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Manif pour tous : La gauche larguée

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À en croire ses partisans comme ses opposants, le mariage homosexuel serait devenu l’un des principaux marqueurs du clivage droite/gauche. En d’autres termes, comme l’a dit un responsable socialiste, « la gauche sociale serait inséparable de la gauche sociétale ». On peut au contraire penser que cette nouvelle orientation s’inscrit dans la fuite en avant d’une gauche qui ne sait plus comment être sociale.
Au lendemain de l’élection de François Hollande, l’instauration du mariage homosexuel semblait aller de soi. C’était en quelque sorte une évolution naturelle et personne ne s’attendait à l’ampleur et à l’obstination de la protestation. Cela montre à quel point un certain milieu politico-médiatique est coupé d’une bonne partie de la société et de ses préoccupations. Certes, le débat a eu lieu mais, dès le début, il était clair que le gouvernement – qui n’en est pourtant pas à une promesse non tenue près – n’avait pas la moindre intention de céder d’un iota. C’est que la gauche en a fait une question de principe : la reconnaissance du mariage gay et de l’homoparentalité s’inscrirait dans un grand mouvement historique défini comme la marche vers l’égalité. Carlo Rosselli, militant socialiste antifasciste italien, disait que « le socialisme, c’est quand la liberté arrive dans la vie des gens les plus pauvres ». Désormais, un seuil a été franchi : l’égalité investit le champ anthropologique pour s’appliquer à la conception de la vie et de la filiation. La gauche ne mesure pas les effets de ce changement de registre.[access capability= »lire_inedits »]
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir à ce que j’ai appelé le « gauchisme culturel[1. Mai-68, l’héritage impossible, La Découverte, 2006.] », qui prétend changer la société non par la violence révolutionnaire, mais « en douceur », en faisant évoluer les mentalités par la pédagogie et par la loi. Cette conception d’une loi qui aurait pour fonction de changer les mentalités revient à vouloir rééduquer un peuple considéré comme « beauf » et arriéré. Or, ce gauchisme culturel a occupé le vide laissé par le renoncement de la gauche à incarner une alternative économique et sociale. La substitution est intervenue dans les années 1983-1984, au moment où le PS a pris le « tournant de la modernisation » – c’était le fameux « ni, ni » de Mitterrand. Le problème, c’est que ce virage n’a jamais été assumé. On change sans dire qu’on change – donc sans le penser.
L’héritage de Mai-68 en morceaux est alors disponible pour une gauche qui ne sait plus où elle va. Nombre d’anciens soixante-huitards vont intégrer le Parti socialiste. S’ils ne croient plus aux « lendemains qui chantent », ils n’ont pas renoncé à l’idée d’une révolution culturelle qui se déploierait dans le domaine des mentalités et des mœurs, puis se répercuterait dans le champ politique. C’est le début de la conversion de la gauche au « Black-Blanc-Beur », au multiculturalisme, au modernisme branché…
Depuis, de fausses alternatives sont assénées aux Français : soit vous êtes progressistes dans tous les domaines, soit vous êtes réactionnaires ; soit vous êtes modernes, soit vous êtes ringards ; soit vous êtes pour le mariage homosexuel, soit vous êtes homophobes.
Choisissez votre camp !
Or, il est frappant d’observer, aujourd’hui, le retour en force de ce gauchisme culturel dans un moment où beaucoup de promesses, sur le plan économique et social, ont été abandonnées par François Hollande. Du coup, la question de l’homoparentalité apparaît comme une ligne de fracture fondamentale, au point que les élus ou militants socialistes qui ne partagent pas l’orientation du Parti sont quasiment privés de parole. Ce sectarisme, qui désigne d’emblée le bon camp et assigne systématiquement l’adversaire à l’extrême, est devenu insupportable à une bonne partie de la population. La gauche n’a pas compris grand-chose aux manifestations de masse contre le mariage homosexuel, sans doute parce qu’elle se considère comme la seule dépositaire légitime du « mouvement social » – devenu dans les faits un mouvement hybride par adjonction ou substitution des revendications de différents groupes ou communautés aux vieux mots d’ordre républicains et du mouvement ouvrier. Imaginez sa stupéfaction face à ces drôles de citoyens qui viennent manifester du fond de nos provinces. Qui plus est, ce sont des catholiques qui ne correspondent pas aux images caricaturales qu’on leur colle. Alors, comme pour mieux conforter ses vieux schémas, elle se polarise sur les prières de rue, les casseurs et les fanatiques dont les images passent en boucle à la télévision. Le gauchisme culturel ne manque pas de relais dans les grands médias et dans le milieu du show-biz qui vivent, parlent et pensent dans l’entre-soi, sans voir qu’une bonne partie de la société a décroché et en a plus qu’assez de leur hégémonie culturelle et de la façon dont ils dominent le débat public.
Face à une France qu’elle ne comprend pas, la gauche invoque rituellement le danger de l’extrême droite. Soyons clairs : le risque de récupération existe, y compris de ce côté-là. On aurait tort de sous-estimer la progression de l’extrême droite et de rester aveugle à sa recomposition. Mais on ne la combattra pas par la dénonciation incantatoire du populisme ou du fascisme version années 1930, ni par la disqualification de la contestation.
La liberté de penser et de débattre est une exigence démocratique essentielle dans cette période critique de notre histoire. Quand on évacue d’emblée toute discussion de fond sur l’homoparentalité, mais aussi sur d’autres questions qui préoccupent les Français, comme la nation, l’immigration et l’islam, on risque de faire resurgir un vieux fond d’extrémisme plus ou moins « refoulé ». Dans ce face-à-face délétère avec l’extrême droite, érigée au rang d’adversaire attitré, le gauchisme culturel, à sa façon, se nourrit largement de la menace qu’il dénonce. Dans la situation chaotique que nous vivons, il n’est pas exclu qu’un mouvement de balancier confirme ces sombres prédictions.[/access]

Traité de paix à l’UMP: un triomphe pour Copé

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cope fillon ump

Fin juin, les militants UMP voteront. Pas pour désigner leur nouveau président. Non. Ils voteront pour dire si oui ou non, il faut annuler le vote pour le Président de leur parti, prévu cet automne. Vous suivez toujours ? Ainsi sera mis en œuvre le dernier accord en date entre les duettistes umpistes de l’hiver dernier, François Fillon et Jean-François Copé. Cet accord annule donc celui qu’ils avaient scellé il y a quelques mois et qui prévoyait de repasser par les urnes, faute de légitimité du président proclamé par lui-même et par la COCOE.
Copé, puisqu’il s’agit de lui, peut pavoiser. Cet accord, qui lui permet de rester président du premier parti d’opposition jusqu’en 2015, soit deux ans avant l’élection présidentielle, constitue une bénédiction. Si les militants, comme on peut le prévoir, entérinent l’accord, il sera cette fois doté de la légitimité qui lui manquait. Et il pourra  se concentrer sur l’opération de reconquête de l’opinion qui doit l’obséder tant son niveau dans les études semble plus proche de celle de Nicolas Anelka après la coupe du monde 2010 que de celle d’un présidentiable lambda. Il avait intérêt à cet accord et il l’a obtenu. Chapeau !
Ce qu’on a davantage de mal à comprendre, c’est que François Fillon ait pu signer un tel pacte. Offrir cette légitimité à son adversaire après l’avoir désigné devant toute la France comme un putschiste, après que le livre documenté de Carole Barjon et Bruno Jeudy (Le coup monté, Plon), lui ait donné raison, c’est de la folie furieuse. La raison invoquée serait que les militants ne veulent pas d’une autre élection potentiellement aussi sanglante que la précédente. Valérie Pécresse, qui aurait été nommée secrétaire générale si Fillon avait été proclamé vainqueur par la COCOE – c’est-à-dire en n’oubliant pas de comptabiliser  les votes des trois départements d’outre-mer-  me le confiait en mars dernier : « Les militants ne sont pas très chauds pour revoter. » L’accord était-il donc déjà en germe il y a trois mois ? Ou Valérie Pécresse fait-elle partie des proches qui ont conseillé à Fillon de le sceller ? La position de la députée des Yvelines est d’autant plus mystérieuse qu’on lui prête, en cas de victoire aux régionales de 2015, la tentation d’être candidate à la fameuse primaire présidentielle. François Fillon s’est, lui, montré résolu à affronter Nicolas Sarkozy « quoi qu’il arrive ». Comment peut-il donc croire qu’il y parviendra sans contrôler le parti, qui était pourtant à sa portée ?
Et s’il juge la bataille interne trop difficile face à Copé, comment peut-il penser qu’une primaire face à l’ogre Sarko le serait davantage ? On comprend la stratégie qui consiste à prendre de la hauteur et à considérer qu’une élection à la tête d’un parti n’est pas de son niveau, privilégiant le dialogue avec l’ensemble des Français. Mais cette attitude gaullienne n’exclut pas qu’il faille contrôler au moins indirectement le parti afin que celui-ci ne devienne pas une arme contre soi. Ainsi François Mitterrand face à Rocard et Chirac face à Séguin, n’ont jamais négligé cet aspect. S’ils ont parfois vu le PS (1993) ou le RPR (1997) leur échapper, ce fut après des défaites cuisantes aux législatives, à leur corps défendant. Ils ont ensuite mené bataille pour neutraliser leur adversaire, les poussant à la démission, au bout d’un an pour le premier, et de deux ans pour le second.
Dès lors, on comprend très bien la réaction de Laurent Wauquiez, proche de Fillon, qui a publiquement regretté cet accord, fustigeant « la poussière mise sous le tapis ». Il faut dire que le député de Haute-Loire se voyait bien être candidat pour le compte de Fillon. Au lieu de cela, c’est Copé qui va tenir la boutique, préparant sa propre candidature pour l’Elysée, ou pour Matignon dans la roue de l’ex-président. Si Wauquiez fulmine, on comprend d’autant moins la sortie de François Baroin, autre filloniste, dimanche sur France 2. Il a rappelé la « faute inexcusable » de Copé qui s’était autoproclamé président en novembre. Pour Baroin, Copé, c’est un putschiste. Moralité, il faut donc lui laisser le parti. Comprenne qui pourra ! On se demande même si ce genre d’attitude ne risque pas de heurter militants et sympathisants. Si Copé n’est pas digne de diriger l’UMP, il faut la lui prendre ; si on signe un accord lui concédant cette légitimité, il faut le respecter.
Jean-François Copé, qu’on disait perdu pour 2017, sera donc remis officiellement en selle le 28 juin prochain. Certes, son habileté y est pour quelque chose. Mais elle pèse bien peu en comparaison de la folle stratégie de son meilleur ennemi.

