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Joffrin débusque deux nouveaux crypto-lepenistes : Taddeï et Todd

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Décontamination acte II. Laurent Joffrin poursuit sa croisade à la poursuite de ceux-qui-notabilisent-les-idées-du-Front-National, comprenez ceux-qui-ne-pensent-pas-comme-moi. Après une attaque en règle contre la cheffe de ces lieux, Philippe Cohen, Eric Zemmour et quelques autres confrères, le voici qui se saisit du « cas » Taddéï. Dans un billet finement titré « France 3 : c’est Le Pen ou jamais « , il dénonce sur le site de l’Obs, un « déferlement de clichés anti-musulmans. Une opération de propagande lepéniste. » Avec différents arguments : il critique le thème de l’émission (montée dans les sondages de Marine Le Pen et sentiment national), la conduite des débats et surtout le casting des invités. Paul Marie Coûteaux, William Goldnadel, Emmanuel Todd (très fatigué dixit Lolo puisque postulant « la mort de l’antiracisme et de « la pensée unique » démocrate et européenne » ) ou Alain-Gérard Slama, (l’éditorialiste du Figaro, qui seul a l’insigne honneur d’être sauvé par Lolo – pas du tout sûr qu’il s’en sente flatté). Bref, la liste des notabilasateurs crypto-lepenistes s’allonge, gageons qu’Emmanuel Todd lui garde un chien de sa chienne…

Toujours selon notre chroniqueur-lyncheur télé d’un jour, le plateau de Taddeï est d’ailleurs ouvertement frontiste puisque Taddéï a invité Christine Tasin dans l’émission : « Dame Tasin, organisatrice des apéros saucisson-pinard, se présentant ouvertement comme islamophobe », dit Joffrin. Oups, oups, oups. Là Laurent Joffrin a peut-être parlé un peu vite : le 2 mars dernier, Libération, sous le délicieux titre « Bouffeuse d’Islam » offrait son portrait de dernière page à la même « Dame Tasin » qu’il reproche à Frédéric Taddeï de médiatiser. Laurent Joffrin était alors encore à Libé, et au moins comme patron du journal a dû valider la commande d’un tel portrait quelques jours avant. Mais à l’époque l’opération décontamination n’avait pas commencé, sans doute.

Printemps arabe, merci qui ?

« Est-ce que les peuples du Moyen-Orient ne peuvent accéder à la liberté? Est-ce que des millions d’hommes, de femmes, d’enfants sont condamnés, au nom de l’histoire ou de la culture, à vivre sous le despotisme ? Seraient-ils les seuls à ne jamais connaître la liberté, à ne jamais exercer de choix ? Moi, je ne le crois pas. »

Question à 1000 euros : qui est l’auteur du discours ?
Allez, je vous mets sur la piste. L’auteur n’est pas un dirigeant européen soucieux de redorer le blason de son pays éclaboussé par l’aveuglement de sa diplomatie.[access capability= »lire_inedits »]

Il n’est pas non plus l’un de ces politiques qui passaient leurs vacances dans les palaces tunisiens et égyptiens, ni le président d’une association destinée à promouvoir l’amitié avec des peuples opprimés par un dictateur déchu ou en passe de l’être.

Il n’est certainement pas un intellectuel qui aurait subitement découvert sa sympathie pour les insurgés arabes et qui, taraudé par le remord, s’empresserait de partager son enthousiasme débordant pour mieux effacer le temps où il maudissait la libération de l’Irak par les forces armées du « Grand Satan » américain. Notez que je viens de vous lâcher un indice.

Oui, l’homme − deuxième indice − est américain ; mais attention, je précise : il n’appartient pas à la mouvance Obama, seule tolérée par les antiaméricains non déclarés d’aujourd’hui.
Cet Américain-là fut le plus détesté de tous les Américains, à l’image de McDonald’s, leader de la World Company et symbole de la malbouffe.

De même que ceux qui haïssent McDo continuent malgré tout à engloutir des hamburgers, ceux qui l’ont diabolisé hier apparaissent aujourd’hui comme ses plus fidèles héritiers. Seulement, ils l’ignorent ou refusent de l’admettre.

Si vous avez trouvé, peut-être êtes-vous déjà très énervé. Sinon, je vous le donne en mille : l’auteur de ce plaidoyer pour la libération des peuples arabes s’appelle George W. Bush, vous savez, ce cow-boy texan évangélique et belliqueux, au cerveau à peine plus gros qu’un bretzel entamé !

Souvenez-vous : cela se passait en 2004, au sommet du G8 de Sea Island. Bush et ses faucons firent adopter le « plan Grand Moyen-Orient » (GMO), qui visait à favoriser l’émergence de la démocratie dans les pays arabes. Oui, de la démocratie ! Et contrairement aux bêtises que proféraient les anti-bush haineux de l’époque, il ne s’agissait pas d’imposer la démocratie made in USA par une politique d’ingérence arrogante et impérialiste, mais de développer les forces démocratiques des sociétés civiles arabes par une stratégie d’assistance en moyens financiers, éducatifs et logistiques.

Et voilà que, sept ans plus tard, ce sont précisément les peuples concernés par le GMO qui se révoltent : les cartes concordent.

Quand on se rappelle les cris et protestations d’hier, il est très agaçant d’entendre aujourd’hui l’ensemble de la classe politique célébrer, sur un ton grave et cérémonieux, les révoltes démocratiques et rivaliser dans la bonne volonté pour contribuer à leur pérennité. Que disaient-ils, ces révolutionnaires de la vingt-cinquième heure, quand, dès 2003 , Bush le maudit, ignorant les diatribes et sarcasmes de la « communauté internationale » horrifiée par le wilsonisme guerrier d’une Amérique en croisade, martelait avec ferveur que les peuples arabes ont le droit, eux aussi, à la liberté ?

Que faisait la France en 2003 ? En visite officielle en Tunisie, le président de la République, Jacques Chirac, déclarait que « le premier des droits de l’homme, c’est de manger à sa faim » ! La liberté, c’est quoi : le supplément d’âme ?

Au moment où la Vieille Europe attentiste, immobile et complaisante, condamnait le Moyen-Orient à l’autocratie au prétexte que la stabilité des régimes tyranniques constituait un rempart au terrorisme, la révolution, outre-Atlantique, échauffait − sans doute excessivement, d’ailleurs, au regard des circonstances d’alors − les esprits des néo-conservateurs convaincus que la déstabilisation était préférable au statu quo et que seule la démocratisation du monde arabe couperait l’herbe sous le pied d’Al-Qaïda, favorisant à long terme la paix dans le monde.

Aussi dur que cela soit à avaler pour les professeurs de vertu qui ont toujours un train de retard sur l’Histoire, si la rue arabe bouge aujourd’hui, les Américains, et Bush au premier chef, y sont bien pour quelque chose. Et, n’en déplaise aux âmes pacifiques, peut-être même la greffe démocratique implantée en Irak et en Afghanistan par le fer et le feu finira-t-elle par prendre et par faire souffler le vent du changement qui réjouit la planète entière aujourd’hui, mais auquel seul les Américains croyaient hier. Alors, tant pis, je prends le risque de vous mettre très en colère pour saluer l’esprit visionnaire de l’Amérique, toujours porteuse du flambeau de la liberté pour les peuples du monde.[/access]

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Ferney sans Voltaire

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Les habitants de la commune de Ferney-Voltaire se sont réveillés samedi 12 janvier privés du buste en bronze du philosophe que cette ville s’honore d’avoir abrité comme citoyen. Située sur la place du marché, cette sculpture en bronze de quatre-vingt kilos a attiré l’attention des voleurs de métaux qui profitent de la hausse vertigineuse des cours des matières premières pour faire leurs courses dans le domaine public. Nous suggérons que la municipalité retourne à sa dénomination initiale, Ferney tout court, tant que les malfrats n’auront pas restitué cette statue à la collectivité qui en est la légitime propriétaire. Voler le cuivre des lignes électriques de la SNCF ne leur suffit pas, il leur faut encore réduire les Lumières à leur pesant d’alliage de cuivre et d’étain. Qu’on les pende !

C’est moi, la peste brune ?

Si j’étais de très mauvaise foi, j’annoncerais avec la solennité requise que Laurent Joffrin et Ariane Chemin, respectivement grand patron intermittent et exécuteure des basses œuvres du Nouvel Obs après avoir excellemment assumé cette lourde tâche au Monde sous la direction d’Edwy Plenel, sont en train, dans la grande tradition des années 1930, d’inventer un nouveau complot juif dans lequel le danger judéo-lepéniste aurait pris la place de l’hydre judéo-maçonnique. Dans la liste de suspects qu’ils dressent dans le dernier numéro de l’hebdomadaire, quatre noms reviennent en effet en bonne place: Alain Finkielkraut, Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, sans oublier « tel « républicain-national » qu’on trouve à Marianne »(quoique combattu par ses collègues), élégante formule pour désigner Philippe Cohen et exiger à mots à peine voilés une épuration à Marianne. Chacun, écrit Joffrin, a son style, « « brillant ou laborieux », d’ailleurs j’aimerais bien savoir à laquelle de ces deux catégories j’appartiens, mais tous sont juifs, étrange coïncidence, non ? Il est vrai qu’il y a aussi Ivan Rioufol, mais on ne me la fait pas à moi – « j’ai d’excellents ennemis goys », on connaît la chanson. Je pourrais me draper dans ma dignité de victime, appeler mes concitoyens à résister à la bête toujours immonde et toujours frétillante avant de publier dans une semaine ou deux un opuscule à succès – « Dérapage à l’Obs », lettres rouges, peut-être gothiques, sur fond noir, ça aurait de la gueule. Ce serait chouette, à défaut d’être bien honnête. Encore que je parviendrais sans doute à croire à mes propres âneries[1. Le pire, c’est que je n’ai pas trouvé cette brillante idée toute seule : un ami très cher m’a fait hurler de rire en me disant, le plus sérieusement du monde : « ça ressemble à une chasse aux juifs, non ? »].

Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Luc Mélenchon, merci !

Détendez-vous, ce cauchemar brun n’est qu’un rêve. Chemin et Joffrin ont beaucoup de défauts mais pas celui-là. Franchement ce n’est pas de leur faute si les agents actifs de la « décontamination de la pensée FN » sont presque tous juifs. Me voilà donc obligée de répondre, d’autant plus que les camarades Lienemann et Mélenchon qui ont volé au secours de l’ami Philippe Cohen (grâces leur soient rendues pour cela) n’ont pas jugé nécessaire de dire un mot sur les autres inculpés, lesquels n’ont pas le bonheur d’appartenir à la grande famille de la gauche. N’étant pas d’accord avec mes idées, ils ne se battront pas pour que je puisse les défendre et puis quoi encore ! Peut-être ces apôtres de la tolérance ont-ils fait leur l’amusante définition pêchée dans Libération sous la plume de Pierre Marcelle : ce qui « fonde la droite », chers amis, c’est « la progression de l’inhumanité marchande », au moins, on ne se plaindra plus de la disparition du grand clivage[2. Marcelle qui a au moins le mérite de la cohérence sur ce point affirme qu’il aurait fallu interdire le FN. Mais il ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. C’est la droite qu’il faut interdire]. Tout s’explique : tout occupés que nous étions à faire progresser l’inhumanité marchande pour assouvir notre cupidité et celle des « brigands-actionnaires », nous n’avons pas hésité à cachériser les pensées les plus nauséabondes, ceci, toujours selon Joffrin, en « occupant sans relâche studios de télévision et colonnes de journaux pour clamer qu’on nous empêche de parler et jeter à tout va les clichés de la droite conservatrice ou nationaliste. »

Je ne me permettrais pas de donner des leçons de journalisme à quelqu’un d’aussi titré dans la discipline que Laurent Joffrin, mais j’ai bien dû déclarer publiquement une trentaine de fois au cours des six derniers mois qu’il serait absurde de « nous » (en supposant que « nous » il y ait ailleurs que dans leur tête à « eux ») prétendre victimes d’une quelconque censure. C’est même pour moi un sujet d’interrogation récurrent: si on peut avoir l’impression que l’étau idéologique se resserre et que, traduit dans le langage des bistrots, « on ne peut plus rien dire », il faut bien reconnaître que les salauds – attention, au sens sartrien du terme – jusque-là simplement dénoncés comme « réacs » peuvent abondamment s’exprimer, beaucoup trop d’ailleurs aux yeux de certains qui répètent en boucle « ils se disent muselés et on n’entend qu’eux ». Je comprends que Joffrin qui doit porter sur ses seules épaules l’avenir de la presse de gauche et de la gauche tout court n’ait pas le temps de se pencher sur ce que les uns et les autres disent réellement. Mais compte tenu de notre omniprésence médiatique, il aurait pu s’apercevoir qu’aucun de ceux qu’il épingle ne se prétend censuré – ce qui serait effectivement cocasse. Depuis l’époque où j’ai publié Les maîtres censeurs, le débat public s’est à la fois ouvert et fermé. Il me semble plutôt qu’au terme de cette évolution paradoxale, la liberté l’emporte : Zemmour est condamné mais il travaille dans plusieurs médias et non des moindres. Et les attaques de mes chers confrères n’empêcheront évidemment ni Causeur ni moi-même de poursuivre leur route et leur réflexion[3. Du reste, concernant ma modeste personne, je ne jurerais pas que ce soit leur objectif, même si à l’évidence ils attentent à mon honneur professionnel]. Tout cela mériterait plus ample discussion mais ce sera pour une autre fois. En attendant, que Laurent se rassure[4. Je sais bien qu’il ne faut pas appeler Madame Le Pen Marine. Mais pour ne citer qu’un exemple, il est apparemment normal que Bernard Guetta, Alain Juppé et Michel Rocard se donnent, dans leur dernier livre, du Bernard, Alain et Michel à tour de bras ; j’espère avoir le droit d’appeler Joffrin Laurent puisque, quand nous nous rencontrons dans la vraie vie, c’est ce que je fais], je ne suis pas en train de « chercher censure à mon pied » – vous aurez reconnu la plume assassine de Muray.

