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Immigration : faut-il sermonner le Saint Père?

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pape francois zemmour

Eric Zemmour est bien d’accord avec les Femen : le passage éclair du pape François à Strasbourg le 25 novembre est un scandale. Sauf que pour l’auteur du Suicide Français, le souverain @pontifex (son petit nom sur Twitter) n’a pas péché par action, en faisant cette apparition au Parlement européen et au Conseil de l’Europe, mais par omission, en n’allant pas célébrer une messe à la cathédrale.

« Qui suis-je pour juger ? »[1. Phrase reprise par Virginie Tellenne (Frigide Barjot) qui en a fait le titre d’un livre sur son engagement pour l’union homosexuelle et contre l’abandon de la filiation biologique (Qui suis-je pour juger, confessions d’une catho républicaine, éditions Salvator, 2014).] avait répondu François l’Argentin aux quelques journaleux qui tentaient de lui arracher une condamnation des homosexuels. Zemmour, lui, ne se pose pas la question. Il est Zemmour, et à ce titre – notoirement supérieur à celui d’évêque de Rome – il est habilité à juger le « serviteur des serviteurs », accessoirement chef spirituel d’un milliard et demi d’humains.

Alors il s’enflamme, dans sa chronique sur RTL : rendez-vous compte, le pape n’a même pas dit « Dieu » ou « Jésus », ni « avortement », ni « euthanasie », ni « mariage homosexuel ». Bref, « il dit les mots qui plaisent, pas les mots qui fâchent ». Sacrilège, semble s’étouffer notre zorro national ! Pire encore : « Il prône l’accueil généreux des migrants. » Décidément, on aura tout vu.

Un pape qui fait comme un certain Jésus-Christ dans l’Evangile, qui préfère la simplicité au faste, la douceur à la violence, et qui veut une Eglise ouverte sur le monde ? Et pourquoi pas le pardon et l’amour du prochain, tant qu’on y est ? D’autant qu’il y a plus grave encore, accrochez-vous : « Ce pape est obsédé par le dialogue entre le christianisme et l’islam. »

Alors là, forcément, si François n’est même pas cap’ d’appeler à la guerre sainte contre les mahométans, on se demande bien ce qui fait encore la supériorité de l’humanisme chrétien sur la barbarie islamiste ! Vous allez voir qu’un jour, cette pourriture gauchiste va nous expliquer qu’il faut aimer nos ennemis, comme l’autre Palestinien barbu dans la Bible.

« François jette les dogmes aux orties pour complaire à l’époque », explique donc tranquillement le gardien de la foi cathodique. Et d’évoquer « sa complaisance à l’égard du mariage homosexuel », bien connue de tous les catholiques qui ont lu la lettre dans laquelle il déclarait : « L’adoption du projet de loi serait un grave recul anthropologique. Le mariage (formé d’un homme et d’une femme) n’est pas la même chose que l’union de deux personnes de même sexe. »

« Le pape François est l’idole des médias, des députés européens et de la gauche occidentale, accuse enfin le néo-réac chéri de L’Obs. Il n’a pas l’air de s’inquiéter que les habituels contempteurs les plus sarcastiques et vindicatifs de l’Eglise l’applaudissent. » Mon Dieu ! Un pape « qu’adorent nos contemporains progressistes » ! Tous aux abris, le spectre de la réconciliation plane à l’horizon !

Autant il est toujours salutaire d’entendre Zemmour torturer les oreilles chastes de nos progressistes intégristes et autres néo-inquisiteurs médiatiques, autant son sermon condescendant adressé à un pape jugé trop moderne fait un peu pitié. Finalement, depuis la sortie de son best-seller, on se dit que la différence entre Eric Zemmour et un chrétien, c’est l’espérance. Tiens, ça rime avec France…

*Image : Soleil.

Théorie du genre : Petit Poilu à l’assaut des différences

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najat petit poilu genre

Aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de « L’expérience extraordinaire », quinzième tome des aventures de Petit Poilu (Dupuis). Je n’ai pas lu les autres tomes puisque je suis tombé sur ce volume par hasard. J’ai trouvé intéressant de vous faire part de quelques planches de cet album. Dans un souci de faire vite et synthétique, à chaque fois qu’il manque une ou plusieurs pages, je vous écris un bref résumé de l’action. Je vais tâcher de rester purement descriptif dans un premier temps.

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Une journée ordinaire commence pour Petit Poilu. Cartable sur le dos, il s’en va à l’école.

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Chemin faisant, le soleil tape dur et Petit Poilu se laisse tenter par une baignade dans une piscine. Mais l’eau se transforme soudain en grosses bulles, et notre héros se trouve aspiré vers le fond par un gros tube qui l’avale. Après quelques tourbillons dans d’étranges méandres, il se retrouve craché à l’autre extrémité du tube dans un endroit inconnu. Il a à peine le temps de reprendre ses esprits que deux bras mécaniques munis de pinces le cueillent et l’enferment dans une cage. Petit Poilu découvre qu’il n’est pas seul dans la cage : il y a aussi une petite fille. La BD étant muette, c’est la quatrième de couv qui nous apprend qu’elle s’appelle Ève. Dans la cage, Petit Poilu et Ève font brièvement connaissance et échangent des sourires amicaux. Mais les deux bras mécaniques font de nouveau leur apparition et vont chercher nos deux héros dans leur cage pour les emporter manu militari Dieu sait où.

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Un troisième personnage fait son apparition. Elle tient des manettes de commande et semble présider à une sorte de laboratoire. La quatrième de couv’ nous apprend son nom : il s’agit de Miss Divine. Les deux bras mécaniques larguent brutalement Petit Poilu et Ève dans une sorte de nacelle, et Miss Divine leur donne à voir un écran.

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En toute logique, si vous avez bien suivi, Eve ayant choisi le ballon de foot plutôt que le poney rose, elle subit une douloureuse réprimande en se faisant pincer les fesses et Miss Divine est furieuse. Après cette première expérience, Petit Poilu et Ève se retrouvent de nouveau enfermés dans leur nacelle et trouvent un peu de répit. Mais Miss Divine revient, équipée cette fois d’un flacon bleu et d’un flacon rose. Les bras mécaniques saisissent nos deux héros et les plongent dans un bain. Miss Divine saupoudre du bleu dans le bain de Petit Poilu, puis du rose dans le bain d’Ève. La réaction chimique transforme l’eau en mousse.

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Mais l’effet lobotomisant de l’expérience s’estompe et ils retrouvent tout leur esprit ; Petit Poilu et Ève s’échangent alors leurs jouets. Furieuse de voir Petit Poilu jouer à la poupée et Ève jouer au foot, elle se saisit d’une tapette pour les frapper mais, dans sa rage, dérape sur un jouet à roulettes et tombe assommée sur le sol.

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Fin de l’histoire.

Après cette dernière page de l’aventure, on peut lire ceci :

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Extrait de la quatrième de couv’ :

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Voilà. C’était peut-être un peu long à lire mais, la lecture étant faite, on peut commencer l’analyse des choses. En premier lieu, il convient de chercher quelques informations complémentaires sur les aventures de Petit Poilu. Petit Poilu possède une page officielle sur laquelle on lit ceci :

« PETIT POILU, UN OUTIL PÉDAGOGIQUE ET LUDIQUE !

Petit Poilu figure sur la liste officielle de l’Éducation Nationale et est plébiscité par les enseignants et Inspecteurs de l’Éducation Nationale. La série s’avère être un outil de travail complet et agréable à utiliser en atelier. En effet, chaque tome développe un thème propre autour duquel il est aisé d’organiser des ateliers de discussion même avec les plus petits. De l’amour à la jalousie, de la peur à l’injustice, de l’amitié à la colère, le « petit message qui fait grandir d’un poil » laisse libre cours à la réflexion et ouvre la porte à l’expression orale. »

On peut en effet trouver des fiches pédagogiques correspondant à chaque album. En l’occurrence, nous trouvons la fiche de ce tome ici.

Petit Poilu n’est donc pas une simple BD enfantine comme peuvent l’être Petit Ours Brun, Mickey Mouse ou Popi ; Petit Poilu revendique une charge sémantique « citoyenne » active puisque c’est un outil pédagogique au sein de l’Éducation Nationale.

Bien.

Nous n’allons pas tourner autour du pot pour comprendre de quoi nous parle cette BD. Elle nous parle explicitement de la notion du genre, cette fameuse théorie qui n’existe pas, et fait la promotion de ses interrogations auprès des très jeunes enfants. Nous n’allons pas non plus bêtement hurler au scandale et dénoncer Satan à l’œuvre. Nous allons pourtant hurler au scandale et dénoncer Satan à l’œuvre (ton d’imprécateur médiéval), mais nous allons le faire avec un peu d’intelligence et de mesure.

Nous trouvons évidemment cette BD scandaleuse pour plusieurs raisons :

1. Sous des aspects récréatifs et divertissants, cette BD est clairement un outil de reprogrammation idéologique. Vous allez me répondre que Bayard Presse ou Pif Gadget donnent bien dans le contenu idéologique (catho pour l’un, communiste pour l’autre) et vous aurez raison. Mais Bayard Presse et Pif Gadget ne cachent pas leurs messages et ne font pas dans l’instillation subreptice. Et ni l’un ni l’autre ne nouent de partenariat avec l’Éducation  nationale.

2. Qu’il s’agisse de réalités biologiques ou de construits sociaux, le message de cette BD est qu’il faut les déconstruire et estomper les différenciations. Or les enfants ont besoin de repères et d’identifications claires pour bien grandir, et non de leçons de déconstructivisme. Je veut bien qu’on soit déconstructiviste, mais à la condition qu’on soit devenu une grande personne et qu’on comprenne ce à quoi on s’attaque. Si on veut se lancer dans le jeu des identités floues et des affinités électives, mieux vaut savoir le plus clairement possible la différence entre le Je et l’Autre. Et quand on est un enfant, on est très loin de cette sophistication intellectuelle qui joue sur la transgression. Si on veut briser la norme, il faut d’abord qu’il y ait une norme à briser. L’enfance, c’est l’école de la norme, qu’on le veuille ou non. On ne se roule pas par terre, on est gentil avec les gens, on ne fait pas de caprice, on mange proprement, on apprend à lire. Dans la vie normale, les gens ne se roulent pas par terre à la première contrariété – même si cette notion de « vie normale des gens normaux » peut sembler complètement nazie pour certains. Alors, si on veut se rouler par terre, insulter les gens, faire des caprices et ingérer n’importe quoi, on peut le faire plus grand en devenant par exemple chanteur dans un groupe punk. Mais la vie sex and drugs and rock and roll n’est pas faite pour les enfants. On peut insulter la reine d’Angleterre, mais à la condition d’être un sujet de la reine d’Angleterre. On peut faire du cubisme ou du ready-made, mais à la condition de maîtriser parfaitement la figuration académique qu’on entend subvertir.

3. Dans un monde peuplé de gens normaux, l’école apprend aux enfants des aptitudes techniques et intellectuelles, elle n’est pas là pour les plonger dans des débats participatifs sur le rôle des sciences sociales appliquées aux données biologiques de la sexuation (« organiser des ateliers de discussion même avec les plus petits »). C’est sans doute passionnant quand on est chercheur dans une université ou quand on est impliqué dans une activité collectiviste ponctuée d’AG, mais c’est extrêmement malvenu dans une école primaire.

Ensuite, vient la dimension satanique de l’ouvrage. Je vais expliquer pourquoi j’utilise le mot satanique, sinon on va me prendre pour un illuminé de chez Civitas.

Observons le personnage du « savant fou », interprété ici par une femme qui se nomme « Miss Divine ». Qu’a donc cette femme de divin pour mériter ce nom ?

– Elle règne en maîtresse absolue sur son domaine. Des créatures mécaniques lui obéissent au doigt et à l’œil comme des prolongements d’elle-même, elle semble donc toute-puissante.

– Elle ne manipule presque rien par elle-même, donnant l’image d’un pur intellect qui n’opère que par des intermédiaires – un peu comme Krang dans les Tortues Ninja, cet être qui n’est qu’un cerveau et qui n’interagit avec le monde que grâce à un corps artificiel qui le protège et le transporte. Elle est d’ailleurs maladroite dans le monde réel où traînent au sol des jouets à roulettes, alors qu’elle est très puissante derrière d’abstraites consoles de commande.

– Son but est de créer des êtres humains à son image, c’est un démiurge. La petite fille s’appelle – oh la la la quel hasard dis donc – Ève.

Or, toute Miss Divine qu’elle est, elle apparaît comme méchante et malfaisante. Logiquement, elle devrait s’appelait Miss Maboule, Miss Méchante, ou Miss Sadique puisqu’elle agit en tortionnaire contre les enfants. Mais non. Elle s’appelle Miss Divine. Bon. On va dire que c’est le nom dont elle s’est affublée elle-même pour se donner de la contenance, asseoir son autorité et se prendre pour la démiurge qu’elle rêve être. Soit.

Mais je m’autorise à penser qu’elle s’appelle Miss Divine parce que les auteurs voient réellement Dieu comme ceci : un être qui, au contraire de créer l’homme pour son bien, joue à contraindre pour son mal un homme dont l’existence provenant de la Nature lui précède et dont l’essence est fondamentalement bonne. C’est à dire une inversion totale du Dieu de la Bible et des évangiles, jusque dans son sexe puisque c’est une femme ; voilà pourquoi je parlais de satanique. Le récit est très clair : des enfants – l’homme à l’état pur, l’âge incorrompu, l’innocence – se voient contraints à des affects construits, et le plan échoue. La Nature dit le vrai, Miss Divine – et la norme sociale qu’elle construit – disent le faux. Ça se passe dans un laboratoire, le raisonnement est donc scientifiquement validé. J’émets de sérieux doutes sur l’appartenance des auteurs à une église de Satan (des cagoules, des bougies, des psalmodies lugubres, du sang sur un autel, HA HA HA HA HA) mais je maintiens que cette inversion complète de l’image de Dieu est porteuse d’un certain sens sacrilège assumé, même s’il ne porte pas ce nom et n’est pas avancé comme tel. Ne soyons pas bêtement complotiste non plus.

En général, dans un labo, le savant fou est en blouse blanche. C’est le cliché du scientifique qui travaille en laboratoire. Mais Miss Divine arbore une tenue très éloignée du domaine scientifique. Clairement, Miss Divine est le type parfait de la gouvernante austère. Uniforme victorien, chignon sévère, lunettes de vieille fille, look d’institutrice du XIXème. Miss Divine n’est donc pas une autorité scientifique : Miss Divine est une éducatrice de la morale d’antan, et le laboratoire est un lieu d’expérience comportementale. Sa tenue « de l’ancien temps » évoque évidemment toute la charge puritaine associée traditionnellement à ce rôle.

La leçon est la suivante : nous sommes des êtres non-déterminés, la société (aux valeurs arbitraires et normatives justifiées par une morale obsolète) est un carcan contre la parfaite expression de notre volonté et/ou de notre nature.

La conclusion enfonce le clou : Petit Poilu et Ève plongent Miss Divine dans un bain et lui font subir le double effet de ses potions : en stimulant à la fois le masculin et le féminin, elle devient un monstre hybride (on songe à la scène finale de La Mouche !). On pourrait croire au premier abord que la BD nous apprend qu’on peut être à la fois masculin et féminin (être un garçon qui joue à la poupée et se met un nœud dans les cheveux), mais alors on ne comprend pas pourquoi l’état final de Miss Divine est révulsant et ridicule ! N’incarne-t-elle pas, à ce stade, l’indifférenciation hermaphrodite accomplie ? Eh bien non ! Car ce qu’il faut comprendre, ce n’est pas qu’il faut être de façon égale masculin et féminin (ce qui est est décrit comme un état monstrueux), mais qu’il faut être masculin ou féminin de façon indifférenciée. La sexuation, socle de l’identité, n’est donc pas traitée selon les termes de l’égalité ou de l’équivalence des différences, mais selon les termes de l’effacement de la différence.

En résumé, cet épisode de Petit Poilu nous apprend :

1. que la différenciation est construite.

2. que la différenciation est un obstacle ou un carcan puisqu’elle oblige à choisir l’un pour rejeter l’autre.

3. que l’identité est une expression de notre profonde et seule individualité, hors de tout déterminisme.

4. que notre volonté doit primer sur le reste et finir par s’imprimer sur le reste (notre corps, les codes sociaux).

5. que Miss Divine a tort, puisque c’est nous qui sommes les démiurges de notre propre identité.

6. que nature et culture sont des ennemis – la culture étant le lieu du construit, donc du contaminé par la morale.

7. que les enfants ont raison contre un monde d’avant qui enseigne l’erreur.

C’était un article long et flou, je vous remercie pour votre attention.

*Photo : LECARPENTIER-POOL/SIPA. 00652846_000005. 

«Droit à l’IVG » : une valeur centriste?

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Chantal Jouanno n’est pas contente. Elle ne comprend pas ce que fait Jean-Christophe Fromantin à l’UDI. « Il n’y a pas vraiment sa place », a-t-elle indiqué sur France 2. Pourtant, le député-maire de Neuilly-sur-Seine fait partie des fondateurs de l’UDI. Il a même récemment été candidat à la présidence de ce parti, obtenant 11,1% des voix, ce qui ne constitue pas un score ridicule. Quel est donc la cause du courroux de Madame Jouanno ? Quel crime M. Fromantin a-t-il perpétré ? Un braquage de banques ? Pire ? Il a donné une fessée à l’un de ses enfants ? Pire ? Il n’est pas favorable au mariage pour tous ? Oui, mais ce n’est pas ça, cette fois, et c’est encore pire. Vous ne voyez toujours pas ? Il a voté contre la résolution « réaffirmant le droit fondamental à l’IVG », lors du scrutin d’hier à l’occasion de l’anniversaire de l’adoption par l’Assemblée nationale de la Loi Veil. Chantal Jouanno décrète, impitoyable : «  C’est voter contre les femmes ». Ah oui, c’est grave, là.

