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Divorce au FN sur le mariage gay ?

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Le FN est contre le mariage pour tous, cela va de soi, n’est-ce pas ? Eh bien manifestement, non. Et l’ambiguïté de sa position est apparue depuis plusieurs semaines autour de la question de savoir si oui ou non, le parti ira manifester le 13 janvier.
Vous savez, ce grand raout contre la mesure sociétale qui focalise l’attention de tous puisque l’exercice de la politique, aujourd’hui, consiste à amuser la galerie pour éviter de montrer la convergence de vue des principaux partis de gouvernement sur les questions essentielles. Tous sont d’accord pour réduire les déficits au prix des pires politiques austéritaires, tous sont d’accord pour flexibiliser le marché du travail, pour baisser les charges, pour poursuivre et accélérer l’intégration européenne et pour en finir avec un modèle social obsolète devenu trop cher à financer depuis que l’on a décidé de privilégier la rente  aux investissements dans l’économie réelle.

Alors, pour amuser la galerie, on se livre à un grand chantier du slip et on fait croire que l’avenir de la civilisation est en jeu. On pourra faire remarquer que nous ne sommes pas seuls au monde, que la Belgique, dont on parle beaucoup ces temps-ci, l’applique depuis des années et n’a pas connu de catastrophe anthropologique : rien n’y fait. Adieu Florange, bonjour la discussion sur le sexe des anges. Vous savez, cette discussion des élites byzantines alors que les Turcs étaient sous les remparts de Constantinople.
Qui s’oppose à ce consensus orwellien aujourd’hui, sinon le Front de Gauche, Debout la République et le Front National ? Mais entendons-nous bien, pas n’importe quel  Front National : il s’agit désormais de celui qui a été conquis par Marine Le Pen, quand elle a remporté la victoire sur la ligne Gollnisch pour qui le FN se devait avant tout d’être la « vraie droite » et pas autre chose.

De multiples clivages ont toujours traversé le FN depuis sa création : cathos contre païens, ethnodifférentialistes contre solidaristes, royalistes contre nationaux-européens. Mais le plus important, celui qui les recouvre tous, se résume en une question : « Sommes nous un parti de droite dure ou sommes-nous autre chose ? ». Dans les années 90, Samuel Maréchal, le père de la benjamine de l’Assemblée Nationale, avait théorisé la ligne « ni droite ni gauche, la France ». Et déjà, en 1995, lors des grandes grèves de novembre-décembre contre le plan Juppé, le Front ne savait plus trop s’il devait soutenir cette révolte des travailleurs français contre l’Europe de Maastricht ou dénoncer la mainmise et la manipulation de syndicats tenus par les trotskystes ou les communistes.
Marine Le Pen, avec à ses côtés l’ancien chevènementiste Philippot, rêve elle aussi aujourd’hui d’un FN qui soit ni de droite ni  de gauche. Un parti qui ne représente pas une alternance mais une grande alternative. Et c’est très compliqué parce qu’il faut surmonter des contradictions politiques de deux ordres : internes et externes.

À l’interne, il y a les pesanteurs de la vieille garde qui lance régulièrement ses anathèmes depuis Rivarol et Minute, ce dernier venant d’expliquer que les hésitations de MLP sur le mariage pour tous proviendrait d’un lobby gay autour d’elle (on salue l’élégance du procédé[1. Comme on saluera l’élégance de cet article des Inrocks sur le même sujet qui arrive à conjuguer l’homophobie et les positions d’Act-Up sur le coming-out, ce qui relève de l’exploit dialectique.]). Ceux-là n’aiment pas trop entendre parler de « compatriotes musulmans », de « droit à l’avortement » et même, sur le plan économique, des attaques contre « le libéralisme financier qui ruine la France ».
L’aggiornamento de MLP, pourtant, n’a pas empêché  le FN, à l’extérieur, d’être systématiquement classé au sens large comme faisant partie de la droite, et d’ailleurs la seule question des alliances qui se pose pour lui est celle avec l’UMP. On a beau dire UMPS par ci, UMPS par là, c’est bien l’UMP qui apparaît électoralement comme le partenaire qui va de soi si on veut un jour prendre des mairies et qui sait accéder au pouvoir. C’est ennuyeux parce que, dans l’idéal, Marine Le Pen rêve d’une politique de rupture qui n’a rien de commun avec la vision du monde d’un Copé ou d’un Fillon. Protectionnisme, relance, sortie de l’Euro et de l’UE. Et elle a un mal fou à faire entendre cette différence, comme en d’autres temps Chevènement ou Seguin qui finirent par rentrer dans le rang de leurs camps respectifs.

Or voilà que le mariage pour tous va faire défiler contre lui ce dimanche 13 janvier des gens de droite, banalement de droite, dont la plupart n’ont pas grand-chose à faire de la question du mariage pour tous en tant que tel mais veulent surtout marquer une opposition de la rue à la gauche au pouvoir. La preuve, c’est qu’ils oublient au passage qu’il y a des adversaires du mariage gay à gauche et pourtant, on peut parier sans trop de risques qu’on ne verra pas de gens de gauche à cette manif à peu près aussi « apolitique » que l’était celle pour l’école libre en 1984, présentée d’ailleurs comme la référence par les organisateurs du 13.

Marine Le Pen sait tout cela. Elle sait aussi que rien ne lui interdit dans l’avenir d’espérer récupérer un certain électorat gay qui angoisse face à l’islamisme ou même celui des bobos des villes, partisans de l’hédonisme sécuritaire qui avait fait le succès électoral d’un Pim Fortuyn. Elle n’a pas tellement envie de s’aliéner ces soutiens potentiels qui sont culturellement de gauche. Mais en même temps, que faire avec ses cathos tradis ? La quadrature du sexe, en quelque sorte…
Sans compter que sa vraie base actuelle, celle des ouvriers d’Hénin-Beaumont et d’ailleurs,  la trouve beaucoup plus convaincante dans sa condamnation des délocalisations que dans son éventuelle opposition au mariage pour tous qui n’est pas franchement leur premier souci.
Et tout ce monde-là pourrait changer d’avis au sujet du New-FN, si on la voyait bras dessus bras dessous avec Copé, à crier des slogans qu’emportera le vent d’hiver dans l’insignifiance des faux clivages sociétaux.

Alors, elle a choisi de ne pas choisir, ce qui n’est pas forcément, d’un point de vue tactique, la plus mauvaise solution.

*Photo : Ernesto Morales.

Hollande régresse

hollande conseil constitutionnel

Si l’on reprend l’histoire de la Ve république, on constate qu’il est parfois regrettable, mais en tout cas très habituel, qu’un président en début de mandat envisage de réviser la constitution. En somme, il était assez normal que François Hollande se laisse tenter à son tour, comme il s’en est expliqué le 7 janvier lors de ses voeux au Conseil constitutionnel. « J’entends, a-t-il alors déclaré, mettre fin au statut de membre de droit du Conseil Constitutionnel des anciens présidents de la République. Je proposerai donc d’y mettre un terme mais uniquement pour l’avenir ». Par ailleurs, il a évoqué, pêle-mêle, la consolidation de l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, la suppression de la Cour de justice de la République, déclarant en revanche avoir renoncé  à l’idée du « parrainage citoyen » des candidats à la présidentielle.  Enfin, toujours très normalement, notre président normal a émis le souhait « que ces dispositions soient adoptées par le Parlement réuni en Congrès, dans les mois qui viennent ».

Soyons honnêtes : la plupart de ces propositions – et notamment la plus emblématique d’entre elles, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel -, apparaît techniquement pertinente. En vertu de l’actuel article 56 alinéa 2 de la constitution, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel . Cette règle avait été instituée en 1958 pour des raisons à la fois conjoncturelles (fournir au président Coty, qui s’était obligeamment retiré devant De Gaulle, une fonction au sein de l’État), et politiques (le prestige de la fonction présidentielle exigeant que ses anciens titulaires ne se retrouvent pas à la rue… ). À l’époque, elle paraissait d’ailleurs d’autant moins contestable que le Conseil constitutionnel était conçu comme un organe politique, principalement chargé d’éviter une rechute dans le régime d’assemblée. Cependant, petit à petit, la situation s’est très profondément modifiée,  et à la suite d’évolutions jurisprudentielles et de révisions constitutionnelles riches de conséquences, le Conseil constitutionnel s’est transformé en une véritable Cour, au même titre que ses homologues étrangers : répondant aux voeux du chef de l’État, Jean-Louis Debré, évoquait d’ailleurs, le 7 janvier dernier, “l’achèvement de la juridictionnalisation du Conseil”, réalisée depuis 2010.

Dans ce contexte profondément renouvelé, la présence d’anciens présidents au sein de cette haute juridiction s’avère donc incongrue – dans la mesure où, quelles que soient leurs compétences, ceux-ci ne sont pas au premier chef les juristes, mais des hommes d’État, des politiques qui statueront comme tels, ou seront soupçonnés de le faire. Du reste, détail significatif, les anciens présidents sont dispensés du serment que doivent prononcer les membres nommés du Conseil, lesquels  « jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique ». En somme, il était effectivement urgent de mettre fin à cette exception française. Ceci dit, même sur ce plan technique, la révision prévue par le président Hollande n’apparaît pas pleinement satisfaisante : d’abord, parce qu’elle ne traite pas le problème essentiel, celui de la désignation des membres nommés du Conseil ( lesquels peuvent parfaitement ne rien connaître au droit, et n’avoir été nommés que pour des raisons politiques), et ensuite, parce qu’elle n’aura pas d’effet rétroactif . Ce qui signifie que Nicolas Sarkozy devrait, sauf accident, pouvoir y siéger jusqu’en 2040, et donc, que la « normalisation juridictionnelle » du Conseil ne se trouvera pleinement réalisée que lorsque le petit-fils de Nathalie Kosciusko-Morizet sera en âge de briguer la présidence de la République.

Techniquement plausibles, ces propositions de révision apparaissent en revanche politiquement problématiques. Sur ce point, le patron du PS, Harlem Désir, abonné aux bévues à répétition, a involontairement levé le lièvre en déclarant que « la suppression de la présence » des ex-présidents au sein du Conseil mettait « fin à une aberration démocratique« . Ici, c’est l’adjectif qui passe mal : car si cette présence était effectivement devenue une aberration (juridique), elle restait en revanche parfaitement démocratique. Ceci dit, Désir n’est ici que la voix de son maître, puisque François Hollande, lors de ses voeux du 7 janvier, déclarait entendre « promouvoir la  démocratisation de nos institutions ». Le mot démocratie fait évidemment toujours chic dans un discours. Mais en réalité, on constate que toutes les révisions annoncées par le président vont dans le même sens, celui – osons l’affreux néologisme – d’une «  dé-démocratisation » du système.

Prenons, par exemple, celle que l’on vient d’évoquer, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel : actuellement, les Français, lorsqu’ils procèdent à l’élection du président de la république au suffrage universel, désignent non seulement le prochain chef de l’État, mais aussi une personnalité dont ils savent qu’elle deviendra membre de droit du Conseil constitutionnel. Ces membres de droit sont donc, en quelque sorte, élus par le peuple à la fonction qu’ils vont occuper. Qu’il s’agisse d’une situation peu satisfaisante au regard des principes d’impartialité et de neutralité  de la justice, nul n’en disconviendra : pour autant, la procédure n’en est pas moins démocratique. Plus démocratique, en tout cas, que la désignation des membres nommés, dont le rapport avec le suffrage universel est par définition beaucoup moins direct…

Et il en va de même des autres révisions annoncées, comme la suppression de la Cour de justice de la république. Les ministres, lorsqu’ils sont soupçonnés d’avoir accompli dans l’exercice de leurs fonctions des actes qualifiés crimes ou délits, relèvent actuellement de cette Cour de justice, composée de 15 juges, dont 12 parlementaires. La suppression de cette dernière entraînera donc la compétence des juridictions pénales ordinaires : ce qui, là encore, peut apparaître (juridiquement) plus satisfaisant –  même si la cour comporte actuellement trois magistrats issus de la Cour de Cassation, dont l’un est chargé de la présider-, mais n’en constitue pas moins une régression démocratique – les ministres se trouvant alors jugés par des magistrats ordinaires, dépourvus de toute légitimité démocratique propre, et non plus par des parlementaires élus devant lesquels ils sont par ailleurs politiquement responsables.

