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Un roman noir chez Staline

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romain slocombe staline

Mission accomplie pour le camarade Slocombe : son dernier roman, Avis à mon exécuteur, se place très haut dans le gotha du roman noir politique. Le sujet ? Les confessions posthumes d’un bolchevik de la première heure, un Juif polonais entré au service du Parti et qui, dix-sept ans durant, dans l’ombre, sert la Révolution… ou plutôt les idoles sanguinaires créées par cette nouvelle religion. Avec autant de maestria que de fine érudition, Romain Slocombe reconstitue l’atmosphère d’une époque, le climat mental d’une caste : l’URSS des années 30, les réseaux du Komintern et du NKVD – le bras armé de Staline. On songe au roman de J. Boyd, Restless, mais un Boyd autrement plus dense, plus ample, plus dur aussi. Et quelle tension, quel rythme, de la première à la dernière ligne !

Un manuscrit trouvé à Vevey chez un ancien du Vlast – les services soviétiques – livre au lecteur les confessions d’un officier supérieur de l’appareil clandestin du Parti, que nous suivons dans ses opérations, tour à tour cruelles et tortueuses, jusqu’à la dernière : la liquidation (ou liternoïe delo, « lettre spéciale » en code), sous peine de voir femme et enfant assassinés, de son ami d’enfance, un autre tchékiste, écœuré comme lui par la Terreur qui s’abat sur l’URSS. Slocombe s’est inspiré de la vie de Walter Krivitsky, l’un des premiers grands défecteurs, retrouvé suicidé dans une chambre d’hôtel de Washington en 1941 (vendu par Philby ?). L’homme avait choisi la liberté pour protester  contre le massacre systématique des communistes russes par Iagoda et Iéjov, les âmes damnées du tyran (avant leur liquidation dans le cadre de ce que le NKVD appelait non sans humour la rotation des cadres), mais aussi contre le pacte Molotov-Ribbentrop.

Slocombe décrit à la perfection la perte progressive des illusions de ces hommes qui ont tout donné à un mythe, le salut par la révolution prolétarienne, et qui pour faire triompher une religion fondée sur le mensonge, en viennent à trahir tout ce qui fait d’eux des hommes de qualité : esprit critique, scrupules moraux, amitiés, fidélité … Dans le système instauré par Lénine, ne survivent, avec un peu de chance, que les cyniques et les dociles.

La description des crimes commis en Espagne, transformée en charnier par les tueurs du NKVD et leurs supplétifs (notamment français : Marty), glace le lecteur, qui pousse la porte des sinistres checas de Barcelone, où l’on extermine des milliers de pauvres types sous prétexte qu’ils appartiennent au POUM, à la CNT ou parce que, même encartés au PC, ils déplaisent aux cerbères de Moscou. De même, Slocombe reconstitue avec un joli sens de la mise en scène des réunions d’officiers supérieurs à la Loubianka, pressés de faire subir à l’URSS une saignée aux allures de cyclone.

L’Affaire Toukhatchevsky, de même que les procès de Moscou (bruyamment approuvés par tant de progressistes occidentaux) et la grande terreur de 1938 sont interprétés comme une titanesque guerre interne entre l’Armée rouge, corps sain de l’empire soviétique, et le NKVD, la garde rapprochée du tyran. L’enjeu ? Un pouvoir qui risque d’échapper à Staline, qu’un dossier retrouvé dans un coffre de l’Okhrana, la Sûreté tsariste, accuse, preuves à l’appui, d’avoir été, de 1906 à 1913 un agent provocateur – nom de code Vassili – chargé de surveiller Lénine et le Comité central. L’Etat-Major de l’Armée rouge, mis au courant du passé sordide de Staline, conspire contre le tyran, mais se fait doubler par le NKVD… à la plus grande joie des services allemands, qui eux aussi jouent leur partie. Krivitsky fait défection avec femme et enfant, désespéré de voir souillée la cause d’une vie, et sans illusion aucune sur Trotsky et ses hommes, présentés dans le roman comme des monuments de naïveté. Interrogé à ce sujet, Slocombe m’a répondu n’avoir rien inventé à leur sujet : toutes les preuves de leur aveuglement se trouvent noir sur blanc dans les mémoires de J. Rosenthal, d’E. Poretski et même d’un certain Victor Serge, décidément bien maladroit face aux menées du NKVD.

Un excellent roman, subtil, à la langue ferme et charpentée, fondé sur une analyse approfondie de la psyché révolutionnaire, que l’auteur a connue de près, ayant milité très jeune au sein d’une secte progressiste.

Romain Slocombe, Avis à mon exécuteur, Robert Laffont.

Les exquises esquisses de Patrick Besson

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patrick bessoin deplacements

« Il n’y a rien au-dessus de la beauté féminine asiatique. J’aime ces jambes légères qui auront toute ma vie six ou sept heures d’avance sur mon désir. » Voilà, c’est ce qu’on appelle du Besson. Direct, bien cadré, bien envoyé. Drôle. Et quand il se déplace, Patrick Besson, il pense ; il lui arrive même d’écrire. Alors, il nous le fait savoir. Pas tout de suite, pas sur le champ. Longtemps après. Voici Déplacements, un petit livre tissé de courts textes, de réflexions, d’aphorismes, de minuscules proses, de croquis. Une manière de carnet de voyages frais comme une citronnade dans la touffeur d’un été des sixties à Montreuil.

Ce Russo-Croate insaisissable voyage beaucoup. On le suit ici dans ses pérégrinations aux Etats-Unis, au Mexique, à Varsovie, à Marrakech, à Paris, à Saint-Amand-les-Eaux, la seule station thermale communiste du Nord de la France. On le retrouve en Belgique, à Téhéran, à Belgrade bien sûr. A Bangkok, où il est en train de lire Goethe et Thomas Mann, il constate que « la lecture » est « le seul plaisir solitaire qu’on ait l’occasion de pratiquer » dans cette ville. Pas mal. À Gand, il décrète : « La vie : rêve éveillé d’un mourant. » À Téhéran, il constate que son accompagnateur est « un Alain Paucard iranien : il me chante du Brel, du Joe Dassin, du Charles Aznavour et même du Charles Trenet. » Un peu plus loin, dans le même secteur, une préadolescente lui demande d’où il vient : « si longtemps que les enfants iraniens n’ont pas entendu une langue étrangère. Une fillette me fait de grands sourires. En Iran, j’ai la cote avec les moins de seize ans. Je pourrais devenir le Matzneff chiite. »

À Nice, il est émouvant, discrètement plus intime. On comprend mieux pourquoi, aujourd’hui encore, il y est toujours fourré. Il y parle de sa mère qui, après sa fuite de Croatie et son départ d’Italie, s’est installée dans cette ville : « J’ai des photos en noir et blanc d’elle sur la plage de galets : elle est en bikini et sourit comme je ne l’ai jamais vue sourire à Montreuil. Elle est encore brune. Elle deviendra blonde à Paris, comme Brigitte Bardot et Catherine Deneuve. » Et le voilà parti à s’imaginer fréquentant le lycée de Nice, condisciple de Georges-Marc Benamou, chahutant Cauwelaert, fondant avec eux une revue qu’il n’aurait pas baptisée Le Grand Jeu (comme Vailland, Daumal et Gilbert-Lecomte, à Reims) mais Globe

Ses pages et ses notes sur Paris sont un régal. Il constate que l’amoureux de notre capitale fait peine à voir car il sait qu’il est impossible de coucher avec une ville. Il a beau sillonner les rues, « il n’en trouve pas une pour se mettre au lit avec lui ». Le découpage de sa vie en cafés est une friandise de littérature : la période Dôme (1982-1995), l’ère Closerie des Lilas (1995-2009) et l’époque Rotonde (2010-…). Un dix mille feuilles ; celles qu’il a dû y écrire. Et cette esquisse bessonienne de La Rotonde : « Son air ouvert comme un visage. Le rouge au front de ses banquettes. Ses nappes blanches de trattoria romaine du siècle dernier. »  De la célèbre brasserie, Bove en eût fait un fusain ; Besson nous en donne une sanguine. Ce carnet de voyage est rempli d’exquises esquisses. Croquez dedans comme dans une pomme d’amour rouge sang. Ce sont là les sanguines d’un homme de cœur qui voudrait ne pas en avoir en arpentant les artères du monde.

Déplacements, Patrick Besson, Gallimard, coll. Le sentiment géographique.

*Photo : Daoud B.

De Max Ernst à Jeff Koons : la fabrique du faux

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jeff koons dog

Le mécanisme qui, depuis une vingtaine d’années, parvient à fabriquer, puis à vendre, les produits d’un art appelé « art contemporain », dont les prix sont sans limites mais dont les critères sont inexplicables, me paraît étrangement semblable à celui qui a consisté à écouler des faux chefs-d’œuvre d’art moderne sur le marché en les faisant reconnaître vrais par des assemblées de trois ou quatre autorités ou supposées telles.

Une sérigraphie d’Andy Warhol tombait dans un vacuum sémantique tel que seule l’habileté du critique pouvait, dans une revue ou dans un catalogue de galerie, donner une forme et un nom, attribuer des qualités ou des essences, faire parler l’œuvre au fond, comme la  voyante fait parler les cartes, le critique d’art étant une sorte de ventriloque de l’art qui meuble « les voix du silence » dont parlait Malraux, le charlatan forain qui, dans les gazettes ou dans les médias, osera dire : « C’est de l’art » ou « C’est du grand art », tout comme l’expert disait : « C’est un Max Ernst magnifique » du faux qu’on lui avait mis sous les yeux.

Or, pour que le critique d’art devienne un personnage essentiel, crédible, de cette manipulation, il faut une opération singulière qui fera de sa parole un dogme. L’effet de doxa, on l’obtiendra en adjoignant à ses côtés deux figures essentielles : l’historien d’art et le marchand. Le marchand est celui qui fournit la marchandise, l’historien d’art celui qui en atteste la provenance et en retrace l’historique. [access capability= »lire_inedits »]

Les opérations entreprises pour faire monter le prix de ces œuvres à des hauteurs sans limites, mais dont la valeur devient de plus en plus indiscernable au regard de l’honnête homme, ressemblent alors étrangement aux opérations qui, dans le domaine bancaire ou plus généralement fiduciaire, ont installé les système des hedge funds, assignant des prix à des biens qui n’existent pas, à des produits fantômes, ou mieux encore au procédé des titrisations transformant des créances douteuses et non soldées en titres financiers garantis, et par conséquent susceptibles d’être émis sur le marché des capitaux.

Qu’est-ce qu’un faux en art sinon, en effet, une créance en un objet que l’on dit « d’art », et que l’on réussit, si misérable voire inexistant soit-il, comme dans le cas des œuvres conceptuelles, à faire passer pour contenir une valeur et qu’on émet donc sur le marché de l’art, à partir du moment où ce marché est à son tour couvert, tout comme les titrisations par les fonds bancaires, par cet étalon-or, cette encaisse-or que sont les œuvres d’art des collections publiques, inventoriées, numérotées, distinguées, et gardées dans les musées qui les conservent.

Le système se met alors en route lorsque le critique s’adjoint l’appui, on dit aujourd’hui la « complicité », d’un historien d’art et, mieux, d’un conservateur de musée : dans ce cas, l’autorité de l’institution, confortée par l’autorité de l’analyse historique, devient telle qu’il n’est plus possible de douter de l’éminence des œuvres proposées à l’amateur.

La science de l’historien associée à la rigueur du fonctionnaire d’État, la dissertation bavarde enfin du critique – ventriloque –, sont ainsi devenues les mots de passe pour faire accepter, exposer, et finalement vendre avec de stupéfiantes plus-values à court terme des objets de toute nature, depuis le tas de vêtements jetés dans la nef du Grand Palais par Boltanski, jusqu’au doigt d’honneur dressé par Cattelan devant la Bourse de Milan.

Il sera toujours possible de démontrer que ces gestes ont leur origine, leur développement, leur logique, donc qu’ils s’inscrivent dans l’histoire, dans la suite de Duchamp et de Picasso par exemple, et, par conséquent, d’attester leur légitimité.

J’en arrive à penser que l’art contemporain n’est ainsi composé que de faux, déclarés chefs-d’œuvre par des critiques à l’autorité autrement douteuse que le savoir éminent des historiens de jadis, experts commis naguère à authentifier les chefs-d’œuvre des temps passés et qui hésitaient longtemps avant de se prononcer.

Si ces conflits sur la véracité, l’originalité, la fausseté, la provenance d’une œuvre ont pris une actualité fracassante, c’est bien entendu à cause des prix des œuvres mises sur le marché. Or ces chiffres qui nous font sursauter ne concernent guère que le marché de l’art dit « contemporain », c’est-à-dire de l’art qui se fabrique sous nos yeux. Ils concernent peu l’art ancien. Il suffit de consulter les catalogues des ventes pour constater que les prix des œuvres anciennes, sculptures et objets d’art, sont en baisse régulière[1. On assiste même à un effondrement, depuis peu, des prix des meubles anciens, des dessins anciens, des livres anciens. Seules résistent un peu, en salle des ventes, des peintures « signées » de noms plus ou moins connus.]

Les querelles sur la qualité ou l’authenticité d’une pala de Gentile da Fabriano, d’une toile de Raphaël ou d’un bronze de Ricci – copies, travail d’atelier, faux – n’étaient que des querelles d’historiens d’art, d’érudits. Mais les querelles sur une œuvre de Pollock, de Magritte ou de Max Ernst sont des querelles de marchands, dont la qualité de l’œuvre, son originalité, ne sont plus l’enjeu principal. Celui-ci ne porte plus guère que sur le certificat qui permettra de vendre et de revendre ces objets au plus haut prix et au plus vite.

Les œuvres de Damien Hirst ou de Jeff Koons ont ainsi atteint en peu d’années des montants tels qu’aucune explication rationnelle n’en peut plus rendre compte. Nous ne sommes plus dans le goût – ces œuvres sont laides, franchement repoussantes ou anecdotiques –, et pas non plus dans la rareté, dès lors qu’elles sont indéfiniment reproductibles. Elles n’ont d’existence, en réalité, et ne possèdent une « valeur » que par le marché qui les propose.

Or, que ce marché, fondé depuis toujours sur le long terme, ait pu croiser le marché de la finance, fondé sur le très court terme, au point de se confondre avec lui, voilà bien l’énigme de l’art contemporain.

Acquérir une œuvre d’art, il y a quelques années encore, c’était la découvrir dans le salon discret d’une galerie, la voir et la revoir avant de prendre sa décision. Elle restait propriété du collectionneur de longues années. Revendue, il arrivait que sa plus-value fût considérable, mais, calculée sur la période de temps durant laquelle elle avait été propriété du vendeur, elle n’était pas exceptionnelle. Acquis dans les années 1920, un Picasso revendu dans les années 1960, par exemple, constituait un capital dont le rendement restait modeste. Revendues au bout de quelques mois, parfois de quelques semaines, le temps de changer de main, les œuvres d’art contemporain aujourd’hui proposées dans les espaces affolés des salles des ventes sont appréciées en fonction d’une rentabilité quasi instantanée et élevée, obéissant ainsi à la logique de marchés financiers qui fonctionnent sur l’extrême rapidité des transactions effectuées par informatique. Comment l’œuvre d’art, autrefois faite « pour l’éternité », fût-elle produite à grande vitesse et multipliée à loisir, peut-elle n’être plus que le gage indifférent d’opérations spéculatives fondées sur des algorithmes déconnectés du monde réel ?

