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Alain Juppé, stratège imparfait

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La semaine dernière, nous expliquions pourquoi Nicolas Sarkozy avait sans doute eu tort de se porter candidat à la présidence de l’UMP. Nous ajoutions qu’Alain Juppé avait au moins le mérite d’avoir une stratégie depuis le début et s’y tenir. Mais cette stratégie n’est pas sans risques.

Comme François Fillon, le maire de Bordeaux ne croit plus dans la nécessité de diriger le parti dès lors qu’est prévue la fameuse primaire qu’il espère « la plus ouverte possible ». Ce mode de désignation du candidat de l’UMP à l’élection présidentielle a été stipulé dans les statuts de l’UMP votés sur la base de l’accord de paix Copé-Fillon. Depuis, Alain Juppé et François Fillon se sont assis sur ces statuts le jour où ils ont viré Copé, mais tiennent néanmoins encore à l’organisation de la primaire comme à la prunelle de leurs yeux. Ils ont ainsi dédaigné l’élection à la présidence de l’UMP reportant leurs espoirs sur la fameuse primaire ouverte. Nicolas Sarkozy, on le sait, n’est pas un fan de ce système. S’il avait maintenu son plan de départ, il aurait pu se présenter comme un candidat au-dessus des partis et estimer qu’il n’était pas tenu par cette compétition partisane. Etant finalement candidat à la présidence du mouvement, beaucoup de commentateurs ont estimé qu’il la briguait dans le seul but d’annuler la primaire ouverte. Or, sous la pression de Fillon et Juppé, mais aussi de son concurrent actuel Bruno Le Maire, qui s’était habilement présenté en garant de l’organisation de la primaire, il a été contraint, dès son deuxième ou troisième meeting, de convenir qu’elle aurait bien lieu, et qu’elle serait effectivement ouverte. Il faut croire que Juppé et Fillon n’en sont pas encore convaincus puisque l’un a encore rappelé sa volonté devant Nicolas Sarkozy à Bordeaux samedi, et qu’il s’est fait siffler à cette occasion, et que l’autre ne perd pas une occasion d’expliquer que si primaire ouverte il n’y a pas, il sera candidat au premier tour de l’élection présidentielle quoi qu’il arrive. Le député de Paris risque fort d’être freiné dans ses ardeurs par son fameux entretien avec Jean-Pierre Jouyet. Le doute ne lui bénéficie pas ; les électeurs de l’opposition risquent de ne pas lui pardonner cette visite à l’Elysée.

Le maire de Bordeaux, de toute évidence, ne croit pas Nicolas Sarkozy. Il pense que sitôtl’ancien président investi dans ses fonctions à la tête de l’UMP, ce dernier remettra en cause la grande ouverture de la primaire. Comment ? En 2011, le Parti socialiste n’avait exigé qu’une faible participation financière par électeur (1 ou 2 euros) pour couvrir les frais d’organisation et demandé à signer une charte des valeurs que tout le monde pouvait faire sienne, même n’étant pas vraiment de gauche. C’est sans doute sur ce modèle qu’Alain Juppé voudrait s’aligner. Nicolas Sarkozy pourrait demander à ce que la participation soit plus forte, et rédiger une charte des valeurs en bas de laquelle un électeur du gauche et même du centre refuserait d’apposer son paraphe. C’est là qu’Alain Juppé a sans doute fait quelques erreurs ces derniers temps. En accompagnant avec enthousiasme la « Juppémania de gauche », en laissant aux adhérents de l’UMP penser qu’il compte sur l’afflux d’électeurs socialistes pour gagner la primaire, il prend le risque de donner à Nicolas Sarkozy les arguments pour verrouiller la compétition. Les sifflets de Bordeaux étaient peut-être organisés par des émissaires sarkozystes (on parle du maire d’Arcachon), il n’en reste pas loin que la perspective, pour un adhérent de l’UMP, qui paye sa cotisation fort cher, de peser autant qu’un lecteur des Inrocks dans la désignation de son candidat à l’élection présidentielle, n’est pas très agréable, et risque fort de l’être de moins en moins. Alain Juppé aurait donc sans doute gagné à différer son interview à l’hebdomadaire gaucho-branché de quelques mois, une fois le principe de primaire largement ouverte acquise. C’est à se demander s’il ne s’est pas laisser griser par ses excellents sondages et sa prestation réussie sur France 2. Car cette erreur politique peut éventuellement lui coûter cher. Osera-t-il dans le cas d’une primaire verrouillée, aller à la candidature au premier tour ? Rien n’est moins sûr.

On avait vu que Nicolas Sarkozy faisait des fautes. Mais Alain Juppé en commet aussi. Le match n’est pas très beau. Il reste toujours aussi incertain.

Femen : le parquet de Strasbourg fera-t-il son devoir?

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Alors comme ça, les Femen ont encore frappé. Profondément scandalisées, nous disent-elles, par la venue du Pape au Parlement de Strasbourg, ces jolies demoiselles téléguidées et financées par on ne sait qui, ont récidivé. Elles avaient commencé par une exhibition place Saint-Pierre en utilisant des crucifix comme sex toys. Cela avait fort contrarié un guide touristique ghanéen nommé «Caramba » qui était intervenu avec une certaine vigueur pour faire cesser le scandale. La photo de celui-ci transformé en héros a fait le tour du net.

Il y a eu ensuite le faux enlèvement d’un prêtre devant une église suivi d’un communiqué accompagné d’un film de l’agression précisant que le curé ne serait libéré que si le Pape annulait sa visite. Ce qui constitue une infraction pénale somme toute assez grave (5 ans de  prison, 45 000 € d’amende) n’a guère ému les autorités judiciaires françaises. On avait déjà une petite idée du point de vue de celles-ci après l’étonnante relaxe des activistes pour leur raid contre les nouvelles cloches de Notre-Dame, et la condamnation des vigiles qui avaient fait cesser le trouble et protégé les œuvres d’art.

Dernière provocation, agences de presse et chaînes de télévision ayant été dûment avisées au préalable, quelques nouvelles galipettes, vociférations, le tout comme d’habitude à moitié nue, sur le Grand Autel de la cathédrale de Strasbourg. Ah oui, mais dites, là le problème pourrait être différent. En Alsace, le blasphème est réprimé par la loi pénale. Depuis fort longtemps d’ailleurs. Contrairement à ce que l’on croit souvent, ces dispositions ont une origine française. Le concordat mis en place par Napoléon, fut conservé par les Allemands après 1870. La loi de 1905 qui y mis fin ne put être appliquée à l’Alsace qui était alors allemande… Ces dispositions furent maintenues après le retour à la France en 1919. L’article 166 du Code Pénal local réprime le blasphème et le 167 le trouble à l’exercice du culte.  Le tarif prévu n’est quand même pas négligeable, trois ans de prison maximum. Il est vrai que la jurisprudence n’est pas extraordinairement abondante, mais l’État, par la voix du ministre de l’Intérieur, en réponse à une question écrite parlementaire, en a récemment réaffirmé les principes.

Alors, le parquet du tribunal de grande instance de Strasbourg, devant ce trouble manifeste à l’ordre public et cette violation flagrante de la loi pénale, va-t-il faire son devoir ? Va-t-il au travers d’une enquête préliminaire établir la vérité des faits, et poursuivre ensuite par voie de citation directe ou par l’ouverture d’une information judiciaire ? Nous rentrons dans le mois de l’avent, si important en Alsace, mais ce n’est pas une raison pour croire au Père Noël.

Cela étant, il est possible d’interpeller le parquet afin de secouer sa probable inertie. Écartons tout de suite l’idée de plaintes déposées par des associations aux noms improbables, et spécialisées dans l’agitation. Ces structures dont le fonctionnement est en général proche de celui d’une secte, sont de véritables repoussoirs et il faut surtout éviter un affrontement communautariste du genre Femens contre Civitas. Non, les poursuites sont d’abord et avant tout de la responsabilité du ministère public qui est là pour ça. C’est lui qu’il faut saisir et il existe dans le Code de procédure pénale un article 40 qui fait obligation à tous les fonctionnaires (et les agents publics qui leur sont assimilés) de signaler au procureur de la république « les faits dont ils ont eu connaissance et susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

En Alsace, c’est pratique, les prêtres catholiques ont le statut de fonctionnaire. Mes Pères, à vos plumes…

Les élus alsaciens, à commencer par ceux de Strasbourg ont également ce devoir. Il y a aussi les parlementaires, tous les parlementaires. Hervé Mariton, Député de la Drôme a publié un tweet ainsi libellé : «Les #Femen blasphèment la cathédrale de Strasbourg. Stop aux provocations, @ChTaubira le droit sera-t-il appliqué ? ». Tout d’abord, on est quand même assez loin de la forme que requiert normalement un « signalement article 40 ». Ensuite, Monsieur le député je suppose qu’en bon chrétien vous appliquez l’adage qu’il vaut mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints. Et qu’en application du principe de l’unicité du parquet, vous savez que pour ses membres, Dieu c’est Christiane Taubira. Mais pour cette fois-ci je pense qu’il serait plus habile de s’adresser directement au procureur général du tribunal de grande instance de Strasbourg. Qui doit être rompu à la pratique du droit local. Et ce serait encore mieux si pouvaient se joindre à vous quelques-uns de vos collègues. Alors Messieurs, à vos stylos.

Il n’est évidemment pas question de demander que l’on applique aux Femens le traitement reçu par les Pussy Riots (même si parfois ça démange…). Il faut accepter que les mêmes causes ne produisent pas obligatoirement les mêmes effets. Mais il sera intéressant de recueillir les explications des magistrats sur leur probable inertie vis-à-vis de ce groupuscule douteux, et sur l’impunité dont il fait l’objet. Le mécréant que je suis, confesse quant à lui être motivé par le péché de gourmandise devant le spectacle prévisible des contorsions des autorités judiciaires.

 *Photo : Christian Lutz/AP/SIPA. AP21657986_000001. 

Osez le féminisme : aujourd’hui, le féminicide

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Osez le féminisme ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît. C’est à peu près ainsi que se terminait mon précédent billet. Mais je n’avais pas tout vu.

Voici que le même groupuscule d’activistes obsédées par le Père et la paire propose désormais, sous la plume d’une certaine Aude Lorriaux, d’ajouter au Code pénal, qui est déjà assez complexe, le crime de « féminicide » — une revendication majeure de cette association de punaises. Ce serait une circonstance aggravante que de tuer une femme. Après le « masculinisme », un néologisme supplémentaire est né du cerveau fertile mais dérangé des féministes déjantées.

Ou incultes. Probablement se trompent-elles sur l’étymologie du mot « homicide ». « Homo », c’est l’être humain — homme ou femme. « Homicide », cela suffit. Sans doute les féministes d’Osez le féminisme pensent-elles qu’« homo » renvoie à « homme » — après tout, certains élèves encore jeunes ne croient-ils pas qu’un homicide, c’est le meurtre d’un homosexuel… Pareil pour « homo sapiens » : va falloir inventer, les filles ! Femina sapiens ? Surtout que, comme me le souffle une amie, ça doit vous agacer que la sapience soit attribuée aux hommes — ou aux homos ? Peut-être faudrait-il les renvoyer en classe ?

La loi répertorie d’ailleurs bon nombre de circonstances aggravantes, dans l’article 221-4 du Code pénal. Je signale particulièrement le 4 bis à l’auteur (non, pas de e à auteur ! On peut aimer les femmes et la langue ! Il vaut mieux, même), où le meurtre d’un(e) conjoint(e) est une circonstance aggravante.
Mais ces crétines bornées veulent faire rajouter « sexe » au paragraphe 6 (« À raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »). Ce qui mettrait les juges dans des situations complexes, et enfreindrait l’un des principes les plus solides du Code, l’égalité devant la loi : on serait mieux servi si l’on est une femme qu’un homme ? Allons donc !
Mais j’argumente en vain contre des gens qui n’ont pas un atome de raison.

Qu’on me comprenne bien. J’ai participé, dans les années 70, aux activités du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), j’ai milité avec certaines « Gouines rouges », cette excroissance du MLF version Marx, j’exalte en classe la Marquise de Merteuil, « née pour venger [s]on sexe », je n’ai de reproches ni de conseils à recevoir de personne en fait de féminisme. Et j’aime les femmes — je les aime assez pour ne pas supporter qu’un quarteron d’hystériques les dégrade collectivement à mes yeux. Amies, révoltez-vous : Osez le féminisme dégrade les femmes, les avilit, les consigne dans des revendications imbéciles et des postures tout aussi contraignantes que maman et putain, et les dresse contre les hommes, en croyant les libérer. Oui, révoltez-vous — ou ne vous étonnez plus des discours misogynes et des comportements-limites. « Les hommes auteurs de vos maux », disait Laclos. Eh bien aujourd’hui, ce sont les femmes qui sont les plus grands ennemis des femmes. Enfin, certaines.

Cela dit, je suis assez favorable à un délit de « féminicide » au sens de « ce qui porte atteinte à la féminité ». Les mutilations génitales communautaristes, excusées par les belles âmes, ou le port du voile, désormais autorisé par Najat Vallaud-Belkacem pour escorter les élèves dans le cadre des sorties scolaires. Entre autres exemples.
Ah bon ? Osez le féminisme n’y a pas pensé ? Faudrait-il penser pour elles ?

Rien à sauver chez Ruquier

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Quelques célébrités se demandaient durant l’émission « On n’est pas couché » pourquoi tant de jeunes Français quittaient leur beau pays pour des lieux moins engageants comme la Syrie ou l’Irak. D’autres voulaient savoir pourquoi les forces du mal , c’est-à-dire le  Front national, progressaient à une telle allure chez les étudiants. « C’est une énigme « , clamait l’une.  » Un désastre « , surenchérissait une autre. Bien évidemment, cela n’a aucun rapport avec l’islam, religion si paisible, et moins encore avec l’immigration. « Sans doute, les réseaux sociaux », intervenait une troisième.  La réponse était pourtant simple : à force de regarder Ruquier le samedi soir, l’envie vous prend d’être ailleurs, hors du monde, même en enfer. Tout, mais pas ça !

Ce festival d’hypocrisie et de bienpensance, cette lobotomisation hebdomadaire sur des thèmes récurrents comme le mariage pour tous, les vilenies de Zemmour ou la défense des trente-cinq heures finissent par nous donner l’impression d’être dans un bocal de  formol dont il convient de s’échapper au plus vite, d’autant que la promiscuité avec le preux chevalier blanc, Aymeric Caron, peut facilement vous conduire à l’échafaud.

Si j’ai bien compris, au départ « On n’est pas couché » signifiait qu’on ne se couchait pas face aux idéologies dominantes et aux hommes qui les incarnaient. Aujourd’hui, on ne fait plus que cela. C’est ce qu’on appelle vieillir. Chaque invité, enfermé dans sa propre mort, affirme en rigolant que « ça va ». Ceux qui sont un peu plus malins ou un peu plus lucides prennent la fuite : tout, mais pas ça. Pour les autres, pas grand-chose à retenir, sinon que Kev Adams fait rire les adolescents, que Michel Boujenah aime les nichons, que Léa Salamé sera sans doute la femme de l’année, qu’Aymeric Caron a cassé sa chaise et que le centre a un nouveau leader, Jean-Christophe Lagarde, aussi insignifiant que son prédécesseur, Jean-Louis Borloo, pouvait être drôle.

Même avec la meilleure volonté du monde, rien à sauver chez Ruquier. Comme dit un de mes amis, l’actualité, quelle belle invention, elle permet de se foutre de tout !

Maxime Tandonnet : «Le pouvoir a les pieds et les mains liés»

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Haut fonctionnaire, ancien élève de l’ENA, Maxime Tandonnet a été conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur (2005-2007) et à l’Élysée (2007-2011). Il est l’auteur de nombreux livres sur l’immigration, mais aussi d’une histoire des présidents de la République. Son dernier ouvrage, Au cœur du volcan. Carnets de l’Élysée 2007-2012, a été publié chez Flammarion en septembre 2014.

Gil Mihaely : En 2007, beaucoup d’électeurs du FN ont voté Nicolas Sarkozy au deuxième tour parce qu’ils attendaient de lui une politique « ferme » sur l’immigration et la sécurité. Entre 2007 et 2011, vous étiez conseiller spécial auprès de lui, en charge de ces deux questions. Avez-vous tenu les promesses du candidat ?

Maxime Tandonnet : Pas à tout à fait. Le sujet des migrations est en grande partie internationalisé : un gouvernement n’est pas complètement souverain. La France seule peut décider de certaines choses, mais pas de tout. Une grande partie du traitement de l’immigration relève de conventions internationales et des jurisprudences des tribunaux.

Le terme « immigration » véhicule aujourd’hui toutes sortes de fantasmes. Que désigne-t-il précisément pour l’État ?

Tout d’abord, il faut se garder des polémiques et s’en tenir aux faits. L’immigration concerne le flux des nouveaux arrivants, c’est-à-dire, depuis l’an 2000, à peu près 180 000 entrées légales par an en moyenne (dont 60 000 étudiants, 80 000 pour motif familial, 10 000 réfugiés politiques et 10 000 visas de travail) ainsi que des migrants en situation irrégulière dont on estime le nombre à partir de l’AME, aide médicale d’État, à 200 000 à 300 000 (chiffre total et non pas en termes de flux annuel). Sur une longue période historique, l’immigration est un atout et un enrichissement démographique et économique.[access capability= »lire_inedits »] En revanche, quand le flux migratoire excède les capacités d’accueil du pays, notamment sur le marché du travail ou celui du logement, des difficultés apparaissent. Quand il n’y a pas d’emploi pour certains des nouveaux arrivants en période de fort chômage, cela peut favoriser l’exclusion et fragiliser la cohésion sociale. C’est pourquoi il faut maîtriser, organiser l’immigration, tout en restant un pays ouvert.

Très bien, vous avez prononcé tous les mots-clefs. Et il est bon que la neutralité du langage administratif évacue les affects des représentations individuelles. Reste que si, dans le long terme, l’immigration, nous dites-vous, est un enrichissement, beaucoup de nos concitoyens semblent se dire que, dans le long terme, nous serons tous morts, et ils ont d’autant plus tendance à voir les problèmes, plus que l’enrichissement, que les inquiétudes identitaires s’ajoutent aux tensions économiques et sociales que vous évoquez. Quels peuvent être les objectifs d’un gouvernement en ce domaine ?

La mission principale que m’a confiée Nicolas Sarkozy était de développer une politique de gestion des flux migratoires avec les pays d’origine, en même temps qu’un « pacte européen pour l’immigration et l’asile ». J’ai donc travaillé avec le ministère de l’Immigration et les partenaires européens, mais aussi avec des pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons négocié, bilatéralement, les accords de politique migratoire qui sont en vigueur aujourd’hui avec une quinzaine de pays, comme le Gabon et le Sénégal.