Causeur, « puissant relais d’influence »

Vous me connaissez, j’aime assez, trop peut-être, l’odeur de la poudre. Mercredi après-midi, quand Philippe Cohen m’a envoyé les articles de L’Obs, j’avoue avoir d’abord pensé que la guerre recommençait et qu’on allait bien s’amuser. Et puis, après lecture attentive, mon excitation est un peu retombée. Tout cela était tellement réchauffé que je me suis sentie écrasée par le poids de la répétition. On dirait en effet que Chemin et Joffrin ont ressorti de vieux articles des tiroirs où ils prenaient la poussière avec les banderoles de la « quinzaine anti Le Pen » – lesquelles pourront sans doute reprendre du service itou pour peu que mes honorables confrères ne dévient pas de leur excellente ligne qui a réussi à amener Le Pen père à 20 % et au deuxième tour de la présidentielle. Sauf que moi, ce débat qui tourne en rond finit par me lasser.

Il est vrai qu’il arrive à L’Obs de varier les plaisirs. Depuis quelques années – et de mémoire – il a aussi proclamé en « une » avec grands roulements de tambour que les intellos viraient à droite et annoncé à plusieurs reprises et sous diverses formes le grand retour des nouveaux réacs qui finissent par n’être plus très nouveaux. Il me semble cependant que ça faisait un moment qu’il n’avait pas brandi aussi ouvertement l’étendard de la crypto-lepénisation. Mais enfin, c’est à peu près toujours la même histoire. La République est en danger, menace généralement incarnée par le spectre du vote lepéniste. Il s’agit donc de désigner les vrais coupables qui sont soit les idiots utiles, soit les agents actifs de l’extrême droite, d’où le goût de l’hebdomadaire pour les listes. Je précise que c’est la première fois que j’ai l’honneur de figurer dans le peloton de tête, étant désormais, avec Causeur, un « puissant relais d’influence ». Soyons honnêtes, Joffrin ne s’en tient pas là et reconnaît que la gauche, ayant abandonné le peuple, porte une lourde part de responsabilité dans le succès de Marine Le Pen.

Quant à Ariane Chemin, il faut reconnaître qu’elle n’a pas perdu le fil (d’accord, c’est un peu facile), depuis l’époque où elle était chargée par les patrons du Monde d’exécuter la toute jeune Fondation Marc Bloch où nous avions commis le crime, Cohen et moi, de rassembler des « Républicains des deux rives ». Non contents de croire qu’il fallait abattre le mur de Berlin de la politique française – ce que nous échouâmes d’ailleurs à faire lors de la campagne Chevènement -, nous étions plutôt anti-européens et prétendions qu’il était absurde et suicidaire d’abandonner la nation au Front national. Autant dire que notre dossier était chargé. Depuis, le mien s’est alourdi car après avoir avoué que je n’étais plus de gauche, j’en suis arrivée à penser que les « questions identitaires » comptaient autant dans les fractures qui minent la France que le chômage et la question sociale – contrairement d’ailleurs à mes amis Philippe Cohen…et Jérôme Leroy.

Les « monstres » de Jean-François Kahn

Ariane s’y colla donc gentiment et balança le missile qui était supposé nous laisser sur le tapis en nous qualifiant de « nationaux-républicains », injure dont nous décidâmes, grâce au talent de Régis Debray, de faire notre nom. Elle a de la chance, Ariane, elle pense toujours comme ses chefs, ce qui lui évite d’avoir avec eux les conflits qui m’ont parfois opposée aux miens. Aussi, quand Jean-François Kahn, auprès de qui j’ai beaucoup appris, notamment le plaisir qu’il y a à essayer de penser par soi-même, se désole de découvrir que je ne pense plus comme lui, ayant « basculé dans le discours réactionnaire le plus convenu, le plus éculé et le plus systématique »[5. J’en profite pour adresser une protestation à JFK : « systématique » admettons, « éculé » passe encore, mais « convenu », c’est assez vexant], notre journaliste de combat en déduit que JFK a créé des « monstres ». En clair, ayant eu le privilège d’avoir été formée par un monstre sacré du journalisme (je suis sincère, c’est vraiment une chance) j’aurais dû rester sa créature docile. Je plaide coupable d’individualisme forcené, puisque je prétends avoir un cerveau, qui, bien que moins performant que celui de mes accusateurs, m’appartient en propre. J’ajoute que je n’ai pas bien compris l’enseignement de JFK, en ayant déduit qu’on pouvait être en désaccord sans se balancer les noms d’oiseaux pêchés dans le lexique antifasciste.

Mais je m’égare. J’en reviens donc au fil rouge – encore que brun serait plus approprié – qui guide la pensée de la tenace Ariane. C’était couru, on commence par défendre la nation et on finit par écrire qu’on ne « trouve pas raciste ou « moralement scandaleux » la proposition frontiste de « distinguer entre Français et étrangers, proposant de réserver certains droits aux premiers ». On me pardonnera de pousser la coquetterie jusqu’à restituer la citation exacte, extraite d’un article publié en décembre : « MLP ne distingue pas les Français en fonction de leur race, elle distingue entre les Français et les étrangers, proposant de réserver certains droits aux Français. On peut être hostile à cette idée, elle n’est pas moralement scandaleuse. » Si je comprends bien, Ariane Chemin estime au contraire que cette distinction entre ressortissants et non-ressortissants est parfaitement scandaleuse. L’ennui, c’est qu’elle est centrale dans tous les systèmes juridiques nationaux qui réservent effectivement certains droits, à commencer par celui de voter, aux détenteurs de la nationalité[6. La définition des droits réservés aux nationaux est évidemment susceptible de discussions et d’évolution. Ainsi, concernant le droit de vote des étrangers lors des scrutins locaux, ma religion n’est pas faite]. J’imagine qu’Ariane Chemin milite pour que l’humanité entière élise le président de la République française, que la gauche de tous les pays s’unisse pour choisir, lors d’une primaire vraiment très ouverte, le candidat du PS. Et tant qu’à faire pour la disparition des frontières. En attendant cet avenir radieux, je l’invite à troquer son infâmant passeport français qui lui vaut d’odieux privilèges, contre celui de son choix.

Au-delà de la délation, une vraie querelle

Au risque de la décevoir puisqu’il parait que « jeune, j’avais déjà réponse à tout », je dois confesser qu’il m’arrive d’avoir des doutes voire de me demander si mes adversaires n’ont pas en partie raison. Je vais donc tenter de résumer le fond de la querelle qui mérite mieux que ces sempiternels exercices de délation.

Contrairement à mes accusateurs, je ne crois pas que Marine Le Pen soit le clone de son père. Je peux me tromper – ce n’est pas une clause de style. N’étant pas l’analyste de « la peste blonde »[7. Bien entendu, je ne sais absolument pas si elle pratique ou non le divan] et n’ayant pas de talent particulier pour deviner ce que pensent les gens, quelle que soit leur ascendance, dans leur petto, je considère que les discours sont des actes politiques en eux-mêmes. Quand Marine Le Pen, devant le congrès de son parti, prononce un discours où les références traditionnelles de l’extrême droite ont cédé la place à l’invocation de la République, peut-être n’en croit-elle pas un mot. Reste qu’elle a pris le risque de s’aliéner la vieille garde – qui d’ailleurs faisait franchement la gueule. Quand elle affirme que « le nazisme est la plus grande barbarie de tous les temps », il est possible qu’elle cherche à cacher son antisémitisme viscéral. Ce propos n’en constitue pas moins une rupture. J’ignore si elle réussira, à l’image d’un Gianfranco Fini, à mener la révolution culturelle qu’elle annonce mais je ne vois pas, en dehors de son patronyme, ce qui autorise la cohorte des commentateurs avisés de décréter que ce qu’elle dit n’a aucun poids. Pour autant, il ne s’agit pas de faire de l’angélisme à l’envers. « Sans doute y a-t-il encore au FN des gens qui confondent le refus des pratiques et le rejet des individus, l’assimilation et l’exclusion », écrivais-je par exemple dans le numéro 31 de Causeur – bizarrement, cela n’a pas retenu l’attention d’Ariane Chemin.

Diabolisation, cordon sanitaire et fariboles antifascistes

Il est donc vrai que la progression annoncée du Front national ne m’empêche pas de dormir parce que je ne pense pas qu’elle traduise une montée de l’intolérance. Cela dit, elle n’est pas non plus une bonne nouvelle dans la mesure où ce parti me semble parfaitement incapable de gouverner la France. En revanche, je suis convaincue que la diabolisation, le cordon sanitaire et autres fariboles antifascistes ont largement contribué à son ascension. Surtout, à la différence de Laurent Joffrin et de pas mal de monde, y compris à l’UMP, je ne crois pas que c’est en abordant les questions qui fâchent qu’on l’a fait passer de 12% à 20 % des intentions de vote, mais, au contraire, en poussant des cris hystériques pour qu’on ne les aborde pas, ce qui revient, selon l’expression d’Alain Finkielkraut, « à faire cadeau du réel au Front national ».

J’aimerais au passage qu’on m’explique pourquoi les angoisses exprimées par un certain nombre de nos concitoyens ne suscitent jamais la compassion et toujours la réprobation. Il est de bon ton d’affirmer, en ricanant ou en s’indignant, que le FN surfe sur la peur. Mais on ne se demande jamais si cette peur est, ne serait-ce qu’en partie, justifiée par la réalité. Etes-vous si sûrs, chers confrères, que ceux qu’inquiète la progression d’un islam identitaire ne manifestant pas aussi clairement que vous semblez le penser sa tolérance et son amour des autres cultures, ne sont que de petits blancs racistes qui ne méritent que des coups de pieds aux fesses et des leçons de morale ? Pourriez-vous jurer que l’immigration des trois dernières décennies n’a été qu’une chance pour la France ? Etes-vous prêts à affirmer publiquement que vous n’avez-vous-même jamais peur quand, dans un couloir du métro désert, vous vous trouvez nez à nez avec une « bande ethnique » ? Inscririez-vous vos enfants dans une école dont une partie des élèves – et des parents – refusent qu’on leur enseigne l’histoire de la seconde guerre mondiale ? Pouvez-vous sérieusement prétendre que, des Pays Bas à l’Allemagne, de la Suisse à l’Angleterre, les peuples européens sont devenus fous au point de céder à des craintes irraisonnées ? Oserez-vous de dire que depuis mon enfance très multiethnique à Epinay sur Seine, rien n’a changé ou plutôt, que si quelque chose a changé, c’est parce que nous avons collectivement cédé aux sirènes du lepénisme, discriminant à tour de bras ceux qui ne pratiquent pas la même religion que nous ? Ne voyez-vous pas, vraiment, ce qu’il y a d’indécent dans la comparaison que vous faites volontiers entre les musulmans d’aujourd’hui et les juifs d’hier ? Permettez-moi simplement de vous rappeler qu’on déniait aux seconds la possibilité d’être vraiment français alors qu’on aimerait seulement que les premiers le soient un peu plus.

Peut-on avoir d’autres idées que les vôtres sans être un salaud ou un idiot ?

Vous êtes convaincus que tout ça, c’est la faute au chômage. Je crois pour ma part, comme Hugues Lagrange, que les facteurs culturels jouent un rôle important dans la crise, sinon dans l’échec, de l’intégration d’une partie des Français issus d’une immigration récente. L’universalisme qui est au cœur de notre identité nationale nous a rendus incapables de penser les différences et plus encore d’admettre que nous ne pouvions pas vivre avec toutes les différences. Pour moi, si nous devons accepter tous les individus, nous avons le droit et même le devoir de refuser certaines pratiques parce que notre mode de vie, notre façon d’habiter le monde, les modalités qui nous permettent de concilier l’existence collective et la liberté de chacun, méritent d’être défendus. Peut-être ai-je tort de penser que tout cela est menacé par notre renoncement au modèle assimilationniste, par le délitement de l’école républicaine et aussi par le refus d’une minorité, qui prétend de surcroît, l’imposer à toute une « communauté » d’adopter la culture et les « mœurs » de son pays d’accueil. Cela fait-il de moi une « brouilleuse de repères », un « agent de notabilisation » (du lepénisme), comme l’affirme aimablement Ariane Chemin ? Vous est-il arrivé, au cours des vingt dernières années, de penser, ne serait-ce que pendant une minute, juste pour voir, que vous pouviez vous tromper ?
Contrairement à vous, je n’ai pas de certitudes. Il m’arrive souvent de me dire que j’accorde peut-être un poids excessif à ces problèmes qui taraudent une partie de la société. J’essaie, aussi honnêtement que possible, de me demander s’il n’entre pas dans mes convictions une part de préjugés, voire de xénophobie.

