L’Iran vient de mettre sur orbite un nouveau satellite: le Liban. On savait déjà que le pays du Cèdre constituait une base arrière de Téhéran, par Hezbollah interposé. En faisant le déplacement jusqu’à Beyrouth puis à Kana et à Bint Jebel, à moins de 4 km de la frontière avec Israël, Mahmoud Ahmadinejad remet en œuvre la stratégie de l’ayatollah Khomeiny : utiliser les populations chiites de la région comme le fer de lance de la révolution islamique. La volonté d’hégémonie régionale du président iranien n’est plus à démontrer ; l’axe Téhéran-Damas-Beyrouth change déjà la donne dans la région. Sans parler du rapprochement entre l’Iran et la Turquie qui a pris au dépourvu tant les Israéliens et les Américains qui ne l’avaient pas vu venir.
Le moment choisi par Ahmadinejad pour marquer son emprise sur le Liban, au grand dam de plusieurs membres de la classe dirigeante locale, n’est pas fortuit. Les Iraniens cherchent par tous les moyens à détourner l’attention de la communauté internationale du dossier nucléaire en créant de nouvelles zones de tensions.
Ahmadinejad est donc venu passer les troupes chiites en revue, leur remonter le moral en rabâchant que la fin de l’Etat juif était proche et s’assurer de la parfaite servilité du chef de la milice chiite Hassan Nasrallah. En 2006, celui-ci s’était fait tirer les oreilles par ses mentors: en sous-estimant la réplique israélienne à la pluie de roquettes lancées sur le nord du pays, celui-ci avait obligé l’Iran à reconstituer le stock d’armement du Hezbollah.
Depuis, Nasrallah vit dans un bunker souterrain à l’abri des satellites et des canons israéliens et ne s’exprime plus que sur grand écran panoramique. Ahmadinejad lui a signifié qu’il se devait d’obéir au doigt et à l’oeil à son parrain iranien. Le Hezbollah ne pourra donc déclencher une attaque contre l’ennemi sioniste qu’au moment voulu par l’Iran qui coïncidera probablement avec le paroxysme des pressions économiques internationales.
Autant dire que ce n’est plus qu’une question de temps. À en croire Les Echos, qui font état d’un rapport confidentiel adressé fin septembre à l’ayatollah Ali Khamenei, l’Iran pourrait s’effondrer économiquement dans un an, asphyxié par le blocus sur les denrées de première nécessité, secoué par des manifestations d’opposants, et paralysé par le rationnement de l’essence dont il importe un tiers de sa consommation.
Le 23 octobre, le régime cessera de subventionner l’essence et des denrées alimentaires, ce qui aura pour effet immédiat de faire bondir les prix, déjà inabordables pour un nombre grandissant d’Iraniens. Les Gardiens de la Révolution ont déjà fait savoir qu’ils ne tolèreraient aucune manifestation en réaction à ces mesures de crise.
Un autre dossier influence Téhéran, celui des pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens. La visite-éclair d’Ahmadinejad au Sud-Liban et l’agressivité de son discours anti-israélien traduisent aussi sa volonté d’apparaître comme un défenseur des musulmans, face aux Palestiniens modérés, à l’Arabie saoudite, à l’Egypte, alliés des Etats-Unis. Mais il s’agit surtout de détourner l’attention des Iraniens de ce qui les préoccupe au premier chef : la pauvreté grandissante, le chômage en hausse et la répression de toute expression démocratique.
Il y a quelques années, un président occidental et blanc avait fait un célèbre discours à Dakar pour expliquer que les Africains feraient bien de bouger leurs fesses noires et de « rentrer dans l’histoire ». Quand bien même il était étrange de voir ce président appeler un continent à « rentrer dans l’histoire » quand le sien, de continent, en sortait tranquillement pour s’oublier dans le présent perpétuel de la marchandise. On pouvait donc s’interroger sur les raisons de cette inappétence pour un destin historique de la part des hommes noirs.
On nous permettra d’émettre une hypothèse à l’occasion de journée mondiale de l’alimentation, organisée à Rome, par la FAO. Cette trentième édition indique que 21 des 30 pays en état d’urgence alimentaire (euphémisme pour dire «qui crèvent la dalle») se trouvent en Afrique. Rentrer dans l’histoire en mourant de faim, c’est toujours plus compliqué. Avec le ventre vide, on peut encore prendre des palais d’hiver mais il faut tout de même avoir un minimum de calories pour y arriver. Sinon, la FAO nous donne une bonne nouvelle. En 2010, avec seulement 925 millions d’êtres humains réduits à la famine, le capitalisme financiarisé n’a pas réédité son exploit de 2010 où il avait dépassé le milliard. Petite forme dans les salles des marchés, dites donc…
« Tout s’excuse ici-bas, hormis la maladresse. » Depuis ce vibrant cri de haine lancé en 1849 par Musset dans Louison, la situation faite en France aux personnes à adresse différente n’a, hélas, connu aucun progrès.
Il est vrai que la prise de conscience de la communauté des personnes à inadresse atypique est elle-même lente et difficile. La marche vers la fierté et l’affirmation des droits des maladroits est longue et semée d’embûches. Et nous autres maladroits ne savons, hélas, que trop bien que nous n’avons du reste pas même besoin d’obstacles pour trébucher. Les rares initiatives communautaires de personnes maladroites qui ont réussi jusque-là à aller très loin sans heurts ni glissades, nous le savons, étaient toutes parties, hélas, dans une mauvaise direction.[access capability= »lire_inedits »]
Forts de tous ces échecs, qui doivent être notre fierté et le signe précieux de notre singularité, nous n’avons pas le droit de baisser les bras (et ce d’autant moins que nous risquerions de blesser quelqu’un). Nous devons marcher fièrement et bras en l’air, en espérant que, cette fois, ce sera véritablement de l’avant. Depuis que les timides sont sortis du bois, les personnes à adresse alternative ne sont plus les mêmes. Galvanisés par la flamboyante lutte des timides, ils ont enfin pris conscience qu’ils avaient eux aussi droit aux droits et à la reconnaissance.
Les personnes à habileté insolite veulent à présent mettre un point d’arrêt – et sans déraper, s’ils le peuvent – aux innombrables discriminations dont ils sont l’objet, à commencer par toutes celles qui leur interdisent arbitrairement l’accès à un très grand nombre de métiers. Elles réclament à l’horizon de 2011 l’instauration d’un quota obligatoire de personnes à habileté insolite parmi les grutiers, les dentistes, les équilibristes, les chirurgiens, les relieurs, ainsi évidemment que dans les domaines de la restauration d’œuvres d’art, de la restauration humaine, de l’horlogerie, de l’orfèvrerie et des nanotechnologies.
Enfin, nous ne voyons pas au nom de quelle fantaisie ostracisante les personnes à adresse aléatoire devraient être maintenues à l’écart de la police et se voir éternellement refuser leur droit légitime au port d’armes à feu. Sur ce dernier point, il n’est pas difficile de reconnaître dans le refus obstiné de la société une manifestation aveuglante de la peur de la différence et de l’altérité souvent dérangeante des personnes à adresse glissante. Un grand pas sera franchi, également, lorsque l’Etat remboursera enfin systématiquement tous les objets cassés par les personnes à tactilité savonneuse.
Mais ce que la société française refuse de reconnaître, c’est que la maladresse est avant tout une danse, une danse libre et imprévisible, d’une enivrante beauté. Et cela, pourtant, chacun le sait déjà obscurément au fond de lui-même en entendant notre révolte : en entendant Buster qui tonne.[/access]
Nicolas Sarkozy sait ce qu’il fait en demandant à Jacques Attali des rapports sur la libération de la croissance. Jacques Attali fut en son temps conseiller du seul autre président de droite de la Cinquième, François Mitterrand. Le rapport Attali, le deuxième donc, ne prévoit pas encore le rétablissement de l’esclavage pour libérer la croissance mais il n’en est pas loin. C’est un plagiat (mais ça, la maison sait faire) des thèses ultralibérales de Milton Friedman revue par les Chicago Boys de Pinochet : déremboursement des médicaments, participation financière des malades de longue durée, poursuite de la politique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, gel des points d’indice, disparition de nombreuses prestations sociales. Tout ça limité à trois ans pour faire 75 milliards d’euros de coupes et désendetter le pays.
Un genre de période d’exception, d’état de siège, ou de loi martiale macroéconomique, si vous voulez… Le drame, pour Attali, c’est qu’il a les idées des économistes chiliens de 73 mais pas encore les chars qui vont avec.
