verbales autour de symboles, comme le débat public national en raffole, cela serait fâcheux mais pas bien grave. Le problème c’est que la situation peut exploser à la moindre étincelle. Qu’un agent des forces de l’ordre soit tué à l’occasion d’une nouvelle émeute dans un quartier sensible, que la police ouvre le feu, soit sur instruction, soit parce que l’un de ses agents aura perdu ses nerfs, et ce sont toutes les banlieues qui s’embraseront aussitôt, plongeant la France dans une guerre civile communautaire comme elle n’en a pas connu depuis les guerres de religions, avec des conséquences politiques absolument imprévisibles.

Voilà pour le constat. Jusque-là, je pense que tout le monde sera d’accord, en espérant ne pas avoir fait dans le déni de réalité, donné dans l’angélisme ou la bien-pensance, pour reprendre la ligne de défense préférée des adversaires de l’islam.

Et maintenant, qu’est ce qu’on fait ?

Le drame de la période est que, face à la posture moraliste « anti-stigmatisation », on n’entend guère qu’un discours haineux de pure confrontation dont les seuls effets possibles seront de précipiter la guerre civile que l’on prétend vouloir éviter.

Ces nouveaux croisés soulignent à longueur d’articles tout ce qu’il y a d’antirépublicain dans la charia, réfutent toute distinction entre la pratique normale de la religion musulmane et l’islamisme radical, dénoncent le machisme au nom de la sacro-sainte égalité homme-femme quand ce n’est pas l’arriération mentale que traduit l’observation de prescriptions religieuses.

Leur rêve ultime est probablement de finir en martyrs de la cause laïque, comme Théo Van Gogh, ou simplement de subir une fatwa en bonne et due forme, ce qui est pour le moins paradoxal venant de prétendus laïques. Ils ne reculeront devant aucune provocation. Et si leurs apéros-saucisson et leurs textes accusateurs ne suffisent pas, ils iront s’il le faut jusqu’au blasphème le plus insultant, au nom bien sûr, des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

On peut les comprendre. L’opinion est clairement en attente d’une réaction après des décennies d’immigration présentée comme une fatalité et de droit à la différence trop longtemps célébré. La libération de la parole xénophobe (au sens de rejet de celui qui se comporte en étranger sur le sol national) est incontestablement un puissant facteur de dynamique électorale et de succès médiatique. Sarkozy l’a bien compris, mais il n’est manifestement pas le seul.

Philosophiquement, l’islamophobie est déjà en soi critiquable, car si certaines critiques de l’islam sont fondées, l’exercice inverse, qui consisterait à interroger la culture dominante dans la France contemporaine, pourrait bien donner lieu à une critique tout aussi dévastatrice. Faisons donc l’inventaire des valeurs qui fondent aujourd’hui notre vivre-ensemble et demandons-nous s’il n’y a pas là une terrible carence qui pousse ces populations à se replier sur leur culture d’origine pour retrouver des valeurs fédératives consacrées dans des pratiques collectives ainsi qu’un sentiment d’appartenance qui fait cruellement défaut dans le pays de la laïcité.

Sur le plan pratique, la pensée islamophobe est en revanche absolument contre-productive et extrêmement dangereuse. Ce discours hémiplégique, qui flatte les uns et braque les autres, ne peut qu’exacerber les tensions, accélérer le durcissement de la société et de notre système politique et précipiter un véritable « choc des civilisations » sur notre sol.

Un système culturel ne se combat pas comme un système de pensée. On ne gagne pas une guerre de religion par le verbe comme on gagne une élection. On la gagne par les armes, l’extermination ou la conversion forcée ! Qui peut raisonnablement imaginer qu’un musulman qui tomberait sur un texte « riposte-laïcard » puisse se laisser convaincre que ses valeurs sont moyenâgeuses, que sa religion n’a pas décidément pas sa place dans ce beau pays qui est désormais le sien et qu’il est temps pour lui de se défaire de sa culture familiale pour enfin pleinement s’assimiler dans la nation française ?

Une culture agressée et niée ne peut que se radicaliser par réaction. Exacerber ainsi la conscience des différences culturelles ne peut que conduire à des identités irréconciliables et exclusives les unes des autres. À trop répéter aux musulmans qu’ils n’ont pas leur place en tant que tels dans la République, on les pousse à choisir entre deux identités devenues exclusives. Ils seront musulmans et rejetteront la France.

La cause de l’islamisation, c’est l’immigration sans contrôle. Légale ou illégale.

L’islamophobie ne devrait pas se revendiquer de l’héritage républicain, car non seulement elle divise au lieu de chercher à refonder l’unité nationale, mais elle s’oppose à notre tradition politique sur un point essentiel. L’ordre public a toujours été défini comme extérieur et matériel. La République s’est toujours refusée à faire la police des esprits. C’est cela aussi la laïcité !

C’est aux manifestations de l’islam − et par extension de tout ce qui peut paraître comme trop étranger pour avoir sa place sur le sol national − qu’il faut s’attaquer. Ce combat doit impérativement déboucher sur des revendications politiques et abandonner les postures trop faciles de la critique culturelle ou religieuse.

Peut-être faudrait-il commencer par s’attaquer aux causes de l’islamisation, à savoir l’immigration, légale ou illégale, dont le flux n’a jamais cessé ? Mais bien sûr, il est plus gratifiant et plus correct de dénoncer l’islamisation sous couvert de laïcité ou de féminisme, que de proposer de stopper l’immigration.

Peut-être faut-il oser durcir les conditions d’octroi de la nationalité pour faire ou refaire de ce droit un véritable parcours vers l’assimilation et, à l’occasion, redéfinir les droits et les devoirs attachés spécifiquement à la qualité de Français ?

Peut-être faudrait-il aussi se donner les moyens de fabriquer enfin un islam de France, débarrassé du contexte culturel moyen-oriental pour ne conserver que le message spirituel et les pratiques proprement religieuses, quitte à revenir temporairement sur la loi de 1905, via un nouveau Concordat qui permettait d’accoucher d’un clergé musulman de nationalité française et prêchant en français.

Peut-être aussi faut-il réglementer plus sévèrement la place de l’islam, ou de la religion en général, dans l’espace public, comme on a commencé à le faire avec l’interdiction du voile à l’Ecole puis de la burqa dans l’espace public.

Mais peut-être aussi faudrait-il reconnaître par un acte symbolique la légitimité d’un islam tolérant et modéré dans la République, par exemple en faisant d’une de ses fêtes religieuses un jour férié  ?

L’apaisement des tensions communautaires et l’intégration de l’islam dans la République, si c’est bien cela qu’on cherche, exigera en tout état de cause des efforts et des concessions des deux côtés. La nation française a été faite par la politique et non par la religion ou la culture. Traitons donc ce problème selon notre tradition, en le ramenant sur le terrain politique.[/access]