Le problème, c’est que lorsque Chantal Jouanno tente d’être plus précise, elle se prend les pieds dans le tapis. Et elle se ramasse lamentablement. Qu’on en juge : «  C’est même aller à l’encontre de l’esprit de l’UDI car Simone Veil  a symboliquement la première carte d’adhésion de l’UDI, elle est membre d’honneur, elle a la première carte. Hier c’était les 40 ans de son discours sur l’IVG. Voter contre, c’est déjà voter contre les valeurs de l’UDI fondamentalement. » 

L’inculture et/ou la paresse de Madame Jouanno ne l’ont visiblement pas conduite à lire le discours prononcé par Simone Veil il y a quarante ans. À ceux qui hésitaient encore sur leur vote, la ministre de la Santé de Valéry Giscard d’Estaing disait : « À ceux-ci je veux dire que, si la loi est générale et donc abstraite, elle est faite pour s’appliquer à des situations individuelles souvent angoissantes ; que si elle n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement et que, comme le disait Montesquieu : « la nature des lois humaines est d’être soumise à tous les accidents qui arrivent et de varier à mesure que les volontés des hommes changent. » Non, Madame Jouanno, Simone Veil n’a jamais souhaité créé un droit à l’IVG et encore moins le qualifier de fondamental. Ceci s’adresse d’ailleurs à tous mes aimables consoeurs et confrères qui ont répété toute la journée d’hier que cette résolution réaffirmait le droit créé par Simone Veil. Rien n’est plus faux, le texte de son discours resté célèbre, et qu’il convient de lire entièrement, fait foi. Il est vrai que cette lecture peut sembler rébarbative à Chantal Jouanno. Elle aurait pu alors regarder le téléfilm diffusé par France 2 le même soir. On y voit clairement Simone Veil, incarnée par l’actrice Emmanuelle Devos, s’opposer frontalement à Françoise Giroud, secrétaire d’Etat à la condition féminine, laquelle souhaite affirmer « le droit des femmes de disposer de leur corps ». VGE et Jacques Chirac ont souhaité que ce soit la ministre de la Santé qui porte ce projet parce qu’il s’agissait d’une loi de santé publique, et rien d’autre dans l’esprit du gouvernement. Simone Veil rédigea sa loi et prononça le discours en ce sens. Dans le téléfilm, on la voit même demander au ministre de l’Intérieur Poniatowski : « Mais faites taire Giroud ! ». Aujourd’hui, elle dirait sans doute : « Mais faites taire Jouanno ! ».

Car si quelqu’un a été fidèle au discours de Simone Veil, ce n’est pas Chantal Jouanno, c’est bien Jean-Christophe Fromantin.

*Photo : AURORE/SIPA. 00456401_000004.

Tocqueville à Koh-Lanta

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Entre le début du mois de septembre et la fin du mois de novembre, j’ai fait l’expérience de la téléréalité. Non pas en tant que candidat bien sûr, en tant que téléspectateur. C’était déjà de ma part un effort d’intégration sociale et de communion cathodique avec mes semblables. J’en avais assez de passer pour inculte dans les dîners et aujourd’hui, moi aussi je peux briller. En bientôt quinze ans, le phénomène de la téléréalité s’est étendu et l’offre est devenue si vaste que, sur certaines chaînes, on ne sait plus très bien où commence le réel et où s’arrête la farce (JT inclus). Dans l’embarras du choix, qu’allais-je choisir ? Les amours dans la gadoue ? Les petites verrines chronométrées ? Danse et dents blanches ? L’école des fans pour adulescents ? Les sous-doués en vase clos ? Rien de tout ça ; va pour Koh-Lanta.

Soucieux de voir se rencontrer les disciplines qui rebutent et les grands succès du petit écran, j’ai fini par me dire que l’émission Koh-Lanta ferait un excellent sujet d’étude en philosophie politique. Et je n’ai pas été déçu. Si Tocqueville avait eu à débarquer en Thaïlande, en Malaisie ou aux Philippines avec les équipes de tournage (si tant est que l’Université française puisse encore produire des Tocqueville), il aurait fort bien pu en déduire les inclinations politiques actuelles, sans pour autant tomber dans la fange où se complaisent d’autres émissions. On y voit en effet une vingtaine de personnes venues de tous horizons qui, mues par l’envie de remporter individuellement une coquette somme mise en jeu, sont invitées à former deux équipes distinctes, l’une rouge, l’autre jaune, et à surmonter certaines épreuves. Échelonnés sur plusieurs semaines, leurs exploits et leurs péripéties émanent d’abord de l’affrontement entre ces deux équipes, puis, dans une seconde phase de jeu, de talents individuels au sein d’une seule équipe réunifiée après plusieurs éliminations de part et d’autre. Trois champs de compétences se profilent alors : le souci du confort collectif, la performance physique, l’entregent stratégique.

Tout « aventurier » qui se respecte doit avoir avant tout, ou la capacité, ou du moins la volonté de tirer parti de l’environnement pour les besoins du groupe. Pêche, cueillette, cuisine, vaisselle, cabane ou feu de camp, les occasions de se montrer ingénieux et dévoué ne manquent pas. Le candidat en tirera une indéniable reconnaissance de la part de ses coéquipiers, jamais, toutefois, au point de faire oublier la cagnotte. Il y a, dans ce domaine, les meneurs et les suiveurs. Les premiers ne peuvent pas compter que là-dessus pour s’en sortir, les seconds doivent donner le change d’une manière ou d’une autre. Ensuite, il y a l’effort physique. Un candidat peu apte à donner de sa personne lors des épreuves collectives sera très vite assimilé à un boulet, à moins qu’il n’ait eu l’intelligence d’être préposé à la confection des repas ou de s’être rendu un temps indispensable par sa dextérité à utiliser les palmes et le harpon. Enfin, pour celles et ceux qui ne brillent ni par leurs qualités sportives, ni par la débrouille et la symbiose avec la nature, qui ne sont donc ni Rambo ni Robinson, il reste le bla-bla. Untel est certes bon nageur, mais il en devient trop dangereux ; telle autre s’active sur le camp mais elle pense ceci de toi, etc. L’art et la manière de faire et défaire des alliances provisoires en prétextant l’esprit d’équipe, le fair-play ou l’amitié naissante, les larmes aux yeux et la main sur le cœur. Eh oui, car la nuit tombée, le présentateur Denis Brogniart convoque l’équipe (poussive ou réunifiée) autour d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour, sanctionnant l’élimination d’un candidat.

À tour de rôle, chacun vient alors déposer secrètement dans une urne en bois ethnik son petit bulletin assassin, s’employant, en off, à motiver son choix, les sourcils en chevron et le regard en peine. L’affaire se complique lorsqu’un candidat veinard, se sentant en grand danger, a le mauvais goût de jouer le collier d’immunité – caché sur l’île par les producteurs facétieux – glané lors d’une cueillette de jésuite. Dans ces cas-là, les conjurés se lancent discrètement de gros yeux, comme s’ils s’étaient assis sur un objet saillant. Qu’il s’agisse d’évincer un candidat suite aux mauvais résultats de l’équipe dans les grands défis, ou, plus encore, du chacun-pour-soi qui prévaut après réunification, le spectacle politique est toujours gros d’enseignements. Il y a celle qui veut se venger d’un manque de politesse à son égard, celui qui se méfie d’un candidat qu’il estime lui être supérieur en tout, celui encore qui, pris en défaut de caractère, s’en remet systématiquement à l’avis du fort en gueule. Il y a aussi le candidat qui se fait fort d’appliquer la justice et de voter au mérite ; celui-là est tellement désarmant qu’il est pris pour le pire des fourbes et ostracisé dès que possible. Enfin, il y a ceux qui, d’anciens rouges qu’ils étaient avant réunification, avouent être dans l’incapacité morale d’éliminer l’un des « leurs », comme si le fait d’avoir partagé durant une semaine un bol de riz et un coin de sac de couchage avaient fait d’eux des frères de sang, les empêchant de récompenser le talent des anciens jaunes. Gageons que la plupart d’entre eux, dans le civil, se revendiqueront ouverts à l’étranger et rétifs aux grandes manifestations cocardières. Et le jour de la grande finale, tous seront appelés à voter une dernière fois pour le plus complet des deux finalistes – généralement celui qui sera parvenu à se mettre à dos le moins possible de ses concurrents.

Du point de vue sociologique, Tocqueville aurait eu ici matière à disséquer le triomphe de vulgum pecus. Koh-Lanta est l’un de ces jeux de téléréalité dans lesquels le visage des candidats leur tient lieu de nom de famille. On y célèbre les individualités ; on y rappelle l’importance du « social » dont on ne soucie finalement guère que dans la mesure où il ne contrevient pas à l’intérêt personnel mais le renforce ; on y assume la mise en concurrence monnayée ; on y respecte scrupuleusement la parité (même si le podium semble ne se soumettre qu’assez rarement aux injonctions de celle-ci) ; on n’y reconnaît, pour finir, que l’aura des démagogues. En outre, l’extrême médiatisation et le chèque promis ne sont pas des limites à la comparaison d’avec la vie ordinaire : chaque selfie déposé sur Facebook est un quart d’heure de célébrité, célébrité qui n’est convoitée que sous le rapport de l’argent, gage de toutes les libertés. Bref, si Koh-Lanta est un formidable objet de contemplation politique, c’est parce que cette émission reflète, plus fidèlement qu’aucune autre, notre condition politique contemporaine. S’y déploient tous les talents, eux-mêmes bridés par la manière dont chacun appréhende les talents d’autrui à l’aune de son intérêt privé.

Au moins ai-je enfin rejoint le troupeau, ce qui n’est pas toujours désagréable.

Comment la loi Veil a changé ma vie

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Je ne me rappelle plus trop ce qu’il y avait avant, juste un sentiment merveilleux de confort, d’amour et d’apaisement, doucement rythmé par les ondulations du liquide où je vis, et par les comptines que me chante maman en caressant ce qu’elle appelle son « petit ventre ». Juste des couleurs tendres, toutes les nuances de l’orange et toute la gamme des bleus.

Non, en fait, mon premier vrai souvenir, c’est lorsqu’avec une voix blanche que je ne lui connaissais pas, le cœur battant la chamade, maman a déclaré à celui qu’elle nomme « mon chéri » qu’elle avait une grande nouvelle à lui annoncer. Il y a eu un grand silence, puis un bruit énorme, après qu’elle lui ait dit en tremblant Tu vas être papa …». C’est alors que mon chéri s’est mis à crier. Jamais je n’avais entendu des sons aussi violents. Au bout de quelques instants, mon chéri a hurlé des bruits que je n’ai pas compris, quelque chose comme « ce sera moi ou lui, je fous le camp ! » Et il a claqué la porte à toute force. Le cœur de maman s’emballait, et j’ai ressenti une douleur aiguë au creux de son ventre, alors qu’elle se recroquevillait sur elle-même, toute secouée de tremblements. Je ne la reconnais pas. Elle ne s’est calmée que longtemps après, alors qu’on était passé déjà du rose orangé au bleu profond.

Quelque temps plus tard, alors que ma vie douillette avait repris comme autrefois au fond moelleux du petit ventre, mon chéri est revenu. J’ai d’abord eu peur qu’il ne se remettre à crier, mais cette fois, heureusement, sa voix était plus calme. Ce qui m’étonnait, c’est que le mal de ventre de maman avait repris de plus belle, sans parler de son cœur, qui n’en faisait qu’à sa tête.

« Excuse-moi pour l’autre jour, je me suis un peu énervé », a dit mon chéri. « Mais il faut me comprendre, c’est vraiment pas le moment. Je sais bien que je t’avais dit que j’en voudrais un, que ça cimenterait notre couple, qu’on pourrait lui donner le nom de ton grand-père si c’était un garçon, mais bon… pas maintenant. Il faut être adulte, tu comprends. Un gosse, ça veut dire pas de nouvelle voiture. Et puis j’ai calculé, il tomberait pile poil pendant les vacances d’été. C’est pas possible, tu comprends ? »

La douleur dans le ventre est devenue plus forte. En même temps, j’ai entendu mon chéri qui demandait à maman d’arrêter de sangloter comme une madeleine, qu’elle était vraiment ridicule. Puis il s’est rapproché, l4A prise dans ses bras et lui a chuchoté qu’il s’était renseigné, que tout baignait, qu’il avait déjà pris contact avec le centre d’IVG.

Dans le ventre, la douleur est subitement devenue atroce. Maman a eu un geste brusque, mon chéri l’a lâchée et s’est mis à crier : «  je rêve ou t’es en train de me gerber dessus? Ça va pas la tête? Putain, je me demande des fois si je ferais pas mieux de vous laisser une bonne fois pour toutes, toi et ton lardon, puisque tu l’aimes tant! » Cette fois, c’est maman qui a hurlé : « Ne me laisse pas, je t’en prie, je t’aime. Je ferai tout ce que tu veux ! ». Mon chéri lui a dit d’aller se laver, qu’elle puait, et qu’ensuite, ils pourraient enfin parler en adultes responsables.

Un peu plus tard, la conversation a repris. Maman gémissait à voix basse : «  je l’aime, c’est mon enfant à moi, mon enfant ». Mais mon chéri lui répondait qu’elle n’y connaissait rien, qu’elle était décidément toujours aussi bête et inculte, que ce n’était qu’un simple amas de cellules, et d’ailleurs, que si c’était autre chose, on n’aurait pas le droit de le faire passer.

Et quand maman lui a demandé si on avait vraiment le droit, mon chéri s’est énervé à nouveau : « Non seulement c’est un droit, ma pauvre poulette, mais c’est un droit fon-da-men-tal, même qu’ à l’Assemblée nationale, tous les groupes politiques ont adopté un genre de loi, l’autre jour, pour le rappeler haut et fort à tous les tarés qui le contestent encore ! L’Assemblée nationale ! »

« Et le pape François, dont tu dis qu’il est vraiment super et qui a déclaré l’autre jour que l’avortement relevait de la culture du déchet ? »

« Tu comprends rien, décidément. D’abord, ça m’étonnerait que le pape François ait dit ça. Et puis c’est pas ses oignons. Tu as le droit de disposer de ton corps, bordel ! Un droit, c’est un droit. Et c’est ton corps, tu m’entends, le tien ! De toute façon, je te le répète, ce sera lui ou moi ! » Puis il est reparti en claquant la porte.

Ce matin, très tôt, mon chéri est encore revenu. Il avait à nouveau sa voix mielleuse lorsqu’il a dit à maman que c’était aujourd’hui le grand jour. Drôle de grand jour : maman a sangloté toute la nuit en caressant son « petit ventre ». Les douleurs ne cessent plus.

« Habille-toi en vitesse, on va être en retard au centre », a ordonné mon chéri. « Et puis surtout, arrête de chialer, bon sang. Ils vont finir par croire que t’es pas consentante, que t’as envie de le garder ! ».

Maman a eu un haut le cœur, mais elle n’a rien dit. Pas un mot. Elle s’est tue jusqu’à ce que, quelques heures plus tard, une autre voix, coupante et glaciale, lui dise de s’allonger et de se détendre, que tout irait bien, qu’elle ne sentirait absolument rien avec l’anesthésie. C’est alors que j’ai perçu, mais déjà très lointain, tremblant et presque étouffé, son tout dernier mot : « oui ».

*Photo : wikimedia.

Lettre à mes députés sur la reconnaissance de l’Etat palestinien

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Madame la députée, Monsieur le député,

Le 28 novembre aura lieu un vote du Parlement sur une résolution visant à imposer de manière unilatérale la reconnaissance d’un État palestinien, sans aucune négociation avec Israël.

Or, en l’état actuel, l’« Etat palestinien » serait représenté par l’alliance de l’Autorité palestinienne et du Hamas (classé organisation terroriste), dont l’accord gouvernemental n’a pas été rompu. Cet état de choses — ajouté à la violence et à la barbarie récemment déclenchées à Jérusalem sous l’influence de l’idéologie meurtrière du Hamas et du Djihad islamique —, ferait que cette résolution, si elle était votée, entrerait  en contradiction absolue avec nos idéaux démocratiques et le respect constitutionnel des droits de l’homme. Rappelons que le Hamas, le Djihad islamique et même certains membres du Fatah ont salué les assassins de fidèles priant  dans une  synagogue de Jérusalem-Ouest  comme des « martyrs nationaux du peuple palestinien ».

Dans un tel contexte les démocraties ne sauraient en effet, sans grand risque pour leur avenir même, soutenir la fondation d’un nouvel État sous l’influence grandissante de Daesch dans la région.

Je vous renvoie, pour mémoire, à la lettre signée par 110 parlementaires adressée en 2011 au Président Sarkozy. Elle affirmait avec force la nécessité d’une solution négociée s’opposant à toute reconnaissance unilatérale par la France.

J’ose donc espérer que  vous voterez le 28 novembre contre cette résolution aux effets que l’on peut craindre contre-productifs,  aussi dommageable pour le peuple d’Israël que pour les Palestiniens.

Je  vous prie d’agréer, Madame la députée, Monsieur le député, l’expression de mes salutations distinguées.

«Pour Marine Le Pen, 2017, c’est sans doute trop tôt!»

 olivier dard fn

Propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur : Avec son programme social très étatiste, ses odes à la République et un électorat très composite, le FN est-il toujours un parti d’extrême droite ?

Olivier Dard : Le terme d’extrême droite est ambigu et très discuté par les chercheurs, en France comme à l’étranger. Dans mes ouvrages, je lui préfère la notion de « droite radicale ». Cela étant, le FN de Marine Le Pen est incontestablement différent de celui  de son père. D’abord, leur rapport à l’histoire des droites nationalistes françaises est tout à fait différent.Jean-Marie Le Pen est le véritable héritier de toute l’histoire des ligues nationalistes françaises depuis la fin du xixe siècle, qui n’ont jamais vraiment cherché à construire un parti de gouvernement. Marine Le Pen est née en 1968, a eu 20 ans en 1988, et il y a tout un héritage qui n’est pas le sien, notamment sur la décolonisation, même si elle a participé récemment à une cérémonie d’hommage aux harkis. Surtout, son objectif est de construire une force politique destinée à accéder au pouvoir et à l’exercer. C’est la raison pour laquelle Marine Le Pen surveille comme le lait sur le feu les villes gérées par le FN. Là où son père multipliait les provocations pour rester à l’écart, elle s’efforce au contraire d’arrondir un certain nombre d’angles.

Marine Le Pen a en effet mis beaucoup d’eau dans le vin du FN ces dernières années. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remettre à plat les accords de Schengen sur la libre circulation des hommes en Europe. N’y a-t-il pas là les prémices d’un programme commun FN et UMP ?

Je ne le crois pas, car tout d’abord ce serait la mort de l’UMP, et les dirigeants de l’UMP le savent. Deuxièmement, ils se heurteraient d’emblée à une telle bronca médiatique qu’ils en seraient tétanisés.[access capability= »lire_inedits »] Troisièmement, à la différence de ce qui s’est passé dans le rapport PS-PC dans les années 1970 et 1980, cela profiterait au FN et non pas à l’UMP. Au tout début de l’émergence du Front, la droite classique aurait pu juguler cette ascension, par exemple en pratiquant des alliances à l’échelle locale. Mais, aujourd’hui, le FN a son identité, son électorat et, surtout, le vent en poupe.
En revanche, le positionnement actuel de Nicolas Sarkozy sur nombre de sujets est très ambigu. D’un côté, on le sent soucieux de s’ouvrir vers le centre, et, d’un autre, de prendre en compte des aspirations proches de la ligne du FN au risque de s’aliéner les centristes. C’est une stratégie à risques car, comme l’a bien dit Jean-Marie Le Pen, « les électeurs préféreront toujours l’original à la copie ».