Il me semble en tout cas que ces questions mériteraient un véritable débat plutôt que les anathèmes que vous vous plaisez à lancer. Je n’attends pas de vous que vous tombiez d’accord avec moi. Est-ce trop vous demander, à vous qui faites profession de tolérance et qui affichez si volontiers votre amour des différences, d’envisager qu’on puisse avoir d’autres idées que les vôtres sans être pour autant un salaud ou un idiot, utile ou non ? Vous qui aimez tant l’humanité dans sa diversité, seriez-vous incapable de créditer votre adversaire d’une conscience, voire d’un peu d’intelligence ? Je me refuse à le croire. Car si c’était le cas, vous ne seriez pas responsables de la montée du Front national mais de la défaite de la pensée. C’est-à-dire de notre défaite à tous.

Lettre ouverte aux Marseillais

Chers tous,

Il y a environ 2600 ans, des Grecs venus de Phocée débarquèrent sur les rives du Lacydon et y fondèrent un comptoir commercial. Une cinquantaine d’années plus tard[1. Probablement sur le site de l’actuelle gare St Charles], les Phocéens qui fuyaient l’invasion des perses de Cyrus II vinrent se réfugier dans leur colonie et, de simple relais commercial, Marseille devint une ville.

Marseille c’est la métropole – la cité-mère –d’Agde, d’Antibes, de Hyère, de Nice et d’Aléria, c’est l’alliée de Rome et la concurrente de Carthage, la première ville de France et l’un des plus importants ports antiques de Méditerranée occidentale. C’est aussi la ville d’Euthymènes qui explora les côtes africaines au-delà des colonnes d’Hercule et celle de Pythéas qui remonta jusqu’au Groenland et s’approcha du cercle polaire. Marseille c’est encore la ville par laquelle la vigne[2. Strabon, Géographie, Livre IV, 1, 5], la religion chrétienne et l’écriture sont arrivées en Gaulle ; c’est de cette même ville que Strabon disait qu’« il n’y en a pas dont les lois soient meilleures »[3. Construit par Louis XIV, ses cannons sont pointés vers la ville].

Notre ville ce sont des siècles d’histoire au cours desquels elle a prospéré de son commerce, de son ouverture sur le monde et de l’esprit d’entreprise des Marseillais. Elle a survécu à César, aux Wisigoths, aux Ostrogoth, aux Francs, aux Sarrasins, aux Vikings, aux Catalans, à la peste, à Charles Quint et aux nazis. Cette ville fière et rebelle, jalouse de son indépendance, rien n’avait jamais réussi à la réduire au silence.

Qu’avons-nous fait de notre ville ?

Là où les canons du fort Saint-Nicolas[4. Tout de même : la ligne maritime la plus courte du monde !] ont échoué à nous mater, l’Etat centralisateur a fini par nous réduire à une dépendance honteuse. Là où, pendant plus de deux millénaires, Marseille fut cet extraordinaire creuset où tout les peuples de la Méditerranée vivaient en bonne intelligence, les grands ensembles des quartiers nord et les « politiques sociales » de l’Etat ont réussi à nous diviser comme nous ne l’avons jamais été. Là où le gouvernement de la cité faisait l’admiration de Strabon, nous avons laissé proliférer une classe politique corrompue qui chaque jour nous ridiculise aux yeux de ceux qui savent encore que Marseille existe. Là, enfin, où notre ville est née – le port – nous avons laissé s’installer des organisations mafieuses qui chaque année réduisent un peu plus à néant l’instrument de notre prospérité pendant des siècles. Il est inutile que je vous donne des noms, des chiffres et des faits : vous les connaissez tous, et mieux que la Cour des comptes.

Aujourd’hui, on veut nous vendre un « forum mondial de l’eau », « Marseille-Provence capitale européenne de la culture » et – encore ! – du football avec l’Euro 2016. C’est ça Marseille ? Une ville subventionnée ? Une ville qui n’a rien d’autre à espérer de l’avenir que les emplois public des chantiers d’Euromed et des allocations-chômage ? Nous en sommes donc là ?

Il y avait, quand j’étais gamin un T-shirt proclamant : « il y a deux sortes de gens au monde : les Marseillais et ceux qui rêvent de l’être ». J’appartiens à cette première catégorie et j’y appartiendrai toujours. Nom de Dieu ! J’aime cette ville ! J’y suis né, j’y ai grandi et je ne l’ai quitté, la mort dans l’âme, que pour trouver un job décent. J’aime Marseille. J’aime ses quartiers du cours Julien à Endoume en passant par la Pointe rouge, j’aime ses calanques, la grande bleue, le mistral, les navettes de Saint-Victor, la Bonne Mère et jusqu’au nouveau « Féri-Bôate » mais surtout et par-dessus tout, j’aime les Marseillais. J’aime les Marseillais parce qu’ils ont en eux cette gentillesse naturelle qui laisse croire aux Parisiens qu’ils sont « superficiels ». Je les aime parce malgré leurs grandes gueules et leurs fanfaronnades, ils s’écartent encore pour laisser passer les poussettes et aident les aveugles à traverser les rues. Et je les aime, enfin, parce que pour peu qu’on les laisse faire, ils sont capables de tout et en particulier du meilleur.

Alors je ne sais pas pour vous mais moi, voir Marseille dans cet état, ça me met en rage. Je ne supporte plus les dockers et les grutiers du port, les taxis, les éboueurs, les petits réseaux et cette caste politique qui a érigé la corruption et le clientélisme en art de vivre. Je ne peux plus souffrir de voir nos minos obligés de choisir entre quitter leur ville ou pointer à Pôle Emploi en ne vivant plus qu’au travers de l’OM. Réveillons-nous ! La mondialisation ? C’est nous qui l’avons pratiquement inventée et pour une ville comme Marseille, c’est une bénédiction. Récupérons notre port, débarrassons-nous des politiciens corrompus et reprenons notre destin en main. Marseille n’est rien sans les Marseillais ; la sauver du déclin, c’est à nous de le faire et à personne d’autre.

Nouvelle formule de Causeur.fr, c’est parti !

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Comme cela avait été annoncé à nos abonnés depuis un petit moment, Causeur.fr fait enfin sa mue !
Ce nouveau Causeur.fr – qui suit de peu la nouvelle maquette de Causeur magazine – entend à la fois mieux satisfaire nos internautes et privilégier les abonnés dont le nombre ne cesse de croître.

Si le site demeure dans une certaine continuité en termes de présentation, les nouveautés apportées vous permettront de mieux profiter de l’ensemble de nos contenus.

Ainsi, la page d’accueil met en avant un plus grand nombre d’entrées, articles ou brèves. Nos deux blogs phares, Antidote (David Desgouilles) et Asile de Blog (Basile de Koch), y sont également mis en avant et d’autres blogueurs de talent nous rejoindront dans les mois à venir.

Les pages articles voient l’apparition d’icônes de partage (e-mail et réseaux sociaux) pour faire découvrir à vos proches plus facilement les articles que vous appréciez et affichent par défaut les commentaires, lesquels seront désormais réservés aux seuls abonnés.

Comme vous le verrez, une des questions décisives auxquelles nous nous sommes attaqués de front est la celle des commentaires. Vous le savez aussi bien que nous : certains fils sont devenus insupportables. Au delà des différences d’opinions – que nous encourageons – certains commentateurs ont choisi la provocation gratuite et l‘insulte; c’est dommage et décevant mais c’est ainsi et il était de notre responsabilité de percer vite et bien cet abcès. En conséquence, nous avons décidé de trancher dans le vif et de permettre à nos seuls abonnés – donc des personnes dont on connaît la véritable identité et les coordonnées – de participer activement aux débats en laissant des commentaires (que tout le monde pourrait lire).

Ceux-ci bénéficieront en outre, d’une nouvelle interface de gestion de leur compte et pourront également consulter en version numérique toute la collection de Causeur magazine depuis 2008.
Les changements éditoriaux s’accompagnent également d’innovations commerciales puisque de nouvelles formules d’abonnement ou d’achat de contenus vous sont désormais proposées.

Ainsi, comme certains d’entre vous en avaient exprimé le souhait – notamment dans les questionnaires que nous leur avons adressés-, nous proposons désormais des formules 100% numériques, en abonnement d’un an (29,90 €) ou sous forme de « pack » de 20 articles (9 ,90 €).

Une nouvelle offre « Découverte » pour essayer Causeur magazine à prix réduit (deux numéros papier) sera également proposée (6,90 €).

Ces nouvelles offres sont lancées à prix promotionnel jusqu’à fin mars. Les abonnements classiques verront leur prix également maintenu jusqu’à la fin du mois -en dépit de l’augmentation de pagination du magazine intervenue ce mois-ci- avant d’être revus à la hausse à partir d’avril. Profitez-en donc pour franchir le pas et vous abonner… ou pour vous réabonner !

Ce nouveau site – en version Béta – est en phase de rodage. N’hésitez donc pas à nous écrire à causeur2@causeur.fr – adresse spécialement créée pour accompagner la mise en ligne – pour nous signaler tout dysfonctionnement ou piste d’amélioration.

L’aventure continue donc et nous espérons vous proposer plus d’originalité, de pertinence (et d’impertinence) et surtout vous donner cette chose qu’on ne trouve nulle par ailleurs… l’esprit Causeur.

Tu veux ou tu veux pas ?


C’est le dernier épisode du soap socialiste, dont la conclusion est théoriquement attendue en octobre, au sortir de la primaire. Dimanche, après la diffusion d’un documentaire mi-ébloui, mi-hagiographique sur Canal Plus, les experts en silences, en quarts de ton et en demi-phrases de DSK ont tranché : il « a pris sa décision. » N’attendez pas qu’on vous dise laquelle. Non, il s’agit de ménager le suspense, pour qu’il colle pile au calendrier socialiste et puisse rentrer à peu près dans l’agenda fourni par le FMI, l’actuel employeur du sauveur de la gauche.

La scène qui permet aux augures de trancher en faveur de l’appétence de DSK pour cette présidentielle se résume à un dialogue entre le patron du FMI et –excusez du peu- Bill Clinton, croisé à Yalta, à qui le Français demande « Should I stay or should I go ? » ( C’est le titre du plus grand tube des Clash, qu’on peut traduire par « J’y vais ou j’y vais pas ? »). Evidemment, Bill l’incite à foncer. Or poser la question, comme on disait autrefois, c’est déjà y répondre. Pourtant, ces derniers jours une rumeur insistante courait : certes DSK a décidé « d’y aller », mais pas à n’importe quel prix. Il ne demande rien moins que l’annulation pure et simple des primaires ouvertes – à l’américaine -, et leur remplacement par un mode de désignation plus traditionnel. Par acclamations du peuple de gauche, disons.

Revenons en arrière : il y a à peine une semaine, deux sondages plaçaient Marine le Pen en tête du premier tour de la présidentielle. DSK y apparaissait comme le meilleur candidat pour affronter la nouvelle patronne du FN et cela dès le premier round présidentiel. À en croire les sondages, il offrirait la meilleure résistance au tsunami frontiste, tout en distançant le plus nettement Nicolas Sarkozy. Performances auxquelles ne parviendraient pas Martine Aubry ou François Hollande et encore moins Ségolène, qui à défaut de conserver ses chances conserve néanmoins le droit d’être appelée par son prénom.

Immédiatement, les DSK boys sont montés au front, de Jean-Marie le Guen, dénonçant la cacophonie des primaires, à Pierre Moscovici se demandant ouvertement s’il ne fallait pas tout annuler (avant de modérer ses propos). Sans oublier ceux qui glissent sur le ton de la confidence que François Hollande se montrerait raisonnable en abandonnant l’aventure illico presto… Tous, officiellement ou de façon plus sourde, y sont allés de leur pilonnage en règle d’un système pourtant conçu largement dans le laboratoire d’un savant fou tout aussi strausskhanien qu’eux, Olivier Ferrand, le patron de Terra Nova, le machin qui pense pour le PS…

Les primaires, c’est le clash assuré

Mais il est vrai qu’entre le principe –c’est-à-dire des primaires qui permettent d’écraser tous les concurrents en arrivant comme le messie- et la réalité -un calendrier pas tout à fait aux petits oignons pour qui serait dans la nécessité de démissionner d’un boulot important aux Etats-Unis avant la fin de son mandat- il y a un monde. Ce dilemme, la poussée de Marine le Pen permet opportunément de l’évacuer. De manière soudaine, sous la menace préventive d’un 21 avril bis, à l’envers ou dieu sait quoi… Le salut public exige que le PS s’incarne ici et maintenant, parle vite d’une seule voix forte et claire. Soit celle de DSK, promu sauveur de la gauche et de la France.