Dans ce contexte, on ne saurait s’étonner de la dernière annonce faite par le chef de l’État, relative à la question du parrainage pour l’élection présidentielle. La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin avait préconisé en novembre dernier l’’instauration d’ « un parrainage citoyen« , avec au moins 150 000 signatures qui seraient restées anonymes : solution qui aurait permis de mettre fin à une situation intenable et scandaleuse, critiquée par l’ensemble des candidats à la dernière élection présidentielle. Or, malgré ses promesses, le président Hollande a préféré botter en touche pour une raison prétendument « pratique » sur laquelle il n’a pas souhaité s’appesantir : « S’agissant de la proposition relative au parrainage citoyen pour l’élection présidentielle, la concertation à laquelle j’ai procédé m’a finalement convaincu de la difficulté de sa mise en œuvre. » Et donc, de la brûlante nécessité de ne rien faire, jusqu’à la prochaine fois. En sera-t-il de même de ses autres promesses, et notamment, de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ?

Au total, notre président envisage donc une révision à son image,  “social –libérale”,  techniquement défendable mais démocratiquement régressive : et pour rester logique avec lui-même, il entend y procéder, non par référendum, ce qui l’obligerait à s’expliquer devant le peuple, mais par la voie, plus balisée, moins périlleuse, moins démocratique mais tellement plus confortable, du congrès…

*Photo : Parti socialiste.

Rossons Ronsard !

« Des Turcs, des Mammeluks, des Perses, des Tartares ;

Bref, par tout l’univers tant craint et redouté,

Faut-il que par les siens luy-mesme soit donté ?
France, de ton malheur tu es cause en partie ;
Je t’en ay par mes vers mille fois advertie :
Tu es marastre aux tiens et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers,
Car sans aucun travail les estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent. »

Quezaco ? Un discours de Jean-Marie Le Pen traduit en vieux françois ? Les statuts du fan club québécois de Philippe de Villiers ? Vous n’y êtes pas, ce petit fragment poétique est extrait des œuvres complètes d’un certain Pierre de Ronsard, rééditées par La Pléiade[1. Pierre de Ronsard, Discours à Guillaume des-Autels, Œuvres complètes de Ronsard, éd. La Pléiade, tome II, p. 568.] qui circulent en vente libre dans notre pays. Xénophobe, voire islamophobe, ces vers suintent le françois de souche, comme dirait une critique littéraire avertie.  Si rien n’est fait contre ce réactionnaire à la malfaisance post mortem, ne nous étonnons pas de retrouver un jour des odes à la femme si peu gay-friendly que les partisans du mariage pour tous s’y étrangleraient.

Décidément, bénie soit la HALDE qui, avant de rendre son dernier souffle, avait préconisé d’abandonner l’enseignement du fameux « Mignonne, allons voir si la rose » accusé de « véhicule(r) une image somme toute négative des seniors ». « Tandis que vostre âge fleuronne/ En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse/ Fera ternir vostre beauté. » : si ça, c’est pas de l’âgisme…

Récapitulons. Ronsard est rétif à la diversité (mais pas de la bretonne, humour…), essentialise la femme en ignorant la théorie du genre et caricature nos aînés en vieux croulants. Qu’attendent donc Vincent Peillon, Najat Vallaud-Belkacem et Michèle Delaunay pour le bannir des programmes scolaires, des stages de rééducation  féministe et autres Pictionary gaiement pratiqués en maison de retraite ?

Le mariage pour personne !

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jalons mariage manif

Vous, président de la République, qui n’êtes même pas marié à votre âge, ayez le courage de vos opinions !

Ces chaînes conjugales que vous avez toujours refusées pour vous-même – malgré de belles occasions ! -, ne les étendez pas arbitrairement aux catégories de la population jusqu’alors préservées par la loi.

En tant qu’homme de progrès, allez jusqu’au bout de votre logique émancipatrice en abolissant pour tous cette institution contraignante et hors d’âge !

 

Vous, président de la République éclairé, brisez enfin ce vieux carcan du mariage, devenu insupportable avec l’allongement de l’espérance de vie !

De grâce ne vous abritez pas derrière les mots d’« égalité » et d’« amour » : l’amour est inégalitaire, hélas, autant qu’il est libertaire. « L’amour est enfant de Bohême, qui n’a jamais-jamais connu de loi », comme disaient Meilhac & Halévy. « Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin », chante en écho Brassens.

Le mariage est le contraire du sentiment amoureux, enivrant et volatil : un astreignant et interminable CDI !

Oui à l’égalité, à condition qu’elle soit un progrès pour tous ! Les gays ont toujours été en avance d’une tendance ou d’un décalage. Au nom de quoi figer leurs amours dans un cadre bourgeois hérité du XIXème siècle le plus hypocrite ?

L’avancée sociétale, la vraie, c’est l’inverse : débarrasser aussi les hétéros de cette institution, dont ils ne se savent même plus pourquoi ils l’ont épousée !

 

Vous, président de la République normal mais avancé, montrez-nous la voie de l’Avenir, qui s’appelle émancipation pour tous !

Au nom de l’Égalité dans la Liberté, il est temps d’abolir cet esclavage mutuel qu’est le mariage. L’heure est venue de proclamer la séparation des sentiments et de l’État !

Accessoirement c’est votre intérêt, en ce moment, de marquer les esprits par une grande réforme sociétale qui fasse oublier le reste.

 

Tous dans la rue dimanche 13 janvier contre tous les mariages !

 R.-V. : 14h au Café d’Enfer

22 rue Daguerre, 75014 Paris.

 

Collectif Tous Contre le Mariage ! ®

 

*Photo : Clapagaré ! (Les chiquitos)

Les sosies se ressemblent comme des jumeaux

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diane arnaud guitry

Les nuits de Noël sont celles où l’on enregistre le plus d’admissions en urgence dans les hôpitaux. Plutôt que de vous suicider, de massacrer vos enfants parce qu’ils ne sont pas aussi sages que le petit Jésus ou d’être poignardés, comme le fut Paul Gégauff, par une enquiquineuse, regardez plutôt un film de Sacha Guitry et, pourquoi pas, un des plus méconnus : La Vie d’un honnête homme (1952, en DVD) qui est aussi, avec Le Roman d’un tricheur, un des plus cyniques. Michel Simon, l’immense Michel Simon, tient à la fois le rôle d’un très honnête homme, riche industriel de surcroît, et celui de son frère jumeau, charlatan et voyou.
Les cinéphiles avertis savent qu’on doit à Sacha Guitry l’introduction de la « voix off », en 1936, dans Le Roman d’un tricheur, mais oublient parfois les trouvailles cinématographiques de ses films. Notamment, dans La Vie d’un honnête homme, le champ-contrechamp virtuel sur les deux Michel Simon, subtil artifice de montage créant l’illusion suprême. Ce n’est pas pour rien qu’il fut souvent qualifié d’ « illusionniste de génie » par la critique. Mais c’était aussi et surtout un moraliste qui avait repris à son compte la formule de Jules Renard : « J’ai connu le bonheur, mais ce n’est pas ce qui m’a rendu le plus heureux » − à répéter cent fois la nuit de Noël.[access capability= »lire_inedits »]

Diane Arnaud appartient à la famille spirituelle de Sacha Guitry. Elle n’aurait pas déparé ses films. Mais elle a préféré écrire des livres sur le cinéma. Le dernier en date : Changements de têtes. De Georges Méliès à David Lynch (éd. Rouge profond) nous remet en mémoire tous ces films qui font siéger un acteur avec ses autres lui-même en proches parents. On y rencontre, bien sûr, Sir Alec Guinness (Noblesse oblige, 1945), Peter Sellers, Jerry Lewis et Michel Simon. Si l’art de la critique cinématographique consiste à nous faire aimer les films en nous ouvrant les portes de mondes invisibles, Diane Arnaud y parvient avec une grâce et une ironie jubilatoires. On se croirait presque dans un film de Sacha Guitry (Mon père avait raison, par exemple), tant il y a un air de famille « entre le vieux cynique » et la jeune érudite encore enivrée par ce qu’elle a vu et aimé dans les salles obscures. Elle écrit comme on se confesse : pour changer de tête.

Lors d’une soirée arrosée au saké chez Yushi, le restaurant japonais de la rue des Ciseaux, elle m’a appris pourquoi les films, avant de faire leur entrée dans les cinémathèques et les universités, étaient systématiquement détruits après avoir été exploités. J’imaginais que c’était pour des problèmes de stockage. Pas du tout. C’était, plus prosaïquement encore, pour récupérer les sels d’argent raclés sur la pellicule et les recycler sous forme de peigne ou de vernis. Cela amusait beaucoup Diane de songer que la cosmétique était le destin final des films et que Greta Garbo entrait à l’usine pour en ressortir sous forme de vernis à ongles.

Sic transit gloria mundi.[/access][/access]

Changements de têtes. De Georges Méliès à David Lynch, Diane Arnaud (éd. Rouge profond) 

*Photo : La Vie d’un honnête homme (S. Guitry).

Maulin : le Cosaque est nu !

Hourrah ! Les atamans de la rue Sambre-et-Meuse (Paris, Xe) sont descendus de leurs drojkis pour croiser le fer avec la populace culturo-mondaine du Cercle cosaque. Après la soirée éthylique de février dernier, lorsque Olivier Maulin avait distillé son cocktail de littérature et d’alcoolisme au cours d’une lecture épique, mettant aux prises un buveur de schnaps nostalgique de l’Opération Barbarosa et son dévot voisin, l’heure est (toujours…) à la littérature, cette fois conjuguée… au naturisme. Les zaporogues habitués du bar Chez Barak sont donc invités à communier nus avec la Nature, le chef couvert d’une toque, pour renouer avec la Terre nourricière.

Dans l’esprit de ses réjouissants Evangiles du lac (Balland, 2008), Maulin s’apprête ainsi à mélanger Tradition, socialisme et conservatisme dans son phalanstère aux accents libertaires assumés. Nul ne sait encore si son Don paisible s’agitera, ni de quel bois le public se chauffera pendant la lecture inédite d’extraits choisis de son prochain roman. Les plus impatients peuvent d’ores et déjà en savourer le sel grâce à ce petit synopsis pas piqué des hannetons :

« À peine leur cabane sur pied et leur potager délimité, Louis et Ninette dénoncèrent le féodalisme ambiant et entreprirent de transformer le domaine en colonie agraire communiste-libertaire de tendance crudi-végétarienne. Ils exilèrent vaches et moutons, décrétèrent l’amour libre, instituèrent le nudisme et la collectivisation des terres. La belle Ninette, au corps sain et musclé, se mit à cultiver son potager en tenue d’Eve, si bien que la plupart des hommes du domaine se convertirent à l’anarchisme et retirèrent leur pantalon »

Si après cela, il faut encore vous convaincre, c’est qu’un petit exil – fiscal ou carcéral – en Mordovie s’impose, histoire de retrouver les idées claires, les valseuses gelées par l’hiver russe.