*Photo: capture d’écran France24

Chiite, la confession négative

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hezbollah iran liban syrie

Hachem Salman avait 19 ans. Il a été abattu devant l’ambassade d’Iran à Beyrouth le 9 juin dernier. Mort pour ses idées. Le chef des jeunes de l’Option libanaise, petit parti chiite anti-Hezbollah, a été molesté par des chemises noires armées de bâtons puis tué à bout portant. Des gardes iraniens du bâtiment diplomatique ou des gros bras du parti de Dieu, l’enquête officielle n’a pas encore désigné les coupables.
Le martyre de Salman symbolise en tout cas le chant du cygne d’une grande idée née à la fin du XIXe siècle. Au grand courroux des derniers nationalistes arabes, leur idéologie est bel et bien morte et enterrée. Ni Damas ni Téhéran : la neutralité de l’Option libanaise porte peu chez des chiites libanais électeurs du Hezbollah et de son allié Amal à plus de 85%.
En ces temps troublés, la mort d’Hachem Salman sonne aussi le glas de l’unité chiite. En proie à des tensions croissantes au Proche-Orient et dans le golfe persique, des millions de musulmans chiites vivent au rythme des combats menés en Syrie, des élections iraniennes et des sempiternels affrontements intra-libanais. De ce point de vue, la semaine dernière fut particulièrement riche en rebondissements.
D’abord, le Hezbollah a – définitivement ? – enterré son credo islamo-nationaliste. Les géopoliticiens devront revoir leurs classiques : avec la guerre de Syrie, de la figure du partisan territorialisé, le hezbollahi personnifie le second type schmittien : le partisan global, sans enracinement tellurique, tel le premier salafiste venu.
Peu on prou, on observe la formation d’une « Internationale chiite » à l’identité religieuse claudicante. Si ses buts stratégiques restent bien définis, l’axe Damas-Téhéran ne correspond en effet à aucune unité confessionnelle, le clan alaouite d’Assad étant à un chiite iranien ce qu’un anglican est à l’évêque de Rome. Tant il est vrai que la politique commande au religieux, la (non-)pratique quotidienne de l’alaouite de la rue a peu à avoir avec le rite officiel « chiitisé » promu par le régime syrien depuis ses trente ans de noces avec l’Iran[2. On lira avec intérêt les indispensables travaux de Thomas Pierret sur l’intégration de l’alaouisme syrien au rite jaffarite en vigueur en Iran, notamment à travers de multiples séjours religieux dans la ville sainte de Qom.]. N’en déplaise aux essentialistes, la géostratégie est affaire d’intérêts, les tapis de prière suivent. La nouvelle guerre de religion qui déchire le Moyen-Orient a tout de la lutte d’influence, avec des acteurs telluriques fragilisés (l’Arabie Saoudite à la puissance déclinante, la Syrie baathiste vacillante) et de nouvelles forces hyper-mobiles qui livrent bataille aux quatre coins de l’Oumma : Salafistes vs. Hezbollahis. Même les vieux Etats se prennent à ce petit jeu. Ainsi, son président réformateur Rohani à peine élu, la République islamique d’Iran a annoncé l’envoi de quatre mille soldats en Syrie, sans doute pour signifier que la politique étrangère reste l’apanage exclusif du Guide. On ne badine pas avec une alliance vieille de trente ans…
Aujourd’hui estampillé mouvement régional, le Hezbollah achève d’internationaliser le séisme syrien et ses répliques libanaises. Face au chaudron bahreïni qui gronde, le Conseil de Coopération du golfe a carrément inscrit le Parti de Dieu sur la liste des organisations terroristes pendant que ses membres multiplient les mesures vexatoires à l’encontre de leurs minorités chiites. En rétorsion, un koweïtien a failli être enlevé sur un site touristique libanais il y a quelques jours puis quatre chiites ont été assassinés dans la Bekaa. Tout le monde a en tête les récentes images de villageois chiites massacrés par la guerilla, à l’est de la Syrie. Une barbarie qui ne le cède en rien aux exactions des mercenaires pro-Bachar.
Avec des foyers aussi incandescents que le brasier syrien, l’Internationale chiite aura fort à faire pour ménager sa sphère d’influence. Que son porte-parole s’appelle Khamenei ou Rohani, qu’il éveille l’effroi ou l’espoir des bonnes consciences occidentales, n’y changera finalement pas grand-chose.

*Photo : looking4poetry.

Mariage pour tous : la loi et l’ordre

mariage gay mai 68

La droite a bien tort de se plaindre de la loi Taubira : en re-sacralisant le mariage et en refusant la moindre concession à la complexité, la gauche a fini d’enterrer Mai 68.
Rions un peu. La droite proteste, geint et s’indigne. Et pourtant, même si elle est trop bête pour s’en apercevoir, elle triomphe. Mieux, elle se voit réconciliée dans une loi qui réunit sous un même toit ses deux composantes si chères à René (« mon Rémond », comme dirait l’autre). Le « mariage pour tous » réalise en effet l’exploit de combler simultanément les deux aspirations contradictoires du peuple de droite : le retour à l’ordre moral d’un côté, le libéralisme triomphant de l’autre. Le Tir aux pigeons (« Pas si mal, ce Le Pen ! ») et le Racing Club de France (« Pas très cool, ce Le Pen… ») font, pour une fois, front commun : le mur du Bois de Boulogne, qui séparait nos deux droites, est tombé. À l’instant où la dame à Raymond se rêve chez Keith et Anita[1. Chez Keith et Anita et Mon Raymond sont deux chansons du dernier album de Carla Bruni qui rendent respectivement hommage respectivement à Keith Richards/Anita Pallenberg et à son mari.], ce sont Nicolas et Yvonne (de Gaulle) qui, dans une uchronie parallèle, se tendent, sinon un joint, du moins la main.
Cela doit lui faire bien plaisir, à notre bonne vieille droite des familles, ce retour au bercail de ses enfants perdus. On s’était tant moqué de ce refus de la Générale de recevoir des divorcés à sa table qu’on pensait que le mariage bourgeois était une cause à jamais perdue. Notre vieux Sud à nous, en quelque sorte. Qui aurait parié que c’est de ces invertis, dont chaque famille versaillaise planquait un exemplaire dans un placard, que viendrait le salut ?[access capability= »lire_inedits »] Ou mieux encore − le mot sonne si bien − la Restauration. Elles avaient toutes leur bon juif, elles ignoraient qu’elles avaient leurs milliers de bons pédés. Ils ont bonne mine, les Zemmour, les Lévy (voir phrase précédente) ! Il est où, votre « 68 » censé gouverner, aujourd’hui encore, les corps et les âmes ?  Votre « 68 », on n’en veut plus ! On veut se marier.  On veut faire reconnaître notre amour (un bien joli mot) par la société (un mot redevenu joli). Serre les fesses, Jean Genet : Vallaud-Belkacem et Escada (qui, avec ses charmants amis de Civitas, se sont juste gourés de manif) sont dans la rue.
On aurait pu s’arrêter là. Non, tradition ET modernité, disait le dépliant de la loi. « On veut tout ! », comme disait aussi une pub Lesieur (décidément, ce texte est placé sous les meilleurs patronages). On veut le maire et les chiards.
Simone Veil, avec l’appui du quelque peu gauchiste Giscard, avait apporté aux femmes la libération (Arrière, la bête immonde !) : faire des enfants sans en avoir.  Hollande,  ce frère de Sarkozy déguisé en fils de Pompidou, apporte à tous les mariés de son An 1 la libéralisation : avoir des enfants sans en faire. Plus virtuel – donc moderne, forcément moderne − tu meurs ! À côté, les options sur le marché des matières premières à la Bourse de Chicago (on joue sur des trucs qui n’existent pas), c’est du Jacques Rueff[2. Jacques Rueff : économiste adoubé par de Gaulle en 1958, qui le nomma président d’un comité d’experts.].  Et pourquoi les enfants ? Parce qu’on en a envie. Parce qu’on le désire. Parce qu’on veut en avoir. Et c’est bien. Parce que le désir, c’est toujours bien. Parce qu’avoir, c’est toujours bien. Parce qu’on les aime. Et que l’amour, c’est toujours bien.
Une envie d’avoir qu’on peut satisfaire : c’est pas du Sarko dans le texte, ça ? Et le Pierre Lévy-Soussan[3. Pierre Lévy-Soussan : médecin psychiatre et psychanalyste opposé au volet du « mariage pour tous » concernant l’adoption par des couples de même sexe.] qui nous emmerde avec son principe de précaution sur les enfants adoptés qui auraient besoin, pour se construire, d’une « fiction crédible de filiation », c’est pas du Surmoi dont on n’a rien à fiche ? C’est pas « trop intello », comme l’a si courageusement fait remarquer Caroline Fourest sur le plateau d’Yves Calvi ? Qu’est-ce qu’il vient nous enquiquiner avec son « principe de précaution », l’autre cérébral ? Un homme, on avait déjà du mal à l’empêcher, alors deux hommes ou deux femmes, autant laisser tomber[4. « Un homme, ça s’empêche », Albert Camus, Le Premier Homme.]. Après tout, dans un marché libre et concurrentiel, il n’est pas normal que seul de vieux chanteurs alcooliques puissent satisfaire leur envie de pouponner.
Pour finir dans un élan d’espoir, il ne faudrait pas que nos hérétiques à nous se sentent exclus de cette réconciliation des droites apportée par la gauche en cadeau d’arrivée au pouvoir (un grand mot, peut-être) plein de délicatesse. Je veux nommer la très turbulente galaxie dieudonienne aperçue sur le Net et parfois chez Taddei. Je vous le dit, mes amis : si vous avez aimé le « complot judéo-maçonnique », vous aimerez le « mariage pour tous ». Réfléchissez : l’amour plus fort que la loi, si ce n’est pas une pierre envoyé dans le jardin des sionistes (on se comprend, mes chéris), la revanche du Nouveau sur l’Ancien Testament, qu’est-ce que c’est ? Deux papas, deux mamans, si c’est pas un kick (on se comprend vraiment, là, je crois) balancé dans la tronche de nos rationalistes à tablier, ça ressemble à quoi ?
Pleurons un peu. Après avoir envoyé du bois, il est temps de se poser. Je suis en fait moins gêné par le « mariage pour tous » que par la manière dont il a été défendu ou promu. J’ai grandi  à une époque où la droite niait la complexité du monde. Être de gauche, c’était alors, dans le sillage d’un Roland Barthes, remettre en cause ce que le camp au pouvoir présentait comme « naturel ». Nous pensions que ce « naturel », ces « évidences » dont on nous abreuvait n’étaient que des constructions idéologiques qui visaient à nous masquer le réel en le simplifiant. Être de gauche, c’était être ce casse-couilles qui osait dire que c’était peut-être « plus compliqué que ça », que ce n’était peut-être « pas si évident que ça ». Que ça n’allait peut-être pas de soi.
Le basculement de la gauche vers ce qui, jadis, était la droite, pas tant au niveau des idées que de la manière de les présenter ou plus exactement de les brandir, je le ressens dans cette sacralisation des pulsions.  S’il y a du « J’ai envie de me marier avec mon copain, j’aimerais avoir des enfants », on prend et on soutient parce qu’il y a de l’envie et qu’il y a, sincèrement, de l’amour. Et l’amour, on est d’accord, c’est un truc tellement naturel que ça ne se discute pas, que ça ne se contre pas. C’est cet acquiescement automatique à la force de l’évidence qui rapproche cette gauche d’aujourd’hui d’une droite que nous avons tant aimé détester. Un Pierre Lévy-Soussan qui distingue éducation et filiation est présenté comme un coupeur de cheveux en quatre à l’heure où l’amour, et l’amour seul, doit faire la loi. Un Pierre Lévy-Soussan qui déconstruit le mythe de l’adoption heureuse est renvoyé à la figure d’un Cassandre qui viendrait nous empêcher d’aimer en rond. Qui voudrait mettre de la pensée là où l’on nous somme d’adhérer.
« All you need is love », chantaient les Beatles. Eh bien, désolé de casser l’ambiance, mais ça ne suffit pas. Remplacer l’ordre par l’amour ne fait pas une pensée. Cela ne fait que remplacer une non-pensée par une autre non-pensée. Et puisque le marché fait la loi, I don’t buy it.[/access]

*Photo : Soleil.

L’anniv de Johnny Hallyday : vive les rock n’roll platitudes !

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Il est très injuste de taper régulièrement sur Demorand, son Bourmeau ou Frédéric Bonnaud en se plaignant sempiternellement, comme j’ai tendance à le faire, que nos quotidiens et hebdos nationaux soient les plus pitoyables du monde libre.
En effet, au concours de la stupidité transcendantale, la PQR, n’a souvent rien à leur envier. N’empêche, je suis resté sur le séant à la lecture du dossier de HUIT pages que Nice-Matin consacre aux 70 ans de notre « rocker national » (une assertion hélas avérée, qui devrait pousser nos jeunes générations à émigrer vers des cieux plus civilisés).
Parmi ces huit pages, il en est une qui ma défrisé plus que les autres, titrée : 70 ans et 5 raisons de continuer. Selon mon estimable confrère azuréen, ces cinq preuves de l’existence du dieu des stades sont les suivantes  (Par mansuétude, je ne vous livre que les intertitres, bruts de rewriting) :
1/ Ses concerts sont top
2/ Il twitte plus vite que son ombre
3/ Il ne fait (presque) plus de politique
4/ Il a bon goût musical
5/ Il s’habille mieux que Keith Richards
A la réflexion, ce dernier paragraphe vaut assurément son pesant de cocaïne et mérite d’être cité intégralement, but, les kids, fasten your seatbelt : « Après trois décennies de folles errances vestimentaires et capillaires, l’ex-blouson noir est revenu ces dernières années à un look rock d’une belle sobriété sous l’influence conjuguée de Laetitia et de Hedi Slimane. Tant mieux : le noir lui va si bien. Surtout, ça lui évite de ressembler à une vieille gitane, comme Keith Richards et nombre de rockeurs vieillissants. »
J’attends avec impatience que pour les 70 ans de Mireille Mathieu, Nice-Matin nous fasse l’article en comparant la Demoiselle d’Avignon à ses minables consœurs anglo-saxonnes Liza Minelli, Barbra Streisand ou Aretha Franklin, même pas capables de chanter en français, d’abord.