Le Balloon Dog de Jeff Koons, en acier inoxydable de quatre mètres de hauteur environ, produit par un procédé excluant l’intervention de la main de l’artiste, qui s’est contenté de fournir le modèle, le ballon d’enfant vendu dans les foires, a été tiré à cinq exemplaires identiques, sinon par la couleur, dont chacun s’est vendu entre 35 et 55 millions de dollars.

On comprend bien qu’ici, comme pour les sérigraphies de Warhol, la notion d’original et de copie perd son sens. Mais, bien plus : c’est l’absence même de ce sens qui permet de proposer ces produits à des prix qui n’ont plus de limite. La parfaite reproductibilité technique de l’œuvre, excluant le tremblé de la main, permet sa miraculeuse ubiquité, désormais présente en plusieurs points de la planète.

Le procédé de Jeff Koons a été utilisé par des sculpteurs plus classiques, travaillant des matériaux plus traditionnels. Aujourd’hui encore, les fonderies de Pietrasanta ne survivent que par les commandes passées par Botero, des animaux là encore, mais cette fois ce sont des chats, mécaniquement agrandis à des tailles gigantesques à partir d’une petite maquette de carton ou de plâtre …

La dérision de ces productions est soulignée par le choix de la figure. L’image acheiropoïète de la véronique nous tendait le visage d’un Dieu qui s’était fait homme pour nous. L’image chez Koons est l’image infantile et dérisoire d’animaux de compagnie, de jouets de carnaval démesurés comme étaient démesurées les effigies des empereurs de la décadence romaine, offrant aux élites d’argent qui les achètent le reflet dérisoire de leur vanité de « nouveaux riches ».

Il n’est alors plus question d’une idolâtrie née du culte détourné des images. Ce dont il s’agit ici, c’est de fétiches. Le fétiche est cet objet artificiel – du latin facticium – qui se substitue à la possession de l’être aimé. Le fétiche, comme délectation d’un objet partiel et inanimé, suppose l’absence du corps entier et réel du désir, mieux encore, sa disparition, voire sa destruction. L’amoureux désirait sa maîtresse et lui rendait hommage. Quand elle n’était pas là, il aimait à regarder ses médaillons, ses portraits, les effigies sculptées qui la représentaient. Mais, de tout ce rituel, le fétichiste ne gardera que la touffe de poils, la chaussure, le liquide jaune de ses sécrétions, voire le doudou infantile, le nounours ou la peluche qu’il mettra dans son lit, à sa place…

On nous rabâche dans les médias qu’un tel n’a pas pu « faire son deuil » d’un être aimé et disparu parce que son corps n’avait pas été retrouvé. Le deuil ne pourrait se faire dans l’absence de preuve matérielle. Ce sentiment populaire a le mérite de nous rappeler la puissance de l’objet aimé, non de son image reproduite, non de son souvenir remémoré, mais de son corps même, de sa réalité matérielle, dans ce que Freud appelait, lui, « le travail du deuil ».

Or, du corps de la peinture, de ce corps jadis adoré, vénéré, admiré, reproduit, recopié, restauré avec amour, il ne nous reste rien. L’art est mort, mais il ne nous reste aucune preuve matérielle de sa disparition qui nous permettrait d’accomplir le travail de son deuil. Dans ce que nous propose l’art contemporain, il ne nous reste pas même des débris, des défaits, des reliques. Plus rien, dans son absence, dans son vide, que ces fétiches ridicules, ces baudruches que nous proposent les Foires de l’art et les palais vénitiens. Leur prix de vente un peu plus élevé chaque jour est à la hauteur de cette perte sans objet.

Au fétichisme sexuel tel que l’entendait Freud, des productions corporelles, cheveux, poils et déchets établissant l’emprise d’un génie démoniaque substitué à l’ancien amour d’un homme fait à l’image de Dieu, s’ajoute ici le fétichisme de la marchandise tel que l’entendait Marx, qui établit l’œuvre d’art au niveau des échanges de produits indifférents, gagés par une monnaie dérisoire, du cauri primitif à l’ordre d’achat électronique, qui ne fonde pas la possession d’une œuvre précieuse, mais d’une marchandise vidée de toute valeur propre, une sorte de titrisation du néant.

Les juifs adoraient le Veau d’or. Nous adorons les chiens et les chats de Koons et de Botero.

Qui sera le Moïse qui brisera devant eux les Tables de la Loi en redescendant d’un Sinaï ?

Mais y a-t-il encore simplement une Loi, des commandements, un ordre à briser ?[/access]

*Photo : GINIES/SIPA. 00698677_000023.

La jeune fille et l’argot

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argot francois ceresa

Rien ne prédisposait une ex-khâgneuse lyonnaise à s’aventurer aussi loin de ses pénates pour feuilleter négligemment mais précautionneusement un ouvrage sur l’argot, rien ne l’engageait moins que la perspective de rencontrer et de suivre dans leurs virées les  Princes de l’argot  de François Cérésa. C’est pourtant ce qu’elle fit.

Surprise, des têtes connues et reconnues (Céline, Villon, Eugène Sue) s’acoquinaient à de parfaits inconnus à ses yeux (Pechon de Ruby, Alphonse Boudard, Auguste Le Breton) et surtout, à de très mauvaises fréquentations, puisque Vidocq, les « chauffeurs » d’Orgères ou Aristide Bruant furent tenus pour tels sur les bancs de ses cours d’histoire et de littérature. L’argot, en général, y avait fort mauvaise presse.

Afin d’ordonner un tant soit peu ce charivari, François Cérésa opte pour le sens chronologique: l’occasion, du XVème siècle à Kaamelott, de rendre ses lettres de noblesse et sa dignité d’objet d’étude avouable, n’en déplaise aux khâgneux, à la langue verte. Par souci d’exhaustivité et par amour de leur « folie des glandeurs », il consacre même les dernières pages à un florilège de grivoiseries et de pirouettes glanées chez les écrivains qui d’ordinaire cachent bien leur jeu – Simone de Beauvoir, Huysmans, Sartre, Stendhal, on en passe et des meilleurs.

Ce ne sont plus les commentaires du Lagarde et Michard qu’il s’agit de parcourir, les yeux ensommeillés, à l’abri d’une bibliothèque, ce serait trop facile ! Chaque chapitre est un nouveau coupe-gorge. Car sitôt poussée la porte, c’est à la cour des Miracles que la jeune fille un peu trop curieuse atterrit. Alice au pays des fripouilles peinera à reconnaître Céline dans ce «  gars au bar, clope au bec, blanc limé à portée de main, désabusé, moqueur, le regard dans le vide  ». Elle tombera sur Villon, non le flamboyant auteur de la Ballade des pendus mais celui dont le jargon des coquillards lui donnait des sueurs froides, le Villon  « voyou métaphysique,   tout feu tout flamme  mais  plutôt moche et chétif ». Fleur-d’Epine, Robillard, Poulailler et Beau-François, déjà prêts à mettre les voiles la regarderont de travers et elle se verra forcée de boire une absinthe à la santé de Bruant dans un coin qui ressemble à la scène du Chat Noir.

Renaud y montera un instant pour chanter « Laisse béton », elle se laissera sûrement inviter à danser par Frédéric Dard. Et frissonnant encore d’avoir dû se faufiler dans des ruelles sombres où «  les lames de sacagne luisaient sous un rayon de lune  » et d’avoir cru entrevoir François Vidocq, ne comprenant pas un traître mot de ce qui se dit autour d’elle, elle commencera à regretter d’avoir attendu si longtemps pour se dévergonder.

D’autant qu’il semble y avoir du génie là-dedans, du panache, des réflexes, une «  élégance de grammairien  ». La langue française sans le vernis a autant, voire plus de brillant que sa version sage : l’argot est un snobisme qui précède celui des universitaires, arrivés après la bataille pour lui accoler leur propre jargon.

L’apprentissage ne fait que commencer. Heureusement, avec François Cérésa pour guide, elle ne risque (presque) rien.

Les Princes de l’argot, François Cérésa (Écriture).

Tour de cochon

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cochon cantine laicite

À Sargé-Lès-Le Mans, dans la Sarthe, il n’y aura donc plus de menu de substitution à partir du 1er janvier les jours où l’on servira du porc. Le maire, pas tout à fait franc du collier, joue un tour de cochon aux Musulmans de sa commune.

Les cons, ça ose tout, c’est même à ça… Avant de prendre des décisions qui font enfin parler de lui, cet édile aurait pu songer qu’il allait faire les beaux jours de LObs, et donner du grain à moudre aux abrutis de la FCPE, qui se sont empressés de confondre sauté de porc au miel (c’était le menu quand la télé y est allé faire son reportage) et accompagnatrices voilées lors des sorties scolaires. Ou que d’autres confondraient la laïcité à tout crin des pseudo-laïques qui interdisent les crèches (voir ce que j’en ai dit sur LePoint.fr) et celle des extrême-droitiers qui imposent le cochon. Marine Le Pen s’est un peu pris les pieds dans le plat de charcuterie fine.
Entendons-nous : j’adore le porc sous toutes ses formes, et je me damnerais pour un petit salé aux lentilles ou du travers au miel. Ou pour un filet mignon simplement rôti à cœur. Ou… Bref, dans le cochon, tout est bon : je ne vais tout de même pas renier le prizuttu et le figatelli.
80% des écoles proposant un service de cantine sont alimentées en repas collectifs par de grandes centrales qui leur fournissent indifféremment du cochon ou des menus de substitution, qui existent aussi les jours où l’on propose une autre viande que le cochon, ou du poisson, vu qu’il y a toujours eu des végétariens. Après tout, des goûts et des couleurs alimentaires… Même si je trouve que les végétariens ne savent pas ce qu’ils manquent, et que les végétaliens purs sont cinglés. En l’occurrence, dans la Sarthe, le cochon endosse malgré lui les choix idéologiques du maire — comme au temps des soupe au lard offertes par une certaine extrême-droite aux SDF non-Musulmans.
Ou non-Juifs (curieusement, ils ont disparu du radar médiatique). Quand j’étais gosse, à Marseille, la question des Musulmans ne se posait pas — des Musulmans, en classe, je n’ai pas souvenir d’en avoir croisé. Des Séfarades oui, qu’ils viennent de rentrer d’Algérie durant l’exode Pieds-Noirs ou non. Ils ne mangeaient pas de porc, soit : personne n’a jamais fait de réflexion, ça passait comme une lettre à la poste. Et ça passe toujours, pourvu que l’on s’en donne la peine.

D’aucuns invoquent le « vivre-ensemble » pour justifier leur choix du cochon. C’est que dans les cantines, apparemment, les musulmans désormais se regroupent à des tables particulières : le communautarisme gagne de jour en jour, et on laisse faire. À la question du cochon se superpose désormais celle du hallal — et là, il y a une limite, parce que ce n’est plus affaire de goût (ou de pseudo-allergie, le prétexte communément invoqué par les familles musulmanes pour expliquer leur refus de telle ou telle viande), mais de superstition (même effet lorsque des gosses mettent à la poubelle des bonbons suspects de contenir de la gélatine de porc — tout comme les enveloppes de gélules médicales). Des élèves de prépas en voyage, l’année dernière, refusaient même de manger des légumes, parce qu’ils étaient susceptibles d’avoir touché une viande non hallal : là, on est dans le grand n’importe quoi. McDo a intelligemment laissé entendre que sa viande hachée était hallal, sans avoir jamais communiqué à ce sujet : très fort, d’un point de vue commercial ! Jusqu’à ce que des clients musulmans posent directement la question, qui a quelque peu embarrassé McDo Maroc. On ne gagne jamais à opter pour le silence.

Alors, essayons d’être clair. Un menu de substitution n’est pas une offense à la laïcité. C’est affaire de goût (par parenthèse, j’ai rencontré des instits qui m’ont raconté avoir fait manger du cochon à des petits musulmans qui s’en régalaient dans le dos de leurs mères — ce sont toujours les mères qui imposent les interdits, tout comme en Afrique, et parfois ici, ce sont elles qui font exciser leurs filles : aliénation, quand tu nous tiens…). La viande hallal, c’est autre chose : c’est du communautarisme, et ça, ce n’est pas la République. Mais il est évident que les revendications des unes et des autres sont autant de pions avancés dans l’instauration d’une société française éclatée en sous-groupes, où ce n’est plus affaire de goûts mais d’intolérance. Je suis assez ouvert pour respecter les goûts de mes invités, quand je leur fais à manger : si j’étais maire, j’en ferais autant. D’aucuns n’aiment pas le porc, d’autres ne supportent pas l’agneau ou le mouton — ou le gluten, ce qui m’offenserait presque, dieu des pâtes que je suis. Soit.
J’ai évoqué plusieurs fois sur ce blog l’excellent ouvrage de Pierre Birnbaum, La République et le cochon, où l’auteur raconte le long apprentissage du porc républicain par des Juifs désireux de s’intégrer — et ils étaient fort désireux de le faire, jusqu’à ce qu’Hitler et Laval les reconstitue en communauté. La perspective s’est renversée aujourd’hui : les Musulmans — dans leur frange extrémiste au moins, et l’extrémisme commence aux interdits alimentaires — ont-ils envie de s’intégrer, ou d’exister parallèlement à la République, avant de la dominer ?Question rhétorique…

En attendant, le maire de Sargé-lès-Le Mans est un imbécile, qui est parvenu à faire parler de lui — tiens, j’ai même omis de citer son nom, je l’ai déjà oublié. La République se fiche pas mal de ce que vous mangez, et la laïcité résistera à la non-absorption d’un sauté de porc à l’ananas (frais, l’ananas pré-cuit le cochon et vous épargne 30% de temps de cuisson). En revanche, elle ne tiendra pas longtemps sous les assauts des imbéciles, et là, leur nom est légion.

*Photo : The pug father.

Outing, quid des preuves?

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Une question me taraude après l’outing sauvage pratiqué par Closer à l’encontre d’un dirigeant politique français. Non pas une question morale, que tout à chacun aura tranché dans le même sens que Jérôme Leroy. Mais plutôt une question technique, ou tout du moins technique en apparence.

Cette question c’est celle des preuve alléguées par l’hebdo en question pour parler d’ « amour » (ou plus précisément d’« amour pour tous », humour kolossal) entre les deux protagonistes photographiés à leur insu.

Les voit-on se rouler des pelles ? Non

Les voit-on lovés sous la même couette ? Non

Les voit-on copuler sur un banc public ? Non

Les voit-on se tenir tendrement par la main? Même pas !

On les voit prendre ensemble un selfie « comme le font les amoureux » . Et comme le font des centaines de millions de personnes qui ne sont pas liées par une liaison amoureuse.

Certes, d’après un autre hebdomadaire, le second protagoniste des photos volées est un journaliste très impliqué dans la défense des droits des gays. Tsss, Tsss il y a donc anguille sous roche.

Sauf que considérer qu’être ami d’un gay, ou partir en vacances avec un gay, ou prendre un selfie avec un gay est une preuve qu’on est soi-même gay, ça porte un nom : ça s’appelle de l’homophobie pure et simple. Et ça aussi, c’est ignoble.

Affaire Philippot : Tout est-il permis contre le FN?