La condition paraît pourtant un peu énorme. Certes, aujourd’hui, on voit bien que certains socialistes se rendent compte que l’acclimatation en France d’un tel système de pré-prez à l’américaine n’est pas simple. Inutile de revenir sur les risques de divisions dont il est porteur, les incertitudes juridiques qu’il génère, ou même sur la possibilité, non nulle, d’un bide participatif donc politique.

Mais enterrer les primaires n’est pas aussi facile que les missi dominici de DSK semblent vouloir le faire croire. Il va falloir encore un paquet de sondages avec MLP en tête au premier tour pour que le peuple de gauche renonce à sa castagne entre amis. Imaginons que les candidats abandonnent les uns à la suite des autres : les militants pourraient avoir l’impression désagréable de s’être fait piquer le peu de démocratie interne qu’on leur promet depuis des années. Au point, qui sait, de trainer des pieds pour la campagne, la vraie, celle contre Sarkozy et Le Pen. Quant à la droite, elle tiendra là un sacré motif de rigolade, et au-delà, d’attaque politique contre le candidat du PS qui ne tient pas ses promesses avant même d’avoir été élu…

Alors, pourquoi exiger le retrait des primaires, ou leur « assouplissement » ? Soyons paranoïaques : pour se trouver un bon motif de dire « finalement, je ne suis pas candidat à la candidature, puisque mes amis ont décidé de ne pas être raisonnables et de ne pas donner à la gauche la chance de revenir enfin au pouvoir » ?

Mais revenons à l’information du week-end, DSK a pris sa décision. Et mesurons la puissance de cette simple phrase. Et notons que quoi qu’il fasse, il aura mérité la palme du suspense le plus insoutenable et de l’éveil du désir le plus incontrôlable. Ce qui pour un socialiste n’est déjà pas si mal.

Luc Ferry ou la fatwa du lynx

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Semblable à un archange vengeur fièrement campé aux commandes de l’étincelant hélicoptère de la raison, Luc Ferry vient de survoler bruyamment la pensée de Philippe Muray. Muray vu du ciel, le voyage valait le détour ! Tout est vu de si haut que plus rien n’est reconnaissable. Grâce à son époustouflant numéro de voltige aérienne, paru dans Le Figaro du 17 février sous le titre « Philippe Muray ou la myopie extralucide », Luc Ferry nous fait découvrir un Muray nouveau, généreusement débarrassé de tous les traits de sa physionomie concrète et familière. Seule contrariété : notre pilote de chasse a malencontreusement oublié à terre ses lunettes et ses jumelles.[access capability= »lire_inedits »]

Ainsi, au milieu des toussotements toujours plus angoissants du moteur de son bolide rationnel, Ferry nous invite avec ardeur à examiner une indistincte bouillie verte, une soupe sans forme : le « Muray-en-soi », vu des cieux du kantisme terminal et garanti sans un gramme d’humour par son inventeur. Évidemment, le vulgaire, écœuré par une telle hauteur de vue, est tenté de demander où tout cela noumène. Cependant, voici que Luc Ferry arrache peu à peu notre œil inavisé à l’errance dans ces marécages informes, pointant avec autorité des striures obscures et des taches brunes, très brunes, de plus en plus nombreuses, bourdonnantes, menaçantes. La démonstration est là, imparable : vu du ciel, Philippe Muray est nazi.

Le kantien, nous le savons, est un animal joueur et souvent même espiègle. Coutumièrement, pourtant, les penchants joueurs du kantien convergent vers une passion unique : la démonstration rationnelle. « Je t’argumente-tu m’argumentes-par la barbichette » constitue, aux yeux des kantiens, le seul jeu vraiment sérieux et digne, source des plaisirs les plus ardents et les plus honnêtes à la fois. Curieusement, rien de tel dans la philippique contre Muray. Ferry le concède du reste, avec un sens appuyé de l’euphémisme : « Bien sûr, tout cela mériterait plus longue discussion et argumentation. » Sa diatribe, en réalité, est dénuée de toute espèce de démonstration valide. Elle ne contient, en son cœur, que des allégations hasardeuses d’ordre psychologique. Ferry, cette incarnation incontestée de la « grande santé » nietzschéenne, cet ayatollah rayonnant de bonheur démocrate, nous apprend que Muray est malade, très malade : frappé de « conscience malheureuse », atteint de pessimisme aggravé, de mégalomanie, d’hypertension apocalyptique et de haine haineuse de tout.

« Ô mon âme, je t’enseignais le mépris qui ne vient pas comme une pâture de vermine, le grand mépris, le mépris aimant qui aime le plus fortement lorsque fortement il méprise. » Qu’il me soit permis de préférer Nietzsche au psychologue Ferry. Pas une seconde, ce dernier ne semble en effet soupçonner cette hurlante évidence : que derrière la fureur comiquement hyperbolique de Muray puisse se cacher un amour de l’humanité un peu plus sérieux que celui dont il parle.

Pour Ferry, la démocratie n’a pas le droit aux misères, seulement à la « grandeur ». Les choses sont simples. Il existe trois divinités vraies : l’Homme, la Démocratie et le Libéralisme. Celui qui ne se prosterne pas devant elles signifie par là-même qu’il les hait. Et qu’il est un homme malade, à l’instar des Français donnés récemment pour champions toutes catégories du désespoir, qui vivent eux aussi dans l’erreur et le péché antidémocrates. Ferry nous informe en outre, avec un sens athlétique du raccourci, que toutes les autres formes de transcendance historique ou religieuse conduisent avec une fatalité mathématique au massacre maoïste. Si telle est la stupéfiante « vérité du siècle », je donne aisément acte à Ferry que Muray n’en a en effet rien compris.

Ferry reproche enfin à Muray sa fameuse « posture apocalyptique » (les mains levées vers le ciel, les yeux révulsés et le couteau sanglant du désespoir bestialement coincé entre les dents), sans jamais s’inquiéter de sa propre posture : celle de l’homme raisonnable, sérieux et pondéré. Celle-ci forme pourtant un contraste étonnant avec le contenu de ses propos.

Admirons une dernière fois la rigueur avec laquelle Ferry, de son impressionnant regard d’aigle aux yeux dévorés par une conjonctivite aigüe, établit le nazisme transcendantal de Philippe Muray. Après avoir accordé à Muray quelques charmes, Luc Ferry nous avertit sagement que nous aurions tort de suivre cet inquiétant joueur de flûte probablement originaire de Hamelin. En effet, « derrière sa critique tous azimuts des masses, c’est la haine de la démocratie qui suinte à chaque ligne. S’il tourne en dérision les foules festives, c’est à la manière du bourgeois qui se moque de la bonne espagnole. »

L’idée que Muray puisse rire avec la bonne des bourgeois montés sur roulettes – et éventuellement tenter de les aveugler en leur balançant sur le nez le jupon consentant de celle-ci – en dépit de sa crédibilité psychologique assurément plus convaincante, n’effleure pas l’imagination de Ferry. « C’est la haine de la démocratie qui suinte à chaque ligne. » Incapable d’étayer ses allégations mensongères sur une seule citation de Muray, celle-ci fût-elle tronquée et sortie de son contexte, Ferry en est réduit à mener son dialogue non avec la pensée vivante, comique et complexe de Muray, mais avec des « suintements » mystiques. Il ne se risque jamais à réfuter une thèse, ni aucun des énoncés réels de Muray, préférant à cela la tâche hardie et dépaysante de réfuter des « suintements ». Cet incurable rationaliste ne procède ici, pourtant, que par insinuations, glissements furtifs et chapeaux à fond truqué. Il commence en attribuant à Muray, de manière tout à fait exacte, une critique de la modernité et de la culture de masse. À partir de ce point, Ferry entame une passionnante dérive logique qui le conduit à une inattendue « haine des masses » et enfin à une aussi impardonnable qu’introuvable « haine de la démocratie ». Il est vrai qu’avec des critères de nazisme aussi flous que ceux de Ferry, Muray pourrait finir sa nuit au poste avec Adorno et Hannah Arendt. Et je crains, hélas, que la compagnie de ces deux autres fieffés nazis ne lui eût pas entièrement déplu.[/access]

Despentes, mutante militante

Virginie Despentes signe un « manifeste ». Le clip Love Affair est, selon Les Inrockuptibles, « sensuel et engagé » : des mannequins nues s’insurgent contre la faim dans le monde, d’étonnants cortèges de cyclo-nudistes alarment sur la pollution ou la vie chère, de fieffés coquins prônent la pornographie pour lutter contre la déforestation et des Belges facétieuses menacent de ne plus faire l’amour si la chienlit continue: aujourd’hui le cul milite, c’est sa dernière raison d’être.

Se déshabiller sans raison valable est même considéré comme une réelle faute de goût tandis que reculer toujours plus loin les limites de la pudeur va de soi quand c’est pour la bonne cause. La seule qui vaille : celle qui met à bas les anciens clivages, qui détruit, dans un élan équitable et paritaire, les hiérarchies obsolètes, qui bâtit un monde de respect où toutes les différences sont à la fois exhaussées et aplanies, singulières mais relatives. Alors on montre ses seins contre le cancer et ses fesses pour faire la nique à la corrida, on se dénude plus pour gagner plus, vendre de l’eau de toilette ou briser le « régime fasciste de la famille nucléaire », toujours à bon escient et surtout pas pour le plaisir d’offrir ou la joie de recevoir. Au cinéma, une femme ne se laisse plus jamais dénuder pour rien (si elle le fait, c’est qu’elle mijote quelque chose), aucune chance d’y rencontrer de l’insouciance, de l’exhibition candide ou du plaisir gratuit : les films de Walerian Borowczyk sont devenus incompréhensibles. De même les scènes de sexe de la plupart des romans contemporains sont-elles formatées comme autant de rebondissements aussi attendus que la mort du père ou l’errance en bord de mer ; aucune ne s’impose comme tragique et nécessaire, comme intensité pure faisant basculer le récit : la littérature de Pierre-Jean Jouve est dépassée

Séduction planifiée, rencontre organisée, relation minutée

Le credo néo-puritain est imparable : à l’instar du jogging matinal, le sexe n’est plus qu’une technique d’hygiène corporelle parmi d’autres. Il ne témoigne certainement pas d’une quelconque union sacrée, ne permet aucune transfiguration, n’est la clé d’aucune transcendance. Sa gratuité le dévalorise et ses sortilèges sont passés de mode. Sa pratique désacralisée laisse la place aux mythologies de sa représentation, nécessaires pour stimuler les pulsions du consommateur ou faciliter sa soumission aux nouvelles morales.

Toute société désire instrumentaliser le sexe (on n’a pas attendu Virginie Despentes et le féminisme pro-sexe pour cela), mais la nôtre est la première à le faire non par crainte de ses pouvoirs mais parce qu’elle les méconnaît, les néglige ou les refuse. Les pièges sociaux et les leurres psychologiques, obstacles à la vérité d’une rencontre, règnent désormais d’un bout à l’autre de la chaîne et le processus se répète inlassablement : séduction planifiée, rencontre organisée, relation minutée.

Pour l’érotisme, il faudra repasser : trop chronophage, pas évident à caser entre la réunion d’actionnaires, l’achat de fringues sur Internet ou la composition des playlists de la fête prochaine. L’abandon n’est tout simplement plus acceptable : il conduit immédiatement à la dépendance. On commence par se laisser regarder, on commence par s’abandonner au regard de l’autre, et après on se fait carrément aimer !

S’il n’entre pas dans le registre de la comédie ou de la politique, le sexe fait perdre du temps, c’est-à-dire de l’argent : c’est bien pour cela qu’il faut le tenir en respect.

Présumé gênant

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Un documentaire de 88 minutes fait scandale au Mexique après une décision de justice controversée visant à l’interdire. Comme par hasard, il se trouve que ce film de Roberto Hernández et Geoffrey Smith, Presumed Guilty, (Presumé coupable) dénonce les carences de la justice mexicaine… Il s’agit de l’histoire vraie de José Antonio Zuñiga Rodríguez, un rappeur, arrêté dans une rue de Mexico par la police puis poursuivi pour le meurtre d’un homme qu’il ne connaissait même pas. Après un procès truffé d’irrégularités, et entaché de lourds soupçons de corruption, Zuñiga a écopé de 20 ans de prison. Le seul témoin qui l’avait accusé a depuis changé de version. Lors du jugement en appel, le juge, après avoir visionné le doc, libèrera Zuñiga considérant que les preuves étaient insuffisantes pour sa condamnation.

Bien accueilli par le public et la critique dès sa présentation officielle au festival de Toronto, ce Midnight Express à la sauce mole crée par les deux avocats de Zuñiga, Roberto Hernandez et Layda Negrete, a ensuite cartonné dans les salles mexicaines : avec 400000 entrées en trois semaines, Presumed Guilty a battu les records pour un film documentaire dans le pays.

L’interdiction, vivement critiquée dans l’opinion, va certainement contribuer à accroître sa popularité et les téléchargements – au Mexique et dans le monde – vont bon train.