Au-delà de l’internationalisation et de la judiciarisation, qui privent le gouvernement français d’une partie de sa marge de manœuvre dans le domaine de l’immigration, vous avez affronté de nombreux autres obstacles sur votre route. Rappelons-nous la polémique provoquée par l’un des premiers projets de Sarkozy, les tests ADN – je revois Carla Bruni s’indignant lors d’un grand raout de la gauche…

Oui, et je ne cache pas ma responsabilité personnelle dans cette affaire. L’idée était d’adapter une législation sur l’immigration pour faire comme les États-Unis, le Canada et les pays européens : permettre sous certaines conditions à une personne qui ne peut pas démontrer par des documents d’état civil qu’elle a un lien de parenté avec une autre personne – par exemple pour faire venir ses enfants dans le cadre du regroupement familial – de faire des tests ADN sur une base volontaire. Mais nous avions sous-estimé la réaction passionnelle que cette mesure mal expliquée pouvait susciter dans la conscience collective…  C’était une erreur. Cet incident incarne parfaitement la très grande complexité de l’action politique…

Le président Sarkozy, pourtant tout juste élu et encore assez populaire, a finalement décidé de renoncer à cette mesure…

Le tollé était disproportionné par rapport à l’intérêt de la mesure. Ce n’était pas si simple de revenir en arrière, car le projet était déjà dans les tuyaux. Mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut…

La pression des médias et de l’opinion n’est pas seule en cause. Le plus choquant, ou au moins surprenant, c’est peut-être la résistance administrative. Dans votre livre, vous racontez que Nicolas Sarkozy voulait réformer le fonctionnement des consulats de France, qui octroient les visas. Le président avait demandé d’organiser une réunion sur le sujet. Et sa demande a tout simplement été ignorée… Ce qui révèle un léger dysfonctionnement institutionnel, non ?

Tout à fait, c’est une chose qui m’a aussi choqué. Le président de la République s’occupe d’une multitude de sujets en même temps, et il ne peut donc pas avoir à l’esprit tous les dossiers. À cette époque-là, j’ai eu l’impression que l’administration n’appliquait pas ses instructions. Il faut savoir qu’à l’Élysée il n’y a pas de cellule de suivi de décisions, c’est tout l’entourage du président qui s’en charge, et il est du devoir de tout le monde de réagir… ou pas… Parfois, on prend des notes et on fait des comptes rendus de réunion, mais ce n’est pas systématique, car cette pratique n’est pas dans l’esprit de l’institution. C’est à Matignon que l’on rédige des comptes rendus officiels des mesures. Un puissant organisme, le secrétariat général du gouvernement, assure cette mission fondamentale. Cela traduit un caractère profond de nos institutions : l’Élysée n’est pas normalement le lieu où l’on gouverne au quotidien. On y fixe le cadre, les grandes orientations, pas plus. Mais, depuis une quinzaine d’années, l’Élysée est devenu, sans en avoir les moyens, le centre de gouvernement à la place de Matignon. Autrement dit, on essaye de gouverner la France depuis l’Élysée. C’était déjà ainsi pendant le second mandat de Chirac, c’était comme cela avec Sarkozy, c’est encore le cas avec Hollande.

Êtes-vous en train de dire qu’on ne sait pas qui dirige la France ?

Je dis qu’il y a une ambiguïté dans le mode de fonctionnement du pouvoir. Normalement, c’était l’Élysée qui fixait la ligne en matière d’immigration. Elle était claire : on est ouvert à l’immigration régulière mais on ne peut pas accueillir tout le monde, surtout avec un taux de chômage considérable, et il faut lutter contre l’immigration illégale. Ensuite, ce devait être à Matignon de mettre en œuvre ces grands principes. Cela n’a pas été le cas. On vivait dans une confusion des genres permanente.

Est-ce cette « ambiguïté » dans le fonctionnement du pouvoir qui crée un sentiment général d’impuissance ?

Je pense qu’elle y contribue beaucoup. Le président a pour mission d’incarner la nation, il représente en principe la communauté nationale, l’unité du pays, et doit rester « au-dessus de la mêlée ». Au quotidien, c’est au Premier ministre, sous le contrôle du Parlement, qu’échoit la mission – plus ingrate – d’adopter des mesures nécessaires, mais souvent douloureuses. La confusion de ces missions respectives peut compromettre la capacité même d’agir. En outre, en période de crise, une surexposition médiatique du chef de l’État entraîne de graves phénomènes de rejet et d’impopularité.

D’où le rôle de fusible conféré au Premier ministre. Mais l’interventionnisme de Nicolas Sarkozy et, plus généralement, sa personnalité, ne sont-ils pas la principale cause de ces ambiguïtés ?

Pas uniquement. C’est un problème beaucoup plus profond. Le quinquennat a beaucoup joué. J’ai vu cette sorte d’amalgame entre le rôle de chef de l’État et celui de chef du gouvernement se mettre en place sous mes yeux. Il faudrait revenir à une pratique plus « Ve République ». En revanche, je ne crois pas à la formule d’un « président chef de parti », raison pour laquelle je suis totalement opposé au système des primaires, où le parti choisit son futur candidat. Le président doit rester l’homme de la nation.

Quel est le problème, alors ?

Nicolas Sarkozy a été un président très actif, volontariste, animé par une profonde envie de changer les choses, mais il s’est heurté à de multiples obstacles : la force d’inertie dans les ministères, le poids des jurisprudences… Le Conseil constitutionnel et les tribunaux suprêmes européens ont un pouvoir considérable sur les politiques. Pour prendre un exemple cité dans mon livre, il était prévu qu’un criminel très dangereux qui a de fortes chances de récidiver soit maintenu en rétention après avoir purgé sa peine.

Mesure qui peut effectivement être jugée contestable…

Sans doute, mais n’est-ce pas une prérogative du pouvoir exécutif ? On n’a pas pu le faire comme on voulait, car le Conseil constitutionnel a estimé que c’était contraire à sa jurisprudence. Il faut savoir que le Conseil constitutionnel censure la moitié des lois, y compris celles du gouvernement actuel. C’est énorme quand on y réfléchit ! Cela pose un problème au regard de la légitimité démocratique d’un Parlement élu au suffrage universel.

Sommes-nous gouvernés par des juges ?

Je ne le dirais pas comme ça, mais il est certain que les jurisprudences des cours suprêmes ont un poids croissant dans la vie publique. D’autres contraintes ont joué aussi. Nous voulions faire beaucoup plus pour les banlieues, mais l’argent manquait. La décentralisation a aussi contribué à saper nos décisions : on a donné beaucoup de pouvoir aux collectivités locales, et quand l’État a supprimé un fonctionnaire sur deux, elles ont recréé autant de postes de fonctionnaires… Bref, le manque d’efficacité de l’autorité du pouvoir central est l’un des grands problèmes de notre République.

Sarkozy hier, Hollande aujourd’hui, qui que ce soit demain – tous les présidents se heurtent aux mêmes écueils…

Absolument ! J’en suis persuadé. Je ne dis pas que l’on peut tout changer d’un seul coup, mais il faudrait redonner des marges de manœuvre, même restreintes, pour permettre aux pouvoirs politiques d’agir. Comment se fait-il que face au chômage de masse, qui existe depuis environ 1980, on n’ait jamais réussi à trouver de solution ? Cela s’aggrave continuellement, les gens sont découragés et ne croient plus au politique. Il faut rejeter toute forme de démagogie. Je ne crois pas aux solutions miracles et à la poudre de perlimpinpin, mais à un travail sérieux et de longue haleine pour recouvrer peu à peu des marges d’action et d’efficacité.

D’accord, mais en attendant, comment peut-on gouverner la France ?

Autrefois, même les gouvernements de la IIIe et de la IVe République, malgré une instabilité chronique, fonctionnaient mieux : des décisions ressortaient du chaos apparent ! Aujourd’hui, derrière les attributs de la puissance, le pouvoir en France a les pieds et les mains liés. Il faut revenir aux bases de la Ve République, avec un président qui préside et un gouvernement qui gouverne. C’est la leçon que je tire de mon passage à l’Élysée.[/access]

*Photo : Hannah.

Dans la tête d’un djihadiste

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Face aux interrogations et au désarroi suscités par la multiplication des « vocations » djihadistes à partir du territoire français et ce, indépendamment de la culture d’origine, de l’environnement religieux, de la géographie du recrutement, du  milieu social et du cursus scolaire, la psychanalyse aurait-elle quelque chose à dire afin d’éclairer les processus inconscients par lesquels un homme ou une femme s’engage dans ce voyage « sans retour » ?

Posons, pour ne pas nous écarter de la doxa, la question du double inconvénient épistémologique : comment appréhender l’analyse du djihadiste in absentia ? Pire : à l’absence de sa demande se substitue celle du système politique. La psychanalyse appliquée se risquera-t-elle à en devenir le supplétif ? La psychologie des profondeurs possède néanmoins un avantage décisif pour s’autoriser d’elle-même à enquêter : le travail analytique porte sur la réalité psychique et, en conséquence, traite d’égal à égal fantasme et réalité. Abordons notre démarche par deux propos liminaires.

En 2003, des sociologues ont relevé un phénomène de conversions d’environ cinq mille danoises à l’Islam, chiffre en augmentation constante chaque année[1. Courrier international n° 658, juin 2003.]. Dans cette étude qui leur était consacrée, les spécialistes expliquaient le choix religieux des intéressées par l’attention portée aux « règles en matière de morale, d’alimentation et de relations entre l’homme et la femme ». Loin de dévaloriser la foi de ces nouveaux musulmans, des enquêtes complémentaires montraient un attachement essentiel de ces derniers aux rites perçus comme une « pratique visible », leur sentiment de vivre, avec les « devoirs », une religion plus « physique » et la satisfaction d’être intégrée « dans une communauté »

La seconde illustration provient de l’activité professionnelle de l’auteur, à l’époque en supervision analytique au Liban : une amie vint un jour en consultation avec un jeune adolescent d’une quinzaine d’années, habitant Haret Hreik, fief du Hezbollah situé dans la banlieue sud de Beyrouth. Ce jeune avait directement assisté à la mort de son ami le plus proche et du même âge, ami mortellement fauché par une voiture. Traumatisé, réfugié dans un deuil mortifère, il s’enfermait dans sa chambre. Chaque jour, il allumait rituellement des bougies à la mémoire du défunt. Après une séance et, malgré son intention déclarée de revenir, il disparut. L’on m’informa quelques temps après qu’il avait été « pris en charge » par une unité combattante de la milice chiite libanaise et que son « engagement au martyre » lui permettrait sans doute de trouver une « issue » à sa dépression mélancolique.

Quelle différence entre ces femmes danoises converties, ce jeune de la banlieue sud de Beyrouth et les apprentis djihadistes français ? Du seul point de vue qui nous préoccupe, les mécanismes psychiques de l’inconscient, pratiquement aucune. Expliquons-nous. L’islam ici n’est pas en cause : n’importe quel système de pensée jusqu’au-boutiste, religieux ou philosophique, n’importe quelle idéologie radicale dotée d’un appareil prosélyte performant ferait l’affaire. Seuls nous intéressent les arcanes conjoints et crescendo entre processus psychique et cheminement individuel : affaiblissement du « moi », voire effondrement de celui-ci sous l’effet d’une dévalorisation induite par « l’idéal du moi », recherche extérieure d’un étayage structurant et salvateur, évanouissement progressif de la personnalité consciente au profit d’un groupe, sentiment d’invincibilité de l’individu en foule, résurgence pulsionnelle des instincts cruels et destructeurs.

Instance intrapsychique autonome, « l’idéal du moi » sert de référence au « moi » afin d’apprécier ses réalisations effectives. Ces finalités oscillent entre idéaux collectifs à atteindre tels qu’Ernest Renan a pu, par exemple, les définir dans sa célèbre conférence de 1882 en Sorbonne « Qu’est-ce qu’une nation ? » et modèle narcissique nourri des identifications infantiles auquel le sujet doit se conformer. Celui ou celle qui éprouve une vacuité de son existence, un déficit identitaire ou une carence affective sans perspective de rémission, en conçoit un sentiment d’infériorité : au point de se soumettre à un leader et de remplacer son « idéal du moi » déficient par une personnalité étrangère, a fortiori charismatique, ou par un corpus idéel contraignant.

La particularité de cet « idéal du moi » réside en outre dans son étroite corrélation avec le surmoi, instance interdictrice, autoritaire, sinon tyrannique. L’être humain en recherche de ce soutien psychiquement structurant l’explique parfois par « le besoin que quelque chose se passe dans le réel » : besoin d’ordre imposé de l’extérieur face à son propre « vécu désordonné » et besoin de justice à même de le rétablir dans « son bon droit », accompagnent ce passage.

Outre le recours, défense de type maniaque, aux rituels initiatiques –le cérémonial d’intégration–  ou sacrificiels –l’assassinat collégial ou l’attentat suicidaire–  qui la sous-tendent, cette aspiration à l’organisation stricto sensu comprend, en relation avec l’autorité surmoïque, un besoin de punition : besoin décliné par d’autres analystes, en termes « d’expiation », de « réparation » et de « pardon »[2. Guy Rosolato, Le sacrifice, Repères psychanalytiques, PUF, 1987.]. À ce titre, la perspective de mourir, tout comme celle d’être stigmatisé ou honni, loin de briser l’élan, galvanisent ce franchissement : elles en constituent même la principale articulation inconsciente. Si certains criminels ne passent à l’acte que pour mieux donner corps à leur sentiment de culpabilité, l’acte d’engagement pour le djihad et ses accomplissements subséquents ont aussi lieu pour que « la pulsion elle-même trouve sa limite »[3. Jean Laplanche, « Réparation et rétributions pénales », Le Primat de l’autre en psychanalyse, Champs Flammarion n° 390, 1997, p. 173.]. Il est donc vain de croire qu’une action préventive insistant rationnellement sur ces deux éléments serait à même de toucher et d’éveiller la conscience de ceux ou de celles qui l’adoptent.

Nous retrouvons in fine les principaux mécanismes décrits par Freud dans sa Psychologie des foules et analyse du moi[4. Œuvres complètes, tome XVI, Paris, PUF, 1995, pp.1-84.] : en premier lieu, « l’évanouissement de la personnalité consciente » et la prédominance de la personnalité inconsciente où le « moi individuel » s’abolit au profit du « moi collectif ». Le changement de nom consacre cette mutation identitaire et enregistre la nouvelle appartenance. L’orientation, ensuite, par « voie de suggestion » et la « contagion des sentiments et des idées » dans le même sens. Et ce, au moyen de l’affect idéologique ou religieux, une « force permettant à la foule de garder sa consistance ». La tendance à transformer immédiatement en actions les idées suggérées car la mise en acte, par surcroît médiatisée, renforce le sentiment de puissance invincible de l’individu en foule : elle fait disparaître ses inhibitions au profit d’une résurgence de ses pulsions destructrices et archaïques. Et Freud de rappeler : « l’individu, seul, se sent incomplet ».

C’était Meddeb

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meddeb islam tunisie

Depuis 1997, l’écrivain et essayiste franco-tunisien Abdelwahab Meddeb animait l’émission Cultures d’Islam sur France Culture. Il est décédé brutalement le 6 novembre dernier. À mon sens, un hommage doit lui être rendu comme faisant partie des rares à notre époque qui, sans jamais renier ce qu’ils sont et d’où ils viennent, éprouvent une grande admiration et un profond respect pour des cultures étrangères aux leurs. Ils montrent ainsi que si un semblant de communion devait un jour advenir entre les peuples, celle-ci ne pourrait émaner que de la volonté partagée de s’élever dans l’effort et la connaissance universelle. Meddeb était bel et bien de ceux-là.

Élevé en Tunisie dans l’apprentissage du Coran, il se passionna adolescent pour la littérature française. À la fin des années 70, après quelques années d’études supérieures dans la Tunisie montante de Bourguiba, il vint compléter sa formation en lettres à la Sorbonne. Il se mit ensuite à la poésie et s’employa par ailleurs à promouvoir la diffusion des œuvres arabo-musulmanes au sein des éditions Sindbad dont il fut un temps directeur de collection. Ayant fait sa thèse de doctorat sur la notion de « double généalogie » qu’il vivait lui-même au quotidien, il témoignait par là d’un constant souci de dialogue entre les cultures. Pas le « dialogue » des chantres d’un multiculturalisme échevelé et angélique, celui d’une communion dans le travail de l’esprit. Celui d’œuvres unifiantes parce qu’édifiantes, non celui de la « tolérance » doucereuse qui, contrairement à ce qu’on en dit, n’invite pas au dialogue mais au fatras stérilisé des monologues. Il devint par la suite professeur de littérature comparée à l’Université de Nanterre. Abdelwahab Meddeb a en outre fondé la revue Dédale en 1995 ; son livre le plus célèbre demeure à coup sûr La maladie de l’islam, paru au Seuil en 2002 (Prix François-Mauriac).

Dans son entreprise communicationnelle, Meddeb a fatalement cherché des points de rencontre. Pour ce faire, il a remonté le temps pour convoquer ce que le jargon de la philosophie politique appelle du nom d’Anciens : les Grecs, les Latins et les auteurs chrétiens d’un côté, la philosophie arabo-musulmane et le soufisme de l’autre. C’est dans un commun héritage qu’il convenait de chercher des éléments de concorde, plus que dans les vicissitudes du temps présent. Meddeb n’en demeurait pas moins attentif à l’actualité politique au Maghreb, en Tunisie en particulier (ces jours-ci en plein dénouement électoral qu’il n’aurait d’ailleurs pas manqué de commenter. Ses émissions s’appuyaient d’ailleurs, tantôt sur la situation fluctuante des pays musulmans et ce que l’on a un temps appelé « Printemps arabes », tantôt sur des lectures ou relectures de grandes œuvres oubliées, mais toujours en ménageant des ponts entre cultures en vis-à-vis. Les apories de l’islam moderne, le monde berbère, l’expulsion des Morisques, la dynastie des Ommeyyades, la poésie d’Al-Andalus, etc. De l’Hégire à la Révolution de Jasmin et du Maroc à Téhéran en passant (souvent) par Cordoue, Abdelwahab Meddeb a suscité l’intérêt croissant de nombreux auditeurs lors d’entretiens passionnés et passionnants. Et s’il lui arrivait de temps en temps de couper la parole à ses invités, c’était toujours dans l’exaltation d’apprendre d’eux quelque chose, ou celle d’offrir de l’inédit à ses auditeurs, faisant de sa voix la leur.