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fn philippot closer

Précisons d’abord deux ou trois choses : je n’ai rigoureusement aucune sympathie pour le Front national, j’estime que sa banalisation dans la vie politique française est une catastrophe, je ne crois pas trente secondes à sa mue « sociale » et je me souviens de l’époque pas si lointaine, au moment où Marine Le Pen prenait le Front en main, que lorsqu’on visitait le site du FN, la page renvoyant au programme économique était assez ironiquement, mais d’une ironie involontaire, marquée « en construction ». Et pour cause : il fallait quand même un peu de temps pour transformer des propositions ultralibérales, celle du vieux FN, en programme « cryptomarxiste » comme aime le dénoncer la droite sous prétexte que l’on trouve désormais au Front des propositions sociales, sans doute, mais en invoquant aussitôt la préférence nationale et en oubliant, donc, au passage l’internationalisme qui est tout de même la base du marxisme, « crypto » ou pas.

Cela précisé, tous les moyens sont-ils bons à utiliser contre le FN pour contrer son influence et le fait qu’il apparaisse de plus en plus comme la seule alternative à la politique unique de l’UMP et du PS ? Une alternative incarnée par des gens comme Jouyet ou Attali qui servent tranquillement aussi bien Sarkozy que Hollande tant que les choses vont « dans le bon sens », c’est-à-dire une libéralisation et une marchandisation toujours plus grande de tous les aspects de notre vie, le primat définitif de l’économique sur le politique, l’ère postdémocratique où se rendre aux urnes ne sert à rien puisqu’il n’y a plus qu’une politique possible pour les gens raisonnables, entendez ceux qui veulent travailler le dimanche jusqu’à soixante-dix ans sans contrat de travail.

Vous vous étonnerez après, une fois que l’omerta médiatique a pesé sur toutes les solutions alternatives de gauche, que seul le FN dans une espèce de formidable OPA, apparaisse comme la seule opposition à un conglomérat de « partis de gouvernements » mais une opposition tellement infréquentable qu’elle a toute les chances de rester dans l’opposition, puisqu’au nom du Front républicain, si Marine Le Pen était présente au second tour de 2017, elle serait battue même par un manche à balai estampillé UMP ou PS. La vraie ruse du système est là, d’ailleurs : le FN sera l’idiot utile des futures grandes coalitions UMP/PS, ce qui se profile déjà dans certaines futures grandes régions où il risque de faire des scores impressionnants comme le Nord-Pas-de-Calais Picardie . C’est vous dire, donc, si le FN m’inspire peu de sympathie, à moi, le coco du FDG, vite taxé de rouge-brun par les bien pensants qui me rejettent mes camarades et moi de leur côté alors que nous disons depuis trente ans en y croyant ce qu’ils disent depuis trois sans y croire, et en y rajoutant une bonne pincée d’ultranationalisme poutinien.

Mais voilà : je me fais une idée de la politique comme lieu de débats, d’affrontements, voire d’affrontements physiques façon manifs énervées mais certainement pas comme le lieu de rumeurs sordides portant sur la vie privée. En ce sens, là aussi, nous avons longtemps été, nous les Français, une exception. Les galipettes dirigeantes nous indifféraient, les maris, les femmes, les amants, les enfants cachés, les seconds ménages, tout cela nous faisait sourire un instant et puis nous passions à autre chose. Somme toute, ce qu’on a reproché au Régent, ce n’est pas tant ses partouzes joyeuses que la banqueroute de Law et en ce sens nous faisions bien. Il y a tout de même quelque chose d’infiniment plus grave dans le fait de pratiquer l’évasion fiscale que d’aimer les plans à trois ou les garçons ou le BDSM, non ?

C’est pour cela que ce qui vient d’arriver à Florian Philippot devrait tous nous inquiéter. Le journal Closer a cru bon de révéler son homosexualité en produisant des photos de lui et son petit ami en voyage d’amoureux à Vienne. Cette pratique venue des USA était à l’origine pratiquée par des associations gays qui voulaient dénoncer l’hypocrisie d’élus ou de stars homo ET homophobes. Cela était déjà très discutable et le problème s’était posé au moment du PACS ou Act-Up avait menacé de balancer le nom d’un élu que l’on retrouvait dans toutes les manifs qui voulaient envoyer les pédés au bûcher. Mais balancer l’homosexualité d’un homme politique qui ne s’est jamais prononcé, contrairement à d’autres dans son parti, contre le mariage pour tous, relève carrément de l’abjection. On peut aussi se demander l’intérêt d’une telle info ou plutôt qui a intérêt à une telle info ? On peut penser à une manip interne. Finalement, le dernier congrès du FN a montré que la ligne Philippot, si elle restait majoritaire, était critiquée par une partie non négligeable des tenants du vieux Front, Marion Maréchal-Le Pen en tête. On peut penser à quelques officines ou cabinets noirs, dans la majorité comme dans l’opposition, pour écorner la figure trop lisse de celui qui incarne de façon crédible, au moins sur le plan médiatique, cette « autre politique » dont les Français ont confusément le désir. On peut aussi plus banalement, et finalement plus tragiquement, que Closer avec cette info ne fait que refléter notre mue anglo-saxonne, non seulement sur le plan de l’économie, du social mais aussi de nos mœurs (tout va ensemble, de toute façon).

Evidemment qu’il faut dénoncer l’imposture que représente Philippot qui tient un discours de « gauche » dans un parti historiquement d’extrême droite. Mais en organisant, par exemple des débats entre lui et des représentants de la gauche de gauche, histoire qu’on les voie vraiment, les différences irréductibles. Mais certainement pas en cherchant à le détruire par quelques photos volées et crapoteuses.

*Photo : Gregoriosz.

Loi Macron, la grande peur de la gauche

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macron travail dimanche

La loi Macron n’a pas fini de faire parler d’elle. Elle intrigue, enflamme ou encourage, fait grincer des dents, ricaner ou flairer un enfumage supplémentaire. La partie s’annonce serrée, les coups de hache ne pourront être évités sur ce projet qui veut tout faire, ne fera probablement rien et qui recueille au choix éloges ou sarcasmes bien au-delà de chez nous… Si le projet est dans les clous de ce que proposait Jacques Attali au Président Sarkozy -libérer de la croissance- : dans sa version finale, il manquera très certainement d’audace.

Le gouvernement  ne peut anticiper précisément ce que donnera cette loi caddie dans les faits, et ce pour de multiples raisons, cependant il nous donne d’ores et déjà rendez-vous mi-2015 pour en constater les bienfaits… Ça ne mange pas de pain !

Oh les habiles calculateurs ! Si l’on prête un peu l’oreille aux milieux financiers, on entend, une fois n’est pas coutume,  une petite musique positive… L’effet conjugué de la baisse de l’euro et du prix du pétrole, pourraient bien nous envoyer quelques bonnes nouvelles. Mais leurs conséquences ne sont pas immédiates : le poids des entraves économiques, que la loi de notre chouchou transversal  est supposée alléger, est encore trop lourd et diffère de 5 à 6 mois les effets positifs escomptés…

Bref, quand arrivera enfin cette brise libératrice venue d’ailleurs, il n’est pas certain que les Français accepteront de prendre des vessies pour des lanternes, autrement dit, qu’ils attribueront tout seul le bénéfice de cette conjoncture macro-économique à la loi économique Macron. Il faut donc commencer dès maintenant un bourrage de crâne par anticipation. Si le travail est habilement mené, il sera alors tout naturel, quand quelques points de croissance –après la virgule- viendront surprendre les français qui ne les attendent plus, d’en attribuer les mérites à cette loi miracle… Abracadabra !

Pour la « croissance et l’activité », la loi Macron,  c’est une centaine de propositions qui touchent les professions réglementées, l’épargne salariale, les transports, le permis de conduire,  la grande distribution, les prud’hommes ou les sociétés d’autoroutes et les retraites chapeaux, entre autres. « Lever des freins, investir et travailler » en sont la colonne vertébrale. Et pour ce faire,  simplifions : l’accès aux professions juridiques réglementées, par exemple, en permettant d’augmenter le nombre d’officines, d’associer les différentes spécialités et de baisser les tarifs pratiqués. Libérer le transport par bus à travers la France, baisser les délais et le coût du permis de conduire, contrôler et ajuster les tarifs autoroutiers poursuivent le même objectif.  Attirer les investisseurs étrangers en renonçant au délit d’entrave qui faisait figure d’épouvantail. Réforme des prud’hommes, spécialisation des tribunaux de commerce pour gagner en rapidité. D’autres mesures doivent faciliter l’épargne salariale. Pour le commerce, le texte envisage d’élargir les ouvertures du dimanche et d’intervenir dans les situations où la concurrence est mise à mal. Un inventaire à la Prévert qui prévoit un saupoudrage de simplifications, mâtiné d’un peu de contrôle. Mais rien finalement, ou si peu, sur notre obèse code du travail.

Quoi qu’il en soit, il faudrait déjà la voter, cette loi. Mais au lieu de faire de la pédagogie pour effacer l’image désastreuse du premier porteur du projet –souvenez-vous : Montebourg en croisade contre quiconque a l’outrecuidance de gagner sa vie- et d’expliquer clairement aux intéressés en quoi consistent les mesures proposées, c’est un message purement politique que délivrent de conserve Emmanuel et Manuel.  Sentant venir les réticences de son propre camp, Emmanuel Macron a cru nécessaire de rappeler qu’il s’agissait bien d’une loi de gauche : comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit d’une loi de progrès et de liberté ?

Au-delà des mouvements de rue qu’entraînent divers points du projet, les réactions les plus vives se cristallisent sur un point de détail. Le travail du dimanche ou la question d’autoriser, dans certaines professions, 7 dimanches travaillés supplémentaires par an. Et cette question divise la France avec autant de vigueur que la présence des crèches dans les lieux publics, l’abandon des notes à l’école, ou les problèmes de filiation. C’est que le dimanche, c’est sacré !

L’ironie de l’histoire est que pour des raisons éthiques, philosophiques, religieuses ou sociales, le « travail du dimanche » rassemble dans une même opposition, toutes les couleurs de l’échiquier politique ou social. De Martine Aubry, à qui n’échappe aucun calcul politique, aux tenants d’une « trêve » hebdomadaire supposée éviter l’extension de la fièvre acheteuse dont notre société est déjà la proie, en passant par les indignés de la régression sociale, chacun a de bonnes raisons de se cabrer sur une telle mesure consumériste. D’autant que les chiffres se contredisent sur les bénéfices attendus.

On dit que la vérité sort de la bouche des enfants… Elle vient aussi parfois d’étrangers qui, vivant en France, en observent les travers avec une distance particulière : « En France on dirait que l’idéologie prend le pas sur la réalité économique » disait récemment l’un d’entre eux.

Peut être, mais c’est une loi de gauche et ça va marcher : c’est le Premier ministre qui l’a dit.

*Photo :  PETIT TESSON-POOL/SIPA. 00699762_000001.

Paul McCarthy, Djihadistes, Israël : le journal d’Alain Finkielkraut

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La polémique autour de Paul MacCarthy (26 octobre)

Élisabeth Lévy. « No pasaran », a déclaré Anne Hidalgo quelques heures avant que l’artiste américain refuse que l’on regonfle The Tree, son fameux sapin de Noël, vandalisé place Vendôme. Les commentateurs ont unanimement dénoncé les crétins qui s’en étaient pris à l’arbre. Les McCarthystes d’aujourd’hui sont-ils les défenseurs de la liberté ?

Alain Finkielkraut. L’affaire McCarthy vient d’en apporter la preuve : nos modernes et fiers de l’être ne sont pas modernes, ils sont anachroniques; ils mettent toute leur intelligence et toute leur énergie à se tromper d’époque, à rabattre le présent sur le passé et à empêcher ainsi que la moindre parcelle de réalité vienne troubler le confort moral d’un monde entièrement imaginaire.

L’artiste américain avait donc installé devant la colonne Vendôme, et sous l’égide des joailliers de la place, une sculpture gonflable d’un vert éclatant et de 25 mètres de haut. L’œuvre était intitulée The Tree et jouait sur la ressemblance entre un sapin de Noël et un « plug anal ». Peu familier, comme tous les ploucs, de ce « sex-toy », j’avais plutôt pensé à un suppositoire géant contre la constipation, un Maxilax en quelque sorte.

L’art a rompu ses derniers liens avec la beauté et avec la vérité. « Et que cela soit Chardin, Braque ou Vermeer que vous les nommiez/ Il en revient toujours poursuivre la même longue étude », écrivait Aragon. Cela veut dire que la peinture était, depuis sa naissance, habitée par la passion de tout voir et, si elle déformait la réalité, c’était pour en extraire les possibilités cachées, maléfiques ou merveilleuses. Rien de tel avec Paul McCarthy ou Jeff Koons : ils ont abandonné la longue étude pour la fabrication en série de gros jouets criards. Au terme de la déconstruction savante du geste pictural, l’art est désormais ce qui se déclare tel, et rien d’autre. Duchamp l’iconoclaste se moquait, avec son urinoir, de la prosternation grégaire devant les œuvres exposées dans les musées. Et voici que, pour bien montrer qu’on est un esprit libre, on se prosterne comme un seul homme devant Paul McCarthy et les produits ridicules de son infantilisme cochon. Baudrillard avait décidément raison : « Quelque chose d’absurde est venu pourrir dans l’âme humaine cette passion de l’admiration qui était la plus belle. » Et malheur à ceux qui n’admirent pas : « Ce sont des crétins », tranche Le Monde. La ministre de la Culture n’est pas en reste : « On dirait que certains soutiendraient volontiers le retour d’une définition officielle de l’art dégénéré. » Émettre des réserves devant la dernière « provocation » sponsorisée de McCarthy, ce n’est pas seulement « défendre la culture policée et la bienséance bourgeoise », comme dit encore le quotidien de la pensée rebelle, c’est perpétuer Goebbels, rien de moins. [access capability= »lire_inedits »]

L’agression dont l’artiste a été victime offre une caution providentielle à cet anachronisme complaisant, mais le petit commando ayant réussi à débrancher le compresseur qui remplissait d’air la sculpture et à couper les sangles qui la stabilisaient a fait un geste d’une grande portée conceptuelle : en dégonflant la baudruche antifasciste de l’art contemporain, il l’a rendue à son insignifiance.