Évasion fiscale : un G8 pour de rire

g8 google evasion fiscale

Alors qu’à Belfast, le G8 va se pencher pour la deux-cent-seizième fois sur le douloureux problème des paradis fiscaux et envisager des mesures d’urgence en vue de leur nécessaire moralisation, coin-coin-coin, Eric Schmidt publie une amusante tribune libre chez nos confères du Financial Times.
Ce menu du G8 est chaud bouillant pour l’executive chairman de Google, dont la boutique est, en compagnie d’Apple, Amazon et Facebook, régulièrement vilipendée par les bonnes âmes européennes et américaines pour absence de civisme fiscal. Ainsi, selon un diplomate français anonyme cité par 20 Minutes, ce G8 de Lough Erne a mis les géants du net au cœur de sa cible : « Il s’agit de trouver un cadre commun pour que ces sociétés payent une part raisonnable d’impôt. Elles en payent actuellement très peu alors qu’elles s’appuient sur les services. »
Loin de moi l’idée de considérer ce problème comme fictif. Selon l’OCDE – dont les économistes font référence depuis Cornelius Castoriadis– mille milliards et des brouettes de dollars de profits générés en Europe par les entreprises américaines échappent à l’impôt grâce à de forts créatifs dispositifs d’optimisation fiscale. Mais faire porter le chapeau de ce naufrage budgétaire à la seule « Bande des quatre » du net me semble à peu près aussi honnête que d’accuser Zlatan d’être le principal responsable des émeutes du Trocadéro.
En vertu de quoi on ne peut que féliciter Eric Schmidt de rappeler aux pontes du G8 qu’ils se moquent du monde. Et comment l’a-t-il fait ? En se servant de Google, of course ! Quelques heures de surf lui ont suffi pour mettre le nez dans leurs cacas aux « gouvernants, de gauche comme de droite  qui draguent éhontément les investisseurs étrangers en vue de créer emplois et croissance». Ainsi, il a pu remarquer que le site du gouvernement britannique se targue d’« offrir le régime fiscal le plus avantageux du G20 », celui du gouvernement français claironne ses 7 milliards de Crédit d’Impôt Recherche rétrocédés aux entreprises pour la seule année 2009, tandis que l’Agence d’investissement des Pays-Bas vante les vertus de son climat – fiscal, ça va de soi. L’enfer, c’est les autres disait Machin, le paradis fiscal itou.
Bref, explique Schmidt en substance, arrêtez de vous dumper les uns les autres, mettez en place de vraies règles fiscales communes, et juré-craché on s’y soumettra. J’imagine que cette fiscalité commune, Eric la souhaite riquiqui, pour ne pas dire alignée sur le moins disant, mais bon, c’est pas le débat : il est bien évident que le fondateur de Google a raison et que comme souvent depuis le déclenchement de la Révolution industrielle,  l’avant-garde du Capital a un coup d’avance sur les Etats. Mieux vaut une mauvaise paix fiscale mondiale qu’une guérilla permanente. Mais je vous parie qu’à Belfast on continuera de parler moralisation au lieu de fabriquer de la réglementation.
Accessoirement – et on se calme, les filles, je ne vous demande pas de penser comme moi – je considère que l’optimisation fiscale, tout comme le dumping social, le plagiat industriel ou l’abus de bien social sont au cœur même du processus capitaliste, il serait donc farfelu de rêver y mettre fin, sauf à en revenir à des solutions de type bolchévique, lesquelles, j’en conviens volontiers, présentent d’autres inconvénients. La moralisation du capitalisme  est donc une fumisterie, presque autant que l’autorégulation, c’est dire.
Cela dit, seuls les aveugles et les militants du PG peuvent nier que, chez lui,  l’Occident a su en finir – sans passer par la case Révolution, mais néanmoins sous la pression de l’Opinion – avec le travail des enfants, la semaine de 80 heures ou le tir à vue automatique sur les grévistes, toutes pratiques fort en vogue aux temps de l’Accumulation primitive. Aujourd’hui, nos Etats peuvent, par la régulation, donc pour parler clair à coup de réglementations, et donc pour parler encore plus clair, de répression, mettre fin aux abus les plus criants et ramener, comme disaient les Inconnus, les soussous dans la popoche. Encore faudrait-il qu’ils le veuillent vraiment, et qu’ils commencent, comme les y engage Eric Schmidt, par balayer devant leur propre porte ou même, soyons modernes, à passer le Dyson…

*Photo: Oxfam international

La France de demain pourrait être musulmane

ivan rioufol islam

Les théoriciens du Grand Remplacement n’ont pas dû en revenir. Des années qu’ils s’évertuent à dénoncer l’islamisation rampante de la France, à dessiner le pays de demain avec des minarets et des haut-parleurs qui cracheraient cinq fois par jour, des couscous partout et la liberté nulle part, des femmes voilées et des chrétiens persécutés. Des années qu’on leur rit au nez quand ce n’est pas tout simplement des torrents d’invectives qui viennent leur rabrouer le clapet. Et voilà qu’une honorable personnalité du monde musulman, le porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France, sort du bois et annonce la couleur : la France pourrait revêtir la djellaba dans un avenir proche. Dans son livre, Islam, l’épreuve française, Élisabeth Schemla rapporte le propos qu’a tenu Marwan Muhammad à la mosquée d’Orly au mois d’août dernier : « Qui a le droit de dire que la France dans trente ou quarante ans ne sera pas un pays musulman ? Qui a le droit ? Personne dans ce pays n’a le droit de nous enlever ça. Personne n’a le droit de nous nier cet espoir-là. De nous nier le droit d’espérer dans une société globale fidèle à l’islam. Personne n’a le droit dans ce pays de définir pour nous ce qu’est l’identité française ».
Marwan Muhammad a raison. N’en déplaise aux Cassandre et aux amoureux d’une certaine idée de la France. La France de demain pourrait bien être musulmane.
Et pourtant… Certains n’ont pas le droit de le dire. À croire que comme dans La Ferme des animaux de George Orwell, il y aurait des citoyens plus égaux que d’autres. Car pour s’être alarmé de « l’offensive islamiste » sur les ondes de RTL, Ivan Rioufol se retrouve assigné en justice par… l’association de Marwan Muhammad ! Le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) reproche à l’éditorialiste du Figaro d’avoir commenté sa campagne « Nous sommes la nation » en évoquant une opération d’« appropriation » et un « refus de l’intégration », non sans dénoncer le terme d’« islamophobie », forgé par l’Iran khomeyniste. Bref, les gentils organisateurs du CCI prophétisent l’islamisation de la France mais interdisent à leurs contradicteurs de la déplorer !
Il n’empêche, bien des pamphlétaires partagent le constat d’Ivan Rioufol et s’inquiètent de l’abandon par la France de ses propres valeurs. L’excellente Malika Sorel rappelle cette involution dans nos colonnes en fustigeant le rapport haut en couleur du conseiller d’Etat, Thierry Tuot, qui suggère d’adapter la France à ses immigrés plutôt que l’inverse. Dans ses recommandations, le haut fonctionnaire est allé jusqu’à moquer les droits et les devoirs, la citoyenneté, l’histoire, les œuvres, la civilisation française, la patrie, l’identité comme autant de concepts désuets.
Donc, la France de demain pourrait bien être musulmane. Il suffirait que l’intégration – préférée à l’assimilation- persiste dans l’échec, que la natalité des populations immigrées poursuive sa croissance, que l’antiracisme s’entête dans sa traque imaginaire de la bête immonde, que le laxisme sécuritaire s’aligne toujours plus sur l’austérité sociale, que les années passent et le tour serait joué. Mais ne nous y trompons pas. La faute n’est pas plus aux musulmans qu’à n’importe quelles communautés aux velléités peut-être plus discrètes mais qui n’en revendiquent pas moins. Depuis plus de trente ans, l’individualisme, toute idée d’appartenance à une nation est vouée aux gémonies. La société moderne nous dresse le portrait d’une histoire nationale noire, inféodée à des croyances, à des instincts, et propose à une génération nourrie au lait du relativisme culturel d’écrire son propre futur. Il n’y a plus de transmission, de communauté et de bien commun mais un essaim d’individus atomisés. À ce petit jeu là, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Dès lors, au pays des droits subjectifs multipliés à outrance pour que chaque individu jouisse de son bon plaisir, la volonté non négligeable d’une partie de la population de voir la France fidèle à l’Islam est-elle moins légitime que celle qui réclame « le mariage pour tous » ou le racisme pour personne ?  À moins que notre histoire, notre héritage ou notre culture aient un sens, ce qui ne semble pas être dans la logique bourdieusienne de notre temps où toute référence n’est que l’expression d’un déterminisme social.
Dans les années qui viennent, naîtront des partis démocrates musulmans comme il existe aujourd’hui des partis démocrates chrétiens. Ils proposeront une vision de la France et personne n’a le droit de leur nier cet espoir là. Ni de leur refuser, si elle est proposée avec les outils de cette démocratie hors-sol, une France musulmane.

*Photo :

Françoise Hardy a le blues

francoise hardy dutronc

Françoise Hardy a le blues : depuis que François Hollande a annoncé la très controversée mesure fiscale de taxation des riches à 75% – pour les revenus supérieurs à un million d’euros par an -, l’égérie des sixties a les idées noires. Souvenez-vous de ses déclarations à Paris Match en avril 2012 : « Je paye 40 000 euros d’ISF par an. Si Hollande le multiplie par trois, qu’est-ce que je fais ? Je suis à la rue […] Je suis forcée de vendre mon appartement et de déménager ». Depardieu l’a bien fait, avec panache, alors pour respecter la parité, pourquoi ne pas le suivre, Françoise ? Non vraiment, en ce moment, il ne fait pas bon porter les initiales F.H. en France. Mais en vérité, la chanteuse a toujours eu le blues, à l’image du personnage de Carole Laure dans le mémorable film de Blier Préparez vos mouchoirs. Et la compilation qui sort ces jours-ci, la bien nommée Midnight Blues – Paris London 1968/1972, en témoigne. L’objet, regroupant 24 titres – essentiellement des reprises – enregistrés dans le Swinging London, offre un condensé de la mélancolie romantique caractéristique de la chanteuse (mention spéciale à « The Garden of Jane Delawney », signée Toby Boshell, et « Take my hand for a while » de Buffy Sainte-Marie). Parmi les artistes repris, Randy Newman (magnifique « I think it’s Gonna rain today ») côtoie Neil Young et Leonard Cohen notamment.
Le tout s’écoute à la lueur du dernier néon de soleil, loin des ambianceurs professionnels de la nuit. C’est beau une ville silencieuse la nuit, avec le filet de voix de Françoise Hardy pour seul souffle lumineux, dans une langue étrangère. A l’heure où la jeune génération des artistes d’ici chante en anglais sans complexe, la mère de Thomas Dutronc pratiquait l’exercice dès le début des années 1960 puisque son premier disque, « Tous les garçons et les filles » l’a rendue populaire à l’international. Les idoles de la variété française s’exportaient massivement à cette époque (Joe Dassin, Gainsbourg, Dalida, Mireille Mathieu, Johnny, Sylvie Vartan, etc.) et Françoise a réussi l’exploit d’entrer dans le Top 20 des charts britanniques en 1965 avec « All Over the world », adaptation anglaise de son titre « Dans le monde entier ».
L’icône des sixties reconvertie aujourd’hui en écrivain à succès manie la langue de Shakespeare avec son naturel légendaire et ne garde d’ailleurs jamais sa langue française dans sa poche (franchise qui constitue son deuxième charme légendaire). Le langage de Françoise Hardy, c’est le franc-parler : Dominique A n’est pas sa tasse de thé, Zazie lui a écrit des paroles truffées de lieux communs, Biolay était meilleur quand il n’avait pas de succès, etc. Cette femme a décidemment beaucoup de bon sens, elle devrait être directeur artistique… si ce noble métier existait encore. Les auditions d’antan sont devenues des castings de Foire du Trône, bienvenue dans le monde normal.
Françoise Hardy a atteint à l’âge de vingt-cinq ans la dimension d’une figure incontournable de la culture pop. Son rayonnement mélancolique ne s’est jamais démenti depuis : elle a traversé les années 1980 avec une désinvolture géniale de circonstance (« Voyou, voyou », « Tamalou », « Jamais synchrones », « Tirez pas sur l’ambulance ») et l’album Le Danger – publié en 1996 – reste l’un des meilleurs disques français de ses vingt dernières années.
L’endive du twist, comme la surnommait Bouvard dans les années 1960, a traîné avec les Beatles et les Rolling Stones. Elle a lié amitié avec Nick Drake, a chanté avec – entre autres – Damon Albarn et Patrick Dewaere. Bob Dylan lui a dédié un poème, Michel Berger lui a écrit des chansons…
De quoi avoir le blues, en effet. Pour notre plus grand plaisir.