Avis à tous les autres, nudistes d’un jour : vous savez désormais où inaugurer dignement 2013, l’année de la braise…

Ce soir 20h30 Chez Barak, 29 rue Sambre et Meuse, Paris Xe (Métro Belleville ou Colonel-Fabien)

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Quousque tandem abutere, Hollanda, patientia nostra ?

pacs hollande mariage

Les latinistes me pardonneront d’avoir forgé un latinisme de première déclinaison pour désigner par « Hollanda » le type qui se croit chef de l’Etat, mais l’esprit y est, c’est ce qui compte. Alors, si je reprends le tricolon (il ne s’agit pas d’un individu à trois intestins, ô lecteur inculte, mais d’une composition rhétorique énumérant trois éléments indépendants en gradation) célèbre de la première Catilinaire de Cicéron, cela donnerait quelque chose du genre : Mais enfin jusqu’à quand, Hollande, abuseras-tu de notre patience ? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ton imposture ? Où s’arrêteront les emportements de ton culot effréné ?
Tout cela pour parler de mariage homosexuel, ce cache-misère dont on nous rebat les oreilles depuis des mois afin de ne pas parler de chômage, ni de désindustrialisation, ni des cadeaux faits aux banques, ni du néo-libéralisme à la sauce socialiste, ni de la rétrogradation des écoliers français de le tréfonds des classements internationaux, ni de l’escroquerie consistant à proposer cette année deux concours de recrutement d’enseignants alors que nous n’avions pas l’année dernière assez de candidats en état de marche pour remplir tous les postes proposés, ni…

L’incompétence des gens au pouvoir n’a d’autre traduction que l’aposiopèse (ça non plus, ce n’est pas une maladie, ô lecteur ignare…).
Mais voilà : savoir si les homos des deux sexes (et du troisième si vous y tenez) pourront ou non se marier et adopter des enfants, ça, c’est primordial. Que d’excellents amis qui préfèrent les hommes se laissent prendre à ce miroir aux alouettes et s’enflamment depuis l’élection de Monsieur-tout-le-monde à la présidence pour savoir s’ils passeront un jour devant le Maire donne la mesure du pouvoir d’illusion médiatique. On ne parle pas tout à fait que de ça, mais pas loin. Le mariage homo est devenu le chiffon rouge de l’actualité. Si j’osais (allez, osons), je dirais qu’il sert de cache-sexe politique : occultez cette crise que je ne saurais voir, oubliez la façon ignominieuse dont nous laissons l’Allemagne humilier la Grèce, et ne répétez pas trop fort que le caviar, le foie gras et le champagne sont gratuits à Versailles à l’Elysée. « Ils » devraient se méfier : en 1788, plus rien finalement n’a permis de faire oublier le prix du pain. Et l’année suivante…

Petit rappel des faits : le mariage homo, ce n’est pas d’hier.

À la fin des années 90, lorsqu’on proposa à des sociologues de qualité (cela existe), en l’occurrence Irène Théry (que j’ai connue un peu) de réfléchir sur ce qui allait devenir le PACS, ils pesèrent posément les questions juridiques, et proposèrent une formule qui établissait des droits équivalents pour les couples mariés ou pacsés — en particulier dans la question douloureuse des transmissions d’héritage. Il était fréquent qu’au décès de l’un des partenaires, la famille du défunt arrive en trombe pour mettre à la rue le compagnon du défunt, alors que les couples légalement passés devant le maire se transmettent les biens, immobiliers ou autres, au dernier vivant, et évitent ainsi des expulsions dramatiques — entre autres. Et dans ces années 90, en pleine expansion du SIDA, bien avant l’invention des tri-thérapies, c’étaient des situations de tous les jours. Irène a expliqué elle-même en quelles circonstances elle avait saisi sur le vif, si je puis dire avec un peu d’humour noir, la situation juridique née de l’épidémie et des décès à la chaîne qu’elle entraînait.

Mais voilà : le gouvernement Jospin, après avoir demandé à des personnalités compétentes d’imaginer un dispositif qui résoudrait légalement, et sans avoir à en passer par l’adoption d’une loi, ces difficultés matérielles — bref, le PACS —, a eu peur de sa propre audace (le PS, on le sait bien, c’est comme le tango, un pas en avant, deux pas en arrière). Comment ! On risquait de se brouiller avec des chrétiens (catholiques et protestants, hein, Lionel…) ou des musulmans qui persistaient à penser que les homos étaient des créatures de l’enfer[1. Par parenthèse, il faudra que l’on m’explique comment, en dehors d’une hypothèse masochiste, on peut être homosexuel et croyant — quand ces braves gens ont brûlé à qui mieux mieux les sodomites pendant des siècles. Voir Maurice Lever, Les Bûchers de Sodome, Fayard, 1985.]… On risquait d’outrager des gens qui de toute façon ne votent pas pour vous — mais c’est une tendance lourde, à gauche : on fait des cadeaux aux patrons et aux banquiers qui n’attendent que le retour des copains au gouvernement — comme si la droite pouvait être plus accommodante que cette gauche-là —, on flingue les classes moyennes en alourdissant les impôts directs, et on assomme le peuple en augmentant la TVA : un sans-faute…
Hmm… Baisser culotte devant des prêtres, est-ce bien raisonnable ? N’empêche : on a fabriqué un PACS vidé de toute substance — et on a collé une Légion d’Honneur à la sociologue qui avait si bien conçu ce que l’on n’appliqua pas.

Alors, que faire, comme disait si bien le camarade Oulianov en son temps ? Je me méfie des propos du Café du Commerce, qui commencent tous par « yaka ». Mais là, franchement, il suffit de passer un décret stipulant que désormais les Pacsés auront intégralement les mêmes droits que les couples mariés — point à la ligne.  Le gouvernement, s’il n’avait pas eu derrière la tête l’idée de se servir de cette histoire comme paravent de ses turpitudes, aurait pu expédier la question pendant l’été. Non pas donner le droit de se marier, mais donner le droit de ne pas se marier. Ça n’empêcherait pas celles qui le désirent de se déguiser en meringues. Si le mariage est aujourd’hui démonétisé au niveau religieux (mais je n’en suis pas sûr, au moins pour les électeurs de Christine Boutin), quelle importance d’accorder le mariage aux homos ? Autant inciter les hétéros à se pacser — ils s’épargneront les frais d’avocat lorsqu’ils se « démarieront », pour reprendre le titre de l’un des premiers ouvrages à succès de la sociologue susnommée[2. Irène Théry, Le Démariage, Odile Jacob, 1993.]. Franchement, amis homos des deux sexes, votre ambition de vous marier pour payer un avocat lorsque vous vous séparerez (« Le mariage est la principale cause de divorce », disait l’excellentissime Oscar Wilde), et une prestation compensatoire monstrueuse à votre ex, me paraît d’une imbécillité absolue — en toute amitié.

Quant à la question de l’adoption et de la procréation médialement assistée… Si l’on donne tous les droits du mariage, pourquoi ne pas donner celui-là aussi ? Je ne me situe pas sur un plan juridique, je me fiche de savoir si un enfant doit être élevé par des individus de sexe différent (dans 50% des cas dans les grandes villes, il est élevé par une seule personne aujourd’hui, et ça n’a l’air de choquer personne — nous en essuyons les conséquences à l’école, dans bien des cas), et si la sexualité de ses parents peut ou non influencer la sienne (et alors ? Il y a bien aujourd’hui des gosses sommés d’être hétéros et qui n’en sont pas plus heureux). Je dis simplement que confier des gosses à un couple homo, à un couple hétéro, ou à un célibataire n’a aucune importance : de toute façon, comme disait intelligemment Freud, quoi que vous fassiez pour les élever, vous ferez mal. Entourez-les d’amour, baignez-les dans les conflits, les résultats seront statistiquement comparables : la même proportion de crétins et de génies (en fait, un mauvais lutin me souffle que les conflits génèrent plus de génies que l’amour — je m’acharne à le faire taire, mais je crois que les traumatismes sont plus formateurs que les câlins — ou pas moins).
Au passage, c’est encore une façon d’agiter le chiffon rouge : vu les conditions horriblement restrictives que l’on vous impose pour adopter, les enquêtes en tous genres, les interventions si intelligentes et mesurées des DDASS pour arracher des enfants presque rééquilibrés à des parents aimants sous prétexte de pouvoir les réaffecter à des parents ivrognes, ou camés, ou violents, l’adoption ne concernera chaque année qu’une frange minuscule des couples en mal d’enfant.

Alors, en vérité, cessons de nous intéresser à un débat qui n’est qu’un leurre. Établissons les mêmes droits pour tous les êtres humains (et j’ai connu au cours de ma carrière des parents hétéros qui n’avaient rien d’humain, vu ce qu’ils faisaient subir à leurs marmots). Et concentrons-nous sur les vrais problèmes — tous ceux que le présent débat permet ingénieusement d’occulter. Je sens bien que voici une occasion de me reprocher de manquer de sensibilité, patati-patata, etc. Mais franchement, quelles sont vraiment les urgences, en ce moment ? Le « mariage homo », et les adoptions qui s’y rattacheraient éventuellement, qu’est-ce que ça pèse, face à 9 millions de chômeurs ? Face aux glaneurs qui font les poubelles chaque matin ? Face à l’école qui part de plus en plus en miettes ? Face à la perte de pouvoir d’achat de toutes les classes inférieures aux super-riches ? Je m’en fiche à une profondeur incroyable que Depardieu donne des brevets de civisme à Poutine. Thierry Le Luron, en faisant semblant de se marier avec Coluche, avait intelligemment ramené la question à ce qu’elle est actuellement — une image dans la société du spectacle.

*Photo : philippe leroyer.

Autocensure à Bruxelles

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Dans quelques jours se tiendra à Bruxelles l’annuel Salon de l’auto. Et, bien entendu, de nombreux ministres honoreront l’événement de leur présence. Parmi eux, Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur. Viendra-t-elle admirer les châssis et carrosseries ? Se penchera-t-elle avec intérêt sur les moteurs, bielles, batteries, bougies, etc, paraît-il nécessaires à la mise en marche desdits moteurs ? Ou alors, plus branchée, s’intéressera-t-elle de près aux nouveaux carburants « propres », « bio », « recyclables », « durables », « équitables », bref ceux qui feront rouler, et qui sait ?, peut-être voler, nos bagnoles de demain grâce au pipi de chat, à l’eau de mer ou aux feuilles mortes ?

Pas du tout. Mâme Milquet viendra vérifier que les hôtesses présentes sur les stands des constructeurs automobiles ne sont pas vêtues de manière trop sexy ! Et pour faire bonne mesure, elle profitera de son passage pour vérifier que la parité homme/femme est équitablement respectée au sein du personnel d’accueil, hôtesses et stewards.

Voilà qui constitue effectivement une mission essentielle et urgente. D’ailleurs, chez Suzuki, on a promis d’obéir à la cheftaine. Bart Hendrickx, porte-parole de Suzuki l’affirme : « On veut éviter de choquer Mme Milquet et d’autres personnes. Cette année, nous avons donc prévu de faire travailler des mannequins féminins ET masculins. Comment les hôtesses seront-elles habillées ? On dévoilera tout cela jeudi. On ne verra pas beaucoup de cm2 de leur peau. Vous verrez, nos mannequins seront très attractifs ».

Dommage, pour une fois qu’il y aurait eu de beaux grands mâles avenants au Salon de l’auto, j’y aurais bien pointé le nez. Mais s’ils sont habillés en col roulé, ça me tente déjà nettement moins…

Accusé Bedos, levez-vous !

nicolas bedos collectifdom

Ça y est, ils ont (res)sorti leur matraque. « Ils », ce sont les antiracistes autoproclamés, dirigeants d’associations qui prospèrent sur le lit des discriminations, de la xénophobie et autres pestes noires dont l’impossible éradication signerait la fin de leur fructueux fonds de commerce. Cette fois, nul « néo-réac » n’est mis à l’index, nul « néo-facho » imaginaire cloué au pilori pour avoir « dérapé » au-delà des bornes étroites du pluralisme autorisé. Non,  l’association CollectifDom porte plainte pour injures raciales contre le degauche Nicolas Bedos, coupable de chroniques acides, complaisamment publiées sur le site de Marianne, publication qu’il faut désormais ajouter à la liste des « blanchisseurs » d’idées nauséabondes. Qu’est-il donc arrivé au dramaturge tombé dans la marmite cathodique dès l’âge de la puberté ? Aurait-il abusé de lectures interdites, adhéré à on-ne-sait quelle doctrine racialiste pour tuer le père ? Bedos-Günther-Chamberlain même combat ?