La fin de semaine approchait. Quelques ondées sur le nord de l’Europe, un souvenir de soleil estival sur les côtes du sud, le fond de l’air restait frais. Tandis qu’octobre s’apprêtait à prendre sa revanche, vint le moment de passer à l’attaque : partant de Norvège et gagnant le cœur de tant d’âmes nobles, la bonne nouvelle commença à se répandre le vendredi 8 octobre. Elle avait pour nom Liu Xiaobo. Et c’était juste trop beau. Tout est bien, assura alors, dans chacun de ses éditoriaux, l’Infatigable Défenseur des Droits de l’Homme, avant de prendre un repos amplement mérité.
Nous vivons dans un monde certes perfectible mais qui possède déjà de beaux îlots d’humanité. Quelques récalcitrants, avec qui nous entretenons cependant les meilleurs relations qui soient, ont encore de la peine à comprendre ce que sont les droits et ce que sont les hommes, mais nous espérons qu’en aimant plus que tout leurs jouets, leurs pulls et leurs nems, ils finissent par entendre raison. L’Infatigable Défenseur des Droits de l’Homme est le dernier saint qui nous reste. Peu porté sur l’ascèse et l’effacement, il est vrai, il s’indigne sans jamais faiblir, et court de tribunes en parvis, reprenant tout juste haleine dans les salles de presse et les réseaux sociaux, ses ermitages. Qu’il blogue ou qu’il twitte, il n’a de cesse de réclamer ou d’acclamer, et lorsqu’il apprend que celui qu’il considère comme l’un des siens est en bonne position, il s’empresse (pétitions, ultimatums, lâchers de ballons rouges ou blancs, marches dignes).
Citoyen du monde, consommateur transnational et transgenre
Nous nous sommes contentés, il y a vingt ans, de frémir en découvrant ce jeune homme seul devant un char, mais lui a acheté le poster. Savoir que Liu Xiabo est en prison pour « subversion » nous interroge, mais cela le galvanise. Ainsi tout n’est-il pas joué ! Ainsi est-il encore possible d’être dissident (par procuration, bien sûr, mais qu’importe le flacon), et de transformer le cliquetis de clavier indigné en intimidants roulements de mécaniques. Nous nous contentons, en montrant nos fesses, en nous coiffant à l’envers ou en nous tatouant Non ! sur le cœur, de faire réagir les rois du système, mais lui, l’Infatigable, enrage d’être un prisonnier au milieu de gardiens indifférents. Quand nous gagnons au mieux un strapontin dans un panel pour nous insurger en direct, avant de nous faire amicalement raisonner, lui cloue courageusement au pilori ceux qui ne savent ni ce que sont les droits ni ce que sont les hommes. Nous espérons chaleureusement qu’un jour, tout le monde pourra écouter la musique qu’il souhaite avec le partenaire de jeu qu’il désire, mais lui se bat pour que plus rien, jamais, ne vienne s’interposer entre les hommes, et que tout un chacun accède enfin au salutaire statut de « citoyen du monde », consommateur transnational et transgenre, averti et débonnaire. D’ailleurs, Liu Xiaobo ne se contente pas de réclamer plus de démocratie, il veut aussi dénationaliser les services publics et laisser les promoteurs faire leur boulot ; pour cela aussi, pour son opposition à l’infâme patriotisme économique chinois, il doit être décoré (la sanctification n’aura lieu que dans un second temps).
Nous nous limitons à vouloir plus de McDo à Pékin, et plus de blogs Cuisine aussi, mais l’Infatigable défenseur des droits de l’homme voit plus loin : il voudrait que la Chine soit comme Hong-Kong, un pays enfin libéré. Allez faire comprendre cela à des tortionnaires !
You will meet a beautiful dark stranger commence et se termine par une citation de Shakespeare : « The world is a story told by an idiot, full of sound on fury, and signifying nothing ». Jusque-là, rien de très original dans l’oeuvre du pessimiste joyeux qu’est Woody Allen. L’histoire en question, pleine de bruit et de fureur, enchevêtre les trajectoires de plusieurs personnages: Sally (Naomi Watts) et son galeriste de patron (Antonio Banderas), son père (Antony Hopkins), sa mère (Gemma Jones) et son mari écrivain Roy (Josh Brolin). Derrière ces intrigues, qui en effet ne signifient rien, il y a une manière de variation inconséquente sur l’Ecclésiaste.
Mécènes charmeurs et blondes plantureuses
Rien de nouveau, en effet, sous les projecteurs. Toujours les mêmes maris inconstants, les mêmes épouses rêveuses, les mêmes écrivains d’un seul succès, les mêmes mécènes charmeurs, les mêmes blondes plantureuses au bras de vieux messieurs. Ces stéréotypes sont joués jusqu’au bout, les clichés pleinement assumés: le vieux marche au viagra, le mari regarde l’herbe plus verte dans la pelouse du voisin, le galeriste fait mugir sa voiture de millionnaire et la vieille mère anglaise croit aux sciences occultes. Rien de nouveau non plus dans le cinéma de Woody Allen. On retrouve les éternelles engueulades de couple qui ont fait la réputation de l’auteur d’Annie Hall et des dialogues qui tournent toujours autour des mêmes obsessions: le désir, la vieillesse, le destin, la mort.
Alors, où est l’intérêt de You will meet a beautiful dark stranger ? Nulle part, puisque la conséquence à ce « rien de nouveau » est que, quoique l’on fasse sous le soleil, quoiqu’il se passe à l’écran, tout n’est que vanité. En les mettant en regard, en les imbriquant les uns dans les autres, Woody Allen sait comme nul autre donner à tous ces destins une certaine gratuité. La vue d’ensemble sur toutes ces vies ne peut que se résoudre en un « signifying nothing ». Ne reste que le point de vue amusant du narrateur et le regard amusé du spectateur.
La moue de Naomi Watts
Pourtant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que même sous le soleil de l’Ecclésiaste, la vanité est cette ombre qui crée un désir, et que ce désir est ce qui fait des personnages. C’est une évidence qu’a beaucoup célébrée le Woody Allen des années 2000, avec des films comme Match Point ou Le Rêve de Cassandre, où les aspirations sociales et le désir sexuel, questions de vie et de mort, se mêlaient jusque dans le crime.
Avec You will meet a beautiful dark stranger, la configuration n’est pas la même, mais il y a toujours cet espace du désir qui définit chaque personnage. Ainsi Roy qui regarde la fenêtre en vis-à-vis (Hitchcock, si tu nous entends) et ne pense plus qu’à sa guitariste aussi belle que lisse (Freida Pinto), ainsi Sally et ses sentiments inexprimés pour son boss, ainsi le père de Sally, prêt à se ruiner pour que lui soit présenté un reflet de jeunesse.
Un personnage ne se définit pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il voudrait être. On voit ce que fait Woody Allen du stéréotype de l’écrivain angoissé : de charmeur indolent et frivole, Roy va devenir un imposteur. Il réussira un roman, mais ce ne sera pas le sien. Comme si tout être humain ne se résumait au fond qu’à une fable personnelle. Le tableau peut sembler tragique, mais il prend un tour comique et émerveillé quand notre vieille Anglaise au destin torturé s’imagine avoir vécu, dans une autre vie, une romance avec celui qui n’a pourtant pas grand-chose d’un « bel et sombre inconnu ».
De ce jeu d’ombres et de désirs, on retiendra un détail particulièrement bien trouvé : la moue de Sally (sublime Naomi Watts) essayant des boucles d’oreille à 50 000 livres pour la femme de son patron.
Et c’est le propre de ce film parfaitement anecdotique (et probablement voulu comme tel par Woody Allen), que de n’être que prétexte à de tels moments de tension comique et sensuelle.
Je suis bien placé pour parler de Tony Curtis : j’ai été Danny Wilde pendant de nombreux mois à l’aube des années 1980. Le blouson court et les gants en simili cuir portés jusqu’en été me donnaient sans doute une allure étrange, mais le ridicule de mon accoutrement ne m’a jamais effleuré. Le séducteur tendre et retors qui donnait la réplique à Brett Sinclair (Roger Moore), dans Amicalement vôtre, était alors pour moi une sorte de mauvais génie délicieux, un Alcide sans gravité qui me corrompait doucement, me faisait croire à ma légèreté et à mon insouciance. C’est peu dire que je ne lui ai jamais complètement pardonné.