Françoise Hardy, Midnight Blues – Paris London 1968/1972

*Photo : quicheisinsane.

Albert, le bon Göring

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albert goring dandy

1. Prénom : Albert. Nom : Göring.
En 1938, après l’Anschluss, on peut voir un dandy, fume-cigarette aux lèvres, le regard moqueur et légèrement provocateur, se mêler aux vieilles juives contraintes par la Gestapo de nettoyer les pavés avec des brosses à dents. Ou encore, lorsque la propriétaire d’un magasin de couleurs est obligée de se mettre dans la vitrine avec, autour du cou, une pancarte où les passants lisent « Je suis une sale juive », le même homme intervenir pour l’aider à s’enfuir. Ce dandy porte un nom qui en impose à la Gestapo : Göring. Prénom : Albert. Dès qu’il montre ses papiers d’identité, il est relâché. Nul n’ignore qu’il bénéficie de la protection de son frère, Hermann, qui le considère comme le « mouton noir » de la famille, mais qui le sauve chaque fois in extremis. Car Albert prend des risques : il lui arrive de se rendre à Dachau ou à Theresienstadt pour libérer des amis juifs, signant de son seul patronyme.
Par ailleurs, il fréquente assidûment les cafés viennois, aime les jeunes et jolies femmes, joue aux échecs, écrit des scénarios avant de diriger l’usine d’armement Skoda, en Tchécoslovaquie, usine où le salut hitlérien est interdit. Albert n’est pas un antinazi par idéologie (il n’en épouse aucune), ni par religion (il est athée), ni par humanisme (il connaît trop bien les hommes pour se faire la moindre illusion sur eux). Ce qui le révulse, c’est la vulgarité de ce régime, la haine qu’il suinte, son mépris de l’art et sa logique clanique. Il ne le sous-estime pas pour autant : si Hitler était ce gangster loufoque que décrivent ses ennemis, ce serait un jeu d’enfant de s’en débarrasser. Malheureusement pour les Alliés, il est très doué.
D’Albert Göring, les psychiatres diront « Personnalité pas facile à saisir » lorsqu’il sera incarcéré par l’armée américaine dans une cellule jouxtant celle de son frère. Pourtant, dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler, il s’est exilé à Vienne où il obtiendra la nationalité autrichienne. Il ne cache pas ses convictions : « J’ai un frère qui s’est acoquiné avec ce salopard d’Hitler et, s’il continue comme ça, cela finira mal pour lui… Je crache sur Hitler, sur mon frère et sur tout le régime nazi. »[access capability= »lire_inedits »] Un de ses amis juifs, l’écrivain Ernst Neubach, rapportera ses propos et ses actes de résistance dans un article paru en 1962, « Mon ami Göring », et plusieurs témoignages, dont celui du producteur Oscar Pilzer, confirmeront qu’il a sauvé de nombreux juifs de la déportation.
Mais à la fin de la guerre, le nom de Göring est une malédiction. Les Américains, auxquels il s’est livré le 9 mai 1945 à Nüremberg, ne veulent pas croire qu’il existe un « bon » Göring, même si son frère s’acharne à le disculper. Ironie du sort : les deux frères Göring sont incarcérés dans la prison d’Augsburg, à quelques cellules de distance. Hermann se suicidera le 15 octobre 1946. Quant à Albert, les Américains, toujours dubitatifs, le livreront aux autorités tchèques. En 1947, il sera jugé et libéré après l’intervention d’ouvriers de Skoda, qui révéleront ses actes de sabotage, et celle d’Ernst Neubach qui parle des « centaines d’hommes et de femmes qui ont échappé à la Gestapo, aux camps de concentration et aux bourreaux » grâce à Albert Göring. Il est vraisemblable que l’État d’Israël lui accordera, maintenant que les historiens s’intéressent à son étrange destin, l’honneur de figurer au mémorial de l’Holocauste, Yad Vashem, comme « Juste parmi les nations ».
Ce qui ne manque pas d’intriguer, c’est qu’Albert n’a laissé aucune trace écrite. On ne saura jamais pourquoi le frère cadet d’un des auteurs de la « solution finale » et numéro deux d’Hitler a combattu avec une telle désinvolture un régime qu’il exécrait. Sans doute est-ce cela qui définit un dandy : il n’éprouve pas le besoin de s’expliquer, ni de se justifier. Et moins encore de se plaindre. Toujours considéré comme un paria en Allemagne après la guerre, abandonné par sa femme, refusant de changer de nom, suspect à vie, Albert Göring se suicidera en 1966, sans avoir été réhabilité. Il n’est même pas certain qu’il en ait éprouvé de l’amertume. Il aspirait à demeurer élégant en toutes circonstances. Il y est parvenu. Gageons qu’après La Liste de Schindler de Spielberg, un film ne manquera pas d’être consacré à la « liste de Göring » : ce sera la revanche définitive d’Albert sur Hermann.

2. La magie de l’extrême.
Un rendez-vous qui n’aurait pas déplu à Albert Göring est celui auquel nous convie Jean-Marie Paul avec les maîtres du pessimisme européen – de Schopenhauer à Baudelaire[1. Jean Marie Paul, Du pessimisme, Éditions Encre Marine, 2013.]. Son essai est d’autant plus jouissif que Jean-Marie Paul est persuadé, à juste titre, que les vraies rencontres philosophiques passent par la littérature. Et qu’en définitive, seul le style peut imposer une pensée et nous soustraire aux désagréments de l’existence. Ce qui, contrairement à ce que des esprits simplistes pourraient penser, ne va pas à l’encontre du pessimisme, mais l’authentifie : le pessimiste − dont on concédera qu’il agit rarement en accord avec sa philosophie − est d’abord un homme qui ne se résout pas à être mortel, possédé qu’il est par un désir d’éternité inavoué. « Quand un homme, écrit Jean-Marie Paul, est intégralement habité par une vision noire des hommes et de la société, quand il est hanté par la mort et le suicide, comme l’écrivain Jean Améry, ce n’est pas à sa vie qu’il met fin, mais à la mort. Il tue la mort. Il anéantit la terreur. »
À l’opposé du pessimiste, l’optimiste croit en la bonté originelle de l’homme et aux vertus du progrès. Il faut avoir un estomac solide et un sommeil profond, voire une certaine forme de vulgarité, pour adopter cette posture. Le pessimiste, ce rabat-joie, se tromperait-il en voyant la vie plus noire qu’elle ne l’est et l’optimiste, ce benêt, en la perpétuant et en l’exaltant ? Je me garderai de répondre à cette question pour ne blesser personne. En revanche, la magie de l’extrême que distille Jean- Marie Paul, nous la partagerons volontiers avec tous ceux qui ont pour l’artifice et le spleen un goût immodéré.
Le pessimisme permet de jouir de tout sans jamais perdre de vue que la vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit, désir qui ne changera en rien sa condition, quoi qu’il en pense.

3. La machine à disparaître.
Le livre de philosophie que je relis le plus souvent n’est pas signé Platon, Schopenhauer, Nietzsche ou Bergson, mais Andy Warhol. Chaque page de Ma philosophie de A à B me ravit. J’éprouve presque de l’envie pour le type qui a écrit ça avec un humour et une désinvolture proches de Woody Allen, la profondeur en plus. Mais une profondeur d’une telle allégresse que les professeurs de philosophie y demeurent insensibles. C’est navrant pour leurs élèves qui trouveraient dans l’irrévérence et la drôlerie d’Andy Warhol matière à penser, à penser vraiment, plutôt qu’à faire semblant et à ânonner des citations absconses sans aucun rapport avec leur existence. L’humanité, leur enseignerait Warhol, laisse souvent un même problème faire leur malheur pendant des années, alors qu’ils pourraient dire simplement : « Et alors ? » C’est d’ailleurs une de ses locutions préférées : « Et alors ? »
– Ma mère ne m’a pas aimé… Et alors ?
– Mon mari ne veut plus me baiser… Et alors ?
– Je réussis, mais je suis toujours seul… Et alors ?
De même que le philosophe viennois Hans Vaihinger a inventé à Vienne, en 1911, la philosophie du « Comme si… », Andy Warhol a créé celle du « Et alors ? » Quoi qu’on puisse leur objecter, elles sont d’une efficacité redoutable. En tout cas, elles l’ont été pour moi, moi qui, comme Stirner, Cioran ou Caraco, n’ai fondé ma Cause sur Rien.
Andy Warhol pensait aussi souvent à sa mort. Il ne voulait laisser aucun reste. Il ne voulait pas être un reste non plus. En regardant la télévision, il a vu une femme entrer dans une machine à rayons et disparaître. « C’était formidable, a-t-il écrit, parce que la matière est énergie. Cette femme s’est tout simplement éparpillée. Ce pourrait être une invention américaine, la meilleure invention américaine : pouvoir disparaître ainsi. » L’art d’Andy Warhol est une tentative de créer cette machine à disparaître. Et ce n’est pas parce qu’il ne croyait en rien que ce rien n’était rien. Andy Warhol ne cesse d’en faire la démonstration.
S’il avait eu une émission de télévision à lui, il l’aurait appelée : « Rien de spécial ». Albert Göring aussi a dû penser qu’il n’avait rien fait de spécial. C’est à cela qu’on reconnaît un dandy.[/access]

*Photo : wolfgeistpublishing.

Damien Saez est-il contre la GPA ?

En 2010, Saez dévoile la photo promotionnelle de son nouvel album. Elle est censurée par l’ARPP. L’ARPP est, comme l’explique son site « l’organisme de régulation professionnelle de la publicité en France. (…) Sa mission est de parvenir à concilier liberté d’expression publicitaire et respect des consommateurs. »

Outré par cette censure, Saez s’explique dans le magazine Phosphore de mai 2010 :
 »Elle n’est ni obscène, ni sexuelle (c’est juste un nu), mais la mise en scène gêne. Cette photo choque, car elle reflète une idée que les gens refusent de regarder en face : la société d’aujourd’hui veut que l’individu, et particulièrement la femme, soit réduit à un bout de viande dans un caddy. Tout individu qui naît sur Terre est aujourd’hui pris en otage par la société de consommation. On ne peut accoucher aujourd’hui que d’un objet de consommation : voilà ce que je dénonce. Cette image fait miroir, donc elle fait mal. Qui a envie de se regarder dans la glace quand ça fait mal ? Pourtant, cela pousse à la réflexion. »
Question: dans un contexte moderne, comment peut-on sereinement mener un combat pour la dignité humaine quand l’anticapitalisme justifie ce que la lutte contre l’homophobie condamne ? Vous avez quatre heures. Bon courage.

