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Il était deux fois Jean Fontenoy…


Il était deux fois Jean Fontenoy…

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Jean Fontenoy (1899-1945), journaliste, écrivain et aventurier, fut tour à tour dadaïste, trotskiste, doriotiste et lieutenant de la LVF… A priori, c’est ce qu’on appelle un « bon client » pour les biographes et les romanciers.

Pourtant, de son suicide en 1945 à l’an dernier, pas un seul ouvrage ne lui avait été consacré − et c’était parti pour durer. Á quoi bon aller rechercher, dans les poubelles de l’Histoire, les restes de cet intellectuel (si mal) engagé ? Et puis soudain, en moins de deux ans, voilà que le personnage fait coup sur coup l’objet d’une bio romancée et d’une monographie circonstanciée.

L’an dernier, Gérard Guégan, incontrôlable hooligan des lettres, surprend son monde en publiant Fontenoy ne reviendra plus, couronné par le prix Renaudot de l’essai. Qu’est-ce qui a bien pu intéresser cet ancien des Jeunesses communistes passé à l’ultra-gauche la plus ébouriffée, ce situationniste insituable, dans la personnalité de feu son confrère collabo, traître et maudit jusqu’à la septième génération?

Une solidarité entre marginaux, à coup sûr. Autant le Guégan politique vomit Fontenoy-le-facho-fanatique, autant  Gérard-le-patapolitique ne peut se garder d’une certaine sympathie envers Jean-le-Givré, l’insoumis, la tête brûlée.

Dans une défense de rupture à la Vergès, Maître Guégan cite à la décharge de Fontenoy toutes ses fêlures. « Cyclothymie avec manifestations dépressives du type mélancolique », diagnostique joliment le Conseil de révision en le rayant définitivement des cadres de l’armée. La LVF sera moins regardante…[access capability= »lire_inedits »]

Convoqués à la barre, aussi, l’alcoolisme du sujet, son opiomanie − et cette obsession suicidaire qui ne le quittera vraiment qu’en s’accomplissant. Ce Fontenoy qui ne reviendra plus fut coupable mais pas responsable, plaide en somme notre avocat − accusant ainsi un faible pour ces exaltés qui vont jusqu’au bout, fût-ce dans le plus scandaleux des murs.

« Nous ne savons pas ce qu’il faut faire, mais nous le ferons ! », lançait à la même époque le jeune Drieu La Rochelle, dans un cri de guerre ironique et bravache.  Après quoi, bien sûr, il a fait n’importe quoi, comme Fontenoy, avant de finir comme lui. Mais ils ne furent pas, loin de là, les seuls hannetons éblouis à buter dans cet abat-jour qu’on appelle l’entre-deux-guerres.

En ce temps-là, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par l’intergroupe surréaliste, tout semble possible à toute une génération d’intellectuels − hormis les cauchemars qu’engendreront leurs rêves.

Quant au reste, la différence entre gentils extrémistes de gauche et méchants extrémistes de droite, elle ne relève pas de la morale mais de ce pari après la course qu’on appelle le jugement de l’Histoire. Vae victis !, disait Brennus vainqueur des Romains.  « L’Histoire est écrite par les vainqueurs », confirmait en connaisseur Brasillach, à la veille de son exécution.

Or la liste des vainqueurs dépend de la victoire, comme dirait Mao, c’est-à-dire du sort des armes plus que de l’intervention de Dieu, ni même de la déesse Raison. Si Hitler n’avait pas attaqué la Russie, qui sait ? Peut-être Brasillach lui-même aurait-il fini dans le camp des vainqueurs, aux côtés d’Aragon et de Thorez… Et si le général Hideki Tojo n’avait pas lancé l’attaque sur Pearl Harbor ? Peut-être que le débarquement de Normandie n’aurait jamais eu lieu, qu’on écouterait toujours Radio Paris et que la loi Gayssot aurait interdit depuis longtemps le philosémitisme.