Le Musée d’histoire des juifs polonais (2 novembre)

Vous avez assisté le 28 octobre à l’inauguration à Varsovie du Musée d’histoire des juifs polonais, en présence des présidents polonais et israélien…

J’ai fait partie, en effet, de la délégation française. Le premier soir, nous avons été reçus à l’ambassade de France. Il m’a été demandé de participer à une table ronde improvisée avec Roman Polanski, l’historien belge Joël Kotek, le président de l’Union des étudiants juifs de France, le grand rabbin de Varsovie et Konstantin Gebert, un juif polonais revenu à la foi de ses pères. Après un petit film retraçant à grandes enjambées cette longue histoire et qui se terminait sur le mot « vie », Monique Canto-Sperber, notre modératrice, a demandé, pour lancer la discussion, quelle était la contribution actuelle du judaïsme à la Pologne. Roman Polanski n’a pas voulu répondre à une question aussi générale, il m’a donc passé le micro et j’ai moi-même décliné la question en disant qu’avant de parler du présent, de l’avenir et de la vie, il fallait prendre acte de ce fait : la civilisation juive de Pologne avait été anéantie par le nazisme. Je pensais à cette phrase de l’écrivain David Bergelson, découverte autrefois dans le beau livre de Richard Marienstras Être un peuple en diaspora : « Il arrive que les peuples perdent leurs fils, c’est une grosse perte, bien sûr, et ce n’est guère facile de s’en consoler ; mais voici qu’arrive le Docteur Soïfer avec sa perte à lui… Car il est l’un de ceux qui sont en train de perdre leur peuple… Quoi ?… Qu’est-ce qu’il perd ?… Mais on n’a jamais entendu parler d’une telle perte. »

Certes, le peuple juif n’est pas mort. Les nazis n’ont pas pu mener jusqu’au bout leur entreprise d’éradication planétaire. Il y a eu des survivants et des épargnés. Israël est né. Quelque chose pourtant est mort, qui n’est pas simplement une monstrueuse addition d’individus. En disant cela, il me semblait avoir énoncé une évidence. À ma grande surprise, j’ai fait scandale. Le rabbin américain de Varsovie m’a trouvé arrogant et ignorant. Constantin Gebert m’a accusé de le donner pour mort. J’ai compris alors que si je pouvais envier les croyants d’être accompagnés par la promesse d’une vie éternelle, je ne supportais pas chez eux le déni de l’irréparable. Ils voient dans la perpétuation de l’étude et de l’observance la preuve que, même sur terre, la mort a été vaincue. Je ne partage pas cet optimisme religieux. Je le trouve même sacrilège.

Le lendemain, veille de l’inauguration officielle, nous avons visité l’exposition permanente du musée. Celle-ci couvre ambitieusement mille ans d’histoire. Une histoire dont la violence n’est pas mise sous le boisseau mais dont on voit aussi qu’elle ne se réduit pas à l’antisémitisme. Ce qu’on ne voit pas en revanche, et ce qui manque, c’est la grande culture. Il s’agit d’apprendre dans ce musée, il ne s’agit pas d’admirer. L’exposition ayant été confiée à une ethnologue américaine, ce ne sont pas les œuvres (musicales, picturales ou littéraires) qui sont mises en avant, ce sont les témoignages d’un mode de vie et de ses métamorphoses. Il est salutaire que la Pologne se réconcilie avec son passé juif. Il est regrettable que les frères Singer, Yitzhak-Leibush Peretz ou Adolf Rudnicki ne soient pas davantage mis à l’honneur.  

La situation en Israël (23 novembre)

Après l’attaque à la hache d’une synagogue de Jérusalem le 18 novembre, Benyamin Netanyahou a accusé Mahmoud Abbas. Par ailleurs, l’isolement diplomatique d’Israël s’accroît tandis que l’idée de reconnaître l’État palestinien progresse dans les opinions et les Parlements occidentaux. Cet attentat marque-t-il un tournant décisif et dangereux ou n’est-ce qu’une atrocité de plus ?

En apprenant que quatre personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées à la hache et au couteau dans la synagogue de Kehilat Yaacov, une réflexion de David Grossman, énoncée lors de la deuxième Intifada, m’est revenue en mémoire : « L’Israélien moderne de mon âge qui se considérait déjà comme un citoyen du monde, qui est relié à Internet et qui a une antenne parabolique sur son toit, cet homme a commencé à sentir le tragique du destin juif se refermer sur lui. » Je ne sais pas si le confit national israélo-palestinien se métamorphose aujourd’hui en conflit religieux, ou s’il est consubstantiellement théologico-politique ; ce qui m’apparaît, en revanche, avec une clarté irréfutable et implacable, c’est que les victimes de cet attentat n’ont pas été assassinées en tant que colons – la synagogue est située dans un quartier jusque-là paisible de Jérusalem-Ouest – ni même en tant qu’Israéliens, mais avec leurs châles et leurs livres de prière, en tant que juifs. Cet attentat palestinien s’inscrit dans la lignée des pogroms dont la Russie et l’Europe orientale ont été, jusqu’au milieu du xxe siècle, le théâtre.

Mais à ce stade de ma réflexion, comme à chaque fois qu’il s’agit d’Israël, mon for intérieur se divise en deux et ma parole se scinde. Aux Français qui font observer que la poursuite de l’occupation pousse les Palestiniens à de regrettables mais compréhensibles extrémités, je rétorque que ce crime et les indécentes explosions de joie qu’il a occasionnées à Gaza comme en Cisjordanie dénoncent comme occupation toute présence juive en Palestine. J’ajoute que, quitte à raisonner en termes de conséquences, il ne faut pas négliger, pour expliquer ce passage à l’acte et la forme qu’il a prise, l’impact des exploits sanglants de l’État islamique, si complaisamment étalés sur la Toile. Je rappelle que le président de l’Autorité palestinienne lui-même a menacé Israël d’une guerre sainte si le mont du Temple devait être, par malheur, « contaminé par les juifs ».

Mais l’autre part de moi-même s’adresse, avec la même véhémence, au gouvernement israélien. Benyamin Netanyahou s’est empressé de rendre Mahmoud Abbas responsable du crime. Certaines déclarations sont, il est vrai, désolantes et même révoltantes. Le problème, c’est que le Premier ministre d’Israël ne se désole pas, ne se révolte pas, il se frotte les mains. Car rien ne l’effraie davantage qu’une négociation sérieuse et les concessions territoriales qu’elle implique. Il préfère le « conflict-management » avec les Palestiniens à une guerre civile avec les colons les plus radicaux. Ainsi, loin d’incarner le sionisme, travaille-t-il à la dissolution de l’État juif dans un État binational.

Il n’y a aucun mur de protection contre le terrorisme primitif qui s’abat aujourd’hui sur Israël. Il peut frapper n’importe où et à n’importe quel moment. D’où la décision du gouvernement de faciliter l’octroi du port d’armes. L’État se dépouille du monopole de la violence légitime pour répondre à un danger omniprésent et invisible. J’ai entendu, l’autre jour à la télévision, Nissim Zvili, ancien ambassadeur d’Israël en France, dire qu’avec le poids croissant des juifs orthodoxes et une minorité arabe en passe de devenir majoritaire, ses petits-enfants n’auront pas de place en Israël : ce pays se sera trop éloigné de leurs attentes, des valeurs sionistes dans lesquelles ils auront été élevés. J’ai pensé alors à mes descendants éventuels. Auront-ils leur place dans la France de demain ? Assisterons-nous, dans cinquante ou cent ans, au chassé-croisé entre les Israéliens revenant vers l’Europe et les juifs européens fuyant vers Israël quand ils n’auront pas la possibilité d’émigrer sur le continent américain ? Pour éviter que cette vision de cauchemar devienne réalité, il faut œuvrer inlassablement à la paix, c’est-à-dire à la séparation entre Israéliens et Palestiniens.

Les djihadistes français de Lunel (23 novembre)

Près d’un quart des Français partis faire le djihad en Syrie seraient des convertis, preuve, selon le chœur des vierges habituel, que tout cela n’a rien à voir avec l’islam…

J’ai découvert, en lisant Libération, qu’une dizaine de jeunes de la ville de Lunel (26 000 habitants) étaient partis en Syrie faire le djihad. Comme j’avais lu naguère le beau roman d’Armand Lunel Nicolo-Peccavi ou l’affaire Dreyfus à Carpentras et que j’ai appris, dans un autre de ses livres, que les juifs, presque partout persécutés ou proscrits en Europe, ont pu survivre physiquement et spirituellement dans ces « étonnantes terres de permission » qu’étaient le Languedoc, la Provence et les États français du pape, j’ai voulu en savoir plus sur la ville dont il portait le nom. Mes recherches n’ont pas été vaines : Lunel était au Moyen Âge un centre philosophique juif, une « petite Jérusalem ». Un des « sages de Lunel », Samuel Ibn Tibbon, avait même traduit de l’arabe en hébreu Le Guide des égarés de Maïmonide. Presque rien ne subsiste aujourd’hui de cette communauté juive jadis florissante. Un des murs externes de l’hôtel particulier de Bernis a été identifié comme étant vraisemblablement celui de la synagogue de Lunel, la municipalité y a apposé une plaque commémorative. En revanche depuis 2010, il y a une mosquée à Lunel. C’est là, apprend-on dans Libération, que Raphaël, « fils unique d’un père informaticien issu d’une famille juive et d’une mère psychologue (sic) », s’est radicalisé avant de partir en Syrie où il a trouvé la mort. Faute d’avoir pu l’enterrer, ses parents ont planté un magnolia dans le jardin de leur maison. Et c’est dans cette même ville de Lunel qu’il y a une vingtaine d’années Renaud Camus a éprouvé l’impression étrange de changer de monde « sans être sorti de l’ancien, sans avoir quitté les rues et les places de notre pays, leurs statues, leurs églises, leurs repères familiers. » C’est là, comme il le dit dans une conférence prononcée justement à Lunel le 26 novembre 2010, que le « Grand Remplacement » lui est venu à l’idée.

Que les choses soient claires : je ne reprends pas cette expression à mon compte, car elle a immanquablement pour effet de transformer toutes les personnes d’origine turque ou arabe en envahisseurs. On a besoin de concepts pour penser la réalité humaine, mais on ne doit pas laisser les concepts réduire les êtres humains à des spécimens. Reste que, si les convertis à l’islam dans sa version la plus agressivement littérale sont si nombreux en France et dans toute l’Europe, c’est parce que cet islam a pour lui la force du nombre et parce que les films de propagande du nouveau califat sont calqués sur le modèle d’Expendables ou du jeu vidéo Call of Duty. L’industrie du divertissement fait le vide, et, par ses intrigues simplistes, ses effets spéciaux, ses images ultra-violentes, elle prépare le terrain au fanatisme morbide.[/access]

*Photo : PACIFIC PRESS/SIPA. 00698248_000005.

Homo jacobinus contre la Bretagne

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Oh oh !! ah ah !! Ça se ronge le foie dans Causeur sur les nouvelles lubies. « L’homme sans passé », le «faux progrès», « la déconstruction », « les sournoises inventions sociétales », Mais… Quoi ? Quoi ? Surpris ? Mais camarades… En Bretagne, en Corse, en Occitanie, au Pays Basque, Alsace et autres contrées d’emmerdeurs, nous avons précédé l’ensemble des hexagonaux sur la table d’opération ! On découvre la chansonnette à Paris, mais ici on a eu tout le répertoire déjà ! « Refaire l’Homme », Homo jacobinus, « ça ne vous fera que du bien », la rééducation des exotiques !

J’aimerais indiquer, par la présente, au synode de Causeur que le progrès souriant n’a pas commencé avec le mariage pour tous et la théorie du genre. Non ! En Bretagne, par exemple, on a eu des robinets, l’école publique et Fernandel à la télé mais pour cela il a fallu qu’on abjure tous nos péchés !… Nos terribles penchants !… Langue bretonne et gallèse (car nous avons deux langues en Bretagne, oui !) éradiquées en une génération. Et pour nos talus ça a été plus rapide encore. Appliquons les mêmes méthodes a l’école primaire pour la théorie du genre et dans vingt ans, les camionneurs se battront pour se coller des plumes dans le derrière !

L’amour immodéré de « l’Autre » et son droit inaliénable à mettre les pieds sur la table chez nous ? Demandez aux corses ce qu’ils en pensent ! Sur 320 000 habitants de l’île, on ne compte plus que 100 000 corses. En 62, on a donné 90% de terres aux rapatriés d’Algérie. Vous croyez que les corses ont vu ça comment ? « Une chance pour la Corse ? » A Causeur, on aurait monté des FLNC pour moins que ça !

Attali parle de « l’homme interchangeable » ? « Déménageable à merci dans le village monde ? » Mais on connaît tout ça bondieu ! En Bretagne, à moins de 30 bornes de la mer, le plus miteux poulailler coûte 20 ans de salaire. A part le bobo parisien en vacances, qui peut se loger sur les côtes bretonnes ? Et vos diplômés ? Ooooohh Ils partent à Londres maintenant. Mais nous ça fait 10 siècles qu’ils « montent » à Paris ! Parce qu’il n’y a aucun siège de grande entreprise installée au-delà du périphérique. Et le plouc, s’il veut grimper dans l’échelle sociale, il doit s’exiler. C’est écrit ! Dans le ciel ! Et s’exiler, bizarrement, toujours au même endroit : Paris !

Aaaah là là, Pellan, l’ignoble communautariste, le navrant régionaleux ! On l’a démasqué le sournois ! Mais camarade, un ressortissant des Yvelines ou du Pas-de-Calais quand il arrivait fonctionnaire en Corse dans les années 60 il était tout aussi gros turban qu’un citoyen du Sahel qui débarque dans le XVIIIème aujourd’hui. Et pareil pour la Bretagne ! On n’en voulait pas particulièrement de « l’autre qui commande ». Eh bien on l’a eu ! Et en triple maintenant ! Et on nous expliquait que c’était pour notre bien. Qu’il allait nous apprendre à parler français. Qu’il allait nous « rationaliser ». « Vous êtes bretons ? Les Français commandent » (Mirabeau)

Tiens, autre problème : La Loire-Atlantique en Bretagne. Séparée en 41, reséparée en 82, la Loire-Atlantique s’est retrouvé dans une région inventée… comme ça un matin… dans un cabinet socialiste : les Pays-de-la-Loire. Maintenant, en Loire-Atlantique, on enseigne aux gosses « l’histoire des Pays-de-la-Loire » et on édite des cartes sur les « Pays-de-la-Loire au moyen-âge ». Et on leur raconte que Nantes a effectivement été en Bretagne, mais aux environs du Néolithique, vers Cro-Magnon par là. C’est ça aussi, refaire l’homme, l’homme sans passé. L’Etat français a inventé la « déconstruction » bien avant Derrida. Pas croire ! Et finement expérimenté la chose de Brest à Nouméa.

Tiens, et la police de la pensée anti-fasciste ? Mais ça fait depuis 45 qu’on la subit chez nous. Les corses sont tous des mafieux d’extrême-droite, les bretons des collabos, les basques et les alsaciens des « racisses », des « fascisses », etc… Pour les dernières colonies d’Outre-Mer, c’est un peu différent… on sait pas trop… on est un peu gêné… à Télérama, on n’ose pas trop dire… Bref, moi ce que j’en dis de tout ça, c’est que la France toute entière subi aujourd’hui ce que les colonies intérieures (Bretagne, Pays basque…) et extérieures (Guadeloupe, Martinique, etc.) subissent depuis cent ans. Yes sir ! Juste les statues en crotte de brique en moins. Ca… l’art contemporain, on y a échappé. Mais le reste… ! Dans 15 ans, on vous expliquera que la langue française ce n’est pas banckable et qu’elle pue le Patrick Sébastien. Anglais ou chinois, voilà l’avenir ! On collera à vos gosses du globish dans le cornet du mardi gras au mardi maigre et Causeur lancera des pétitions pour faire des écoles Diwan en français, « sinon notre culture va mourir ». Comme un air de déjà vu….

Promis, ici en Bretagne on aura toujours des bonnets rouges dans l’armoire. Pour vous, les nouveaux vaincus de la « déconstruction »!

 

*Photo : wikicommons.