Je me souviens notamment des émissions enregistrées en 2012 et 2013 avec le philosophe Philippe Vallat à l’occasion de son travail de traduction de certaines des œuvres du grand penseur persan Al Farabi (IX -Xe siècles). Il était alors évoqué en quoi Farabi s’était approprié la philosophie politique de Platon au point de sembler parfois y voir des Lois mieux affermies que dans le Coran ! C’est que déjà importait pour certains – en terre d’islam et ailleurs – l’exercice de la raison dépris de la révélation, ne fût-ce que pour une poignée. Si ce que nous appelons les « Lumières musulmanes » le furent davantage par l’accès au savoir que par une réelle volonté de diffuser celui-ci largement, pour autant elles témoignèrent assurément d’un grand intérêt pour la philosophie grecque. À tel point qu’un philosophe comme Leo Strauss a vu en Farabi l’un des plus grands disciples de Platon. Averroès, lui aussi, revenait périodiquement dans les entretiens menés par Meddeb, ainsi que l’historien tunisois Ibn Khaldoun (XIVe siècle), auquel il avait consacré tout une émission en septembre dernier, peu après s’être interrogé sur ce que l’islam devait aux Grecs. En sens inverse, Meddeb fut de ceux qui voient entre Dante et son devancier Ibn Arabi un lien consubstantiel.

Bien sûr, quand l’actualité nous abreuve des horreurs perpétrées au nom d’Allah – et quand on sait la prégnance des images à notre époque –, il peut sembler incongru de focaliser l’attention sur des penseurs du Moyen Âge, renvoyant eux-mêmes à nos racines grecques que l’on ne songe plus guère à exhumer, pas même à l’égard de la démocratie. Toutefois, Cultures d’islam était l’une des rares programmations du service public à être résolument tournée vers la compréhension d’un monde complexe, de son histoire, de ses paradoxes, de ses conquêtes et de ses impasses, de ses grandes figures philosophiques, scientifiques, théologiques également. C’est à travers tant de siècles sondés que se justifie l’Islam comme civilisation, même si les trésors qu’il recèle ne l’exonèrent pas de ses crimes. Invitant à la découverte dépassionnée des choses, Meddeb assumait tout, la mystique, les mœurs et l’architecture, la violence, l’obscurantisme et les relations conflictuelles avec l’Occident. Son regard pétillant trahissait chez lui comme un besoin vital d’aller au fond des choses, d’en pénétrer la complexité et de les partager avec un public devenu fidèle.

En ce qu’il faisait de sa double culture l’occasion d’une exigence ontologique, Abdelwahab Meddeb ne disconvenait ni de l’orgueil occidental, ni du ressentiment musulman. Il savait dans quelle mesure l’Occident peut servir tantôt d’exemple à suivre, tantôt d’écueil à éviter. Il savait aussi combien il est difficile pour un ensemble civilisationnel d’avoir dans le même temps à préserver son être et à entreprendre une sérieuse introspection. Son regard comptait donc doublement. Il manquera assurément.

 *Photo : IBO/SIPA. 00612319_000005. 

Osez le féminisme : la polémique sur Gone Girl

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gone girl osez feminisme

Les féministes sont folles. Et incultes. Et elles font du tort au féminisme. Enfin, peut-être pas toutes. Mais en tout cas, celles d’Osez le féminisme, qui sous la plume de Justine Le Moult et d’Amanda Postel, se sont fendues d’une longue diatribe contre Gone Girl, l’excellent film de David Fincher (l’homme qui entre autres fit Seven, cette histoire un peu noire où Brad Pitt était constamment surclassé par Morgan Freeman), et surtout contre son scénario, tiré du roman à succès de Gillian Flynn — qui l’a adapté elle-même pour l’écran.

Et les féministes françaises ne sont pas les seules à s’insurger. Dans leHerald (en fait, l’International New York Times[1. Le même numéro du Herald m’apprend la mort de Mike Nichols, l’inoubliable metteur en scène de Qui a peur de Virginia Woolf (la plus extraordinaire pub pour le whisky jamais réalisée) et du Lauréat, entre autres. Times goes by.] du 21 novembre, le seul quotidien qui trouve grâce à mes yeux, Gillian Flynn, longuement interviewée, avoue que sous le poids des critiques contre son livre, « pendant 24 heures je me suis blottie sous ma couette, dans le genre « J’ai tué le féminisme. Pourquoi, mais pourquoi ??? Mince. J’voulais pas » — et puis je me suis à nouveau sentie tout à fait à l’aise avec ce que j’avais écrit. » Et d’ajouter : « Bien sûr que mon livre n’est pas misogyne ! Qu’attendez-vous ? Des femmes réduites à leurs rôles de mères dévouées bien gentilles ? Mon but, depuis toujours, a été de montrer la face sombre des nanas. »

Sur ce thriller auquel la presse a trouvé d’admirables accents à la Patricia Highsmith (autre écrivain de génie spécialisée dans les personnages dérangeants, masculins ou féminins), et qui s’est trouvé classé n°1 des bestsellers américains (plus de 2 millions d’exemplaires vendus), David Fincher a élaboré un film d’une grande efficacité, où l’on ne s’ennuie pas une seconde, où les médias et l’hystérie américaine jouent un rôle central, et dont je ne regrette que Ben Affleck, qui joue avec deux expressions faciales, pas une de plus — mais il les distribue à bon escient. Quant à Rosamund Pike, elle est tout simplement parfaite en petite amie modèle, épouse idéale, amoureuse de charme, intelligente à n’en plus pouvoir et tueuse pathologique. Voir la bande -annonce.
Mais alors, que peut-on bien reprocher au film et au roman ?
L’un et l’autre sont coupables de masculinisme.
Ne riez pas : j’ai appris un mot. C’était comme Monsieur Jourdain et la prose : je faisais sans doute du masculinisme sans le savoir.
Qu’est-ce que le masculinisme ? C’est « une tendance politico sociale qui voit un complot féministe partout, et qui a pour but de revenir au Moyen Age, du moins en ce qui concerne les droits des femmes. Mais, il s’agit aussi d’un retour au Moyen Age en ce qui concerne les droits des enfants. »
Tel que.
Application à Gone Girl.
« La première heure est plutôt plaisante, pleine de suspense et de rebondissements. La deuxième est un cauchemar total : l’intrigue vire à l’illustration parfaite des thèses masculinistes et laisse un goût amer de vomi en sortant. »
Rien que ça.
Et pourquoi diable ?
Parce que l’héroïne est méchante, figurez-vous (je ne dévoile rien du film en vous disant cela : courez-y quand même, le diable et le plaisir sont dans les détails).
Que doit donc enseigner une fiction pour Osez le féminisme ? « On est bien loin d’un portrait de femme forte, héroïque dans l’adversité, modèle à suivre pour les spectatrices », car « Amy incarne le cliché patriarcal de la perversion féminine idéale, qui utilise la violence psychologique, soi-disant arme favorite des femmes, pour humilier et blesser son mari. » Le film en fait ne ferait que « déculpabiliser et encourager la violence masculine… Les comportements adultères de Nick auprès d’une étudiante sont vite oubliés » (j’ai corrigé une faute d’orthographe au passage, on peut être féministe et ne pas tout maîtriser, après tout, elles ne s’y sont mises qu’à deux pour écrire cette belle analyse).
Le problème que se pose un écrivain ou un metteur en scène, c’est essentiellement de construire une belle histoire, avec des personnages forts. Hommes ou femmes, les méchants sont de toute évidence les personnages forts par excellence — sans doute parce qu’ils vivent au gré de leurs passions (vives) ou de leur intelligence (féroce). Grand amateur de Dumas que je suis, je sais que les Trois mousquetaires fonctionnent sur Milady bien plus que sur l’un des quatre protagonistes présumés principaux. La grande idée de Dumas, c’est d’avoir allié le physique sublime, les qualités intellectuelles et l’instinct meurtrier sous une même enveloppe.Gillian Flynn suit le même patron.
Comme diraient les Américains, le héros — « messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis et qui pleurent comme des urnes » — est trop souvent « Mister Nice Guy » : le lecteur, le spectateur, attendent avec intérêt le vrai méchant qui mettra du sel dans l’histoire lisse d’un héros parfait. D’ailleurs, nombre d’histoires mettent en scène un héros ambigu, bien plus intéressant qu’une façade parfaite (il faut être Capra pour parvenir à faire un chef d’œuvre — Mr Smith goes to Washington — avec un vieux boy-scout). Les « héros » de la Horde sauvage, cet sommet du western crépusculaire, sont tout ce que l’on voudra sauf des enfants de chœur.
Quant aux femmes… Dans les Trois mousquetaires, il y en a deux : Milady, et cette courge de Constance Bonacieux, dont la mort n’est jamais bien parvenue à m’émouvoir, même à ma première lecture, vers 7-8 ans. Sûr que je devais déjà être un salaud de masculiniste.

Comment peut-on être idiote au point de désirer que, en défense du féminisme, les héroïnes soient exemplaires ? L’exemplarité ne paie pas, en littérature. « En plus de réutiliser la rhétorique essentialiste éculée de la femme perverse, cliché ô combien populaire dans la littérature, les arts et le cinéma, ce film a des effets absolument dévastateurs en défendant des points de vue masculinistes. » Mais pauvres crétines que vous êtes, la rhétorique consiste justement à utiliser ce qui marche, que ce soit dans l’inventio, ladispositio ou l’elocutio, pour reprendre les trois aspects des normes classiques. Ah, mais c’est que « quand on sait l’impact que les médias et le cinéma ont sur les mentalités, il est extrêmement dommageable d’une part, de mettre en exergue une violence féminine qui est un phénomène totalement minoritaire et, d’autre part, de banaliser et justifier ainsi la violence masculine en provoquant l’empathie et l’adhésion du spectateur. »

Un film « féministe » sera donc nunuche ou ne sera pas. Etonnante idée. Je me souviens de raisonnements du même ordre lorsque Barry Levinson avait réalisé Disclosure (Harcèlement, 1994) où Demi Moore poursuivait Michael Douglas de ses assiduités et, pour se venger de ses refus, l’accusait de harcèlement. Sans doute le harcèlement en entreprise (et ailleurs) est-il le plus souvent le fait des mâles : mais pour construire un film qui fonctionne, il valait mieux, et de très loin, inverser les situations.
Quant à ceux qui croiraient que la fiction est de la réalité, il n’y en a pas tant que ça — et ils ne vont pas voir Gone Girl, ils se contentent de jouer à leurs jeux vidéos ordinaires.
Lorsque j’ai publié la Société pornographique, j’ai expliqué que les films pornos réduisaient certes la femme à trois trous, mais réduisaient conjointement les hommes à leur cheville ouvrière, et que c’était cette économie réductrice qu’il fallait dénoncer, voire interdire. Je ne connais pas une œuvre majeure, écrite par un homme ou une femme, qui ne subvertisse peu ou prou la distribution du Bien et du Mal : l’efficacité et la mimesis résident justement dans l’ambiguïté. Si Phèdre était juste une grosse salope de MILF excitée par son beau-fils pédé (si ! Chez les Grecs, au moins), cela ferait longtemps que l’on ne parlerait plus de Racine. La pièce ne fonctionne que parce que l’on plaint l’héroïne, qui se livre pourtant à un mic-mac peu reluisant. Ce qui fait d’Emma un personnage fort, c’est qu’elle est loin d’être aussi bête que ce que l’on croit quand on n’a pas lu Flaubert depuis longtemps — bien moins bête, au sens plein que le Patron donnait au terme, que cette crapule de Homais, par exemple. Et que son mari, parallèlement, pour imbécile qu’il soit, est littérairement sauvé par l’amour débordant qu’il porte à sa femme — voir sa mort, où Flaubert a glissé au fond tout ce qu’il avait en lui de romantisme refoulé.

Mais je vois bien que je gaspille ma salive en vain. Osez le féminisme en sait plus long que moi sur le sujet. Tant pis. Les connes ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Elles devraient se méfier : à tenir des discours maximalistes, on finit par se faire haïr — et pas seulement d’Eric Zemmour.

Education : du sang neuf pour le 93!

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C’est officiel, la Seine-Saint-Denis va devenir, en matière d’éducation, « une terre d’excellence ». Madame le ministre de l’Education nationale l’a expliqué doctement mercredi 19 novembre sur France Info, en annonçant 500 postes de professeurs du premier degré d’ici 2017, en plus des 300 déjà créés, par la vertu d’un « concours supplémentaire pour permettre à davantage de candidats de rejoindre la Seine-Saint-Denis ». Car ils se bousculent, les candidats, pour aller enseigner dans le 93, vous n’imaginez pas. L’an dernier, pour les 1050 postes à pourvoir dans l’académie de Créteil, pas moins de 3 892 s’étaient déclarés. Si seulement 1425 ont effectivement composé, c’est probablement faute de place pour accueillir les autres, à moins que ceux-ci n’aient pas trouvé le chemin de la salle d’examen, ou aient été dévorés par un nuage de sauterelles. Reste que sur les 1 425 présents, 980 furent déclarés admis, donc (presque) le quorum requis. Certes, les derniers lauréats, qui frisaient l’illettrisme, obtenaient une moyenne de d’à peine 4/20, mais Madame le ministre, qui a tout prévu, réfléchit pour l’année prochaine à l’interdiction de ces évaluations par les notes, dont on voit bien ici le caractère discriminatoire et stigmatisant.

Les esprits chagrins feront remarquer qu’il manquait tout de même 450 professeurs dans les écoles de Seine-Saint-Denis à la rentrée ; mais c’est qu’il faut également soutenir la politique volontariste du gouvernement en matière de lutte contre le chômage ! Le rectorat a pu ainsi mobiliser toutes ses énergies pour lever un bataillon de vacataires, certes eux aussi sous-payés, mais ô combien motivés, issu des meilleures filières de licence tourisme ou de BTS logistique, par une prompte opération de « phoning » en partenariat avec Pôle Emploi et les annonces du site leboncoin.fr. Ces nouveaux hussards, s’ils peuvent parfois manifester une primesautière rusticité, n’ont pas vocation à demeurer ad vitam dans l’ignorance complète de la chose pédagogique : Madame le Ministre a prévu pour eux un plan d’accompagnement destiné à  « en faire des enseignants à proprement parler ». Nous voilà rassurés. Mais alors, que demande le corps professoral en grève du 93 ? Quoi, ils ne sont pas payés depuis deux mois ? Eh bien justement : on vient de penser à leur envoyer des bons d’achat alimentaires…

 

Les différences entre PS et UMP sont minimes. Tant mieux!

devedjian ump sarkozy

Causeur. L’impopularité de François Hollande et du PS devrait ouvrir un boulevard à l’UMP. Or, si, comme Hollande en 2012, vous profitez du rejet de vos adversaires, sans apparaître pour autant comme porteurs d’une alternative crédible…

Patrick Devedjian. C’est ainsi : en France, on ne gagne pas les élections, c’est l’adversaire qui les perd. Seulement cela suffit pour gagner les élections, pas pour diriger le pays. Résultat, quand on est dans l’opposition, on attend que l’adversaire échoue. Ce qui dispense de toute réflexion.

Et attendre, c’est ce que fait l’UMP aujourd’hui ?

Oui, mais nous avons encore un peu de temps. Fin novembre, nous aurons un nouveau président. Cela devrait être l’occasion d’engager enfin une vraie réflexion pour élaborer un projet de gouvernement, un projet de droite avec des idées et non pas des gadgets.

Encore faudrait-il savoir ce qu’est la droite. Qu’est-ce que l’ADN de la droite selon vous ?

Le problème de la droite, c’est que, depuis très longtemps, elle n’est plus que la « non-gauche ». Il faut qu’elle retrouve son identité. Je reste pour ma part fidèle à la définition de Raymond Aron : la gauche et la droite républicaines sont toutes les deux attachées à la liberté et à l’égalité. Mais quand celles-ci entrent en conflit, ce qui arrive nécessairement, la gauche arbitre en faveur de l’égalité et la droite en faveur de la liberté. Je révère l’égalité, mais, quand il faut choisir, je choisis la liberté. Voilà pourquoi je suis de droite.

Le ministre de l’économie actuel est donc de droite ?

Il est trop tôt pour le dire, car son discours varie et sa politique est encore floue. Mais oui, quand il dit qu’il faut abolir les trente-cinq heures, cela va effectivement dans le sens de la liberté…[access capability= »lire_inedits »]

C’est tout de même une définition minimaliste.

Évidemment, dans un monde démocratique, les différences se font à la marge. Mais la préférence pour la liberté, même à la marge, ce n’est pas rien !

À l’arrivée, on a l’UMPS : on ne voit pas des différences criantes entre Valls et Juppé.

Eh bien, voyez-vous, cette continuité me rend très heureux pour mon pays. Dans l’instabilité générale, elle permet au moins d’avoir une crédibilité sur la scène internationale. Et puis, cette histoire d’UMPS, c’est une vue de l’esprit. Il faut être extrémiste pour dire que l’UMP et le Parti socialiste, c’est la même chose, alors que le PS et le FN sont alliés objectifs, comme le montrent les triangulaires

Chevènement ne disait pas autre chose et il n’est pas franchement « extrémiste ».

Ça dépend des jours… Mais, sur le fond, vous avez raison, les différences sont faibles, et il en va ainsi dans la plupart des grandes démocraties, entre le Parti républicain et le Parti démocrate aux États-Unis, entre les conservateurs et les travaillistes en Angleterre. Accepter le consensus démocratique, c’est admettre qu’il n’y a pas deux camps ennemis et radicalement différents.

Mais différents, ils doivent l’être un peu. La droite n’est-elle pas aussi porteuse d’une certaine préférence pour l’ancien quand la gauche aime par principe ce qui est nouveau ?

Non, je ne crois pas que la droite ait le monopole du passé…

Il n’est pas question de monopole mais d’un brin de conservatisme, d’un certain rapport aux traditions…

J’ai le sentiment que la gauche est beaucoup plus conservatrice que la droite. Ce contresens vient de ce que l’affrontement entre les deux camps s’est articulé au moment de la Révolution française. Mais il faut rappeler que nous, la droite d’aujourd’hui, ne sommes pas les descendants des blancs, mais ceux des bleus !

Nous ne voulions pas vous assigner à la réaction. Nous parlons d’une certaine vision de l’histoire de France comme une longue litanie de crimes qui a cours à gauche…

Quels crimes ?

Colonialisme, esclavage, collaboration….

C’est l’histoire d’une nation, il y a des crimes ! Et puis je vous rappelle que le colonialisme était de gauche.