Á la rentrée, l’universitaire Philippe Vilgier vient de publier son Jean Fontenoy à lui, une biographie érudite qui complète utilement les élans romanesques de Gérard Guégan. « J’ai écrit ce livre pour comprendre de quoi nous sommes faits et à quoi tiennent nos destinées », explique d’emblée l’auteur des Irréguliers. Vilgier prolonge cette réflexion en replaçant Fontenoy dans son contexte : la bouillonnante marmite intellectuelle de cet après-guerre qui se découvre sur le tard avant-guerre.

Avec une patience d’ange archiviste, si ça existe, l’auteur a recueilli au fil des ans les témoignages d’acteurs de l’époque qui, pour des raisons diverses, s’étaient retrouvés embarqués dans la même galère (Lucien Combelle, Saint-Loup, François Brigneau…).

Au fil de détails, d’anecdotes et de récits, le Fontenoy historique de Vilgier devient presque aussi romanesque que celui, radicalement subjectif, de Guégan.  Ce qui se dessine, c’est la silhouette d’un Tintin cabossé, aux aventures plus ou moins drôles. Le voici successivement en touriste bolchevik à Moscou, en grand reporter de Havas à Shanghaï, en dandy parvenu et pote de Cocteau, et pour finir en archétype de l’ « homo fascistus » selon Vilgier, écartelé entre « une volonté restauratrice du passé et une volonté révolutionnaire face à l’avenir ».

Si ce « romantisme fasciste » est coupable, c’est à coup sûr d’être irresponsable, contrairement à la défense Guégan. Mais gardons-nous de juger, suggère Vilgier. Où eûssions-nous été en 1943 ? Fastoche ! Mais en 33 ? Et en 23 ??

Pour en finir avec les clichés, rien de tel que de se repasser le film en entier ! Ballotté par les événements, Fontenoy passe de l’extrême gauche à l’extrême droite comme on traverserait la rue, et toujours en dehors des clous ! Elle est là au fond, sa cohérence : il n’en fait jamais qu’à sa tête, insoucieux des contradictions.

Au printemps 1918, le jeune révolutionnaire internationaliste s’engage dans l’artillerie… Le même, à l’automne 1941, devenu farouchement nationaliste français, endossera l’uniforme allemand pour mieux défendre sa patrie…

Mieux encore : le 8 août 1944, au moment de partir pour un exil allemand sans retour, Fontenoy se livre à une étonnante profession de foi américanophile et, surtout, germanophobe :  « Les Américains seront à Paris avant huit jours, et rien ne me plaît tant que leurs livres, leurs revues, leurs journaux, leur langue, écrit-il. Je n’ai jamais été capable de lire un livre allemand. Même Goethe. Cette langue et ce qu’elle cache ou dévoile me répugne ou m’est indifférent. »

Partir pour Sigmaringen dans de telles dispositions d’esprit, c’est être mort déjà. L’ami Jean met d’ailleurs bon ordre à cette ultime contradiction le 28 avril 1945, en avalant une capsule de cyanure dans un immeuble ravagé de Berlin, sur fond sonore d’avancée des T34 soviétiques.

Décidément, semblent nous dire d’une seule voix Guégan et Vilgier, les tempéraments des gens sont plus importants que leurs idées − ne serait-ce que parce qu’il leur est plus difficile d’en changer ! Á quoi bon s’acharner contre un homme qui s’en est chargé lui-même toute sa vie ? Et comment haïr vraiment un suicidaire qui, ironisant sur son propre désespoir, avait promis de ne plus recommencer : « Je ne me suiciderai plus ; chaque fois, je suis malade six mois. » ?[/access]

 Fontenoy ne reviendra plus, Stock, 490p., 24 euros.

Jean Fontenoy, aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, 364 p., 25 euros.

*Photo : Jean Fontenoy (Droits réservés).

Décembre 2012 . N°54

Article extrait du Magazine Causeur



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