Manif pour tous : La gauche larguée

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manif pour tous crs

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À en croire ses partisans comme ses opposants, le mariage homosexuel serait devenu l’un des principaux marqueurs du clivage droite/gauche. En d’autres termes, comme l’a dit un responsable socialiste, « la gauche sociale serait inséparable de la gauche sociétale ». On peut au contraire penser que cette nouvelle orientation s’inscrit dans la fuite en avant d’une gauche qui ne sait plus comment être sociale.
Au lendemain de l’élection de François Hollande, l’instauration du mariage homosexuel semblait aller de soi. C’était en quelque sorte une évolution naturelle et personne ne s’attendait à l’ampleur et à l’obstination de la protestation. Cela montre à quel point un certain milieu politico-médiatique est coupé d’une bonne partie de la société et de ses préoccupations. Certes, le débat a eu lieu mais, dès le début, il était clair que le gouvernement – qui n’en est pourtant pas à une promesse non tenue près – n’avait pas la moindre intention de céder d’un iota. C’est que la gauche en a fait une question de principe : la reconnaissance du mariage gay et de l’homoparentalité s’inscrirait dans un grand mouvement historique défini comme la marche vers l’égalité. Carlo Rosselli, militant socialiste antifasciste italien, disait que « le socialisme, c’est quand la liberté arrive dans la vie des gens les plus pauvres ». Désormais, un seuil a été franchi : l’égalité investit le champ anthropologique pour s’appliquer à la conception de la vie et de la filiation. La gauche ne mesure pas les effets de ce changement de registre.[access capability= »lire_inedits »]
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir à ce que j’ai appelé le « gauchisme culturel[1. Mai-68, l’héritage impossible, La Découverte, 2006.] », qui prétend changer la société non par la violence révolutionnaire, mais « en douceur », en faisant évoluer les mentalités par la pédagogie et par la loi. Cette conception d’une loi qui aurait pour fonction de changer les mentalités revient à vouloir rééduquer un peuple considéré comme « beauf » et arriéré. Or, ce gauchisme culturel a occupé le vide laissé par le renoncement de la gauche à incarner une alternative économique et sociale. La substitution est intervenue dans les années 1983-1984, au moment où le PS a pris le « tournant de la modernisation » – c’était le fameux « ni, ni » de Mitterrand. Le problème, c’est que ce virage n’a jamais été assumé. On change sans dire qu’on change – donc sans le penser.
L’héritage de Mai-68 en morceaux est alors disponible pour une gauche qui ne sait plus où elle va. Nombre d’anciens soixante-huitards vont intégrer le Parti socialiste. S’ils ne croient plus aux « lendemains qui chantent », ils n’ont pas renoncé à l’idée d’une révolution culturelle qui se déploierait dans le domaine des mentalités et des mœurs, puis se répercuterait dans le champ politique. C’est le début de la conversion de la gauche au « Black-Blanc-Beur », au multiculturalisme, au modernisme branché…
Depuis, de fausses alternatives sont assénées aux Français : soit vous êtes progressistes dans tous les domaines, soit vous êtes réactionnaires ; soit vous êtes modernes, soit vous êtes ringards ; soit vous êtes pour le mariage homosexuel, soit vous êtes homophobes.
Choisissez votre camp !
Or, il est frappant d’observer, aujourd’hui, le retour en force de ce gauchisme culturel dans un moment où beaucoup de promesses, sur le plan économique et social, ont été abandonnées par François Hollande. Du coup, la question de l’homoparentalité apparaît comme une ligne de fracture fondamentale, au point que les élus ou militants socialistes qui ne partagent pas l’orientation du Parti sont quasiment privés de parole. Ce sectarisme, qui désigne d’emblée le bon camp et assigne systématiquement l’adversaire à l’extrême, est devenu insupportable à une bonne partie de la population. La gauche n’a pas compris grand-chose aux manifestations de masse contre le mariage homosexuel, sans doute parce qu’elle se considère comme la seule dépositaire légitime du « mouvement social » – devenu dans les faits un mouvement hybride par adjonction ou substitution des revendications de différents groupes ou communautés aux vieux mots d’ordre républicains et du mouvement ouvrier. Imaginez sa stupéfaction face à ces drôles de citoyens qui viennent manifester du fond de nos provinces. Qui plus est, ce sont des catholiques qui ne correspondent pas aux images caricaturales qu’on leur colle. Alors, comme pour mieux conforter ses vieux schémas, elle se polarise sur les prières de rue, les casseurs et les fanatiques dont les images passent en boucle à la télévision. Le gauchisme culturel ne manque pas de relais dans les grands médias et dans le milieu du show-biz qui vivent, parlent et pensent dans l’entre-soi, sans voir qu’une bonne partie de la société a décroché et en a plus qu’assez de leur hégémonie culturelle et de la façon dont ils dominent le débat public.
Face à une France qu’elle ne comprend pas, la gauche invoque rituellement le danger de l’extrême droite. Soyons clairs : le risque de récupération existe, y compris de ce côté-là. On aurait tort de sous-estimer la progression de l’extrême droite et de rester aveugle à sa recomposition. Mais on ne la combattra pas par la dénonciation incantatoire du populisme ou du fascisme version années 1930, ni par la disqualification de la contestation.
La liberté de penser et de débattre est une exigence démocratique essentielle dans cette période critique de notre histoire. Quand on évacue d’emblée toute discussion de fond sur l’homoparentalité, mais aussi sur d’autres questions qui préoccupent les Français, comme la nation, l’immigration et l’islam, on risque de faire resurgir un vieux fond d’extrémisme plus ou moins « refoulé ». Dans ce face-à-face délétère avec l’extrême droite, érigée au rang d’adversaire attitré, le gauchisme culturel, à sa façon, se nourrit largement de la menace qu’il dénonce. Dans la situation chaotique que nous vivons, il n’est pas exclu qu’un mouvement de balancier confirme ces sombres prédictions.[/access]

Traité de paix à l’UMP: un triomphe pour Copé

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cope fillon ump

cope fillon ump

Fin juin, les militants UMP voteront. Pas pour désigner leur nouveau président. Non. Ils voteront pour dire si oui ou non, il faut annuler le vote pour le Président de leur parti, prévu cet automne. Vous suivez toujours ? Ainsi sera mis en œuvre le dernier accord en date entre les duettistes umpistes de l’hiver dernier, François Fillon et Jean-François Copé. Cet accord annule donc celui qu’ils avaient scellé il y a quelques mois et qui prévoyait de repasser par les urnes, faute de légitimité du président proclamé par lui-même et par la COCOE.
Copé, puisqu’il s’agit de lui, peut pavoiser. Cet accord, qui lui permet de rester président du premier parti d’opposition jusqu’en 2015, soit deux ans avant l’élection présidentielle, constitue une bénédiction. Si les militants, comme on peut le prévoir, entérinent l’accord, il sera cette fois doté de la légitimité qui lui manquait. Et il pourra  se concentrer sur l’opération de reconquête de l’opinion qui doit l’obséder tant son niveau dans les études semble plus proche de celle de Nicolas Anelka après la coupe du monde 2010 que de celle d’un présidentiable lambda. Il avait intérêt à cet accord et il l’a obtenu. Chapeau !
Ce qu’on a davantage de mal à comprendre, c’est que François Fillon ait pu signer un tel pacte. Offrir cette légitimité à son adversaire après l’avoir désigné devant toute la France comme un putschiste, après que le livre documenté de Carole Barjon et Bruno Jeudy (Le coup monté, Plon), lui ait donné raison, c’est de la folie furieuse. La raison invoquée serait que les militants ne veulent pas d’une autre élection potentiellement aussi sanglante que la précédente. Valérie Pécresse, qui aurait été nommée secrétaire générale si Fillon avait été proclamé vainqueur par la COCOE – c’est-à-dire en n’oubliant pas de comptabiliser  les votes des trois départements d’outre-mer-  me le confiait en mars dernier : « Les militants ne sont pas très chauds pour revoter. » L’accord était-il donc déjà en germe il y a trois mois ? Ou Valérie Pécresse fait-elle partie des proches qui ont conseillé à Fillon de le sceller ? La position de la députée des Yvelines est d’autant plus mystérieuse qu’on lui prête, en cas de victoire aux régionales de 2015, la tentation d’être candidate à la fameuse primaire présidentielle. François Fillon s’est, lui, montré résolu à affronter Nicolas Sarkozy « quoi qu’il arrive ». Comment peut-il donc croire qu’il y parviendra sans contrôler le parti, qui était pourtant à sa portée ?
Et s’il juge la bataille interne trop difficile face à Copé, comment peut-il penser qu’une primaire face à l’ogre Sarko le serait davantage ? On comprend la stratégie qui consiste à prendre de la hauteur et à considérer qu’une élection à la tête d’un parti n’est pas de son niveau, privilégiant le dialogue avec l’ensemble des Français. Mais cette attitude gaullienne n’exclut pas qu’il faille contrôler au moins indirectement le parti afin que celui-ci ne devienne pas une arme contre soi. Ainsi François Mitterrand face à Rocard et Chirac face à Séguin, n’ont jamais négligé cet aspect. S’ils ont parfois vu le PS (1993) ou le RPR (1997) leur échapper, ce fut après des défaites cuisantes aux législatives, à leur corps défendant. Ils ont ensuite mené bataille pour neutraliser leur adversaire, les poussant à la démission, au bout d’un an pour le premier, et de deux ans pour le second.
Dès lors, on comprend très bien la réaction de Laurent Wauquiez, proche de Fillon, qui a publiquement regretté cet accord, fustigeant « la poussière mise sous le tapis ». Il faut dire que le député de Haute-Loire se voyait bien être candidat pour le compte de Fillon. Au lieu de cela, c’est Copé qui va tenir la boutique, préparant sa propre candidature pour l’Elysée, ou pour Matignon dans la roue de l’ex-président. Si Wauquiez fulmine, on comprend d’autant moins la sortie de François Baroin, autre filloniste, dimanche sur France 2. Il a rappelé la « faute inexcusable » de Copé qui s’était autoproclamé président en novembre. Pour Baroin, Copé, c’est un putschiste. Moralité, il faut donc lui laisser le parti. Comprenne qui pourra ! On se demande même si ce genre d’attitude ne risque pas de heurter militants et sympathisants. Si Copé n’est pas digne de diriger l’UMP, il faut la lui prendre ; si on signe un accord lui concédant cette légitimité, il faut le respecter.
Jean-François Copé, qu’on disait perdu pour 2017, sera donc remis officiellement en selle le 28 juin prochain. Certes, son habileté y est pour quelque chose. Mais elle pèse bien peu en comparaison de la folle stratégie de son meilleur ennemi.