Que nenni, l’humoriste a simplement fait son travail et commis le crime impardonnable de vouloir… faire rire. Deux textes sont en cause. Le premier, « Indolence insulaire », met en scène une famille d’odieux beaufs normands électeurs de l’UMP qui croise le chemin du chroniqueur en vacances aux Antilles. Le seul personnage positif de l’histoire s’appelle Gilles, guadeloupéen guide de son état qui exaspère le narrateur par son éloquence par trop ostentatoire. Ce dernier, amer, achève son récit en s’exclamant : « Enculé de Nègre », rehaussant ainsi le prestige de sa victime.  Nicolas Bedos n’aime rien tant que de s’en prendre à lui-même, son masochisme textuel dépassant même son anticopéisme viscéral qui lui fait dépeindre la clientèle de l’UMP comme une clique de beaufs avachis dans leur suffisance cocardière.  À ce jour, aucune fédération UMP normande n’a assigné Bedos en justice pour protester contre sa déplaisante caricature : mauvais perdant, mauvais public, les Dupont Lajoie sortent laminés de l’apologue, loin derrière le portrait flatteur du régional de l’étape. Il n’empêche, l’ « indolence insulaire » de Gilles, expression qui nourrit nombre de blagues corses, ne passe pas davantage aux yeux de CollectifDom.

Passons au second objet du scandale. Un récit autofictionnel intitulé « Un voyage en Chirac ». Avant que le narrateur ne se métamorphose en un ancien président gâteux et  incontinent, il dresse le bilan de ses vacances antillaises, non sans écorner sa chère et tendre au passage : « ma tendre fiancée qui, la veille, déguisée en nudiste, fredonnait du Jean Ferrat sur une plage d’autochtones oisifs, enfonçait désormais ses ongles sur l’application Bourse.com de son iPhone 5 ». « Autochtones oisifs » : les dés sont jetés pour CollectifDom, dont les porte-paroles « ne nie(nt) pas que ce soit de l’humour, mais parle(nt) d’humour néfaste ». Traduisez : on peut rire de tout sauf des Antillais, des Maghrébins, des Syriens en guerre, des Mayas mauvais augures, etc.

C’est donc l’usage « nauséabond » – un adjectif à inscrire en lettres d’or dans les futures annales de la répression médiatique – de clichés « racistes » qui est reproché à Bedos fils. Après un mauvais procès en antisémitisme dénoncé ici même par Elisabeth Lévy, l’impétueux chansonnier est accusé de faire le lit de la DOMophobie, sinon de la négrophobie. À tout saigneur, tout honneur…

J’ignore quel est l’âge moyen des animateurs du CollectifDom, mais mon petit doigt me dit qu’à la différence de votre serviteur, ils ont dépassé le quart de siècle. En ce cas, ils peuvent se rafraîchir la mémoire sans passer par Youtube : dans les années 70, Sophie Daumier et un certain Guy Bedos moquaient des franchouillards en vacances au Maroc, ce pays « plein d’Arabes » ! Sans aller jusqu’à invoquer les mânes du regretté Desproges, dont un sketch devenu culte commençait par ces mots : « On me dit que des Juifs se sont cachés dans la salle… » , on peut citer le précédent Timsit. Au début de la décennie 1990, alors qu’il incarnait un odieux garagiste, sa saillie « Les trisomiques, c’est comme les crevettes, tout est bon sauf la tête ! » lui valut l’opprobre des associations de défense des handicapés mentaux. Après des excuses répétées, Patrick Timsit se rendit au Canossa de l’humour en accumulant les comédies insipides.

Couardise ? Réalisme, répondront certains. Le courageux mais pas téméraire Stéphane Guillon a même théorisé le deux poids deux mesures qui a cours dans l’humour : pour ne pas subir de menaces judiciaires ou physiques, n’injurions personne, sinon l’homme blanc, octogénaire et catholique, a fortiori s’il loge au Vatican et tend l’autre joue.

À la conjuration de ceux qui l’accusent de « banaliser » le racisme en s’en gaussant, Nicolas Bedos a vaillamment répondu : « Il est temps, une bonne fois pour toute, que l’on fasse le procès de ces associations qui n’ont rien d’autre à foutre que d’emmerder des comiques, des rigoleurs, des amuseurs et des petits Molières de supérette. »

On pourrait ajouter qu’à voir des racistes là où il n’y en a pas, ce sont les vrais racistes qu’on banalise. L’humour noir- qu’on devrait derechef rebaptiser humour de couleur– en a vu d’autres. D’outre-tombe, ce n’est pas André Breton qui nous dira le contraire. Si la plainte du CollectifDom n’était pas classée sans suite, la jurisprudence Guillon ferait florès. Bien plus qu’une atteinte à la liberté d’expression, ce serait un crime contre l’humour. Messieurs les censeurs, nos zygomatiques ne vous le pardonneraient pas !

*Photo : Semaine critique.

Il était deux fois Jean Fontenoy…

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guegan jean fontenoy

Jean Fontenoy (1899-1945), journaliste, écrivain et aventurier, fut tour à tour dadaïste, trotskiste, doriotiste et lieutenant de la LVF… A priori, c’est ce qu’on appelle un « bon client » pour les biographes et les romanciers.

Pourtant, de son suicide en 1945 à l’an dernier, pas un seul ouvrage ne lui avait été consacré − et c’était parti pour durer. Á quoi bon aller rechercher, dans les poubelles de l’Histoire, les restes de cet intellectuel (si mal) engagé ? Et puis soudain, en moins de deux ans, voilà que le personnage fait coup sur coup l’objet d’une bio romancée et d’une monographie circonstanciée.

L’an dernier, Gérard Guégan, incontrôlable hooligan des lettres, surprend son monde en publiant Fontenoy ne reviendra plus, couronné par le prix Renaudot de l’essai. Qu’est-ce qui a bien pu intéresser cet ancien des Jeunesses communistes passé à l’ultra-gauche la plus ébouriffée, ce situationniste insituable, dans la personnalité de feu son confrère collabo, traître et maudit jusqu’à la septième génération?

Une solidarité entre marginaux, à coup sûr. Autant le Guégan politique vomit Fontenoy-le-facho-fanatique, autant  Gérard-le-patapolitique ne peut se garder d’une certaine sympathie envers Jean-le-Givré, l’insoumis, la tête brûlée.

Dans une défense de rupture à la Vergès, Maître Guégan cite à la décharge de Fontenoy toutes ses fêlures. « Cyclothymie avec manifestations dépressives du type mélancolique », diagnostique joliment le Conseil de révision en le rayant définitivement des cadres de l’armée. La LVF sera moins regardante…[access capability= »lire_inedits »]

Convoqués à la barre, aussi, l’alcoolisme du sujet, son opiomanie − et cette obsession suicidaire qui ne le quittera vraiment qu’en s’accomplissant. Ce Fontenoy qui ne reviendra plus fut coupable mais pas responsable, plaide en somme notre avocat − accusant ainsi un faible pour ces exaltés qui vont jusqu’au bout, fût-ce dans le plus scandaleux des murs.

« Nous ne savons pas ce qu’il faut faire, mais nous le ferons ! », lançait à la même époque le jeune Drieu La Rochelle, dans un cri de guerre ironique et bravache.  Après quoi, bien sûr, il a fait n’importe quoi, comme Fontenoy, avant de finir comme lui. Mais ils ne furent pas, loin de là, les seuls hannetons éblouis à buter dans cet abat-jour qu’on appelle l’entre-deux-guerres.

En ce temps-là, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par l’intergroupe surréaliste, tout semble possible à toute une génération d’intellectuels − hormis les cauchemars qu’engendreront leurs rêves.

Quant au reste, la différence entre gentils extrémistes de gauche et méchants extrémistes de droite, elle ne relève pas de la morale mais de ce pari après la course qu’on appelle le jugement de l’Histoire. Vae victis !, disait Brennus vainqueur des Romains.  « L’Histoire est écrite par les vainqueurs », confirmait en connaisseur Brasillach, à la veille de son exécution.

Or la liste des vainqueurs dépend de la victoire, comme dirait Mao, c’est-à-dire du sort des armes plus que de l’intervention de Dieu, ni même de la déesse Raison. Si Hitler n’avait pas attaqué la Russie, qui sait ? Peut-être Brasillach lui-même aurait-il fini dans le camp des vainqueurs, aux côtés d’Aragon et de Thorez… Et si le général Hideki Tojo n’avait pas lancé l’attaque sur Pearl Harbor ? Peut-être que le débarquement de Normandie n’aurait jamais eu lieu, qu’on écouterait toujours Radio Paris et que la loi Gayssot aurait interdit depuis longtemps le philosémitisme.

Á la rentrée, l’universitaire Philippe Vilgier vient de publier son Jean Fontenoy à lui, une biographie érudite qui complète utilement les élans romanesques de Gérard Guégan. « J’ai écrit ce livre pour comprendre de quoi nous sommes faits et à quoi tiennent nos destinées », explique d’emblée l’auteur des Irréguliers. Vilgier prolonge cette réflexion en replaçant Fontenoy dans son contexte : la bouillonnante marmite intellectuelle de cet après-guerre qui se découvre sur le tard avant-guerre.

Avec une patience d’ange archiviste, si ça existe, l’auteur a recueilli au fil des ans les témoignages d’acteurs de l’époque qui, pour des raisons diverses, s’étaient retrouvés embarqués dans la même galère (Lucien Combelle, Saint-Loup, François Brigneau…).

Au fil de détails, d’anecdotes et de récits, le Fontenoy historique de Vilgier devient presque aussi romanesque que celui, radicalement subjectif, de Guégan.  Ce qui se dessine, c’est la silhouette d’un Tintin cabossé, aux aventures plus ou moins drôles. Le voici successivement en touriste bolchevik à Moscou, en grand reporter de Havas à Shanghaï, en dandy parvenu et pote de Cocteau, et pour finir en archétype de l’ « homo fascistus » selon Vilgier, écartelé entre « une volonté restauratrice du passé et une volonté révolutionnaire face à l’avenir ».

Si ce « romantisme fasciste » est coupable, c’est à coup sûr d’être irresponsable, contrairement à la défense Guégan. Mais gardons-nous de juger, suggère Vilgier. Où eûssions-nous été en 1943 ? Fastoche ! Mais en 33 ? Et en 23 ??

Pour en finir avec les clichés, rien de tel que de se repasser le film en entier ! Ballotté par les événements, Fontenoy passe de l’extrême gauche à l’extrême droite comme on traverserait la rue, et toujours en dehors des clous ! Elle est là au fond, sa cohérence : il n’en fait jamais qu’à sa tête, insoucieux des contradictions.

Au printemps 1918, le jeune révolutionnaire internationaliste s’engage dans l’artillerie… Le même, à l’automne 1941, devenu farouchement nationaliste français, endossera l’uniforme allemand pour mieux défendre sa patrie…

Mieux encore : le 8 août 1944, au moment de partir pour un exil allemand sans retour, Fontenoy se livre à une étonnante profession de foi américanophile et, surtout, germanophobe :  « Les Américains seront à Paris avant huit jours, et rien ne me plaît tant que leurs livres, leurs revues, leurs journaux, leur langue, écrit-il. Je n’ai jamais été capable de lire un livre allemand. Même Goethe. Cette langue et ce qu’elle cache ou dévoile me répugne ou m’est indifférent. »

Partir pour Sigmaringen dans de telles dispositions d’esprit, c’est être mort déjà. L’ami Jean met d’ailleurs bon ordre à cette ultime contradiction le 28 avril 1945, en avalant une capsule de cyanure dans un immeuble ravagé de Berlin, sur fond sonore d’avancée des T34 soviétiques.

Décidément, semblent nous dire d’une seule voix Guégan et Vilgier, les tempéraments des gens sont plus importants que leurs idées − ne serait-ce que parce qu’il leur est plus difficile d’en changer ! Á quoi bon s’acharner contre un homme qui s’en est chargé lui-même toute sa vie ? Et comment haïr vraiment un suicidaire qui, ironisant sur son propre désespoir, avait promis de ne plus recommencer : « Je ne me suiciderai plus ; chaque fois, je suis malade six mois. » ?[/access]

 Fontenoy ne reviendra plus, Stock, 490p., 24 euros.

Jean Fontenoy, aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, 364 p., 25 euros.

*Photo : Jean Fontenoy (Droits réservés).

Divorce au FN sur le mariage gay ?