Tony Curtis a toutefois des circonstances atténuantes ; c’est justement grâce à son personnage de série télévisée que je suis entré en cinéphilie. Cherchant à retrouver sa fascinante désinvolture, je me mis en quête de quelques-uns de ses rôles comiques et le découvris dans les élégants navets de Richard Quine comme dans les farces enlevées de Blake Edwards. C’est là que le premier choc survint. Je compris rapidement que j’avais été avant tout séduit par les intonations ironiques et le timbre sautillant de Michel Roux, car la voix originale de Curtis, grave et presque monocorde, ne lui ressemblait décidément pas… Une voix d’ailleurs à la limite du désagréable, au point que celle-ci effraie Mia Farrow et perturbe le spectateur du Rosemary’ baby de Polanski. C’était un premier dessillement : il y en aurait d’autres.[access capability= »lire_inedits »]
Découvrant, au fil des années suivantes, sa filmographie chaotique, il m’apparut assez rapidement que ses choix se tournaient volontiers vers des personnages plus troubles qu’il n’y paraissait de prime abord, manipulateurs et ambivalents, joueurs avec la morale comme avec la vertu, qu’ils fussent travestis pour la bonne cause (Certains l’aiment chaud) ou corrompus sous le fard (Le Grand chantage). C’est d’ailleurs cette ambiguïté fondamentale, apanage des grands acteurs, qui constitue le ressort dramatique des beaux films de doute et de trahison que sont Trapèze ou Les Vikings. Une sorte de synthèse de son style se retrouve en quelque sorte dans l’amusant Roi des imposteurs, réalisé par Robert Mulligan en 1960, où il campe toute une série de personnages contradictoires avec une réjouissante amoralité.
L’étrangleur de Boston : un tournant
Et puis, il y eut la découverte de L’Etrangleur de Boston (Richard Fleischer, 1968), où il jouait le rôle du psychopathe bien avant que le fait de casser son image devînt le passage obligé de toute carrière hollywoodienne. Désormais, plus de plaisante ambivalence : juste le malaise insistant. Certes, d’autres rôles, plus tard, permirent à la noirceur de Mr Schwartz (son véritable patronyme hongrois) de continuer à se déployer, comme le gangster psychotique de Lepke (1975), remarquable thriller réalisé par le producteur Menahem Golan, pourtant bien peu inspiré par la suite, ou encore le vil sénateur McCarthy du déroutant film de Nicolas Roeg, Une Nuit de réflexion (1985), mais avec ce film-pivot, le cinéma enfin ne m’apparaissait plus uniquement comme la coexistence de saynètes aimablement variées, mais devenait cette longue coulée où le style épouse le propos.
En passant de Danny Wilde à l’étrangleur DeSalvo, du confortable découpage télévisuel à l’imprévisibilité du montage cinématographique (le film de Fleischer contient les plus beaux split-screens qu’il m’ait été donné de voir), je quittais le confort des fictions sans conséquence pour commencer à côtoyer l’incertitude des récits où, même si tout est faux − et surtout les diverses représentations du Vrai−, d’authentiques rencontres se nouent entre les images du monde transposé et celles que l’on garde de soi.
Quelques années plus tard, alors que je m’apprêtais définitivement à fétichiser le cinéma, c’est-à-dire à me laisser prendre à son vertige, ce fut à nouveau Tony Curtis, dont les rôles se délitaient dans d’invraisemblables nanars, qui m’en montra l’aspect le plus vain. Ainsi, grâce à un parcours d’acteur entre rôles extrêmement élaborés (le sens du mouvement chez Tony Curtis, la justesse de ses variations de rythme aussi bien dans le pas que la diction, sont largement sous-estimés) et caméos goguenards, le cinéma se révélait peu à peu comme à la fois dérisoire et lumineux, porteur d’un sens secret éparpillé dans la multitude des signes triviaux, emprise et participation inextricablement mêlées.
Tony Curtis est décédé le 29 septembre à l’époque des comédiens compassés et sérieux comme des papes ; il est évident qu’il ne laisse aucun héritier. Dans une scène de Certains l’aiment chaud, l’acteur, allongé de profil, a la jambe repliée tandis que Marilyn Monroe l’embrasse. Il expliqua plus tard que cette position (réclamée à Billy Wilder) lui permettait de dissimuler son érection à la caméra. Tony Curtis, c’était cela sans doute : la sensualité et la retenue également extrêmes, la maîtrise toujours plus ludique, un peu de poussière de Bronx et de Vieille Europe dans les signaux lumineux d’Hollywood ; de quoi désorienter pour longtemps les psychorigides comme les avachis.[/access]
Le mouvement contestataire qui ébranle la France depuis plusieurs semaines est en train de prendre un virage décisif. Après la large mobilisation des lycéens et collégiens cette semaine, on sent un frémissement social inattendu dans les écoles primaires et maternelles de France. Un tract syndical, qui est parvenu dans toutes les rédactions, le disait en ces termes : « Il fot ranversé Sarkozy kikoo lol ! Descendont dans les bacs à sable, les coures de récrés et les confiseurs poure fér enttendre no droit ! Vite fait ! La réforme dé retraite c pourri trop pas »
Le petit Kévin, 8 ans, scolarisé en CE2 au groupe scolaire René Goscinny de la Ferté-sous-Jouarre, qui est le leader de cette fronde enfantine a déclaré à l’AFP : « J’ai peut-être 8 ans mais je me sens concerné par la question des retraites. Avec les copains nous distribuons des tracts de mon papa qui est cheminot et qui a déjà trop travaillé dur à cause de la pénibilité ambiante ! »
La presse s’est vite enthousiasmée pour ce vaste élan de solidarité des culottes courtes pour leurs ainés syndicalistes chevronnés : Libé a titré « La fronde des bouts-de-chou » et l’Huma « La révoltes des totottes ». Une journaliste de France Info a même indiqué qu’un cortège de la CGT des 7-12 ans, est passé sous les fenêtres de la Crèche municipale Pierre Dac d’Ermont-Eaubonne en scandant : « Sarko t’es foutu, les mômes sont dans la rue ! Les bébés, avec nous ! Les bébés, avec nous ! Les bébés avec nous ! ».
Disons-le tout net : Nicolas Sarkozy n’est pas à l’abri, désormais, d’un camouflet des mouflets.
Le vide de l’esplanade de la Bibliothèque François Mitterrand est comme un avant-goût de celui que l’on retrouve dans les 36 photographies en couleur de Raymond Depardon exposées jusqu’au 9 janvier 2011 à la BNF sous le titre La France de Raymond Depardon.
Cela dit, on ne peut pas faire l’étonné. On était prévenu. Depardon l’a dit. C’est volontairement qu’il n’a pas photographié les gens. Il a ressenti « l’urgence de photographier la France », mais … sans les Français ! Les Français, il les a déjà faits s’explique-t-il. Quelle justification étrange ! Depardon semble enfermer les Français dans une catégorie limitée et fixe, insensible aux changements. Les Français seraient un sujet épuisable. Leurs mœurs n’évolueraient jamais. En photographier quelques-uns à un moment donné et dans un certain contexte reviendrait à les photographier tous. Les Français, un sujet bouclé ou un sujet trop polémique. Tirer le portrait des Français, l’exposition aurait, sans doute, pris des airs d’identité nationale, n’est-ce pas ?
Une France morte
Non, au moins avec la France qu’il photographie, cette France esseulée, reculée, vidée de ses habitants et donc finalement complètement anonyme, il ne prend pas de risque ni politique ni esthétique. La France de Depardon, ce n’est ni la France des villes ni la France des campagnes, c’est la France de l’entre deux, celle des ronds-points et des plates-bandes, celle des petits commerces et des bar-tabac, une France vétuste, une France morte. Pour les commentateurs admiratifs, c’est la France anti-cliché, (un comble pour un photographe !), la France authentique parce que c’est celle qu’on croît connaître mais qu’on ne voit jamais. Pourtant à regarder ces chalets qui se détachent des montagnes alpines sans âme qui vive, on a plus l’impression d’être devant une carte postale que devant une photographie.
Et puis tout de même, toutes ces boucheries, ces charcuteries, ces bistros, ces tabacs, ces salons de coiffure, que Depardon photographie, avec complaisance, dans les différentes régions qu’il traverse au volant de sa caravane, qu’est ce qu’ils disent de la France ?
« Ils révèlent notre patrimoine !» rétorquent certains, comme si la France se réduisait à ces petits commerces. Mais si Depardon voulait photographier une France muette, pourquoi avoir exclu la France des ruines médiévales et des jardins à la française, des châteaux et des églises, des vieilles rues et des places de village ? Où sont donc la France historique, la France artistique et la France moderne ? Nulle part. L’œil de Depardon ne raconte rien parce qu’il ne révèle rien.
A la recherche de l’espace vécu
Mais les mots du photographe disent, bien entendu, le contraire. Ses commentaires qui ornent les murs de l’exposition contredisent ses photos.
Depardon prétend photographier « l’espace public » qu’il définit, à juste titre, comme
« l’espace vécu ». Mais où est donc la vie dans ses photos ? L’espace public n’est-il pas cet espace qui ne peut exister que parce qu’il s’actualise dans l’apparition continue des gens qui agissent et parlent ensemble ?