Le discours politique n’est pas une thèse d’histoire à la Sorbonne. Avec Chirac, athlète de la repentance, une partie de la droite (celle qui rêve d’être de gauche) pratique assidûment l’autoflagellation rétrospective que la gauche pratique volontiers…

Eh bien, il appartient aussi aux médias de rétablir les vérités historiques !

Si vous attendez que la vérité jaillisse des médias, on n’est pas rendus !

Il suffit d’être professionnel ! Le colonialisme, c’est un produit de gauche, cela n’est pas honteux d’ailleurs. Mais la gauche vénère le Jules Ferry de l’école laïque et oublie celui de la colonisation. Si la droite faisait son travail, elle ne se laisserait pas berner par une version idéologique de l’histoire.

Encore une fois, il ne s’agit pas de la réalité, mais des imaginaires respectifs de la droite et de la gauche…

Moi, je suis fatigué des « imaginaires »…

Vous essayez d’évacuer tout romantisme de la politique. C’est peut-être pour cela que la droite a perdu le combat culturel et moral. Vous ne croyez pas au « roman national » ?

Cela nous a fait tant de mal. Le romantisme a coïncidé avec le nationalisme et les grands massacres.

Faut-il en conclure que l’héritage ne compte pas ? Vous êtes vraiment de gauche !

Non, pas du tout, la France peut être fière de son héritage intellectuel, artistique, politique. Nous avons une littérature fabuleuse qui a fécondé le monde entier. L’identité de la France, c’est sa culture. Ma grand-mère ne parlait pas français ; mon grand-père l’a courtisée en lui envoyant un manuel de courtoisie française que je possède encore.

Mais aujourd’hui, même cette culture est contestée, car elle serait presque une forme d’oppression pour les nouveaux arrivants. Pensez-vous qu’on doive et qu’on puisse la leur imposer ?

Bien sûr ! Et ne soyons pas pessimistes : Modiano vient d’avoir le prix Nobel de littérature… C’est plus important que Jeff Koons qui s’installe à Versailles ! Le rayonnement, l’identité de la France, ce sont des réalités. Voilà de quoi devraient parler les responsables politiques.

Les Français ne décernent pas le prix Nobel de littérature, ils achètent le livre de Zemmour qui leur parle du roman national. Et la droite, elle, n’a d’autre horizon à proposer que le retour d’un ancien président ou d’un ancien Premier ministre. N’est-ce pas la marque d’une culture du chef, d’un goût pour le leadership plutôt que pour le pluralisme ?

C’est la conséquence du romantisme que vous révérez et c’est pourquoi la compétition est plus un affrontement entre hommes qu’entre idées et projets. On attend tout du président de la République : qu’il soit un génie dans sa capacité à concevoir l’avenir, qu’il fasse preuve d’un courage extrême pour réaliser les réformes nécessaires et qu’il soit irréprochable au plan de la vertu. En somme, il devrait être à la fois un génie, un héros et un saint…

C’est ainsi, la Ve République a été taillée pour de Gaulle…

Pour moi, de Gaulle n’était ni un génie, ni un héros, ni un saint, mais un grand talent.

Vous êtes de mauvaise humeur ?  

Je ne fais pas si bon marché du génie. Il s’est aussi souvent trompé. Certes, le 18 juin, il a fait preuve d’un don prophétique en incarnant la minorité du caractère français qui refuse ce qui apparaît comme inévitable. La décentralisation était une bonne idée, toujours d’actualité.

Donc de De Gaulle, vous gardez 1940 et 1969, le début et la fin… et rien entre les deux ?

Il y a tout de même le redressement de la France, mais l’excès de centralisation, l’excès de concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, l’accent mis sur une seule personne, le refus de l’équilibre des pouvoirs, tout cela est devenu la dérive de nos institutions.

Comment expliquer que cet excès de pouvoir génère un sentiment général d’impuissance du politique – et peut-être pas seulement un sentiment ?

Le pouvoir en France aujourd’hui, c’est l’éléphantiasis ! À partir du moment où un seul homme accapare toute la substance du pays, il est encombré par cette accumulation et, finalement, promis à l’impuissance. Le président de la République française a plus de pouvoir que Louis XIV et que le président des États-Unis. On a oublié que les Grecs disaient qu’on est plus intelligents à plusieurs.

Vous ne croyez pas à la nécessité de l’incarnation ?

Je ne suis pas monarchiste. On a besoin de temps en temps de quelques personnalités hors du commun pour donner un élan, surtout dans des situations de crise, mais l’histoire n’a pas besoin d’être incarnée en permanence !

Quoi qu’il en soit, votre camp ou une partie de votre camp se dit encore gaulliste. Quel sens cela a-t-il ?

J’aimerais croire que ce qui reste du gaullisme, à droite, c’est l’esprit du discours du 18 juin 1940 : résister contre ce qu’on considère comme des fatalités. Être gaulliste, c’est se dire que rien, tant qu’on est vivant, n’est inéluctable. Ensuite, c’est l’esprit prophétique : ce qu’on demande à un bon politique, ce n’est pas d’être un bon gestionnaire mais de savoir lire dans le marc de café, de comprendre l’évolution des choses et d’éclairer l’avenir. C’est d’ailleurs pour cela qu’on avait besoin de De Gaulle en 1940 et aussi en 1969 : il avait le sens de l’avenir.

Admettons. Et aujourd’hui, de quoi ou de qui avons-nous besoin ?

Nous avons besoin d’un équilibre des pouvoirs, de checks and balances à l’anglo-saxonne, car le système actuel est fou ! Pour commencer, il faut un Parlement qui ne soit pas, comme c’est le cas aujourd’hui, une chambre d’enregistrement. Ensuite, il faut revenir sur la coïncidence des élections législatives et de la présidentielle, qui affaiblit encore un Parlement où la majorité ne tient en réalité sa légitimité que du président. Résultat, les élections législatives s’apparentent à un référendum pour ou contre le président de la République, qui est élu depuis trois semaines…

Cela est vrai dans un système bipartisan, mais ne sommes-nous pas entrés, avec le FN, dans l’ère du tripartisme ?

Non, je crois qu’on continue à être dans un système bipartisan et je ne crois pas au risque du Front national.

Que le FN soit ou non un « risque », il n’en représente pas moins une troisième force inscrite durablement dans la vie politique française sans pour autant être associée à un camp ou à l’autre…

Je pense que le Front national continue à exercer sa fonction de protestation, mais qu’il joue un rôle extrêmement réduit dans la politique française, contrairement à ce que suggère l’obsession médiatique.

Médiatique ? Manuel Valls n’a-t-il pas récemment déclaré que l’extrême droite était à nos portes ? Et toutes les forces politiques lorgnent sur l’électorat frontiste…

Je sais bien que le FN est instrumentalisé par la gauche pour contenir la droite.

Bref, que vous le vouliez ou non, la progression du FN modifie les positions et les stratégies des autres acteurs comme un corps céleste infléchit le mouvement des autres… 

Sans doute, mais ce n’est pas le Soleil non plus ! Dans la galaxie, tous les jours, il y a des étoiles qui meurent. Pour filer votre métaphore astronomique, je ne suis pas certain que le FN exerce une telle influence sur le mouvement de la Terre.

Près d’un quart de l’électorat serait attiré par une étoile mourante ?

Ce qui compte, c’est d’avoir des leviers de pouvoir. De quel levier de pouvoir dispose le Front national ? Aucun ! Et les Français veulent qu’il en soit ainsi, puisque lors des élections législatives ils pourraient voter pour le Front national, élire des députés Front national, et ils ne le font pas !

Vous savez très bien que c’est une question de mode de scrutin.

Je le sais d’autant plus que j’ai moi-même été élu en 1986, quand l’introduction de la proportionnelle par François Mitterrand a fait entrer une trentaine de députés frontistes à l’Assemblée. Ils n’ont eu aucune influence sur les politiques menées.

Cela ne vous gêne pas qu’une partie des électeurs soit condamnée à n’avoir aucune influence ?

À vous entendre, le FN ne manque pas d’influence.

Quoi qu’il en soit, à vous entendre, rien n’aurait changé en trente ans. Le FN est tout de même passé de 5 % à 20 ou 25 % des voix.

Le Front national ne prospère jamais aussi bien que sur les carences de la droite. Quand la droite n’est pas elle-même, quand elle n’est pas capable de supprimer les trente-cinq heures, de supprimer l’ISF, quand elle n’assume pas ses fondements et ses valeurs, alors, effectivement, une partie de son électorat s’égare.

Vous vous racontez de belles histoires ! Le vote FN n’a rien à voir avec ces deux questions…

Le Front national n’offre aucune politique sérieuse à la crise économique et sociale, et les Français le savent.

Enfin, vous savez bien que pour les électeurs frontistes et pour une bonne partie des vôtres, la maîtrise de l’immigration, la crise de l’intégration et l’insécurité sont bien plus importantes, et que c’est sur ces questions-là que beaucoup ont voté Nicolas Sarkozy en 2007, tandis qu’en 2012 ils ont voté Hollande ou sont allés à la pêche !

Soyons raisonnables. L’immigration est une question à l’échelle européenne, et comme beaucoup des Français, à commencer par le Front national, ne veulent pas que cette question soit traitée à l’échelle européenne, ils sont malvenus de se plaindre du résultat.

Un peu court, non ? Les promesses de Nicolas Sarkozy ne valent donc rien ?

C’est beaucoup plus difficile que ce qu’on imagine ! Nous sommes dans la mondialisation et nous ne reviendrons pas en arrière.

La facilité des déplacements fait exploser les frontières nationales et les disparités de développement créent une forte instabilité.

En attendant, beaucoup de citoyens pensent, et pas forcément à tort, que l’usine à gaz européenne est structurellement inefficace en matière d’immigration et que l’État ferait mieux en agissant dans un cadre bilatéral. Et Nicolas Sarkozy a déjà annoncé que, si jamais…, il demanderait la révision de Schengen.  

Je ne crois absolument pas que les États soient en mesure de maîtriser les flux migratoires. Je suis allé étudier la question aux États-Unis, où la lutte contre l’immigration clandestine en provenance du Mexique est loin d’être un succès malgré les moyens énormes dont dispose le gouvernement. Alors la France n’est pas près d’y arriver toute seule ! On peut faire de la démagogie, on sait bien que c’est impossible.

Nicolas Sarkozy appréciera. Faut-il alors dire aux Français : « Désolé, mais la France n’a plus le droit de choisir qui elle veut accueillir » ?  

Il faut toujours dire la vérité, sinon, ça vous revient à la figure. Une véritable politique migratoire consiste effectivement à agir pour que l’Europe, qui a accaparé cette compétence légalement, par les traités, l’exerce réellement.

Vous parlez de vérité. Mais on sait bien que, pour être élu, il faut tenir un certain type de discours, un peu national-républicain et volontariste, que l’on abandonne une fois élu – notre ami Philippe Cohen appelait cela « le bluff républicain ». Chirac a promis de lutter contre la fracture sociale, Hollande a déclaré « Mon ennemi, c’est la finance ! », et Sarkozy a annoncé qu’il passerait le Kärcher. Et, une fois au pouvoir, tous ont découvert que c’était « plus compliqué que ça ». 

Vous êtes en train de me dire qu’il faut mentir pour être élu ?

Un peu, oui…

Et après ça, vous m’expliquerez que les Français sont le peuple le plus intelligent de la terre, c’est amusant. Moi, je pense que la vérité dans le discours politique a de beaux jours devant elle et que notre peuple est capable de la comprendre. C’est ainsi qu’on aura une chance non seulement d’accéder au pouvoir mais d’y rester. Le mensonge se retourne toujours contre vous.

Un discours de vérité exige une certaine clarté, or l’UMP est une maison si vaste que seule une ligne floue – et l’espoir de gagner – permet de rassembler toutes les demeures qui la constituent. De même, on peut se demander ce qui distingue Florian Philippot des souverainistes anti-libéraux de l’UMP ?

Facile : aux élections, ils votent différemment. Ils ne votent pas pour le même candidat à la présidentielle, ils ne votent pas pour le même maire…, et c’est ça qui compte.

Donc ils pensent la même chose mais ne votent pas de la même manière ?

Ça, c’est vous qui le dites ! Moi, je juge les gens sur leurs actes, pas sur leurs pensées prétendues. Et je constate que ces personnes que vous comparez ne votent pas de la même manière. Ça fait une différence.

Ne serait-il pas plus clair et plus sain pour le débat public et pour nos institutions d’avoir deux droites, une plus nationale et une autre plus libérale ?

Non ! L’alternative n’est pas entre la droite qui court après la gauche et la droite qui court après le Front national ! Quand elle imagine que c’est la seule alternative, la droite cesse d’être elle-même, et c’est son drame. Je ne veux courir ni après le PS ni après le FN. Et je suis un homme de droite.

En êtes-vous sûr ?

Oui, je l’assume !

À cause de la liberté ?  

Précisément, ou plutôt de la préférence ultime pour la liberté : je me garderais d’accuser les gens de gauche de ne pas aimer la liberté, je pense qu’ils l’aiment un peu moins que l’égalité. Moi, c’est le contraire.

Savoir qu’en cas de conflit entre la liberté et l’égalité vous serez plutôt du côté de la liberté peut-il suffire à donner envie aux licenciés de Gad de voter pour vous ?

Les chômeurs de Josselin ne me demandent pas quel est l’ADN de la droite, ils me demandent de leur trouver du travail et ils le demandent à tous les politiques, de gauche ou de droite. Autrement dit, ils nous demandent d’avoir une politique capable de créer de l’emploi dans notre pays. Notre réponse est qu’il faut favoriser l’investissement, tandis que la gauche fait tout le contraire ! Et quand il n’y a pas d’investissement, il n’y a pas de croissance et il n’y a pas d’emploi.

Sauf que la politique menée depuis 1983 dans la « continuité » a radicalement échoué sur ce plan. Beaucoup, à droite et à gauche, pensent que c’est la mondialisation qui est en cause et posent aujourd’hui la question des frontières. Ne faudrait-il pas réfléchir à un « protectionnisme intelligent »… 

Je pense que le protectionnisme, pour notre pays en tout cas, n’est pas une réponse possible.

Mais ce n’est pas non plus possible au niveau européen car nous ne serons jamais tous d’accord…

L’Europe est ce que nous la faisons ! Et nous n’en faisons pas assez ! L’Europe n’est que l’alibi de notre lâcheté ! Parce que, quand la France et l’Allemagne se mettent d’accord, toute l’Europe les suit. Donc la France a les moyens, et elle l’a démontré tout au long de l’histoire, d’infléchir et d’orienter toute la politique européenne…

Donnez-nous un exemple d’un infléchissement obtenu par la France depuis 1993.

Sarkozy a réussi à renégocier le Traité constitutionnel européen qui était dans l’impasse. Il l’a voulu, il l’a réussi.

Vous voulez dire qu’il a réussi à contourner le vote négatif des Français ?

Oui.

Donc, en plus d’être gouvernés par des pouvoirs de plus en plus impuissants, les Français doivent accepter d’être dépouillés de leur souveraineté de citoyens ?

Cessez d’entretenir ces fantasmes ! Dites-leur les choses comme elles sont ! Vous rendez-vous compte que vous vivez dans un monde schizophrénique ? Vous me dites : « Tout cela est vrai. Mais peu importe puisque les gens pensent le contraire et que c’est cela qui compte ! » Non, ce qui compte, c’est la vérité ! Parce que si vous niez le réel, il vous saute à la figure !

Nous n’avons pas dit que « tout cela » était vrai, certainement pas ! Beaucoup de Français pensent que l’Europe ne les protège pas, au contraire, qu’elle les livre pieds et poings liés au capitalisme mondialisé. Et en même temps ils se sentent abandonnés par leur propre État.  

Mais sans la monnaie unique, pour prendre cet exemple, notre situation serait mille fois pire !

En somme, vous refusez de prendre les Français pour des cons, mais quand ils votent, vous dites qu’ils se trompent ?  

Oui, ils ont aussi parfois de mauvais bergers et la droite a des responsabilités lourdes dans la mesure où elle n’est pas capable de leur expliquer le fond des choses.

Donc, c’est un problème de pédagogie. Mais il ne s’agit pas de dossiers techniques. Le problème, c’est que nous avons quitté la rive de l’État-nation à l’ancienne, sans pour autant parvenir à la rive post-nationale. Du coup, l’Europe, structure politique quasi étatique sans nation pose donc un grave problème de légitimité.  

Oui, l’Europe souffre d’un déficit de légitimité, j’en conviens volontiers, mais parce que c’est une construction démocratique en devenir, et que le point auquel nous sommes est loin d’être satisfaisant. De même, le fonctionnement de la démocratie dans notre pays est loin d’être satisfaisant. Reste qu’il ne faut pas se raconter d’histoire : nous sommes au milieu du gué mais nous ne reviendrons jamais à l’État-nation des origines.

En attendant, dans le capitalisme global et financiarisé qu’on propose comme horizon radieux et inéluctable, les peuples ronchons, donc « populistes », ont le sentiment que le patron de Google ou de Total a plus de pouvoir que François Hollande. Ça ne vous pose pas de problème ? 

Mais tout pose des problèmes dans la vie ! Bien entendu que le capitalisme pose des problèmes ! La démocratie pose des problèmes ! Et moi aussi, je pose des problèmes ! Mon idéal n’est pas de créer un monde sans problème. Le problème n’est pas le capitalisme ni les actionnaires comme on le répète. Ce ne sont pas les actionnaires qui contrôlent le capitalisme, ce sont les dirigeants de sociétés, qui constituent un cercle extrêmement étroit et fermé qui pratique l’autosélection. Regardez comment on devient président de Paribas par exemple : monsieur Baudouin Prot a désigné son successeur. Le noyau dirigeant de toutes les grandes entreprises mondiales constitue un petit cénacle qui s’auto-reproduit par cooptations.

Mais la droite n’a pas peu contribué à créer ce cénacle, rappelons-nous seulement les « noyaux durs » de Balladur…

En réalité, ce n’est pas la droite ni la gauche, mais l’État, qui est responsable de notre plus grave échec. Cela fait des décennies que l’industrie vit sous l’autorité de la haute administration et que nous avons cessé d’avoir une politique industrielle. Il n’y a pas de capitalisme français, il y a simplement un système dans lequel un haut fonctionnaire débute sa carrière dans les cabinets ministériels et la poursuit dans le pantouflage. La plupart des grandes entreprises françaises du CAC 40 sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires. Il est logique que cette haute administration, incapable de concevoir une politique industrielle, ne soit pas toujours la meilleure pour diriger une entreprise.[/access]

*Photo : Hannah.