Et si vous pensez à Florence Cassez, et bien vous n’êtes pas les seuls…

Joffrin débusque deux nouveaux crypto-lepenistes : Taddeï et Todd

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Décontamination acte II. Laurent Joffrin poursuit sa croisade à la poursuite de ceux-qui-notabilisent-les-idées-du-Front-National, comprenez ceux-qui-ne-pensent-pas-comme-moi. Après une attaque en règle contre la cheffe de ces lieux, Philippe Cohen, Eric Zemmour et quelques autres confrères, le voici qui se saisit du « cas » Taddéï. Dans un billet finement titré « France 3 : c’est Le Pen ou jamais « , il dénonce sur le site de l’Obs, un « déferlement de clichés anti-musulmans. Une opération de propagande lepéniste. » Avec différents arguments : il critique le thème de l’émission (montée dans les sondages de Marine Le Pen et sentiment national), la conduite des débats et surtout le casting des invités. Paul Marie Coûteaux, William Goldnadel, Emmanuel Todd (très fatigué dixit Lolo puisque postulant « la mort de l’antiracisme et de « la pensée unique » démocrate et européenne » ) ou Alain-Gérard Slama, (l’éditorialiste du Figaro, qui seul a l’insigne honneur d’être sauvé par Lolo – pas du tout sûr qu’il s’en sente flatté). Bref, la liste des notabilasateurs crypto-lepenistes s’allonge, gageons qu’Emmanuel Todd lui garde un chien de sa chienne…

Toujours selon notre chroniqueur-lyncheur télé d’un jour, le plateau de Taddeï est d’ailleurs ouvertement frontiste puisque Taddéï a invité Christine Tasin dans l’émission : « Dame Tasin, organisatrice des apéros saucisson-pinard, se présentant ouvertement comme islamophobe », dit Joffrin. Oups, oups, oups. Là Laurent Joffrin a peut-être parlé un peu vite : le 2 mars dernier, Libération, sous le délicieux titre « Bouffeuse d’Islam » offrait son portrait de dernière page à la même « Dame Tasin » qu’il reproche à Frédéric Taddeï de médiatiser. Laurent Joffrin était alors encore à Libé, et au moins comme patron du journal a dû valider la commande d’un tel portrait quelques jours avant. Mais à l’époque l’opération décontamination n’avait pas commencé, sans doute.

Printemps arabe, merci qui ?

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« Est-ce que les peuples du Moyen-Orient ne peuvent accéder à la liberté? Est-ce que des millions d’hommes, de femmes, d’enfants sont condamnés, au nom de l’histoire ou de la culture, à vivre sous le despotisme ? Seraient-ils les seuls à ne jamais connaître la liberté, à ne jamais exercer de choix ? Moi, je ne le crois pas. »

Question à 1000 euros : qui est l’auteur du discours ?
Allez, je vous mets sur la piste. L’auteur n’est pas un dirigeant européen soucieux de redorer le blason de son pays éclaboussé par l’aveuglement de sa diplomatie.[access capability= »lire_inedits »]

Il n’est pas non plus l’un de ces politiques qui passaient leurs vacances dans les palaces tunisiens et égyptiens, ni le président d’une association destinée à promouvoir l’amitié avec des peuples opprimés par un dictateur déchu ou en passe de l’être.

Il n’est certainement pas un intellectuel qui aurait subitement découvert sa sympathie pour les insurgés arabes et qui, taraudé par le remord, s’empresserait de partager son enthousiasme débordant pour mieux effacer le temps où il maudissait la libération de l’Irak par les forces armées du « Grand Satan » américain. Notez que je viens de vous lâcher un indice.

Oui, l’homme − deuxième indice − est américain ; mais attention, je précise : il n’appartient pas à la mouvance Obama, seule tolérée par les antiaméricains non déclarés d’aujourd’hui.
Cet Américain-là fut le plus détesté de tous les Américains, à l’image de McDonald’s, leader de la World Company et symbole de la malbouffe.

De même que ceux qui haïssent McDo continuent malgré tout à engloutir des hamburgers, ceux qui l’ont diabolisé hier apparaissent aujourd’hui comme ses plus fidèles héritiers. Seulement, ils l’ignorent ou refusent de l’admettre.

Si vous avez trouvé, peut-être êtes-vous déjà très énervé. Sinon, je vous le donne en mille : l’auteur de ce plaidoyer pour la libération des peuples arabes s’appelle George W. Bush, vous savez, ce cow-boy texan évangélique et belliqueux, au cerveau à peine plus gros qu’un bretzel entamé !

Souvenez-vous : cela se passait en 2004, au sommet du G8 de Sea Island. Bush et ses faucons firent adopter le « plan Grand Moyen-Orient » (GMO), qui visait à favoriser l’émergence de la démocratie dans les pays arabes. Oui, de la démocratie ! Et contrairement aux bêtises que proféraient les anti-bush haineux de l’époque, il ne s’agissait pas d’imposer la démocratie made in USA par une politique d’ingérence arrogante et impérialiste, mais de développer les forces démocratiques des sociétés civiles arabes par une stratégie d’assistance en moyens financiers, éducatifs et logistiques.

Et voilà que, sept ans plus tard, ce sont précisément les peuples concernés par le GMO qui se révoltent : les cartes concordent.

Quand on se rappelle les cris et protestations d’hier, il est très agaçant d’entendre aujourd’hui l’ensemble de la classe politique célébrer, sur un ton grave et cérémonieux, les révoltes démocratiques et rivaliser dans la bonne volonté pour contribuer à leur pérennité. Que disaient-ils, ces révolutionnaires de la vingt-cinquième heure, quand, dès 2003 , Bush le maudit, ignorant les diatribes et sarcasmes de la « communauté internationale » horrifiée par le wilsonisme guerrier d’une Amérique en croisade, martelait avec ferveur que les peuples arabes ont le droit, eux aussi, à la liberté ?

Que faisait la France en 2003 ? En visite officielle en Tunisie, le président de la République, Jacques Chirac, déclarait que « le premier des droits de l’homme, c’est de manger à sa faim » ! La liberté, c’est quoi : le supplément d’âme ?

Au moment où la Vieille Europe attentiste, immobile et complaisante, condamnait le Moyen-Orient à l’autocratie au prétexte que la stabilité des régimes tyranniques constituait un rempart au terrorisme, la révolution, outre-Atlantique, échauffait − sans doute excessivement, d’ailleurs, au regard des circonstances d’alors − les esprits des néo-conservateurs convaincus que la déstabilisation était préférable au statu quo et que seule la démocratisation du monde arabe couperait l’herbe sous le pied d’Al-Qaïda, favorisant à long terme la paix dans le monde.

Aussi dur que cela soit à avaler pour les professeurs de vertu qui ont toujours un train de retard sur l’Histoire, si la rue arabe bouge aujourd’hui, les Américains, et Bush au premier chef, y sont bien pour quelque chose. Et, n’en déplaise aux âmes pacifiques, peut-être même la greffe démocratique implantée en Irak et en Afghanistan par le fer et le feu finira-t-elle par prendre et par faire souffler le vent du changement qui réjouit la planète entière aujourd’hui, mais auquel seul les Américains croyaient hier. Alors, tant pis, je prends le risque de vous mettre très en colère pour saluer l’esprit visionnaire de l’Amérique, toujours porteuse du flambeau de la liberté pour les peuples du monde.[/access]

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Ferney sans Voltaire

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Les habitants de la commune de Ferney-Voltaire se sont réveillés samedi 12 janvier privés du buste en bronze du philosophe que cette ville s’honore d’avoir abrité comme citoyen. Située sur la place du marché, cette sculpture en bronze de quatre-vingt kilos a attiré l’attention des voleurs de métaux qui profitent de la hausse vertigineuse des cours des matières premières pour faire leurs courses dans le domaine public. Nous suggérons que la municipalité retourne à sa dénomination initiale, Ferney tout court, tant que les malfrats n’auront pas restitué cette statue à la collectivité qui en est la légitime propriétaire. Voler le cuivre des lignes électriques de la SNCF ne leur suffit pas, il leur faut encore réduire les Lumières à leur pesant d’alliage de cuivre et d’étain. Qu’on les pende !

C’est moi, la peste brune ?

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Si j’étais de très mauvaise foi, j’annoncerais avec la solennité requise que Laurent Joffrin et Ariane Chemin, respectivement grand patron intermittent et exécuteure des basses œuvres du Nouvel Obs après avoir excellemment assumé cette lourde tâche au Monde sous la direction d’Edwy Plenel, sont en train, dans la grande tradition des années 1930, d’inventer un nouveau complot juif dans lequel le danger judéo-lepéniste aurait pris la place de l’hydre judéo-maçonnique. Dans la liste de suspects qu’ils dressent dans le dernier numéro de l’hebdomadaire, quatre noms reviennent en effet en bonne place: Alain Finkielkraut, Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, sans oublier « tel « républicain-national » qu’on trouve à Marianne »(quoique combattu par ses collègues), élégante formule pour désigner Philippe Cohen et exiger à mots à peine voilés une épuration à Marianne. Chacun, écrit Joffrin, a son style, « « brillant ou laborieux », d’ailleurs j’aimerais bien savoir à laquelle de ces deux catégories j’appartiens, mais tous sont juifs, étrange coïncidence, non ? Il est vrai qu’il y a aussi Ivan Rioufol, mais on ne me la fait pas à moi – « j’ai d’excellents ennemis goys », on connaît la chanson. Je pourrais me draper dans ma dignité de victime, appeler mes concitoyens à résister à la bête toujours immonde et toujours frétillante avant de publier dans une semaine ou deux un opuscule à succès – « Dérapage à l’Obs », lettres rouges, peut-être gothiques, sur fond noir, ça aurait de la gueule. Ce serait chouette, à défaut d’être bien honnête. Encore que je parviendrais sans doute à croire à mes propres âneries[1. Le pire, c’est que je n’ai pas trouvé cette brillante idée toute seule : un ami très cher m’a fait hurler de rire en me disant, le plus sérieusement du monde : « ça ressemble à une chasse aux juifs, non ? »].

Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Luc Mélenchon, merci !

Détendez-vous, ce cauchemar brun n’est qu’un rêve. Chemin et Joffrin ont beaucoup de défauts mais pas celui-là. Franchement ce n’est pas de leur faute si les agents actifs de la « décontamination de la pensée FN » sont presque tous juifs. Me voilà donc obligée de répondre, d’autant plus que les camarades Lienemann et Mélenchon qui ont volé au secours de l’ami Philippe Cohen (grâces leur soient rendues pour cela) n’ont pas jugé nécessaire de dire un mot sur les autres inculpés, lesquels n’ont pas le bonheur d’appartenir à la grande famille de la gauche. N’étant pas d’accord avec mes idées, ils ne se battront pas pour que je puisse les défendre et puis quoi encore ! Peut-être ces apôtres de la tolérance ont-ils fait leur l’amusante définition pêchée dans Libération sous la plume de Pierre Marcelle : ce qui « fonde la droite », chers amis, c’est « la progression de l’inhumanité marchande », au moins, on ne se plaindra plus de la disparition du grand clivage[2. Marcelle qui a au moins le mérite de la cohérence sur ce point affirme qu’il aurait fallu interdire le FN. Mais il ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. C’est la droite qu’il faut interdire]. Tout s’explique : tout occupés que nous étions à faire progresser l’inhumanité marchande pour assouvir notre cupidité et celle des « brigands-actionnaires », nous n’avons pas hésité à cachériser les pensées les plus nauséabondes, ceci, toujours selon Joffrin, en « occupant sans relâche studios de télévision et colonnes de journaux pour clamer qu’on nous empêche de parler et jeter à tout va les clichés de la droite conservatrice ou nationaliste. »

Je ne me permettrais pas de donner des leçons de journalisme à quelqu’un d’aussi titré dans la discipline que Laurent Joffrin, mais j’ai bien dû déclarer publiquement une trentaine de fois au cours des six derniers mois qu’il serait absurde de « nous » (en supposant que « nous » il y ait ailleurs que dans leur tête à « eux ») prétendre victimes d’une quelconque censure. C’est même pour moi un sujet d’interrogation récurrent: si on peut avoir l’impression que l’étau idéologique se resserre et que, traduit dans le langage des bistrots, « on ne peut plus rien dire », il faut bien reconnaître que les salauds – attention, au sens sartrien du terme – jusque-là simplement dénoncés comme « réacs » peuvent abondamment s’exprimer, beaucoup trop d’ailleurs aux yeux de certains qui répètent en boucle « ils se disent muselés et on n’entend qu’eux ». Je comprends que Joffrin qui doit porter sur ses seules épaules l’avenir de la presse de gauche et de la gauche tout court n’ait pas le temps de se pencher sur ce que les uns et les autres disent réellement. Mais compte tenu de notre omniprésence médiatique, il aurait pu s’apercevoir qu’aucun de ceux qu’il épingle ne se prétend censuré – ce qui serait effectivement cocasse. Depuis l’époque où j’ai publié Les maîtres censeurs, le débat public s’est à la fois ouvert et fermé. Il me semble plutôt qu’au terme de cette évolution paradoxale, la liberté l’emporte : Zemmour est condamné mais il travaille dans plusieurs médias et non des moindres. Et les attaques de mes chers confrères n’empêcheront évidemment ni Causeur ni moi-même de poursuivre leur route et leur réflexion[3. Du reste, concernant ma modeste personne, je ne jurerais pas que ce soit leur objectif, même si à l’évidence ils attentent à mon honneur professionnel]. Tout cela mériterait plus ample discussion mais ce sera pour une autre fois. En attendant, que Laurent se rassure[4. Je sais bien qu’il ne faut pas appeler Madame Le Pen Marine. Mais pour ne citer qu’un exemple, il est apparemment normal que Bernard Guetta, Alain Juppé et Michel Rocard se donnent, dans leur dernier livre, du Bernard, Alain et Michel à tour de bras ; j’espère avoir le droit d’appeler Joffrin Laurent puisque, quand nous nous rencontrons dans la vraie vie, c’est ce que je fais], je ne suis pas en train de « chercher censure à mon pied » – vous aurez reconnu la plume assassine de Muray.

