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Insécurité : les faits contre les chiffres

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 « Je suis de plus en plus préoccupé par l’insécurité qui se développe à Paris. (…) La montée de l’insécurité est due à l’afflux incontrôlé depuis trois ans d’une immigration clandestine de la plus mauvaise qualité. » L’auteur de ces propos est Jacques Chirac cuvée 1984. Mais peu importent au fond les palinodies du RPR ou du PS sur le sujet depuis trente ans : la bizarrerie tient en ceci que le « sentiment d’insécurité » n’ayant fait que croître tout au long de cette période, les gouvernements et les oppositions successifs se relayant pour l’exploiter ou le minorer selon leurs intérêts et positions du moment, on ne sait toujours pas réellement si l’insécurité au sens large est la même depuis les années 1970, si elle a augmenté ou si elle a diminué. Les chiffres bruts de l’homicide en France illustrent à merveille ce désaccord profond entre le sentiment de la population et les faits déclarés. Ainsi, entre 2000 et 2012, le nombre des homicides a chuté de près de 40 %, passant de 1 051 à 665. En revanche, les agressions violentes non crapuleuses augmentent régulièrement, 3 % de plus encore cette année. Est-ce dû au plus grand nombre de signalements ? À une présence accrue de la police ? À l’obsession médiatique ? À des chiffres trafiqués ?[access capability= »lire_inedits »]

En attendant, quand bien même l’insécurité serait seulement un « sentiment » sans lien avec la réalité, ce sentiment lui-même est un fait. Un autre fait est que « l’insécurité » est nettement associée à la présence d’étrangers ou perçus comme tels. Phénomène qui n’a rien de nouveau mais qui a tendance à se généraliser aujourd’hui. On accuse généralement le Front national d’avoir exploité et, partant, encouragé cette peur. En réalité, c’est la droite d’il y a trente ans qui a, la première, mis le sujet sur le tapis, au début des années 1980, au moment où la montée vertigineuse du chômage laissait craindre la formation de « classes dangereuses ». Non sans raison. Aujourd’hui, les dégâts de la mondialisation nourrissent encore un peu plus le sentiment d’« invasion ».

Reste à expliquer cette discordance persistante entre l’insécurité « réelle » et l’insécurité « sentie », discordance qui permet de disqualifier la seconde, sous le nom de « fantasme sécuritaire ».  Le criminologue Alain Bauer fustige le terme même : « Il n’y a pas plus de “sentiment d’insécurité” que de beurre en branche. Cette très mauvaise traduction de l’anglais “fear of crime” (“la peur du crime”) visait essentiellement à sous-estimer, voire à mépriser, les remontées des victimes. Il y a un climat d’insécurité porté par l’augmentation massive des atteintes et violences aux personnes. »

De bons esprits imputent l’importance, excessive selon eux, prise par la « question sécuritaire » dans la tête de nos concitoyens à la multiplication des moyens de police et de contrôle, qui ne ferait que braquer les projecteurs sur une réalité autrefois ignorée, avec la complicité de médias avides de sensations. En somme, ce n’est pas l’insécurité réelle qui augmenterait, mais l’insécurité mesurée.

Mais qu’ils soient cachés ou exhibés, que l’on souhaite apeurer la population ou la rassurer, tous les chiffres de la police sont trafiqués, c’est même la seule science sûre en la matière depuis deux siècles. Le dernier exemple en date de l’influence politique fâcheuse sur le travail de la maréchaussée serait, selon Bauer, la préemption des chiffres du nouveau service statistique ministériel de sécurité intérieure (SSMSI) par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur : le 19 novembre, les deux hommes ont brûlé la politesse à leurs experts et vanté devant la presse les excellents résultats de leur politique. C’est-à-dire qu’ils ont choisi de mettre en avant les bons chiffres. Le criminologue, plus apprécié à droite il est vrai, y voit « une sorte de brutale régression dans le traitement de l’information, a contrario de la volonté affirmée des derniers ministres de l’Intérieur ». Au nouvel outil ministériel, Bauer préfère l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale), toujours en activité : « Indépendant et efficace, il ne se base pas uniquement sur les plaintes enregistrées par les services mais aussi sur l’enquête nationale de victimation, qui a réussi à donner plus d’informations en cinq vagues de remontées que la statistique policière en cinquante ans. » Sans doute. On rappellera cependant que la « politique du chiffre » de Nicolas Sarkozy dans la police n’a pas eu de résultats très heureux. Et que les statistiques de l’insécurité n’étaient pas plus transparentes pendant son quinquennat.

De toute façon, dans la jungle des chiffres, il est difficile de démêler le faux du vrai. On peut au moins faire preuve de bon sens et observer que, dans de nombreuses communes urbaines, voire « sensibles », comme Montfermeil, la vidéosurveillance a permis de faire diminuer fortement la délinquance, alors que dans des communes jusque-là trop tranquilles, ou trop pauvres pour s’équiper, l’insécurité augmente.