*Photo: capture d’écran France24

Chiite, la confession négative

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hezbollah iran liban syrie

hezbollah iran liban syrie

Hachem Salman avait 19 ans. Il a été abattu devant l’ambassade d’Iran à Beyrouth le 9 juin dernier. Mort pour ses idées. Le chef des jeunes de l’Option libanaise, petit parti chiite anti-Hezbollah, a été molesté par des chemises noires armées de bâtons puis tué à bout portant. Des gardes iraniens du bâtiment diplomatique ou des gros bras du parti de Dieu, l’enquête officielle n’a pas encore désigné les coupables.
Le martyre de Salman symbolise en tout cas le chant du cygne d’une grande idée née à la fin du XIXe siècle. Au grand courroux des derniers nationalistes arabes, leur idéologie est bel et bien morte et enterrée. Ni Damas ni Téhéran : la neutralité de l’Option libanaise porte peu chez des chiites libanais électeurs du Hezbollah et de son allié Amal à plus de 85%.
En ces temps troublés, la mort d’Hachem Salman sonne aussi le glas de l’unité chiite. En proie à des tensions croissantes au Proche-Orient et dans le golfe persique, des millions de musulmans chiites vivent au rythme des combats menés en Syrie, des élections iraniennes et des sempiternels affrontements intra-libanais. De ce point de vue, la semaine dernière fut particulièrement riche en rebondissements.
D’abord, le Hezbollah a – définitivement ? – enterré son credo islamo-nationaliste. Les géopoliticiens devront revoir leurs classiques : avec la guerre de Syrie, de la figure du partisan territorialisé, le hezbollahi personnifie le second type schmittien : le partisan global, sans enracinement tellurique, tel le premier salafiste venu.
Peu on prou, on observe la formation d’une « Internationale chiite » à l’identité religieuse claudicante. Si ses buts stratégiques restent bien définis, l’axe Damas-Téhéran ne correspond en effet à aucune unité confessionnelle, le clan alaouite d’Assad étant à un chiite iranien ce qu’un anglican est à l’évêque de Rome. Tant il est vrai que la politique commande au religieux, la (non-)pratique quotidienne de l’alaouite de la rue a peu à avoir avec le rite officiel « chiitisé » promu par le régime syrien depuis ses trente ans de noces avec l’Iran[2. On lira avec intérêt les indispensables travaux de Thomas Pierret sur l’intégration de l’alaouisme syrien au rite jaffarite en vigueur en Iran, notamment à travers de multiples séjours religieux dans la ville sainte de Qom.]. N’en déplaise aux essentialistes, la géostratégie est affaire d’intérêts, les tapis de prière suivent. La nouvelle guerre de religion qui déchire le Moyen-Orient a tout de la lutte d’influence, avec des acteurs telluriques fragilisés (l’Arabie Saoudite à la puissance déclinante, la Syrie baathiste vacillante) et de nouvelles forces hyper-mobiles qui livrent bataille aux quatre coins de l’Oumma : Salafistes vs. Hezbollahis. Même les vieux Etats se prennent à ce petit jeu. Ainsi, son président réformateur Rohani à peine élu, la République islamique d’Iran a annoncé l’envoi de quatre mille soldats en Syrie, sans doute pour signifier que la politique étrangère reste l’apanage exclusif du Guide. On ne badine pas avec une alliance vieille de trente ans…
Aujourd’hui estampillé mouvement régional, le Hezbollah achève d’internationaliser le séisme syrien et ses répliques libanaises. Face au chaudron bahreïni qui gronde, le Conseil de Coopération du golfe a carrément inscrit le Parti de Dieu sur la liste des organisations terroristes pendant que ses membres multiplient les mesures vexatoires à l’encontre de leurs minorités chiites. En rétorsion, un koweïtien a failli être enlevé sur un site touristique libanais il y a quelques jours puis quatre chiites ont été assassinés dans la Bekaa. Tout le monde a en tête les récentes images de villageois chiites massacrés par la guerilla, à l’est de la Syrie. Une barbarie qui ne le cède en rien aux exactions des mercenaires pro-Bachar.
Avec des foyers aussi incandescents que le brasier syrien, l’Internationale chiite aura fort à faire pour ménager sa sphère d’influence. Que son porte-parole s’appelle Khamenei ou Rohani, qu’il éveille l’effroi ou l’espoir des bonnes consciences occidentales, n’y changera finalement pas grand-chose.

*Photo : looking4poetry.

Mariage pour tous : la loi et l’ordre

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mariage gay mai 68

mariage gay mai 68

La droite a bien tort de se plaindre de la loi Taubira : en re-sacralisant le mariage et en refusant la moindre concession à la complexité, la gauche a fini d’enterrer Mai 68.
Rions un peu. La droite proteste, geint et s’indigne. Et pourtant, même si elle est trop bête pour s’en apercevoir, elle triomphe. Mieux, elle se voit réconciliée dans une loi qui réunit sous un même toit ses deux composantes si chères à René (« mon Rémond », comme dirait l’autre). Le « mariage pour tous » réalise en effet l’exploit de combler simultanément les deux aspirations contradictoires du peuple de droite : le retour à l’ordre moral d’un côté, le libéralisme triomphant de l’autre. Le Tir aux pigeons (« Pas si mal, ce Le Pen ! ») et le Racing Club de France (« Pas très cool, ce Le Pen… ») font, pour une fois, front commun : le mur du Bois de Boulogne, qui séparait nos deux droites, est tombé. À l’instant où la dame à Raymond se rêve chez Keith et Anita[1. Chez Keith et Anita et Mon Raymond sont deux chansons du dernier album de Carla Bruni qui rendent respectivement hommage respectivement à Keith Richards/Anita Pallenberg et à son mari.], ce sont Nicolas et Yvonne (de Gaulle) qui, dans une uchronie parallèle, se tendent, sinon un joint, du moins la main.
Cela doit lui faire bien plaisir, à notre bonne vieille droite des familles, ce retour au bercail de ses enfants perdus. On s’était tant moqué de ce refus de la Générale de recevoir des divorcés à sa table qu’on pensait que le mariage bourgeois était une cause à jamais perdue. Notre vieux Sud à nous, en quelque sorte. Qui aurait parié que c’est de ces invertis, dont chaque famille versaillaise planquait un exemplaire dans un placard, que viendrait le salut ?[access capability= »lire_inedits »] Ou mieux encore − le mot sonne si bien − la Restauration. Elles avaient toutes leur bon juif, elles ignoraient qu’elles avaient leurs milliers de bons pédés. Ils ont bonne mine, les Zemmour, les Lévy (voir phrase précédente) ! Il est où, votre « 68 » censé gouverner, aujourd’hui encore, les corps et les âmes ?  Votre « 68 », on n’en veut plus ! On veut se marier.  On veut faire reconnaître notre amour (un bien joli mot) par la société (un mot redevenu joli). Serre les fesses, Jean Genet : Vallaud-Belkacem et Escada (qui, avec ses charmants amis de Civitas, se sont juste gourés de manif) sont dans la rue.
On aurait pu s’arrêter là. Non, tradition ET modernité, disait le dépliant de la loi. « On veut tout ! », comme disait aussi une pub Lesieur (décidément, ce texte est placé sous les meilleurs patronages). On veut le maire et les chiards.
Simone Veil, avec l’appui du quelque peu gauchiste Giscard, avait apporté aux femmes la libération (Arrière, la bête immonde !) : faire des enfants sans en avoir.  Hollande,  ce frère de Sarkozy déguisé en fils de Pompidou, apporte à tous les mariés de son An 1 la libéralisation : avoir des enfants sans en faire. Plus virtuel – donc moderne, forcément moderne − tu meurs ! À côté, les options sur le marché des matières premières à la Bourse de Chicago (on joue sur des trucs qui n’existent pas), c’est du Jacques Rueff[2. Jacques Rueff : économiste adoubé par de Gaulle en 1958, qui le nomma président d’un comité d’experts.].  Et pourquoi les enfants ? Parce qu’on en a envie. Parce qu’on le désire. Parce qu’on veut en avoir. Et c’est bien. Parce que le désir, c’est toujours bien. Parce qu’avoir, c’est toujours bien. Parce qu’on les aime. Et que l’amour, c’est toujours bien.
Une envie d’avoir qu’on peut satisfaire : c’est pas du Sarko dans le texte, ça ? Et le Pierre Lévy-Soussan[3. Pierre Lévy-Soussan : médecin psychiatre et psychanalyste opposé au volet du « mariage pour tous » concernant l’adoption par des couples de même sexe.] qui nous emmerde avec son principe de précaution sur les enfants adoptés qui auraient besoin, pour se construire, d’une « fiction crédible de filiation », c’est pas du Surmoi dont on n’a rien à fiche ? C’est pas « trop intello », comme l’a si courageusement fait remarquer Caroline Fourest sur le plateau d’Yves Calvi ? Qu’est-ce qu’il vient nous enquiquiner avec son « principe de précaution », l’autre cérébral ? Un homme, on avait déjà du mal à l’empêcher, alors deux hommes ou deux femmes, autant laisser tomber[4. « Un homme, ça s’empêche », Albert Camus, Le Premier Homme.]. Après tout, dans un marché libre et concurrentiel, il n’est pas normal que seul de vieux chanteurs alcooliques puissent satisfaire leur envie de pouponner.
Pour finir dans un élan d’espoir, il ne faudrait pas que nos hérétiques à nous se sentent exclus de cette réconciliation des droites apportée par la gauche en cadeau d’arrivée au pouvoir (un grand mot, peut-être) plein de délicatesse. Je veux nommer la très turbulente galaxie dieudonienne aperçue sur le Net et parfois chez Taddei. Je vous le dit, mes amis : si vous avez aimé le « complot judéo-maçonnique », vous aimerez le « mariage pour tous ». Réfléchissez : l’amour plus fort que la loi, si ce n’est pas une pierre envoyé dans le jardin des sionistes (on se comprend, mes chéris), la revanche du Nouveau sur l’Ancien Testament, qu’est-ce que c’est ? Deux papas, deux mamans, si c’est pas un kick (on se comprend vraiment, là, je crois) balancé dans la tronche de nos rationalistes à tablier, ça ressemble à quoi ?
Pleurons un peu. Après avoir envoyé du bois, il est temps de se poser. Je suis en fait moins gêné par le « mariage pour tous » que par la manière dont il a été défendu ou promu. J’ai grandi  à une époque où la droite niait la complexité du monde. Être de gauche, c’était alors, dans le sillage d’un Roland Barthes, remettre en cause ce que le camp au pouvoir présentait comme « naturel ». Nous pensions que ce « naturel », ces « évidences » dont on nous abreuvait n’étaient que des constructions idéologiques qui visaient à nous masquer le réel en le simplifiant. Être de gauche, c’était être ce casse-couilles qui osait dire que c’était peut-être « plus compliqué que ça », que ce n’était peut-être « pas si évident que ça ». Que ça n’allait peut-être pas de soi.
Le basculement de la gauche vers ce qui, jadis, était la droite, pas tant au niveau des idées que de la manière de les présenter ou plus exactement de les brandir, je le ressens dans cette sacralisation des pulsions.  S’il y a du « J’ai envie de me marier avec mon copain, j’aimerais avoir des enfants », on prend et on soutient parce qu’il y a de l’envie et qu’il y a, sincèrement, de l’amour. Et l’amour, on est d’accord, c’est un truc tellement naturel que ça ne se discute pas, que ça ne se contre pas. C’est cet acquiescement automatique à la force de l’évidence qui rapproche cette gauche d’aujourd’hui d’une droite que nous avons tant aimé détester. Un Pierre Lévy-Soussan qui distingue éducation et filiation est présenté comme un coupeur de cheveux en quatre à l’heure où l’amour, et l’amour seul, doit faire la loi. Un Pierre Lévy-Soussan qui déconstruit le mythe de l’adoption heureuse est renvoyé à la figure d’un Cassandre qui viendrait nous empêcher d’aimer en rond. Qui voudrait mettre de la pensée là où l’on nous somme d’adhérer.
« All you need is love », chantaient les Beatles. Eh bien, désolé de casser l’ambiance, mais ça ne suffit pas. Remplacer l’ordre par l’amour ne fait pas une pensée. Cela ne fait que remplacer une non-pensée par une autre non-pensée. Et puisque le marché fait la loi, I don’t buy it.[/access]

*Photo : Soleil.

L’anniv de Johnny Hallyday : vive les rock n’roll platitudes !

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Il est très injuste de taper régulièrement sur Demorand, son Bourmeau ou Frédéric Bonnaud en se plaignant sempiternellement, comme j’ai tendance à le faire, que nos quotidiens et hebdos nationaux soient les plus pitoyables du monde libre.
En effet, au concours de la stupidité transcendantale, la PQR, n’a souvent rien à leur envier. N’empêche, je suis resté sur le séant à la lecture du dossier de HUIT pages que Nice-Matin consacre aux 70 ans de notre « rocker national » (une assertion hélas avérée, qui devrait pousser nos jeunes générations à émigrer vers des cieux plus civilisés).
Parmi ces huit pages, il en est une qui ma défrisé plus que les autres, titrée : 70 ans et 5 raisons de continuer. Selon mon estimable confrère azuréen, ces cinq preuves de l’existence du dieu des stades sont les suivantes  (Par mansuétude, je ne vous livre que les intertitres, bruts de rewriting) :
1/ Ses concerts sont top
2/ Il twitte plus vite que son ombre
3/ Il ne fait (presque) plus de politique
4/ Il a bon goût musical
5/ Il s’habille mieux que Keith Richards
A la réflexion, ce dernier paragraphe vaut assurément son pesant de cocaïne et mérite d’être cité intégralement, but, les kids, fasten your seatbelt : « Après trois décennies de folles errances vestimentaires et capillaires, l’ex-blouson noir est revenu ces dernières années à un look rock d’une belle sobriété sous l’influence conjuguée de Laetitia et de Hedi Slimane. Tant mieux : le noir lui va si bien. Surtout, ça lui évite de ressembler à une vieille gitane, comme Keith Richards et nombre de rockeurs vieillissants. »
J’attends avec impatience que pour les 70 ans de Mireille Mathieu, Nice-Matin nous fasse l’article en comparant la Demoiselle d’Avignon à ses minables consœurs anglo-saxonnes Liza Minelli, Barbra Streisand ou Aretha Franklin, même pas capables de chanter en français, d’abord.