Alain Juppé, stratège imparfait

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alain juppe ump sarkozy

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La semaine dernière, nous expliquions pourquoi Nicolas Sarkozy avait sans doute eu tort de se porter candidat à la présidence de l’UMP. Nous ajoutions qu’Alain Juppé avait au moins le mérite d’avoir une stratégie depuis le début et s’y tenir. Mais cette stratégie n’est pas sans risques.

Comme François Fillon, le maire de Bordeaux ne croit plus dans la nécessité de diriger le parti dès lors qu’est prévue la fameuse primaire qu’il espère « la plus ouverte possible ». Ce mode de désignation du candidat de l’UMP à l’élection présidentielle a été stipulé dans les statuts de l’UMP votés sur la base de l’accord de paix Copé-Fillon. Depuis, Alain Juppé et François Fillon se sont assis sur ces statuts le jour où ils ont viré Copé, mais tiennent néanmoins encore à l’organisation de la primaire comme à la prunelle de leurs yeux. Ils ont ainsi dédaigné l’élection à la présidence de l’UMP reportant leurs espoirs sur la fameuse primaire ouverte. Nicolas Sarkozy, on le sait, n’est pas un fan de ce système. S’il avait maintenu son plan de départ, il aurait pu se présenter comme un candidat au-dessus des partis et estimer qu’il n’était pas tenu par cette compétition partisane. Etant finalement candidat à la présidence du mouvement, beaucoup de commentateurs ont estimé qu’il la briguait dans le seul but d’annuler la primaire ouverte. Or, sous la pression de Fillon et Juppé, mais aussi de son concurrent actuel Bruno Le Maire, qui s’était habilement présenté en garant de l’organisation de la primaire, il a été contraint, dès son deuxième ou troisième meeting, de convenir qu’elle aurait bien lieu, et qu’elle serait effectivement ouverte. Il faut croire que Juppé et Fillon n’en sont pas encore convaincus puisque l’un a encore rappelé sa volonté devant Nicolas Sarkozy à Bordeaux samedi, et qu’il s’est fait siffler à cette occasion, et que l’autre ne perd pas une occasion d’expliquer que si primaire ouverte il n’y a pas, il sera candidat au premier tour de l’élection présidentielle quoi qu’il arrive. Le député de Paris risque fort d’être freiné dans ses ardeurs par son fameux entretien avec Jean-Pierre Jouyet. Le doute ne lui bénéficie pas ; les électeurs de l’opposition risquent de ne pas lui pardonner cette visite à l’Elysée.

Le maire de Bordeaux, de toute évidence, ne croit pas Nicolas Sarkozy. Il pense que sitôtl’ancien président investi dans ses fonctions à la tête de l’UMP, ce dernier remettra en cause la grande ouverture de la primaire. Comment ? En 2011, le Parti socialiste n’avait exigé qu’une faible participation financière par électeur (1 ou 2 euros) pour couvrir les frais d’organisation et demandé à signer une charte des valeurs que tout le monde pouvait faire sienne, même n’étant pas vraiment de gauche. C’est sans doute sur ce modèle qu’Alain Juppé voudrait s’aligner. Nicolas Sarkozy pourrait demander à ce que la participation soit plus forte, et rédiger une charte des valeurs en bas de laquelle un électeur du gauche et même du centre refuserait d’apposer son paraphe. C’est là qu’Alain Juppé a sans doute fait quelques erreurs ces derniers temps. En accompagnant avec enthousiasme la « Juppémania de gauche », en laissant aux adhérents de l’UMP penser qu’il compte sur l’afflux d’électeurs socialistes pour gagner la primaire, il prend le risque de donner à Nicolas Sarkozy les arguments pour verrouiller la compétition. Les sifflets de Bordeaux étaient peut-être organisés par des émissaires sarkozystes (on parle du maire d’Arcachon), il n’en reste pas loin que la perspective, pour un adhérent de l’UMP, qui paye sa cotisation fort cher, de peser autant qu’un lecteur des Inrocks dans la désignation de son candidat à l’élection présidentielle, n’est pas très agréable, et risque fort de l’être de moins en moins. Alain Juppé aurait donc sans doute gagné à différer son interview à l’hebdomadaire gaucho-branché de quelques mois, une fois le principe de primaire largement ouverte acquise. C’est à se demander s’il ne s’est pas laisser griser par ses excellents sondages et sa prestation réussie sur France 2. Car cette erreur politique peut éventuellement lui coûter cher. Osera-t-il dans le cas d’une primaire verrouillée, aller à la candidature au premier tour ? Rien n’est moins sûr.

On avait vu que Nicolas Sarkozy faisait des fautes. Mais Alain Juppé en commet aussi. Le match n’est pas très beau. Il reste toujours aussi incertain.

Femen : le parquet de Strasbourg fera-t-il son devoir?

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femen strasbourg pape

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Alors comme ça, les Femen ont encore frappé. Profondément scandalisées, nous disent-elles, par la venue du Pape au Parlement de Strasbourg, ces jolies demoiselles téléguidées et financées par on ne sait qui, ont récidivé. Elles avaient commencé par une exhibition place Saint-Pierre en utilisant des crucifix comme sex toys. Cela avait fort contrarié un guide touristique ghanéen nommé «Caramba » qui était intervenu avec une certaine vigueur pour faire cesser le scandale. La photo de celui-ci transformé en héros a fait le tour du net.

Il y a eu ensuite le faux enlèvement d’un prêtre devant une église suivi d’un communiqué accompagné d’un film de l’agression précisant que le curé ne serait libéré que si le Pape annulait sa visite. Ce qui constitue une infraction pénale somme toute assez grave (5 ans de  prison, 45 000 € d’amende) n’a guère ému les autorités judiciaires françaises. On avait déjà une petite idée du point de vue de celles-ci après l’étonnante relaxe des activistes pour leur raid contre les nouvelles cloches de Notre-Dame, et la condamnation des vigiles qui avaient fait cesser le trouble et protégé les œuvres d’art.

Dernière provocation, agences de presse et chaînes de télévision ayant été dûment avisées au préalable, quelques nouvelles galipettes, vociférations, le tout comme d’habitude à moitié nue, sur le Grand Autel de la cathédrale de Strasbourg. Ah oui, mais dites, là le problème pourrait être différent. En Alsace, le blasphème est réprimé par la loi pénale. Depuis fort longtemps d’ailleurs. Contrairement à ce que l’on croit souvent, ces dispositions ont une origine française. Le concordat mis en place par Napoléon, fut conservé par les Allemands après 1870. La loi de 1905 qui y mis fin ne put être appliquée à l’Alsace qui était alors allemande… Ces dispositions furent maintenues après le retour à la France en 1919. L’article 166 du Code Pénal local réprime le blasphème et le 167 le trouble à l’exercice du culte.  Le tarif prévu n’est quand même pas négligeable, trois ans de prison maximum. Il est vrai que la jurisprudence n’est pas extraordinairement abondante, mais l’État, par la voix du ministre de l’Intérieur, en réponse à une question écrite parlementaire, en a récemment réaffirmé les principes.

Alors, le parquet du tribunal de grande instance de Strasbourg, devant ce trouble manifeste à l’ordre public et cette violation flagrante de la loi pénale, va-t-il faire son devoir ? Va-t-il au travers d’une enquête préliminaire établir la vérité des faits, et poursuivre ensuite par voie de citation directe ou par l’ouverture d’une information judiciaire ? Nous rentrons dans le mois de l’avent, si important en Alsace, mais ce n’est pas une raison pour croire au Père Noël.

Cela étant, il est possible d’interpeller le parquet afin de secouer sa probable inertie. Écartons tout de suite l’idée de plaintes déposées par des associations aux noms improbables, et spécialisées dans l’agitation. Ces structures dont le fonctionnement est en général proche de celui d’une secte, sont de véritables repoussoirs et il faut surtout éviter un affrontement communautariste du genre Femens contre Civitas. Non, les poursuites sont d’abord et avant tout de la responsabilité du ministère public qui est là pour ça. C’est lui qu’il faut saisir et il existe dans le Code de procédure pénale un article 40 qui fait obligation à tous les fonctionnaires (et les agents publics qui leur sont assimilés) de signaler au procureur de la république « les faits dont ils ont eu connaissance et susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

En Alsace, c’est pratique, les prêtres catholiques ont le statut de fonctionnaire. Mes Pères, à vos plumes…

Les élus alsaciens, à commencer par ceux de Strasbourg ont également ce devoir. Il y a aussi les parlementaires, tous les parlementaires. Hervé Mariton, Député de la Drôme a publié un tweet ainsi libellé : «Les #Femen blasphèment la cathédrale de Strasbourg. Stop aux provocations, @ChTaubira le droit sera-t-il appliqué ? ». Tout d’abord, on est quand même assez loin de la forme que requiert normalement un « signalement article 40 ». Ensuite, Monsieur le député je suppose qu’en bon chrétien vous appliquez l’adage qu’il vaut mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints. Et qu’en application du principe de l’unicité du parquet, vous savez que pour ses membres, Dieu c’est Christiane Taubira. Mais pour cette fois-ci je pense qu’il serait plus habile de s’adresser directement au procureur général du tribunal de grande instance de Strasbourg. Qui doit être rompu à la pratique du droit local. Et ce serait encore mieux si pouvaient se joindre à vous quelques-uns de vos collègues. Alors Messieurs, à vos stylos.

Il n’est évidemment pas question de demander que l’on applique aux Femens le traitement reçu par les Pussy Riots (même si parfois ça démange…). Il faut accepter que les mêmes causes ne produisent pas obligatoirement les mêmes effets. Mais il sera intéressant de recueillir les explications des magistrats sur leur probable inertie vis-à-vis de ce groupuscule douteux, et sur l’impunité dont il fait l’objet. Le mécréant que je suis, confesse quant à lui être motivé par le péché de gourmandise devant le spectacle prévisible des contorsions des autorités judiciaires.

 *Photo : Christian Lutz/AP/SIPA. AP21657986_000001. 

Osez le féminisme : aujourd’hui, le féminicide

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feminicide osez feminisme

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Osez le féminisme ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnaît. C’est à peu près ainsi que se terminait mon précédent billet. Mais je n’avais pas tout vu.

Voici que le même groupuscule d’activistes obsédées par le Père et la paire propose désormais, sous la plume d’une certaine Aude Lorriaux, d’ajouter au Code pénal, qui est déjà assez complexe, le crime de « féminicide » — une revendication majeure de cette association de punaises. Ce serait une circonstance aggravante que de tuer une femme. Après le « masculinisme », un néologisme supplémentaire est né du cerveau fertile mais dérangé des féministes déjantées.

Ou incultes. Probablement se trompent-elles sur l’étymologie du mot « homicide ». « Homo », c’est l’être humain — homme ou femme. « Homicide », cela suffit. Sans doute les féministes d’Osez le féminisme pensent-elles qu’« homo » renvoie à « homme » — après tout, certains élèves encore jeunes ne croient-ils pas qu’un homicide, c’est le meurtre d’un homosexuel… Pareil pour « homo sapiens » : va falloir inventer, les filles ! Femina sapiens ? Surtout que, comme me le souffle une amie, ça doit vous agacer que la sapience soit attribuée aux hommes — ou aux homos ? Peut-être faudrait-il les renvoyer en classe ?

La loi répertorie d’ailleurs bon nombre de circonstances aggravantes, dans l’article 221-4 du Code pénal. Je signale particulièrement le 4 bis à l’auteur (non, pas de e à auteur ! On peut aimer les femmes et la langue ! Il vaut mieux, même), où le meurtre d’un(e) conjoint(e) est une circonstance aggravante.
Mais ces crétines bornées veulent faire rajouter « sexe » au paragraphe 6 (« À raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée »). Ce qui mettrait les juges dans des situations complexes, et enfreindrait l’un des principes les plus solides du Code, l’égalité devant la loi : on serait mieux servi si l’on est une femme qu’un homme ? Allons donc !
Mais j’argumente en vain contre des gens qui n’ont pas un atome de raison.

Qu’on me comprenne bien. J’ai participé, dans les années 70, aux activités du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), j’ai milité avec certaines « Gouines rouges », cette excroissance du MLF version Marx, j’exalte en classe la Marquise de Merteuil, « née pour venger [s]on sexe », je n’ai de reproches ni de conseils à recevoir de personne en fait de féminisme. Et j’aime les femmes — je les aime assez pour ne pas supporter qu’un quarteron d’hystériques les dégrade collectivement à mes yeux. Amies, révoltez-vous : Osez le féminisme dégrade les femmes, les avilit, les consigne dans des revendications imbéciles et des postures tout aussi contraignantes que maman et putain, et les dresse contre les hommes, en croyant les libérer. Oui, révoltez-vous — ou ne vous étonnez plus des discours misogynes et des comportements-limites. « Les hommes auteurs de vos maux », disait Laclos. Eh bien aujourd’hui, ce sont les femmes qui sont les plus grands ennemis des femmes. Enfin, certaines.

Cela dit, je suis assez favorable à un délit de « féminicide » au sens de « ce qui porte atteinte à la féminité ». Les mutilations génitales communautaristes, excusées par les belles âmes, ou le port du voile, désormais autorisé par Najat Vallaud-Belkacem pour escorter les élèves dans le cadre des sorties scolaires. Entre autres exemples.
Ah bon ? Osez le féminisme n’y a pas pensé ? Faudrait-il penser pour elles ?

Rien à sauver chez Ruquier

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Quelques célébrités se demandaient durant l’émission « On n’est pas couché » pourquoi tant de jeunes Français quittaient leur beau pays pour des lieux moins engageants comme la Syrie ou l’Irak. D’autres voulaient savoir pourquoi les forces du mal , c’est-à-dire le  Front national, progressaient à une telle allure chez les étudiants. « C’est une énigme « , clamait l’une.  » Un désastre « , surenchérissait une autre. Bien évidemment, cela n’a aucun rapport avec l’islam, religion si paisible, et moins encore avec l’immigration. « Sans doute, les réseaux sociaux », intervenait une troisième.  La réponse était pourtant simple : à force de regarder Ruquier le samedi soir, l’envie vous prend d’être ailleurs, hors du monde, même en enfer. Tout, mais pas ça !

Ce festival d’hypocrisie et de bienpensance, cette lobotomisation hebdomadaire sur des thèmes récurrents comme le mariage pour tous, les vilenies de Zemmour ou la défense des trente-cinq heures finissent par nous donner l’impression d’être dans un bocal de  formol dont il convient de s’échapper au plus vite, d’autant que la promiscuité avec le preux chevalier blanc, Aymeric Caron, peut facilement vous conduire à l’échafaud.

Si j’ai bien compris, au départ « On n’est pas couché » signifiait qu’on ne se couchait pas face aux idéologies dominantes et aux hommes qui les incarnaient. Aujourd’hui, on ne fait plus que cela. C’est ce qu’on appelle vieillir. Chaque invité, enfermé dans sa propre mort, affirme en rigolant que « ça va ». Ceux qui sont un peu plus malins ou un peu plus lucides prennent la fuite : tout, mais pas ça. Pour les autres, pas grand-chose à retenir, sinon que Kev Adams fait rire les adolescents, que Michel Boujenah aime les nichons, que Léa Salamé sera sans doute la femme de l’année, qu’Aymeric Caron a cassé sa chaise et que le centre a un nouveau leader, Jean-Christophe Lagarde, aussi insignifiant que son prédécesseur, Jean-Louis Borloo, pouvait être drôle.

Même avec la meilleure volonté du monde, rien à sauver chez Ruquier. Comme dit un de mes amis, l’actualité, quelle belle invention, elle permet de se foutre de tout !

Maxime Tandonnet : «Le pouvoir a les pieds et les mains liés»

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maxime tandonnet sarkozy

maxime tandonnet sarkozy

Haut fonctionnaire, ancien élève de l’ENA, Maxime Tandonnet a été conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur (2005-2007) et à l’Élysée (2007-2011). Il est l’auteur de nombreux livres sur l’immigration, mais aussi d’une histoire des présidents de la République. Son dernier ouvrage, Au cœur du volcan. Carnets de l’Élysée 2007-2012, a été publié chez Flammarion en septembre 2014.

Gil Mihaely : En 2007, beaucoup d’électeurs du FN ont voté Nicolas Sarkozy au deuxième tour parce qu’ils attendaient de lui une politique « ferme » sur l’immigration et la sécurité. Entre 2007 et 2011, vous étiez conseiller spécial auprès de lui, en charge de ces deux questions. Avez-vous tenu les promesses du candidat ?

Maxime Tandonnet : Pas à tout à fait. Le sujet des migrations est en grande partie internationalisé : un gouvernement n’est pas complètement souverain. La France seule peut décider de certaines choses, mais pas de tout. Une grande partie du traitement de l’immigration relève de conventions internationales et des jurisprudences des tribunaux.

Le terme « immigration » véhicule aujourd’hui toutes sortes de fantasmes. Que désigne-t-il précisément pour l’État ?

Tout d’abord, il faut se garder des polémiques et s’en tenir aux faits. L’immigration concerne le flux des nouveaux arrivants, c’est-à-dire, depuis l’an 2000, à peu près 180 000 entrées légales par an en moyenne (dont 60 000 étudiants, 80 000 pour motif familial, 10 000 réfugiés politiques et 10 000 visas de travail) ainsi que des migrants en situation irrégulière dont on estime le nombre à partir de l’AME, aide médicale d’État, à 200 000 à 300 000 (chiffre total et non pas en termes de flux annuel). Sur une longue période historique, l’immigration est un atout et un enrichissement démographique et économique.[access capability= »lire_inedits »] En revanche, quand le flux migratoire excède les capacités d’accueil du pays, notamment sur le marché du travail ou celui du logement, des difficultés apparaissent. Quand il n’y a pas d’emploi pour certains des nouveaux arrivants en période de fort chômage, cela peut favoriser l’exclusion et fragiliser la cohésion sociale. C’est pourquoi il faut maîtriser, organiser l’immigration, tout en restant un pays ouvert.

Très bien, vous avez prononcé tous les mots-clefs. Et il est bon que la neutralité du langage administratif évacue les affects des représentations individuelles. Reste que si, dans le long terme, l’immigration, nous dites-vous, est un enrichissement, beaucoup de nos concitoyens semblent se dire que, dans le long terme, nous serons tous morts, et ils ont d’autant plus tendance à voir les problèmes, plus que l’enrichissement, que les inquiétudes identitaires s’ajoutent aux tensions économiques et sociales que vous évoquez. Quels peuvent être les objectifs d’un gouvernement en ce domaine ?

La mission principale que m’a confiée Nicolas Sarkozy était de développer une politique de gestion des flux migratoires avec les pays d’origine, en même temps qu’un « pacte européen pour l’immigration et l’asile ». J’ai donc travaillé avec le ministère de l’Immigration et les partenaires européens, mais aussi avec des pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons négocié, bilatéralement, les accords de politique migratoire qui sont en vigueur aujourd’hui avec une quinzaine de pays, comme le Gabon et le Sénégal.