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lepen mariage gay fn

lepen mariage gay fn

Le FN est contre le mariage pour tous, cela va de soi, n’est-ce pas ? Eh bien manifestement, non. Et l’ambiguïté de sa position est apparue depuis plusieurs semaines autour de la question de savoir si oui ou non, le parti ira manifester le 13 janvier.
Vous savez, ce grand raout contre la mesure sociétale qui focalise l’attention de tous puisque l’exercice de la politique, aujourd’hui, consiste à amuser la galerie pour éviter de montrer la convergence de vue des principaux partis de gouvernement sur les questions essentielles. Tous sont d’accord pour réduire les déficits au prix des pires politiques austéritaires, tous sont d’accord pour flexibiliser le marché du travail, pour baisser les charges, pour poursuivre et accélérer l’intégration européenne et pour en finir avec un modèle social obsolète devenu trop cher à financer depuis que l’on a décidé de privilégier la rente  aux investissements dans l’économie réelle.

Alors, pour amuser la galerie, on se livre à un grand chantier du slip et on fait croire que l’avenir de la civilisation est en jeu. On pourra faire remarquer que nous ne sommes pas seuls au monde, que la Belgique, dont on parle beaucoup ces temps-ci, l’applique depuis des années et n’a pas connu de catastrophe anthropologique : rien n’y fait. Adieu Florange, bonjour la discussion sur le sexe des anges. Vous savez, cette discussion des élites byzantines alors que les Turcs étaient sous les remparts de Constantinople.
Qui s’oppose à ce consensus orwellien aujourd’hui, sinon le Front de Gauche, Debout la République et le Front National ? Mais entendons-nous bien, pas n’importe quel  Front National : il s’agit désormais de celui qui a été conquis par Marine Le Pen, quand elle a remporté la victoire sur la ligne Gollnisch pour qui le FN se devait avant tout d’être la « vraie droite » et pas autre chose.

De multiples clivages ont toujours traversé le FN depuis sa création : cathos contre païens, ethnodifférentialistes contre solidaristes, royalistes contre nationaux-européens. Mais le plus important, celui qui les recouvre tous, se résume en une question : « Sommes nous un parti de droite dure ou sommes-nous autre chose ? ». Dans les années 90, Samuel Maréchal, le père de la benjamine de l’Assemblée Nationale, avait théorisé la ligne « ni droite ni gauche, la France ». Et déjà, en 1995, lors des grandes grèves de novembre-décembre contre le plan Juppé, le Front ne savait plus trop s’il devait soutenir cette révolte des travailleurs français contre l’Europe de Maastricht ou dénoncer la mainmise et la manipulation de syndicats tenus par les trotskystes ou les communistes.
Marine Le Pen, avec à ses côtés l’ancien chevènementiste Philippot, rêve elle aussi aujourd’hui d’un FN qui soit ni de droite ni  de gauche. Un parti qui ne représente pas une alternance mais une grande alternative. Et c’est très compliqué parce qu’il faut surmonter des contradictions politiques de deux ordres : internes et externes.

À l’interne, il y a les pesanteurs de la vieille garde qui lance régulièrement ses anathèmes depuis Rivarol et Minute, ce dernier venant d’expliquer que les hésitations de MLP sur le mariage pour tous proviendrait d’un lobby gay autour d’elle (on salue l’élégance du procédé[1. Comme on saluera l’élégance de cet article des Inrocks sur le même sujet qui arrive à conjuguer l’homophobie et les positions d’Act-Up sur le coming-out, ce qui relève de l’exploit dialectique.]). Ceux-là n’aiment pas trop entendre parler de « compatriotes musulmans », de « droit à l’avortement » et même, sur le plan économique, des attaques contre « le libéralisme financier qui ruine la France ».
L’aggiornamento de MLP, pourtant, n’a pas empêché  le FN, à l’extérieur, d’être systématiquement classé au sens large comme faisant partie de la droite, et d’ailleurs la seule question des alliances qui se pose pour lui est celle avec l’UMP. On a beau dire UMPS par ci, UMPS par là, c’est bien l’UMP qui apparaît électoralement comme le partenaire qui va de soi si on veut un jour prendre des mairies et qui sait accéder au pouvoir. C’est ennuyeux parce que, dans l’idéal, Marine Le Pen rêve d’une politique de rupture qui n’a rien de commun avec la vision du monde d’un Copé ou d’un Fillon. Protectionnisme, relance, sortie de l’Euro et de l’UE. Et elle a un mal fou à faire entendre cette différence, comme en d’autres temps Chevènement ou Seguin qui finirent par rentrer dans le rang de leurs camps respectifs.

Or voilà que le mariage pour tous va faire défiler contre lui ce dimanche 13 janvier des gens de droite, banalement de droite, dont la plupart n’ont pas grand-chose à faire de la question du mariage pour tous en tant que tel mais veulent surtout marquer une opposition de la rue à la gauche au pouvoir. La preuve, c’est qu’ils oublient au passage qu’il y a des adversaires du mariage gay à gauche et pourtant, on peut parier sans trop de risques qu’on ne verra pas de gens de gauche à cette manif à peu près aussi « apolitique » que l’était celle pour l’école libre en 1984, présentée d’ailleurs comme la référence par les organisateurs du 13.

Marine Le Pen sait tout cela. Elle sait aussi que rien ne lui interdit dans l’avenir d’espérer récupérer un certain électorat gay qui angoisse face à l’islamisme ou même celui des bobos des villes, partisans de l’hédonisme sécuritaire qui avait fait le succès électoral d’un Pim Fortuyn. Elle n’a pas tellement envie de s’aliéner ces soutiens potentiels qui sont culturellement de gauche. Mais en même temps, que faire avec ses cathos tradis ? La quadrature du sexe, en quelque sorte…
Sans compter que sa vraie base actuelle, celle des ouvriers d’Hénin-Beaumont et d’ailleurs,  la trouve beaucoup plus convaincante dans sa condamnation des délocalisations que dans son éventuelle opposition au mariage pour tous qui n’est pas franchement leur premier souci.
Et tout ce monde-là pourrait changer d’avis au sujet du New-FN, si on la voyait bras dessus bras dessous avec Copé, à crier des slogans qu’emportera le vent d’hiver dans l’insignifiance des faux clivages sociétaux.

Alors, elle a choisi de ne pas choisir, ce qui n’est pas forcément, d’un point de vue tactique, la plus mauvaise solution.

*Photo : Ernesto Morales.

Hollande régresse

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hollande conseil constitutionnel

hollande conseil constitutionnel

Si l’on reprend l’histoire de la Ve république, on constate qu’il est parfois regrettable, mais en tout cas très habituel, qu’un président en début de mandat envisage de réviser la constitution. En somme, il était assez normal que François Hollande se laisse tenter à son tour, comme il s’en est expliqué le 7 janvier lors de ses voeux au Conseil constitutionnel. « J’entends, a-t-il alors déclaré, mettre fin au statut de membre de droit du Conseil Constitutionnel des anciens présidents de la République. Je proposerai donc d’y mettre un terme mais uniquement pour l’avenir ». Par ailleurs, il a évoqué, pêle-mêle, la consolidation de l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, la suppression de la Cour de justice de la République, déclarant en revanche avoir renoncé  à l’idée du « parrainage citoyen » des candidats à la présidentielle.  Enfin, toujours très normalement, notre président normal a émis le souhait « que ces dispositions soient adoptées par le Parlement réuni en Congrès, dans les mois qui viennent ».

Soyons honnêtes : la plupart de ces propositions – et notamment la plus emblématique d’entre elles, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel -, apparaît techniquement pertinente. En vertu de l’actuel article 56 alinéa 2 de la constitution, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel . Cette règle avait été instituée en 1958 pour des raisons à la fois conjoncturelles (fournir au président Coty, qui s’était obligeamment retiré devant De Gaulle, une fonction au sein de l’État), et politiques (le prestige de la fonction présidentielle exigeant que ses anciens titulaires ne se retrouvent pas à la rue… ). À l’époque, elle paraissait d’ailleurs d’autant moins contestable que le Conseil constitutionnel était conçu comme un organe politique, principalement chargé d’éviter une rechute dans le régime d’assemblée. Cependant, petit à petit, la situation s’est très profondément modifiée,  et à la suite d’évolutions jurisprudentielles et de révisions constitutionnelles riches de conséquences, le Conseil constitutionnel s’est transformé en une véritable Cour, au même titre que ses homologues étrangers : répondant aux voeux du chef de l’État, Jean-Louis Debré, évoquait d’ailleurs, le 7 janvier dernier, “l’achèvement de la juridictionnalisation du Conseil”, réalisée depuis 2010.

Dans ce contexte profondément renouvelé, la présence d’anciens présidents au sein de cette haute juridiction s’avère donc incongrue – dans la mesure où, quelles que soient leurs compétences, ceux-ci ne sont pas au premier chef les juristes, mais des hommes d’État, des politiques qui statueront comme tels, ou seront soupçonnés de le faire. Du reste, détail significatif, les anciens présidents sont dispensés du serment que doivent prononcer les membres nommés du Conseil, lesquels  « jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique ». En somme, il était effectivement urgent de mettre fin à cette exception française. Ceci dit, même sur ce plan technique, la révision prévue par le président Hollande n’apparaît pas pleinement satisfaisante : d’abord, parce qu’elle ne traite pas le problème essentiel, celui de la désignation des membres nommés du Conseil ( lesquels peuvent parfaitement ne rien connaître au droit, et n’avoir été nommés que pour des raisons politiques), et ensuite, parce qu’elle n’aura pas d’effet rétroactif . Ce qui signifie que Nicolas Sarkozy devrait, sauf accident, pouvoir y siéger jusqu’en 2040, et donc, que la « normalisation juridictionnelle » du Conseil ne se trouvera pleinement réalisée que lorsque le petit-fils de Nathalie Kosciusko-Morizet sera en âge de briguer la présidence de la République.

Techniquement plausibles, ces propositions de révision apparaissent en revanche politiquement problématiques. Sur ce point, le patron du PS, Harlem Désir, abonné aux bévues à répétition, a involontairement levé le lièvre en déclarant que « la suppression de la présence » des ex-présidents au sein du Conseil mettait « fin à une aberration démocratique« . Ici, c’est l’adjectif qui passe mal : car si cette présence était effectivement devenue une aberration (juridique), elle restait en revanche parfaitement démocratique. Ceci dit, Désir n’est ici que la voix de son maître, puisque François Hollande, lors de ses voeux du 7 janvier, déclarait entendre « promouvoir la  démocratisation de nos institutions ». Le mot démocratie fait évidemment toujours chic dans un discours. Mais en réalité, on constate que toutes les révisions annoncées par le président vont dans le même sens, celui – osons l’affreux néologisme – d’une «  dé-démocratisation » du système.

Prenons, par exemple, celle que l’on vient d’évoquer, la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel : actuellement, les Français, lorsqu’ils procèdent à l’élection du président de la république au suffrage universel, désignent non seulement le prochain chef de l’État, mais aussi une personnalité dont ils savent qu’elle deviendra membre de droit du Conseil constitutionnel. Ces membres de droit sont donc, en quelque sorte, élus par le peuple à la fonction qu’ils vont occuper. Qu’il s’agisse d’une situation peu satisfaisante au regard des principes d’impartialité et de neutralité  de la justice, nul n’en disconviendra : pour autant, la procédure n’en est pas moins démocratique. Plus démocratique, en tout cas, que la désignation des membres nommés, dont le rapport avec le suffrage universel est par définition beaucoup moins direct…

Et il en va de même des autres révisions annoncées, comme la suppression de la Cour de justice de la république. Les ministres, lorsqu’ils sont soupçonnés d’avoir accompli dans l’exercice de leurs fonctions des actes qualifiés crimes ou délits, relèvent actuellement de cette Cour de justice, composée de 15 juges, dont 12 parlementaires. La suppression de cette dernière entraînera donc la compétence des juridictions pénales ordinaires : ce qui, là encore, peut apparaître (juridiquement) plus satisfaisant –  même si la cour comporte actuellement trois magistrats issus de la Cour de Cassation, dont l’un est chargé de la présider-, mais n’en constitue pas moins une régression démocratique – les ministres se trouvant alors jugés par des magistrats ordinaires, dépourvus de toute légitimité démocratique propre, et non plus par des parlementaires élus devant lesquels ils sont par ailleurs politiquement responsables.