Or, Depardon a photographié des lieux vidés de ses habitants, dont aucune atmosphère ne se dégage, dont aucune scène de vie n’anime le paysage et où aucune âme ne se dévoile. Ces lieux sont des non-lieux parce qu’aussi criardes que puissent être leurs couleurs, ces bars et autres commerces sont, en réalité, identiques et donc interchangeables.
Ces lieux ne disent absolument rien de la France, puisqu’en photographiant cette France sans visage, Depardon s’est privé de la vie quotidienne où, au sein du familier, surgissent des attitudes inattendues et des gestes insolites révélateurs de l’humeur du siècle.
Sans les vestiges qui témoignent du passé et sans la vie qui trésaille, le pouls de la France ne peut pas battre.
Pourtant, lors de son passage à l’émission de Ce soir ou jamais du lundi 4 octobre, Depardon a fini par avouer que ce qu’il trouvait beau en France, c’était une place de marché qui s’éveille au petit matin. Entièrement d’accord. Mais qu’est ce qui fait sa beauté si ce n’est cette vie qui se met en mouvement, cette vie qui est à fleur de peau, que l’on renifle à pleines narines et que l’on saisit à bras le corps ? Et dans ce formidable marché des couleurs et des odeurs, surgit sans prévenir une scène inattendue, cet « instant décisif », si cher à Cartier-Bresson, qui naît de la rencontre entre un angle de vue pertinent et une expression particulière.
Le marché aurait pu être un lieu propice pour capter l’esprit du temps à travers « son port, son regard et son sourire » comme Baudelaire dans le Peintre de la vie moderne, lorsqu’il définit les métamorphoses de la modernité fugitive et transitoire. Or, les marchés ne font pas partie des photographies de l’exposition de Depardon et sa France est finalement dépourvue d’époque. Les photographies de Depardon ne modifient pas notre vision du monde parce qu’elles n’apprennent pas à regarder mais à identifier. Dans cette exposition, l’art de révéler fait place à l’art de divertir.
Le jeu des devinettes…
Les spectateurs ne s’attardent pas devant les photos parce qu’ils ont le sentiment qu’un instant exceptionnel a été délivré de l’écoulement du temps. Ils s’attardent pour se prêter au jeu des devinettes. Les 36 photographies en couleurs exposées sur les murs d’une grande salle rectangulaire n’ont ni titre ni date. Et cet oubli est volontaire. Même si les spectateurs ont pris le catalogue qui renseigne sur le lieu où la photo a été prise, ils jouent le jeu. Ils s’amusent à essayer de deviner dans quelle région Depardon a pris telle ou telle photo. Il faut dire que le photographe a semé des indices, qui, d’ailleurs, se ressemblent tous.
D’après les plaques d’immatriculation, les panneaux d’indication, les titres des quotidiens régionaux, les publicités pour les animations locales et le type de pierre des maisons (pour l’indice le plus subtil), les spectateurs amusés tentent d’identifier le lieu, puis vont vérifier leurs réponses dans la pièce suivante, où les planches-contacts des 36 photos indiquent le véritable endroit. Ces réponses donnent lieu à toutes sortes d’évocations : souvenirs, histoire de famille, petites anecdotes que les gens se mettent spontanément à raconter, comme s’ils ressentaient le besoin de peupler le vide devant eux. Leur récit est une façon de s’approprier ce décor où rien ne se passe.
En réalité, tout est téléguidé par la scénographie. Dans des photos de Depardon, finalement, il n’y a pas que les Français qui sont absents mais l’art de la photographie aussi. Et si vous avez plus de dix-huit ans, allez plutôt voir Larry Clark !
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
L’analogie s’impose d’elle-même : la gloire soudaine de Thilo Sarrazin, obscur politicien berlinois ayant pantouflé au directoire de la Bundesbank, rejoint celle de la défunte Oriana Fallaci, auteur du brûlot anti-islamique La Rage et l’orgueil qui fit scandale lors de sa publication en France, en 2002.
Le succès foudroyant de son livre, Deutschland schafft sich ab (« L’Allemagne s’autodétruit’)[1. Editions DVA.] a conféré une notoriété mondiale à un homme qui jouait un peu le rôle de Georges Frêche au pays d’Angela Merkel. Membre depuis sa jeunesse du Parti social-démocrate (SPD), ce rejeton d’une famille huguenote française émigrée en Allemagne a exercé pendant plusieurs années la fonction de sénateur (ministre) chargé des finances du Land de Berlin. Un poste pas commode, car la capitale de l’Allemagne est constamment au bord de la faillite en raison du peu d’empressement des autres Länder à contribuer aux dépenses induites par le rôle de capitale de la République fédérale. Berlinois jusqu’au bout des ongles, protestant jusqu’à la moelle, Thilo Sarrazin s’était fait une réputation de maverick au sein de son parti − et plus largement de la classe politique allemande − en proférant de petites phrases assassines contre les Rmistes de son pays, qu’il dénonçait comme des fainéants budgétivores, et en traitant de « trous du cul » des étudiants gauchistes qui avaient envahi son bureau.[access capability= »lire_inedits »]
Comme Fallaci, Sarrazin ne s’embarrasse pas de circonvolutions pour développer, dans son livre, la théorie selon laquelle l’afflux d’immigrés musulmans, essentiellement turcs, « appauvrit intellectuellement l’Allemagne » car, selon lui, la plupart d’entre eux ne disposent que d’un QI limité. De plus, affirme-t-il, « plus la classe sociale est basse, plus ses membres font d’enfants, et parmi ceux-ci des filles entchadorées dès l’enfance ». Le ton exaspéré est le même que celui de l’Italienne reprochant aux musulmans de se « multiplier comme des rats ».
Ce qui fait scandale, dans les deux cas, c’est que ces thèses soient défendues par des personnes pourvues d’un curriculum antifasciste en béton : Fallaci était à peine sortie de l’enfance qu’elle luttait, les armes à la main, contre Mussolini avec les partisans italiens, et Sarrazin est un élu de gauche depuis des lustres.
L’utopie multiculturelle des post-soixante-huitards repeints en Verts
En Allemagne, ce n’est pas la première fois qu’un pamphlet pointe la lâcheté des autorités allemandes face aux comportements ultra-communautaristes d’une partie des immigrés musulmans. Dans son livre Hurrah, wir kapitulieren ![2. Editions WJS.] (traduction inutile), le journaliste et essayiste Henryk Broder démolissait joyeusement l’utopie « multiculturelle » brandie par les post-soixante-huitards allemands repeints en Verts. Ce juif polonais émigré tout jeune en Allemagne est passé par la case gauchiste avant de rompre avec cette mouvance qui versait peu à peu dans un antisionisme exacerbé. Avec quelques amis ayant suivi le même parcours, il a fondé le site Die Achse des Guten (L’Axe du bien) dénoncé comme » bushiste » et « néo-cons » dans la presse de gauche et même dans les colonnes de la très conservatrice Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Même si ce livre a connu un relatif succès de librairie, son influence ne s’est pas exercée au-delà du public cultivé, alors que le pamphlet de Thilo Sarrazin fait un tabac dans toutes les couches de la population. Aujourd’hui, Broder prend la défense de Sarrazin : « Les réactions au livre de Sarrazin démontrent que les politiciens ont oublié que la démocratie ne vivait pas seulement avec des idées justes. Les idées justes font consensus et on a la paix. En revanche les idées fausses provoquent toujours un débat. Bien sûr, il existe aussi des idées fausses qui ne valent même pas la peine d’être contredites. Mais ce qu’écrit Sarrazin se situe à l’intérieur du spectre démocratique. Les tentatives de faire taire ou de discréditer Sarrazin ne provoqueront que l’émergence de nouveaux Sarrazin », écrit-il.
Soutenu par Bild Zeitung, quotidien populaire à grand tirage, ce dernier fait aujourd’hui figure de martyr de la liberté d’expression depuis qu’il a été poussé à démissionner de son poste doré (230 000 euros annuels) à la Bundesbank.