Au-delà de l’internationalisation et de la judiciarisation, qui privent le gouvernement français d’une partie de sa marge de manœuvre dans le domaine de l’immigration, vous avez affronté de nombreux autres obstacles sur votre route. Rappelons-nous la polémique provoquée par l’un des premiers projets de Sarkozy, les tests ADN – je revois Carla Bruni s’indignant lors d’un grand raout de la gauche…

Oui, et je ne cache pas ma responsabilité personnelle dans cette affaire. L’idée était d’adapter une législation sur l’immigration pour faire comme les États-Unis, le Canada et les pays européens : permettre sous certaines conditions à une personne qui ne peut pas démontrer par des documents d’état civil qu’elle a un lien de parenté avec une autre personne – par exemple pour faire venir ses enfants dans le cadre du regroupement familial – de faire des tests ADN sur une base volontaire. Mais nous avions sous-estimé la réaction passionnelle que cette mesure mal expliquée pouvait susciter dans la conscience collective…  C’était une erreur. Cet incident incarne parfaitement la très grande complexité de l’action politique…

Le président Sarkozy, pourtant tout juste élu et encore assez populaire, a finalement décidé de renoncer à cette mesure…

Le tollé était disproportionné par rapport à l’intérêt de la mesure. Ce n’était pas si simple de revenir en arrière, car le projet était déjà dans les tuyaux. Mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut…

La pression des médias et de l’opinion n’est pas seule en cause. Le plus choquant, ou au moins surprenant, c’est peut-être la résistance administrative. Dans votre livre, vous racontez que Nicolas Sarkozy voulait réformer le fonctionnement des consulats de France, qui octroient les visas. Le président avait demandé d’organiser une réunion sur le sujet. Et sa demande a tout simplement été ignorée… Ce qui révèle un léger dysfonctionnement institutionnel, non ?

Tout à fait, c’est une chose qui m’a aussi choqué. Le président de la République s’occupe d’une multitude de sujets en même temps, et il ne peut donc pas avoir à l’esprit tous les dossiers. À cette époque-là, j’ai eu l’impression que l’administration n’appliquait pas ses instructions. Il faut savoir qu’à l’Élysée il n’y a pas de cellule de suivi de décisions, c’est tout l’entourage du président qui s’en charge, et il est du devoir de tout le monde de réagir… ou pas… Parfois, on prend des notes et on fait des comptes rendus de réunion, mais ce n’est pas systématique, car cette pratique n’est pas dans l’esprit de l’institution. C’est à Matignon que l’on rédige des comptes rendus officiels des mesures. Un puissant organisme, le secrétariat général du gouvernement, assure cette mission fondamentale. Cela traduit un caractère profond de nos institutions : l’Élysée n’est pas normalement le lieu où l’on gouverne au quotidien. On y fixe le cadre, les grandes orientations, pas plus. Mais, depuis une quinzaine d’années, l’Élysée est devenu, sans en avoir les moyens, le centre de gouvernement à la place de Matignon. Autrement dit, on essaye de gouverner la France depuis l’Élysée. C’était déjà ainsi pendant le second mandat de Chirac, c’était comme cela avec Sarkozy, c’est encore le cas avec Hollande.

Êtes-vous en train de dire qu’on ne sait pas qui dirige la France ?

Je dis qu’il y a une ambiguïté dans le mode de fonctionnement du pouvoir. Normalement, c’était l’Élysée qui fixait la ligne en matière d’immigration. Elle était claire : on est ouvert à l’immigration régulière mais on ne peut pas accueillir tout le monde, surtout avec un taux de chômage considérable, et il faut lutter contre l’immigration illégale. Ensuite, ce devait être à Matignon de mettre en œuvre ces grands principes. Cela n’a pas été le cas. On vivait dans une confusion des genres permanente.

Est-ce cette « ambiguïté » dans le fonctionnement du pouvoir qui crée un sentiment général d’impuissance ?

Je pense qu’elle y contribue beaucoup. Le président a pour mission d’incarner la nation, il représente en principe la communauté nationale, l’unité du pays, et doit rester « au-dessus de la mêlée ». Au quotidien, c’est au Premier ministre, sous le contrôle du Parlement, qu’échoit la mission – plus ingrate – d’adopter des mesures nécessaires, mais souvent douloureuses. La confusion de ces missions respectives peut compromettre la capacité même d’agir. En outre, en période de crise, une surexposition médiatique du chef de l’État entraîne de graves phénomènes de rejet et d’impopularité.

D’où le rôle de fusible conféré au Premier ministre. Mais l’interventionnisme de Nicolas Sarkozy et, plus généralement, sa personnalité, ne sont-ils pas la principale cause de ces ambiguïtés ?

Pas uniquement. C’est un problème beaucoup plus profond. Le quinquennat a beaucoup joué. J’ai vu cette sorte d’amalgame entre le rôle de chef de l’État et celui de chef du gouvernement se mettre en place sous mes yeux. Il faudrait revenir à une pratique plus « Ve République ». En revanche, je ne crois pas à la formule d’un « président chef de parti », raison pour laquelle je suis totalement opposé au système des primaires, où le parti choisit son futur candidat. Le président doit rester l’homme de la nation.

Quel est le problème, alors ?

Nicolas Sarkozy a été un président très actif, volontariste, animé par une profonde envie de changer les choses, mais il s’est heurté à de multiples obstacles : la force d’inertie dans les ministères, le poids des jurisprudences… Le Conseil constitutionnel et les tribunaux suprêmes européens ont un pouvoir considérable sur les politiques. Pour prendre un exemple cité dans mon livre, il était prévu qu’un criminel très dangereux qui a de fortes chances de récidiver soit maintenu en rétention après avoir purgé sa peine.

Mesure qui peut effectivement être jugée contestable…

Sans doute, mais n’est-ce pas une prérogative du pouvoir exécutif ? On n’a pas pu le faire comme on voulait, car le Conseil constitutionnel a estimé que c’était contraire à sa jurisprudence. Il faut savoir que le Conseil constitutionnel censure la moitié des lois, y compris celles du gouvernement actuel. C’est énorme quand on y réfléchit ! Cela pose un problème au regard de la légitimité démocratique d’un Parlement élu au suffrage universel.

Sommes-nous gouvernés par des juges ?

Je ne le dirais pas comme ça, mais il est certain que les jurisprudences des cours suprêmes ont un poids croissant dans la vie publique. D’autres contraintes ont joué aussi. Nous voulions faire beaucoup plus pour les banlieues, mais l’argent manquait. La décentralisation a aussi contribué à saper nos décisions : on a donné beaucoup de pouvoir aux collectivités locales, et quand l’État a supprimé un fonctionnaire sur deux, elles ont recréé autant de postes de fonctionnaires… Bref, le manque d’efficacité de l’autorité du pouvoir central est l’un des grands problèmes de notre République.

Sarkozy hier, Hollande aujourd’hui, qui que ce soit demain – tous les présidents se heurtent aux mêmes écueils…

Absolument ! J’en suis persuadé. Je ne dis pas que l’on peut tout changer d’un seul coup, mais il faudrait redonner des marges de manœuvre, même restreintes, pour permettre aux pouvoirs politiques d’agir. Comment se fait-il que face au chômage de masse, qui existe depuis environ 1980, on n’ait jamais réussi à trouver de solution ? Cela s’aggrave continuellement, les gens sont découragés et ne croient plus au politique. Il faut rejeter toute forme de démagogie. Je ne crois pas aux solutions miracles et à la poudre de perlimpinpin, mais à un travail sérieux et de longue haleine pour recouvrer peu à peu des marges d’action et d’efficacité.

D’accord, mais en attendant, comment peut-on gouverner la France ?

Autrefois, même les gouvernements de la IIIe et de la IVe République, malgré une instabilité chronique, fonctionnaient mieux : des décisions ressortaient du chaos apparent ! Aujourd’hui, derrière les attributs de la puissance, le pouvoir en France a les pieds et les mains liés. Il faut revenir aux bases de la Ve République, avec un président qui préside et un gouvernement qui gouverne. C’est la leçon que je tire de mon passage à l’Élysée.[/access]

*Photo : Hannah.

Dans la tête d’un djihadiste

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djihad etat islamique

djihad etat islamique

Face aux interrogations et au désarroi suscités par la multiplication des « vocations » djihadistes à partir du territoire français et ce, indépendamment de la culture d’origine, de l’environnement religieux, de la géographie du recrutement, du  milieu social et du cursus scolaire, la psychanalyse aurait-elle quelque chose à dire afin d’éclairer les processus inconscients par lesquels un homme ou une femme s’engage dans ce voyage « sans retour » ?

Posons, pour ne pas nous écarter de la doxa, la question du double inconvénient épistémologique : comment appréhender l’analyse du djihadiste in absentia ? Pire : à l’absence de sa demande se substitue celle du système politique. La psychanalyse appliquée se risquera-t-elle à en devenir le supplétif ? La psychologie des profondeurs possède néanmoins un avantage décisif pour s’autoriser d’elle-même à enquêter : le travail analytique porte sur la réalité psychique et, en conséquence, traite d’égal à égal fantasme et réalité. Abordons notre démarche par deux propos liminaires.

En 2003, des sociologues ont relevé un phénomène de conversions d’environ cinq mille danoises à l’Islam, chiffre en augmentation constante chaque année[1. Courrier international n° 658, juin 2003.]. Dans cette étude qui leur était consacrée, les spécialistes expliquaient le choix religieux des intéressées par l’attention portée aux « règles en matière de morale, d’alimentation et de relations entre l’homme et la femme ». Loin de dévaloriser la foi de ces nouveaux musulmans, des enquêtes complémentaires montraient un attachement essentiel de ces derniers aux rites perçus comme une « pratique visible », leur sentiment de vivre, avec les « devoirs », une religion plus « physique » et la satisfaction d’être intégrée « dans une communauté »

La seconde illustration provient de l’activité professionnelle de l’auteur, à l’époque en supervision analytique au Liban : une amie vint un jour en consultation avec un jeune adolescent d’une quinzaine d’années, habitant Haret Hreik, fief du Hezbollah situé dans la banlieue sud de Beyrouth. Ce jeune avait directement assisté à la mort de son ami le plus proche et du même âge, ami mortellement fauché par une voiture. Traumatisé, réfugié dans un deuil mortifère, il s’enfermait dans sa chambre. Chaque jour, il allumait rituellement des bougies à la mémoire du défunt. Après une séance et, malgré son intention déclarée de revenir, il disparut. L’on m’informa quelques temps après qu’il avait été « pris en charge » par une unité combattante de la milice chiite libanaise et que son « engagement au martyre » lui permettrait sans doute de trouver une « issue » à sa dépression mélancolique.

Quelle différence entre ces femmes danoises converties, ce jeune de la banlieue sud de Beyrouth et les apprentis djihadistes français ? Du seul point de vue qui nous préoccupe, les mécanismes psychiques de l’inconscient, pratiquement aucune. Expliquons-nous. L’islam ici n’est pas en cause : n’importe quel système de pensée jusqu’au-boutiste, religieux ou philosophique, n’importe quelle idéologie radicale dotée d’un appareil prosélyte performant ferait l’affaire. Seuls nous intéressent les arcanes conjoints et crescendo entre processus psychique et cheminement individuel : affaiblissement du « moi », voire effondrement de celui-ci sous l’effet d’une dévalorisation induite par « l’idéal du moi », recherche extérieure d’un étayage structurant et salvateur, évanouissement progressif de la personnalité consciente au profit d’un groupe, sentiment d’invincibilité de l’individu en foule, résurgence pulsionnelle des instincts cruels et destructeurs.

Instance intrapsychique autonome, « l’idéal du moi » sert de référence au « moi » afin d’apprécier ses réalisations effectives. Ces finalités oscillent entre idéaux collectifs à atteindre tels qu’Ernest Renan a pu, par exemple, les définir dans sa célèbre conférence de 1882 en Sorbonne « Qu’est-ce qu’une nation ? » et modèle narcissique nourri des identifications infantiles auquel le sujet doit se conformer. Celui ou celle qui éprouve une vacuité de son existence, un déficit identitaire ou une carence affective sans perspective de rémission, en conçoit un sentiment d’infériorité : au point de se soumettre à un leader et de remplacer son « idéal du moi » déficient par une personnalité étrangère, a fortiori charismatique, ou par un corpus idéel contraignant.

La particularité de cet « idéal du moi » réside en outre dans son étroite corrélation avec le surmoi, instance interdictrice, autoritaire, sinon tyrannique. L’être humain en recherche de ce soutien psychiquement structurant l’explique parfois par « le besoin que quelque chose se passe dans le réel » : besoin d’ordre imposé de l’extérieur face à son propre « vécu désordonné » et besoin de justice à même de le rétablir dans « son bon droit », accompagnent ce passage.

Outre le recours, défense de type maniaque, aux rituels initiatiques –le cérémonial d’intégration–  ou sacrificiels –l’assassinat collégial ou l’attentat suicidaire–  qui la sous-tendent, cette aspiration à l’organisation stricto sensu comprend, en relation avec l’autorité surmoïque, un besoin de punition : besoin décliné par d’autres analystes, en termes « d’expiation », de « réparation » et de « pardon »[2. Guy Rosolato, Le sacrifice, Repères psychanalytiques, PUF, 1987.]. À ce titre, la perspective de mourir, tout comme celle d’être stigmatisé ou honni, loin de briser l’élan, galvanisent ce franchissement : elles en constituent même la principale articulation inconsciente. Si certains criminels ne passent à l’acte que pour mieux donner corps à leur sentiment de culpabilité, l’acte d’engagement pour le djihad et ses accomplissements subséquents ont aussi lieu pour que « la pulsion elle-même trouve sa limite »[3. Jean Laplanche, « Réparation et rétributions pénales », Le Primat de l’autre en psychanalyse, Champs Flammarion n° 390, 1997, p. 173.]. Il est donc vain de croire qu’une action préventive insistant rationnellement sur ces deux éléments serait à même de toucher et d’éveiller la conscience de ceux ou de celles qui l’adoptent.

Nous retrouvons in fine les principaux mécanismes décrits par Freud dans sa Psychologie des foules et analyse du moi[4. Œuvres complètes, tome XVI, Paris, PUF, 1995, pp.1-84.] : en premier lieu, « l’évanouissement de la personnalité consciente » et la prédominance de la personnalité inconsciente où le « moi individuel » s’abolit au profit du « moi collectif ». Le changement de nom consacre cette mutation identitaire et enregistre la nouvelle appartenance. L’orientation, ensuite, par « voie de suggestion » et la « contagion des sentiments et des idées » dans le même sens. Et ce, au moyen de l’affect idéologique ou religieux, une « force permettant à la foule de garder sa consistance ». La tendance à transformer immédiatement en actions les idées suggérées car la mise en acte, par surcroît médiatisée, renforce le sentiment de puissance invincible de l’individu en foule : elle fait disparaître ses inhibitions au profit d’une résurgence de ses pulsions destructrices et archaïques. Et Freud de rappeler : « l’individu, seul, se sent incomplet ».

C’était Meddeb

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meddeb islam tunisie

meddeb islam tunisie

Depuis 1997, l’écrivain et essayiste franco-tunisien Abdelwahab Meddeb animait l’émission Cultures d’Islam sur France Culture. Il est décédé brutalement le 6 novembre dernier. À mon sens, un hommage doit lui être rendu comme faisant partie des rares à notre époque qui, sans jamais renier ce qu’ils sont et d’où ils viennent, éprouvent une grande admiration et un profond respect pour des cultures étrangères aux leurs. Ils montrent ainsi que si un semblant de communion devait un jour advenir entre les peuples, celle-ci ne pourrait émaner que de la volonté partagée de s’élever dans l’effort et la connaissance universelle. Meddeb était bel et bien de ceux-là.

Élevé en Tunisie dans l’apprentissage du Coran, il se passionna adolescent pour la littérature française. À la fin des années 70, après quelques années d’études supérieures dans la Tunisie montante de Bourguiba, il vint compléter sa formation en lettres à la Sorbonne. Il se mit ensuite à la poésie et s’employa par ailleurs à promouvoir la diffusion des œuvres arabo-musulmanes au sein des éditions Sindbad dont il fut un temps directeur de collection. Ayant fait sa thèse de doctorat sur la notion de « double généalogie » qu’il vivait lui-même au quotidien, il témoignait par là d’un constant souci de dialogue entre les cultures. Pas le « dialogue » des chantres d’un multiculturalisme échevelé et angélique, celui d’une communion dans le travail de l’esprit. Celui d’œuvres unifiantes parce qu’édifiantes, non celui de la « tolérance » doucereuse qui, contrairement à ce qu’on en dit, n’invite pas au dialogue mais au fatras stérilisé des monologues. Il devint par la suite professeur de littérature comparée à l’Université de Nanterre. Abdelwahab Meddeb a en outre fondé la revue Dédale en 1995 ; son livre le plus célèbre demeure à coup sûr La maladie de l’islam, paru au Seuil en 2002 (Prix François-Mauriac).

Dans son entreprise communicationnelle, Meddeb a fatalement cherché des points de rencontre. Pour ce faire, il a remonté le temps pour convoquer ce que le jargon de la philosophie politique appelle du nom d’Anciens : les Grecs, les Latins et les auteurs chrétiens d’un côté, la philosophie arabo-musulmane et le soufisme de l’autre. C’est dans un commun héritage qu’il convenait de chercher des éléments de concorde, plus que dans les vicissitudes du temps présent. Meddeb n’en demeurait pas moins attentif à l’actualité politique au Maghreb, en Tunisie en particulier (ces jours-ci en plein dénouement électoral qu’il n’aurait d’ailleurs pas manqué de commenter. Ses émissions s’appuyaient d’ailleurs, tantôt sur la situation fluctuante des pays musulmans et ce que l’on a un temps appelé « Printemps arabes », tantôt sur des lectures ou relectures de grandes œuvres oubliées, mais toujours en ménageant des ponts entre cultures en vis-à-vis. Les apories de l’islam moderne, le monde berbère, l’expulsion des Morisques, la dynastie des Ommeyyades, la poésie d’Al-Andalus, etc. De l’Hégire à la Révolution de Jasmin et du Maroc à Téhéran en passant (souvent) par Cordoue, Abdelwahab Meddeb a suscité l’intérêt croissant de nombreux auditeurs lors d’entretiens passionnés et passionnants. Et s’il lui arrivait de temps en temps de couper la parole à ses invités, c’était toujours dans l’exaltation d’apprendre d’eux quelque chose, ou celle d’offrir de l’inédit à ses auditeurs, faisant de sa voix la leur.