Causeur, « puissant relais d’influence »

Vous me connaissez, j’aime assez, trop peut-être, l’odeur de la poudre. Mercredi après-midi, quand Philippe Cohen m’a envoyé les articles de L’Obs, j’avoue avoir d’abord pensé que la guerre recommençait et qu’on allait bien s’amuser. Et puis, après lecture attentive, mon excitation est un peu retombée. Tout cela était tellement réchauffé que je me suis sentie écrasée par le poids de la répétition. On dirait en effet que Chemin et Joffrin ont ressorti de vieux articles des tiroirs où ils prenaient la poussière avec les banderoles de la « quinzaine anti Le Pen » – lesquelles pourront sans doute reprendre du service itou pour peu que mes honorables confrères ne dévient pas de leur excellente ligne qui a réussi à amener Le Pen père à 20 % et au deuxième tour de la présidentielle. Sauf que moi, ce débat qui tourne en rond finit par me lasser.

Il est vrai qu’il arrive à L’Obs de varier les plaisirs. Depuis quelques années – et de mémoire – il a aussi proclamé en « une » avec grands roulements de tambour que les intellos viraient à droite et annoncé à plusieurs reprises et sous diverses formes le grand retour des nouveaux réacs qui finissent par n’être plus très nouveaux. Il me semble cependant que ça faisait un moment qu’il n’avait pas brandi aussi ouvertement l’étendard de la crypto-lepénisation. Mais enfin, c’est à peu près toujours la même histoire. La République est en danger, menace généralement incarnée par le spectre du vote lepéniste. Il s’agit donc de désigner les vrais coupables qui sont soit les idiots utiles, soit les agents actifs de l’extrême droite, d’où le goût de l’hebdomadaire pour les listes. Je précise que c’est la première fois que j’ai l’honneur de figurer dans le peloton de tête, étant désormais, avec Causeur, un « puissant relais d’influence ». Soyons honnêtes, Joffrin ne s’en tient pas là et reconnaît que la gauche, ayant abandonné le peuple, porte une lourde part de responsabilité dans le succès de Marine Le Pen.

Quant à Ariane Chemin, il faut reconnaître qu’elle n’a pas perdu le fil (d’accord, c’est un peu facile), depuis l’époque où elle était chargée par les patrons du Monde d’exécuter la toute jeune Fondation Marc Bloch où nous avions commis le crime, Cohen et moi, de rassembler des « Républicains des deux rives ». Non contents de croire qu’il fallait abattre le mur de Berlin de la politique française – ce que nous échouâmes d’ailleurs à faire lors de la campagne Chevènement -, nous étions plutôt anti-européens et prétendions qu’il était absurde et suicidaire d’abandonner la nation au Front national. Autant dire que notre dossier était chargé. Depuis, le mien s’est alourdi car après avoir avoué que je n’étais plus de gauche, j’en suis arrivée à penser que les « questions identitaires » comptaient autant dans les fractures qui minent la France que le chômage et la question sociale – contrairement d’ailleurs à mes amis Philippe Cohen…et Jérôme Leroy.

Les « monstres » de Jean-François Kahn

Ariane s’y colla donc gentiment et balança le missile qui était supposé nous laisser sur le tapis en nous qualifiant de « nationaux-républicains », injure dont nous décidâmes, grâce au talent de Régis Debray, de faire notre nom. Elle a de la chance, Ariane, elle pense toujours comme ses chefs, ce qui lui évite d’avoir avec eux les conflits qui m’ont parfois opposée aux miens. Aussi, quand Jean-François Kahn, auprès de qui j’ai beaucoup appris, notamment le plaisir qu’il y a à essayer de penser par soi-même, se désole de découvrir que je ne pense plus comme lui, ayant « basculé dans le discours réactionnaire le plus convenu, le plus éculé et le plus systématique »[5. J’en profite pour adresser une protestation à JFK : « systématique » admettons, « éculé » passe encore, mais « convenu », c’est assez vexant], notre journaliste de combat en déduit que JFK a créé des « monstres ». En clair, ayant eu le privilège d’avoir été formée par un monstre sacré du journalisme (je suis sincère, c’est vraiment une chance) j’aurais dû rester sa créature docile. Je plaide coupable d’individualisme forcené, puisque je prétends avoir un cerveau, qui, bien que moins performant que celui de mes accusateurs, m’appartient en propre. J’ajoute que je n’ai pas bien compris l’enseignement de JFK, en ayant déduit qu’on pouvait être en désaccord sans se balancer les noms d’oiseaux pêchés dans le lexique antifasciste.

Mais je m’égare. J’en reviens donc au fil rouge – encore que brun serait plus approprié – qui guide la pensée de la tenace Ariane. C’était couru, on commence par défendre la nation et on finit par écrire qu’on ne « trouve pas raciste ou « moralement scandaleux » la proposition frontiste de « distinguer entre Français et étrangers, proposant de réserver certains droits aux premiers ». On me pardonnera de pousser la coquetterie jusqu’à restituer la citation exacte, extraite d’un article publié en décembre : « MLP ne distingue pas les Français en fonction de leur race, elle distingue entre les Français et les étrangers, proposant de réserver certains droits aux Français. On peut être hostile à cette idée, elle n’est pas moralement scandaleuse. » Si je comprends bien, Ariane Chemin estime au contraire que cette distinction entre ressortissants et non-ressortissants est parfaitement scandaleuse. L’ennui, c’est qu’elle est centrale dans tous les systèmes juridiques nationaux qui réservent effectivement certains droits, à commencer par celui de voter, aux détenteurs de la nationalité[6. La définition des droits réservés aux nationaux est évidemment susceptible de discussions et d’évolution. Ainsi, concernant le droit de vote des étrangers lors des scrutins locaux, ma religion n’est pas faite]. J’imagine qu’Ariane Chemin milite pour que l’humanité entière élise le président de la République française, que la gauche de tous les pays s’unisse pour choisir, lors d’une primaire vraiment très ouverte, le candidat du PS. Et tant qu’à faire pour la disparition des frontières. En attendant cet avenir radieux, je l’invite à troquer son infâmant passeport français qui lui vaut d’odieux privilèges, contre celui de son choix.

Au-delà de la délation, une vraie querelle

Au risque de la décevoir puisqu’il parait que « jeune, j’avais déjà réponse à tout », je dois confesser qu’il m’arrive d’avoir des doutes voire de me demander si mes adversaires n’ont pas en partie raison. Je vais donc tenter de résumer le fond de la querelle qui mérite mieux que ces sempiternels exercices de délation.

Contrairement à mes accusateurs, je ne crois pas que Marine Le Pen soit le clone de son père. Je peux me tromper – ce n’est pas une clause de style. N’étant pas l’analyste de « la peste blonde »[7. Bien entendu, je ne sais absolument pas si elle pratique ou non le divan] et n’ayant pas de talent particulier pour deviner ce que pensent les gens, quelle que soit leur ascendance, dans leur petto, je considère que les discours sont des actes politiques en eux-mêmes. Quand Marine Le Pen, devant le congrès de son parti, prononce un discours où les références traditionnelles de l’extrême droite ont cédé la place à l’invocation de la République, peut-être n’en croit-elle pas un mot. Reste qu’elle a pris le risque de s’aliéner la vieille garde – qui d’ailleurs faisait franchement la gueule. Quand elle affirme que « le nazisme est la plus grande barbarie de tous les temps », il est possible qu’elle cherche à cacher son antisémitisme viscéral. Ce propos n’en constitue pas moins une rupture. J’ignore si elle réussira, à l’image d’un Gianfranco Fini, à mener la révolution culturelle qu’elle annonce mais je ne vois pas, en dehors de son patronyme, ce qui autorise la cohorte des commentateurs avisés de décréter que ce qu’elle dit n’a aucun poids. Pour autant, il ne s’agit pas de faire de l’angélisme à l’envers. « Sans doute y a-t-il encore au FN des gens qui confondent le refus des pratiques et le rejet des individus, l’assimilation et l’exclusion », écrivais-je par exemple dans le numéro 31 de Causeur – bizarrement, cela n’a pas retenu l’attention d’Ariane Chemin.

Diabolisation, cordon sanitaire et fariboles antifascistes

Il est donc vrai que la progression annoncée du Front national ne m’empêche pas de dormir parce que je ne pense pas qu’elle traduise une montée de l’intolérance. Cela dit, elle n’est pas non plus une bonne nouvelle dans la mesure où ce parti me semble parfaitement incapable de gouverner la France. En revanche, je suis convaincue que la diabolisation, le cordon sanitaire et autres fariboles antifascistes ont largement contribué à son ascension. Surtout, à la différence de Laurent Joffrin et de pas mal de monde, y compris à l’UMP, je ne crois pas que c’est en abordant les questions qui fâchent qu’on l’a fait passer de 12% à 20 % des intentions de vote, mais, au contraire, en poussant des cris hystériques pour qu’on ne les aborde pas, ce qui revient, selon l’expression d’Alain Finkielkraut, « à faire cadeau du réel au Front national ».

J’aimerais au passage qu’on m’explique pourquoi les angoisses exprimées par un certain nombre de nos concitoyens ne suscitent jamais la compassion et toujours la réprobation. Il est de bon ton d’affirmer, en ricanant ou en s’indignant, que le FN surfe sur la peur. Mais on ne se demande jamais si cette peur est, ne serait-ce qu’en partie, justifiée par la réalité. Etes-vous si sûrs, chers confrères, que ceux qu’inquiète la progression d’un islam identitaire ne manifestant pas aussi clairement que vous semblez le penser sa tolérance et son amour des autres cultures, ne sont que de petits blancs racistes qui ne méritent que des coups de pieds aux fesses et des leçons de morale ? Pourriez-vous jurer que l’immigration des trois dernières décennies n’a été qu’une chance pour la France ? Etes-vous prêts à affirmer publiquement que vous n’avez-vous-même jamais peur quand, dans un couloir du métro désert, vous vous trouvez nez à nez avec une « bande ethnique » ? Inscririez-vous vos enfants dans une école dont une partie des élèves – et des parents – refusent qu’on leur enseigne l’histoire de la seconde guerre mondiale ? Pouvez-vous sérieusement prétendre que, des Pays Bas à l’Allemagne, de la Suisse à l’Angleterre, les peuples européens sont devenus fous au point de céder à des craintes irraisonnées ? Oserez-vous de dire que depuis mon enfance très multiethnique à Epinay sur Seine, rien n’a changé ou plutôt, que si quelque chose a changé, c’est parce que nous avons collectivement cédé aux sirènes du lepénisme, discriminant à tour de bras ceux qui ne pratiquent pas la même religion que nous ? Ne voyez-vous pas, vraiment, ce qu’il y a d’indécent dans la comparaison que vous faites volontiers entre les musulmans d’aujourd’hui et les juifs d’hier ? Permettez-moi simplement de vous rappeler qu’on déniait aux seconds la possibilité d’être vraiment français alors qu’on aimerait seulement que les premiers le soient un peu plus.

Peut-on avoir d’autres idées que les vôtres sans être un salaud ou un idiot ?

Vous êtes convaincus que tout ça, c’est la faute au chômage. Je crois pour ma part, comme Hugues Lagrange, que les facteurs culturels jouent un rôle important dans la crise, sinon dans l’échec, de l’intégration d’une partie des Français issus d’une immigration récente. L’universalisme qui est au cœur de notre identité nationale nous a rendus incapables de penser les différences et plus encore d’admettre que nous ne pouvions pas vivre avec toutes les différences. Pour moi, si nous devons accepter tous les individus, nous avons le droit et même le devoir de refuser certaines pratiques parce que notre mode de vie, notre façon d’habiter le monde, les modalités qui nous permettent de concilier l’existence collective et la liberté de chacun, méritent d’être défendus. Peut-être ai-je tort de penser que tout cela est menacé par notre renoncement au modèle assimilationniste, par le délitement de l’école républicaine et aussi par le refus d’une minorité, qui prétend de surcroît, l’imposer à toute une « communauté » d’adopter la culture et les « mœurs » de son pays d’accueil. Cela fait-il de moi une « brouilleuse de repères », un « agent de notabilisation » (du lepénisme), comme l’affirme aimablement Ariane Chemin ? Vous est-il arrivé, au cours des vingt dernières années, de penser, ne serait-ce que pendant une minute, juste pour voir, que vous pouviez vous tromper ?
Contrairement à vous, je n’ai pas de certitudes. Il m’arrive souvent de me dire que j’accorde peut-être un poids excessif à ces problèmes qui taraudent une partie de la société. J’essaie, aussi honnêtement que possible, de me demander s’il n’entre pas dans mes convictions une part de préjugés, voire de xénophobie.