Les statistiques font aussi apparaître de nouvelles tendances. Les derniers chiffres de l’ONDRP révèlent un déplacement de la délinquance vers la campagne ou le « périurbain ». Sur l’ensemble des agressions contre les forces de l’ordre, c’est de plus en plus souvent la gendarmerie qui est visée : dans ses rangs, 5 109 personnes ont été « victimes d’atteintes », soit près de 30 % de plus que l’année précédente. La baisse notable de la délinquance et de la criminalité en Seine-Saint-Denis et à Marseille (hors règlements de comptes du grand banditisme) semble corroborer ce diagnostic. L’ennui, c’est que, dans ces deux cas, le « sentiment » d’insécurité, lui, ne semble pas avoir bougé d’un iota. Ça ne leur suffit pas, à ces ploucs, qu’on ne tire pas à la kalach en bas de chez eux, ils voudraient encore qu’on évacue les dealers des cages d’escalier…

Y aurait-il deux France, une qui échapperait peu à peu à l’insécurité quand l’autre s’y enfoncerait ? Dans les zones de sécurité prioritaires (ZSP), mises en place sous le ministère de Manuel Valls, des progrès notables ont été accomplis dans la lutte contre le trafic de drogue, selon le dernier rapport parlementaire sur le sujet. Et les violences urbaines sont en baisse. Le gouvernement se félicite aussi de la baisse des cambriolages de 4,3 % et des vols à main armée de 14 % sur les dix premiers mois de l’année. Mais il y a la seconde France. Selon la Fédération française des assurances, les cambriolages avaient déjà bondi de 50 % de 2008 à 2013 et, d’après l’ONDRP, le pays subit un cambriolage toutes les quatre-vingt-dix secondes, les maisons de campagne étant particulièrement visées. Des campagnes longtemps épargnées, qui ont l’impression d’être livrées au pillage : toutes sortes de choses y sont volées, des animaux aux fruits et légumes, des outils aux tracteurs en passant par le carburant. Alain Bauer réfute cette interprétation : « C’est surtout la modernisation de l’outil statistique de la gendarmerie qui produit cet effet en obligeant à intégrer tous les faits. » Encore une fois, ce serait seulement le thermomètre qui s’affole.

Mais surtout, et c’est ce qui explique la persistance déplorable de ce fichu « sentiment d’insécurité », la violence au sens large, et particulièrement la violence gratuite, est en hausse dans 76 des 96 départements métropolitains, selon l’ONDRP. Parmi ces violences, celles dont le but est le vol diminuent de 2 % tandis que les violences « sans raison » (sauf à considérer qu’un regard est une bonne raison) augmentent, elles, de 8 %. À la fin du premier semestre 2014, la barre des 500 000 cas connus de violences aux personnes a été franchie pour la première fois. Les « coups et blessures volontaires suivis de mort » ont augmenté de 50 % en un an. Ce qui, il est vrai, représente « seulement » une cinquantaine de décès supplémentaires.[/access]

*Photo : Pixabay.

Quand les étrangers voteront…

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François Hollande a décidé, en (mauvais) élève de François Mitterrand d’agiter, une fois de plus, le chiffon rouge du droit de vote des étrangers aux élections locales. Pourtant, lors du débat de l’entre-deux-tours, il avait expliqué que, puisqu’il n’y aurait certainement pas de majorité pour voter cette réforme constitutionnelle, la proposition n°50 de son projet ne connaîtrait pas un début d’application. Mais voilà, le retour sur la scène politique de Nicolas Sarkozy lui a rendu de l’optimisme. Et il espère aujourd’hui réussir un exploit à la sauce corrézienne : gagner l’élection présidentielle face à un membre de la famille Le Pen alors qu’on était au fond du trou quelques mois auparavant. La tactique est simple : entre l’extrême droite et moi, il ne doit rien y avoir. Il faut alors mettre l’UMP dans une position difficile sur un sujet clivant, obligeant cette dernière à choisir soit le camp de Marine Le Pen, soit celui du Progrès.

Lundi, lors de son discours d’inauguration du musée de l’immigration, il a donc lancé un défi en forme de piège à l’UMP. Cette réforme, explique-t-il, doit recueillir l’approbation des deux chambres, dont le Sénat qui penche aujourd’hui à droite, puis la majorité des trois cinquièmes du Parlement réunis en Congrès. Il ajouté, avec une perfidie non dissimulée et satisfaite, qu’il reviendrait alors à l’opposition de « prendre ses responsabilités ». Habile, peut-être, mais un peu oublieux de ses cours de droit public, le Président a omis l’article 89 consacré aux révisions constitutionnelles. En effet, après l’approbation des deux chambres, la constitution prévoit une première voie, celle du référendum. Un alinéa suivant permet l’adoption par la voie du Congrès, si la première n’est pas choisie par le Président. Une proposition de loi constitutionnelle qui prévoit cette réforme du droit de vote a déjà été adoptée par le Sénat, alors majoritairement à gauche, en 2011. Il suffit donc que le Président fasse voter par sa majorité à l’Assemblée nationale le même texte approuvé par le Sénat et il ne resterait plus que la seconde étape.