Évasion fiscale : un G8 pour de rire

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g8 google evasion fiscale

g8 google evasion fiscale

Alors qu’à Belfast, le G8 va se pencher pour la deux-cent-seizième fois sur le douloureux problème des paradis fiscaux et envisager des mesures d’urgence en vue de leur nécessaire moralisation, coin-coin-coin, Eric Schmidt publie une amusante tribune libre chez nos confères du Financial Times.
Ce menu du G8 est chaud bouillant pour l’executive chairman de Google, dont la boutique est, en compagnie d’Apple, Amazon et Facebook, régulièrement vilipendée par les bonnes âmes européennes et américaines pour absence de civisme fiscal. Ainsi, selon un diplomate français anonyme cité par 20 Minutes, ce G8 de Lough Erne a mis les géants du net au cœur de sa cible : « Il s’agit de trouver un cadre commun pour que ces sociétés payent une part raisonnable d’impôt. Elles en payent actuellement très peu alors qu’elles s’appuient sur les services. »
Loin de moi l’idée de considérer ce problème comme fictif. Selon l’OCDE – dont les économistes font référence depuis Cornelius Castoriadis– mille milliards et des brouettes de dollars de profits générés en Europe par les entreprises américaines échappent à l’impôt grâce à de forts créatifs dispositifs d’optimisation fiscale. Mais faire porter le chapeau de ce naufrage budgétaire à la seule « Bande des quatre » du net me semble à peu près aussi honnête que d’accuser Zlatan d’être le principal responsable des émeutes du Trocadéro.
En vertu de quoi on ne peut que féliciter Eric Schmidt de rappeler aux pontes du G8 qu’ils se moquent du monde. Et comment l’a-t-il fait ? En se servant de Google, of course ! Quelques heures de surf lui ont suffi pour mettre le nez dans leurs cacas aux « gouvernants, de gauche comme de droite  qui draguent éhontément les investisseurs étrangers en vue de créer emplois et croissance». Ainsi, il a pu remarquer que le site du gouvernement britannique se targue d’« offrir le régime fiscal le plus avantageux du G20 », celui du gouvernement français claironne ses 7 milliards de Crédit d’Impôt Recherche rétrocédés aux entreprises pour la seule année 2009, tandis que l’Agence d’investissement des Pays-Bas vante les vertus de son climat – fiscal, ça va de soi. L’enfer, c’est les autres disait Machin, le paradis fiscal itou.
Bref, explique Schmidt en substance, arrêtez de vous dumper les uns les autres, mettez en place de vraies règles fiscales communes, et juré-craché on s’y soumettra. J’imagine que cette fiscalité commune, Eric la souhaite riquiqui, pour ne pas dire alignée sur le moins disant, mais bon, c’est pas le débat : il est bien évident que le fondateur de Google a raison et que comme souvent depuis le déclenchement de la Révolution industrielle,  l’avant-garde du Capital a un coup d’avance sur les Etats. Mieux vaut une mauvaise paix fiscale mondiale qu’une guérilla permanente. Mais je vous parie qu’à Belfast on continuera de parler moralisation au lieu de fabriquer de la réglementation.
Accessoirement – et on se calme, les filles, je ne vous demande pas de penser comme moi – je considère que l’optimisation fiscale, tout comme le dumping social, le plagiat industriel ou l’abus de bien social sont au cœur même du processus capitaliste, il serait donc farfelu de rêver y mettre fin, sauf à en revenir à des solutions de type bolchévique, lesquelles, j’en conviens volontiers, présentent d’autres inconvénients. La moralisation du capitalisme  est donc une fumisterie, presque autant que l’autorégulation, c’est dire.
Cela dit, seuls les aveugles et les militants du PG peuvent nier que, chez lui,  l’Occident a su en finir – sans passer par la case Révolution, mais néanmoins sous la pression de l’Opinion – avec le travail des enfants, la semaine de 80 heures ou le tir à vue automatique sur les grévistes, toutes pratiques fort en vogue aux temps de l’Accumulation primitive. Aujourd’hui, nos Etats peuvent, par la régulation, donc pour parler clair à coup de réglementations, et donc pour parler encore plus clair, de répression, mettre fin aux abus les plus criants et ramener, comme disaient les Inconnus, les soussous dans la popoche. Encore faudrait-il qu’ils le veuillent vraiment, et qu’ils commencent, comme les y engage Eric Schmidt, par balayer devant leur propre porte ou même, soyons modernes, à passer le Dyson…

*Photo: Oxfam international

La France de demain pourrait être musulmane

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ivan rioufol islam

ivan rioufol islam

Les théoriciens du Grand Remplacement n’ont pas dû en revenir. Des années qu’ils s’évertuent à dénoncer l’islamisation rampante de la France, à dessiner le pays de demain avec des minarets et des haut-parleurs qui cracheraient cinq fois par jour, des couscous partout et la liberté nulle part, des femmes voilées et des chrétiens persécutés. Des années qu’on leur rit au nez quand ce n’est pas tout simplement des torrents d’invectives qui viennent leur rabrouer le clapet. Et voilà qu’une honorable personnalité du monde musulman, le porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France, sort du bois et annonce la couleur : la France pourrait revêtir la djellaba dans un avenir proche. Dans son livre, Islam, l’épreuve française, Élisabeth Schemla rapporte le propos qu’a tenu Marwan Muhammad à la mosquée d’Orly au mois d’août dernier : « Qui a le droit de dire que la France dans trente ou quarante ans ne sera pas un pays musulman ? Qui a le droit ? Personne dans ce pays n’a le droit de nous enlever ça. Personne n’a le droit de nous nier cet espoir-là. De nous nier le droit d’espérer dans une société globale fidèle à l’islam. Personne n’a le droit dans ce pays de définir pour nous ce qu’est l’identité française ».
Marwan Muhammad a raison. N’en déplaise aux Cassandre et aux amoureux d’une certaine idée de la France. La France de demain pourrait bien être musulmane.
Et pourtant… Certains n’ont pas le droit de le dire. À croire que comme dans La Ferme des animaux de George Orwell, il y aurait des citoyens plus égaux que d’autres. Car pour s’être alarmé de « l’offensive islamiste » sur les ondes de RTL, Ivan Rioufol se retrouve assigné en justice par… l’association de Marwan Muhammad ! Le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) reproche à l’éditorialiste du Figaro d’avoir commenté sa campagne « Nous sommes la nation » en évoquant une opération d’« appropriation » et un « refus de l’intégration », non sans dénoncer le terme d’« islamophobie », forgé par l’Iran khomeyniste. Bref, les gentils organisateurs du CCI prophétisent l’islamisation de la France mais interdisent à leurs contradicteurs de la déplorer !
Il n’empêche, bien des pamphlétaires partagent le constat d’Ivan Rioufol et s’inquiètent de l’abandon par la France de ses propres valeurs. L’excellente Malika Sorel rappelle cette involution dans nos colonnes en fustigeant le rapport haut en couleur du conseiller d’Etat, Thierry Tuot, qui suggère d’adapter la France à ses immigrés plutôt que l’inverse. Dans ses recommandations, le haut fonctionnaire est allé jusqu’à moquer les droits et les devoirs, la citoyenneté, l’histoire, les œuvres, la civilisation française, la patrie, l’identité comme autant de concepts désuets.
Donc, la France de demain pourrait bien être musulmane. Il suffirait que l’intégration – préférée à l’assimilation- persiste dans l’échec, que la natalité des populations immigrées poursuive sa croissance, que l’antiracisme s’entête dans sa traque imaginaire de la bête immonde, que le laxisme sécuritaire s’aligne toujours plus sur l’austérité sociale, que les années passent et le tour serait joué. Mais ne nous y trompons pas. La faute n’est pas plus aux musulmans qu’à n’importe quelles communautés aux velléités peut-être plus discrètes mais qui n’en revendiquent pas moins. Depuis plus de trente ans, l’individualisme, toute idée d’appartenance à une nation est vouée aux gémonies. La société moderne nous dresse le portrait d’une histoire nationale noire, inféodée à des croyances, à des instincts, et propose à une génération nourrie au lait du relativisme culturel d’écrire son propre futur. Il n’y a plus de transmission, de communauté et de bien commun mais un essaim d’individus atomisés. À ce petit jeu là, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Dès lors, au pays des droits subjectifs multipliés à outrance pour que chaque individu jouisse de son bon plaisir, la volonté non négligeable d’une partie de la population de voir la France fidèle à l’Islam est-elle moins légitime que celle qui réclame « le mariage pour tous » ou le racisme pour personne ?  À moins que notre histoire, notre héritage ou notre culture aient un sens, ce qui ne semble pas être dans la logique bourdieusienne de notre temps où toute référence n’est que l’expression d’un déterminisme social.
Dans les années qui viennent, naîtront des partis démocrates musulmans comme il existe aujourd’hui des partis démocrates chrétiens. Ils proposeront une vision de la France et personne n’a le droit de leur nier cet espoir là. Ni de leur refuser, si elle est proposée avec les outils de cette démocratie hors-sol, une France musulmane.

*Photo :

Françoise Hardy a le blues

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francoise hardy dutronc

francoise hardy dutronc

Françoise Hardy a le blues : depuis que François Hollande a annoncé la très controversée mesure fiscale de taxation des riches à 75% – pour les revenus supérieurs à un million d’euros par an -, l’égérie des sixties a les idées noires. Souvenez-vous de ses déclarations à Paris Match en avril 2012 : « Je paye 40 000 euros d’ISF par an. Si Hollande le multiplie par trois, qu’est-ce que je fais ? Je suis à la rue […] Je suis forcée de vendre mon appartement et de déménager ». Depardieu l’a bien fait, avec panache, alors pour respecter la parité, pourquoi ne pas le suivre, Françoise ? Non vraiment, en ce moment, il ne fait pas bon porter les initiales F.H. en France. Mais en vérité, la chanteuse a toujours eu le blues, à l’image du personnage de Carole Laure dans le mémorable film de Blier Préparez vos mouchoirs. Et la compilation qui sort ces jours-ci, la bien nommée Midnight Blues – Paris London 1968/1972, en témoigne. L’objet, regroupant 24 titres – essentiellement des reprises – enregistrés dans le Swinging London, offre un condensé de la mélancolie romantique caractéristique de la chanteuse (mention spéciale à « The Garden of Jane Delawney », signée Toby Boshell, et « Take my hand for a while » de Buffy Sainte-Marie). Parmi les artistes repris, Randy Newman (magnifique « I think it’s Gonna rain today ») côtoie Neil Young et Leonard Cohen notamment.
Le tout s’écoute à la lueur du dernier néon de soleil, loin des ambianceurs professionnels de la nuit. C’est beau une ville silencieuse la nuit, avec le filet de voix de Françoise Hardy pour seul souffle lumineux, dans une langue étrangère. A l’heure où la jeune génération des artistes d’ici chante en anglais sans complexe, la mère de Thomas Dutronc pratiquait l’exercice dès le début des années 1960 puisque son premier disque, « Tous les garçons et les filles » l’a rendue populaire à l’international. Les idoles de la variété française s’exportaient massivement à cette époque (Joe Dassin, Gainsbourg, Dalida, Mireille Mathieu, Johnny, Sylvie Vartan, etc.) et Françoise a réussi l’exploit d’entrer dans le Top 20 des charts britanniques en 1965 avec « All Over the world », adaptation anglaise de son titre « Dans le monde entier ».
L’icône des sixties reconvertie aujourd’hui en écrivain à succès manie la langue de Shakespeare avec son naturel légendaire et ne garde d’ailleurs jamais sa langue française dans sa poche (franchise qui constitue son deuxième charme légendaire). Le langage de Françoise Hardy, c’est le franc-parler : Dominique A n’est pas sa tasse de thé, Zazie lui a écrit des paroles truffées de lieux communs, Biolay était meilleur quand il n’avait pas de succès, etc. Cette femme a décidemment beaucoup de bon sens, elle devrait être directeur artistique… si ce noble métier existait encore. Les auditions d’antan sont devenues des castings de Foire du Trône, bienvenue dans le monde normal.
Françoise Hardy a atteint à l’âge de vingt-cinq ans la dimension d’une figure incontournable de la culture pop. Son rayonnement mélancolique ne s’est jamais démenti depuis : elle a traversé les années 1980 avec une désinvolture géniale de circonstance (« Voyou, voyou », « Tamalou », « Jamais synchrones », « Tirez pas sur l’ambulance ») et l’album Le Danger – publié en 1996 – reste l’un des meilleurs disques français de ses vingt dernières années.
L’endive du twist, comme la surnommait Bouvard dans les années 1960, a traîné avec les Beatles et les Rolling Stones. Elle a lié amitié avec Nick Drake, a chanté avec – entre autres – Damon Albarn et Patrick Dewaere. Bob Dylan lui a dédié un poème, Michel Berger lui a écrit des chansons…
De quoi avoir le blues, en effet. Pour notre plus grand plaisir.