Curieusement, vous ne mentionnez pas le plus évident des obstacles à l’union : l’incompatibilité des propositions économiques de l’UMP et du FN, sur des questions aussi essentielles que l’euro et le rôle de l’État providence …

Sur le principe, les programmes paraissent totalement incompatibles. Sauf que la ligne économique du FN a très largement évolué à travers les années. Le programme du FN d’il y a vingt ans se rapprochait du libéralisme de l’actuelle UMP, Le Pen père se vantait même d’avoir connu l’économie de l’offre et les idées de Reagan avant les autres ! Depuis, Marine Le Pen s’est repositionnée en prônant un étatisme interventionniste qui prenne en compte le sort des territoires, des politiques sociales, etc. Bref, je ne pense pas que les enjeux économiques pèsent d’un grand poids dans la probabilité d’une alliance.

Sans avoir eu besoin de s’allier avec l’UMP, Marine Le Pen a déjà gagné la bataille de la respectabilité. Il lui reste à remporter celle de la crédibilité. Quand on l’interroge sur le manque de cadres du FN, sa présidente insinue que des centaines de hauts fonctionnaires très compétents n’attendent que le sifflet de l’arbitre pour la rallier. Y croyez-vous ?

Comme dirait l’autre, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ! ». J’ignore si des hauts fonctionnaires ont dit derrière des vitres fumées à Marine Le Pen qu’ils se rallieraient à elle « le jour où ». En revanche, ce que je vois, c’est qu’il y a une forme de danger à manipuler ce genre de discours quand on préside le Front national. La force de Marine Le Pen réside dans son discours anti-élites et ses charges contre les technocrates qui nous gouvernent. Mais on ne peut pas critiquer la technostructure tout en expliquant qu’on va s’appuyer sur elle ! Dans le cadre d’une campagne présidentielle, si Marine Le Pen est vraiment en position d’arriver au second tour, elle devra dépasser cette contradiction.

Combien faut-il de technocrates pour gouverner la France ? Certains parlent de 500 personnes, d’autres de 2 000…

Je crois que ce n’est pas un problème de nombre. Le défi numéro un est d’arriver à sécréter au sein du parti une élite capable de gouverner. C’est encore loin d’être le cas au FN, même s’il multiplie les initiatives pour attirer des enseignants ou des chefs d’entreprise. Vient ensuite un autre obstacle : la formidable résistance que pourrait opposer la haute administration à un gouvernement frontiste… Dans des citadelles comme Bercy ou la place Beauvau, le ministre peut commander, mais il faut que l’intendance suive.

Un troisième facteur joue contre Marine Le Pen : les contraintes internationales, à commencer par l’Europe. On est dans un carcan qui rend les marges de manœuvre des gouvernements assez étroites. L’épisode du budget français est emblématique : il ne va pas se passer grand-chose parce que l’Europe ne veut pas taper sur les doigts de la France, pour ne pas faire monter le FN. Reste que la France n’est plus maîtresse de son budget. Quand, à propos de la GPA, qu’elle combat, Marine Le Pen affirme qu’elle « coupera le cordon » avec la Convention européenne des droits de l’homme, c’est imparable. Elle sait qu’aucun dirigeant du PS ou de l’UMP ne le fera. Mais le ferait-elle si elle était au pouvoir, et comment gérerait-elle les inévitables mesures de rétorsion ? Si l’intérêt de Marine Le Pen est bien sûr de progresser électoralement, mieux vaut pour elle qu’elle  ne se retrouve pas trop vite dans une position trop favorable – 2017, c’est sans doute trop tôt.

Le FN semble éprouver un double sentiment de rejet et de fascination pour les élites françaises – songez que l’énarque Florian Philippot a été nommé vice-président trois ans après son adhésion ! Peut-il partir de cette ambivalence pour révolutionner le système français de recrutement des élites politiques ? Comme aux États-Unis, des hommes politiques qui seraient d’ex-capitaines d’industrie pourraient supplanter les traditionnels énarques…

Le modèle français de recrutement des élites administratives est au bord de l’épuisement. À partir des années 1920, ce modèle a pu fonctionner pendant des décennies car, sous Vichy ou sous le gaullisme, on vivait en régime d’économie administrée. Ce type d’élites correspondait au personnel politique qu’on retrouvait partout en Europe occidentale. Il y a encore vingt ans, les épreuves des concours de recrutement des hauts fonctionnaires européens ressemblaient beaucoup à celles des grands concours français. Aujourd’hui, c’est fini ! le modèle à l’anglo-saxonne a gagné, comme en témoigne l’évolution de Sciences Po. Il s’agit de ne plus sacraliser la fonction publique, de donner moins de place à des disciplines classiques comme l’histoire au profit d’enjeux bien plus actuels tels que les études sur le genre. Les grandes écoles se sont adaptées à ce nouveau modèle en envoyant leurs étudiants en stage à l’étranger. Mais, au niveau de notre classe politique, le décalage reste incontestable, particulièrement en matière de maîtrise des langues étrangères.

Entre ces deux modèles, le FN refuse de choisir puisqu’il tient un discours anti-élites tous azimuts. Ses diatribes visent tout autant les élites traditionnelles issues de l’ENA que les élites mondialisées. Dans ces conditions, sur qui pourra-t-il encore s’appuyer pour arriver au pouvoir et surtout l’exercer ? Aujourd’hui, il ne donne aucune réponse crédible à cette question.

Le rejet de l’énarchie et des élites mondialisées permet de capitaliser des voix à bon compte. Mis à part cette fibre populiste, le refus de l’immigration constitue-t-il le ressort unique du vote frontiste ?

Ce qui unit l’électorat FN dans sa diversité, c’est la défense identitaire, si l’on ne limite pas l’identité à l’immigration. L’identité, ce n’est pas uniquement une question ethnique, mais aussi sociale, économique et territoriale. J’ai été pendant des années professeur en Lorraine, à Metz, où l’effondrement de la sidérurgie a entraîné la fin d’un monde. Dans les provinces françaises, les politiques de reconversion industrielle menées par la droite et la gauche ont coûté très cher, pour des résultats très en deçà de ce qu’on pouvait en attendre. Il y a aujourd’hui des populations qui sont très difficiles à employer vu la technicité d’un certain nombre de métiers.

À mesure que les écoles ferment et que les services publics s’en vont, la désertification se développe. Les gens ne disent pas seulement « on n’a pas assez de retraite, on n’a pas assez de salaire », mais, de plus en plus, « vous êtes en train de casser notre mode de vie ». En jouant la carte des territoires et de l’enracinement, le FN met le doigt sur des réalités d’importance et capte donc un électorat rural qui n’était au départ pas le sien.

Le congrès du FN, qui se déroulera à Lyon fin novembre, se conclura très certainement par l’adoption d’une motion unique. Derrière cette unanimité de façade, la diversité idéologique, qui va des nationaux-libéraux (Aymeric Chauprade) aux souverainistes gauchisants (Florian Philippot), menace-t-elle la cohésion du parti lepéniste ?

Je ne suis pas certain que les clivages internes s’expriment aussi profondément que vous le dites. Marine Le Pen a deux atouts pour elle : elle est l’élément fédérateur et elle réussit ! Aussi longtemps que ses succès la porteront, ce qu’elle dit restera incontesté. Ainsi, un certain nombre d’anciens militants qui avaient quitté le FN sont en train d’y revenir, en se disant qu’il faut en passer par là car Marine Le Pen gagne. Mais, et là vous avez raison, par-delà le charisme personnel de sa présidente, se pose la question du futur programme de gouvernement que devra élaborer le FN. Marine Le Pen est très habile, mais cela ne veut pas dire qu’elle a gagné la bataille de la compétence ! En matière de politique extérieure, c’est assez flou, elle peine encore à trancher entre les positions des uns et des autres. Sur le plan économique, les choses sont plus claires, mais la ligne retenue suscite quelques réticences. C’est sur les questions européennes que la présidente du FN est sans doute la plus fédératrice, mais il s’agit davantage d’une fédération de rejets que de propositions alternatives.

À vous entendre, les militants frontistes obéissent comme un seul homme à Marine Le Pen, quitte à mettre leurs divergences sous le boisseau. À terme, l’émergence de personnalités concurrentes telles que sa nièce Marion Maréchal-Le Pen ou même Florian Philippot ne pourrait-elle pas lui faire de l’ombre ?

Gare au malentendu : le FN n’est pas seulement un parti de militants ! C’est d’abord un parti d’électeurs dominé par une figure charismatique, dont la force de frappe passe par les médias et non les appareils. Dites-vous bien que le congrès va bien plus intéresser la presse que les électeurs du FN. Pour répondre à votre question, il serait intéressant de comparer les taux de notoriété. Qui l’opinion connaît-elle du FN en dehors de Marine Le Pen ? Peut-être Florian Philippot et Louis Aliot, Marion Maréchal, Bruno Gollnisch et Gilbert Collard. Toutes ces individualités comptent moins que l’étiquette frontiste et les thèmes mobilisés. Parmi eux, il faut compter avec la question de l’islamisme et sa force d’attraction. Aux régionales de 2010 en Lorraine, où le FN avait recueilli 14,87 % des voix, une liste soutenue par des groupements dissidents (Mouvement national républicain, Parti de la France, Nouvelle Droite populaire), et dont les quatre femmes têtes de listes départementales n’étaient pas connues du grand public, a recueilli 3 % des voix, avec comme seul mot d’ordre : « Stop aux minarets en Lorraine ! ». Au-delà des questions de personnes, un éventuel changement de nom et d’emblème du parti représente donc un enjeu crucial pour le FN de demain.[/access]

 *Photo : Hannah.

Robespierre contre Super Mario

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robespierre revolution creed

Alors, si on a bien compris, le personnage de Robespierre et, au passage les soldats de l’An II qui ont tout de même, excusez du peu, sauvé par les armes ce qui fait notre Nation aujourd’hui, sont attaqués dans un jeu vidéo du nom d’Assassin’s Creed. On est assez nul en jeu vidéo, et même complètement étranger à cet univers. On vient d’ailleurs de lire dans Le Monde que le joueur de jeux vidéo avait en moyenne 31 ans, était un homme et était inactif. On ne sait pas pourquoi, mais ce genre de portrait robot ne nous donne pas très envie de nous intéresser davantage à cet univers-là. Ca sent tout de même un peu le célibataire malpropre un poil autiste, un genre de personnage de Simenon des années 2.0. , qui est à deux doigts de sombrer dans le meurtre en série ou d’aller s’engager dans le Jihad pour voir comment ça fait d’égorger en vrai (IRL comme disent ces nouveaux zombies) et non plus derrière un écran en tripotant dans des spasmes onanistes, une manette pleine de boutons.

Il n’empêche, on a cru comprendre aussi que le jeu vidéo était, du fait de l’abondance de pratiquants, un enjeu aussi commercial qu’idéologique. On peut non seulement par ce biais se faire du pognon mais aussi, de manière très gramsciste, créer ou accompagner des représentations dominantes pour les faire passer comme des choses qui vont de soi. On ne compte plus les jeux où l’on dézingue le méchant du moment,  Castro, Chavez, Ben Laden, bref toute la gamme qui va, sans trop faire de détail, de l’islamiste barbu à la racaille néocommuniste. Dans ce cas précis,  il s’agit donc de faire passer Robespierre pour un monstre. Finalement, ça ira plus vite que du Furet, historien en son temps financé par les universités US aux fonds abondés par les think tanks néolibéraux et anticommunistes  et qui a beaucoup fait pour détruire jusqu’au désir de changer la moindre des choses dans notre monde car cela conduirait forcément à la Terreur, au Goulag, aux Camps de la mort. Ce n’est pas compliqué, tu demandes une augmentation du SMIC et la sauvegarde des services publics, et tu es déjà un khmer rouge…

On remarquera que Robespierre en prend donc plein la tête, comme diraient les joueurs de jeux vidéo, ces derniers temps. L’année dernière, c’était un masque de l’Incorruptible reconstitué par un soi-disant spécialiste de la chose et un médecin légiste qui avait dû faire son stage au cirque Pinder. Comme par hasard, Robespierre y apparaissait monstrueux et grêlé, car c’est bien connu, quand on est méchant, on a une sale gueule, selon la philosophie politique décidément très élaborée de ces gens-là.

Alors rappelons, simplement, que sur Robespierre, on n’est pas obligé de croire les libéraux et les réacs, que la Terreur à Paris a fait moins de morts que la Semaine Sanglante contre les Communards et que Robespierre est une des plus belles voix humaines de l’émancipation. Mais sans doute, à l’époque où un Gattaz voudrait que la France sorte de l’Organisation internationale du Travail, l’organisme onusien sur les questions sociales, car il trouve encore trop contraignantes leurs recommandations pourtant minimales,  à l’époque où un Macron  voudrait bien geler les salaires sur trois ans et assouplir les 35 heurs qui à force d’être assouplies vont finir par ressembler à une contorsionniste dans un cirque,   à cette époque, donc, est-il difficile d’accepter la parole de celui qui osait dire: « Le peuple ne demande que le nécessaire, il ne veut que justice et tranquillité ; les riches prétendent à tout, ils veulent tout envahir et tout dominer. Les abus sont l’ouvrage et le domaine des riches, ils sont les fléaux du peuple : l’intérêt du peuple est l’intérêt général, celui des riches l’intérêt particulier ”

Et puis, il n’y a pas que Furet dans la vie. Allez voir du côté Slavoj Zizek qui essaie de penser Robespierre et la Terreur comme un moment dans une histoire beaucoup plus complexe et claire à la fois puisque c’est celle de l’éternel désir d’égalité entre les hommes et écoutons justement, en guise de conclusion, ce que dit Zizek, tout de même plus crédible que SuperMario sur cette question, dans Robespierre, entre vertu et Terreur (Stock)  “ Ma thèse est de dire : il y a des situations où la démocratie ne fonctionne pas, où elle perd sa substance, où il faut réinventer des modalités de mobilisation populaire. La Terreur ne se résume pas à Robespierre. Il y avait alors une agitation populaire, incarnée par des figures encore plus radicales, comme Babeuf ou Hébert. Il faut rappeler qu’on a coupé plus de têtes après la mort de Robespierre qu’avant – mais lui avait coupé des têtes de riches. »

A notre connaissance, aucune marque de jeu vidéo n’a proposé de reprendre le scénario de Zizek. C’est bien dommage : puisque le jeu vidéo fait désormais office de manuel d’histoire pour le décérébré contemporain, on aurait pu rééquilibrer la balance…

 *Image : L’exécution de Robespierre (wikicommons).

Casanova Variations

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casanova variations malkovich

Quand j’étais gosse, il y avait à Marseille-Centre une bonne vingtaine de cinémas, qui vers la fin des années 60 se sont, pour la plupart d’entre eux, réaménagés en multiplexes. Bref, à l’orée des années 70, on avait le choix, entre la Canebière et les rues adjacentes, sans compter quelques salles un peu plus lointaines, sur le port (le Festival) ou au pied de Notre-Dame-de-la-Garde (le Breteuil), à une bonne cinquantaine de films chaque semaine. Etonnez-vous qu’après ça j’aie été moyennement présent aux cours de géographie, en hypokhâgne et en khâgne, inopportunément placés le mercredi de 14 à 16, à l’heure où une grande rumeur de nouveaux films à voir de toute urgence arrivait jusqu’à moi — jusqu’à nous : parce que nous étions nombreux à préférer les salles obscures, propices aussi aux ébats maladroits et fougueux, à l’administration de pédagogies sages. Je ne veux pas refaire Les 400 coups, Truffaut se suffisant à soi-même, mais qu’est-ce que j’ai pu rêver devant les photos agrafées à l’extérieur des salles, autour desquelles nous bâtissions tout un scénario qu’immanquablement le film détruisait, pour notre plus grand plaisir.

De toutes ces salles, de tous ces pièges, sur la Canebière, il n’en reste qu’une,les Variétés — rue Vincent Scotto, juste à côté de la caserne de pompiers, pour ceux qui connaissent. Il m’est arrivé d’entendre au milieu d’un film le hurlement des sirènes des camions partant à l’assaut d’un sinistre lointain.
Une seule. Pour le reste, les salles ont été reconverties en fast-foods, en fac de Droit, en supermarchés du dispensable et de l’indispensable, où viennent se fournir en biens de première nécessité les Algériens qui débarquent des navettes. Que cette ville soit parvenue à être, un an durant, capitale européenne de la culture fut sans doute le résultat d’un bluff monumental.

Aux Variétés donc j’ai vu hier après-midi les Casanova Variations (variations au sens des Variations Goldberg de Bach, thème repris en ruban ou en vis sans fin, voir la bande-annonce), un excellent film, quoi qu’en disent les cagots des Inrocks qui parlent de « mondopudding » indigeste — parce que le héros est italien, l’acteur américain, le réalisateur autrichien, et que c’est tourné à l’opéra de Lisbonne : ils ont oublié que l’actrice principale, la très belle Veronica Ferres, est allemande. Et alors ? Télérama et le Monde, au moins, ont essayé de voir plus loin que le générique (faut-il que j’aie aimé le film pour que j’en arrive à dire du bien de Télérama et du Monde !).
Comme le film passe en tout et pour tout dans une cinquantaine de salles en France, pendant que des merdes innommables occupent les complexes, courez-y avant qu’il ne disparaisse sous les coups de boutoir de Hunger Games et autres blockbusters pré-formatés.
Malkovich face à Malkovich à la recherche de Malkovich… Ou nous-mêmes face à nous-mêmes. Fascinant jeu de miroirs menteurs, d’interrogations en abyme, de carambolages temporels — suis-je ou ne suis-je pas celui qui a fait un enfant à ma propre fille, couché avec le chevalier d’Eon, et séduit mille e tre ragazze rien qu’en Espagne, et seulement 640 en Italie — mais où avais-je la tête : c’est de Don Giovanni qu’il s’agit, pur Castillan, et non de Casanova, Vénitien et cosmopolite — voir le très beau texte écrit par Sollers sur ces deux personnages que Michaël Sturminger, le metteur en scène des Variations au cinéma après les avoir mises en scène au théâtre, mélange au gré d’un opéra inséré dans le film, prétexte à des effets de distance réjouissants. D’ailleurs, c’est peut-être Malkovich lui-même qui a séduit plus de mille femmes, dit la rumeur.
Voici donc le héros vieillissant, bibliothécaire du château de Dux, en Bohème — dans ses derniers moments. Il avait 73 ans, Malkovich a mon âge (mon enthousiasme pour le film ne tient cependant pas à ce détail) et un tout petit peu plus de sex appeal. Le voici confronté à lui-même, baryton quadragénaire autrichien (Florian Boesch), crâne rasé comme lui, le voici surtout confronté aux femmes, à ce(tte) jeune androgyne qui sera peut-être le chevalier / ière d’Eon, puis surtout à cette Elisa mystérieuse qui fut sans doute sa maîtresse (comment se les rappeler toutes ?) et qui veut emporter avec elle le manuscrit des mémoires — publiés, comme on l’apprend au détour d’une image rapide, en 1826. Justement : j’ai la mémoire qui flanche, dit Malkovich — ou est-ce par pure politesse qu’il n’avoue pas qu’il a couché avec… Ici, la liste : c’est ainsi que l’opéra de Mozart se coule dans l’histoire, et que Malkovich (l’acteur) fait un malaise sur scène, au grand émoi des spectateurs, avant que Casanova ne meure tout à fait — peu nous importe, le film est fini, tous les miroirs sont épuisés, le public sort du théâtre São Carlos dans la nuit lisboète, et s’en va dîner, ou flirter, ou rêver, emportant avec lui ses doubles.
Oui, deux heures de pures délices. Un spectacle total, comme l’étaient les grandes comédies-ballets avant qu’on ne les découpe en théâtre / danse / opéra. Casanova Variations, c’est cela tout ensemble — un univers baroque, ou plutôt rococo.