Il me semble en tout cas que ces questions mériteraient un véritable débat plutôt que les anathèmes que vous vous plaisez à lancer. Je n’attends pas de vous que vous tombiez d’accord avec moi. Est-ce trop vous demander, à vous qui faites profession de tolérance et qui affichez si volontiers votre amour des différences, d’envisager qu’on puisse avoir d’autres idées que les vôtres sans être pour autant un salaud ou un idiot, utile ou non ? Vous qui aimez tant l’humanité dans sa diversité, seriez-vous incapable de créditer votre adversaire d’une conscience, voire d’un peu d’intelligence ? Je me refuse à le croire. Car si c’était le cas, vous ne seriez pas responsables de la montée du Front national mais de la défaite de la pensée. C’est-à-dire de notre défaite à tous.

Lettre ouverte aux Marseillais

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Chers tous,

Il y a environ 2600 ans, des Grecs venus de Phocée débarquèrent sur les rives du Lacydon et y fondèrent un comptoir commercial. Une cinquantaine d’années plus tard[1. Probablement sur le site de l’actuelle gare St Charles], les Phocéens qui fuyaient l’invasion des perses de Cyrus II vinrent se réfugier dans leur colonie et, de simple relais commercial, Marseille devint une ville.

Marseille c’est la métropole – la cité-mère –d’Agde, d’Antibes, de Hyère, de Nice et d’Aléria, c’est l’alliée de Rome et la concurrente de Carthage, la première ville de France et l’un des plus importants ports antiques de Méditerranée occidentale. C’est aussi la ville d’Euthymènes qui explora les côtes africaines au-delà des colonnes d’Hercule et celle de Pythéas qui remonta jusqu’au Groenland et s’approcha du cercle polaire. Marseille c’est encore la ville par laquelle la vigne[2. Strabon, Géographie, Livre IV, 1, 5], la religion chrétienne et l’écriture sont arrivées en Gaulle ; c’est de cette même ville que Strabon disait qu’« il n’y en a pas dont les lois soient meilleures »[3. Construit par Louis XIV, ses cannons sont pointés vers la ville].

Notre ville ce sont des siècles d’histoire au cours desquels elle a prospéré de son commerce, de son ouverture sur le monde et de l’esprit d’entreprise des Marseillais. Elle a survécu à César, aux Wisigoths, aux Ostrogoth, aux Francs, aux Sarrasins, aux Vikings, aux Catalans, à la peste, à Charles Quint et aux nazis. Cette ville fière et rebelle, jalouse de son indépendance, rien n’avait jamais réussi à la réduire au silence.

Qu’avons-nous fait de notre ville ?

Là où les canons du fort Saint-Nicolas[4. Tout de même : la ligne maritime la plus courte du monde !] ont échoué à nous mater, l’Etat centralisateur a fini par nous réduire à une dépendance honteuse. Là où, pendant plus de deux millénaires, Marseille fut cet extraordinaire creuset où tout les peuples de la Méditerranée vivaient en bonne intelligence, les grands ensembles des quartiers nord et les « politiques sociales » de l’Etat ont réussi à nous diviser comme nous ne l’avons jamais été. Là où le gouvernement de la cité faisait l’admiration de Strabon, nous avons laissé proliférer une classe politique corrompue qui chaque jour nous ridiculise aux yeux de ceux qui savent encore que Marseille existe. Là, enfin, où notre ville est née – le port – nous avons laissé s’installer des organisations mafieuses qui chaque année réduisent un peu plus à néant l’instrument de notre prospérité pendant des siècles. Il est inutile que je vous donne des noms, des chiffres et des faits : vous les connaissez tous, et mieux que la Cour des comptes.

Aujourd’hui, on veut nous vendre un « forum mondial de l’eau », « Marseille-Provence capitale européenne de la culture » et – encore ! – du football avec l’Euro 2016. C’est ça Marseille ? Une ville subventionnée ? Une ville qui n’a rien d’autre à espérer de l’avenir que les emplois public des chantiers d’Euromed et des allocations-chômage ? Nous en sommes donc là ?

Il y avait, quand j’étais gamin un T-shirt proclamant : « il y a deux sortes de gens au monde : les Marseillais et ceux qui rêvent de l’être ». J’appartiens à cette première catégorie et j’y appartiendrai toujours. Nom de Dieu ! J’aime cette ville ! J’y suis né, j’y ai grandi et je ne l’ai quitté, la mort dans l’âme, que pour trouver un job décent. J’aime Marseille. J’aime ses quartiers du cours Julien à Endoume en passant par la Pointe rouge, j’aime ses calanques, la grande bleue, le mistral, les navettes de Saint-Victor, la Bonne Mère et jusqu’au nouveau « Féri-Bôate » mais surtout et par-dessus tout, j’aime les Marseillais. J’aime les Marseillais parce qu’ils ont en eux cette gentillesse naturelle qui laisse croire aux Parisiens qu’ils sont « superficiels ». Je les aime parce malgré leurs grandes gueules et leurs fanfaronnades, ils s’écartent encore pour laisser passer les poussettes et aident les aveugles à traverser les rues. Et je les aime, enfin, parce que pour peu qu’on les laisse faire, ils sont capables de tout et en particulier du meilleur.

Alors je ne sais pas pour vous mais moi, voir Marseille dans cet état, ça me met en rage. Je ne supporte plus les dockers et les grutiers du port, les taxis, les éboueurs, les petits réseaux et cette caste politique qui a érigé la corruption et le clientélisme en art de vivre. Je ne peux plus souffrir de voir nos minos obligés de choisir entre quitter leur ville ou pointer à Pôle Emploi en ne vivant plus qu’au travers de l’OM. Réveillons-nous ! La mondialisation ? C’est nous qui l’avons pratiquement inventée et pour une ville comme Marseille, c’est une bénédiction. Récupérons notre port, débarrassons-nous des politiciens corrompus et reprenons notre destin en main. Marseille n’est rien sans les Marseillais ; la sauver du déclin, c’est à nous de le faire et à personne d’autre.

Nouvelle formule de Causeur.fr, c’est parti !

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Comme cela avait été annoncé à nos abonnés depuis un petit moment, Causeur.fr fait enfin sa mue !
Ce nouveau Causeur.fr – qui suit de peu la nouvelle maquette de Causeur magazine – entend à la fois mieux satisfaire nos internautes et privilégier les abonnés dont le nombre ne cesse de croître.

Si le site demeure dans une certaine continuité en termes de présentation, les nouveautés apportées vous permettront de mieux profiter de l’ensemble de nos contenus.

Ainsi, la page d’accueil met en avant un plus grand nombre d’entrées, articles ou brèves. Nos deux blogs phares, Antidote (David Desgouilles) et Asile de Blog (Basile de Koch), y sont également mis en avant et d’autres blogueurs de talent nous rejoindront dans les mois à venir.

Les pages articles voient l’apparition d’icônes de partage (e-mail et réseaux sociaux) pour faire découvrir à vos proches plus facilement les articles que vous appréciez et affichent par défaut les commentaires, lesquels seront désormais réservés aux seuls abonnés.

Comme vous le verrez, une des questions décisives auxquelles nous nous sommes attaqués de front est la celle des commentaires. Vous le savez aussi bien que nous : certains fils sont devenus insupportables. Au delà des différences d’opinions – que nous encourageons – certains commentateurs ont choisi la provocation gratuite et l‘insulte; c’est dommage et décevant mais c’est ainsi et il était de notre responsabilité de percer vite et bien cet abcès. En conséquence, nous avons décidé de trancher dans le vif et de permettre à nos seuls abonnés – donc des personnes dont on connaît la véritable identité et les coordonnées – de participer activement aux débats en laissant des commentaires (que tout le monde pourrait lire).

Ceux-ci bénéficieront en outre, d’une nouvelle interface de gestion de leur compte et pourront également consulter en version numérique toute la collection de Causeur magazine depuis 2008.
Les changements éditoriaux s’accompagnent également d’innovations commerciales puisque de nouvelles formules d’abonnement ou d’achat de contenus vous sont désormais proposées.

Ainsi, comme certains d’entre vous en avaient exprimé le souhait – notamment dans les questionnaires que nous leur avons adressés-, nous proposons désormais des formules 100% numériques, en abonnement d’un an (29,90 €) ou sous forme de « pack » de 20 articles (9 ,90 €).

Une nouvelle offre « Découverte » pour essayer Causeur magazine à prix réduit (deux numéros papier) sera également proposée (6,90 €).

Ces nouvelles offres sont lancées à prix promotionnel jusqu’à fin mars. Les abonnements classiques verront leur prix également maintenu jusqu’à la fin du mois -en dépit de l’augmentation de pagination du magazine intervenue ce mois-ci- avant d’être revus à la hausse à partir d’avril. Profitez-en donc pour franchir le pas et vous abonner… ou pour vous réabonner !

Ce nouveau site – en version Béta – est en phase de rodage. N’hésitez donc pas à nous écrire à causeur2@causeur.fr – adresse spécialement créée pour accompagner la mise en ligne – pour nous signaler tout dysfonctionnement ou piste d’amélioration.

L’aventure continue donc et nous espérons vous proposer plus d’originalité, de pertinence (et d’impertinence) et surtout vous donner cette chose qu’on ne trouve nulle par ailleurs… l’esprit Causeur.

Tu veux ou tu veux pas ?

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C’est le dernier épisode du soap socialiste, dont la conclusion est théoriquement attendue en octobre, au sortir de la primaire. Dimanche, après la diffusion d’un documentaire mi-ébloui, mi-hagiographique sur Canal Plus, les experts en silences, en quarts de ton et en demi-phrases de DSK ont tranché : il « a pris sa décision. » N’attendez pas qu’on vous dise laquelle. Non, il s’agit de ménager le suspense, pour qu’il colle pile au calendrier socialiste et puisse rentrer à peu près dans l’agenda fourni par le FMI, l’actuel employeur du sauveur de la gauche.

La scène qui permet aux augures de trancher en faveur de l’appétence de DSK pour cette présidentielle se résume à un dialogue entre le patron du FMI et –excusez du peu- Bill Clinton, croisé à Yalta, à qui le Français demande « Should I stay or should I go ? » ( C’est le titre du plus grand tube des Clash, qu’on peut traduire par « J’y vais ou j’y vais pas ? »). Evidemment, Bill l’incite à foncer. Or poser la question, comme on disait autrefois, c’est déjà y répondre. Pourtant, ces derniers jours une rumeur insistante courait : certes DSK a décidé « d’y aller », mais pas à n’importe quel prix. Il ne demande rien moins que l’annulation pure et simple des primaires ouvertes – à l’américaine -, et leur remplacement par un mode de désignation plus traditionnel. Par acclamations du peuple de gauche, disons.

Revenons en arrière : il y a à peine une semaine, deux sondages plaçaient Marine le Pen en tête du premier tour de la présidentielle. DSK y apparaissait comme le meilleur candidat pour affronter la nouvelle patronne du FN et cela dès le premier round présidentiel. À en croire les sondages, il offrirait la meilleure résistance au tsunami frontiste, tout en distançant le plus nettement Nicolas Sarkozy. Performances auxquelles ne parviendraient pas Martine Aubry ou François Hollande et encore moins Ségolène, qui à défaut de conserver ses chances conserve néanmoins le droit d’être appelée par son prénom.

Immédiatement, les DSK boys sont montés au front, de Jean-Marie le Guen, dénonçant la cacophonie des primaires, à Pierre Moscovici se demandant ouvertement s’il ne fallait pas tout annuler (avant de modérer ses propos). Sans oublier ceux qui glissent sur le ton de la confidence que François Hollande se montrerait raisonnable en abandonnant l’aventure illico presto… Tous, officiellement ou de façon plus sourde, y sont allés de leur pilonnage en règle d’un système pourtant conçu largement dans le laboratoire d’un savant fou tout aussi strausskhanien qu’eux, Olivier Ferrand, le patron de Terra Nova, le machin qui pense pour le PS…

Les primaires, c’est le clash assuré

Mais il est vrai qu’entre le principe –c’est-à-dire des primaires qui permettent d’écraser tous les concurrents en arrivant comme le messie- et la réalité -un calendrier pas tout à fait aux petits oignons pour qui serait dans la nécessité de démissionner d’un boulot important aux Etats-Unis avant la fin de son mandat- il y a un monde. Ce dilemme, la poussée de Marine le Pen permet opportunément de l’évacuer. De manière soudaine, sous la menace préventive d’un 21 avril bis, à l’envers ou dieu sait quoi… Le salut public exige que le PS s’incarne ici et maintenant, parle vite d’une seule voix forte et claire. Soit celle de DSK, promu sauveur de la gauche et de la France.