En dépit de ses excès et de ses généralisations abusives, le livre de Sarrazin lève la chape de plomb qui pesait sur ces sujets en Allemagne en raison de son passé. Le tabou de l’antisionisme avait été levé après la réunification. Les héritiers politiques des communistes de RDA, rebaptisés PDS (Parti du socialisme démocratique) démolissent systématiquement Israël comme le faisait, naguère, le SED d’Erich Honecker. Celui d’une critique de l’islamisme et de ses effets sur la société allemande est aujourd’hui en passe de l’être grâce à ce texte scandaleux, venu de là d’où on ne l’attendait pas.[/access]
L’Iran vient de mettre sur orbite un nouveau satellite: le Liban. On savait déjà que le pays du Cèdre constituait une base arrière de Téhéran, par Hezbollah interposé. En faisant le déplacement jusqu’à Beyrouth puis à Kana et à Bint Jebel, à moins de 4 km de la frontière avec Israël, Mahmoud Ahmadinejad remet en œuvre la stratégie de l’ayatollah Khomeiny : utiliser les populations chiites de la région comme le fer de lance de la révolution islamique. La volonté d’hégémonie régionale du président iranien n’est plus à démontrer ; l’axe Téhéran-Damas-Beyrouth change déjà la donne dans la région. Sans parler du rapprochement entre l’Iran et la Turquie qui a pris au dépourvu tant les Israéliens et les Américains qui ne l’avaient pas vu venir.
Le moment choisi par Ahmadinejad pour marquer son emprise sur le Liban, au grand dam de plusieurs membres de la classe dirigeante locale, n’est pas fortuit. Les Iraniens cherchent par tous les moyens à détourner l’attention de la communauté internationale du dossier nucléaire en créant de nouvelles zones de tensions.
Ahmadinejad est donc venu passer les troupes chiites en revue, leur remonter le moral en rabâchant que la fin de l’Etat juif était proche et s’assurer de la parfaite servilité du chef de la milice chiite Hassan Nasrallah. En 2006, celui-ci s’était fait tirer les oreilles par ses mentors: en sous-estimant la réplique israélienne à la pluie de roquettes lancées sur le nord du pays, celui-ci avait obligé l’Iran à reconstituer le stock d’armement du Hezbollah.
Depuis, Nasrallah vit dans un bunker souterrain à l’abri des satellites et des canons israéliens et ne s’exprime plus que sur grand écran panoramique. Ahmadinejad lui a signifié qu’il se devait d’obéir au doigt et à l’oeil à son parrain iranien. Le Hezbollah ne pourra donc déclencher une attaque contre l’ennemi sioniste qu’au moment voulu par l’Iran qui coïncidera probablement avec le paroxysme des pressions économiques internationales.
Autant dire que ce n’est plus qu’une question de temps. À en croire Les Echos, qui font état d’un rapport confidentiel adressé fin septembre à l’ayatollah Ali Khamenei, l’Iran pourrait s’effondrer économiquement dans un an, asphyxié par le blocus sur les denrées de première nécessité, secoué par des manifestations d’opposants, et paralysé par le rationnement de l’essence dont il importe un tiers de sa consommation.
Le 23 octobre, le régime cessera de subventionner l’essence et des denrées alimentaires, ce qui aura pour effet immédiat de faire bondir les prix, déjà inabordables pour un nombre grandissant d’Iraniens. Les Gardiens de la Révolution ont déjà fait savoir qu’ils ne tolèreraient aucune manifestation en réaction à ces mesures de crise.
Un autre dossier influence Téhéran, celui des pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens. La visite-éclair d’Ahmadinejad au Sud-Liban et l’agressivité de son discours anti-israélien traduisent aussi sa volonté d’apparaître comme un défenseur des musulmans, face aux Palestiniens modérés, à l’Arabie saoudite, à l’Egypte, alliés des Etats-Unis. Mais il s’agit surtout de détourner l’attention des Iraniens de ce qui les préoccupe au premier chef : la pauvreté grandissante, le chômage en hausse et la répression de toute expression démocratique.
Il y a quelques années, un président occidental et blanc avait fait un célèbre discours à Dakar pour expliquer que les Africains feraient bien de bouger leurs fesses noires et de « rentrer dans l’histoire ». Quand bien même il était étrange de voir ce président appeler un continent à « rentrer dans l’histoire » quand le sien, de continent, en sortait tranquillement pour s’oublier dans le présent perpétuel de la marchandise. On pouvait donc s’interroger sur les raisons de cette inappétence pour un destin historique de la part des hommes noirs.
On nous permettra d’émettre une hypothèse à l’occasion de journée mondiale de l’alimentation, organisée à Rome, par la FAO. Cette trentième édition indique que 21 des 30 pays en état d’urgence alimentaire (euphémisme pour dire «qui crèvent la dalle») se trouvent en Afrique. Rentrer dans l’histoire en mourant de faim, c’est toujours plus compliqué. Avec le ventre vide, on peut encore prendre des palais d’hiver mais il faut tout de même avoir un minimum de calories pour y arriver. Sinon, la FAO nous donne une bonne nouvelle. En 2010, avec seulement 925 millions d’êtres humains réduits à la famine, le capitalisme financiarisé n’a pas réédité son exploit de 2010 où il avait dépassé le milliard. Petite forme dans les salles des marchés, dites donc…
« Tout s’excuse ici-bas, hormis la maladresse. » Depuis ce vibrant cri de haine lancé en 1849 par Musset dans Louison, la situation faite en France aux personnes à adresse différente n’a, hélas, connu aucun progrès.
Il est vrai que la prise de conscience de la communauté des personnes à inadresse atypique est elle-même lente et difficile. La marche vers la fierté et l’affirmation des droits des maladroits est longue et semée d’embûches. Et nous autres maladroits ne savons, hélas, que trop bien que nous n’avons du reste pas même besoin d’obstacles pour trébucher. Les rares initiatives communautaires de personnes maladroites qui ont réussi jusque-là à aller très loin sans heurts ni glissades, nous le savons, étaient toutes parties, hélas, dans une mauvaise direction.[access capability= »lire_inedits »]
Forts de tous ces échecs, qui doivent être notre fierté et le signe précieux de notre singularité, nous n’avons pas le droit de baisser les bras (et ce d’autant moins que nous risquerions de blesser quelqu’un). Nous devons marcher fièrement et bras en l’air, en espérant que, cette fois, ce sera véritablement de l’avant. Depuis que les timides sont sortis du bois, les personnes à adresse alternative ne sont plus les mêmes. Galvanisés par la flamboyante lutte des timides, ils ont enfin pris conscience qu’ils avaient eux aussi droit aux droits et à la reconnaissance.
Les personnes à habileté insolite veulent à présent mettre un point d’arrêt – et sans déraper, s’ils le peuvent – aux innombrables discriminations dont ils sont l’objet, à commencer par toutes celles qui leur interdisent arbitrairement l’accès à un très grand nombre de métiers. Elles réclament à l’horizon de 2011 l’instauration d’un quota obligatoire de personnes à habileté insolite parmi les grutiers, les dentistes, les équilibristes, les chirurgiens, les relieurs, ainsi évidemment que dans les domaines de la restauration d’œuvres d’art, de la restauration humaine, de l’horlogerie, de l’orfèvrerie et des nanotechnologies.
Enfin, nous ne voyons pas au nom de quelle fantaisie ostracisante les personnes à adresse aléatoire devraient être maintenues à l’écart de la police et se voir éternellement refuser leur droit légitime au port d’armes à feu. Sur ce dernier point, il n’est pas difficile de reconnaître dans le refus obstiné de la société une manifestation aveuglante de la peur de la différence et de l’altérité souvent dérangeante des personnes à adresse glissante. Un grand pas sera franchi, également, lorsque l’Etat remboursera enfin systématiquement tous les objets cassés par les personnes à tactilité savonneuse.
Mais ce que la société française refuse de reconnaître, c’est que la maladresse est avant tout une danse, une danse libre et imprévisible, d’une enivrante beauté. Et cela, pourtant, chacun le sait déjà obscurément au fond de lui-même en entendant notre révolte : en entendant Buster qui tonne.[/access]
Nicolas Sarkozy sait ce qu’il fait en demandant à Jacques Attali des rapports sur la libération de la croissance. Jacques Attali fut en son temps conseiller du seul autre président de droite de la Cinquième, François Mitterrand. Le rapport Attali, le deuxième donc, ne prévoit pas encore le rétablissement de l’esclavage pour libérer la croissance mais il n’en est pas loin. C’est un plagiat (mais ça, la maison sait faire) des thèses ultralibérales de Milton Friedman revue par les Chicago Boys de Pinochet : déremboursement des médicaments, participation financière des malades de longue durée, poursuite de la politique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, gel des points d’indice, disparition de nombreuses prestations sociales. Tout ça limité à trois ans pour faire 75 milliards d’euros de coupes et désendetter le pays.
Un genre de période d’exception, d’état de siège, ou de loi martiale macroéconomique, si vous voulez… Le drame, pour Attali, c’est qu’il a les idées des économistes chiliens de 73 mais pas encore les chars qui vont avec.