Le film est sorti en France avant de sortir aux Etats-Unis. Il mérite tous les Oscars qu’ils ne lui décerneront probablement pas.

Au FN, chacun pense ce qui lui plaît

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fn philippot bay marion

J’avais quitté Hugo[1. Le prénom a été changé.] jeune chevènementiste las de l’apathie d’un mouvement tombé au fond des oubliettes de la politique. Quatre ans plus tard, je retrouve cette rock-star du militantisme fidèle à lui-même : hâbleur, ambitieux, mais nettement plus enjoué. Il n’est pas donné à tout le monde de délaisser les charentaises de la gauche républicaine pour entrer au Rassemblement Bleu Marine. Arrivé au siège du FN dans les bagages de Florian Philippot, il me dit y couler des jours heureux, sans avoir rien renié de ses idées. Cependant, au nom d’une certaine idée de la tolérance, plusieurs de ses anciens camarades ne lui adressent plus la parole, horrifiés par son ralliement à un parti dont ils croient qu’il veut jeter les étrangers à la mer (voir encadré). Peu lui chaut. Faisant fi des cancans, Hugo aborde le prochain congrès frontiste – prévu à Lyon le dernier week-end de novembre – en pleine confiance : « Si j’étais Marine Le Pen, j’essaierais de temporiser avant le congrès à motion unique et préparerais une grande synthèse consensuelle qui ravirait tout le monde. Mais elle a choisi de nous donner raison sur le plan économique. La ligne Philippot a gagné. »

Justement, le Congrès sera au moins l’occasion de savoir si la greffe a pris. Car le « marinisme » est en quelque sorte un monstre idéologique. Au départ, un cocktail de positions « de gauche » sur la mondialisation et l’économie et d’idées dites « de droite » sur l’immigration et la sécurité – l’incapacité d’un Mélenchon à faire le lien entre les deux expliquant que le peuple lui préfère « la Le Pen » : elle sait, elle, qu’on ne séduit pas le prolo en lui chantant les beautés du monde métissé. En réalité, la question de l’immigration, fédératrice pour les électeurs, fait largement consensus chez les cadres, quoi qu’ils n’emploient pas la même rhétorique. Ce qui divise le FN en profondeur, c’est bien la perception du capitalisme et, par conséquent, la place de l’État. Question d’analyses, mais aussi de représentations, d’héritages, de modes de vie, de réseaux. Bref, de sensibilités. Plus républicaines chez les uns, plus identitaires chez les autres. Affaire de dosage.[access capability= »lire_inedits »]

De ce point de vue, il y a bien deux lignes au Front national. Tout le talent de Marine Le Pen est de les faire coexister paisiblement. La « ligne Philippot », selon Hugo ? Un mélange de social-étatisme, de gaullisme et d’indifférence aux questions morales (mariage gay, IVG…) qui met en rogne l’aile droite du FN, volontiers plus libérale, conservatrice et catholique, à l’image du tandem que forment Marion Le Pen et Aymeric Chauprade.

Si en termes de pouvoir, l’enjeu du prochain congrès est inexistant, il permettra cependant de mesurer l’influence respective des petites musiques que j’ai entendues au cours de mon enquête. Pour l’instant, on n’entend guère de fausses notes qui viendraient troubler l’harmonie imposée par la chef. Mais chacun cherche à l’influencer et à placer ses hommes dans les instances dirigeantes.

Chemin faisant, mes rencontres m’ont rappelé de vieux cours de sociologie politique sur les différents types de légitimité. Dans la typologie de Max Weber, Marion Le Pen incarne la légitimité traditionnelle du FN, en l’agrémentant d’une tonalité nationale-catholique proche des positions d’un Philippe de Villiers, dont Chauprade fut autrefois le collaborateur. Philippot, « l’énarque du FN » qui a révolutionné des pans entiers du programme économique, représente la légitimité « rationnelle-légale » du technocrate qui a « gauchisé » le projet économique frontiste. Entre ces deux pôles, le cœur de Marine Le Pen balance… parfois au fil d’un même discours. Hugo jure pourtant qu’il n’y a aucune ambiguïté : « Il n’existe qu’une seule ligne économique. Sur ces questions, Marion Le Pen parle comme Florian. Mais certains, y compris à l’intérieur du FN, ont intérêt à accréditer le mythe d’une diversité idéologique, pour pouvoir séduire un électorat de droite conservateur. » Prenez n’importe quel militant, demandez-lui quelle recette idéologique a la faveur de ses chefs, il vous fournira inéluctablement la même réponse : la sienne, pardi !

Fort logiquement, François[2. Le prénom a été changé.], un élu en phase avec la ligne Marion-Chauprade, énonce un diagnostic rigoureusement inverse : « La majorité de nos électeurs défendent les libertés économiques, ce qui n’empêche absolument pas l’intervention de l’État stratège quand c’est nécessaire. » Et de poursuivre, en orfèvre de la synthèse – ou de la langue de bois : « Marion et Florian Philippot s’opposent moins sur le fond qu’au niveau de leurs approches de l’économie : spontanément, Marion parle des petits commerçants et patrons de PME, tandis que Florian part toujours de l’État. » La bienveillance de ce jeune homme, libéral et conservateur, pour Philippot, n’est pas totalement gratuite : « Florian est l’homme qui murmure à l’oreille de Marine », admet-il. Il est aussi celui qui se permet de publier des communiqués sans l’autorisation de la présidente et a installé sa tente sur les chaînes infos. Partisan de la paix des ménages, François ravale ses convictions libérales et conservatrices pour la cause. « Même ceux qui se détestent s’aideront mutuellement s’ils sont embarqués dans le même navire », écrivait déjà le général chinois Sun Tzu il y a deux mille cinq cents ans !

Suivant ce vieil adage, il arrive à chacun des deux camps de faire un pas vers l’autre. Ainsi, l’ancien chevènementiste Yannick Jaffré, président du Collectif Racine sur l’enseignement, s’est-il fait longuement applaudir à Fréjus, où se tenaient les universités d’été du Front national de la jeunesse, en s’appropriant les thèses de Renaud Camus sur le « grand remplacement ». Dans le sens inverse, l’ex-mégrétiste Nicolas Bay, député européen et numéro 3 du parti, recouvre ses convictions identitaires d’une couleur républicaine. Moins idéologique que pragmatique, Bay, 36 ans, jongle avec les concepts comme un représentant de commerce avec les arguments de vente : « Il n’y a pas d’identité sans souveraineté, et réciproquement. Marine considère que la République et la laïcité sont les outils les plus rassembleurs et les plus efficaces pour défendre notre identité face au communautarisme» Sous ses airs de gendre idéal costume-cravaté, Bay manie l’euphémisme aussi bien que la fourchette, dans la brasserie de l’Ouest parisien où il a ses habitudes. Par « communautarisme », traduisez « immigration », LE sujet qui fédère électeurs, hiérarques et adhérents frontistes.

Et pour cause, explique le géographe Christophe Guilluy : « Il n’y aurait pas de vote FN sans immigration. » Au lendemain de la victoire du FN aux dernières européennes (25 % des voix, soit respectivement cinq et dix points dans les dents de l’UMP et du PS), la plupart des commentateurs se sont pourtant escrimés à assimiler le tsunami frontiste à une vague quasi mélenchoniste. Tout ça, c’est la faute au chômage et au capital. L’expert de l’extrême droite dévie rarement du mythe d’un monde (dés)enchanté où les « zones rurales avec un fort sentiment d’abandon » expriment un « rejet du système économique »[3. «  FN : la conquête de l’Ouest », Abel Mestre, Le Monde ; 30-09-2014.]. Exit le ras-le-bol des classes moyennes et populaires exaspérées par le poids de l’immigration. Il devient cependant difficile d’ignorer la prégnance de l’élément identitaire. Ainsi Melenchon doit-il admettre au soir des européennes que « la question ethnique se substitue à la question sociale », sans pour autant tirer les conséquences de ce diagnostic. Qui est aussi celui de Marion Le Pen : « Même à Hayange, qui est une ville ouvrière très pauvre, les gens ont voté sur l’immigration et la sécurité, autant de thèmes classés à droite. »[4. Nombre de militants du FN reconnaissent la séduction qu’exerce le programme économique du Front sur les classes populaires. Mais l’une des petites mains de l’aile droite du Front m’a expliqué qu’il valait mieux nier l’évidence pour torpiller la stratégie Philippot. La politique a ses raisons…] Sans prétendre sonder les reins et les cœurs, on approuvera plutôt Christophe Guilluy, selon lequel « l’enjeu de l’immigration reste essentiel mais la question sociale est lancinante »[5. Entretien de Christophe Guilluy avec l’auteur, 20-10-2014.].

Quoi qu’il en soit, cette combinaison d’identitaire et de social fait toute la singularité d’un parti qui réussit là où les sécuritaires libéraux à la Jean-François Copé et les marxistes angélistes à la Jean-Luc Mélenchon se cassent les dents. « Marine sait tenir un discours économiquement très à gauche tout en donnant des gages sur l’insécurité et l’immigration », me confirme Hugo. De fait, en Normandie et en Bretagne, où les candidats frontistes ont quintuplé leurs scores en l’espace de quelques années, la martingale électorale tient à deux facteurs sociologiques : les espaces ruraux désindustrialisés se précarisent, cependant que les centres-villes comme Rennes ou Nantes se parisianisent. Comprenez : ils s’embourgeoisent et se colorent, au grand dam du « petit blanc », relégué en zone pavillonnaire. Et tous les discours lénifiants sur le « vivre-ensemble » n’y changent rien : le grand remplacement du petit peuple des villes par les bobos et les représentants de la « diversité » favorise la flambée du vote FN, a fortiori dans les régions où la vague d’immigration se révèle la plus dynamique.

L’avantage de l’observateur sur le militant, c’est qu’il a le droit à la complexité : il serait trop simpliste de calquer entièrement la carte de la progression du FN sur celle de l’immigration. Géographiquement parlant, on a encore affaire à deux sociologies, donc à deux partis : un FN méridional « identitaire » s’adressant aux retraités « de souche », apeurés par la vitalité démographique de leurs voisins d’origine maghrébine ; un FN « social » du Nord aux électeurs pauvres, moins concernés par l’immigration mais touchés de plein fouet par la désertification industrielle. Aux premiers, plutôt aisés, le projet d’une « union des droites », telle qu’elle se réalise déjà à la base : Marion Le Pen, ayant siphonné l’électorat UMP du Vaucluse, convient parfaitement. Les seconds se retrouvent dans le « ni droite ni gauche » cher à Philippot. Les habitants d’Hénin-Beaumont et de Forbach issus de familles de gauche n’ont probablement pas le sentiment de changer de camp en glissant un bulletin FN dans l’urne. Quoi qu’en disent les sociologues de salon, leur transhumance électorale n’a rien d’une quelconque « droitisation ». Le prolo ch’ti n’abandonne pas Jaurès pour Maurras ou Barrès !

Il n’empêche, les anciennes terres rouges passées au « brun » ne laissent pas d’ébranler les intellectuels de gauche. L’un d’eux, Didier Eribon, pourtant expert ès procès en sorcellerie[6. Afin de saluer sa lucidité intermittente, on passera sur les diatribes baroques d’Eribon contre le « réactionnaire Marcel Gauchet », la « pensée fascistoïde d’Alain Finkielkraut » (!) et autres « chroniqueurs de droite et d’extrême droite qui prospèrent » dans les journaux dits de gauche, au service de l’idéologie du FN. À croire que le prolo d’Hénin-Beaumont navigue entre France Culture, Le Monde et Libération !], est obligé de le reconnaître : « Quand on voit tous les commentaires que cela engendre, on se dit que les classes populaires ont raison de voter FN, car c’est à ce moment-là qu’on en tient compte, qu’on se souvient même de leur existence.»[7. « Le divorce entre les classes populaires et la gauche », La Grande Table, émission animée par Caroline Broué, France Culture, 10 avril 2014.] Lors de son retour au pays natal, à force de discussions avec sa mère et son frère, anciens électeurs communistes convertis au vote FN, Eribon a compris que « les gens d’en haut sont perçus comme favorisant l’immigration et ceux d’en bas comme souffrant dans leur vie quotidienne de celle-ci »[8. Retour à Reims, Champs « Essais », 2010.]. L’aveu a dû être d’autant plus douloureux à ce disciple de Pierre Bourdieu que sa mère, femme de ménage, et son frère, boucher, figurent le peuple de gauche – à jamais ? – perdu. Une réalité qu’Hugo retranscrit avec ses mots de jeune apparatchik : « On trouve des gens de tous milieux chez nos militants et électeurs, notamment beaucoup de laissés-pour-compte de la France périphérique. » Le « déménagement du monde », selon la belle expression de Jean-Luc Mélenchon, relègue ainsi 60 % de la population, habitant zones rurales et périurbaines, en dehors des aires de croissance et d’emploi. Avec une pareille rente de situation, le FN apparaît comme le grand gagnant de la mondialisation malheureuse.

Reste qu’on ne dirige pas la France avec des formules magiques. Autrement dit, la plupart des cadres savent que le jour de gloire n’est pas pour demain. Ni pour 2017. Certes, Marine Le Pen peut compter sur l’« UMPS » pour n’avoir d’autre ambition que de gérer le désastre et ainsi faire campagne à sa place. Certes, plus personne ne met en doute le succès de la dédiabolisation, que Marion Le Pen résume d’un trait : « Marine a rompu avec la stratégie de son père : Jean-Marie Le Pen pensait que le FN progressait grâce aux polémiques, sa fille est persuadée qu’il a progressé malgré elles. »[9. Désormais, les petites phrases du patriarche (« Monseigneur Ebola », « la fournée », etc.) suscitent la désapprobation unanime des dirigeants frontistes, qui y voient autant de sales coups portés à l’ascension du Front.] Devenir un parti contestataire de gouvernement ne va pas de soi. Quiconque aspire à devenir un homme – ou une femme – d’État ne peut éternellement miser sur la stratégie du judoka. Celle-ci l’a amené à 10 à  15 % des intentions de vote. Aujourd’hui, on a affaire à un parti populiste qui frôle les 30 %, et se pose la question de son accession au pouvoir. Pour la présidente du FN, il reste encore à gagner la bataille de la crédibilité. Ce n’est pas la plus facile. Le ramdam médiatique qu’elle essaie de susciter autour des boîtes à idées nées dans l’orbite du RBM (« Audace » à l’usage des jeunes actifs, « Racine » pour les profs, « Marianne » pour les étudiants, etc.) révèle d’ailleurs sa fébrilité face aux carences de l’appareil frontiste.

Peut-on structurer à marche forcée le grand bazar qu’est aujourd’hui le FN d’en bas, où l’on croise pêle-mêle des lecteurs de Dominique Venner rêvant d’une Europe charnelle blanche et païenne, des néogaullistes allergiques à la monnaie unique, le dernier réduit de cathos tradis gollnischiens, et une masse de militants peu idéologisés ? Cinquante pour cent des adhérents ayant pris leur carte ces quatre dernières années, leur profil s’avère difficilement cernable. D’où l’intérêt du questionnaire que le parti distribuera aux militants pendant le congrès de Lyon, histoire de les sonder sur leur itinéraire… et la question épineuse du changement de nom d’un parti qu’une grande partie des Français associe, encore et toujours, au nom de Jean-Marie Le Pen.

Ulcérés par la réformite mariniste, certains nostalgiques du Front « canal historique » crient au reniement.  Mais les oligarques frontistes n’ont pas ce genre de scrupules. Les yeux rivés sur la présidentielle, ils espèrent rallier le train de l’Histoire en marche. Entre ambitions larvées et franches divisions,  qui sait si le Front national n’est pas en train de devenir un parti du « système »…

 

Ne tirez pas sur les oiseaux remigrateurs !  

C’est une bombe à retardement qui n’attend plus qu’à être actionnée. Il est bien joli de dénoncer l’immigration, mais rien ne permet de savoir ce que ferait vraiment le FN s’il arrivait au pouvoir. Au détour de ses discours, Marine Le Pen évoque à mots couverts « l’inversion des flux migratoires ». Dans la bouche d’Aymeric Chauprade, les choses sont plus claires : djihadistes et immigrés « non assimilés » vivant des aides sociales ont vocation à quitter la France pour le pays de leurs ancêtres. Qu’importent les contraintes du droit de la nationalité et de la Convention européenne des droits de l’homme (que le FN entend récuser une fois arrivé à l’Élysée !), le tout est d’encourager les départs volontaires en démantelant l’État providence. Une contradiction flagrante avec les éloges de l’État social que multiplient Marine Le Pen et Florian Philippot. « Faux ! », rétorque Marion Le Pen, qui extirpe des clauses oubliées du programme du Front : durcissement des conditions de naturalisation, déchéance de nationalité notamment infligée aux binationaux djihadistes, suspension des aides sociales aux délinquants… Bref, la députée du Vaucluse prône l’application d’« une politique passive dont les contours restent à préciser. Le droit doit rendre le pays moins attractif et amener les non-assimilés à partir ». La grand-mère de Martine Aubry aurait senti un certain flou, autant dire un loup, dans ces circonlocutions qui sentent le retour du refoulé ethnique. Reste qu’un haut cadre du FN m’a promis une prime d’État si je choisissais la nationalité française – que j’ai héritée par le sang maternel  – au détriment de mon passeport tunisien. En ce cas, un rien bravache, j’opterais plutôt pour le désintéressement, au risque d’un service militaire old school au bagne de Tataouine… À la réflexion, une question me taraude : si ces oiseaux remigrateurs sont si corrompus et islamisés que le FN le prétend, qu’avons-nous fait au bon Dieu, nous Tunisiens, pour récupérer pareils énergumènes ?![/access]

*Photo : ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA. 00656799_000006.

Immigration : faut-il sermonner le Saint Père?