Dans ce contexte, on ne saurait s’étonner de la dernière annonce faite par le chef de l’État, relative à la question du parrainage pour l’élection présidentielle. La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin avait préconisé en novembre dernier l’’instauration d’ « un parrainage citoyen« , avec au moins 150 000 signatures qui seraient restées anonymes : solution qui aurait permis de mettre fin à une situation intenable et scandaleuse, critiquée par l’ensemble des candidats à la dernière élection présidentielle. Or, malgré ses promesses, le président Hollande a préféré botter en touche pour une raison prétendument « pratique » sur laquelle il n’a pas souhaité s’appesantir : « S’agissant de la proposition relative au parrainage citoyen pour l’élection présidentielle, la concertation à laquelle j’ai procédé m’a finalement convaincu de la difficulté de sa mise en œuvre. » Et donc, de la brûlante nécessité de ne rien faire, jusqu’à la prochaine fois. En sera-t-il de même de ses autres promesses, et notamment, de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ?

Au total, notre président envisage donc une révision à son image,  “social –libérale”,  techniquement défendable mais démocratiquement régressive : et pour rester logique avec lui-même, il entend y procéder, non par référendum, ce qui l’obligerait à s’expliquer devant le peuple, mais par la voie, plus balisée, moins périlleuse, moins démocratique mais tellement plus confortable, du congrès…

*Photo : Parti socialiste.

Rossons Ronsard !

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« Des Turcs, des Mammeluks, des Perses, des Tartares ;

Bref, par tout l’univers tant craint et redouté,

Faut-il que par les siens luy-mesme soit donté ?
France, de ton malheur tu es cause en partie ;
Je t’en ay par mes vers mille fois advertie :
Tu es marastre aux tiens et mere aux estrangers,
Qui se mocquent de toy quand tu es aux dangers,
Car sans aucun travail les estrangers obtiennent
Les biens qui à tes fils justement appartiennent. »

Quezaco ? Un discours de Jean-Marie Le Pen traduit en vieux françois ? Les statuts du fan club québécois de Philippe de Villiers ? Vous n’y êtes pas, ce petit fragment poétique est extrait des œuvres complètes d’un certain Pierre de Ronsard, rééditées par La Pléiade[1. Pierre de Ronsard, Discours à Guillaume des-Autels, Œuvres complètes de Ronsard, éd. La Pléiade, tome II, p. 568.] qui circulent en vente libre dans notre pays. Xénophobe, voire islamophobe, ces vers suintent le françois de souche, comme dirait une critique littéraire avertie.  Si rien n’est fait contre ce réactionnaire à la malfaisance post mortem, ne nous étonnons pas de retrouver un jour des odes à la femme si peu gay-friendly que les partisans du mariage pour tous s’y étrangleraient.

Décidément, bénie soit la HALDE qui, avant de rendre son dernier souffle, avait préconisé d’abandonner l’enseignement du fameux « Mignonne, allons voir si la rose » accusé de « véhicule(r) une image somme toute négative des seniors ». « Tandis que vostre âge fleuronne/ En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse/ Fera ternir vostre beauté. » : si ça, c’est pas de l’âgisme…

Récapitulons. Ronsard est rétif à la diversité (mais pas de la bretonne, humour…), essentialise la femme en ignorant la théorie du genre et caricature nos aînés en vieux croulants. Qu’attendent donc Vincent Peillon, Najat Vallaud-Belkacem et Michèle Delaunay pour le bannir des programmes scolaires, des stages de rééducation  féministe et autres Pictionary gaiement pratiqués en maison de retraite ?

Le mariage pour personne !

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jalons mariage manif

jalons mariage manif

Vous, président de la République, qui n’êtes même pas marié à votre âge, ayez le courage de vos opinions !

Ces chaînes conjugales que vous avez toujours refusées pour vous-même – malgré de belles occasions ! -, ne les étendez pas arbitrairement aux catégories de la population jusqu’alors préservées par la loi.

En tant qu’homme de progrès, allez jusqu’au bout de votre logique émancipatrice en abolissant pour tous cette institution contraignante et hors d’âge !

 

Vous, président de la République éclairé, brisez enfin ce vieux carcan du mariage, devenu insupportable avec l’allongement de l’espérance de vie !

De grâce ne vous abritez pas derrière les mots d’« égalité » et d’« amour » : l’amour est inégalitaire, hélas, autant qu’il est libertaire. « L’amour est enfant de Bohême, qui n’a jamais-jamais connu de loi », comme disaient Meilhac & Halévy. « Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin », chante en écho Brassens.

Le mariage est le contraire du sentiment amoureux, enivrant et volatil : un astreignant et interminable CDI !

Oui à l’égalité, à condition qu’elle soit un progrès pour tous ! Les gays ont toujours été en avance d’une tendance ou d’un décalage. Au nom de quoi figer leurs amours dans un cadre bourgeois hérité du XIXème siècle le plus hypocrite ?

L’avancée sociétale, la vraie, c’est l’inverse : débarrasser aussi les hétéros de cette institution, dont ils ne se savent même plus pourquoi ils l’ont épousée !

 

Vous, président de la République normal mais avancé, montrez-nous la voie de l’Avenir, qui s’appelle émancipation pour tous !

Au nom de l’Égalité dans la Liberté, il est temps d’abolir cet esclavage mutuel qu’est le mariage. L’heure est venue de proclamer la séparation des sentiments et de l’État !

Accessoirement c’est votre intérêt, en ce moment, de marquer les esprits par une grande réforme sociétale qui fasse oublier le reste.

 

Tous dans la rue dimanche 13 janvier contre tous les mariages !

 R.-V. : 14h au Café d’Enfer

22 rue Daguerre, 75014 Paris.

 

Collectif Tous Contre le Mariage ! ®

 

*Photo : Clapagaré ! (Les chiquitos)

Les sosies se ressemblent comme des jumeaux

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diane arnaud guitry

diane arnaud guitry

Les nuits de Noël sont celles où l’on enregistre le plus d’admissions en urgence dans les hôpitaux. Plutôt que de vous suicider, de massacrer vos enfants parce qu’ils ne sont pas aussi sages que le petit Jésus ou d’être poignardés, comme le fut Paul Gégauff, par une enquiquineuse, regardez plutôt un film de Sacha Guitry et, pourquoi pas, un des plus méconnus : La Vie d’un honnête homme (1952, en DVD) qui est aussi, avec Le Roman d’un tricheur, un des plus cyniques. Michel Simon, l’immense Michel Simon, tient à la fois le rôle d’un très honnête homme, riche industriel de surcroît, et celui de son frère jumeau, charlatan et voyou.
Les cinéphiles avertis savent qu’on doit à Sacha Guitry l’introduction de la « voix off », en 1936, dans Le Roman d’un tricheur, mais oublient parfois les trouvailles cinématographiques de ses films. Notamment, dans La Vie d’un honnête homme, le champ-contrechamp virtuel sur les deux Michel Simon, subtil artifice de montage créant l’illusion suprême. Ce n’est pas pour rien qu’il fut souvent qualifié d’ « illusionniste de génie » par la critique. Mais c’était aussi et surtout un moraliste qui avait repris à son compte la formule de Jules Renard : « J’ai connu le bonheur, mais ce n’est pas ce qui m’a rendu le plus heureux » − à répéter cent fois la nuit de Noël.[access capability= »lire_inedits »]

Diane Arnaud appartient à la famille spirituelle de Sacha Guitry. Elle n’aurait pas déparé ses films. Mais elle a préféré écrire des livres sur le cinéma. Le dernier en date : Changements de têtes. De Georges Méliès à David Lynch (éd. Rouge profond) nous remet en mémoire tous ces films qui font siéger un acteur avec ses autres lui-même en proches parents. On y rencontre, bien sûr, Sir Alec Guinness (Noblesse oblige, 1945), Peter Sellers, Jerry Lewis et Michel Simon. Si l’art de la critique cinématographique consiste à nous faire aimer les films en nous ouvrant les portes de mondes invisibles, Diane Arnaud y parvient avec une grâce et une ironie jubilatoires. On se croirait presque dans un film de Sacha Guitry (Mon père avait raison, par exemple), tant il y a un air de famille « entre le vieux cynique » et la jeune érudite encore enivrée par ce qu’elle a vu et aimé dans les salles obscures. Elle écrit comme on se confesse : pour changer de tête.

Lors d’une soirée arrosée au saké chez Yushi, le restaurant japonais de la rue des Ciseaux, elle m’a appris pourquoi les films, avant de faire leur entrée dans les cinémathèques et les universités, étaient systématiquement détruits après avoir été exploités. J’imaginais que c’était pour des problèmes de stockage. Pas du tout. C’était, plus prosaïquement encore, pour récupérer les sels d’argent raclés sur la pellicule et les recycler sous forme de peigne ou de vernis. Cela amusait beaucoup Diane de songer que la cosmétique était le destin final des films et que Greta Garbo entrait à l’usine pour en ressortir sous forme de vernis à ongles.

Sic transit gloria mundi.[/access][/access]

Changements de têtes. De Georges Méliès à David Lynch, Diane Arnaud (éd. Rouge profond) 

*Photo : La Vie d’un honnête homme (S. Guitry).

Maulin : le Cosaque est nu !

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Hourrah ! Les atamans de la rue Sambre-et-Meuse (Paris, Xe) sont descendus de leurs drojkis pour croiser le fer avec la populace culturo-mondaine du Cercle cosaque. Après la soirée éthylique de février dernier, lorsque Olivier Maulin avait distillé son cocktail de littérature et d’alcoolisme au cours d’une lecture épique, mettant aux prises un buveur de schnaps nostalgique de l’Opération Barbarosa et son dévot voisin, l’heure est (toujours…) à la littérature, cette fois conjuguée… au naturisme. Les zaporogues habitués du bar Chez Barak sont donc invités à communier nus avec la Nature, le chef couvert d’une toque, pour renouer avec la Terre nourricière.

Dans l’esprit de ses réjouissants Evangiles du lac (Balland, 2008), Maulin s’apprête ainsi à mélanger Tradition, socialisme et conservatisme dans son phalanstère aux accents libertaires assumés. Nul ne sait encore si son Don paisible s’agitera, ni de quel bois le public se chauffera pendant la lecture inédite d’extraits choisis de son prochain roman. Les plus impatients peuvent d’ores et déjà en savourer le sel grâce à ce petit synopsis pas piqué des hannetons :

« À peine leur cabane sur pied et leur potager délimité, Louis et Ninette dénoncèrent le féodalisme ambiant et entreprirent de transformer le domaine en colonie agraire communiste-libertaire de tendance crudi-végétarienne. Ils exilèrent vaches et moutons, décrétèrent l’amour libre, instituèrent le nudisme et la collectivisation des terres. La belle Ninette, au corps sain et musclé, se mit à cultiver son potager en tenue d’Eve, si bien que la plupart des hommes du domaine se convertirent à l’anarchisme et retirèrent leur pantalon »

Si après cela, il faut encore vous convaincre, c’est qu’un petit exil – fiscal ou carcéral – en Mordovie s’impose, histoire de retrouver les idées claires, les valseuses gelées par l’hiver russe.

Avis à tous les autres, nudistes d’un jour : vous savez désormais où inaugurer dignement 2013, l’année de la braise…

Ce soir 20h30 Chez Barak, 29 rue Sambre et Meuse, Paris Xe (Métro Belleville ou Colonel-Fabien)

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Quousque tandem abutere, Hollanda, patientia nostra ?