Un roman noir chez Staline

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romain slocombe staline

romain slocombe staline

Mission accomplie pour le camarade Slocombe : son dernier roman, Avis à mon exécuteur, se place très haut dans le gotha du roman noir politique. Le sujet ? Les confessions posthumes d’un bolchevik de la première heure, un Juif polonais entré au service du Parti et qui, dix-sept ans durant, dans l’ombre, sert la Révolution… ou plutôt les idoles sanguinaires créées par cette nouvelle religion. Avec autant de maestria que de fine érudition, Romain Slocombe reconstitue l’atmosphère d’une époque, le climat mental d’une caste : l’URSS des années 30, les réseaux du Komintern et du NKVD – le bras armé de Staline. On songe au roman de J. Boyd, Restless, mais un Boyd autrement plus dense, plus ample, plus dur aussi. Et quelle tension, quel rythme, de la première à la dernière ligne !

Un manuscrit trouvé à Vevey chez un ancien du Vlast – les services soviétiques – livre au lecteur les confessions d’un officier supérieur de l’appareil clandestin du Parti, que nous suivons dans ses opérations, tour à tour cruelles et tortueuses, jusqu’à la dernière : la liquidation (ou liternoïe delo, « lettre spéciale » en code), sous peine de voir femme et enfant assassinés, de son ami d’enfance, un autre tchékiste, écœuré comme lui par la Terreur qui s’abat sur l’URSS. Slocombe s’est inspiré de la vie de Walter Krivitsky, l’un des premiers grands défecteurs, retrouvé suicidé dans une chambre d’hôtel de Washington en 1941 (vendu par Philby ?). L’homme avait choisi la liberté pour protester  contre le massacre systématique des communistes russes par Iagoda et Iéjov, les âmes damnées du tyran (avant leur liquidation dans le cadre de ce que le NKVD appelait non sans humour la rotation des cadres), mais aussi contre le pacte Molotov-Ribbentrop.

Slocombe décrit à la perfection la perte progressive des illusions de ces hommes qui ont tout donné à un mythe, le salut par la révolution prolétarienne, et qui pour faire triompher une religion fondée sur le mensonge, en viennent à trahir tout ce qui fait d’eux des hommes de qualité : esprit critique, scrupules moraux, amitiés, fidélité … Dans le système instauré par Lénine, ne survivent, avec un peu de chance, que les cyniques et les dociles.

La description des crimes commis en Espagne, transformée en charnier par les tueurs du NKVD et leurs supplétifs (notamment français : Marty), glace le lecteur, qui pousse la porte des sinistres checas de Barcelone, où l’on extermine des milliers de pauvres types sous prétexte qu’ils appartiennent au POUM, à la CNT ou parce que, même encartés au PC, ils déplaisent aux cerbères de Moscou. De même, Slocombe reconstitue avec un joli sens de la mise en scène des réunions d’officiers supérieurs à la Loubianka, pressés de faire subir à l’URSS une saignée aux allures de cyclone.

L’Affaire Toukhatchevsky, de même que les procès de Moscou (bruyamment approuvés par tant de progressistes occidentaux) et la grande terreur de 1938 sont interprétés comme une titanesque guerre interne entre l’Armée rouge, corps sain de l’empire soviétique, et le NKVD, la garde rapprochée du tyran. L’enjeu ? Un pouvoir qui risque d’échapper à Staline, qu’un dossier retrouvé dans un coffre de l’Okhrana, la Sûreté tsariste, accuse, preuves à l’appui, d’avoir été, de 1906 à 1913 un agent provocateur – nom de code Vassili – chargé de surveiller Lénine et le Comité central. L’Etat-Major de l’Armée rouge, mis au courant du passé sordide de Staline, conspire contre le tyran, mais se fait doubler par le NKVD… à la plus grande joie des services allemands, qui eux aussi jouent leur partie. Krivitsky fait défection avec femme et enfant, désespéré de voir souillée la cause d’une vie, et sans illusion aucune sur Trotsky et ses hommes, présentés dans le roman comme des monuments de naïveté. Interrogé à ce sujet, Slocombe m’a répondu n’avoir rien inventé à leur sujet : toutes les preuves de leur aveuglement se trouvent noir sur blanc dans les mémoires de J. Rosenthal, d’E. Poretski et même d’un certain Victor Serge, décidément bien maladroit face aux menées du NKVD.

Un excellent roman, subtil, à la langue ferme et charpentée, fondé sur une analyse approfondie de la psyché révolutionnaire, que l’auteur a connue de près, ayant milité très jeune au sein d’une secte progressiste.

Romain Slocombe, Avis à mon exécuteur, Robert Laffont.

Les exquises esquisses de Patrick Besson

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patrick bessoin deplacements

patrick bessoin deplacements

« Il n’y a rien au-dessus de la beauté féminine asiatique. J’aime ces jambes légères qui auront toute ma vie six ou sept heures d’avance sur mon désir. » Voilà, c’est ce qu’on appelle du Besson. Direct, bien cadré, bien envoyé. Drôle. Et quand il se déplace, Patrick Besson, il pense ; il lui arrive même d’écrire. Alors, il nous le fait savoir. Pas tout de suite, pas sur le champ. Longtemps après. Voici Déplacements, un petit livre tissé de courts textes, de réflexions, d’aphorismes, de minuscules proses, de croquis. Une manière de carnet de voyages frais comme une citronnade dans la touffeur d’un été des sixties à Montreuil.

Ce Russo-Croate insaisissable voyage beaucoup. On le suit ici dans ses pérégrinations aux Etats-Unis, au Mexique, à Varsovie, à Marrakech, à Paris, à Saint-Amand-les-Eaux, la seule station thermale communiste du Nord de la France. On le retrouve en Belgique, à Téhéran, à Belgrade bien sûr. A Bangkok, où il est en train de lire Goethe et Thomas Mann, il constate que « la lecture » est « le seul plaisir solitaire qu’on ait l’occasion de pratiquer » dans cette ville. Pas mal. À Gand, il décrète : « La vie : rêve éveillé d’un mourant. » À Téhéran, il constate que son accompagnateur est « un Alain Paucard iranien : il me chante du Brel, du Joe Dassin, du Charles Aznavour et même du Charles Trenet. » Un peu plus loin, dans le même secteur, une préadolescente lui demande d’où il vient : « si longtemps que les enfants iraniens n’ont pas entendu une langue étrangère. Une fillette me fait de grands sourires. En Iran, j’ai la cote avec les moins de seize ans. Je pourrais devenir le Matzneff chiite. »

À Nice, il est émouvant, discrètement plus intime. On comprend mieux pourquoi, aujourd’hui encore, il y est toujours fourré. Il y parle de sa mère qui, après sa fuite de Croatie et son départ d’Italie, s’est installée dans cette ville : « J’ai des photos en noir et blanc d’elle sur la plage de galets : elle est en bikini et sourit comme je ne l’ai jamais vue sourire à Montreuil. Elle est encore brune. Elle deviendra blonde à Paris, comme Brigitte Bardot et Catherine Deneuve. » Et le voilà parti à s’imaginer fréquentant le lycée de Nice, condisciple de Georges-Marc Benamou, chahutant Cauwelaert, fondant avec eux une revue qu’il n’aurait pas baptisée Le Grand Jeu (comme Vailland, Daumal et Gilbert-Lecomte, à Reims) mais Globe

Ses pages et ses notes sur Paris sont un régal. Il constate que l’amoureux de notre capitale fait peine à voir car il sait qu’il est impossible de coucher avec une ville. Il a beau sillonner les rues, « il n’en trouve pas une pour se mettre au lit avec lui ». Le découpage de sa vie en cafés est une friandise de littérature : la période Dôme (1982-1995), l’ère Closerie des Lilas (1995-2009) et l’époque Rotonde (2010-…). Un dix mille feuilles ; celles qu’il a dû y écrire. Et cette esquisse bessonienne de La Rotonde : « Son air ouvert comme un visage. Le rouge au front de ses banquettes. Ses nappes blanches de trattoria romaine du siècle dernier. »  De la célèbre brasserie, Bove en eût fait un fusain ; Besson nous en donne une sanguine. Ce carnet de voyage est rempli d’exquises esquisses. Croquez dedans comme dans une pomme d’amour rouge sang. Ce sont là les sanguines d’un homme de cœur qui voudrait ne pas en avoir en arpentant les artères du monde.

Déplacements, Patrick Besson, Gallimard, coll. Le sentiment géographique.

*Photo : Daoud B.

De Max Ernst à Jeff Koons : la fabrique du faux

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jeff koons dog

jeff koons dog

Le mécanisme qui, depuis une vingtaine d’années, parvient à fabriquer, puis à vendre, les produits d’un art appelé « art contemporain », dont les prix sont sans limites mais dont les critères sont inexplicables, me paraît étrangement semblable à celui qui a consisté à écouler des faux chefs-d’œuvre d’art moderne sur le marché en les faisant reconnaître vrais par des assemblées de trois ou quatre autorités ou supposées telles.

Une sérigraphie d’Andy Warhol tombait dans un vacuum sémantique tel que seule l’habileté du critique pouvait, dans une revue ou dans un catalogue de galerie, donner une forme et un nom, attribuer des qualités ou des essences, faire parler l’œuvre au fond, comme la  voyante fait parler les cartes, le critique d’art étant une sorte de ventriloque de l’art qui meuble « les voix du silence » dont parlait Malraux, le charlatan forain qui, dans les gazettes ou dans les médias, osera dire : « C’est de l’art » ou « C’est du grand art », tout comme l’expert disait : « C’est un Max Ernst magnifique » du faux qu’on lui avait mis sous les yeux.

Or, pour que le critique d’art devienne un personnage essentiel, crédible, de cette manipulation, il faut une opération singulière qui fera de sa parole un dogme. L’effet de doxa, on l’obtiendra en adjoignant à ses côtés deux figures essentielles : l’historien d’art et le marchand. Le marchand est celui qui fournit la marchandise, l’historien d’art celui qui en atteste la provenance et en retrace l’historique. [access capability= »lire_inedits »]

Les opérations entreprises pour faire monter le prix de ces œuvres à des hauteurs sans limites, mais dont la valeur devient de plus en plus indiscernable au regard de l’honnête homme, ressemblent alors étrangement aux opérations qui, dans le domaine bancaire ou plus généralement fiduciaire, ont installé les système des hedge funds, assignant des prix à des biens qui n’existent pas, à des produits fantômes, ou mieux encore au procédé des titrisations transformant des créances douteuses et non soldées en titres financiers garantis, et par conséquent susceptibles d’être émis sur le marché des capitaux.

Qu’est-ce qu’un faux en art sinon, en effet, une créance en un objet que l’on dit « d’art », et que l’on réussit, si misérable voire inexistant soit-il, comme dans le cas des œuvres conceptuelles, à faire passer pour contenir une valeur et qu’on émet donc sur le marché de l’art, à partir du moment où ce marché est à son tour couvert, tout comme les titrisations par les fonds bancaires, par cet étalon-or, cette encaisse-or que sont les œuvres d’art des collections publiques, inventoriées, numérotées, distinguées, et gardées dans les musées qui les conservent.

Le système se met alors en route lorsque le critique s’adjoint l’appui, on dit aujourd’hui la « complicité », d’un historien d’art et, mieux, d’un conservateur de musée : dans ce cas, l’autorité de l’institution, confortée par l’autorité de l’analyse historique, devient telle qu’il n’est plus possible de douter de l’éminence des œuvres proposées à l’amateur.

La science de l’historien associée à la rigueur du fonctionnaire d’État, la dissertation bavarde enfin du critique – ventriloque –, sont ainsi devenues les mots de passe pour faire accepter, exposer, et finalement vendre avec de stupéfiantes plus-values à court terme des objets de toute nature, depuis le tas de vêtements jetés dans la nef du Grand Palais par Boltanski, jusqu’au doigt d’honneur dressé par Cattelan devant la Bourse de Milan.

Il sera toujours possible de démontrer que ces gestes ont leur origine, leur développement, leur logique, donc qu’ils s’inscrivent dans l’histoire, dans la suite de Duchamp et de Picasso par exemple, et, par conséquent, d’attester leur légitimité.

J’en arrive à penser que l’art contemporain n’est ainsi composé que de faux, déclarés chefs-d’œuvre par des critiques à l’autorité autrement douteuse que le savoir éminent des historiens de jadis, experts commis naguère à authentifier les chefs-d’œuvre des temps passés et qui hésitaient longtemps avant de se prononcer.

Si ces conflits sur la véracité, l’originalité, la fausseté, la provenance d’une œuvre ont pris une actualité fracassante, c’est bien entendu à cause des prix des œuvres mises sur le marché. Or ces chiffres qui nous font sursauter ne concernent guère que le marché de l’art dit « contemporain », c’est-à-dire de l’art qui se fabrique sous nos yeux. Ils concernent peu l’art ancien. Il suffit de consulter les catalogues des ventes pour constater que les prix des œuvres anciennes, sculptures et objets d’art, sont en baisse régulière[1. On assiste même à un effondrement, depuis peu, des prix des meubles anciens, des dessins anciens, des livres anciens. Seules résistent un peu, en salle des ventes, des peintures « signées » de noms plus ou moins connus.]

Les querelles sur la qualité ou l’authenticité d’une pala de Gentile da Fabriano, d’une toile de Raphaël ou d’un bronze de Ricci – copies, travail d’atelier, faux – n’étaient que des querelles d’historiens d’art, d’érudits. Mais les querelles sur une œuvre de Pollock, de Magritte ou de Max Ernst sont des querelles de marchands, dont la qualité de l’œuvre, son originalité, ne sont plus l’enjeu principal. Celui-ci ne porte plus guère que sur le certificat qui permettra de vendre et de revendre ces objets au plus haut prix et au plus vite.

Les œuvres de Damien Hirst ou de Jeff Koons ont ainsi atteint en peu d’années des montants tels qu’aucune explication rationnelle n’en peut plus rendre compte. Nous ne sommes plus dans le goût – ces œuvres sont laides, franchement repoussantes ou anecdotiques –, et pas non plus dans la rareté, dès lors qu’elles sont indéfiniment reproductibles. Elles n’ont d’existence, en réalité, et ne possèdent une « valeur » que par le marché qui les propose.

Or, que ce marché, fondé depuis toujours sur le long terme, ait pu croiser le marché de la finance, fondé sur le très court terme, au point de se confondre avec lui, voilà bien l’énigme de l’art contemporain.

Acquérir une œuvre d’art, il y a quelques années encore, c’était la découvrir dans le salon discret d’une galerie, la voir et la revoir avant de prendre sa décision. Elle restait propriété du collectionneur de longues années. Revendue, il arrivait que sa plus-value fût considérable, mais, calculée sur la période de temps durant laquelle elle avait été propriété du vendeur, elle n’était pas exceptionnelle. Acquis dans les années 1920, un Picasso revendu dans les années 1960, par exemple, constituait un capital dont le rendement restait modeste. Revendues au bout de quelques mois, parfois de quelques semaines, le temps de changer de main, les œuvres d’art contemporain aujourd’hui proposées dans les espaces affolés des salles des ventes sont appréciées en fonction d’une rentabilité quasi instantanée et élevée, obéissant ainsi à la logique de marchés financiers qui fonctionnent sur l’extrême rapidité des transactions effectuées par informatique. Comment l’œuvre d’art, autrefois faite « pour l’éternité », fût-elle produite à grande vitesse et multipliée à loisir, peut-elle n’être plus que le gage indifférent d’opérations spéculatives fondées sur des algorithmes déconnectés du monde réel ?