Que doivent donc faire l’UMP et l’UDI pour se sortir du piège que leur tend François Hollande ? Invoquer la Constitution, tout simplement. Retourner le piège ! Et s’adresser à François Hollande en ces termes : « Puisque cette réforme vous est chère, et que vous craignez de ne pas obtenir de nous la majorité qualifiée nécessaire, pourquoi ne provoquez-vous pas un référendum ? Craignez-vous de ne pas connaître davantage le succès lors d’une consultation populaire ? Sinon, pourquoi s’en priver ? Si oui, n’attendez pas de nous que nous validions une réforme dont vous-même pensez qu’elle n’a pas l’agrément de notre peuple ».

L’opposition, sans même à avoir à se prononcer sur le fond du projet, retournerait le piège contre François Hollande. Cette manœuvre grossière apparaîtrait alors que pour ce qu’elle est, la maladresse d’un habile, qui instrumentalise les étrangers vivant sur notre sol dont il se fiche bien, à des fins tactiques dérisoires.

 *Photo : DELAGE JEAN-MICHEL/SIPA. 00526005_000009.

Un cadeau pour le Président

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noel hollande valls cnr

Le Président, dans son bureau de l’Elysée, le 24 décembre au soir, n’avait pas le moral. Il s’apprêtait à rejoindre ses invités pour le réveillon mais il regardait les derniers sondages. C’était de pire en pire. Le Président avait beau savoir que les sondeurs racontaient n’importe quoi, par exemple que plus de 60% des Français rêvaient de Merkel, ils ne pouvaient pas se tromper à ce point là. Il fallait que le Président s’y fasse, on ne l’aimait pas. Mais alors pas du tout. Il se demanda, et cela lui arrivait de plus en plus souvent ces temps-ci, comment il allait terminer son quinquennat ou même s’il allait le terminer.

Le Président retira ses lunettes, se frotta les ailes du nez, soupira. On n’allait pas tarder à l’appeler pour rejoindre la petite fête. Il n’en avait aucune envie. Tout le monde ferait semblant que ça allait, qu’on allait dans le bon sens. Entre les petits fours et le champagne, on parlerait de la « nécessaire adaptation » de l’économie française et de la société à la mondialisation. On échangerait des cadeaux. Ce serait sinistre, en fait.

Une vilaine pensée traversa soudain l’esprit du Président.  Heureusement que certains n’avaient pas accepté la « nécessaire adaptation » en 1940. Parce que la « nécessaire adaptation », en 40, c’était Pétain, c’était la collaboration. TINA, comme disaient ses conseillers, ses économistes, ses partenaires européens. TINA, c’est à dire  There is not alternative. Il n’y a pas le choix. Imaginons que De Gaulle et les communistes aient réagi de la même manière, 70 ans plus tôt. « Bah non, on ne va pas résister, on n’a pas le choix. Il faut être réaliste. Et puis le modèle allemand, il a ses bons côtés. » Le Président frissonna. Quelle horreur…

Était-il aussi lâche que ça ?

Il se leva de son bureau. Il ne savait plus trop s’il avait trop chaud ou trop froid. Il ne savait plus s’il était de gauche ou de droite, social-démocrate ou social-libéral, président ou maire de Tulle.

Soudain, il trébucha. Zut, il s’était pris les pieds dans un tapis. Il se retourna. Il n’y avait pas de tapis. C’était bien lui, ça. Et ça résumait parfaitement sa politique : se prendre les pieds dans des tapis qui n’existaient pas…

– Suis-je si nul que ça ? se demanda-t-il à haute voix comme pour conjurer le silence de la pièce, le poids écrasant des moulures et des dorures, la sensation d’étouffement créée par les lourds rideaux cramoisis.

– Mais non, monsieur le Président, tu n’es pas si nul que ça. Tu manques juste un peu de courage !

Le Président sursauta. Il était pourtant persuadé qu’il n’y avait personne dans son bureau et l’huissier à la porte l’aurait prévenu de toute manière. Il chercha du regard dans la pièce et c’est alors qu’il vit, assis confortablement sur le siège de son bureau, le Père Noël qui fumait un cigare mahousse. S’il avait été amateur de cigare comme son prédécesseur, le Président aurait reconnu un Cohiba Behike 56.

– Qui êtes vous, monsieur ?

– Ça ne se voit pas, Président ? Je suis le père Noël.