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pacs hollande mariage

pacs hollande mariage

Les latinistes me pardonneront d’avoir forgé un latinisme de première déclinaison pour désigner par « Hollanda » le type qui se croit chef de l’Etat, mais l’esprit y est, c’est ce qui compte. Alors, si je reprends le tricolon (il ne s’agit pas d’un individu à trois intestins, ô lecteur inculte, mais d’une composition rhétorique énumérant trois éléments indépendants en gradation) célèbre de la première Catilinaire de Cicéron, cela donnerait quelque chose du genre : Mais enfin jusqu’à quand, Hollande, abuseras-tu de notre patience ? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ton imposture ? Où s’arrêteront les emportements de ton culot effréné ?
Tout cela pour parler de mariage homosexuel, ce cache-misère dont on nous rebat les oreilles depuis des mois afin de ne pas parler de chômage, ni de désindustrialisation, ni des cadeaux faits aux banques, ni du néo-libéralisme à la sauce socialiste, ni de la rétrogradation des écoliers français de le tréfonds des classements internationaux, ni de l’escroquerie consistant à proposer cette année deux concours de recrutement d’enseignants alors que nous n’avions pas l’année dernière assez de candidats en état de marche pour remplir tous les postes proposés, ni…

L’incompétence des gens au pouvoir n’a d’autre traduction que l’aposiopèse (ça non plus, ce n’est pas une maladie, ô lecteur ignare…).
Mais voilà : savoir si les homos des deux sexes (et du troisième si vous y tenez) pourront ou non se marier et adopter des enfants, ça, c’est primordial. Que d’excellents amis qui préfèrent les hommes se laissent prendre à ce miroir aux alouettes et s’enflamment depuis l’élection de Monsieur-tout-le-monde à la présidence pour savoir s’ils passeront un jour devant le Maire donne la mesure du pouvoir d’illusion médiatique. On ne parle pas tout à fait que de ça, mais pas loin. Le mariage homo est devenu le chiffon rouge de l’actualité. Si j’osais (allez, osons), je dirais qu’il sert de cache-sexe politique : occultez cette crise que je ne saurais voir, oubliez la façon ignominieuse dont nous laissons l’Allemagne humilier la Grèce, et ne répétez pas trop fort que le caviar, le foie gras et le champagne sont gratuits à Versailles à l’Elysée. « Ils » devraient se méfier : en 1788, plus rien finalement n’a permis de faire oublier le prix du pain. Et l’année suivante…

Petit rappel des faits : le mariage homo, ce n’est pas d’hier.

À la fin des années 90, lorsqu’on proposa à des sociologues de qualité (cela existe), en l’occurrence Irène Théry (que j’ai connue un peu) de réfléchir sur ce qui allait devenir le PACS, ils pesèrent posément les questions juridiques, et proposèrent une formule qui établissait des droits équivalents pour les couples mariés ou pacsés — en particulier dans la question douloureuse des transmissions d’héritage. Il était fréquent qu’au décès de l’un des partenaires, la famille du défunt arrive en trombe pour mettre à la rue le compagnon du défunt, alors que les couples légalement passés devant le maire se transmettent les biens, immobiliers ou autres, au dernier vivant, et évitent ainsi des expulsions dramatiques — entre autres. Et dans ces années 90, en pleine expansion du SIDA, bien avant l’invention des tri-thérapies, c’étaient des situations de tous les jours. Irène a expliqué elle-même en quelles circonstances elle avait saisi sur le vif, si je puis dire avec un peu d’humour noir, la situation juridique née de l’épidémie et des décès à la chaîne qu’elle entraînait.

Mais voilà : le gouvernement Jospin, après avoir demandé à des personnalités compétentes d’imaginer un dispositif qui résoudrait légalement, et sans avoir à en passer par l’adoption d’une loi, ces difficultés matérielles — bref, le PACS —, a eu peur de sa propre audace (le PS, on le sait bien, c’est comme le tango, un pas en avant, deux pas en arrière). Comment ! On risquait de se brouiller avec des chrétiens (catholiques et protestants, hein, Lionel…) ou des musulmans qui persistaient à penser que les homos étaient des créatures de l’enfer[1. Par parenthèse, il faudra que l’on m’explique comment, en dehors d’une hypothèse masochiste, on peut être homosexuel et croyant — quand ces braves gens ont brûlé à qui mieux mieux les sodomites pendant des siècles. Voir Maurice Lever, Les Bûchers de Sodome, Fayard, 1985.]… On risquait d’outrager des gens qui de toute façon ne votent pas pour vous — mais c’est une tendance lourde, à gauche : on fait des cadeaux aux patrons et aux banquiers qui n’attendent que le retour des copains au gouvernement — comme si la droite pouvait être plus accommodante que cette gauche-là —, on flingue les classes moyennes en alourdissant les impôts directs, et on assomme le peuple en augmentant la TVA : un sans-faute…
Hmm… Baisser culotte devant des prêtres, est-ce bien raisonnable ? N’empêche : on a fabriqué un PACS vidé de toute substance — et on a collé une Légion d’Honneur à la sociologue qui avait si bien conçu ce que l’on n’appliqua pas.

Alors, que faire, comme disait si bien le camarade Oulianov en son temps ? Je me méfie des propos du Café du Commerce, qui commencent tous par « yaka ». Mais là, franchement, il suffit de passer un décret stipulant que désormais les Pacsés auront intégralement les mêmes droits que les couples mariés — point à la ligne.  Le gouvernement, s’il n’avait pas eu derrière la tête l’idée de se servir de cette histoire comme paravent de ses turpitudes, aurait pu expédier la question pendant l’été. Non pas donner le droit de se marier, mais donner le droit de ne pas se marier. Ça n’empêcherait pas celles qui le désirent de se déguiser en meringues. Si le mariage est aujourd’hui démonétisé au niveau religieux (mais je n’en suis pas sûr, au moins pour les électeurs de Christine Boutin), quelle importance d’accorder le mariage aux homos ? Autant inciter les hétéros à se pacser — ils s’épargneront les frais d’avocat lorsqu’ils se « démarieront », pour reprendre le titre de l’un des premiers ouvrages à succès de la sociologue susnommée[2. Irène Théry, Le Démariage, Odile Jacob, 1993.]. Franchement, amis homos des deux sexes, votre ambition de vous marier pour payer un avocat lorsque vous vous séparerez (« Le mariage est la principale cause de divorce », disait l’excellentissime Oscar Wilde), et une prestation compensatoire monstrueuse à votre ex, me paraît d’une imbécillité absolue — en toute amitié.

Quant à la question de l’adoption et de la procréation médialement assistée… Si l’on donne tous les droits du mariage, pourquoi ne pas donner celui-là aussi ? Je ne me situe pas sur un plan juridique, je me fiche de savoir si un enfant doit être élevé par des individus de sexe différent (dans 50% des cas dans les grandes villes, il est élevé par une seule personne aujourd’hui, et ça n’a l’air de choquer personne — nous en essuyons les conséquences à l’école, dans bien des cas), et si la sexualité de ses parents peut ou non influencer la sienne (et alors ? Il y a bien aujourd’hui des gosses sommés d’être hétéros et qui n’en sont pas plus heureux). Je dis simplement que confier des gosses à un couple homo, à un couple hétéro, ou à un célibataire n’a aucune importance : de toute façon, comme disait intelligemment Freud, quoi que vous fassiez pour les élever, vous ferez mal. Entourez-les d’amour, baignez-les dans les conflits, les résultats seront statistiquement comparables : la même proportion de crétins et de génies (en fait, un mauvais lutin me souffle que les conflits génèrent plus de génies que l’amour — je m’acharne à le faire taire, mais je crois que les traumatismes sont plus formateurs que les câlins — ou pas moins).
Au passage, c’est encore une façon d’agiter le chiffon rouge : vu les conditions horriblement restrictives que l’on vous impose pour adopter, les enquêtes en tous genres, les interventions si intelligentes et mesurées des DDASS pour arracher des enfants presque rééquilibrés à des parents aimants sous prétexte de pouvoir les réaffecter à des parents ivrognes, ou camés, ou violents, l’adoption ne concernera chaque année qu’une frange minuscule des couples en mal d’enfant.

Alors, en vérité, cessons de nous intéresser à un débat qui n’est qu’un leurre. Établissons les mêmes droits pour tous les êtres humains (et j’ai connu au cours de ma carrière des parents hétéros qui n’avaient rien d’humain, vu ce qu’ils faisaient subir à leurs marmots). Et concentrons-nous sur les vrais problèmes — tous ceux que le présent débat permet ingénieusement d’occulter. Je sens bien que voici une occasion de me reprocher de manquer de sensibilité, patati-patata, etc. Mais franchement, quelles sont vraiment les urgences, en ce moment ? Le « mariage homo », et les adoptions qui s’y rattacheraient éventuellement, qu’est-ce que ça pèse, face à 9 millions de chômeurs ? Face aux glaneurs qui font les poubelles chaque matin ? Face à l’école qui part de plus en plus en miettes ? Face à la perte de pouvoir d’achat de toutes les classes inférieures aux super-riches ? Je m’en fiche à une profondeur incroyable que Depardieu donne des brevets de civisme à Poutine. Thierry Le Luron, en faisant semblant de se marier avec Coluche, avait intelligemment ramené la question à ce qu’elle est actuellement — une image dans la société du spectacle.

*Photo : philippe leroyer.

Autocensure à Bruxelles

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Dans quelques jours se tiendra à Bruxelles l’annuel Salon de l’auto. Et, bien entendu, de nombreux ministres honoreront l’événement de leur présence. Parmi eux, Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur. Viendra-t-elle admirer les châssis et carrosseries ? Se penchera-t-elle avec intérêt sur les moteurs, bielles, batteries, bougies, etc, paraît-il nécessaires à la mise en marche desdits moteurs ? Ou alors, plus branchée, s’intéressera-t-elle de près aux nouveaux carburants « propres », « bio », « recyclables », « durables », « équitables », bref ceux qui feront rouler, et qui sait ?, peut-être voler, nos bagnoles de demain grâce au pipi de chat, à l’eau de mer ou aux feuilles mortes ?

Pas du tout. Mâme Milquet viendra vérifier que les hôtesses présentes sur les stands des constructeurs automobiles ne sont pas vêtues de manière trop sexy ! Et pour faire bonne mesure, elle profitera de son passage pour vérifier que la parité homme/femme est équitablement respectée au sein du personnel d’accueil, hôtesses et stewards.

Voilà qui constitue effectivement une mission essentielle et urgente. D’ailleurs, chez Suzuki, on a promis d’obéir à la cheftaine. Bart Hendrickx, porte-parole de Suzuki l’affirme : « On veut éviter de choquer Mme Milquet et d’autres personnes. Cette année, nous avons donc prévu de faire travailler des mannequins féminins ET masculins. Comment les hôtesses seront-elles habillées ? On dévoilera tout cela jeudi. On ne verra pas beaucoup de cm2 de leur peau. Vous verrez, nos mannequins seront très attractifs ».

Dommage, pour une fois qu’il y aurait eu de beaux grands mâles avenants au Salon de l’auto, j’y aurais bien pointé le nez. Mais s’ils sont habillés en col roulé, ça me tente déjà nettement moins…

Accusé Bedos, levez-vous !

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nicolas bedos collectifdom

nicolas bedos collectifdom

Ça y est, ils ont (res)sorti leur matraque. « Ils », ce sont les antiracistes autoproclamés, dirigeants d’associations qui prospèrent sur le lit des discriminations, de la xénophobie et autres pestes noires dont l’impossible éradication signerait la fin de leur fructueux fonds de commerce. Cette fois, nul « néo-réac » n’est mis à l’index, nul « néo-facho » imaginaire cloué au pilori pour avoir « dérapé » au-delà des bornes étroites du pluralisme autorisé. Non,  l’association CollectifDom porte plainte pour injures raciales contre le degauche Nicolas Bedos, coupable de chroniques acides, complaisamment publiées sur le site de Marianne, publication qu’il faut désormais ajouter à la liste des « blanchisseurs » d’idées nauséabondes. Qu’est-il donc arrivé au dramaturge tombé dans la marmite cathodique dès l’âge de la puberté ? Aurait-il abusé de lectures interdites, adhéré à on-ne-sait quelle doctrine racialiste pour tuer le père ? Bedos-Günther-Chamberlain même combat ?