Je me souviens notamment des émissions enregistrées en 2012 et 2013 avec le philosophe Philippe Vallat à l’occasion de son travail de traduction de certaines des œuvres du grand penseur persan Al Farabi (IX -Xe siècles). Il était alors évoqué en quoi Farabi s’était approprié la philosophie politique de Platon au point de sembler parfois y voir des Lois mieux affermies que dans le Coran ! C’est que déjà importait pour certains – en terre d’islam et ailleurs – l’exercice de la raison dépris de la révélation, ne fût-ce que pour une poignée. Si ce que nous appelons les « Lumières musulmanes » le furent davantage par l’accès au savoir que par une réelle volonté de diffuser celui-ci largement, pour autant elles témoignèrent assurément d’un grand intérêt pour la philosophie grecque. À tel point qu’un philosophe comme Leo Strauss a vu en Farabi l’un des plus grands disciples de Platon. Averroès, lui aussi, revenait périodiquement dans les entretiens menés par Meddeb, ainsi que l’historien tunisois Ibn Khaldoun (XIVe siècle), auquel il avait consacré tout une émission en septembre dernier, peu après s’être interrogé sur ce que l’islam devait aux Grecs. En sens inverse, Meddeb fut de ceux qui voient entre Dante et son devancier Ibn Arabi un lien consubstantiel.

Bien sûr, quand l’actualité nous abreuve des horreurs perpétrées au nom d’Allah – et quand on sait la prégnance des images à notre époque –, il peut sembler incongru de focaliser l’attention sur des penseurs du Moyen Âge, renvoyant eux-mêmes à nos racines grecques que l’on ne songe plus guère à exhumer, pas même à l’égard de la démocratie. Toutefois, Cultures d’islam était l’une des rares programmations du service public à être résolument tournée vers la compréhension d’un monde complexe, de son histoire, de ses paradoxes, de ses conquêtes et de ses impasses, de ses grandes figures philosophiques, scientifiques, théologiques également. C’est à travers tant de siècles sondés que se justifie l’Islam comme civilisation, même si les trésors qu’il recèle ne l’exonèrent pas de ses crimes. Invitant à la découverte dépassionnée des choses, Meddeb assumait tout, la mystique, les mœurs et l’architecture, la violence, l’obscurantisme et les relations conflictuelles avec l’Occident. Son regard pétillant trahissait chez lui comme un besoin vital d’aller au fond des choses, d’en pénétrer la complexité et de les partager avec un public devenu fidèle.

En ce qu’il faisait de sa double culture l’occasion d’une exigence ontologique, Abdelwahab Meddeb ne disconvenait ni de l’orgueil occidental, ni du ressentiment musulman. Il savait dans quelle mesure l’Occident peut servir tantôt d’exemple à suivre, tantôt d’écueil à éviter. Il savait aussi combien il est difficile pour un ensemble civilisationnel d’avoir dans le même temps à préserver son être et à entreprendre une sérieuse introspection. Son regard comptait donc doublement. Il manquera assurément.

 *Photo : IBO/SIPA. 00612319_000005. 

Osez le féminisme : la polémique sur Gone Girl

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gone girl osez feminisme

gone girl osez feminisme

Les féministes sont folles. Et incultes. Et elles font du tort au féminisme. Enfin, peut-être pas toutes. Mais en tout cas, celles d’Osez le féminisme, qui sous la plume de Justine Le Moult et d’Amanda Postel, se sont fendues d’une longue diatribe contre Gone Girl, l’excellent film de David Fincher (l’homme qui entre autres fit Seven, cette histoire un peu noire où Brad Pitt était constamment surclassé par Morgan Freeman), et surtout contre son scénario, tiré du roman à succès de Gillian Flynn — qui l’a adapté elle-même pour l’écran.

Et les féministes françaises ne sont pas les seules à s’insurger. Dans leHerald (en fait, l’International New York Times[1. Le même numéro du Herald m’apprend la mort de Mike Nichols, l’inoubliable metteur en scène de Qui a peur de Virginia Woolf (la plus extraordinaire pub pour le whisky jamais réalisée) et du Lauréat, entre autres. Times goes by.] du 21 novembre, le seul quotidien qui trouve grâce à mes yeux, Gillian Flynn, longuement interviewée, avoue que sous le poids des critiques contre son livre, « pendant 24 heures je me suis blottie sous ma couette, dans le genre « J’ai tué le féminisme. Pourquoi, mais pourquoi ??? Mince. J’voulais pas » — et puis je me suis à nouveau sentie tout à fait à l’aise avec ce que j’avais écrit. » Et d’ajouter : « Bien sûr que mon livre n’est pas misogyne ! Qu’attendez-vous ? Des femmes réduites à leurs rôles de mères dévouées bien gentilles ? Mon but, depuis toujours, a été de montrer la face sombre des nanas. »

Sur ce thriller auquel la presse a trouvé d’admirables accents à la Patricia Highsmith (autre écrivain de génie spécialisée dans les personnages dérangeants, masculins ou féminins), et qui s’est trouvé classé n°1 des bestsellers américains (plus de 2 millions d’exemplaires vendus), David Fincher a élaboré un film d’une grande efficacité, où l’on ne s’ennuie pas une seconde, où les médias et l’hystérie américaine jouent un rôle central, et dont je ne regrette que Ben Affleck, qui joue avec deux expressions faciales, pas une de plus — mais il les distribue à bon escient. Quant à Rosamund Pike, elle est tout simplement parfaite en petite amie modèle, épouse idéale, amoureuse de charme, intelligente à n’en plus pouvoir et tueuse pathologique. Voir la bande -annonce.
Mais alors, que peut-on bien reprocher au film et au roman ?
L’un et l’autre sont coupables de masculinisme.
Ne riez pas : j’ai appris un mot. C’était comme Monsieur Jourdain et la prose : je faisais sans doute du masculinisme sans le savoir.
Qu’est-ce que le masculinisme ? C’est « une tendance politico sociale qui voit un complot féministe partout, et qui a pour but de revenir au Moyen Age, du moins en ce qui concerne les droits des femmes. Mais, il s’agit aussi d’un retour au Moyen Age en ce qui concerne les droits des enfants. »
Tel que.
Application à Gone Girl.
« La première heure est plutôt plaisante, pleine de suspense et de rebondissements. La deuxième est un cauchemar total : l’intrigue vire à l’illustration parfaite des thèses masculinistes et laisse un goût amer de vomi en sortant. »
Rien que ça.
Et pourquoi diable ?
Parce que l’héroïne est méchante, figurez-vous (je ne dévoile rien du film en vous disant cela : courez-y quand même, le diable et le plaisir sont dans les détails).
Que doit donc enseigner une fiction pour Osez le féminisme ? « On est bien loin d’un portrait de femme forte, héroïque dans l’adversité, modèle à suivre pour les spectatrices », car « Amy incarne le cliché patriarcal de la perversion féminine idéale, qui utilise la violence psychologique, soi-disant arme favorite des femmes, pour humilier et blesser son mari. » Le film en fait ne ferait que « déculpabiliser et encourager la violence masculine… Les comportements adultères de Nick auprès d’une étudiante sont vite oubliés » (j’ai corrigé une faute d’orthographe au passage, on peut être féministe et ne pas tout maîtriser, après tout, elles ne s’y sont mises qu’à deux pour écrire cette belle analyse).
Le problème que se pose un écrivain ou un metteur en scène, c’est essentiellement de construire une belle histoire, avec des personnages forts. Hommes ou femmes, les méchants sont de toute évidence les personnages forts par excellence — sans doute parce qu’ils vivent au gré de leurs passions (vives) ou de leur intelligence (féroce). Grand amateur de Dumas que je suis, je sais que les Trois mousquetaires fonctionnent sur Milady bien plus que sur l’un des quatre protagonistes présumés principaux. La grande idée de Dumas, c’est d’avoir allié le physique sublime, les qualités intellectuelles et l’instinct meurtrier sous une même enveloppe.Gillian Flynn suit le même patron.
Comme diraient les Américains, le héros — « messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis et qui pleurent comme des urnes » — est trop souvent « Mister Nice Guy » : le lecteur, le spectateur, attendent avec intérêt le vrai méchant qui mettra du sel dans l’histoire lisse d’un héros parfait. D’ailleurs, nombre d’histoires mettent en scène un héros ambigu, bien plus intéressant qu’une façade parfaite (il faut être Capra pour parvenir à faire un chef d’œuvre — Mr Smith goes to Washington — avec un vieux boy-scout). Les « héros » de la Horde sauvage, cet sommet du western crépusculaire, sont tout ce que l’on voudra sauf des enfants de chœur.
Quant aux femmes… Dans les Trois mousquetaires, il y en a deux : Milady, et cette courge de Constance Bonacieux, dont la mort n’est jamais bien parvenue à m’émouvoir, même à ma première lecture, vers 7-8 ans. Sûr que je devais déjà être un salaud de masculiniste.

Comment peut-on être idiote au point de désirer que, en défense du féminisme, les héroïnes soient exemplaires ? L’exemplarité ne paie pas, en littérature. « En plus de réutiliser la rhétorique essentialiste éculée de la femme perverse, cliché ô combien populaire dans la littérature, les arts et le cinéma, ce film a des effets absolument dévastateurs en défendant des points de vue masculinistes. » Mais pauvres crétines que vous êtes, la rhétorique consiste justement à utiliser ce qui marche, que ce soit dans l’inventio, ladispositio ou l’elocutio, pour reprendre les trois aspects des normes classiques. Ah, mais c’est que « quand on sait l’impact que les médias et le cinéma ont sur les mentalités, il est extrêmement dommageable d’une part, de mettre en exergue une violence féminine qui est un phénomène totalement minoritaire et, d’autre part, de banaliser et justifier ainsi la violence masculine en provoquant l’empathie et l’adhésion du spectateur. »

Un film « féministe » sera donc nunuche ou ne sera pas. Etonnante idée. Je me souviens de raisonnements du même ordre lorsque Barry Levinson avait réalisé Disclosure (Harcèlement, 1994) où Demi Moore poursuivait Michael Douglas de ses assiduités et, pour se venger de ses refus, l’accusait de harcèlement. Sans doute le harcèlement en entreprise (et ailleurs) est-il le plus souvent le fait des mâles : mais pour construire un film qui fonctionne, il valait mieux, et de très loin, inverser les situations.
Quant à ceux qui croiraient que la fiction est de la réalité, il n’y en a pas tant que ça — et ils ne vont pas voir Gone Girl, ils se contentent de jouer à leurs jeux vidéos ordinaires.
Lorsque j’ai publié la Société pornographique, j’ai expliqué que les films pornos réduisaient certes la femme à trois trous, mais réduisaient conjointement les hommes à leur cheville ouvrière, et que c’était cette économie réductrice qu’il fallait dénoncer, voire interdire. Je ne connais pas une œuvre majeure, écrite par un homme ou une femme, qui ne subvertisse peu ou prou la distribution du Bien et du Mal : l’efficacité et la mimesis résident justement dans l’ambiguïté. Si Phèdre était juste une grosse salope de MILF excitée par son beau-fils pédé (si ! Chez les Grecs, au moins), cela ferait longtemps que l’on ne parlerait plus de Racine. La pièce ne fonctionne que parce que l’on plaint l’héroïne, qui se livre pourtant à un mic-mac peu reluisant. Ce qui fait d’Emma un personnage fort, c’est qu’elle est loin d’être aussi bête que ce que l’on croit quand on n’a pas lu Flaubert depuis longtemps — bien moins bête, au sens plein que le Patron donnait au terme, que cette crapule de Homais, par exemple. Et que son mari, parallèlement, pour imbécile qu’il soit, est littérairement sauvé par l’amour débordant qu’il porte à sa femme — voir sa mort, où Flaubert a glissé au fond tout ce qu’il avait en lui de romantisme refoulé.

Mais je vois bien que je gaspille ma salive en vain. Osez le féminisme en sait plus long que moi sur le sujet. Tant pis. Les connes ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Elles devraient se méfier : à tenir des discours maximalistes, on finit par se faire haïr — et pas seulement d’Eric Zemmour.

Education : du sang neuf pour le 93!

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C’est officiel, la Seine-Saint-Denis va devenir, en matière d’éducation, « une terre d’excellence ». Madame le ministre de l’Education nationale l’a expliqué doctement mercredi 19 novembre sur France Info, en annonçant 500 postes de professeurs du premier degré d’ici 2017, en plus des 300 déjà créés, par la vertu d’un « concours supplémentaire pour permettre à davantage de candidats de rejoindre la Seine-Saint-Denis ». Car ils se bousculent, les candidats, pour aller enseigner dans le 93, vous n’imaginez pas. L’an dernier, pour les 1050 postes à pourvoir dans l’académie de Créteil, pas moins de 3 892 s’étaient déclarés. Si seulement 1425 ont effectivement composé, c’est probablement faute de place pour accueillir les autres, à moins que ceux-ci n’aient pas trouvé le chemin de la salle d’examen, ou aient été dévorés par un nuage de sauterelles. Reste que sur les 1 425 présents, 980 furent déclarés admis, donc (presque) le quorum requis. Certes, les derniers lauréats, qui frisaient l’illettrisme, obtenaient une moyenne de d’à peine 4/20, mais Madame le ministre, qui a tout prévu, réfléchit pour l’année prochaine à l’interdiction de ces évaluations par les notes, dont on voit bien ici le caractère discriminatoire et stigmatisant.

Les esprits chagrins feront remarquer qu’il manquait tout de même 450 professeurs dans les écoles de Seine-Saint-Denis à la rentrée ; mais c’est qu’il faut également soutenir la politique volontariste du gouvernement en matière de lutte contre le chômage ! Le rectorat a pu ainsi mobiliser toutes ses énergies pour lever un bataillon de vacataires, certes eux aussi sous-payés, mais ô combien motivés, issu des meilleures filières de licence tourisme ou de BTS logistique, par une prompte opération de « phoning » en partenariat avec Pôle Emploi et les annonces du site leboncoin.fr. Ces nouveaux hussards, s’ils peuvent parfois manifester une primesautière rusticité, n’ont pas vocation à demeurer ad vitam dans l’ignorance complète de la chose pédagogique : Madame le Ministre a prévu pour eux un plan d’accompagnement destiné à  « en faire des enseignants à proprement parler ». Nous voilà rassurés. Mais alors, que demande le corps professoral en grève du 93 ? Quoi, ils ne sont pas payés depuis deux mois ? Eh bien justement : on vient de penser à leur envoyer des bons d’achat alimentaires…

 

Les différences entre PS et UMP sont minimes. Tant mieux!

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devedjian ump sarkozy

devedjian ump sarkozy

Causeur. L’impopularité de François Hollande et du PS devrait ouvrir un boulevard à l’UMP. Or, si, comme Hollande en 2012, vous profitez du rejet de vos adversaires, sans apparaître pour autant comme porteurs d’une alternative crédible…

Patrick Devedjian. C’est ainsi : en France, on ne gagne pas les élections, c’est l’adversaire qui les perd. Seulement cela suffit pour gagner les élections, pas pour diriger le pays. Résultat, quand on est dans l’opposition, on attend que l’adversaire échoue. Ce qui dispense de toute réflexion.

Et attendre, c’est ce que fait l’UMP aujourd’hui ?

Oui, mais nous avons encore un peu de temps. Fin novembre, nous aurons un nouveau président. Cela devrait être l’occasion d’engager enfin une vraie réflexion pour élaborer un projet de gouvernement, un projet de droite avec des idées et non pas des gadgets.

Encore faudrait-il savoir ce qu’est la droite. Qu’est-ce que l’ADN de la droite selon vous ?

Le problème de la droite, c’est que, depuis très longtemps, elle n’est plus que la « non-gauche ». Il faut qu’elle retrouve son identité. Je reste pour ma part fidèle à la définition de Raymond Aron : la gauche et la droite républicaines sont toutes les deux attachées à la liberté et à l’égalité. Mais quand celles-ci entrent en conflit, ce qui arrive nécessairement, la gauche arbitre en faveur de l’égalité et la droite en faveur de la liberté. Je révère l’égalité, mais, quand il faut choisir, je choisis la liberté. Voilà pourquoi je suis de droite.

Le ministre de l’économie actuel est donc de droite ?

Il est trop tôt pour le dire, car son discours varie et sa politique est encore floue. Mais oui, quand il dit qu’il faut abolir les trente-cinq heures, cela va effectivement dans le sens de la liberté…[access capability= »lire_inedits »]

C’est tout de même une définition minimaliste.

Évidemment, dans un monde démocratique, les différences se font à la marge. Mais la préférence pour la liberté, même à la marge, ce n’est pas rien !

À l’arrivée, on a l’UMPS : on ne voit pas des différences criantes entre Valls et Juppé.

Eh bien, voyez-vous, cette continuité me rend très heureux pour mon pays. Dans l’instabilité générale, elle permet au moins d’avoir une crédibilité sur la scène internationale. Et puis, cette histoire d’UMPS, c’est une vue de l’esprit. Il faut être extrémiste pour dire que l’UMP et le Parti socialiste, c’est la même chose, alors que le PS et le FN sont alliés objectifs, comme le montrent les triangulaires

Chevènement ne disait pas autre chose et il n’est pas franchement « extrémiste ».

Ça dépend des jours… Mais, sur le fond, vous avez raison, les différences sont faibles, et il en va ainsi dans la plupart des grandes démocraties, entre le Parti républicain et le Parti démocrate aux États-Unis, entre les conservateurs et les travaillistes en Angleterre. Accepter le consensus démocratique, c’est admettre qu’il n’y a pas deux camps ennemis et radicalement différents.

Mais différents, ils doivent l’être un peu. La droite n’est-elle pas aussi porteuse d’une certaine préférence pour l’ancien quand la gauche aime par principe ce qui est nouveau ?

Non, je ne crois pas que la droite ait le monopole du passé…

Il n’est pas question de monopole mais d’un brin de conservatisme, d’un certain rapport aux traditions…

J’ai le sentiment que la gauche est beaucoup plus conservatrice que la droite. Ce contresens vient de ce que l’affrontement entre les deux camps s’est articulé au moment de la Révolution française. Mais il faut rappeler que nous, la droite d’aujourd’hui, ne sommes pas les descendants des blancs, mais ceux des bleus !

Nous ne voulions pas vous assigner à la réaction. Nous parlons d’une certaine vision de l’histoire de France comme une longue litanie de crimes qui a cours à gauche…

Quels crimes ?

Colonialisme, esclavage, collaboration….

C’est l’histoire d’une nation, il y a des crimes ! Et puis je vous rappelle que le colonialisme était de gauche.