Françoise Hardy, Midnight Blues – Paris London 1968/1972

*Photo : quicheisinsane.

Albert, le bon Göring

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albert goring dandy

albert goring dandy

1. Prénom : Albert. Nom : Göring.
En 1938, après l’Anschluss, on peut voir un dandy, fume-cigarette aux lèvres, le regard moqueur et légèrement provocateur, se mêler aux vieilles juives contraintes par la Gestapo de nettoyer les pavés avec des brosses à dents. Ou encore, lorsque la propriétaire d’un magasin de couleurs est obligée de se mettre dans la vitrine avec, autour du cou, une pancarte où les passants lisent « Je suis une sale juive », le même homme intervenir pour l’aider à s’enfuir. Ce dandy porte un nom qui en impose à la Gestapo : Göring. Prénom : Albert. Dès qu’il montre ses papiers d’identité, il est relâché. Nul n’ignore qu’il bénéficie de la protection de son frère, Hermann, qui le considère comme le « mouton noir » de la famille, mais qui le sauve chaque fois in extremis. Car Albert prend des risques : il lui arrive de se rendre à Dachau ou à Theresienstadt pour libérer des amis juifs, signant de son seul patronyme.
Par ailleurs, il fréquente assidûment les cafés viennois, aime les jeunes et jolies femmes, joue aux échecs, écrit des scénarios avant de diriger l’usine d’armement Skoda, en Tchécoslovaquie, usine où le salut hitlérien est interdit. Albert n’est pas un antinazi par idéologie (il n’en épouse aucune), ni par religion (il est athée), ni par humanisme (il connaît trop bien les hommes pour se faire la moindre illusion sur eux). Ce qui le révulse, c’est la vulgarité de ce régime, la haine qu’il suinte, son mépris de l’art et sa logique clanique. Il ne le sous-estime pas pour autant : si Hitler était ce gangster loufoque que décrivent ses ennemis, ce serait un jeu d’enfant de s’en débarrasser. Malheureusement pour les Alliés, il est très doué.
D’Albert Göring, les psychiatres diront « Personnalité pas facile à saisir » lorsqu’il sera incarcéré par l’armée américaine dans une cellule jouxtant celle de son frère. Pourtant, dès l’arrivée au pouvoir d’Hitler, il s’est exilé à Vienne où il obtiendra la nationalité autrichienne. Il ne cache pas ses convictions : « J’ai un frère qui s’est acoquiné avec ce salopard d’Hitler et, s’il continue comme ça, cela finira mal pour lui… Je crache sur Hitler, sur mon frère et sur tout le régime nazi. »[access capability= »lire_inedits »] Un de ses amis juifs, l’écrivain Ernst Neubach, rapportera ses propos et ses actes de résistance dans un article paru en 1962, « Mon ami Göring », et plusieurs témoignages, dont celui du producteur Oscar Pilzer, confirmeront qu’il a sauvé de nombreux juifs de la déportation.
Mais à la fin de la guerre, le nom de Göring est une malédiction. Les Américains, auxquels il s’est livré le 9 mai 1945 à Nüremberg, ne veulent pas croire qu’il existe un « bon » Göring, même si son frère s’acharne à le disculper. Ironie du sort : les deux frères Göring sont incarcérés dans la prison d’Augsburg, à quelques cellules de distance. Hermann se suicidera le 15 octobre 1946. Quant à Albert, les Américains, toujours dubitatifs, le livreront aux autorités tchèques. En 1947, il sera jugé et libéré après l’intervention d’ouvriers de Skoda, qui révéleront ses actes de sabotage, et celle d’Ernst Neubach qui parle des « centaines d’hommes et de femmes qui ont échappé à la Gestapo, aux camps de concentration et aux bourreaux » grâce à Albert Göring. Il est vraisemblable que l’État d’Israël lui accordera, maintenant que les historiens s’intéressent à son étrange destin, l’honneur de figurer au mémorial de l’Holocauste, Yad Vashem, comme « Juste parmi les nations ».
Ce qui ne manque pas d’intriguer, c’est qu’Albert n’a laissé aucune trace écrite. On ne saura jamais pourquoi le frère cadet d’un des auteurs de la « solution finale » et numéro deux d’Hitler a combattu avec une telle désinvolture un régime qu’il exécrait. Sans doute est-ce cela qui définit un dandy : il n’éprouve pas le besoin de s’expliquer, ni de se justifier. Et moins encore de se plaindre. Toujours considéré comme un paria en Allemagne après la guerre, abandonné par sa femme, refusant de changer de nom, suspect à vie, Albert Göring se suicidera en 1966, sans avoir été réhabilité. Il n’est même pas certain qu’il en ait éprouvé de l’amertume. Il aspirait à demeurer élégant en toutes circonstances. Il y est parvenu. Gageons qu’après La Liste de Schindler de Spielberg, un film ne manquera pas d’être consacré à la « liste de Göring » : ce sera la revanche définitive d’Albert sur Hermann.

2. La magie de l’extrême.
Un rendez-vous qui n’aurait pas déplu à Albert Göring est celui auquel nous convie Jean-Marie Paul avec les maîtres du pessimisme européen – de Schopenhauer à Baudelaire[1. Jean Marie Paul, Du pessimisme, Éditions Encre Marine, 2013.]. Son essai est d’autant plus jouissif que Jean-Marie Paul est persuadé, à juste titre, que les vraies rencontres philosophiques passent par la littérature. Et qu’en définitive, seul le style peut imposer une pensée et nous soustraire aux désagréments de l’existence. Ce qui, contrairement à ce que des esprits simplistes pourraient penser, ne va pas à l’encontre du pessimisme, mais l’authentifie : le pessimiste − dont on concédera qu’il agit rarement en accord avec sa philosophie − est d’abord un homme qui ne se résout pas à être mortel, possédé qu’il est par un désir d’éternité inavoué. « Quand un homme, écrit Jean-Marie Paul, est intégralement habité par une vision noire des hommes et de la société, quand il est hanté par la mort et le suicide, comme l’écrivain Jean Améry, ce n’est pas à sa vie qu’il met fin, mais à la mort. Il tue la mort. Il anéantit la terreur. »
À l’opposé du pessimiste, l’optimiste croit en la bonté originelle de l’homme et aux vertus du progrès. Il faut avoir un estomac solide et un sommeil profond, voire une certaine forme de vulgarité, pour adopter cette posture. Le pessimiste, ce rabat-joie, se tromperait-il en voyant la vie plus noire qu’elle ne l’est et l’optimiste, ce benêt, en la perpétuant et en l’exaltant ? Je me garderai de répondre à cette question pour ne blesser personne. En revanche, la magie de l’extrême que distille Jean- Marie Paul, nous la partagerons volontiers avec tous ceux qui ont pour l’artifice et le spleen un goût immodéré.
Le pessimisme permet de jouir de tout sans jamais perdre de vue que la vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit, désir qui ne changera en rien sa condition, quoi qu’il en pense.

3. La machine à disparaître.
Le livre de philosophie que je relis le plus souvent n’est pas signé Platon, Schopenhauer, Nietzsche ou Bergson, mais Andy Warhol. Chaque page de Ma philosophie de A à B me ravit. J’éprouve presque de l’envie pour le type qui a écrit ça avec un humour et une désinvolture proches de Woody Allen, la profondeur en plus. Mais une profondeur d’une telle allégresse que les professeurs de philosophie y demeurent insensibles. C’est navrant pour leurs élèves qui trouveraient dans l’irrévérence et la drôlerie d’Andy Warhol matière à penser, à penser vraiment, plutôt qu’à faire semblant et à ânonner des citations absconses sans aucun rapport avec leur existence. L’humanité, leur enseignerait Warhol, laisse souvent un même problème faire leur malheur pendant des années, alors qu’ils pourraient dire simplement : « Et alors ? » C’est d’ailleurs une de ses locutions préférées : « Et alors ? »
– Ma mère ne m’a pas aimé… Et alors ?
– Mon mari ne veut plus me baiser… Et alors ?
– Je réussis, mais je suis toujours seul… Et alors ?
De même que le philosophe viennois Hans Vaihinger a inventé à Vienne, en 1911, la philosophie du « Comme si… », Andy Warhol a créé celle du « Et alors ? » Quoi qu’on puisse leur objecter, elles sont d’une efficacité redoutable. En tout cas, elles l’ont été pour moi, moi qui, comme Stirner, Cioran ou Caraco, n’ai fondé ma Cause sur Rien.
Andy Warhol pensait aussi souvent à sa mort. Il ne voulait laisser aucun reste. Il ne voulait pas être un reste non plus. En regardant la télévision, il a vu une femme entrer dans une machine à rayons et disparaître. « C’était formidable, a-t-il écrit, parce que la matière est énergie. Cette femme s’est tout simplement éparpillée. Ce pourrait être une invention américaine, la meilleure invention américaine : pouvoir disparaître ainsi. » L’art d’Andy Warhol est une tentative de créer cette machine à disparaître. Et ce n’est pas parce qu’il ne croyait en rien que ce rien n’était rien. Andy Warhol ne cesse d’en faire la démonstration.
S’il avait eu une émission de télévision à lui, il l’aurait appelée : « Rien de spécial ». Albert Göring aussi a dû penser qu’il n’avait rien fait de spécial. C’est à cela qu’on reconnaît un dandy.[/access]

*Photo : wolfgeistpublishing.

Damien Saez est-il contre la GPA ?

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En 2010, Saez dévoile la photo promotionnelle de son nouvel album. Elle est censurée par l’ARPP. L’ARPP est, comme l’explique son site « l’organisme de régulation professionnelle de la publicité en France. (…) Sa mission est de parvenir à concilier liberté d’expression publicitaire et respect des consommateurs. »

Outré par cette censure, Saez s’explique dans le magazine Phosphore de mai 2010 :
 »Elle n’est ni obscène, ni sexuelle (c’est juste un nu), mais la mise en scène gêne. Cette photo choque, car elle reflète une idée que les gens refusent de regarder en face : la société d’aujourd’hui veut que l’individu, et particulièrement la femme, soit réduit à un bout de viande dans un caddy. Tout individu qui naît sur Terre est aujourd’hui pris en otage par la société de consommation. On ne peut accoucher aujourd’hui que d’un objet de consommation : voilà ce que je dénonce. Cette image fait miroir, donc elle fait mal. Qui a envie de se regarder dans la glace quand ça fait mal ? Pourtant, cela pousse à la réflexion. »
Question: dans un contexte moderne, comment peut-on sereinement mener un combat pour la dignité humaine quand l’anticapitalisme justifie ce que la lutte contre l’homophobie condamne ? Vous avez quatre heures. Bon courage.