Le Président hésita entre plusieurs hypothèses : un fou qui s’était introduit dans le palais, Mélenchon qui lui faisait une farce, Valérie Trierweiler qui essayait de nouveau le piéger, un retraité écœuré par la nécessité d’enchaîner des petits boulots pour survivre.

– Pas la peine de chercher, Président, je suis vraiment le Père Noël.

– Mais il n’existe pas !

-Première nouvelle ! Tu ne crois pas en moi, Président, alors que tu crois en la sincérité des patrons dans tous tes pactes de responsabilité, tes CICE, j’en passe et des pires ! T’avoueras que tu es difficile à suivre, Président…rigola le Père Noël en soufflant une grosse bouffée de son Cohiba.

-Mais qu’est-ce que vous me voulez ?

-Bah tu crois quoi ? Je suis venu te faire un cadeau ! C’est mon job après tout. Et j’ai bien compris que tu n’avais pas le moral. Alors je vais te donner un moyen de le retrouver, ton moral.

Le Père Noël quitta le  siège présidentiel et se pencha vers la hotte posée à côté du bureau. Il en retira une brochure à la couverture blanche un peu salie qui avait l’air assez ancienne.

-Tiens, joyeux Noël, Président. Tu m’excuseras, j’ai pas fait d’emballage cadeau.

Le Président regarda le titre de la brochure : Les jours heureux par le CNR. C’était un exemplaire d’époque, celui de l’édition clandestine du 15 mars 1944.

– Ça te fait plaisir, au moins, Président ?

– 70 ans, c’est si loin…

– Ça dépend du point de vue, Président. Ça ne doit pas être si loin que ça pour Kessler, un de tes amis du Medef puisqu’il a dit explicitement à plusieurs reprise qu’« il fallait en finir avec le programme du CNR ». Mais lis-le, toi, je suis sûr que ça pourrait t’intéresser !

Quand le Président releva les yeux, le Père Noël avait disparu. Il ouvrit la brochure au hasard et lut : « … retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ». Et puis, plus loin, « Un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ».

« Une vie pleinement humaine… » Il y avait encore l’odeur du cigare du Père Noël dans le bureau.

Le Président sourit d’un sourire qu’il n’avait pas eu depuis un bon bout de temps. C’était comme si un poids, le poids qui pesait depuis des années au niveau de son plexus solaire,  venait de se lever .

« Une vie pleinement humaine… » Après tout, pourquoi pas ?

Il prit son téléphone, fit un numéro et, au bout d’un instant, s’exclama presque joyeusement dans le combiné :

– Allô, Manuel ? J’ai une mauvaise nouvelle pour toi…

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00699955_000001. 

Les mille et une aventures de Fatima Allaoui

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Pour ne rien vous cacher, j’ai été assez amusé par  l’affaire Fatima Allaoui qui avait permis à Libération de titrer lundi dernier « Sarkozy nomme une secrétaire nationale d’extrême droite ». Apparemment d’après mes confrères, ladite dame leur aurait avoué sa forfaiture, et même les raisons profondes de celle–ci, «par désespoir de cause et pour augmenter ses chances d’être élue» aux élections cantonales du printemps prochain. Soit.

Mais peut-on jeter la pierre au président de l’UMP d’avoir promu cette dame ? Car jusqu’ici, elle avait fait preuve d’un antilepenisme tout à fait méritant, comme le montre, par exemple, ce tweet bouleversant d’enthousiasme, publié lors de la soirée télé des élections européennes, le 11 mai 2014.

fatima allaoui ump

Pas rancunier pour un sou, Florian Philippot  vient d’assurer qu’il serait ravi d’accueillir Fatima Allaoui dans les rangs du  Front national. Ira, ira pas, on verra…

En attendant, on se demande si la jeune transfuge va faire un peu de ménage sur son compte Twitter. Parce qu’en plus de multiples déclarations antimarinistes, on y trouve une flopée de messages encensant Nathalie Kosciusko-Morizet tel celui-ci, publié en septembre dernier, durant l’émission de France 2 Des paroles et des actes

fatima allaoui nkm

Oui, oui, la même NKM qui avait suggéré à Sarko de la nommer, et la même qui aussitôt après, s’est empressée de la virer…

Misère d’Isère

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chambaran verts isere grenoble