Le Balloon Dog de Jeff Koons, en acier inoxydable de quatre mètres de hauteur environ, produit par un procédé excluant l’intervention de la main de l’artiste, qui s’est contenté de fournir le modèle, le ballon d’enfant vendu dans les foires, a été tiré à cinq exemplaires identiques, sinon par la couleur, dont chacun s’est vendu entre 35 et 55 millions de dollars.

On comprend bien qu’ici, comme pour les sérigraphies de Warhol, la notion d’original et de copie perd son sens. Mais, bien plus : c’est l’absence même de ce sens qui permet de proposer ces produits à des prix qui n’ont plus de limite. La parfaite reproductibilité technique de l’œuvre, excluant le tremblé de la main, permet sa miraculeuse ubiquité, désormais présente en plusieurs points de la planète.

Le procédé de Jeff Koons a été utilisé par des sculpteurs plus classiques, travaillant des matériaux plus traditionnels. Aujourd’hui encore, les fonderies de Pietrasanta ne survivent que par les commandes passées par Botero, des animaux là encore, mais cette fois ce sont des chats, mécaniquement agrandis à des tailles gigantesques à partir d’une petite maquette de carton ou de plâtre …

La dérision de ces productions est soulignée par le choix de la figure. L’image acheiropoïète de la véronique nous tendait le visage d’un Dieu qui s’était fait homme pour nous. L’image chez Koons est l’image infantile et dérisoire d’animaux de compagnie, de jouets de carnaval démesurés comme étaient démesurées les effigies des empereurs de la décadence romaine, offrant aux élites d’argent qui les achètent le reflet dérisoire de leur vanité de « nouveaux riches ».

Il n’est alors plus question d’une idolâtrie née du culte détourné des images. Ce dont il s’agit ici, c’est de fétiches. Le fétiche est cet objet artificiel – du latin facticium – qui se substitue à la possession de l’être aimé. Le fétiche, comme délectation d’un objet partiel et inanimé, suppose l’absence du corps entier et réel du désir, mieux encore, sa disparition, voire sa destruction. L’amoureux désirait sa maîtresse et lui rendait hommage. Quand elle n’était pas là, il aimait à regarder ses médaillons, ses portraits, les effigies sculptées qui la représentaient. Mais, de tout ce rituel, le fétichiste ne gardera que la touffe de poils, la chaussure, le liquide jaune de ses sécrétions, voire le doudou infantile, le nounours ou la peluche qu’il mettra dans son lit, à sa place…

On nous rabâche dans les médias qu’un tel n’a pas pu « faire son deuil » d’un être aimé et disparu parce que son corps n’avait pas été retrouvé. Le deuil ne pourrait se faire dans l’absence de preuve matérielle. Ce sentiment populaire a le mérite de nous rappeler la puissance de l’objet aimé, non de son image reproduite, non de son souvenir remémoré, mais de son corps même, de sa réalité matérielle, dans ce que Freud appelait, lui, « le travail du deuil ».

Or, du corps de la peinture, de ce corps jadis adoré, vénéré, admiré, reproduit, recopié, restauré avec amour, il ne nous reste rien. L’art est mort, mais il ne nous reste aucune preuve matérielle de sa disparition qui nous permettrait d’accomplir le travail de son deuil. Dans ce que nous propose l’art contemporain, il ne nous reste pas même des débris, des défaits, des reliques. Plus rien, dans son absence, dans son vide, que ces fétiches ridicules, ces baudruches que nous proposent les Foires de l’art et les palais vénitiens. Leur prix de vente un peu plus élevé chaque jour est à la hauteur de cette perte sans objet.

Au fétichisme sexuel tel que l’entendait Freud, des productions corporelles, cheveux, poils et déchets établissant l’emprise d’un génie démoniaque substitué à l’ancien amour d’un homme fait à l’image de Dieu, s’ajoute ici le fétichisme de la marchandise tel que l’entendait Marx, qui établit l’œuvre d’art au niveau des échanges de produits indifférents, gagés par une monnaie dérisoire, du cauri primitif à l’ordre d’achat électronique, qui ne fonde pas la possession d’une œuvre précieuse, mais d’une marchandise vidée de toute valeur propre, une sorte de titrisation du néant.

Les juifs adoraient le Veau d’or. Nous adorons les chiens et les chats de Koons et de Botero.

Qui sera le Moïse qui brisera devant eux les Tables de la Loi en redescendant d’un Sinaï ?

Mais y a-t-il encore simplement une Loi, des commandements, un ordre à briser ?[/access]

*Photo : GINIES/SIPA. 00698677_000023.

La jeune fille et l’argot

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argot francois ceresa

argot francois ceresa

Rien ne prédisposait une ex-khâgneuse lyonnaise à s’aventurer aussi loin de ses pénates pour feuilleter négligemment mais précautionneusement un ouvrage sur l’argot, rien ne l’engageait moins que la perspective de rencontrer et de suivre dans leurs virées les  Princes de l’argot  de François Cérésa. C’est pourtant ce qu’elle fit.

Surprise, des têtes connues et reconnues (Céline, Villon, Eugène Sue) s’acoquinaient à de parfaits inconnus à ses yeux (Pechon de Ruby, Alphonse Boudard, Auguste Le Breton) et surtout, à de très mauvaises fréquentations, puisque Vidocq, les « chauffeurs » d’Orgères ou Aristide Bruant furent tenus pour tels sur les bancs de ses cours d’histoire et de littérature. L’argot, en général, y avait fort mauvaise presse.

Afin d’ordonner un tant soit peu ce charivari, François Cérésa opte pour le sens chronologique: l’occasion, du XVème siècle à Kaamelott, de rendre ses lettres de noblesse et sa dignité d’objet d’étude avouable, n’en déplaise aux khâgneux, à la langue verte. Par souci d’exhaustivité et par amour de leur « folie des glandeurs », il consacre même les dernières pages à un florilège de grivoiseries et de pirouettes glanées chez les écrivains qui d’ordinaire cachent bien leur jeu – Simone de Beauvoir, Huysmans, Sartre, Stendhal, on en passe et des meilleurs.

Ce ne sont plus les commentaires du Lagarde et Michard qu’il s’agit de parcourir, les yeux ensommeillés, à l’abri d’une bibliothèque, ce serait trop facile ! Chaque chapitre est un nouveau coupe-gorge. Car sitôt poussée la porte, c’est à la cour des Miracles que la jeune fille un peu trop curieuse atterrit. Alice au pays des fripouilles peinera à reconnaître Céline dans ce «  gars au bar, clope au bec, blanc limé à portée de main, désabusé, moqueur, le regard dans le vide  ». Elle tombera sur Villon, non le flamboyant auteur de la Ballade des pendus mais celui dont le jargon des coquillards lui donnait des sueurs froides, le Villon  « voyou métaphysique,   tout feu tout flamme  mais  plutôt moche et chétif ». Fleur-d’Epine, Robillard, Poulailler et Beau-François, déjà prêts à mettre les voiles la regarderont de travers et elle se verra forcée de boire une absinthe à la santé de Bruant dans un coin qui ressemble à la scène du Chat Noir.

Renaud y montera un instant pour chanter « Laisse béton », elle se laissera sûrement inviter à danser par Frédéric Dard. Et frissonnant encore d’avoir dû se faufiler dans des ruelles sombres où «  les lames de sacagne luisaient sous un rayon de lune  » et d’avoir cru entrevoir François Vidocq, ne comprenant pas un traître mot de ce qui se dit autour d’elle, elle commencera à regretter d’avoir attendu si longtemps pour se dévergonder.

D’autant qu’il semble y avoir du génie là-dedans, du panache, des réflexes, une «  élégance de grammairien  ». La langue française sans le vernis a autant, voire plus de brillant que sa version sage : l’argot est un snobisme qui précède celui des universitaires, arrivés après la bataille pour lui accoler leur propre jargon.

L’apprentissage ne fait que commencer. Heureusement, avec François Cérésa pour guide, elle ne risque (presque) rien.

Les Princes de l’argot, François Cérésa (Écriture).

Tour de cochon

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cochon cantine laicite

cochon cantine laicite

À Sargé-Lès-Le Mans, dans la Sarthe, il n’y aura donc plus de menu de substitution à partir du 1er janvier les jours où l’on servira du porc. Le maire, pas tout à fait franc du collier, joue un tour de cochon aux Musulmans de sa commune.

Les cons, ça ose tout, c’est même à ça… Avant de prendre des décisions qui font enfin parler de lui, cet édile aurait pu songer qu’il allait faire les beaux jours de LObs, et donner du grain à moudre aux abrutis de la FCPE, qui se sont empressés de confondre sauté de porc au miel (c’était le menu quand la télé y est allé faire son reportage) et accompagnatrices voilées lors des sorties scolaires. Ou que d’autres confondraient la laïcité à tout crin des pseudo-laïques qui interdisent les crèches (voir ce que j’en ai dit sur LePoint.fr) et celle des extrême-droitiers qui imposent le cochon. Marine Le Pen s’est un peu pris les pieds dans le plat de charcuterie fine.
Entendons-nous : j’adore le porc sous toutes ses formes, et je me damnerais pour un petit salé aux lentilles ou du travers au miel. Ou pour un filet mignon simplement rôti à cœur. Ou… Bref, dans le cochon, tout est bon : je ne vais tout de même pas renier le prizuttu et le figatelli.
80% des écoles proposant un service de cantine sont alimentées en repas collectifs par de grandes centrales qui leur fournissent indifféremment du cochon ou des menus de substitution, qui existent aussi les jours où l’on propose une autre viande que le cochon, ou du poisson, vu qu’il y a toujours eu des végétariens. Après tout, des goûts et des couleurs alimentaires… Même si je trouve que les végétariens ne savent pas ce qu’ils manquent, et que les végétaliens purs sont cinglés. En l’occurrence, dans la Sarthe, le cochon endosse malgré lui les choix idéologiques du maire — comme au temps des soupe au lard offertes par une certaine extrême-droite aux SDF non-Musulmans.
Ou non-Juifs (curieusement, ils ont disparu du radar médiatique). Quand j’étais gosse, à Marseille, la question des Musulmans ne se posait pas — des Musulmans, en classe, je n’ai pas souvenir d’en avoir croisé. Des Séfarades oui, qu’ils viennent de rentrer d’Algérie durant l’exode Pieds-Noirs ou non. Ils ne mangeaient pas de porc, soit : personne n’a jamais fait de réflexion, ça passait comme une lettre à la poste. Et ça passe toujours, pourvu que l’on s’en donne la peine.

D’aucuns invoquent le « vivre-ensemble » pour justifier leur choix du cochon. C’est que dans les cantines, apparemment, les musulmans désormais se regroupent à des tables particulières : le communautarisme gagne de jour en jour, et on laisse faire. À la question du cochon se superpose désormais celle du hallal — et là, il y a une limite, parce que ce n’est plus affaire de goût (ou de pseudo-allergie, le prétexte communément invoqué par les familles musulmanes pour expliquer leur refus de telle ou telle viande), mais de superstition (même effet lorsque des gosses mettent à la poubelle des bonbons suspects de contenir de la gélatine de porc — tout comme les enveloppes de gélules médicales). Des élèves de prépas en voyage, l’année dernière, refusaient même de manger des légumes, parce qu’ils étaient susceptibles d’avoir touché une viande non hallal : là, on est dans le grand n’importe quoi. McDo a intelligemment laissé entendre que sa viande hachée était hallal, sans avoir jamais communiqué à ce sujet : très fort, d’un point de vue commercial ! Jusqu’à ce que des clients musulmans posent directement la question, qui a quelque peu embarrassé McDo Maroc. On ne gagne jamais à opter pour le silence.

Alors, essayons d’être clair. Un menu de substitution n’est pas une offense à la laïcité. C’est affaire de goût (par parenthèse, j’ai rencontré des instits qui m’ont raconté avoir fait manger du cochon à des petits musulmans qui s’en régalaient dans le dos de leurs mères — ce sont toujours les mères qui imposent les interdits, tout comme en Afrique, et parfois ici, ce sont elles qui font exciser leurs filles : aliénation, quand tu nous tiens…). La viande hallal, c’est autre chose : c’est du communautarisme, et ça, ce n’est pas la République. Mais il est évident que les revendications des unes et des autres sont autant de pions avancés dans l’instauration d’une société française éclatée en sous-groupes, où ce n’est plus affaire de goûts mais d’intolérance. Je suis assez ouvert pour respecter les goûts de mes invités, quand je leur fais à manger : si j’étais maire, j’en ferais autant. D’aucuns n’aiment pas le porc, d’autres ne supportent pas l’agneau ou le mouton — ou le gluten, ce qui m’offenserait presque, dieu des pâtes que je suis. Soit.
J’ai évoqué plusieurs fois sur ce blog l’excellent ouvrage de Pierre Birnbaum, La République et le cochon, où l’auteur raconte le long apprentissage du porc républicain par des Juifs désireux de s’intégrer — et ils étaient fort désireux de le faire, jusqu’à ce qu’Hitler et Laval les reconstitue en communauté. La perspective s’est renversée aujourd’hui : les Musulmans — dans leur frange extrémiste au moins, et l’extrémisme commence aux interdits alimentaires — ont-ils envie de s’intégrer, ou d’exister parallèlement à la République, avant de la dominer ?Question rhétorique…

En attendant, le maire de Sargé-lès-Le Mans est un imbécile, qui est parvenu à faire parler de lui — tiens, j’ai même omis de citer son nom, je l’ai déjà oublié. La République se fiche pas mal de ce que vous mangez, et la laïcité résistera à la non-absorption d’un sauté de porc à l’ananas (frais, l’ananas pré-cuit le cochon et vous épargne 30% de temps de cuisson). En revanche, elle ne tiendra pas longtemps sous les assauts des imbéciles, et là, leur nom est légion.

*Photo : The pug father.

Outing, quid des preuves?

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Une question me taraude après l’outing sauvage pratiqué par Closer à l’encontre d’un dirigeant politique français. Non pas une question morale, que tout à chacun aura tranché dans le même sens que Jérôme Leroy. Mais plutôt une question technique, ou tout du moins technique en apparence.

Cette question c’est celle des preuve alléguées par l’hebdo en question pour parler d’ « amour » (ou plus précisément d’« amour pour tous », humour kolossal) entre les deux protagonistes photographiés à leur insu.

Les voit-on se rouler des pelles ? Non

Les voit-on lovés sous la même couette ? Non

Les voit-on copuler sur un banc public ? Non

Les voit-on se tenir tendrement par la main? Même pas !

On les voit prendre ensemble un selfie « comme le font les amoureux » . Et comme le font des centaines de millions de personnes qui ne sont pas liées par une liaison amoureuse.

Certes, d’après un autre hebdomadaire, le second protagoniste des photos volées est un journaliste très impliqué dans la défense des droits des gays. Tsss, Tsss il y a donc anguille sous roche.

Sauf que considérer qu’être ami d’un gay, ou partir en vacances avec un gay, ou prendre un selfie avec un gay est une preuve qu’on est soi-même gay, ça porte un nom : ça s’appelle de l’homophobie pure et simple. Et ça aussi, c’est ignoble.

Affaire Philippot : Tout est-il permis contre le FN?