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pape francois zemmour
Soleil

pape francois zemmour

Eric Zemmour est bien d’accord avec les Femen : le passage éclair du pape François à Strasbourg le 25 novembre est un scandale. Sauf que pour l’auteur du Suicide Français, le souverain @pontifex (son petit nom sur Twitter) n’a pas péché par action, en faisant cette apparition au Parlement européen et au Conseil de l’Europe, mais par omission, en n’allant pas célébrer une messe à la cathédrale.

« Qui suis-je pour juger ? »[1. Phrase reprise par Virginie Tellenne (Frigide Barjot) qui en a fait le titre d’un livre sur son engagement pour l’union homosexuelle et contre l’abandon de la filiation biologique (Qui suis-je pour juger, confessions d’une catho républicaine, éditions Salvator, 2014).] avait répondu François l’Argentin aux quelques journaleux qui tentaient de lui arracher une condamnation des homosexuels. Zemmour, lui, ne se pose pas la question. Il est Zemmour, et à ce titre – notoirement supérieur à celui d’évêque de Rome – il est habilité à juger le « serviteur des serviteurs », accessoirement chef spirituel d’un milliard et demi d’humains.

Alors il s’enflamme, dans sa chronique sur RTL : rendez-vous compte, le pape n’a même pas dit « Dieu » ou « Jésus », ni « avortement », ni « euthanasie », ni « mariage homosexuel ». Bref, « il dit les mots qui plaisent, pas les mots qui fâchent ». Sacrilège, semble s’étouffer notre zorro national ! Pire encore : « Il prône l’accueil généreux des migrants. » Décidément, on aura tout vu.

Un pape qui fait comme un certain Jésus-Christ dans l’Evangile, qui préfère la simplicité au faste, la douceur à la violence, et qui veut une Eglise ouverte sur le monde ? Et pourquoi pas le pardon et l’amour du prochain, tant qu’on y est ? D’autant qu’il y a plus grave encore, accrochez-vous : « Ce pape est obsédé par le dialogue entre le christianisme et l’islam. »

Alors là, forcément, si François n’est même pas cap’ d’appeler à la guerre sainte contre les mahométans, on se demande bien ce qui fait encore la supériorité de l’humanisme chrétien sur la barbarie islamiste ! Vous allez voir qu’un jour, cette pourriture gauchiste va nous expliquer qu’il faut aimer nos ennemis, comme l’autre Palestinien barbu dans la Bible.

« François jette les dogmes aux orties pour complaire à l’époque », explique donc tranquillement le gardien de la foi cathodique. Et d’évoquer « sa complaisance à l’égard du mariage homosexuel », bien connue de tous les catholiques qui ont lu la lettre dans laquelle il déclarait : « L’adoption du projet de loi serait un grave recul anthropologique. Le mariage (formé d’un homme et d’une femme) n’est pas la même chose que l’union de deux personnes de même sexe. »

« Le pape François est l’idole des médias, des députés européens et de la gauche occidentale, accuse enfin le néo-réac chéri de L’Obs. Il n’a pas l’air de s’inquiéter que les habituels contempteurs les plus sarcastiques et vindicatifs de l’Eglise l’applaudissent. » Mon Dieu ! Un pape « qu’adorent nos contemporains progressistes » ! Tous aux abris, le spectre de la réconciliation plane à l’horizon !

Autant il est toujours salutaire d’entendre Zemmour torturer les oreilles chastes de nos progressistes intégristes et autres néo-inquisiteurs médiatiques, autant son sermon condescendant adressé à un pape jugé trop moderne fait un peu pitié. Finalement, depuis la sortie de son best-seller, on se dit que la différence entre Eric Zemmour et un chrétien, c’est l’espérance. Tiens, ça rime avec France…

*Image : Soleil.

Théorie du genre : Petit Poilu à l’assaut des différences

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najat petit poilu genre

najat petit poilu genre

Aujourd’hui, je vais vous raconter l’histoire de « L’expérience extraordinaire », quinzième tome des aventures de Petit Poilu (Dupuis). Je n’ai pas lu les autres tomes puisque je suis tombé sur ce volume par hasard. J’ai trouvé intéressant de vous faire part de quelques planches de cet album. Dans un souci de faire vite et synthétique, à chaque fois qu’il manque une ou plusieurs pages, je vous écris un bref résumé de l’action. Je vais tâcher de rester purement descriptif dans un premier temps.

00

Une journée ordinaire commence pour Petit Poilu. Cartable sur le dos, il s’en va à l’école.

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Chemin faisant, le soleil tape dur et Petit Poilu se laisse tenter par une baignade dans une piscine. Mais l’eau se transforme soudain en grosses bulles, et notre héros se trouve aspiré vers le fond par un gros tube qui l’avale. Après quelques tourbillons dans d’étranges méandres, il se retrouve craché à l’autre extrémité du tube dans un endroit inconnu. Il a à peine le temps de reprendre ses esprits que deux bras mécaniques munis de pinces le cueillent et l’enferment dans une cage. Petit Poilu découvre qu’il n’est pas seul dans la cage : il y a aussi une petite fille. La BD étant muette, c’est la quatrième de couv qui nous apprend qu’elle s’appelle Ève. Dans la cage, Petit Poilu et Ève font brièvement connaissance et échangent des sourires amicaux. Mais les deux bras mécaniques font de nouveau leur apparition et vont chercher nos deux héros dans leur cage pour les emporter manu militari Dieu sait où.

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Un troisième personnage fait son apparition. Elle tient des manettes de commande et semble présider à une sorte de laboratoire. La quatrième de couv’ nous apprend son nom : il s’agit de Miss Divine. Les deux bras mécaniques larguent brutalement Petit Poilu et Ève dans une sorte de nacelle, et Miss Divine leur donne à voir un écran.

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En toute logique, si vous avez bien suivi, Eve ayant choisi le ballon de foot plutôt que le poney rose, elle subit une douloureuse réprimande en se faisant pincer les fesses et Miss Divine est furieuse. Après cette première expérience, Petit Poilu et Ève se retrouvent de nouveau enfermés dans leur nacelle et trouvent un peu de répit. Mais Miss Divine revient, équipée cette fois d’un flacon bleu et d’un flacon rose. Les bras mécaniques saisissent nos deux héros et les plongent dans un bain. Miss Divine saupoudre du bleu dans le bain de Petit Poilu, puis du rose dans le bain d’Ève. La réaction chimique transforme l’eau en mousse.

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Mais l’effet lobotomisant de l’expérience s’estompe et ils retrouvent tout leur esprit ; Petit Poilu et Ève s’échangent alors leurs jouets. Furieuse de voir Petit Poilu jouer à la poupée et Ève jouer au foot, elle se saisit d’une tapette pour les frapper mais, dans sa rage, dérape sur un jouet à roulettes et tombe assommée sur le sol.

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Fin de l’histoire.

Après cette dernière page de l’aventure, on peut lire ceci :

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Extrait de la quatrième de couv’ :

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Voilà. C’était peut-être un peu long à lire mais, la lecture étant faite, on peut commencer l’analyse des choses. En premier lieu, il convient de chercher quelques informations complémentaires sur les aventures de Petit Poilu. Petit Poilu possède une page officielle sur laquelle on lit ceci :

« PETIT POILU, UN OUTIL PÉDAGOGIQUE ET LUDIQUE !

Petit Poilu figure sur la liste officielle de l’Éducation Nationale et est plébiscité par les enseignants et Inspecteurs de l’Éducation Nationale. La série s’avère être un outil de travail complet et agréable à utiliser en atelier. En effet, chaque tome développe un thème propre autour duquel il est aisé d’organiser des ateliers de discussion même avec les plus petits. De l’amour à la jalousie, de la peur à l’injustice, de l’amitié à la colère, le « petit message qui fait grandir d’un poil » laisse libre cours à la réflexion et ouvre la porte à l’expression orale. »

On peut en effet trouver des fiches pédagogiques correspondant à chaque album. En l’occurrence, nous trouvons la fiche de ce tome ici.

Petit Poilu n’est donc pas une simple BD enfantine comme peuvent l’être Petit Ours Brun, Mickey Mouse ou Popi ; Petit Poilu revendique une charge sémantique « citoyenne » active puisque c’est un outil pédagogique au sein de l’Éducation Nationale.

Bien.

Nous n’allons pas tourner autour du pot pour comprendre de quoi nous parle cette BD. Elle nous parle explicitement de la notion du genre, cette fameuse théorie qui n’existe pas, et fait la promotion de ses interrogations auprès des très jeunes enfants. Nous n’allons pas non plus bêtement hurler au scandale et dénoncer Satan à l’œuvre. Nous allons pourtant hurler au scandale et dénoncer Satan à l’œuvre (ton d’imprécateur médiéval), mais nous allons le faire avec un peu d’intelligence et de mesure.

Nous trouvons évidemment cette BD scandaleuse pour plusieurs raisons :

1. Sous des aspects récréatifs et divertissants, cette BD est clairement un outil de reprogrammation idéologique. Vous allez me répondre que Bayard Presse ou Pif Gadget donnent bien dans le contenu idéologique (catho pour l’un, communiste pour l’autre) et vous aurez raison. Mais Bayard Presse et Pif Gadget ne cachent pas leurs messages et ne font pas dans l’instillation subreptice. Et ni l’un ni l’autre ne nouent de partenariat avec l’Éducation  nationale.

2. Qu’il s’agisse de réalités biologiques ou de construits sociaux, le message de cette BD est qu’il faut les déconstruire et estomper les différenciations. Or les enfants ont besoin de repères et d’identifications claires pour bien grandir, et non de leçons de déconstructivisme. Je veut bien qu’on soit déconstructiviste, mais à la condition qu’on soit devenu une grande personne et qu’on comprenne ce à quoi on s’attaque. Si on veut se lancer dans le jeu des identités floues et des affinités électives, mieux vaut savoir le plus clairement possible la différence entre le Je et l’Autre. Et quand on est un enfant, on est très loin de cette sophistication intellectuelle qui joue sur la transgression. Si on veut briser la norme, il faut d’abord qu’il y ait une norme à briser. L’enfance, c’est l’école de la norme, qu’on le veuille ou non. On ne se roule pas par terre, on est gentil avec les gens, on ne fait pas de caprice, on mange proprement, on apprend à lire. Dans la vie normale, les gens ne se roulent pas par terre à la première contrariété – même si cette notion de « vie normale des gens normaux » peut sembler complètement nazie pour certains. Alors, si on veut se rouler par terre, insulter les gens, faire des caprices et ingérer n’importe quoi, on peut le faire plus grand en devenant par exemple chanteur dans un groupe punk. Mais la vie sex and drugs and rock and roll n’est pas faite pour les enfants. On peut insulter la reine d’Angleterre, mais à la condition d’être un sujet de la reine d’Angleterre. On peut faire du cubisme ou du ready-made, mais à la condition de maîtriser parfaitement la figuration académique qu’on entend subvertir.

3. Dans un monde peuplé de gens normaux, l’école apprend aux enfants des aptitudes techniques et intellectuelles, elle n’est pas là pour les plonger dans des débats participatifs sur le rôle des sciences sociales appliquées aux données biologiques de la sexuation (« organiser des ateliers de discussion même avec les plus petits »). C’est sans doute passionnant quand on est chercheur dans une université ou quand on est impliqué dans une activité collectiviste ponctuée d’AG, mais c’est extrêmement malvenu dans une école primaire.

Ensuite, vient la dimension satanique de l’ouvrage. Je vais expliquer pourquoi j’utilise le mot satanique, sinon on va me prendre pour un illuminé de chez Civitas.

Observons le personnage du « savant fou », interprété ici par une femme qui se nomme « Miss Divine ». Qu’a donc cette femme de divin pour mériter ce nom ?

– Elle règne en maîtresse absolue sur son domaine. Des créatures mécaniques lui obéissent au doigt et à l’œil comme des prolongements d’elle-même, elle semble donc toute-puissante.

– Elle ne manipule presque rien par elle-même, donnant l’image d’un pur intellect qui n’opère que par des intermédiaires – un peu comme Krang dans les Tortues Ninja, cet être qui n’est qu’un cerveau et qui n’interagit avec le monde que grâce à un corps artificiel qui le protège et le transporte. Elle est d’ailleurs maladroite dans le monde réel où traînent au sol des jouets à roulettes, alors qu’elle est très puissante derrière d’abstraites consoles de commande.

– Son but est de créer des êtres humains à son image, c’est un démiurge. La petite fille s’appelle – oh la la la quel hasard dis donc – Ève.

Or, toute Miss Divine qu’elle est, elle apparaît comme méchante et malfaisante. Logiquement, elle devrait s’appelait Miss Maboule, Miss Méchante, ou Miss Sadique puisqu’elle agit en tortionnaire contre les enfants. Mais non. Elle s’appelle Miss Divine. Bon. On va dire que c’est le nom dont elle s’est affublée elle-même pour se donner de la contenance, asseoir son autorité et se prendre pour la démiurge qu’elle rêve être. Soit.

Mais je m’autorise à penser qu’elle s’appelle Miss Divine parce que les auteurs voient réellement Dieu comme ceci : un être qui, au contraire de créer l’homme pour son bien, joue à contraindre pour son mal un homme dont l’existence provenant de la Nature lui précède et dont l’essence est fondamentalement bonne. C’est à dire une inversion totale du Dieu de la Bible et des évangiles, jusque dans son sexe puisque c’est une femme ; voilà pourquoi je parlais de satanique. Le récit est très clair : des enfants – l’homme à l’état pur, l’âge incorrompu, l’innocence – se voient contraints à des affects construits, et le plan échoue. La Nature dit le vrai, Miss Divine – et la norme sociale qu’elle construit – disent le faux. Ça se passe dans un laboratoire, le raisonnement est donc scientifiquement validé. J’émets de sérieux doutes sur l’appartenance des auteurs à une église de Satan (des cagoules, des bougies, des psalmodies lugubres, du sang sur un autel, HA HA HA HA HA) mais je maintiens que cette inversion complète de l’image de Dieu est porteuse d’un certain sens sacrilège assumé, même s’il ne porte pas ce nom et n’est pas avancé comme tel. Ne soyons pas bêtement complotiste non plus.

En général, dans un labo, le savant fou est en blouse blanche. C’est le cliché du scientifique qui travaille en laboratoire. Mais Miss Divine arbore une tenue très éloignée du domaine scientifique. Clairement, Miss Divine est le type parfait de la gouvernante austère. Uniforme victorien, chignon sévère, lunettes de vieille fille, look d’institutrice du XIXème. Miss Divine n’est donc pas une autorité scientifique : Miss Divine est une éducatrice de la morale d’antan, et le laboratoire est un lieu d’expérience comportementale. Sa tenue « de l’ancien temps » évoque évidemment toute la charge puritaine associée traditionnellement à ce rôle.

La leçon est la suivante : nous sommes des êtres non-déterminés, la société (aux valeurs arbitraires et normatives justifiées par une morale obsolète) est un carcan contre la parfaite expression de notre volonté et/ou de notre nature.

La conclusion enfonce le clou : Petit Poilu et Ève plongent Miss Divine dans un bain et lui font subir le double effet de ses potions : en stimulant à la fois le masculin et le féminin, elle devient un monstre hybride (on songe à la scène finale de La Mouche !). On pourrait croire au premier abord que la BD nous apprend qu’on peut être à la fois masculin et féminin (être un garçon qui joue à la poupée et se met un nœud dans les cheveux), mais alors on ne comprend pas pourquoi l’état final de Miss Divine est révulsant et ridicule ! N’incarne-t-elle pas, à ce stade, l’indifférenciation hermaphrodite accomplie ? Eh bien non ! Car ce qu’il faut comprendre, ce n’est pas qu’il faut être de façon égale masculin et féminin (ce qui est est décrit comme un état monstrueux), mais qu’il faut être masculin ou féminin de façon indifférenciée. La sexuation, socle de l’identité, n’est donc pas traitée selon les termes de l’égalité ou de l’équivalence des différences, mais selon les termes de l’effacement de la différence.

En résumé, cet épisode de Petit Poilu nous apprend :

1. que la différenciation est construite.

2. que la différenciation est un obstacle ou un carcan puisqu’elle oblige à choisir l’un pour rejeter l’autre.

3. que l’identité est une expression de notre profonde et seule individualité, hors de tout déterminisme.

4. que notre volonté doit primer sur le reste et finir par s’imprimer sur le reste (notre corps, les codes sociaux).

5. que Miss Divine a tort, puisque c’est nous qui sommes les démiurges de notre propre identité.

6. que nature et culture sont des ennemis – la culture étant le lieu du construit, donc du contaminé par la morale.

7. que les enfants ont raison contre un monde d’avant qui enseigne l’erreur.

C’était un article long et flou, je vous remercie pour votre attention.

*Photo : LECARPENTIER-POOL/SIPA. 00652846_000005. 

«Droit à l’IVG » : une valeur centriste?

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veil udi jouanno ivg

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Chantal Jouanno n’est pas contente. Elle ne comprend pas ce que fait Jean-Christophe Fromantin à l’UDI. « Il n’y a pas vraiment sa place », a-t-elle indiqué sur France 2. Pourtant, le député-maire de Neuilly-sur-Seine fait partie des fondateurs de l’UDI. Il a même récemment été candidat à la présidence de ce parti, obtenant 11,1% des voix, ce qui ne constitue pas un score ridicule. Quel est donc la cause du courroux de Madame Jouanno ? Quel crime M. Fromantin a-t-il perpétré ? Un braquage de banques ? Pire ? Il a donné une fessée à l’un de ses enfants ? Pire ? Il n’est pas favorable au mariage pour tous ? Oui, mais ce n’est pas ça, cette fois, et c’est encore pire. Vous ne voyez toujours pas ? Il a voté contre la résolution « réaffirmant le droit fondamental à l’IVG », lors du scrutin d’hier à l’occasion de l’anniversaire de l’adoption par l’Assemblée nationale de la Loi Veil. Chantal Jouanno décrète, impitoyable : «  C’est voter contre les femmes ». Ah oui, c’est grave, là.