Le discours politique n’est pas une thèse d’histoire à la Sorbonne. Avec Chirac, athlète de la repentance, une partie de la droite (celle qui rêve d’être de gauche) pratique assidûment l’autoflagellation rétrospective que la gauche pratique volontiers…

Eh bien, il appartient aussi aux médias de rétablir les vérités historiques !

Si vous attendez que la vérité jaillisse des médias, on n’est pas rendus !

Il suffit d’être professionnel ! Le colonialisme, c’est un produit de gauche, cela n’est pas honteux d’ailleurs. Mais la gauche vénère le Jules Ferry de l’école laïque et oublie celui de la colonisation. Si la droite faisait son travail, elle ne se laisserait pas berner par une version idéologique de l’histoire.

Encore une fois, il ne s’agit pas de la réalité, mais des imaginaires respectifs de la droite et de la gauche…

Moi, je suis fatigué des « imaginaires »…

Vous essayez d’évacuer tout romantisme de la politique. C’est peut-être pour cela que la droite a perdu le combat culturel et moral. Vous ne croyez pas au « roman national » ?

Cela nous a fait tant de mal. Le romantisme a coïncidé avec le nationalisme et les grands massacres.

Faut-il en conclure que l’héritage ne compte pas ? Vous êtes vraiment de gauche !

Non, pas du tout, la France peut être fière de son héritage intellectuel, artistique, politique. Nous avons une littérature fabuleuse qui a fécondé le monde entier. L’identité de la France, c’est sa culture. Ma grand-mère ne parlait pas français ; mon grand-père l’a courtisée en lui envoyant un manuel de courtoisie française que je possède encore.

Mais aujourd’hui, même cette culture est contestée, car elle serait presque une forme d’oppression pour les nouveaux arrivants. Pensez-vous qu’on doive et qu’on puisse la leur imposer ?

Bien sûr ! Et ne soyons pas pessimistes : Modiano vient d’avoir le prix Nobel de littérature… C’est plus important que Jeff Koons qui s’installe à Versailles ! Le rayonnement, l’identité de la France, ce sont des réalités. Voilà de quoi devraient parler les responsables politiques.

Les Français ne décernent pas le prix Nobel de littérature, ils achètent le livre de Zemmour qui leur parle du roman national. Et la droite, elle, n’a d’autre horizon à proposer que le retour d’un ancien président ou d’un ancien Premier ministre. N’est-ce pas la marque d’une culture du chef, d’un goût pour le leadership plutôt que pour le pluralisme ?

C’est la conséquence du romantisme que vous révérez et c’est pourquoi la compétition est plus un affrontement entre hommes qu’entre idées et projets. On attend tout du président de la République : qu’il soit un génie dans sa capacité à concevoir l’avenir, qu’il fasse preuve d’un courage extrême pour réaliser les réformes nécessaires et qu’il soit irréprochable au plan de la vertu. En somme, il devrait être à la fois un génie, un héros et un saint…

C’est ainsi, la Ve République a été taillée pour de Gaulle…

Pour moi, de Gaulle n’était ni un génie, ni un héros, ni un saint, mais un grand talent.

Vous êtes de mauvaise humeur ?  

Je ne fais pas si bon marché du génie. Il s’est aussi souvent trompé. Certes, le 18 juin, il a fait preuve d’un don prophétique en incarnant la minorité du caractère français qui refuse ce qui apparaît comme inévitable. La décentralisation était une bonne idée, toujours d’actualité.

Donc de De Gaulle, vous gardez 1940 et 1969, le début et la fin… et rien entre les deux ?

Il y a tout de même le redressement de la France, mais l’excès de centralisation, l’excès de concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, l’accent mis sur une seule personne, le refus de l’équilibre des pouvoirs, tout cela est devenu la dérive de nos institutions.

Comment expliquer que cet excès de pouvoir génère un sentiment général d’impuissance du politique – et peut-être pas seulement un sentiment ?

Le pouvoir en France aujourd’hui, c’est l’éléphantiasis ! À partir du moment où un seul homme accapare toute la substance du pays, il est encombré par cette accumulation et, finalement, promis à l’impuissance. Le président de la République française a plus de pouvoir que Louis XIV et que le président des États-Unis. On a oublié que les Grecs disaient qu’on est plus intelligents à plusieurs.

Vous ne croyez pas à la nécessité de l’incarnation ?

Je ne suis pas monarchiste. On a besoin de temps en temps de quelques personnalités hors du commun pour donner un élan, surtout dans des situations de crise, mais l’histoire n’a pas besoin d’être incarnée en permanence !

Quoi qu’il en soit, votre camp ou une partie de votre camp se dit encore gaulliste. Quel sens cela a-t-il ?

J’aimerais croire que ce qui reste du gaullisme, à droite, c’est l’esprit du discours du 18 juin 1940 : résister contre ce qu’on considère comme des fatalités. Être gaulliste, c’est se dire que rien, tant qu’on est vivant, n’est inéluctable. Ensuite, c’est l’esprit prophétique : ce qu’on demande à un bon politique, ce n’est pas d’être un bon gestionnaire mais de savoir lire dans le marc de café, de comprendre l’évolution des choses et d’éclairer l’avenir. C’est d’ailleurs pour cela qu’on avait besoin de De Gaulle en 1940 et aussi en 1969 : il avait le sens de l’avenir.

Admettons. Et aujourd’hui, de quoi ou de qui avons-nous besoin ?

Nous avons besoin d’un équilibre des pouvoirs, de checks and balances à l’anglo-saxonne, car le système actuel est fou ! Pour commencer, il faut un Parlement qui ne soit pas, comme c’est le cas aujourd’hui, une chambre d’enregistrement. Ensuite, il faut revenir sur la coïncidence des élections législatives et de la présidentielle, qui affaiblit encore un Parlement où la majorité ne tient en réalité sa légitimité que du président. Résultat, les élections législatives s’apparentent à un référendum pour ou contre le président de la République, qui est élu depuis trois semaines…

Cela est vrai dans un système bipartisan, mais ne sommes-nous pas entrés, avec le FN, dans l’ère du tripartisme ?

Non, je crois qu’on continue à être dans un système bipartisan et je ne crois pas au risque du Front national.

Que le FN soit ou non un « risque », il n’en représente pas moins une troisième force inscrite durablement dans la vie politique française sans pour autant être associée à un camp ou à l’autre…

Je pense que le Front national continue à exercer sa fonction de protestation, mais qu’il joue un rôle extrêmement réduit dans la politique française, contrairement à ce que suggère l’obsession médiatique.

Médiatique ? Manuel Valls n’a-t-il pas récemment déclaré que l’extrême droite était à nos portes ? Et toutes les forces politiques lorgnent sur l’électorat frontiste…

Je sais bien que le FN est instrumentalisé par la gauche pour contenir la droite.

Bref, que vous le vouliez ou non, la progression du FN modifie les positions et les stratégies des autres acteurs comme un corps céleste infléchit le mouvement des autres… 

Sans doute, mais ce n’est pas le Soleil non plus ! Dans la galaxie, tous les jours, il y a des étoiles qui meurent. Pour filer votre métaphore astronomique, je ne suis pas certain que le FN exerce une telle influence sur le mouvement de la Terre.

Près d’un quart de l’électorat serait attiré par une étoile mourante ?

Ce qui compte, c’est d’avoir des leviers de pouvoir. De quel levier de pouvoir dispose le Front national ? Aucun ! Et les Français veulent qu’il en soit ainsi, puisque lors des élections législatives ils pourraient voter pour le Front national, élire des députés Front national, et ils ne le font pas !

Vous savez très bien que c’est une question de mode de scrutin.

Je le sais d’autant plus que j’ai moi-même été élu en 1986, quand l’introduction de la proportionnelle par François Mitterrand a fait entrer une trentaine de députés frontistes à l’Assemblée. Ils n’ont eu aucune influence sur les politiques menées.

Cela ne vous gêne pas qu’une partie des électeurs soit condamnée à n’avoir aucune influence ?

À vous entendre, le FN ne manque pas d’influence.

Quoi qu’il en soit, à vous entendre, rien n’aurait changé en trente ans. Le FN est tout de même passé de 5 % à 20 ou 25 % des voix.

Le Front national ne prospère jamais aussi bien que sur les carences de la droite. Quand la droite n’est pas elle-même, quand elle n’est pas capable de supprimer les trente-cinq heures, de supprimer l’ISF, quand elle n’assume pas ses fondements et ses valeurs, alors, effectivement, une partie de son électorat s’égare.

Vous vous racontez de belles histoires ! Le vote FN n’a rien à voir avec ces deux questions…

Le Front national n’offre aucune politique sérieuse à la crise économique et sociale, et les Français le savent.

Enfin, vous savez bien que pour les électeurs frontistes et pour une bonne partie des vôtres, la maîtrise de l’immigration, la crise de l’intégration et l’insécurité sont bien plus importantes, et que c’est sur ces questions-là que beaucoup ont voté Nicolas Sarkozy en 2007, tandis qu’en 2012 ils ont voté Hollande ou sont allés à la pêche !

Soyons raisonnables. L’immigration est une question à l’échelle européenne, et comme beaucoup des Français, à commencer par le Front national, ne veulent pas que cette question soit traitée à l’échelle européenne, ils sont malvenus de se plaindre du résultat.

Un peu court, non ? Les promesses de Nicolas Sarkozy ne valent donc rien ?

C’est beaucoup plus difficile que ce qu’on imagine ! Nous sommes dans la mondialisation et nous ne reviendrons pas en arrière.

La facilité des déplacements fait exploser les frontières nationales et les disparités de développement créent une forte instabilité.

En attendant, beaucoup de citoyens pensent, et pas forcément à tort, que l’usine à gaz européenne est structurellement inefficace en matière d’immigration et que l’État ferait mieux en agissant dans un cadre bilatéral. Et Nicolas Sarkozy a déjà annoncé que, si jamais…, il demanderait la révision de Schengen.  

Je ne crois absolument pas que les États soient en mesure de maîtriser les flux migratoires. Je suis allé étudier la question aux États-Unis, où la lutte contre l’immigration clandestine en provenance du Mexique est loin d’être un succès malgré les moyens énormes dont dispose le gouvernement. Alors la France n’est pas près d’y arriver toute seule ! On peut faire de la démagogie, on sait bien que c’est impossible.

Nicolas Sarkozy appréciera. Faut-il alors dire aux Français : « Désolé, mais la France n’a plus le droit de choisir qui elle veut accueillir » ?  

Il faut toujours dire la vérité, sinon, ça vous revient à la figure. Une véritable politique migratoire consiste effectivement à agir pour que l’Europe, qui a accaparé cette compétence légalement, par les traités, l’exerce réellement.

Vous parlez de vérité. Mais on sait bien que, pour être élu, il faut tenir un certain type de discours, un peu national-républicain et volontariste, que l’on abandonne une fois élu – notre ami Philippe Cohen appelait cela « le bluff républicain ». Chirac a promis de lutter contre la fracture sociale, Hollande a déclaré « Mon ennemi, c’est la finance ! », et Sarkozy a annoncé qu’il passerait le Kärcher. Et, une fois au pouvoir, tous ont découvert que c’était « plus compliqué que ça ». 

Vous êtes en train de me dire qu’il faut mentir pour être élu ?

Un peu, oui…

Et après ça, vous m’expliquerez que les Français sont le peuple le plus intelligent de la terre, c’est amusant. Moi, je pense que la vérité dans le discours politique a de beaux jours devant elle et que notre peuple est capable de la comprendre. C’est ainsi qu’on aura une chance non seulement d’accéder au pouvoir mais d’y rester. Le mensonge se retourne toujours contre vous.

Un discours de vérité exige une certaine clarté, or l’UMP est une maison si vaste que seule une ligne floue – et l’espoir de gagner – permet de rassembler toutes les demeures qui la constituent. De même, on peut se demander ce qui distingue Florian Philippot des souverainistes anti-libéraux de l’UMP ?

Facile : aux élections, ils votent différemment. Ils ne votent pas pour le même candidat à la présidentielle, ils ne votent pas pour le même maire…, et c’est ça qui compte.

Donc ils pensent la même chose mais ne votent pas de la même manière ?

Ça, c’est vous qui le dites ! Moi, je juge les gens sur leurs actes, pas sur leurs pensées prétendues. Et je constate que ces personnes que vous comparez ne votent pas de la même manière. Ça fait une différence.

Ne serait-il pas plus clair et plus sain pour le débat public et pour nos institutions d’avoir deux droites, une plus nationale et une autre plus libérale ?

Non ! L’alternative n’est pas entre la droite qui court après la gauche et la droite qui court après le Front national ! Quand elle imagine que c’est la seule alternative, la droite cesse d’être elle-même, et c’est son drame. Je ne veux courir ni après le PS ni après le FN. Et je suis un homme de droite.

En êtes-vous sûr ?

Oui, je l’assume !

À cause de la liberté ?  

Précisément, ou plutôt de la préférence ultime pour la liberté : je me garderais d’accuser les gens de gauche de ne pas aimer la liberté, je pense qu’ils l’aiment un peu moins que l’égalité. Moi, c’est le contraire.

Savoir qu’en cas de conflit entre la liberté et l’égalité vous serez plutôt du côté de la liberté peut-il suffire à donner envie aux licenciés de Gad de voter pour vous ?

Les chômeurs de Josselin ne me demandent pas quel est l’ADN de la droite, ils me demandent de leur trouver du travail et ils le demandent à tous les politiques, de gauche ou de droite. Autrement dit, ils nous demandent d’avoir une politique capable de créer de l’emploi dans notre pays. Notre réponse est qu’il faut favoriser l’investissement, tandis que la gauche fait tout le contraire ! Et quand il n’y a pas d’investissement, il n’y a pas de croissance et il n’y a pas d’emploi.

Sauf que la politique menée depuis 1983 dans la « continuité » a radicalement échoué sur ce plan. Beaucoup, à droite et à gauche, pensent que c’est la mondialisation qui est en cause et posent aujourd’hui la question des frontières. Ne faudrait-il pas réfléchir à un « protectionnisme intelligent »… 

Je pense que le protectionnisme, pour notre pays en tout cas, n’est pas une réponse possible.

Mais ce n’est pas non plus possible au niveau européen car nous ne serons jamais tous d’accord…

L’Europe est ce que nous la faisons ! Et nous n’en faisons pas assez ! L’Europe n’est que l’alibi de notre lâcheté ! Parce que, quand la France et l’Allemagne se mettent d’accord, toute l’Europe les suit. Donc la France a les moyens, et elle l’a démontré tout au long de l’histoire, d’infléchir et d’orienter toute la politique européenne…

Donnez-nous un exemple d’un infléchissement obtenu par la France depuis 1993.

Sarkozy a réussi à renégocier le Traité constitutionnel européen qui était dans l’impasse. Il l’a voulu, il l’a réussi.

Vous voulez dire qu’il a réussi à contourner le vote négatif des Français ?

Oui.

Donc, en plus d’être gouvernés par des pouvoirs de plus en plus impuissants, les Français doivent accepter d’être dépouillés de leur souveraineté de citoyens ?

Cessez d’entretenir ces fantasmes ! Dites-leur les choses comme elles sont ! Vous rendez-vous compte que vous vivez dans un monde schizophrénique ? Vous me dites : « Tout cela est vrai. Mais peu importe puisque les gens pensent le contraire et que c’est cela qui compte ! » Non, ce qui compte, c’est la vérité ! Parce que si vous niez le réel, il vous saute à la figure !

Nous n’avons pas dit que « tout cela » était vrai, certainement pas ! Beaucoup de Français pensent que l’Europe ne les protège pas, au contraire, qu’elle les livre pieds et poings liés au capitalisme mondialisé. Et en même temps ils se sentent abandonnés par leur propre État.  

Mais sans la monnaie unique, pour prendre cet exemple, notre situation serait mille fois pire !

En somme, vous refusez de prendre les Français pour des cons, mais quand ils votent, vous dites qu’ils se trompent ?  

Oui, ils ont aussi parfois de mauvais bergers et la droite a des responsabilités lourdes dans la mesure où elle n’est pas capable de leur expliquer le fond des choses.

Donc, c’est un problème de pédagogie. Mais il ne s’agit pas de dossiers techniques. Le problème, c’est que nous avons quitté la rive de l’État-nation à l’ancienne, sans pour autant parvenir à la rive post-nationale. Du coup, l’Europe, structure politique quasi étatique sans nation pose donc un grave problème de légitimité.  

Oui, l’Europe souffre d’un déficit de légitimité, j’en conviens volontiers, mais parce que c’est une construction démocratique en devenir, et que le point auquel nous sommes est loin d’être satisfaisant. De même, le fonctionnement de la démocratie dans notre pays est loin d’être satisfaisant. Reste qu’il ne faut pas se raconter d’histoire : nous sommes au milieu du gué mais nous ne reviendrons jamais à l’État-nation des origines.

En attendant, dans le capitalisme global et financiarisé qu’on propose comme horizon radieux et inéluctable, les peuples ronchons, donc « populistes », ont le sentiment que le patron de Google ou de Total a plus de pouvoir que François Hollande. Ça ne vous pose pas de problème ? 

Mais tout pose des problèmes dans la vie ! Bien entendu que le capitalisme pose des problèmes ! La démocratie pose des problèmes ! Et moi aussi, je pose des problèmes ! Mon idéal n’est pas de créer un monde sans problème. Le problème n’est pas le capitalisme ni les actionnaires comme on le répète. Ce ne sont pas les actionnaires qui contrôlent le capitalisme, ce sont les dirigeants de sociétés, qui constituent un cercle extrêmement étroit et fermé qui pratique l’autosélection. Regardez comment on devient président de Paribas par exemple : monsieur Baudouin Prot a désigné son successeur. Le noyau dirigeant de toutes les grandes entreprises mondiales constitue un petit cénacle qui s’auto-reproduit par cooptations.

Mais la droite n’a pas peu contribué à créer ce cénacle, rappelons-nous seulement les « noyaux durs » de Balladur…

En réalité, ce n’est pas la droite ni la gauche, mais l’État, qui est responsable de notre plus grave échec. Cela fait des décennies que l’industrie vit sous l’autorité de la haute administration et que nous avons cessé d’avoir une politique industrielle. Il n’y a pas de capitalisme français, il y a simplement un système dans lequel un haut fonctionnaire débute sa carrière dans les cabinets ministériels et la poursuit dans le pantouflage. La plupart des grandes entreprises françaises du CAC 40 sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires. Il est logique que cette haute administration, incapable de concevoir une politique industrielle, ne soit pas toujours la meilleure pour diriger une entreprise.[/access]

*Photo : Hannah.