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fn philippot closer

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Précisons d’abord deux ou trois choses : je n’ai rigoureusement aucune sympathie pour le Front national, j’estime que sa banalisation dans la vie politique française est une catastrophe, je ne crois pas trente secondes à sa mue « sociale » et je me souviens de l’époque pas si lointaine, au moment où Marine Le Pen prenait le Front en main, que lorsqu’on visitait le site du FN, la page renvoyant au programme économique était assez ironiquement, mais d’une ironie involontaire, marquée « en construction ». Et pour cause : il fallait quand même un peu de temps pour transformer des propositions ultralibérales, celle du vieux FN, en programme « cryptomarxiste » comme aime le dénoncer la droite sous prétexte que l’on trouve désormais au Front des propositions sociales, sans doute, mais en invoquant aussitôt la préférence nationale et en oubliant, donc, au passage l’internationalisme qui est tout de même la base du marxisme, « crypto » ou pas.

Cela précisé, tous les moyens sont-ils bons à utiliser contre le FN pour contrer son influence et le fait qu’il apparaisse de plus en plus comme la seule alternative à la politique unique de l’UMP et du PS ? Une alternative incarnée par des gens comme Jouyet ou Attali qui servent tranquillement aussi bien Sarkozy que Hollande tant que les choses vont « dans le bon sens », c’est-à-dire une libéralisation et une marchandisation toujours plus grande de tous les aspects de notre vie, le primat définitif de l’économique sur le politique, l’ère postdémocratique où se rendre aux urnes ne sert à rien puisqu’il n’y a plus qu’une politique possible pour les gens raisonnables, entendez ceux qui veulent travailler le dimanche jusqu’à soixante-dix ans sans contrat de travail.

Vous vous étonnerez après, une fois que l’omerta médiatique a pesé sur toutes les solutions alternatives de gauche, que seul le FN dans une espèce de formidable OPA, apparaisse comme la seule opposition à un conglomérat de « partis de gouvernements » mais une opposition tellement infréquentable qu’elle a toute les chances de rester dans l’opposition, puisqu’au nom du Front républicain, si Marine Le Pen était présente au second tour de 2017, elle serait battue même par un manche à balai estampillé UMP ou PS. La vraie ruse du système est là, d’ailleurs : le FN sera l’idiot utile des futures grandes coalitions UMP/PS, ce qui se profile déjà dans certaines futures grandes régions où il risque de faire des scores impressionnants comme le Nord-Pas-de-Calais Picardie . C’est vous dire, donc, si le FN m’inspire peu de sympathie, à moi, le coco du FDG, vite taxé de rouge-brun par les bien pensants qui me rejettent mes camarades et moi de leur côté alors que nous disons depuis trente ans en y croyant ce qu’ils disent depuis trois sans y croire, et en y rajoutant une bonne pincée d’ultranationalisme poutinien.

Mais voilà : je me fais une idée de la politique comme lieu de débats, d’affrontements, voire d’affrontements physiques façon manifs énervées mais certainement pas comme le lieu de rumeurs sordides portant sur la vie privée. En ce sens, là aussi, nous avons longtemps été, nous les Français, une exception. Les galipettes dirigeantes nous indifféraient, les maris, les femmes, les amants, les enfants cachés, les seconds ménages, tout cela nous faisait sourire un instant et puis nous passions à autre chose. Somme toute, ce qu’on a reproché au Régent, ce n’est pas tant ses partouzes joyeuses que la banqueroute de Law et en ce sens nous faisions bien. Il y a tout de même quelque chose d’infiniment plus grave dans le fait de pratiquer l’évasion fiscale que d’aimer les plans à trois ou les garçons ou le BDSM, non ?

C’est pour cela que ce qui vient d’arriver à Florian Philippot devrait tous nous inquiéter. Le journal Closer a cru bon de révéler son homosexualité en produisant des photos de lui et son petit ami en voyage d’amoureux à Vienne. Cette pratique venue des USA était à l’origine pratiquée par des associations gays qui voulaient dénoncer l’hypocrisie d’élus ou de stars homo ET homophobes. Cela était déjà très discutable et le problème s’était posé au moment du PACS ou Act-Up avait menacé de balancer le nom d’un élu que l’on retrouvait dans toutes les manifs qui voulaient envoyer les pédés au bûcher. Mais balancer l’homosexualité d’un homme politique qui ne s’est jamais prononcé, contrairement à d’autres dans son parti, contre le mariage pour tous, relève carrément de l’abjection. On peut aussi se demander l’intérêt d’une telle info ou plutôt qui a intérêt à une telle info ? On peut penser à une manip interne. Finalement, le dernier congrès du FN a montré que la ligne Philippot, si elle restait majoritaire, était critiquée par une partie non négligeable des tenants du vieux Front, Marion Maréchal-Le Pen en tête. On peut penser à quelques officines ou cabinets noirs, dans la majorité comme dans l’opposition, pour écorner la figure trop lisse de celui qui incarne de façon crédible, au moins sur le plan médiatique, cette « autre politique » dont les Français ont confusément le désir. On peut aussi plus banalement, et finalement plus tragiquement, que Closer avec cette info ne fait que refléter notre mue anglo-saxonne, non seulement sur le plan de l’économie, du social mais aussi de nos mœurs (tout va ensemble, de toute façon).

Evidemment qu’il faut dénoncer l’imposture que représente Philippot qui tient un discours de « gauche » dans un parti historiquement d’extrême droite. Mais en organisant, par exemple des débats entre lui et des représentants de la gauche de gauche, histoire qu’on les voie vraiment, les différences irréductibles. Mais certainement pas en cherchant à le détruire par quelques photos volées et crapoteuses.

*Photo : Gregoriosz.

Loi Macron, la grande peur de la gauche

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macron travail dimanche

macron travail dimanche

La loi Macron n’a pas fini de faire parler d’elle. Elle intrigue, enflamme ou encourage, fait grincer des dents, ricaner ou flairer un enfumage supplémentaire. La partie s’annonce serrée, les coups de hache ne pourront être évités sur ce projet qui veut tout faire, ne fera probablement rien et qui recueille au choix éloges ou sarcasmes bien au-delà de chez nous… Si le projet est dans les clous de ce que proposait Jacques Attali au Président Sarkozy -libérer de la croissance- : dans sa version finale, il manquera très certainement d’audace.

Le gouvernement  ne peut anticiper précisément ce que donnera cette loi caddie dans les faits, et ce pour de multiples raisons, cependant il nous donne d’ores et déjà rendez-vous mi-2015 pour en constater les bienfaits… Ça ne mange pas de pain !

Oh les habiles calculateurs ! Si l’on prête un peu l’oreille aux milieux financiers, on entend, une fois n’est pas coutume,  une petite musique positive… L’effet conjugué de la baisse de l’euro et du prix du pétrole, pourraient bien nous envoyer quelques bonnes nouvelles. Mais leurs conséquences ne sont pas immédiates : le poids des entraves économiques, que la loi de notre chouchou transversal  est supposée alléger, est encore trop lourd et diffère de 5 à 6 mois les effets positifs escomptés…

Bref, quand arrivera enfin cette brise libératrice venue d’ailleurs, il n’est pas certain que les Français accepteront de prendre des vessies pour des lanternes, autrement dit, qu’ils attribueront tout seul le bénéfice de cette conjoncture macro-économique à la loi économique Macron. Il faut donc commencer dès maintenant un bourrage de crâne par anticipation. Si le travail est habilement mené, il sera alors tout naturel, quand quelques points de croissance –après la virgule- viendront surprendre les français qui ne les attendent plus, d’en attribuer les mérites à cette loi miracle… Abracadabra !

Pour la « croissance et l’activité », la loi Macron,  c’est une centaine de propositions qui touchent les professions réglementées, l’épargne salariale, les transports, le permis de conduire,  la grande distribution, les prud’hommes ou les sociétés d’autoroutes et les retraites chapeaux, entre autres. « Lever des freins, investir et travailler » en sont la colonne vertébrale. Et pour ce faire,  simplifions : l’accès aux professions juridiques réglementées, par exemple, en permettant d’augmenter le nombre d’officines, d’associer les différentes spécialités et de baisser les tarifs pratiqués. Libérer le transport par bus à travers la France, baisser les délais et le coût du permis de conduire, contrôler et ajuster les tarifs autoroutiers poursuivent le même objectif.  Attirer les investisseurs étrangers en renonçant au délit d’entrave qui faisait figure d’épouvantail. Réforme des prud’hommes, spécialisation des tribunaux de commerce pour gagner en rapidité. D’autres mesures doivent faciliter l’épargne salariale. Pour le commerce, le texte envisage d’élargir les ouvertures du dimanche et d’intervenir dans les situations où la concurrence est mise à mal. Un inventaire à la Prévert qui prévoit un saupoudrage de simplifications, mâtiné d’un peu de contrôle. Mais rien finalement, ou si peu, sur notre obèse code du travail.

Quoi qu’il en soit, il faudrait déjà la voter, cette loi. Mais au lieu de faire de la pédagogie pour effacer l’image désastreuse du premier porteur du projet –souvenez-vous : Montebourg en croisade contre quiconque a l’outrecuidance de gagner sa vie- et d’expliquer clairement aux intéressés en quoi consistent les mesures proposées, c’est un message purement politique que délivrent de conserve Emmanuel et Manuel.  Sentant venir les réticences de son propre camp, Emmanuel Macron a cru nécessaire de rappeler qu’il s’agissait bien d’une loi de gauche : comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit d’une loi de progrès et de liberté ?

Au-delà des mouvements de rue qu’entraînent divers points du projet, les réactions les plus vives se cristallisent sur un point de détail. Le travail du dimanche ou la question d’autoriser, dans certaines professions, 7 dimanches travaillés supplémentaires par an. Et cette question divise la France avec autant de vigueur que la présence des crèches dans les lieux publics, l’abandon des notes à l’école, ou les problèmes de filiation. C’est que le dimanche, c’est sacré !

L’ironie de l’histoire est que pour des raisons éthiques, philosophiques, religieuses ou sociales, le « travail du dimanche » rassemble dans une même opposition, toutes les couleurs de l’échiquier politique ou social. De Martine Aubry, à qui n’échappe aucun calcul politique, aux tenants d’une « trêve » hebdomadaire supposée éviter l’extension de la fièvre acheteuse dont notre société est déjà la proie, en passant par les indignés de la régression sociale, chacun a de bonnes raisons de se cabrer sur une telle mesure consumériste. D’autant que les chiffres se contredisent sur les bénéfices attendus.

On dit que la vérité sort de la bouche des enfants… Elle vient aussi parfois d’étrangers qui, vivant en France, en observent les travers avec une distance particulière : « En France on dirait que l’idéologie prend le pas sur la réalité économique » disait récemment l’un d’entre eux.

Peut être, mais c’est une loi de gauche et ça va marcher : c’est le Premier ministre qui l’a dit.

*Photo :  PETIT TESSON-POOL/SIPA. 00699762_000001.

Paul McCarthy, Djihadistes, Israël : le journal d’Alain Finkielkraut

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israel djihad lunel

israel djihad lunel

La polémique autour de Paul MacCarthy (26 octobre)

Élisabeth Lévy. « No pasaran », a déclaré Anne Hidalgo quelques heures avant que l’artiste américain refuse que l’on regonfle The Tree, son fameux sapin de Noël, vandalisé place Vendôme. Les commentateurs ont unanimement dénoncé les crétins qui s’en étaient pris à l’arbre. Les McCarthystes d’aujourd’hui sont-ils les défenseurs de la liberté ?

Alain Finkielkraut. L’affaire McCarthy vient d’en apporter la preuve : nos modernes et fiers de l’être ne sont pas modernes, ils sont anachroniques; ils mettent toute leur intelligence et toute leur énergie à se tromper d’époque, à rabattre le présent sur le passé et à empêcher ainsi que la moindre parcelle de réalité vienne troubler le confort moral d’un monde entièrement imaginaire.

L’artiste américain avait donc installé devant la colonne Vendôme, et sous l’égide des joailliers de la place, une sculpture gonflable d’un vert éclatant et de 25 mètres de haut. L’œuvre était intitulée The Tree et jouait sur la ressemblance entre un sapin de Noël et un « plug anal ». Peu familier, comme tous les ploucs, de ce « sex-toy », j’avais plutôt pensé à un suppositoire géant contre la constipation, un Maxilax en quelque sorte.

L’art a rompu ses derniers liens avec la beauté et avec la vérité. « Et que cela soit Chardin, Braque ou Vermeer que vous les nommiez/ Il en revient toujours poursuivre la même longue étude », écrivait Aragon. Cela veut dire que la peinture était, depuis sa naissance, habitée par la passion de tout voir et, si elle déformait la réalité, c’était pour en extraire les possibilités cachées, maléfiques ou merveilleuses. Rien de tel avec Paul McCarthy ou Jeff Koons : ils ont abandonné la longue étude pour la fabrication en série de gros jouets criards. Au terme de la déconstruction savante du geste pictural, l’art est désormais ce qui se déclare tel, et rien d’autre. Duchamp l’iconoclaste se moquait, avec son urinoir, de la prosternation grégaire devant les œuvres exposées dans les musées. Et voici que, pour bien montrer qu’on est un esprit libre, on se prosterne comme un seul homme devant Paul McCarthy et les produits ridicules de son infantilisme cochon. Baudrillard avait décidément raison : « Quelque chose d’absurde est venu pourrir dans l’âme humaine cette passion de l’admiration qui était la plus belle. » Et malheur à ceux qui n’admirent pas : « Ce sont des crétins », tranche Le Monde. La ministre de la Culture n’est pas en reste : « On dirait que certains soutiendraient volontiers le retour d’une définition officielle de l’art dégénéré. » Émettre des réserves devant la dernière « provocation » sponsorisée de McCarthy, ce n’est pas seulement « défendre la culture policée et la bienséance bourgeoise », comme dit encore le quotidien de la pensée rebelle, c’est perpétuer Goebbels, rien de moins. [access capability= »lire_inedits »]

L’agression dont l’artiste a été victime offre une caution providentielle à cet anachronisme complaisant, mais le petit commando ayant réussi à débrancher le compresseur qui remplissait d’air la sculpture et à couper les sangles qui la stabilisaient a fait un geste d’une grande portée conceptuelle : en dégonflant la baudruche antifasciste de l’art contemporain, il l’a rendue à son insignifiance.