C’est suffisamment rare pour être souligné : la majorité dite silencieuse d’un petit coin de France, celle qui tente de survivre sur le plateau de Chambaran, en Isère, est massivement descendue dans la rue (ou plutôt sur les chemins) du  village de Roybon, pour faire échec aux « zadistes ». Ces écologistes radicaux, qui pratiquent la transhumance entre les diverses «  zones à défendre » de l’hexagone (Notre Dame-des-Landes, Sivens),  croyaient avoir trouvé un nouveau terrain d’action favorable pour leur guérilla en venant soutenir les associations locales (très minoritaires) opposées à la construction d’un village de vacances Center Parcs au cœur de la forêt de Chambaran, située à l’ouest du département. Le 6 décembre, leur marche aux flambeaux pour «  un Chambaran sans Center Parcs » a réuni moins de 500 personnes, alors que le lendemain, à l’appel des élus locaux de tous les partis, à l’exception d’EELV, une manifestation en rassemblait cinq fois plus, pour demander la poursuite des travaux de défrichage entravée par l’occupation du terrain par les  zadistes. Encore traumatisés par la mort accidentelle du jeune Rémi Fraisse lors des affrontements entre les CRS et les manifestants opposés au barrage de Sivens, dans le Tarn, les pouvoirs publics n’étaient pas fait usage de la force pour empêcher les zadistes d’occuper le terrain, et de squatter une maison forestière située au milieu du chantier.

La situation est donc la suivante : au bout de sept ans d’études et de négociations entre les promoteurs du projet, le groupe « Pierre et Vacances » et les responsables politiques  et administratifs de tous niveaux (Etat, Région, département, commune), le feu vert a été donné à la mise en chantier, sur un terrain de 202 hectares d’un Center parcs, un équipement de loisir comprenant 1000 « cottages » autour de divers équipements récréatifs, dont un « Aquamundo », énorme bulle transparente où l’on créée une atmosphère tropicale artificielle avec piscine chauffée, arbres et animaux exotiques,  parcours aquatiques, jacuzzi etc…). Le concept de Center parcs c’est, pour employer le sabir globish en usage dans le secteur de l’industrie touristique, le low cost de la wellness, en clair un espace près de chez soi, où, pour une somme relativement modique, les familles de la classe moyenne inférieure peuvent aller buller, et évacuer leur stress, dans un décor similaire aux « resorts » luxueux des Maldives eu de l’île Maurice. C’est le Club Med sans « Med », un modèle économique qui privilégie le choix de zones déshéritées, donc à bas coûts fonciers, pour y créer des paradis tropicaux artificiels. Ainsi, les cinq Center parcs français se situent ainsi dans l’Aisne, les Vosges, le Limousin, L’Eure), dans des secteurs sans attraits touristiques évidents.

Le plateau de Chambaran est, depuis la nuit des temps, la Cendrillon du Dauphiné : la terre y est si stérile que les moines du Moyen-âge jugèrent inutile de procéder à son défrichement, préférant mettre en valeur les  fertiles vallées alpines et des massifs plus propices au pastoralisme, comme la Chartreuse. La forêt de feuillus et les taillis qui recouvraient ce sol pauvre était, jadis, le domaine des bêtes sauvages, le refuge des bandits de grand chemin, des révoltés dont le plus célèbre est Louis Mandrin, héros populaire  originaire des lieux, contrebandier et ennemi juré des fermiers généraux affameurs du pauvre peuple, condamné à mort et roué à Valence en 1755… Jusque dans les années soixante dix du siècle dernier, on exploitait la forêt pour produire du charbon de bois, longtemps le seul combustible disponible pour la métallurgie dans des régions dépourvues de houille. Cette activité, pratiquée par des ouvriers souvent venus de Sicile[1. Les descendants des travailleurs immigrés transalpins sont présents dans le monde politique dauphinois, comme le ministre André Vallini, ou l’actuel président du conseil général Alain Cottalorda, fervent défenseur du projet Center Parcs.] a complètement cessé depuis la fermeture des usines Pechiney d’Isère et de Savoie, qui utilisaient le charbon de bois pour la fabrication d’aciers spéciaux.

Trop éloignée des centres urbains pourvoyeurs d’emploi pour se transformer en une zone périurbaine du genre de celles décrites par le géographe Christophe Guilly, la région de Chambaran est devenue une poche de chômage endémique dans une région Rhône-Alpes pourtant moins défavorisée que d’autres. Le projet de Center parcs, de ses six cents emplois, directs et induits, dans un secteur où six mille personnes pointent à Pôle emploi est donc survenu  à un moment où  le spectre d la mort économique et de la désertification rôdait autour du village de Roybon (1400 habitants),  et les terroirs alentours.

Pour donner une idée de l’emprise du Center Parcs sur le milieu naturel de la forêt de Chambaran, il faut mettre en regard les 202 ha de la zone aménagée, la superficie d’une grosse ferme beauceronne, avec les 7300 ha de bois, zones humides et taillis du plateau, dont déjà 250 ha ont été classés parc naturel, avec protection totale des animaux et végétaux présents sur le site. Il n’y avait pas péril écologique en la demeure,  sauf à considérer que les tracas causés aux lombrics, lors des actions de défrichage et de construction, par les pelleteuses constituent un crime écologique imprescriptible. Aucun dommage irrémédiable au milieu naturel n’est donc à redouter de cet aménagement touristique, à moins que l’on estime que les écureuils, les grenouilles ou les papillons ont un droit patrimonial inaliénable à demeurer sur les quelques hectares constituant leur territoire. Le rapport de la commission publique d’enquête, devenu la bible des opposants écolos au projet, est un exemple parfait de chicane pseudo experte.