La condition paraît pourtant un peu énorme. Certes, aujourd’hui, on voit bien que certains socialistes se rendent compte que l’acclimatation en France d’un tel système de pré-prez à l’américaine n’est pas simple. Inutile de revenir sur les risques de divisions dont il est porteur, les incertitudes juridiques qu’il génère, ou même sur la possibilité, non nulle, d’un bide participatif donc politique.

Mais enterrer les primaires n’est pas aussi facile que les missi dominici de DSK semblent vouloir le faire croire. Il va falloir encore un paquet de sondages avec MLP en tête au premier tour pour que le peuple de gauche renonce à sa castagne entre amis. Imaginons que les candidats abandonnent les uns à la suite des autres : les militants pourraient avoir l’impression désagréable de s’être fait piquer le peu de démocratie interne qu’on leur promet depuis des années. Au point, qui sait, de trainer des pieds pour la campagne, la vraie, celle contre Sarkozy et Le Pen. Quant à la droite, elle tiendra là un sacré motif de rigolade, et au-delà, d’attaque politique contre le candidat du PS qui ne tient pas ses promesses avant même d’avoir été élu…

Alors, pourquoi exiger le retrait des primaires, ou leur « assouplissement » ? Soyons paranoïaques : pour se trouver un bon motif de dire « finalement, je ne suis pas candidat à la candidature, puisque mes amis ont décidé de ne pas être raisonnables et de ne pas donner à la gauche la chance de revenir enfin au pouvoir » ?

Mais revenons à l’information du week-end, DSK a pris sa décision. Et mesurons la puissance de cette simple phrase. Et notons que quoi qu’il fasse, il aura mérité la palme du suspense le plus insoutenable et de l’éveil du désir le plus incontrôlable. Ce qui pour un socialiste n’est déjà pas si mal.

Luc Ferry ou la fatwa du lynx

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Semblable à un archange vengeur fièrement campé aux commandes de l’étincelant hélicoptère de la raison, Luc Ferry vient de survoler bruyamment la pensée de Philippe Muray. Muray vu du ciel, le voyage valait le détour ! Tout est vu de si haut que plus rien n’est reconnaissable. Grâce à son époustouflant numéro de voltige aérienne, paru dans Le Figaro du 17 février sous le titre « Philippe Muray ou la myopie extralucide », Luc Ferry nous fait découvrir un Muray nouveau, généreusement débarrassé de tous les traits de sa physionomie concrète et familière. Seule contrariété : notre pilote de chasse a malencontreusement oublié à terre ses lunettes et ses jumelles.[access capability= »lire_inedits »]

Ainsi, au milieu des toussotements toujours plus angoissants du moteur de son bolide rationnel, Ferry nous invite avec ardeur à examiner une indistincte bouillie verte, une soupe sans forme : le « Muray-en-soi », vu des cieux du kantisme terminal et garanti sans un gramme d’humour par son inventeur. Évidemment, le vulgaire, écœuré par une telle hauteur de vue, est tenté de demander où tout cela noumène. Cependant, voici que Luc Ferry arrache peu à peu notre œil inavisé à l’errance dans ces marécages informes, pointant avec autorité des striures obscures et des taches brunes, très brunes, de plus en plus nombreuses, bourdonnantes, menaçantes. La démonstration est là, imparable : vu du ciel, Philippe Muray est nazi.

Le kantien, nous le savons, est un animal joueur et souvent même espiègle. Coutumièrement, pourtant, les penchants joueurs du kantien convergent vers une passion unique : la démonstration rationnelle. « Je t’argumente-tu m’argumentes-par la barbichette » constitue, aux yeux des kantiens, le seul jeu vraiment sérieux et digne, source des plaisirs les plus ardents et les plus honnêtes à la fois. Curieusement, rien de tel dans la philippique contre Muray. Ferry le concède du reste, avec un sens appuyé de l’euphémisme : « Bien sûr, tout cela mériterait plus longue discussion et argumentation. » Sa diatribe, en réalité, est dénuée de toute espèce de démonstration valide. Elle ne contient, en son cœur, que des allégations hasardeuses d’ordre psychologique. Ferry, cette incarnation incontestée de la « grande santé » nietzschéenne, cet ayatollah rayonnant de bonheur démocrate, nous apprend que Muray est malade, très malade : frappé de « conscience malheureuse », atteint de pessimisme aggravé, de mégalomanie, d’hypertension apocalyptique et de haine haineuse de tout.

« Ô mon âme, je t’enseignais le mépris qui ne vient pas comme une pâture de vermine, le grand mépris, le mépris aimant qui aime le plus fortement lorsque fortement il méprise. » Qu’il me soit permis de préférer Nietzsche au psychologue Ferry. Pas une seconde, ce dernier ne semble en effet soupçonner cette hurlante évidence : que derrière la fureur comiquement hyperbolique de Muray puisse se cacher un amour de l’humanité un peu plus sérieux que celui dont il parle.

Pour Ferry, la démocratie n’a pas le droit aux misères, seulement à la « grandeur ». Les choses sont simples. Il existe trois divinités vraies : l’Homme, la Démocratie et le Libéralisme. Celui qui ne se prosterne pas devant elles signifie par là-même qu’il les hait. Et qu’il est un homme malade, à l’instar des Français donnés récemment pour champions toutes catégories du désespoir, qui vivent eux aussi dans l’erreur et le péché antidémocrates. Ferry nous informe en outre, avec un sens athlétique du raccourci, que toutes les autres formes de transcendance historique ou religieuse conduisent avec une fatalité mathématique au massacre maoïste. Si telle est la stupéfiante « vérité du siècle », je donne aisément acte à Ferry que Muray n’en a en effet rien compris.

Ferry reproche enfin à Muray sa fameuse « posture apocalyptique » (les mains levées vers le ciel, les yeux révulsés et le couteau sanglant du désespoir bestialement coincé entre les dents), sans jamais s’inquiéter de sa propre posture : celle de l’homme raisonnable, sérieux et pondéré. Celle-ci forme pourtant un contraste étonnant avec le contenu de ses propos.

Admirons une dernière fois la rigueur avec laquelle Ferry, de son impressionnant regard d’aigle aux yeux dévorés par une conjonctivite aigüe, établit le nazisme transcendantal de Philippe Muray. Après avoir accordé à Muray quelques charmes, Luc Ferry nous avertit sagement que nous aurions tort de suivre cet inquiétant joueur de flûte probablement originaire de Hamelin. En effet, « derrière sa critique tous azimuts des masses, c’est la haine de la démocratie qui suinte à chaque ligne. S’il tourne en dérision les foules festives, c’est à la manière du bourgeois qui se moque de la bonne espagnole. »

L’idée que Muray puisse rire avec la bonne des bourgeois montés sur roulettes – et éventuellement tenter de les aveugler en leur balançant sur le nez le jupon consentant de celle-ci – en dépit de sa crédibilité psychologique assurément plus convaincante, n’effleure pas l’imagination de Ferry. « C’est la haine de la démocratie qui suinte à chaque ligne. » Incapable d’étayer ses allégations mensongères sur une seule citation de Muray, celle-ci fût-elle tronquée et sortie de son contexte, Ferry en est réduit à mener son dialogue non avec la pensée vivante, comique et complexe de Muray, mais avec des « suintements » mystiques. Il ne se risque jamais à réfuter une thèse, ni aucun des énoncés réels de Muray, préférant à cela la tâche hardie et dépaysante de réfuter des « suintements ». Cet incurable rationaliste ne procède ici, pourtant, que par insinuations, glissements furtifs et chapeaux à fond truqué. Il commence en attribuant à Muray, de manière tout à fait exacte, une critique de la modernité et de la culture de masse. À partir de ce point, Ferry entame une passionnante dérive logique qui le conduit à une inattendue « haine des masses » et enfin à une aussi impardonnable qu’introuvable « haine de la démocratie ». Il est vrai qu’avec des critères de nazisme aussi flous que ceux de Ferry, Muray pourrait finir sa nuit au poste avec Adorno et Hannah Arendt. Et je crains, hélas, que la compagnie de ces deux autres fieffés nazis ne lui eût pas entièrement déplu.[/access]

Despentes, mutante militante

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Virginie Despentes signe un « manifeste ». Le clip Love Affair est, selon Les Inrockuptibles, « sensuel et engagé » : des mannequins nues s’insurgent contre la faim dans le monde, d’étonnants cortèges de cyclo-nudistes alarment sur la pollution ou la vie chère, de fieffés coquins prônent la pornographie pour lutter contre la déforestation et des Belges facétieuses menacent de ne plus faire l’amour si la chienlit continue: aujourd’hui le cul milite, c’est sa dernière raison d’être.

Se déshabiller sans raison valable est même considéré comme une réelle faute de goût tandis que reculer toujours plus loin les limites de la pudeur va de soi quand c’est pour la bonne cause. La seule qui vaille : celle qui met à bas les anciens clivages, qui détruit, dans un élan équitable et paritaire, les hiérarchies obsolètes, qui bâtit un monde de respect où toutes les différences sont à la fois exhaussées et aplanies, singulières mais relatives. Alors on montre ses seins contre le cancer et ses fesses pour faire la nique à la corrida, on se dénude plus pour gagner plus, vendre de l’eau de toilette ou briser le « régime fasciste de la famille nucléaire », toujours à bon escient et surtout pas pour le plaisir d’offrir ou la joie de recevoir. Au cinéma, une femme ne se laisse plus jamais dénuder pour rien (si elle le fait, c’est qu’elle mijote quelque chose), aucune chance d’y rencontrer de l’insouciance, de l’exhibition candide ou du plaisir gratuit : les films de Walerian Borowczyk sont devenus incompréhensibles. De même les scènes de sexe de la plupart des romans contemporains sont-elles formatées comme autant de rebondissements aussi attendus que la mort du père ou l’errance en bord de mer ; aucune ne s’impose comme tragique et nécessaire, comme intensité pure faisant basculer le récit : la littérature de Pierre-Jean Jouve est dépassée

Séduction planifiée, rencontre organisée, relation minutée

Le credo néo-puritain est imparable : à l’instar du jogging matinal, le sexe n’est plus qu’une technique d’hygiène corporelle parmi d’autres. Il ne témoigne certainement pas d’une quelconque union sacrée, ne permet aucune transfiguration, n’est la clé d’aucune transcendance. Sa gratuité le dévalorise et ses sortilèges sont passés de mode. Sa pratique désacralisée laisse la place aux mythologies de sa représentation, nécessaires pour stimuler les pulsions du consommateur ou faciliter sa soumission aux nouvelles morales.

Toute société désire instrumentaliser le sexe (on n’a pas attendu Virginie Despentes et le féminisme pro-sexe pour cela), mais la nôtre est la première à le faire non par crainte de ses pouvoirs mais parce qu’elle les méconnaît, les néglige ou les refuse. Les pièges sociaux et les leurres psychologiques, obstacles à la vérité d’une rencontre, règnent désormais d’un bout à l’autre de la chaîne et le processus se répète inlassablement : séduction planifiée, rencontre organisée, relation minutée.

Pour l’érotisme, il faudra repasser : trop chronophage, pas évident à caser entre la réunion d’actionnaires, l’achat de fringues sur Internet ou la composition des playlists de la fête prochaine. L’abandon n’est tout simplement plus acceptable : il conduit immédiatement à la dépendance. On commence par se laisser regarder, on commence par s’abandonner au regard de l’autre, et après on se fait carrément aimer !

S’il n’entre pas dans le registre de la comédie ou de la politique, le sexe fait perdre du temps, c’est-à-dire de l’argent : c’est bien pour cela qu’il faut le tenir en respect.

Présumé gênant

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Un documentaire de 88 minutes fait scandale au Mexique après une décision de justice controversée visant à l’interdire. Comme par hasard, il se trouve que ce film de Roberto Hernández et Geoffrey Smith, Presumed Guilty, (Presumé coupable) dénonce les carences de la justice mexicaine… Il s’agit de l’histoire vraie de José Antonio Zuñiga Rodríguez, un rappeur, arrêté dans une rue de Mexico par la police puis poursuivi pour le meurtre d’un homme qu’il ne connaissait même pas. Après un procès truffé d’irrégularités, et entaché de lourds soupçons de corruption, Zuñiga a écopé de 20 ans de prison. Le seul témoin qui l’avait accusé a depuis changé de version. Lors du jugement en appel, le juge, après avoir visionné le doc, libèrera Zuñiga considérant que les preuves étaient insuffisantes pour sa condamnation.

Bien accueilli par le public et la critique dès sa présentation officielle au festival de Toronto, ce Midnight Express à la sauce mole crée par les deux avocats de Zuñiga, Roberto Hernandez et Layda Negrete, a ensuite cartonné dans les salles mexicaines : avec 400000 entrées en trois semaines, Presumed Guilty a battu les records pour un film documentaire dans le pays.

L’interdiction, vivement critiquée dans l’opinion, va certainement contribuer à accroître sa popularité et les téléchargements – au Mexique et dans le monde – vont bon train.

Et si vous pensez à Florence Cassez, et bien vous n’êtes pas les seuls…