Le problème, c’est que lorsque Chantal Jouanno tente d’être plus précise, elle se prend les pieds dans le tapis. Et elle se ramasse lamentablement. Qu’on en juge : «  C’est même aller à l’encontre de l’esprit de l’UDI car Simone Veil  a symboliquement la première carte d’adhésion de l’UDI, elle est membre d’honneur, elle a la première carte. Hier c’était les 40 ans de son discours sur l’IVG. Voter contre, c’est déjà voter contre les valeurs de l’UDI fondamentalement. » 

L’inculture et/ou la paresse de Madame Jouanno ne l’ont visiblement pas conduite à lire le discours prononcé par Simone Veil il y a quarante ans. À ceux qui hésitaient encore sur leur vote, la ministre de la Santé de Valéry Giscard d’Estaing disait : « À ceux-ci je veux dire que, si la loi est générale et donc abstraite, elle est faite pour s’appliquer à des situations individuelles souvent angoissantes ; que si elle n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement et que, comme le disait Montesquieu : « la nature des lois humaines est d’être soumise à tous les accidents qui arrivent et de varier à mesure que les volontés des hommes changent. » Non, Madame Jouanno, Simone Veil n’a jamais souhaité créé un droit à l’IVG et encore moins le qualifier de fondamental. Ceci s’adresse d’ailleurs à tous mes aimables consoeurs et confrères qui ont répété toute la journée d’hier que cette résolution réaffirmait le droit créé par Simone Veil. Rien n’est plus faux, le texte de son discours resté célèbre, et qu’il convient de lire entièrement, fait foi. Il est vrai que cette lecture peut sembler rébarbative à Chantal Jouanno. Elle aurait pu alors regarder le téléfilm diffusé par France 2 le même soir. On y voit clairement Simone Veil, incarnée par l’actrice Emmanuelle Devos, s’opposer frontalement à Françoise Giroud, secrétaire d’Etat à la condition féminine, laquelle souhaite affirmer « le droit des femmes de disposer de leur corps ». VGE et Jacques Chirac ont souhaité que ce soit la ministre de la Santé qui porte ce projet parce qu’il s’agissait d’une loi de santé publique, et rien d’autre dans l’esprit du gouvernement. Simone Veil rédigea sa loi et prononça le discours en ce sens. Dans le téléfilm, on la voit même demander au ministre de l’Intérieur Poniatowski : « Mais faites taire Giroud ! ». Aujourd’hui, elle dirait sans doute : « Mais faites taire Jouanno ! ».

Car si quelqu’un a été fidèle au discours de Simone Veil, ce n’est pas Chantal Jouanno, c’est bien Jean-Christophe Fromantin.

*Photo : AURORE/SIPA. 00456401_000004.

Tocqueville à Koh-Lanta

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koh lanta tocqueville

koh lanta tocqueville

Entre le début du mois de septembre et la fin du mois de novembre, j’ai fait l’expérience de la téléréalité. Non pas en tant que candidat bien sûr, en tant que téléspectateur. C’était déjà de ma part un effort d’intégration sociale et de communion cathodique avec mes semblables. J’en avais assez de passer pour inculte dans les dîners et aujourd’hui, moi aussi je peux briller. En bientôt quinze ans, le phénomène de la téléréalité s’est étendu et l’offre est devenue si vaste que, sur certaines chaînes, on ne sait plus très bien où commence le réel et où s’arrête la farce (JT inclus). Dans l’embarras du choix, qu’allais-je choisir ? Les amours dans la gadoue ? Les petites verrines chronométrées ? Danse et dents blanches ? L’école des fans pour adulescents ? Les sous-doués en vase clos ? Rien de tout ça ; va pour Koh-Lanta.

Soucieux de voir se rencontrer les disciplines qui rebutent et les grands succès du petit écran, j’ai fini par me dire que l’émission Koh-Lanta ferait un excellent sujet d’étude en philosophie politique. Et je n’ai pas été déçu. Si Tocqueville avait eu à débarquer en Thaïlande, en Malaisie ou aux Philippines avec les équipes de tournage (si tant est que l’Université française puisse encore produire des Tocqueville), il aurait fort bien pu en déduire les inclinations politiques actuelles, sans pour autant tomber dans la fange où se complaisent d’autres émissions. On y voit en effet une vingtaine de personnes venues de tous horizons qui, mues par l’envie de remporter individuellement une coquette somme mise en jeu, sont invitées à former deux équipes distinctes, l’une rouge, l’autre jaune, et à surmonter certaines épreuves. Échelonnés sur plusieurs semaines, leurs exploits et leurs péripéties émanent d’abord de l’affrontement entre ces deux équipes, puis, dans une seconde phase de jeu, de talents individuels au sein d’une seule équipe réunifiée après plusieurs éliminations de part et d’autre. Trois champs de compétences se profilent alors : le souci du confort collectif, la performance physique, l’entregent stratégique.

Tout « aventurier » qui se respecte doit avoir avant tout, ou la capacité, ou du moins la volonté de tirer parti de l’environnement pour les besoins du groupe. Pêche, cueillette, cuisine, vaisselle, cabane ou feu de camp, les occasions de se montrer ingénieux et dévoué ne manquent pas. Le candidat en tirera une indéniable reconnaissance de la part de ses coéquipiers, jamais, toutefois, au point de faire oublier la cagnotte. Il y a, dans ce domaine, les meneurs et les suiveurs. Les premiers ne peuvent pas compter que là-dessus pour s’en sortir, les seconds doivent donner le change d’une manière ou d’une autre. Ensuite, il y a l’effort physique. Un candidat peu apte à donner de sa personne lors des épreuves collectives sera très vite assimilé à un boulet, à moins qu’il n’ait eu l’intelligence d’être préposé à la confection des repas ou de s’être rendu un temps indispensable par sa dextérité à utiliser les palmes et le harpon. Enfin, pour celles et ceux qui ne brillent ni par leurs qualités sportives, ni par la débrouille et la symbiose avec la nature, qui ne sont donc ni Rambo ni Robinson, il reste le bla-bla. Untel est certes bon nageur, mais il en devient trop dangereux ; telle autre s’active sur le camp mais elle pense ceci de toi, etc. L’art et la manière de faire et défaire des alliances provisoires en prétextant l’esprit d’équipe, le fair-play ou l’amitié naissante, les larmes aux yeux et la main sur le cœur. Eh oui, car la nuit tombée, le présentateur Denis Brogniart convoque l’équipe (poussive ou réunifiée) autour d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour, sanctionnant l’élimination d’un candidat.

À tour de rôle, chacun vient alors déposer secrètement dans une urne en bois ethnik son petit bulletin assassin, s’employant, en off, à motiver son choix, les sourcils en chevron et le regard en peine. L’affaire se complique lorsqu’un candidat veinard, se sentant en grand danger, a le mauvais goût de jouer le collier d’immunité – caché sur l’île par les producteurs facétieux – glané lors d’une cueillette de jésuite. Dans ces cas-là, les conjurés se lancent discrètement de gros yeux, comme s’ils s’étaient assis sur un objet saillant. Qu’il s’agisse d’évincer un candidat suite aux mauvais résultats de l’équipe dans les grands défis, ou, plus encore, du chacun-pour-soi qui prévaut après réunification, le spectacle politique est toujours gros d’enseignements. Il y a celle qui veut se venger d’un manque de politesse à son égard, celui qui se méfie d’un candidat qu’il estime lui être supérieur en tout, celui encore qui, pris en défaut de caractère, s’en remet systématiquement à l’avis du fort en gueule. Il y a aussi le candidat qui se fait fort d’appliquer la justice et de voter au mérite ; celui-là est tellement désarmant qu’il est pris pour le pire des fourbes et ostracisé dès que possible. Enfin, il y a ceux qui, d’anciens rouges qu’ils étaient avant réunification, avouent être dans l’incapacité morale d’éliminer l’un des « leurs », comme si le fait d’avoir partagé durant une semaine un bol de riz et un coin de sac de couchage avaient fait d’eux des frères de sang, les empêchant de récompenser le talent des anciens jaunes. Gageons que la plupart d’entre eux, dans le civil, se revendiqueront ouverts à l’étranger et rétifs aux grandes manifestations cocardières. Et le jour de la grande finale, tous seront appelés à voter une dernière fois pour le plus complet des deux finalistes – généralement celui qui sera parvenu à se mettre à dos le moins possible de ses concurrents.

Du point de vue sociologique, Tocqueville aurait eu ici matière à disséquer le triomphe de vulgum pecus. Koh-Lanta est l’un de ces jeux de téléréalité dans lesquels le visage des candidats leur tient lieu de nom de famille. On y célèbre les individualités ; on y rappelle l’importance du « social » dont on ne soucie finalement guère que dans la mesure où il ne contrevient pas à l’intérêt personnel mais le renforce ; on y assume la mise en concurrence monnayée ; on y respecte scrupuleusement la parité (même si le podium semble ne se soumettre qu’assez rarement aux injonctions de celle-ci) ; on n’y reconnaît, pour finir, que l’aura des démagogues. En outre, l’extrême médiatisation et le chèque promis ne sont pas des limites à la comparaison d’avec la vie ordinaire : chaque selfie déposé sur Facebook est un quart d’heure de célébrité, célébrité qui n’est convoitée que sous le rapport de l’argent, gage de toutes les libertés. Bref, si Koh-Lanta est un formidable objet de contemplation politique, c’est parce que cette émission reflète, plus fidèlement qu’aucune autre, notre condition politique contemporaine. S’y déploient tous les talents, eux-mêmes bridés par la manière dont chacun appréhende les talents d’autrui à l’aune de son intérêt privé.

Au moins ai-je enfin rejoint le troupeau, ce qui n’est pas toujours désagréable.

Comment la loi Veil a changé ma vie

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ivg assemblee nationale

ivg assemblee nationale

Je ne me rappelle plus trop ce qu’il y avait avant, juste un sentiment merveilleux de confort, d’amour et d’apaisement, doucement rythmé par les ondulations du liquide où je vis, et par les comptines que me chante maman en caressant ce qu’elle appelle son « petit ventre ». Juste des couleurs tendres, toutes les nuances de l’orange et toute la gamme des bleus.

Non, en fait, mon premier vrai souvenir, c’est lorsqu’avec une voix blanche que je ne lui connaissais pas, le cœur battant la chamade, maman a déclaré à celui qu’elle nomme « mon chéri » qu’elle avait une grande nouvelle à lui annoncer. Il y a eu un grand silence, puis un bruit énorme, après qu’elle lui ait dit en tremblant Tu vas être papa …». C’est alors que mon chéri s’est mis à crier. Jamais je n’avais entendu des sons aussi violents. Au bout de quelques instants, mon chéri a hurlé des bruits que je n’ai pas compris, quelque chose comme « ce sera moi ou lui, je fous le camp ! » Et il a claqué la porte à toute force. Le cœur de maman s’emballait, et j’ai ressenti une douleur aiguë au creux de son ventre, alors qu’elle se recroquevillait sur elle-même, toute secouée de tremblements. Je ne la reconnais pas. Elle ne s’est calmée que longtemps après, alors qu’on était passé déjà du rose orangé au bleu profond.

Quelque temps plus tard, alors que ma vie douillette avait repris comme autrefois au fond moelleux du petit ventre, mon chéri est revenu. J’ai d’abord eu peur qu’il ne se remettre à crier, mais cette fois, heureusement, sa voix était plus calme. Ce qui m’étonnait, c’est que le mal de ventre de maman avait repris de plus belle, sans parler de son cœur, qui n’en faisait qu’à sa tête.

« Excuse-moi pour l’autre jour, je me suis un peu énervé », a dit mon chéri. « Mais il faut me comprendre, c’est vraiment pas le moment. Je sais bien que je t’avais dit que j’en voudrais un, que ça cimenterait notre couple, qu’on pourrait lui donner le nom de ton grand-père si c’était un garçon, mais bon… pas maintenant. Il faut être adulte, tu comprends. Un gosse, ça veut dire pas de nouvelle voiture. Et puis j’ai calculé, il tomberait pile poil pendant les vacances d’été. C’est pas possible, tu comprends ? »

La douleur dans le ventre est devenue plus forte. En même temps, j’ai entendu mon chéri qui demandait à maman d’arrêter de sangloter comme une madeleine, qu’elle était vraiment ridicule. Puis il s’est rapproché, l4A prise dans ses bras et lui a chuchoté qu’il s’était renseigné, que tout baignait, qu’il avait déjà pris contact avec le centre d’IVG.

Dans le ventre, la douleur est subitement devenue atroce. Maman a eu un geste brusque, mon chéri l’a lâchée et s’est mis à crier : «  je rêve ou t’es en train de me gerber dessus? Ça va pas la tête? Putain, je me demande des fois si je ferais pas mieux de vous laisser une bonne fois pour toutes, toi et ton lardon, puisque tu l’aimes tant! » Cette fois, c’est maman qui a hurlé : « Ne me laisse pas, je t’en prie, je t’aime. Je ferai tout ce que tu veux ! ». Mon chéri lui a dit d’aller se laver, qu’elle puait, et qu’ensuite, ils pourraient enfin parler en adultes responsables.

Un peu plus tard, la conversation a repris. Maman gémissait à voix basse : «  je l’aime, c’est mon enfant à moi, mon enfant ». Mais mon chéri lui répondait qu’elle n’y connaissait rien, qu’elle était décidément toujours aussi bête et inculte, que ce n’était qu’un simple amas de cellules, et d’ailleurs, que si c’était autre chose, on n’aurait pas le droit de le faire passer.

Et quand maman lui a demandé si on avait vraiment le droit, mon chéri s’est énervé à nouveau : « Non seulement c’est un droit, ma pauvre poulette, mais c’est un droit fon-da-men-tal, même qu’ à l’Assemblée nationale, tous les groupes politiques ont adopté un genre de loi, l’autre jour, pour le rappeler haut et fort à tous les tarés qui le contestent encore ! L’Assemblée nationale ! »

« Et le pape François, dont tu dis qu’il est vraiment super et qui a déclaré l’autre jour que l’avortement relevait de la culture du déchet ? »

« Tu comprends rien, décidément. D’abord, ça m’étonnerait que le pape François ait dit ça. Et puis c’est pas ses oignons. Tu as le droit de disposer de ton corps, bordel ! Un droit, c’est un droit. Et c’est ton corps, tu m’entends, le tien ! De toute façon, je te le répète, ce sera lui ou moi ! » Puis il est reparti en claquant la porte.

Ce matin, très tôt, mon chéri est encore revenu. Il avait à nouveau sa voix mielleuse lorsqu’il a dit à maman que c’était aujourd’hui le grand jour. Drôle de grand jour : maman a sangloté toute la nuit en caressant son « petit ventre ». Les douleurs ne cessent plus.

« Habille-toi en vitesse, on va être en retard au centre », a ordonné mon chéri. « Et puis surtout, arrête de chialer, bon sang. Ils vont finir par croire que t’es pas consentante, que t’as envie de le garder ! ».

Maman a eu un haut le cœur, mais elle n’a rien dit. Pas un mot. Elle s’est tue jusqu’à ce que, quelques heures plus tard, une autre voix, coupante et glaciale, lui dise de s’allonger et de se détendre, que tout irait bien, qu’elle ne sentirait absolument rien avec l’anesthésie. C’est alors que j’ai perçu, mais déjà très lointain, tremblant et presque étouffé, son tout dernier mot : « oui ».

*Photo : wikimedia.

Lettre à mes députés sur la reconnaissance de l’Etat palestinien

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Madame la députée, Monsieur le député,

Le 28 novembre aura lieu un vote du Parlement sur une résolution visant à imposer de manière unilatérale la reconnaissance d’un État palestinien, sans aucune négociation avec Israël.

Or, en l’état actuel, l’« Etat palestinien » serait représenté par l’alliance de l’Autorité palestinienne et du Hamas (classé organisation terroriste), dont l’accord gouvernemental n’a pas été rompu. Cet état de choses — ajouté à la violence et à la barbarie récemment déclenchées à Jérusalem sous l’influence de l’idéologie meurtrière du Hamas et du Djihad islamique —, ferait que cette résolution, si elle était votée, entrerait  en contradiction absolue avec nos idéaux démocratiques et le respect constitutionnel des droits de l’homme. Rappelons que le Hamas, le Djihad islamique et même certains membres du Fatah ont salué les assassins de fidèles priant  dans une  synagogue de Jérusalem-Ouest  comme des « martyrs nationaux du peuple palestinien ».

Dans un tel contexte les démocraties ne sauraient en effet, sans grand risque pour leur avenir même, soutenir la fondation d’un nouvel État sous l’influence grandissante de Daesch dans la région.

Je vous renvoie, pour mémoire, à la lettre signée par 110 parlementaires adressée en 2011 au Président Sarkozy. Elle affirmait avec force la nécessité d’une solution négociée s’opposant à toute reconnaissance unilatérale par la France.

J’ose donc espérer que  vous voterez le 28 novembre contre cette résolution aux effets que l’on peut craindre contre-productifs,  aussi dommageable pour le peuple d’Israël que pour les Palestiniens.

Je  vous prie d’agréer, Madame la députée, Monsieur le député, l’expression de mes salutations distinguées.

«Pour Marine Le Pen, 2017, c’est sans doute trop tôt!»

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olivier dard fn

 olivier dard fn

Propos recueillis par Daoud Boughezala et Gil Mihaely

Causeur : Avec son programme social très étatiste, ses odes à la République et un électorat très composite, le FN est-il toujours un parti d’extrême droite ?

Olivier Dard : Le terme d’extrême droite est ambigu et très discuté par les chercheurs, en France comme à l’étranger. Dans mes ouvrages, je lui préfère la notion de « droite radicale ». Cela étant, le FN de Marine Le Pen est incontestablement différent de celui  de son père. D’abord, leur rapport à l’histoire des droites nationalistes françaises est tout à fait différent.Jean-Marie Le Pen est le véritable héritier de toute l’histoire des ligues nationalistes françaises depuis la fin du xixe siècle, qui n’ont jamais vraiment cherché à construire un parti de gouvernement. Marine Le Pen est née en 1968, a eu 20 ans en 1988, et il y a tout un héritage qui n’est pas le sien, notamment sur la décolonisation, même si elle a participé récemment à une cérémonie d’hommage aux harkis. Surtout, son objectif est de construire une force politique destinée à accéder au pouvoir et à l’exercer. C’est la raison pour laquelle Marine Le Pen surveille comme le lait sur le feu les villes gérées par le FN. Là où son père multipliait les provocations pour rester à l’écart, elle s’efforce au contraire d’arrondir un certain nombre d’angles.

Marine Le Pen a en effet mis beaucoup d’eau dans le vin du FN ces dernières années. Dans le même temps, Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remettre à plat les accords de Schengen sur la libre circulation des hommes en Europe. N’y a-t-il pas là les prémices d’un programme commun FN et UMP ?

Je ne le crois pas, car tout d’abord ce serait la mort de l’UMP, et les dirigeants de l’UMP le savent. Deuxièmement, ils se heurteraient d’emblée à une telle bronca médiatique qu’ils en seraient tétanisés.[access capability= »lire_inedits »] Troisièmement, à la différence de ce qui s’est passé dans le rapport PS-PC dans les années 1970 et 1980, cela profiterait au FN et non pas à l’UMP. Au tout début de l’émergence du Front, la droite classique aurait pu juguler cette ascension, par exemple en pratiquant des alliances à l’échelle locale. Mais, aujourd’hui, le FN a son identité, son électorat et, surtout, le vent en poupe.
En revanche, le positionnement actuel de Nicolas Sarkozy sur nombre de sujets est très ambigu. D’un côté, on le sent soucieux de s’ouvrir vers le centre, et, d’un autre, de prendre en compte des aspirations proches de la ligne du FN au risque de s’aliéner les centristes. C’est une stratégie à risques car, comme l’a bien dit Jean-Marie Le Pen, « les électeurs préféreront toujours l’original à la copie ».