Les commissaires enquêteurs ouvrent tout grand leur parapluie en s’appuyant sur l’hyper réglementation française et européenne de protection de la nature et le fameux principe de précaution étendu à l’infini pour empêcher toute initiative, au motif que l’existant, tout l’existant doit être préservé, à l’exception des ressortissants de l’espèce humaine présents sur les lieux, et qui cherchent à y demeurer dans des conditions décentes…

C’est donc à raison que l’Etat et les collectivités locales (de droite comme de gauche) sont passés outre ces conclusions aberrantes et ont donné le feu vert au démarrage du chantier, même si quelques recours devant le tribunal administratif, dont l’issue défavorable aux opposants ne laisse guère de doute, ne sont pas encore tranchés. Peut-on laisser une minorité agissante, armée d’une foi inébranlable dans leur mission de sauvetage d’une nature fétichisée, imposer sa loi à une majorité populaire ne partageant pas ces convictions ? Même si l’on n’est pas un fan du modèle Center parcs, la question mérite d’être posée…

Mais restons en Isère, qui a le privilège, depuis mars 2014, d’avoir la première métropole régionale, Grenoble, dirigée par un maire EELV, Eric Piolle,  qui s’est allié au Front de Gauche pour déboulonner la municipalité socialiste sortante. Eric Piolle est une sorte de Robert Ménard, version écolo-gauchiste, dont le talent consiste principalement à susciter le buzz autour d’initiatives spectaculaires dans sa ville pour soigner sa notoriété médiatique nationale. Dès son accession au siège de premier magistrat de la ville natale de Stendhal, Eric Piolle a décidé de diminuer de 20% les indemnités de membres de l’exécutif municipal. Incidence minime sur l’équilibre des finances, mais retombées médiatiques maximales ! Tout le monde sait bien, pourtant, que les misérables compensations financières accordées aux élus locaux (bien inférieures à celles de leurs homologues de pays européens comparables) ont pour conséquence un poids démesuré, dans les décisions, de la technostructure administrative territoriale face à des élus contraints de concilier les exigences de leur mandat et l’obligation de faire bouillir la marmite familiale…

Une fois l’effet fric estompé, on lance un nouvel attrape-gogos sur lequel  les médias et réseaux sociaux se précipitent comme la truite sur la mouche : à Grenoble, les Verts sont écolos ! La preuve ? Ils vont remplacer les bruyantes et  polluantes tondeuses à gazons et débrousailleuses thermiques par des « moutondeuses ». Il s’agit d’utiliser une race d’ovins originaires de l’ile de Soay, en Ecosse, pour transformer les espaces verts grenoblois en gazon anglais, tout en préservant, au nom de la biodiversité, une race promise, sinon, à l’extinction. On vit donc pendant quelques semaines, ces intéressants bestiaux pâturer dans les friches entourant le fort de la Bastille dominant la rive droite de l’Isère. Bingo ! Tout le monde en a causé, en oubliant que cette méthode de défrichage, économiquement rentable lorsqu’il s’agit de terrains inaccessibles aux engins traditionnels, est utilisée depuis belle lurette par des villes plus discrètes, Lille et Lyon par exemple, sur les terrains escarpés entourant les forts hérités de Vauban.

Les moutons sont donc rentrés à la bergerie, mais la soif de notoriété de M. Piolle semble inextinguible : la démocratie grenobloise sera par-ti-ci-pa-tive ou ne sera pas ! S’inspirant de la Suisse voisine, la nouvelle municipalité décide d’instaurer des « votations » à l’échelle locale : toute initiative portée par au moins 2500 signatures de citoyens devra obligatoirement faire l’objet d’un débat au conseil municipal, et toute proposition soutenue par au moins 8000 personnes sera soumise à un référendum. Malheureusement pour Eric Piolle, l’opposition de droite l’a pris au mot, et est actuellement sur le point de réunir les 8000 signatures demandant l’installation de caméras de surveillance destinée à lutter contre l’insécurité sur la voix publique. La nouvelle municipalité se piquant de privilégier l’approche préventive à la répression dite sécuritaire avait, d’ailleurs, remplacé l’intitulé du poste d’adjoint sur ces affaires, qui n’est plus chargé de la sécurité publique, mais de la « tranquillité », ce qui ne semble pas, toutefois, avoir provoqué une baisse notable des agressions et des incivilités dans l’espace urbain…Aux dernières nouvelles, toutes les astuces procédurières sont à l’étude dans le bureau du maire pour empêcher la tenue d’un référendum «  caméras », dont l’issue est prévisible…