La fin de semaine approchait. Quelques ondées sur le nord de l’Europe, un souvenir de soleil estival sur les côtes du sud, le fond de l’air restait frais. Tandis qu’octobre s’apprêtait à prendre sa revanche, vint le moment de passer à l’attaque : partant de Norvège et gagnant le cœur de tant d’âmes nobles, la bonne nouvelle commença à se répandre le vendredi 8 octobre. Elle avait pour nom Liu Xiaobo. Et c’était juste trop beau. Tout est bien, assura alors, dans chacun de ses éditoriaux, l’Infatigable Défenseur des Droits de l’Homme, avant de prendre un repos amplement mérité.
Nous vivons dans un monde certes perfectible mais qui possède déjà de beaux îlots d’humanité. Quelques récalcitrants, avec qui nous entretenons cependant les meilleurs relations qui soient, ont encore de la peine à comprendre ce que sont les droits et ce que sont les hommes, mais nous espérons qu’en aimant plus que tout leurs jouets, leurs pulls et leurs nems, ils finissent par entendre raison. L’Infatigable Défenseur des Droits de l’Homme est le dernier saint qui nous reste. Peu porté sur l’ascèse et l’effacement, il est vrai, il s’indigne sans jamais faiblir, et court de tribunes en parvis, reprenant tout juste haleine dans les salles de presse et les réseaux sociaux, ses ermitages. Qu’il blogue ou qu’il twitte, il n’a de cesse de réclamer ou d’acclamer, et lorsqu’il apprend que celui qu’il considère comme l’un des siens est en bonne position, il s’empresse (pétitions, ultimatums, lâchers de ballons rouges ou blancs, marches dignes).
Citoyen du monde, consommateur transnational et transgenre
Nous nous sommes contentés, il y a vingt ans, de frémir en découvrant ce jeune homme seul devant un char, mais lui a acheté le poster. Savoir que Liu Xiabo est en prison pour « subversion » nous interroge, mais cela le galvanise. Ainsi tout n’est-il pas joué ! Ainsi est-il encore possible d’être dissident (par procuration, bien sûr, mais qu’importe le flacon), et de transformer le cliquetis de clavier indigné en intimidants roulements de mécaniques. Nous nous contentons, en montrant nos fesses, en nous coiffant à l’envers ou en nous tatouant Non ! sur le cœur, de faire réagir les rois du système, mais lui, l’Infatigable, enrage d’être un prisonnier au milieu de gardiens indifférents. Quand nous gagnons au mieux un strapontin dans un panel pour nous insurger en direct, avant de nous faire amicalement raisonner, lui cloue courageusement au pilori ceux qui ne savent ni ce que sont les droits ni ce que sont les hommes. Nous espérons chaleureusement qu’un jour, tout le monde pourra écouter la musique qu’il souhaite avec le partenaire de jeu qu’il désire, mais lui se bat pour que plus rien, jamais, ne vienne s’interposer entre les hommes, et que tout un chacun accède enfin au salutaire statut de « citoyen du monde », consommateur transnational et transgenre, averti et débonnaire. D’ailleurs, Liu Xiaobo ne se contente pas de réclamer plus de démocratie, il veut aussi dénationaliser les services publics et laisser les promoteurs faire leur boulot ; pour cela aussi, pour son opposition à l’infâme patriotisme économique chinois, il doit être décoré (la sanctification n’aura lieu que dans un second temps).
Nous nous limitons à vouloir plus de McDo à Pékin, et plus de blogs Cuisine aussi, mais l’Infatigable défenseur des droits de l’homme voit plus loin : il voudrait que la Chine soit comme Hong-Kong, un pays enfin libéré. Allez faire comprendre cela à des tortionnaires !
You will meet a beautiful dark stranger commence et se termine par une citation de Shakespeare : « The world is a story told by an idiot, full of sound on fury, and signifying nothing ». Jusque-là, rien de très original dans l’oeuvre du pessimiste joyeux qu’est Woody Allen. L’histoire en question, pleine de bruit et de fureur, enchevêtre les trajectoires de plusieurs personnages: Sally (Naomi Watts) et son galeriste de patron (Antonio Banderas), son père (Antony Hopkins), sa mère (Gemma Jones) et son mari écrivain Roy (Josh Brolin). Derrière ces intrigues, qui en effet ne signifient rien, il y a une manière de variation inconséquente sur l’Ecclésiaste.
Mécènes charmeurs et blondes plantureuses
Rien de nouveau, en effet, sous les projecteurs. Toujours les mêmes maris inconstants, les mêmes épouses rêveuses, les mêmes écrivains d’un seul succès, les mêmes mécènes charmeurs, les mêmes blondes plantureuses au bras de vieux messieurs. Ces stéréotypes sont joués jusqu’au bout, les clichés pleinement assumés: le vieux marche au viagra, le mari regarde l’herbe plus verte dans la pelouse du voisin, le galeriste fait mugir sa voiture de millionnaire et la vieille mère anglaise croit aux sciences occultes. Rien de nouveau non plus dans le cinéma de Woody Allen. On retrouve les éternelles engueulades de couple qui ont fait la réputation de l’auteur d’Annie Hall et des dialogues qui tournent toujours autour des mêmes obsessions: le désir, la vieillesse, le destin, la mort.
Alors, où est l’intérêt de You will meet a beautiful dark stranger ? Nulle part, puisque la conséquence à ce « rien de nouveau » est que, quoique l’on fasse sous le soleil, quoiqu’il se passe à l’écran, tout n’est que vanité. En les mettant en regard, en les imbriquant les uns dans les autres, Woody Allen sait comme nul autre donner à tous ces destins une certaine gratuité. La vue d’ensemble sur toutes ces vies ne peut que se résoudre en un « signifying nothing ». Ne reste que le point de vue amusant du narrateur et le regard amusé du spectateur.
La moue de Naomi Watts
Pourtant, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que même sous le soleil de l’Ecclésiaste, la vanité est cette ombre qui crée un désir, et que ce désir est ce qui fait des personnages. C’est une évidence qu’a beaucoup célébrée le Woody Allen des années 2000, avec des films comme Match Point ou Le Rêve de Cassandre, où les aspirations sociales et le désir sexuel, questions de vie et de mort, se mêlaient jusque dans le crime.
Avec You will meet a beautiful dark stranger, la configuration n’est pas la même, mais il y a toujours cet espace du désir qui définit chaque personnage. Ainsi Roy qui regarde la fenêtre en vis-à-vis (Hitchcock, si tu nous entends) et ne pense plus qu’à sa guitariste aussi belle que lisse (Freida Pinto), ainsi Sally et ses sentiments inexprimés pour son boss, ainsi le père de Sally, prêt à se ruiner pour que lui soit présenté un reflet de jeunesse.
Un personnage ne se définit pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il voudrait être. On voit ce que fait Woody Allen du stéréotype de l’écrivain angoissé : de charmeur indolent et frivole, Roy va devenir un imposteur. Il réussira un roman, mais ce ne sera pas le sien. Comme si tout être humain ne se résumait au fond qu’à une fable personnelle. Le tableau peut sembler tragique, mais il prend un tour comique et émerveillé quand notre vieille Anglaise au destin torturé s’imagine avoir vécu, dans une autre vie, une romance avec celui qui n’a pourtant pas grand-chose d’un « bel et sombre inconnu ».
De ce jeu d’ombres et de désirs, on retiendra un détail particulièrement bien trouvé : la moue de Sally (sublime Naomi Watts) essayant des boucles d’oreille à 50 000 livres pour la femme de son patron.
Et c’est le propre de ce film parfaitement anecdotique (et probablement voulu comme tel par Woody Allen), que de n’être que prétexte à de tels moments de tension comique et sensuelle.
Je suis bien placé pour parler de Tony Curtis : j’ai été Danny Wilde pendant de nombreux mois à l’aube des années 1980. Le blouson court et les gants en simili cuir portés jusqu’en été me donnaient sans doute une allure étrange, mais le ridicule de mon accoutrement ne m’a jamais effleuré. Le séducteur tendre et retors qui donnait la réplique à Brett Sinclair (Roger Moore), dans Amicalement vôtre, était alors pour moi une sorte de mauvais génie délicieux, un Alcide sans gravité qui me corrompait doucement, me faisait croire à ma légèreté et à mon insouciance. C’est peu dire que je ne lui ai jamais complètement pardonné.