Curieusement, vous ne mentionnez pas le plus évident des obstacles à l’union : l’incompatibilité des propositions économiques de l’UMP et du FN, sur des questions aussi essentielles que l’euro et le rôle de l’État providence …

Sur le principe, les programmes paraissent totalement incompatibles. Sauf que la ligne économique du FN a très largement évolué à travers les années. Le programme du FN d’il y a vingt ans se rapprochait du libéralisme de l’actuelle UMP, Le Pen père se vantait même d’avoir connu l’économie de l’offre et les idées de Reagan avant les autres ! Depuis, Marine Le Pen s’est repositionnée en prônant un étatisme interventionniste qui prenne en compte le sort des territoires, des politiques sociales, etc. Bref, je ne pense pas que les enjeux économiques pèsent d’un grand poids dans la probabilité d’une alliance.

Sans avoir eu besoin de s’allier avec l’UMP, Marine Le Pen a déjà gagné la bataille de la respectabilité. Il lui reste à remporter celle de la crédibilité. Quand on l’interroge sur le manque de cadres du FN, sa présidente insinue que des centaines de hauts fonctionnaires très compétents n’attendent que le sifflet de l’arbitre pour la rallier. Y croyez-vous ?

Comme dirait l’autre, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient ! ». J’ignore si des hauts fonctionnaires ont dit derrière des vitres fumées à Marine Le Pen qu’ils se rallieraient à elle « le jour où ». En revanche, ce que je vois, c’est qu’il y a une forme de danger à manipuler ce genre de discours quand on préside le Front national. La force de Marine Le Pen réside dans son discours anti-élites et ses charges contre les technocrates qui nous gouvernent. Mais on ne peut pas critiquer la technostructure tout en expliquant qu’on va s’appuyer sur elle ! Dans le cadre d’une campagne présidentielle, si Marine Le Pen est vraiment en position d’arriver au second tour, elle devra dépasser cette contradiction.

Combien faut-il de technocrates pour gouverner la France ? Certains parlent de 500 personnes, d’autres de 2 000…

Je crois que ce n’est pas un problème de nombre. Le défi numéro un est d’arriver à sécréter au sein du parti une élite capable de gouverner. C’est encore loin d’être le cas au FN, même s’il multiplie les initiatives pour attirer des enseignants ou des chefs d’entreprise. Vient ensuite un autre obstacle : la formidable résistance que pourrait opposer la haute administration à un gouvernement frontiste… Dans des citadelles comme Bercy ou la place Beauvau, le ministre peut commander, mais il faut que l’intendance suive.

Un troisième facteur joue contre Marine Le Pen : les contraintes internationales, à commencer par l’Europe. On est dans un carcan qui rend les marges de manœuvre des gouvernements assez étroites. L’épisode du budget français est emblématique : il ne va pas se passer grand-chose parce que l’Europe ne veut pas taper sur les doigts de la France, pour ne pas faire monter le FN. Reste que la France n’est plus maîtresse de son budget. Quand, à propos de la GPA, qu’elle combat, Marine Le Pen affirme qu’elle « coupera le cordon » avec la Convention européenne des droits de l’homme, c’est imparable. Elle sait qu’aucun dirigeant du PS ou de l’UMP ne le fera. Mais le ferait-elle si elle était au pouvoir, et comment gérerait-elle les inévitables mesures de rétorsion ? Si l’intérêt de Marine Le Pen est bien sûr de progresser électoralement, mieux vaut pour elle qu’elle  ne se retrouve pas trop vite dans une position trop favorable – 2017, c’est sans doute trop tôt.

Le FN semble éprouver un double sentiment de rejet et de fascination pour les élites françaises – songez que l’énarque Florian Philippot a été nommé vice-président trois ans après son adhésion ! Peut-il partir de cette ambivalence pour révolutionner le système français de recrutement des élites politiques ? Comme aux États-Unis, des hommes politiques qui seraient d’ex-capitaines d’industrie pourraient supplanter les traditionnels énarques…

Le modèle français de recrutement des élites administratives est au bord de l’épuisement. À partir des années 1920, ce modèle a pu fonctionner pendant des décennies car, sous Vichy ou sous le gaullisme, on vivait en régime d’économie administrée. Ce type d’élites correspondait au personnel politique qu’on retrouvait partout en Europe occidentale. Il y a encore vingt ans, les épreuves des concours de recrutement des hauts fonctionnaires européens ressemblaient beaucoup à celles des grands concours français. Aujourd’hui, c’est fini ! le modèle à l’anglo-saxonne a gagné, comme en témoigne l’évolution de Sciences Po. Il s’agit de ne plus sacraliser la fonction publique, de donner moins de place à des disciplines classiques comme l’histoire au profit d’enjeux bien plus actuels tels que les études sur le genre. Les grandes écoles se sont adaptées à ce nouveau modèle en envoyant leurs étudiants en stage à l’étranger. Mais, au niveau de notre classe politique, le décalage reste incontestable, particulièrement en matière de maîtrise des langues étrangères.

Entre ces deux modèles, le FN refuse de choisir puisqu’il tient un discours anti-élites tous azimuts. Ses diatribes visent tout autant les élites traditionnelles issues de l’ENA que les élites mondialisées. Dans ces conditions, sur qui pourra-t-il encore s’appuyer pour arriver au pouvoir et surtout l’exercer ? Aujourd’hui, il ne donne aucune réponse crédible à cette question.

Le rejet de l’énarchie et des élites mondialisées permet de capitaliser des voix à bon compte. Mis à part cette fibre populiste, le refus de l’immigration constitue-t-il le ressort unique du vote frontiste ?

Ce qui unit l’électorat FN dans sa diversité, c’est la défense identitaire, si l’on ne limite pas l’identité à l’immigration. L’identité, ce n’est pas uniquement une question ethnique, mais aussi sociale, économique et territoriale. J’ai été pendant des années professeur en Lorraine, à Metz, où l’effondrement de la sidérurgie a entraîné la fin d’un monde. Dans les provinces françaises, les politiques de reconversion industrielle menées par la droite et la gauche ont coûté très cher, pour des résultats très en deçà de ce qu’on pouvait en attendre. Il y a aujourd’hui des populations qui sont très difficiles à employer vu la technicité d’un certain nombre de métiers.

À mesure que les écoles ferment et que les services publics s’en vont, la désertification se développe. Les gens ne disent pas seulement « on n’a pas assez de retraite, on n’a pas assez de salaire », mais, de plus en plus, « vous êtes en train de casser notre mode de vie ». En jouant la carte des territoires et de l’enracinement, le FN met le doigt sur des réalités d’importance et capte donc un électorat rural qui n’était au départ pas le sien.

Le congrès du FN, qui se déroulera à Lyon fin novembre, se conclura très certainement par l’adoption d’une motion unique. Derrière cette unanimité de façade, la diversité idéologique, qui va des nationaux-libéraux (Aymeric Chauprade) aux souverainistes gauchisants (Florian Philippot), menace-t-elle la cohésion du parti lepéniste ?

Je ne suis pas certain que les clivages internes s’expriment aussi profondément que vous le dites. Marine Le Pen a deux atouts pour elle : elle est l’élément fédérateur et elle réussit ! Aussi longtemps que ses succès la porteront, ce qu’elle dit restera incontesté. Ainsi, un certain nombre d’anciens militants qui avaient quitté le FN sont en train d’y revenir, en se disant qu’il faut en passer par là car Marine Le Pen gagne. Mais, et là vous avez raison, par-delà le charisme personnel de sa présidente, se pose la question du futur programme de gouvernement que devra élaborer le FN. Marine Le Pen est très habile, mais cela ne veut pas dire qu’elle a gagné la bataille de la compétence ! En matière de politique extérieure, c’est assez flou, elle peine encore à trancher entre les positions des uns et des autres. Sur le plan économique, les choses sont plus claires, mais la ligne retenue suscite quelques réticences. C’est sur les questions européennes que la présidente du FN est sans doute la plus fédératrice, mais il s’agit davantage d’une fédération de rejets que de propositions alternatives.

À vous entendre, les militants frontistes obéissent comme un seul homme à Marine Le Pen, quitte à mettre leurs divergences sous le boisseau. À terme, l’émergence de personnalités concurrentes telles que sa nièce Marion Maréchal-Le Pen ou même Florian Philippot ne pourrait-elle pas lui faire de l’ombre ?

Gare au malentendu : le FN n’est pas seulement un parti de militants ! C’est d’abord un parti d’électeurs dominé par une figure charismatique, dont la force de frappe passe par les médias et non les appareils. Dites-vous bien que le congrès va bien plus intéresser la presse que les électeurs du FN. Pour répondre à votre question, il serait intéressant de comparer les taux de notoriété. Qui l’opinion connaît-elle du FN en dehors de Marine Le Pen ? Peut-être Florian Philippot et Louis Aliot, Marion Maréchal, Bruno Gollnisch et Gilbert Collard. Toutes ces individualités comptent moins que l’étiquette frontiste et les thèmes mobilisés. Parmi eux, il faut compter avec la question de l’islamisme et sa force d’attraction. Aux régionales de 2010 en Lorraine, où le FN avait recueilli 14,87 % des voix, une liste soutenue par des groupements dissidents (Mouvement national républicain, Parti de la France, Nouvelle Droite populaire), et dont les quatre femmes têtes de listes départementales n’étaient pas connues du grand public, a recueilli 3 % des voix, avec comme seul mot d’ordre : « Stop aux minarets en Lorraine ! ». Au-delà des questions de personnes, un éventuel changement de nom et d’emblème du parti représente donc un enjeu crucial pour le FN de demain.[/access]

 *Photo : Hannah.

Robespierre contre Super Mario

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robespierre revolution creed

robespierre revolution creed

Alors, si on a bien compris, le personnage de Robespierre et, au passage les soldats de l’An II qui ont tout de même, excusez du peu, sauvé par les armes ce qui fait notre Nation aujourd’hui, sont attaqués dans un jeu vidéo du nom d’Assassin’s Creed. On est assez nul en jeu vidéo, et même complètement étranger à cet univers. On vient d’ailleurs de lire dans Le Monde que le joueur de jeux vidéo avait en moyenne 31 ans, était un homme et était inactif. On ne sait pas pourquoi, mais ce genre de portrait robot ne nous donne pas très envie de nous intéresser davantage à cet univers-là. Ca sent tout de même un peu le célibataire malpropre un poil autiste, un genre de personnage de Simenon des années 2.0. , qui est à deux doigts de sombrer dans le meurtre en série ou d’aller s’engager dans le Jihad pour voir comment ça fait d’égorger en vrai (IRL comme disent ces nouveaux zombies) et non plus derrière un écran en tripotant dans des spasmes onanistes, une manette pleine de boutons.

Il n’empêche, on a cru comprendre aussi que le jeu vidéo était, du fait de l’abondance de pratiquants, un enjeu aussi commercial qu’idéologique. On peut non seulement par ce biais se faire du pognon mais aussi, de manière très gramsciste, créer ou accompagner des représentations dominantes pour les faire passer comme des choses qui vont de soi. On ne compte plus les jeux où l’on dézingue le méchant du moment,  Castro, Chavez, Ben Laden, bref toute la gamme qui va, sans trop faire de détail, de l’islamiste barbu à la racaille néocommuniste. Dans ce cas précis,  il s’agit donc de faire passer Robespierre pour un monstre. Finalement, ça ira plus vite que du Furet, historien en son temps financé par les universités US aux fonds abondés par les think tanks néolibéraux et anticommunistes  et qui a beaucoup fait pour détruire jusqu’au désir de changer la moindre des choses dans notre monde car cela conduirait forcément à la Terreur, au Goulag, aux Camps de la mort. Ce n’est pas compliqué, tu demandes une augmentation du SMIC et la sauvegarde des services publics, et tu es déjà un khmer rouge…

On remarquera que Robespierre en prend donc plein la tête, comme diraient les joueurs de jeux vidéo, ces derniers temps. L’année dernière, c’était un masque de l’Incorruptible reconstitué par un soi-disant spécialiste de la chose et un médecin légiste qui avait dû faire son stage au cirque Pinder. Comme par hasard, Robespierre y apparaissait monstrueux et grêlé, car c’est bien connu, quand on est méchant, on a une sale gueule, selon la philosophie politique décidément très élaborée de ces gens-là.

Alors rappelons, simplement, que sur Robespierre, on n’est pas obligé de croire les libéraux et les réacs, que la Terreur à Paris a fait moins de morts que la Semaine Sanglante contre les Communards et que Robespierre est une des plus belles voix humaines de l’émancipation. Mais sans doute, à l’époque où un Gattaz voudrait que la France sorte de l’Organisation internationale du Travail, l’organisme onusien sur les questions sociales, car il trouve encore trop contraignantes leurs recommandations pourtant minimales,  à l’époque où un Macron  voudrait bien geler les salaires sur trois ans et assouplir les 35 heurs qui à force d’être assouplies vont finir par ressembler à une contorsionniste dans un cirque,   à cette époque, donc, est-il difficile d’accepter la parole de celui qui osait dire: « Le peuple ne demande que le nécessaire, il ne veut que justice et tranquillité ; les riches prétendent à tout, ils veulent tout envahir et tout dominer. Les abus sont l’ouvrage et le domaine des riches, ils sont les fléaux du peuple : l’intérêt du peuple est l’intérêt général, celui des riches l’intérêt particulier ”

Et puis, il n’y a pas que Furet dans la vie. Allez voir du côté Slavoj Zizek qui essaie de penser Robespierre et la Terreur comme un moment dans une histoire beaucoup plus complexe et claire à la fois puisque c’est celle de l’éternel désir d’égalité entre les hommes et écoutons justement, en guise de conclusion, ce que dit Zizek, tout de même plus crédible que SuperMario sur cette question, dans Robespierre, entre vertu et Terreur (Stock)  “ Ma thèse est de dire : il y a des situations où la démocratie ne fonctionne pas, où elle perd sa substance, où il faut réinventer des modalités de mobilisation populaire. La Terreur ne se résume pas à Robespierre. Il y avait alors une agitation populaire, incarnée par des figures encore plus radicales, comme Babeuf ou Hébert. Il faut rappeler qu’on a coupé plus de têtes après la mort de Robespierre qu’avant – mais lui avait coupé des têtes de riches. »

A notre connaissance, aucune marque de jeu vidéo n’a proposé de reprendre le scénario de Zizek. C’est bien dommage : puisque le jeu vidéo fait désormais office de manuel d’histoire pour le décérébré contemporain, on aurait pu rééquilibrer la balance…

 *Image : L’exécution de Robespierre (wikicommons).

Casanova Variations

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casanova variations malkovich

casanova variations malkovich

Quand j’étais gosse, il y avait à Marseille-Centre une bonne vingtaine de cinémas, qui vers la fin des années 60 se sont, pour la plupart d’entre eux, réaménagés en multiplexes. Bref, à l’orée des années 70, on avait le choix, entre la Canebière et les rues adjacentes, sans compter quelques salles un peu plus lointaines, sur le port (le Festival) ou au pied de Notre-Dame-de-la-Garde (le Breteuil), à une bonne cinquantaine de films chaque semaine. Etonnez-vous qu’après ça j’aie été moyennement présent aux cours de géographie, en hypokhâgne et en khâgne, inopportunément placés le mercredi de 14 à 16, à l’heure où une grande rumeur de nouveaux films à voir de toute urgence arrivait jusqu’à moi — jusqu’à nous : parce que nous étions nombreux à préférer les salles obscures, propices aussi aux ébats maladroits et fougueux, à l’administration de pédagogies sages. Je ne veux pas refaire Les 400 coups, Truffaut se suffisant à soi-même, mais qu’est-ce que j’ai pu rêver devant les photos agrafées à l’extérieur des salles, autour desquelles nous bâtissions tout un scénario qu’immanquablement le film détruisait, pour notre plus grand plaisir.

De toutes ces salles, de tous ces pièges, sur la Canebière, il n’en reste qu’une,les Variétés — rue Vincent Scotto, juste à côté de la caserne de pompiers, pour ceux qui connaissent. Il m’est arrivé d’entendre au milieu d’un film le hurlement des sirènes des camions partant à l’assaut d’un sinistre lointain.
Une seule. Pour le reste, les salles ont été reconverties en fast-foods, en fac de Droit, en supermarchés du dispensable et de l’indispensable, où viennent se fournir en biens de première nécessité les Algériens qui débarquent des navettes. Que cette ville soit parvenue à être, un an durant, capitale européenne de la culture fut sans doute le résultat d’un bluff monumental.

Aux Variétés donc j’ai vu hier après-midi les Casanova Variations (variations au sens des Variations Goldberg de Bach, thème repris en ruban ou en vis sans fin, voir la bande-annonce), un excellent film, quoi qu’en disent les cagots des Inrocks qui parlent de « mondopudding » indigeste — parce que le héros est italien, l’acteur américain, le réalisateur autrichien, et que c’est tourné à l’opéra de Lisbonne : ils ont oublié que l’actrice principale, la très belle Veronica Ferres, est allemande. Et alors ? Télérama et le Monde, au moins, ont essayé de voir plus loin que le générique (faut-il que j’aie aimé le film pour que j’en arrive à dire du bien de Télérama et du Monde !).
Comme le film passe en tout et pour tout dans une cinquantaine de salles en France, pendant que des merdes innommables occupent les complexes, courez-y avant qu’il ne disparaisse sous les coups de boutoir de Hunger Games et autres blockbusters pré-formatés.
Malkovich face à Malkovich à la recherche de Malkovich… Ou nous-mêmes face à nous-mêmes. Fascinant jeu de miroirs menteurs, d’interrogations en abyme, de carambolages temporels — suis-je ou ne suis-je pas celui qui a fait un enfant à ma propre fille, couché avec le chevalier d’Eon, et séduit mille e tre ragazze rien qu’en Espagne, et seulement 640 en Italie — mais où avais-je la tête : c’est de Don Giovanni qu’il s’agit, pur Castillan, et non de Casanova, Vénitien et cosmopolite — voir le très beau texte écrit par Sollers sur ces deux personnages que Michaël Sturminger, le metteur en scène des Variations au cinéma après les avoir mises en scène au théâtre, mélange au gré d’un opéra inséré dans le film, prétexte à des effets de distance réjouissants. D’ailleurs, c’est peut-être Malkovich lui-même qui a séduit plus de mille femmes, dit la rumeur.
Voici donc le héros vieillissant, bibliothécaire du château de Dux, en Bohème — dans ses derniers moments. Il avait 73 ans, Malkovich a mon âge (mon enthousiasme pour le film ne tient cependant pas à ce détail) et un tout petit peu plus de sex appeal. Le voici confronté à lui-même, baryton quadragénaire autrichien (Florian Boesch), crâne rasé comme lui, le voici surtout confronté aux femmes, à ce(tte) jeune androgyne qui sera peut-être le chevalier / ière d’Eon, puis surtout à cette Elisa mystérieuse qui fut sans doute sa maîtresse (comment se les rappeler toutes ?) et qui veut emporter avec elle le manuscrit des mémoires — publiés, comme on l’apprend au détour d’une image rapide, en 1826. Justement : j’ai la mémoire qui flanche, dit Malkovich — ou est-ce par pure politesse qu’il n’avoue pas qu’il a couché avec… Ici, la liste : c’est ainsi que l’opéra de Mozart se coule dans l’histoire, et que Malkovich (l’acteur) fait un malaise sur scène, au grand émoi des spectateurs, avant que Casanova ne meure tout à fait — peu nous importe, le film est fini, tous les miroirs sont épuisés, le public sort du théâtre São Carlos dans la nuit lisboète, et s’en va dîner, ou flirter, ou rêver, emportant avec lui ses doubles.
Oui, deux heures de pures délices. Un spectacle total, comme l’étaient les grandes comédies-ballets avant qu’on ne les découpe en théâtre / danse / opéra. Casanova Variations, c’est cela tout ensemble — un univers baroque, ou plutôt rococo.