Que nenni, l’humoriste a simplement fait son travail et commis le crime impardonnable de vouloir… faire rire. Deux textes sont en cause. Le premier, « Indolence insulaire », met en scène une famille d’odieux beaufs normands électeurs de l’UMP qui croise le chemin du chroniqueur en vacances aux Antilles. Le seul personnage positif de l’histoire s’appelle Gilles, guadeloupéen guide de son état qui exaspère le narrateur par son éloquence par trop ostentatoire. Ce dernier, amer, achève son récit en s’exclamant : « Enculé de Nègre », rehaussant ainsi le prestige de sa victime.  Nicolas Bedos n’aime rien tant que de s’en prendre à lui-même, son masochisme textuel dépassant même son anticopéisme viscéral qui lui fait dépeindre la clientèle de l’UMP comme une clique de beaufs avachis dans leur suffisance cocardière.  À ce jour, aucune fédération UMP normande n’a assigné Bedos en justice pour protester contre sa déplaisante caricature : mauvais perdant, mauvais public, les Dupont Lajoie sortent laminés de l’apologue, loin derrière le portrait flatteur du régional de l’étape. Il n’empêche, l’ « indolence insulaire » de Gilles, expression qui nourrit nombre de blagues corses, ne passe pas davantage aux yeux de CollectifDom.

Passons au second objet du scandale. Un récit autofictionnel intitulé « Un voyage en Chirac ». Avant que le narrateur ne se métamorphose en un ancien président gâteux et  incontinent, il dresse le bilan de ses vacances antillaises, non sans écorner sa chère et tendre au passage : « ma tendre fiancée qui, la veille, déguisée en nudiste, fredonnait du Jean Ferrat sur une plage d’autochtones oisifs, enfonçait désormais ses ongles sur l’application Bourse.com de son iPhone 5 ». « Autochtones oisifs » : les dés sont jetés pour CollectifDom, dont les porte-paroles « ne nie(nt) pas que ce soit de l’humour, mais parle(nt) d’humour néfaste ». Traduisez : on peut rire de tout sauf des Antillais, des Maghrébins, des Syriens en guerre, des Mayas mauvais augures, etc.

C’est donc l’usage « nauséabond » – un adjectif à inscrire en lettres d’or dans les futures annales de la répression médiatique – de clichés « racistes » qui est reproché à Bedos fils. Après un mauvais procès en antisémitisme dénoncé ici même par Elisabeth Lévy, l’impétueux chansonnier est accusé de faire le lit de la DOMophobie, sinon de la négrophobie. À tout saigneur, tout honneur…

J’ignore quel est l’âge moyen des animateurs du CollectifDom, mais mon petit doigt me dit qu’à la différence de votre serviteur, ils ont dépassé le quart de siècle. En ce cas, ils peuvent se rafraîchir la mémoire sans passer par Youtube : dans les années 70, Sophie Daumier et un certain Guy Bedos moquaient des franchouillards en vacances au Maroc, ce pays « plein d’Arabes » ! Sans aller jusqu’à invoquer les mânes du regretté Desproges, dont un sketch devenu culte commençait par ces mots : « On me dit que des Juifs se sont cachés dans la salle… » , on peut citer le précédent Timsit. Au début de la décennie 1990, alors qu’il incarnait un odieux garagiste, sa saillie « Les trisomiques, c’est comme les crevettes, tout est bon sauf la tête ! » lui valut l’opprobre des associations de défense des handicapés mentaux. Après des excuses répétées, Patrick Timsit se rendit au Canossa de l’humour en accumulant les comédies insipides.

Couardise ? Réalisme, répondront certains. Le courageux mais pas téméraire Stéphane Guillon a même théorisé le deux poids deux mesures qui a cours dans l’humour : pour ne pas subir de menaces judiciaires ou physiques, n’injurions personne, sinon l’homme blanc, octogénaire et catholique, a fortiori s’il loge au Vatican et tend l’autre joue.

À la conjuration de ceux qui l’accusent de « banaliser » le racisme en s’en gaussant, Nicolas Bedos a vaillamment répondu : « Il est temps, une bonne fois pour toute, que l’on fasse le procès de ces associations qui n’ont rien d’autre à foutre que d’emmerder des comiques, des rigoleurs, des amuseurs et des petits Molières de supérette. »

On pourrait ajouter qu’à voir des racistes là où il n’y en a pas, ce sont les vrais racistes qu’on banalise. L’humour noir- qu’on devrait derechef rebaptiser humour de couleur– en a vu d’autres. D’outre-tombe, ce n’est pas André Breton qui nous dira le contraire. Si la plainte du CollectifDom n’était pas classée sans suite, la jurisprudence Guillon ferait florès. Bien plus qu’une atteinte à la liberté d’expression, ce serait un crime contre l’humour. Messieurs les censeurs, nos zygomatiques ne vous le pardonneraient pas !

*Photo : Semaine critique.

Il était deux fois Jean Fontenoy…

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guegan jean fontenoy

guegan jean fontenoy

Jean Fontenoy (1899-1945), journaliste, écrivain et aventurier, fut tour à tour dadaïste, trotskiste, doriotiste et lieutenant de la LVF… A priori, c’est ce qu’on appelle un « bon client » pour les biographes et les romanciers.

Pourtant, de son suicide en 1945 à l’an dernier, pas un seul ouvrage ne lui avait été consacré − et c’était parti pour durer. Á quoi bon aller rechercher, dans les poubelles de l’Histoire, les restes de cet intellectuel (si mal) engagé ? Et puis soudain, en moins de deux ans, voilà que le personnage fait coup sur coup l’objet d’une bio romancée et d’une monographie circonstanciée.

L’an dernier, Gérard Guégan, incontrôlable hooligan des lettres, surprend son monde en publiant Fontenoy ne reviendra plus, couronné par le prix Renaudot de l’essai. Qu’est-ce qui a bien pu intéresser cet ancien des Jeunesses communistes passé à l’ultra-gauche la plus ébouriffée, ce situationniste insituable, dans la personnalité de feu son confrère collabo, traître et maudit jusqu’à la septième génération?

Une solidarité entre marginaux, à coup sûr. Autant le Guégan politique vomit Fontenoy-le-facho-fanatique, autant  Gérard-le-patapolitique ne peut se garder d’une certaine sympathie envers Jean-le-Givré, l’insoumis, la tête brûlée.

Dans une défense de rupture à la Vergès, Maître Guégan cite à la décharge de Fontenoy toutes ses fêlures. « Cyclothymie avec manifestations dépressives du type mélancolique », diagnostique joliment le Conseil de révision en le rayant définitivement des cadres de l’armée. La LVF sera moins regardante…[access capability= »lire_inedits »]

Convoqués à la barre, aussi, l’alcoolisme du sujet, son opiomanie − et cette obsession suicidaire qui ne le quittera vraiment qu’en s’accomplissant. Ce Fontenoy qui ne reviendra plus fut coupable mais pas responsable, plaide en somme notre avocat − accusant ainsi un faible pour ces exaltés qui vont jusqu’au bout, fût-ce dans le plus scandaleux des murs.

« Nous ne savons pas ce qu’il faut faire, mais nous le ferons ! », lançait à la même époque le jeune Drieu La Rochelle, dans un cri de guerre ironique et bravache.  Après quoi, bien sûr, il a fait n’importe quoi, comme Fontenoy, avant de finir comme lui. Mais ils ne furent pas, loin de là, les seuls hannetons éblouis à buter dans cet abat-jour qu’on appelle l’entre-deux-guerres.

En ce temps-là, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par l’intergroupe surréaliste, tout semble possible à toute une génération d’intellectuels − hormis les cauchemars qu’engendreront leurs rêves.

Quant au reste, la différence entre gentils extrémistes de gauche et méchants extrémistes de droite, elle ne relève pas de la morale mais de ce pari après la course qu’on appelle le jugement de l’Histoire. Vae victis !, disait Brennus vainqueur des Romains.  « L’Histoire est écrite par les vainqueurs », confirmait en connaisseur Brasillach, à la veille de son exécution.

Or la liste des vainqueurs dépend de la victoire, comme dirait Mao, c’est-à-dire du sort des armes plus que de l’intervention de Dieu, ni même de la déesse Raison. Si Hitler n’avait pas attaqué la Russie, qui sait ? Peut-être Brasillach lui-même aurait-il fini dans le camp des vainqueurs, aux côtés d’Aragon et de Thorez… Et si le général Hideki Tojo n’avait pas lancé l’attaque sur Pearl Harbor ? Peut-être que le débarquement de Normandie n’aurait jamais eu lieu, qu’on écouterait toujours Radio Paris et que la loi Gayssot aurait interdit depuis longtemps le philosémitisme.

Á la rentrée, l’universitaire Philippe Vilgier vient de publier son Jean Fontenoy à lui, une biographie érudite qui complète utilement les élans romanesques de Gérard Guégan. « J’ai écrit ce livre pour comprendre de quoi nous sommes faits et à quoi tiennent nos destinées », explique d’emblée l’auteur des Irréguliers. Vilgier prolonge cette réflexion en replaçant Fontenoy dans son contexte : la bouillonnante marmite intellectuelle de cet après-guerre qui se découvre sur le tard avant-guerre.

Avec une patience d’ange archiviste, si ça existe, l’auteur a recueilli au fil des ans les témoignages d’acteurs de l’époque qui, pour des raisons diverses, s’étaient retrouvés embarqués dans la même galère (Lucien Combelle, Saint-Loup, François Brigneau…).

Au fil de détails, d’anecdotes et de récits, le Fontenoy historique de Vilgier devient presque aussi romanesque que celui, radicalement subjectif, de Guégan.  Ce qui se dessine, c’est la silhouette d’un Tintin cabossé, aux aventures plus ou moins drôles. Le voici successivement en touriste bolchevik à Moscou, en grand reporter de Havas à Shanghaï, en dandy parvenu et pote de Cocteau, et pour finir en archétype de l’ « homo fascistus » selon Vilgier, écartelé entre « une volonté restauratrice du passé et une volonté révolutionnaire face à l’avenir ».

Si ce « romantisme fasciste » est coupable, c’est à coup sûr d’être irresponsable, contrairement à la défense Guégan. Mais gardons-nous de juger, suggère Vilgier. Où eûssions-nous été en 1943 ? Fastoche ! Mais en 33 ? Et en 23 ??

Pour en finir avec les clichés, rien de tel que de se repasser le film en entier ! Ballotté par les événements, Fontenoy passe de l’extrême gauche à l’extrême droite comme on traverserait la rue, et toujours en dehors des clous ! Elle est là au fond, sa cohérence : il n’en fait jamais qu’à sa tête, insoucieux des contradictions.

Au printemps 1918, le jeune révolutionnaire internationaliste s’engage dans l’artillerie… Le même, à l’automne 1941, devenu farouchement nationaliste français, endossera l’uniforme allemand pour mieux défendre sa patrie…

Mieux encore : le 8 août 1944, au moment de partir pour un exil allemand sans retour, Fontenoy se livre à une étonnante profession de foi américanophile et, surtout, germanophobe :  « Les Américains seront à Paris avant huit jours, et rien ne me plaît tant que leurs livres, leurs revues, leurs journaux, leur langue, écrit-il. Je n’ai jamais été capable de lire un livre allemand. Même Goethe. Cette langue et ce qu’elle cache ou dévoile me répugne ou m’est indifférent. »

Partir pour Sigmaringen dans de telles dispositions d’esprit, c’est être mort déjà. L’ami Jean met d’ailleurs bon ordre à cette ultime contradiction le 28 avril 1945, en avalant une capsule de cyanure dans un immeuble ravagé de Berlin, sur fond sonore d’avancée des T34 soviétiques.

Décidément, semblent nous dire d’une seule voix Guégan et Vilgier, les tempéraments des gens sont plus importants que leurs idées − ne serait-ce que parce qu’il leur est plus difficile d’en changer ! Á quoi bon s’acharner contre un homme qui s’en est chargé lui-même toute sa vie ? Et comment haïr vraiment un suicidaire qui, ironisant sur son propre désespoir, avait promis de ne plus recommencer : « Je ne me suiciderai plus ; chaque fois, je suis malade six mois. » ?[/access]

 Fontenoy ne reviendra plus, Stock, 490p., 24 euros.

Jean Fontenoy, aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, 364 p., 25 euros.

*Photo : Jean Fontenoy (Droits réservés).