Tony Curtis a toutefois des circonstances atténuantes ; c’est justement grâce à son personnage de série télévisée que je suis entré en cinéphilie. Cherchant à retrouver sa fascinante désinvolture, je me mis en quête de quelques-uns de ses rôles comiques et le découvris dans les élégants navets de Richard Quine comme dans les farces enlevées de Blake Edwards. C’est là que le premier choc survint. Je compris rapidement que j’avais été avant tout séduit par les intonations ironiques et le timbre sautillant de Michel Roux, car la voix originale de Curtis, grave et presque monocorde, ne lui ressemblait décidément pas… Une voix d’ailleurs à la limite du désagréable, au point que celle-ci effraie Mia Farrow et perturbe le spectateur du Rosemary’ baby de Polanski. C’était un premier dessillement : il y en aurait d’autres.[access capability= »lire_inedits »]
Découvrant, au fil des années suivantes, sa filmographie chaotique, il m’apparut assez rapidement que ses choix se tournaient volontiers vers des personnages plus troubles qu’il n’y paraissait de prime abord, manipulateurs et ambivalents, joueurs avec la morale comme avec la vertu, qu’ils fussent travestis pour la bonne cause (Certains l’aiment chaud) ou corrompus sous le fard (Le Grand chantage). C’est d’ailleurs cette ambiguïté fondamentale, apanage des grands acteurs, qui constitue le ressort dramatique des beaux films de doute et de trahison que sont Trapèze ou Les Vikings. Une sorte de synthèse de son style se retrouve en quelque sorte dans l’amusant Roi des imposteurs, réalisé par Robert Mulligan en 1960, où il campe toute une série de personnages contradictoires avec une réjouissante amoralité.
L’étrangleur de Boston : un tournant
Et puis, il y eut la découverte de L’Etrangleur de Boston (Richard Fleischer, 1968), où il jouait le rôle du psychopathe bien avant que le fait de casser son image devînt le passage obligé de toute carrière hollywoodienne. Désormais, plus de plaisante ambivalence : juste le malaise insistant. Certes, d’autres rôles, plus tard, permirent à la noirceur de Mr Schwartz (son véritable patronyme hongrois) de continuer à se déployer, comme le gangster psychotique de Lepke (1975), remarquable thriller réalisé par le producteur Menahem Golan, pourtant bien peu inspiré par la suite, ou encore le vil sénateur McCarthy du déroutant film de Nicolas Roeg, Une Nuit de réflexion (1985), mais avec ce film-pivot, le cinéma enfin ne m’apparaissait plus uniquement comme la coexistence de saynètes aimablement variées, mais devenait cette longue coulée où le style épouse le propos.
En passant de Danny Wilde à l’étrangleur DeSalvo, du confortable découpage télévisuel à l’imprévisibilité du montage cinématographique (le film de Fleischer contient les plus beaux split-screens qu’il m’ait été donné de voir), je quittais le confort des fictions sans conséquence pour commencer à côtoyer l’incertitude des récits où, même si tout est faux − et surtout les diverses représentations du Vrai−, d’authentiques rencontres se nouent entre les images du monde transposé et celles que l’on garde de soi.
Quelques années plus tard, alors que je m’apprêtais définitivement à fétichiser le cinéma, c’est-à-dire à me laisser prendre à son vertige, ce fut à nouveau Tony Curtis, dont les rôles se délitaient dans d’invraisemblables nanars, qui m’en montra l’aspect le plus vain. Ainsi, grâce à un parcours d’acteur entre rôles extrêmement élaborés (le sens du mouvement chez Tony Curtis, la justesse de ses variations de rythme aussi bien dans le pas que la diction, sont largement sous-estimés) et caméos goguenards, le cinéma se révélait peu à peu comme à la fois dérisoire et lumineux, porteur d’un sens secret éparpillé dans la multitude des signes triviaux, emprise et participation inextricablement mêlées.
Tony Curtis est décédé le 29 septembre à l’époque des comédiens compassés et sérieux comme des papes ; il est évident qu’il ne laisse aucun héritier. Dans une scène de Certains l’aiment chaud, l’acteur, allongé de profil, a la jambe repliée tandis que Marilyn Monroe l’embrasse. Il expliqua plus tard que cette position (réclamée à Billy Wilder) lui permettait de dissimuler son érection à la caméra. Tony Curtis, c’était cela sans doute : la sensualité et la retenue également extrêmes, la maîtrise toujours plus ludique, un peu de poussière de Bronx et de Vieille Europe dans les signaux lumineux d’Hollywood ; de quoi désorienter pour longtemps les psychorigides comme les avachis.[/access]
Le mouvement contestataire qui ébranle la France depuis plusieurs semaines est en train de prendre un virage décisif. Après la large mobilisation des lycéens et collégiens cette semaine, on sent un frémissement social inattendu dans les écoles primaires et maternelles de France. Un tract syndical, qui est parvenu dans toutes les rédactions, le disait en ces termes : « Il fot ranversé Sarkozy kikoo lol ! Descendont dans les bacs à sable, les coures de récrés et les confiseurs poure fér enttendre no droit ! Vite fait ! La réforme dé retraite c pourri trop pas »
Le petit Kévin, 8 ans, scolarisé en CE2 au groupe scolaire René Goscinny de la Ferté-sous-Jouarre, qui est le leader de cette fronde enfantine a déclaré à l’AFP : « J’ai peut-être 8 ans mais je me sens concerné par la question des retraites. Avec les copains nous distribuons des tracts de mon papa qui est cheminot et qui a déjà trop travaillé dur à cause de la pénibilité ambiante ! »
La presse s’est vite enthousiasmée pour ce vaste élan de solidarité des culottes courtes pour leurs ainés syndicalistes chevronnés : Libé a titré « La fronde des bouts-de-chou » et l’Huma « La révoltes des totottes ». Une journaliste de France Info a même indiqué qu’un cortège de la CGT des 7-12 ans, est passé sous les fenêtres de la Crèche municipale Pierre Dac d’Ermont-Eaubonne en scandant : « Sarko t’es foutu, les mômes sont dans la rue ! Les bébés, avec nous ! Les bébés, avec nous ! Les bébés avec nous ! ».
Disons-le tout net : Nicolas Sarkozy n’est pas à l’abri, désormais, d’un camouflet des mouflets.
Le vide de l’esplanade de la Bibliothèque François Mitterrand est comme un avant-goût de celui que l’on retrouve dans les 36 photographies en couleur de Raymond Depardon exposées jusqu’au 9 janvier 2011 à la BNF sous le titre La France de Raymond Depardon.
Cela dit, on ne peut pas faire l’étonné. On était prévenu. Depardon l’a dit. C’est volontairement qu’il n’a pas photographié les gens. Il a ressenti « l’urgence de photographier la France », mais … sans les Français ! Les Français, il les a déjà faits s’explique-t-il. Quelle justification étrange ! Depardon semble enfermer les Français dans une catégorie limitée et fixe, insensible aux changements. Les Français seraient un sujet épuisable. Leurs mœurs n’évolueraient jamais. En photographier quelques-uns à un moment donné et dans un certain contexte reviendrait à les photographier tous. Les Français, un sujet bouclé ou un sujet trop polémique. Tirer le portrait des Français, l’exposition aurait, sans doute, pris des airs d’identité nationale, n’est-ce pas ?
Une France morte
Non, au moins avec la France qu’il photographie, cette France esseulée, reculée, vidée de ses habitants et donc finalement complètement anonyme, il ne prend pas de risque ni politique ni esthétique. La France de Depardon, ce n’est ni la France des villes ni la France des campagnes, c’est la France de l’entre deux, celle des ronds-points et des plates-bandes, celle des petits commerces et des bar-tabac, une France vétuste, une France morte. Pour les commentateurs admiratifs, c’est la France anti-cliché, (un comble pour un photographe !), la France authentique parce que c’est celle qu’on croît connaître mais qu’on ne voit jamais. Pourtant à regarder ces chalets qui se détachent des montagnes alpines sans âme qui vive, on a plus l’impression d’être devant une carte postale que devant une photographie.
Et puis tout de même, toutes ces boucheries, ces charcuteries, ces bistros, ces tabacs, ces salons de coiffure, que Depardon photographie, avec complaisance, dans les différentes régions qu’il traverse au volant de sa caravane, qu’est ce qu’ils disent de la France ?
« Ils révèlent notre patrimoine !» rétorquent certains, comme si la France se réduisait à ces petits commerces. Mais si Depardon voulait photographier une France muette, pourquoi avoir exclu la France des ruines médiévales et des jardins à la française, des châteaux et des églises, des vieilles rues et des places de village ? Où sont donc la France historique, la France artistique et la France moderne ? Nulle part. L’œil de Depardon ne raconte rien parce qu’il ne révèle rien.
A la recherche de l’espace vécu
Mais les mots du photographe disent, bien entendu, le contraire. Ses commentaires qui ornent les murs de l’exposition contredisent ses photos.
Depardon prétend photographier « l’espace public » qu’il définit, à juste titre, comme
« l’espace vécu ». Mais où est donc la vie dans ses photos ? L’espace public n’est-il pas cet espace qui ne peut exister que parce qu’il s’actualise dans l’apparition continue des gens qui agissent et parlent ensemble ?