Le film est sorti en France avant de sortir aux Etats-Unis. Il mérite tous les Oscars qu’ils ne lui décerneront probablement pas.

Au FN, chacun pense ce qui lui plaît

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fn philippot bay marion

fn philippot bay marion

J’avais quitté Hugo[1. Le prénom a été changé.] jeune chevènementiste las de l’apathie d’un mouvement tombé au fond des oubliettes de la politique. Quatre ans plus tard, je retrouve cette rock-star du militantisme fidèle à lui-même : hâbleur, ambitieux, mais nettement plus enjoué. Il n’est pas donné à tout le monde de délaisser les charentaises de la gauche républicaine pour entrer au Rassemblement Bleu Marine. Arrivé au siège du FN dans les bagages de Florian Philippot, il me dit y couler des jours heureux, sans avoir rien renié de ses idées. Cependant, au nom d’une certaine idée de la tolérance, plusieurs de ses anciens camarades ne lui adressent plus la parole, horrifiés par son ralliement à un parti dont ils croient qu’il veut jeter les étrangers à la mer (voir encadré). Peu lui chaut. Faisant fi des cancans, Hugo aborde le prochain congrès frontiste – prévu à Lyon le dernier week-end de novembre – en pleine confiance : « Si j’étais Marine Le Pen, j’essaierais de temporiser avant le congrès à motion unique et préparerais une grande synthèse consensuelle qui ravirait tout le monde. Mais elle a choisi de nous donner raison sur le plan économique. La ligne Philippot a gagné. »

Justement, le Congrès sera au moins l’occasion de savoir si la greffe a pris. Car le « marinisme » est en quelque sorte un monstre idéologique. Au départ, un cocktail de positions « de gauche » sur la mondialisation et l’économie et d’idées dites « de droite » sur l’immigration et la sécurité – l’incapacité d’un Mélenchon à faire le lien entre les deux expliquant que le peuple lui préfère « la Le Pen » : elle sait, elle, qu’on ne séduit pas le prolo en lui chantant les beautés du monde métissé. En réalité, la question de l’immigration, fédératrice pour les électeurs, fait largement consensus chez les cadres, quoi qu’ils n’emploient pas la même rhétorique. Ce qui divise le FN en profondeur, c’est bien la perception du capitalisme et, par conséquent, la place de l’État. Question d’analyses, mais aussi de représentations, d’héritages, de modes de vie, de réseaux. Bref, de sensibilités. Plus républicaines chez les uns, plus identitaires chez les autres. Affaire de dosage.[access capability= »lire_inedits »]

De ce point de vue, il y a bien deux lignes au Front national. Tout le talent de Marine Le Pen est de les faire coexister paisiblement. La « ligne Philippot », selon Hugo ? Un mélange de social-étatisme, de gaullisme et d’indifférence aux questions morales (mariage gay, IVG…) qui met en rogne l’aile droite du FN, volontiers plus libérale, conservatrice et catholique, à l’image du tandem que forment Marion Le Pen et Aymeric Chauprade.

Si en termes de pouvoir, l’enjeu du prochain congrès est inexistant, il permettra cependant de mesurer l’influence respective des petites musiques que j’ai entendues au cours de mon enquête. Pour l’instant, on n’entend guère de fausses notes qui viendraient troubler l’harmonie imposée par la chef. Mais chacun cherche à l’influencer et à placer ses hommes dans les instances dirigeantes.

Chemin faisant, mes rencontres m’ont rappelé de vieux cours de sociologie politique sur les différents types de légitimité. Dans la typologie de Max Weber, Marion Le Pen incarne la légitimité traditionnelle du FN, en l’agrémentant d’une tonalité nationale-catholique proche des positions d’un Philippe de Villiers, dont Chauprade fut autrefois le collaborateur. Philippot, « l’énarque du FN » qui a révolutionné des pans entiers du programme économique, représente la légitimité « rationnelle-légale » du technocrate qui a « gauchisé » le projet économique frontiste. Entre ces deux pôles, le cœur de Marine Le Pen balance… parfois au fil d’un même discours. Hugo jure pourtant qu’il n’y a aucune ambiguïté : « Il n’existe qu’une seule ligne économique. Sur ces questions, Marion Le Pen parle comme Florian. Mais certains, y compris à l’intérieur du FN, ont intérêt à accréditer le mythe d’une diversité idéologique, pour pouvoir séduire un électorat de droite conservateur. » Prenez n’importe quel militant, demandez-lui quelle recette idéologique a la faveur de ses chefs, il vous fournira inéluctablement la même réponse : la sienne, pardi !

Fort logiquement, François[2. Le prénom a été changé.], un élu en phase avec la ligne Marion-Chauprade, énonce un diagnostic rigoureusement inverse : « La majorité de nos électeurs défendent les libertés économiques, ce qui n’empêche absolument pas l’intervention de l’État stratège quand c’est nécessaire. » Et de poursuivre, en orfèvre de la synthèse – ou de la langue de bois : « Marion et Florian Philippot s’opposent moins sur le fond qu’au niveau de leurs approches de l’économie : spontanément, Marion parle des petits commerçants et patrons de PME, tandis que Florian part toujours de l’État. » La bienveillance de ce jeune homme, libéral et conservateur, pour Philippot, n’est pas totalement gratuite : « Florian est l’homme qui murmure à l’oreille de Marine », admet-il. Il est aussi celui qui se permet de publier des communiqués sans l’autorisation de la présidente et a installé sa tente sur les chaînes infos. Partisan de la paix des ménages, François ravale ses convictions libérales et conservatrices pour la cause. « Même ceux qui se détestent s’aideront mutuellement s’ils sont embarqués dans le même navire », écrivait déjà le général chinois Sun Tzu il y a deux mille cinq cents ans !

Suivant ce vieil adage, il arrive à chacun des deux camps de faire un pas vers l’autre. Ainsi, l’ancien chevènementiste Yannick Jaffré, président du Collectif Racine sur l’enseignement, s’est-il fait longuement applaudir à Fréjus, où se tenaient les universités d’été du Front national de la jeunesse, en s’appropriant les thèses de Renaud Camus sur le « grand remplacement ». Dans le sens inverse, l’ex-mégrétiste Nicolas Bay, député européen et numéro 3 du parti, recouvre ses convictions identitaires d’une couleur républicaine. Moins idéologique que pragmatique, Bay, 36 ans, jongle avec les concepts comme un représentant de commerce avec les arguments de vente : « Il n’y a pas d’identité sans souveraineté, et réciproquement. Marine considère que la République et la laïcité sont les outils les plus rassembleurs et les plus efficaces pour défendre notre identité face au communautarisme» Sous ses airs de gendre idéal costume-cravaté, Bay manie l’euphémisme aussi bien que la fourchette, dans la brasserie de l’Ouest parisien où il a ses habitudes. Par « communautarisme », traduisez « immigration », LE sujet qui fédère électeurs, hiérarques et adhérents frontistes.

Et pour cause, explique le géographe Christophe Guilluy : « Il n’y aurait pas de vote FN sans immigration. » Au lendemain de la victoire du FN aux dernières européennes (25 % des voix, soit respectivement cinq et dix points dans les dents de l’UMP et du PS), la plupart des commentateurs se sont pourtant escrimés à assimiler le tsunami frontiste à une vague quasi mélenchoniste. Tout ça, c’est la faute au chômage et au capital. L’expert de l’extrême droite dévie rarement du mythe d’un monde (dés)enchanté où les « zones rurales avec un fort sentiment d’abandon » expriment un « rejet du système économique »[3. «  FN : la conquête de l’Ouest », Abel Mestre, Le Monde ; 30-09-2014.]. Exit le ras-le-bol des classes moyennes et populaires exaspérées par le poids de l’immigration. Il devient cependant difficile d’ignorer la prégnance de l’élément identitaire. Ainsi Melenchon doit-il admettre au soir des européennes que « la question ethnique se substitue à la question sociale », sans pour autant tirer les conséquences de ce diagnostic. Qui est aussi celui de Marion Le Pen : « Même à Hayange, qui est une ville ouvrière très pauvre, les gens ont voté sur l’immigration et la sécurité, autant de thèmes classés à droite. »[4. Nombre de militants du FN reconnaissent la séduction qu’exerce le programme économique du Front sur les classes populaires. Mais l’une des petites mains de l’aile droite du Front m’a expliqué qu’il valait mieux nier l’évidence pour torpiller la stratégie Philippot. La politique a ses raisons…] Sans prétendre sonder les reins et les cœurs, on approuvera plutôt Christophe Guilluy, selon lequel « l’enjeu de l’immigration reste essentiel mais la question sociale est lancinante »[5. Entretien de Christophe Guilluy avec l’auteur, 20-10-2014.].

Quoi qu’il en soit, cette combinaison d’identitaire et de social fait toute la singularité d’un parti qui réussit là où les sécuritaires libéraux à la Jean-François Copé et les marxistes angélistes à la Jean-Luc Mélenchon se cassent les dents. « Marine sait tenir un discours économiquement très à gauche tout en donnant des gages sur l’insécurité et l’immigration », me confirme Hugo. De fait, en Normandie et en Bretagne, où les candidats frontistes ont quintuplé leurs scores en l’espace de quelques années, la martingale électorale tient à deux facteurs sociologiques : les espaces ruraux désindustrialisés se précarisent, cependant que les centres-villes comme Rennes ou Nantes se parisianisent. Comprenez : ils s’embourgeoisent et se colorent, au grand dam du « petit blanc », relégué en zone pavillonnaire. Et tous les discours lénifiants sur le « vivre-ensemble » n’y changent rien : le grand remplacement du petit peuple des villes par les bobos et les représentants de la « diversité » favorise la flambée du vote FN, a fortiori dans les régions où la vague d’immigration se révèle la plus dynamique.

L’avantage de l’observateur sur le militant, c’est qu’il a le droit à la complexité : il serait trop simpliste de calquer entièrement la carte de la progression du FN sur celle de l’immigration. Géographiquement parlant, on a encore affaire à deux sociologies, donc à deux partis : un FN méridional « identitaire » s’adressant aux retraités « de souche », apeurés par la vitalité démographique de leurs voisins d’origine maghrébine ; un FN « social » du Nord aux électeurs pauvres, moins concernés par l’immigration mais touchés de plein fouet par la désertification industrielle. Aux premiers, plutôt aisés, le projet d’une « union des droites », telle qu’elle se réalise déjà à la base : Marion Le Pen, ayant siphonné l’électorat UMP du Vaucluse, convient parfaitement. Les seconds se retrouvent dans le « ni droite ni gauche » cher à Philippot. Les habitants d’Hénin-Beaumont et de Forbach issus de familles de gauche n’ont probablement pas le sentiment de changer de camp en glissant un bulletin FN dans l’urne. Quoi qu’en disent les sociologues de salon, leur transhumance électorale n’a rien d’une quelconque « droitisation ». Le prolo ch’ti n’abandonne pas Jaurès pour Maurras ou Barrès !

Il n’empêche, les anciennes terres rouges passées au « brun » ne laissent pas d’ébranler les intellectuels de gauche. L’un d’eux, Didier Eribon, pourtant expert ès procès en sorcellerie[6. Afin de saluer sa lucidité intermittente, on passera sur les diatribes baroques d’Eribon contre le « réactionnaire Marcel Gauchet », la « pensée fascistoïde d’Alain Finkielkraut » (!) et autres « chroniqueurs de droite et d’extrême droite qui prospèrent » dans les journaux dits de gauche, au service de l’idéologie du FN. À croire que le prolo d’Hénin-Beaumont navigue entre France Culture, Le Monde et Libération !], est obligé de le reconnaître : « Quand on voit tous les commentaires que cela engendre, on se dit que les classes populaires ont raison de voter FN, car c’est à ce moment-là qu’on en tient compte, qu’on se souvient même de leur existence.»[7. « Le divorce entre les classes populaires et la gauche », La Grande Table, émission animée par Caroline Broué, France Culture, 10 avril 2014.] Lors de son retour au pays natal, à force de discussions avec sa mère et son frère, anciens électeurs communistes convertis au vote FN, Eribon a compris que « les gens d’en haut sont perçus comme favorisant l’immigration et ceux d’en bas comme souffrant dans leur vie quotidienne de celle-ci »[8. Retour à Reims, Champs « Essais », 2010.]. L’aveu a dû être d’autant plus douloureux à ce disciple de Pierre Bourdieu que sa mère, femme de ménage, et son frère, boucher, figurent le peuple de gauche – à jamais ? – perdu. Une réalité qu’Hugo retranscrit avec ses mots de jeune apparatchik : « On trouve des gens de tous milieux chez nos militants et électeurs, notamment beaucoup de laissés-pour-compte de la France périphérique. » Le « déménagement du monde », selon la belle expression de Jean-Luc Mélenchon, relègue ainsi 60 % de la population, habitant zones rurales et périurbaines, en dehors des aires de croissance et d’emploi. Avec une pareille rente de situation, le FN apparaît comme le grand gagnant de la mondialisation malheureuse.

Reste qu’on ne dirige pas la France avec des formules magiques. Autrement dit, la plupart des cadres savent que le jour de gloire n’est pas pour demain. Ni pour 2017. Certes, Marine Le Pen peut compter sur l’« UMPS » pour n’avoir d’autre ambition que de gérer le désastre et ainsi faire campagne à sa place. Certes, plus personne ne met en doute le succès de la dédiabolisation, que Marion Le Pen résume d’un trait : « Marine a rompu avec la stratégie de son père : Jean-Marie Le Pen pensait que le FN progressait grâce aux polémiques, sa fille est persuadée qu’il a progressé malgré elles. »[9. Désormais, les petites phrases du patriarche (« Monseigneur Ebola », « la fournée », etc.) suscitent la désapprobation unanime des dirigeants frontistes, qui y voient autant de sales coups portés à l’ascension du Front.] Devenir un parti contestataire de gouvernement ne va pas de soi. Quiconque aspire à devenir un homme – ou une femme – d’État ne peut éternellement miser sur la stratégie du judoka. Celle-ci l’a amené à 10 à  15 % des intentions de vote. Aujourd’hui, on a affaire à un parti populiste qui frôle les 30 %, et se pose la question de son accession au pouvoir. Pour la présidente du FN, il reste encore à gagner la bataille de la crédibilité. Ce n’est pas la plus facile. Le ramdam médiatique qu’elle essaie de susciter autour des boîtes à idées nées dans l’orbite du RBM (« Audace » à l’usage des jeunes actifs, « Racine » pour les profs, « Marianne » pour les étudiants, etc.) révèle d’ailleurs sa fébrilité face aux carences de l’appareil frontiste.

Peut-on structurer à marche forcée le grand bazar qu’est aujourd’hui le FN d’en bas, où l’on croise pêle-mêle des lecteurs de Dominique Venner rêvant d’une Europe charnelle blanche et païenne, des néogaullistes allergiques à la monnaie unique, le dernier réduit de cathos tradis gollnischiens, et une masse de militants peu idéologisés ? Cinquante pour cent des adhérents ayant pris leur carte ces quatre dernières années, leur profil s’avère difficilement cernable. D’où l’intérêt du questionnaire que le parti distribuera aux militants pendant le congrès de Lyon, histoire de les sonder sur leur itinéraire… et la question épineuse du changement de nom d’un parti qu’une grande partie des Français associe, encore et toujours, au nom de Jean-Marie Le Pen.

Ulcérés par la réformite mariniste, certains nostalgiques du Front « canal historique » crient au reniement.  Mais les oligarques frontistes n’ont pas ce genre de scrupules. Les yeux rivés sur la présidentielle, ils espèrent rallier le train de l’Histoire en marche. Entre ambitions larvées et franches divisions,  qui sait si le Front national n’est pas en train de devenir un parti du « système »…

 

Ne tirez pas sur les oiseaux remigrateurs !  

C’est une bombe à retardement qui n’attend plus qu’à être actionnée. Il est bien joli de dénoncer l’immigration, mais rien ne permet de savoir ce que ferait vraiment le FN s’il arrivait au pouvoir. Au détour de ses discours, Marine Le Pen évoque à mots couverts « l’inversion des flux migratoires ». Dans la bouche d’Aymeric Chauprade, les choses sont plus claires : djihadistes et immigrés « non assimilés » vivant des aides sociales ont vocation à quitter la France pour le pays de leurs ancêtres. Qu’importent les contraintes du droit de la nationalité et de la Convention européenne des droits de l’homme (que le FN entend récuser une fois arrivé à l’Élysée !), le tout est d’encourager les départs volontaires en démantelant l’État providence. Une contradiction flagrante avec les éloges de l’État social que multiplient Marine Le Pen et Florian Philippot. « Faux ! », rétorque Marion Le Pen, qui extirpe des clauses oubliées du programme du Front : durcissement des conditions de naturalisation, déchéance de nationalité notamment infligée aux binationaux djihadistes, suspension des aides sociales aux délinquants… Bref, la députée du Vaucluse prône l’application d’« une politique passive dont les contours restent à préciser. Le droit doit rendre le pays moins attractif et amener les non-assimilés à partir ». La grand-mère de Martine Aubry aurait senti un certain flou, autant dire un loup, dans ces circonlocutions qui sentent le retour du refoulé ethnique. Reste qu’un haut cadre du FN m’a promis une prime d’État si je choisissais la nationalité française – que j’ai héritée par le sang maternel  – au détriment de mon passeport tunisien. En ce cas, un rien bravache, j’opterais plutôt pour le désintéressement, au risque d’un service militaire old school au bagne de Tataouine… À la réflexion, une question me taraude : si ces oiseaux remigrateurs sont si corrompus et islamisés que le FN le prétend, qu’avons-nous fait au bon Dieu, nous Tunisiens, pour récupérer pareils énergumènes ?![/access]

*Photo : ALAIN ROBERT/APERCU/SIPA. 00656799_000006.