Le Musée d’histoire des juifs polonais (2 novembre)

Vous avez assisté le 28 octobre à l’inauguration à Varsovie du Musée d’histoire des juifs polonais, en présence des présidents polonais et israélien…

J’ai fait partie, en effet, de la délégation française. Le premier soir, nous avons été reçus à l’ambassade de France. Il m’a été demandé de participer à une table ronde improvisée avec Roman Polanski, l’historien belge Joël Kotek, le président de l’Union des étudiants juifs de France, le grand rabbin de Varsovie et Konstantin Gebert, un juif polonais revenu à la foi de ses pères. Après un petit film retraçant à grandes enjambées cette longue histoire et qui se terminait sur le mot « vie », Monique Canto-Sperber, notre modératrice, a demandé, pour lancer la discussion, quelle était la contribution actuelle du judaïsme à la Pologne. Roman Polanski n’a pas voulu répondre à une question aussi générale, il m’a donc passé le micro et j’ai moi-même décliné la question en disant qu’avant de parler du présent, de l’avenir et de la vie, il fallait prendre acte de ce fait : la civilisation juive de Pologne avait été anéantie par le nazisme. Je pensais à cette phrase de l’écrivain David Bergelson, découverte autrefois dans le beau livre de Richard Marienstras Être un peuple en diaspora : « Il arrive que les peuples perdent leurs fils, c’est une grosse perte, bien sûr, et ce n’est guère facile de s’en consoler ; mais voici qu’arrive le Docteur Soïfer avec sa perte à lui… Car il est l’un de ceux qui sont en train de perdre leur peuple… Quoi ?… Qu’est-ce qu’il perd ?… Mais on n’a jamais entendu parler d’une telle perte. »

Certes, le peuple juif n’est pas mort. Les nazis n’ont pas pu mener jusqu’au bout leur entreprise d’éradication planétaire. Il y a eu des survivants et des épargnés. Israël est né. Quelque chose pourtant est mort, qui n’est pas simplement une monstrueuse addition d’individus. En disant cela, il me semblait avoir énoncé une évidence. À ma grande surprise, j’ai fait scandale. Le rabbin américain de Varsovie m’a trouvé arrogant et ignorant. Constantin Gebert m’a accusé de le donner pour mort. J’ai compris alors que si je pouvais envier les croyants d’être accompagnés par la promesse d’une vie éternelle, je ne supportais pas chez eux le déni de l’irréparable. Ils voient dans la perpétuation de l’étude et de l’observance la preuve que, même sur terre, la mort a été vaincue. Je ne partage pas cet optimisme religieux. Je le trouve même sacrilège.

Le lendemain, veille de l’inauguration officielle, nous avons visité l’exposition permanente du musée. Celle-ci couvre ambitieusement mille ans d’histoire. Une histoire dont la violence n’est pas mise sous le boisseau mais dont on voit aussi qu’elle ne se réduit pas à l’antisémitisme. Ce qu’on ne voit pas en revanche, et ce qui manque, c’est la grande culture. Il s’agit d’apprendre dans ce musée, il ne s’agit pas d’admirer. L’exposition ayant été confiée à une ethnologue américaine, ce ne sont pas les œuvres (musicales, picturales ou littéraires) qui sont mises en avant, ce sont les témoignages d’un mode de vie et de ses métamorphoses. Il est salutaire que la Pologne se réconcilie avec son passé juif. Il est regrettable que les frères Singer, Yitzhak-Leibush Peretz ou Adolf Rudnicki ne soient pas davantage mis à l’honneur.  

La situation en Israël (23 novembre)

Après l’attaque à la hache d’une synagogue de Jérusalem le 18 novembre, Benyamin Netanyahou a accusé Mahmoud Abbas. Par ailleurs, l’isolement diplomatique d’Israël s’accroît tandis que l’idée de reconnaître l’État palestinien progresse dans les opinions et les Parlements occidentaux. Cet attentat marque-t-il un tournant décisif et dangereux ou n’est-ce qu’une atrocité de plus ?

En apprenant que quatre personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées à la hache et au couteau dans la synagogue de Kehilat Yaacov, une réflexion de David Grossman, énoncée lors de la deuxième Intifada, m’est revenue en mémoire : « L’Israélien moderne de mon âge qui se considérait déjà comme un citoyen du monde, qui est relié à Internet et qui a une antenne parabolique sur son toit, cet homme a commencé à sentir le tragique du destin juif se refermer sur lui. » Je ne sais pas si le confit national israélo-palestinien se métamorphose aujourd’hui en conflit religieux, ou s’il est consubstantiellement théologico-politique ; ce qui m’apparaît, en revanche, avec une clarté irréfutable et implacable, c’est que les victimes de cet attentat n’ont pas été assassinées en tant que colons – la synagogue est située dans un quartier jusque-là paisible de Jérusalem-Ouest – ni même en tant qu’Israéliens, mais avec leurs châles et leurs livres de prière, en tant que juifs. Cet attentat palestinien s’inscrit dans la lignée des pogroms dont la Russie et l’Europe orientale ont été, jusqu’au milieu du xxe siècle, le théâtre.

Mais à ce stade de ma réflexion, comme à chaque fois qu’il s’agit d’Israël, mon for intérieur se divise en deux et ma parole se scinde. Aux Français qui font observer que la poursuite de l’occupation pousse les Palestiniens à de regrettables mais compréhensibles extrémités, je rétorque que ce crime et les indécentes explosions de joie qu’il a occasionnées à Gaza comme en Cisjordanie dénoncent comme occupation toute présence juive en Palestine. J’ajoute que, quitte à raisonner en termes de conséquences, il ne faut pas négliger, pour expliquer ce passage à l’acte et la forme qu’il a prise, l’impact des exploits sanglants de l’État islamique, si complaisamment étalés sur la Toile. Je rappelle que le président de l’Autorité palestinienne lui-même a menacé Israël d’une guerre sainte si le mont du Temple devait être, par malheur, « contaminé par les juifs ».

Mais l’autre part de moi-même s’adresse, avec la même véhémence, au gouvernement israélien. Benyamin Netanyahou s’est empressé de rendre Mahmoud Abbas responsable du crime. Certaines déclarations sont, il est vrai, désolantes et même révoltantes. Le problème, c’est que le Premier ministre d’Israël ne se désole pas, ne se révolte pas, il se frotte les mains. Car rien ne l’effraie davantage qu’une négociation sérieuse et les concessions territoriales qu’elle implique. Il préfère le « conflict-management » avec les Palestiniens à une guerre civile avec les colons les plus radicaux. Ainsi, loin d’incarner le sionisme, travaille-t-il à la dissolution de l’État juif dans un État binational.

Il n’y a aucun mur de protection contre le terrorisme primitif qui s’abat aujourd’hui sur Israël. Il peut frapper n’importe où et à n’importe quel moment. D’où la décision du gouvernement de faciliter l’octroi du port d’armes. L’État se dépouille du monopole de la violence légitime pour répondre à un danger omniprésent et invisible. J’ai entendu, l’autre jour à la télévision, Nissim Zvili, ancien ambassadeur d’Israël en France, dire qu’avec le poids croissant des juifs orthodoxes et une minorité arabe en passe de devenir majoritaire, ses petits-enfants n’auront pas de place en Israël : ce pays se sera trop éloigné de leurs attentes, des valeurs sionistes dans lesquelles ils auront été élevés. J’ai pensé alors à mes descendants éventuels. Auront-ils leur place dans la France de demain ? Assisterons-nous, dans cinquante ou cent ans, au chassé-croisé entre les Israéliens revenant vers l’Europe et les juifs européens fuyant vers Israël quand ils n’auront pas la possibilité d’émigrer sur le continent américain ? Pour éviter que cette vision de cauchemar devienne réalité, il faut œuvrer inlassablement à la paix, c’est-à-dire à la séparation entre Israéliens et Palestiniens.

Les djihadistes français de Lunel (23 novembre)

Près d’un quart des Français partis faire le djihad en Syrie seraient des convertis, preuve, selon le chœur des vierges habituel, que tout cela n’a rien à voir avec l’islam…

J’ai découvert, en lisant Libération, qu’une dizaine de jeunes de la ville de Lunel (26 000 habitants) étaient partis en Syrie faire le djihad. Comme j’avais lu naguère le beau roman d’Armand Lunel Nicolo-Peccavi ou l’affaire Dreyfus à Carpentras et que j’ai appris, dans un autre de ses livres, que les juifs, presque partout persécutés ou proscrits en Europe, ont pu survivre physiquement et spirituellement dans ces « étonnantes terres de permission » qu’étaient le Languedoc, la Provence et les États français du pape, j’ai voulu en savoir plus sur la ville dont il portait le nom. Mes recherches n’ont pas été vaines : Lunel était au Moyen Âge un centre philosophique juif, une « petite Jérusalem ». Un des « sages de Lunel », Samuel Ibn Tibbon, avait même traduit de l’arabe en hébreu Le Guide des égarés de Maïmonide. Presque rien ne subsiste aujourd’hui de cette communauté juive jadis florissante. Un des murs externes de l’hôtel particulier de Bernis a été identifié comme étant vraisemblablement celui de la synagogue de Lunel, la municipalité y a apposé une plaque commémorative. En revanche depuis 2010, il y a une mosquée à Lunel. C’est là, apprend-on dans Libération, que Raphaël, « fils unique d’un père informaticien issu d’une famille juive et d’une mère psychologue (sic) », s’est radicalisé avant de partir en Syrie où il a trouvé la mort. Faute d’avoir pu l’enterrer, ses parents ont planté un magnolia dans le jardin de leur maison. Et c’est dans cette même ville de Lunel qu’il y a une vingtaine d’années Renaud Camus a éprouvé l’impression étrange de changer de monde « sans être sorti de l’ancien, sans avoir quitté les rues et les places de notre pays, leurs statues, leurs églises, leurs repères familiers. » C’est là, comme il le dit dans une conférence prononcée justement à Lunel le 26 novembre 2010, que le « Grand Remplacement » lui est venu à l’idée.

Que les choses soient claires : je ne reprends pas cette expression à mon compte, car elle a immanquablement pour effet de transformer toutes les personnes d’origine turque ou arabe en envahisseurs. On a besoin de concepts pour penser la réalité humaine, mais on ne doit pas laisser les concepts réduire les êtres humains à des spécimens. Reste que, si les convertis à l’islam dans sa version la plus agressivement littérale sont si nombreux en France et dans toute l’Europe, c’est parce que cet islam a pour lui la force du nombre et parce que les films de propagande du nouveau califat sont calqués sur le modèle d’Expendables ou du jeu vidéo Call of Duty. L’industrie du divertissement fait le vide, et, par ses intrigues simplistes, ses effets spéciaux, ses images ultra-violentes, elle prépare le terrain au fanatisme morbide.[/access]

*Photo : PACIFIC PRESS/SIPA. 00698248_000005.

Homo jacobinus contre la Bretagne

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bretagne ecoles diwan

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Oh oh !! ah ah !! Ça se ronge le foie dans Causeur sur les nouvelles lubies. « L’homme sans passé », le «faux progrès», « la déconstruction », « les sournoises inventions sociétales », Mais… Quoi ? Quoi ? Surpris ? Mais camarades… En Bretagne, en Corse, en Occitanie, au Pays Basque, Alsace et autres contrées d’emmerdeurs, nous avons précédé l’ensemble des hexagonaux sur la table d’opération ! On découvre la chansonnette à Paris, mais ici on a eu tout le répertoire déjà ! « Refaire l’Homme », Homo jacobinus, « ça ne vous fera que du bien », la rééducation des exotiques !

J’aimerais indiquer, par la présente, au synode de Causeur que le progrès souriant n’a pas commencé avec le mariage pour tous et la théorie du genre. Non ! En Bretagne, par exemple, on a eu des robinets, l’école publique et Fernandel à la télé mais pour cela il a fallu qu’on abjure tous nos péchés !… Nos terribles penchants !… Langue bretonne et gallèse (car nous avons deux langues en Bretagne, oui !) éradiquées en une génération. Et pour nos talus ça a été plus rapide encore. Appliquons les mêmes méthodes a l’école primaire pour la théorie du genre et dans vingt ans, les camionneurs se battront pour se coller des plumes dans le derrière !

L’amour immodéré de « l’Autre » et son droit inaliénable à mettre les pieds sur la table chez nous ? Demandez aux corses ce qu’ils en pensent ! Sur 320 000 habitants de l’île, on ne compte plus que 100 000 corses. En 62, on a donné 90% de terres aux rapatriés d’Algérie. Vous croyez que les corses ont vu ça comment ? « Une chance pour la Corse ? » A Causeur, on aurait monté des FLNC pour moins que ça !

Attali parle de « l’homme interchangeable » ? « Déménageable à merci dans le village monde ? » Mais on connaît tout ça bondieu ! En Bretagne, à moins de 30 bornes de la mer, le plus miteux poulailler coûte 20 ans de salaire. A part le bobo parisien en vacances, qui peut se loger sur les côtes bretonnes ? Et vos diplômés ? Ooooohh Ils partent à Londres maintenant. Mais nous ça fait 10 siècles qu’ils « montent » à Paris ! Parce qu’il n’y a aucun siège de grande entreprise installée au-delà du périphérique. Et le plouc, s’il veut grimper dans l’échelle sociale, il doit s’exiler. C’est écrit ! Dans le ciel ! Et s’exiler, bizarrement, toujours au même endroit : Paris !

Aaaah là là, Pellan, l’ignoble communautariste, le navrant régionaleux ! On l’a démasqué le sournois ! Mais camarade, un ressortissant des Yvelines ou du Pas-de-Calais quand il arrivait fonctionnaire en Corse dans les années 60 il était tout aussi gros turban qu’un citoyen du Sahel qui débarque dans le XVIIIème aujourd’hui. Et pareil pour la Bretagne ! On n’en voulait pas particulièrement de « l’autre qui commande ». Eh bien on l’a eu ! Et en triple maintenant ! Et on nous expliquait que c’était pour notre bien. Qu’il allait nous apprendre à parler français. Qu’il allait nous « rationaliser ». « Vous êtes bretons ? Les Français commandent » (Mirabeau)

Tiens, autre problème : La Loire-Atlantique en Bretagne. Séparée en 41, reséparée en 82, la Loire-Atlantique s’est retrouvé dans une région inventée… comme ça un matin… dans un cabinet socialiste : les Pays-de-la-Loire. Maintenant, en Loire-Atlantique, on enseigne aux gosses « l’histoire des Pays-de-la-Loire » et on édite des cartes sur les « Pays-de-la-Loire au moyen-âge ». Et on leur raconte que Nantes a effectivement été en Bretagne, mais aux environs du Néolithique, vers Cro-Magnon par là. C’est ça aussi, refaire l’homme, l’homme sans passé. L’Etat français a inventé la « déconstruction » bien avant Derrida. Pas croire ! Et finement expérimenté la chose de Brest à Nouméa.

Tiens, et la police de la pensée anti-fasciste ? Mais ça fait depuis 45 qu’on la subit chez nous. Les corses sont tous des mafieux d’extrême-droite, les bretons des collabos, les basques et les alsaciens des « racisses », des « fascisses », etc… Pour les dernières colonies d’Outre-Mer, c’est un peu différent… on sait pas trop… on est un peu gêné… à Télérama, on n’ose pas trop dire… Bref, moi ce que j’en dis de tout ça, c’est que la France toute entière subi aujourd’hui ce que les colonies intérieures (Bretagne, Pays basque…) et extérieures (Guadeloupe, Martinique, etc.) subissent depuis cent ans. Yes sir ! Juste les statues en crotte de brique en moins. Ca… l’art contemporain, on y a échappé. Mais le reste… ! Dans 15 ans, on vous expliquera que la langue française ce n’est pas banckable et qu’elle pue le Patrick Sébastien. Anglais ou chinois, voilà l’avenir ! On collera à vos gosses du globish dans le cornet du mardi gras au mardi maigre et Causeur lancera des pétitions pour faire des écoles Diwan en français, « sinon notre culture va mourir ». Comme un air de déjà vu….

Promis, ici en Bretagne on aura toujours des bonnets rouges dans l’armoire. Pour vous, les nouveaux vaincus de la « déconstruction »!

 

*Photo : wikicommons.