Or, Depardon a photographié des lieux vidés de ses habitants, dont aucune atmosphère ne se dégage, dont aucune scène de vie n’anime le paysage et où aucune âme ne se dévoile. Ces lieux sont des non-lieux parce qu’aussi criardes que puissent être leurs couleurs, ces bars et autres commerces sont, en réalité, identiques et donc interchangeables.
Ces lieux ne disent absolument rien de la France, puisqu’en photographiant cette France sans visage, Depardon s’est privé de la vie quotidienne où, au sein du familier, surgissent des attitudes inattendues et des gestes insolites révélateurs de l’humeur du siècle.
Sans les vestiges qui témoignent du passé et sans la vie qui trésaille, le pouls de la France ne peut pas battre.
Pourtant, lors de son passage à l’émission de Ce soir ou jamais du lundi 4 octobre, Depardon a fini par avouer que ce qu’il trouvait beau en France, c’était une place de marché qui s’éveille au petit matin. Entièrement d’accord. Mais qu’est ce qui fait sa beauté si ce n’est cette vie qui se met en mouvement, cette vie qui est à fleur de peau, que l’on renifle à pleines narines et que l’on saisit à bras le corps ? Et dans ce formidable marché des couleurs et des odeurs, surgit sans prévenir une scène inattendue, cet « instant décisif », si cher à Cartier-Bresson, qui naît de la rencontre entre un angle de vue pertinent et une expression particulière.
Le marché aurait pu être un lieu propice pour capter l’esprit du temps à travers « son port, son regard et son sourire » comme Baudelaire dans le Peintre de la vie moderne, lorsqu’il définit les métamorphoses de la modernité fugitive et transitoire. Or, les marchés ne font pas partie des photographies de l’exposition de Depardon et sa France est finalement dépourvue d’époque. Les photographies de Depardon ne modifient pas notre vision du monde parce qu’elles n’apprennent pas à regarder mais à identifier. Dans cette exposition, l’art de révéler fait place à l’art de divertir.
Le jeu des devinettes…
Les spectateurs ne s’attardent pas devant les photos parce qu’ils ont le sentiment qu’un instant exceptionnel a été délivré de l’écoulement du temps. Ils s’attardent pour se prêter au jeu des devinettes. Les 36 photographies en couleurs exposées sur les murs d’une grande salle rectangulaire n’ont ni titre ni date. Et cet oubli est volontaire. Même si les spectateurs ont pris le catalogue qui renseigne sur le lieu où la photo a été prise, ils jouent le jeu. Ils s’amusent à essayer de deviner dans quelle région Depardon a pris telle ou telle photo. Il faut dire que le photographe a semé des indices, qui, d’ailleurs, se ressemblent tous.
D’après les plaques d’immatriculation, les panneaux d’indication, les titres des quotidiens régionaux, les publicités pour les animations locales et le type de pierre des maisons (pour l’indice le plus subtil), les spectateurs amusés tentent d’identifier le lieu, puis vont vérifier leurs réponses dans la pièce suivante, où les planches-contacts des 36 photos indiquent le véritable endroit. Ces réponses donnent lieu à toutes sortes d’évocations : souvenirs, histoire de famille, petites anecdotes que les gens se mettent spontanément à raconter, comme s’ils ressentaient le besoin de peupler le vide devant eux. Leur récit est une façon de s’approprier ce décor où rien ne se passe.
En réalité, tout est téléguidé par la scénographie. Dans des photos de Depardon, finalement, il n’y a pas que les Français qui sont absents mais l’art de la photographie aussi. Et si vous avez plus de dix-huit ans, allez plutôt voir Larry Clark !
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
Thilo Sarrazin alimente la polémique sur la place de l'islam en Allemagne.
L’analogie s’impose d’elle-même : la gloire soudaine de Thilo Sarrazin, obscur politicien berlinois ayant pantouflé au directoire de la Bundesbank, rejoint celle de la défunte Oriana Fallaci, auteur du brûlot anti-islamique La Rage et l’orgueil qui fit scandale lors de sa publication en France, en 2002.
Le succès foudroyant de son livre, Deutschland schafft sich ab (« L’Allemagne s’autodétruit’)[1. Editions DVA.] a conféré une notoriété mondiale à un homme qui jouait un peu le rôle de Georges Frêche au pays d’Angela Merkel. Membre depuis sa jeunesse du Parti social-démocrate (SPD), ce rejeton d’une famille huguenote française émigrée en Allemagne a exercé pendant plusieurs années la fonction de sénateur (ministre) chargé des finances du Land de Berlin. Un poste pas commode, car la capitale de l’Allemagne est constamment au bord de la faillite en raison du peu d’empressement des autres Länder à contribuer aux dépenses induites par le rôle de capitale de la République fédérale. Berlinois jusqu’au bout des ongles, protestant jusqu’à la moelle, Thilo Sarrazin s’était fait une réputation de maverick au sein de son parti − et plus largement de la classe politique allemande − en proférant de petites phrases assassines contre les Rmistes de son pays, qu’il dénonçait comme des fainéants budgétivores, et en traitant de « trous du cul » des étudiants gauchistes qui avaient envahi son bureau.[access capability= »lire_inedits »]
Comme Fallaci, Sarrazin ne s’embarrasse pas de circonvolutions pour développer, dans son livre, la théorie selon laquelle l’afflux d’immigrés musulmans, essentiellement turcs, « appauvrit intellectuellement l’Allemagne » car, selon lui, la plupart d’entre eux ne disposent que d’un QI limité. De plus, affirme-t-il, « plus la classe sociale est basse, plus ses membres font d’enfants, et parmi ceux-ci des filles entchadorées dès l’enfance ». Le ton exaspéré est le même que celui de l’Italienne reprochant aux musulmans de se « multiplier comme des rats ».
Ce qui fait scandale, dans les deux cas, c’est que ces thèses soient défendues par des personnes pourvues d’un curriculum antifasciste en béton : Fallaci était à peine sortie de l’enfance qu’elle luttait, les armes à la main, contre Mussolini avec les partisans italiens, et Sarrazin est un élu de gauche depuis des lustres.
L’utopie multiculturelle des post-soixante-huitards repeints en Verts
En Allemagne, ce n’est pas la première fois qu’un pamphlet pointe la lâcheté des autorités allemandes face aux comportements ultra-communautaristes d’une partie des immigrés musulmans. Dans son livre Hurrah, wir kapitulieren ![2. Editions WJS.] (traduction inutile), le journaliste et essayiste Henryk Broder démolissait joyeusement l’utopie « multiculturelle » brandie par les post-soixante-huitards allemands repeints en Verts. Ce juif polonais émigré tout jeune en Allemagne est passé par la case gauchiste avant de rompre avec cette mouvance qui versait peu à peu dans un antisionisme exacerbé. Avec quelques amis ayant suivi le même parcours, il a fondé le site Die Achse des Guten (L’Axe du bien) dénoncé comme » bushiste » et « néo-cons » dans la presse de gauche et même dans les colonnes de la très conservatrice Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Même si ce livre a connu un relatif succès de librairie, son influence ne s’est pas exercée au-delà du public cultivé, alors que le pamphlet de Thilo Sarrazin fait un tabac dans toutes les couches de la population. Aujourd’hui, Broder prend la défense de Sarrazin : « Les réactions au livre de Sarrazin démontrent que les politiciens ont oublié que la démocratie ne vivait pas seulement avec des idées justes. Les idées justes font consensus et on a la paix. En revanche les idées fausses provoquent toujours un débat. Bien sûr, il existe aussi des idées fausses qui ne valent même pas la peine d’être contredites. Mais ce qu’écrit Sarrazin se situe à l’intérieur du spectre démocratique. Les tentatives de faire taire ou de discréditer Sarrazin ne provoqueront que l’émergence de nouveaux Sarrazin », écrit-il.
Soutenu par Bild Zeitung, quotidien populaire à grand tirage, ce dernier fait aujourd’hui figure de martyr de la liberté d’expression depuis qu’il a été poussé à démissionner de son poste doré (230 000 euros annuels) à la Bundesbank.
En dépit de ses excès et de ses généralisations abusives, le livre de Sarrazin lève la chape de plomb qui pesait sur ces sujets en Allemagne en raison de son passé. Le tabou de l’antisionisme avait été levé après la réunification. Les héritiers politiques des communistes de RDA, rebaptisés PDS (Parti du socialisme démocratique) démolissent systématiquement Israël comme le faisait, naguère, le SED d’Erich Honecker. Celui d’une critique de l’islamisme et de ses effets sur la société allemande est aujourd’hui en passe de l’être grâce à ce texte scandaleux, venu de là d’où on ne l’attendait pas.[/access]