Don Quichotte avait ses moulins à vent, Eric Piolle a ses « sucettes » Decaux, ces panneaux de mobilier urbain à usage publicitaire (Ah !  les «  leçons d’amour des dessous  Aubade » quels doux souvenirs !), considérés par ces messieurs-dames de l’écologie politique comme une intolérable pollution de l’esprit des citoyens arpentant la ville. A notre connaissance, l’appel du peuple grenoblois à leur suppression n’a pas été déchirant, mais, là encore, l’effet buzz à été grandiose. David Piolle contre Goliath Jean-Claude Decaux, le Napoléon de l’abribus, ç’est grave vendeur ! Sauf que le manque à gagner, environ 150 000€ par an, intervient dans une conjoncture où les collectivités locales doivent se serrer la ceinture pour cause de réduction importante des dotations de l’Etat. Pour Eric Piolle, pas de problème : cette perte sera compensée par une baisse équivalente des « frais de protocole » de la Mairie, qui ne devrait, désormais, plus servir que des chips bio et du jus de pomme sans additif, en quantité limitée, lors des raouts officiels.

On aimerait bien le croire, mais il se trouve que, quelques jours plus tard, on apprenait la suppression brutale et totale de la subvention municipale de 400 000 € à l’orchestre classique  « Les Musiciens du Louvre », dirigé par Marc Minkowski, seule institution culturelle  de rayonnement international implantée à Grenoble. En matière de culture, la municipalité Piolle se veut résolument plurielle : Mme Catherine Bernard, est adjointe aux cultures, avec un s ! Et comme gouverner c’est choisir (Pierre Mendès-France a été député de Grenoble…), c’est plus simple de dégager Minkowski, délocalisable à Singapour ou Toronto en raison de son talent, que de baisser de 15% les subventions de tout le monde, pour cause de vaches maigres. Au cul la culture bourgeoise,  Jean Philippe Rameau et même le régional de l’étape Hector Berlioz ! Tournée générale de shit  dans les lieux culturels de la «  diversité » épargnés par le couperet budgétaire !

Et c’est ainsi que Grenoble redevient doucement le Cularo[2. Henri Beyle, alias Stendhal, affectait, par mépris, de désigner sa ville natale par son nom celtique de Cularo, plus adaptée, phonétiquement, selon lui, à la médiocrité de ses édiles.] de Stendhal, où l’on ne pourra, comme l’avouait Henri Beyle que « foutre pour se désennuyer »… de la bêtise verte.

*Photo : XAVIER VILA/SIPA. 00699821_000063.

Toute alternative à la prison va dans le bon sens

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eric dupond moretti

Avocat pénaliste de renom, Me Éric Dupond-Moretti, membre du barreau de Lille, a notamment plaidé dans l’affaire d’Outreau.

Daoud Boughezala : De plus en plus de procédures judiciaires ouvertes contre des délinquants débouchent sur des peines légères, voire de simples rappels à la loi. Pensez-vous que la justice française soit trop laxiste ?

Eric Dupond-Moretti : C’est une plaisanterie ! A chaque échéance électorale, on utilise la sécurité comme thème majeur, à défaut de pouvoir résoudre les grands problèmes économiques de ce pays. On accrédite ainsi l’idée que la France est devenue un coupe-gorge, que les juges sont laxistes et favorisent les délinquants aux dépens des victimes. En réalité, il n’y a jamais eu de peines aussi lourdes prononcées qu’aujourd’hui.

Pourtant, les primo-délinquants échappent presque toujours à la prison…

Allez passer une après-midi au tribunal en comparution immédiate et  vous verrez. Moi, ce que j’observe, c’est que des tas de gens sont incarcérés alors qu’ils n’ont strictement rien à faire en prison – les délinquants routiers, les pères divorcés coupables de défaut de paiement de la pension alimentaire, etc.[access capability= »lire_inedits »]  Quand j’ai commencé ma carrière d’avocat il y a une trentaine d’années, il était rarissime qu’on prononce une peine de quatre ans d’emprisonnement ferme dans un tribunal de grande instance comme Lille tandis qu’aujourd’hui, c’est monnaie courante. On glose beaucoup sur les chiffres mais la population pénale représente 70 000 personnes dans un pays de 70 millions d’habitants. Il y a quinze ans, quand l’ancien médecin-chef à la prison de la Santé Véronique Vasseur a courageusement sorti son livre accablant sur la situation carcérale, tous les politiques se sont émus. Mais une fois le soufflé retombé, les actes n’ont pas suivi. Au contraire, on a multiplié les effets d’annonces : l’arsenal punitif s’est considérablement étoffé pour un bénéfice social nul, puisque la délinquance ne baisse pas.

Je vous accorde ce dernier constat. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec la condition carcérale, puisque les juges ont massivement recours au bracelet électronique. Faut-il désengorger nos prisons à tout prix ?

Tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens, tant celle-ci remplit mal son triple rôle : mettre à l’écart un individu jugé dangereux  pour la société à un moment donné, lui permettre de se réinsérer, et bien sûr le punir. On ne sauvera pas la paix sociale en envoyant les condamnés dans des lieux où règnent des « conditions inhumaines et dégradantes », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme. Sachez qu’à l’issue de son enquête sur les prisons, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil-Robles a placé la France juste au-dessus de la Moldavie ! Si un ours des Pyrénées était enfermé comme beaucoup d’êtres humains dans les prisons françaises, on verrait les gens défiler pour dénoncer la condition plantigrade.

Ces arguments humanitaires, aussi louables soient-ils, font peu de cas de l’effet dissuasif de l’incarcération. Je ne vous apprendrai pas que la prison est censée prévenir le premier délit et éviter la récidive.

Un individu qui s’apprête à commettre un délit a la certitude qu’il ne se fera pas pincer. Il  ne consulte pas la gazette judiciaire qui annonce la condamnation d’un quidam à deux ans de prison quelques jours plus tôt ! Chez les mineurs en particulier, le séjour carcéral constitue au contraire un galon que certains portent avec fierté. Je me réfère donc à Victor Hugo : « Ouvrez une école et vous fermerez une prison. » au risque de me faire traiter de bobo de gauche droit de l’hommiste du Café de Flore !

Ça ne vous va pas si mal, mais à Causeur, le nom d’oiseau n’est pas notre genre. J’apporterai même un peau d’eau à votre moulin : il paraît qu’un nombre croissant de magistrats ont la main très lourde à l’encontre de citoyens qui se défendent ou interviennent pour défendre un tiers.

Je ne sais pas d’où sortent des âneries pareilles !

De l’interview d’à côté, si je puis dire, c’est-à-dire de quelqu’un qui, jusqu’à une date récente, officiait au Tribunal d’Orléans….

Il y a autant de jugements qu’il y a de juges. À ma connaissance, il n’y a pas de circulaire définissant l’attitude à avoir à l’égard de tel ou tel type de délinquance. Contrairement à ce que vous prétendez, des juges considèrent généralement les individus qui prêtent main forte à une victime comme des héros plutôt que comme des délinquants, ce dont je me félicite. Une loi déjà ancienne autorise même la légitime défense dans le cas d’attaques nocturnes contre les biens.

La formation de comités de surveillance et de vigilance pour pallier les carences de la police est un phénomène relativement récent. De même que le regain d’intérêt des Français, souvent urbains, pour le port d’armes et le permis de chasse. Tout cela vous inquiète-t-il ?

Que des commerçants s’associent pour surveiller leurs biens, cela a toujours existé. Mais je concède volontiers que des quartiers ont été gangrenés par la délinquance et connaissent peut-être une  recrudescence de l’autodéfense que je ne peux pas mesurer car je ne suis pas ministre de l’Intérieur. Puisque vous évoquez les béances du service public, je vous rappelle que l’Etat est en faillite, ce qui empêche la justice d’avoir les moyens de faire son travail et accroît encore les difficultés.

Tentons une motion de synthèse. Il me semble deux éléments se conjuguent pour former un cercle vicieux : d’un côté, la déliquescence du service public qui mine l’efficacité de la police et de la justice ; de l’autre, un ensauvagement général de la société…

C’est vrai. On vit une époque singulière d’égoïsme, de dureté, d’inhumanité et de peur de l’Autre. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les travaux du linguiste Alain Bentolila. Il rappelle que les fondements d’une nation, ce sont une culture et une langue communes. Or, nous ne parlons plus la même langue que certains jeunes Français. Prenons un exemple. Quand des gens qui ont un minimum de culture  se bousculent, ils se parlent immédiatement de façon à apaiser les tensions. Mais lorsqu’au lieu de dire « pardon monsieur excusez-moi », un jeune lance « nique ta mère », la tension s’exacerbe et cela bastonne.

Comme dirait Lénine, que faire ?

Je n’en sais rien mais je me pose de vraies questions sociétales. Comme se le demandait Nicolas Sarkozy, le policier a-t-il vocation à jouer au rugby avec les enfants des cités ? Faut-il ou non une police de proximité ? Malheureusement, surtout dans nos banlieues qui concentrent les difficultés, on peut poser plus de questions qu’on ne peut apporter de réponses. L’homme qui se dirait prêt à devenir ministre de la Ville car il a des solutions,  celui-là aurait toute mon approbation, toute mon admiration, mais aussi toute ma circonspection ![/access]

*Photo :  Hannah.

La France, 5ème puissance mondiale depuis 500 ans

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france puissance giscard

La France traverse une grave crise de confiance. Confiance dans sa capacité à affronter les mutations du monde. Confiance dans ses élites dirigeantes et leur capacité à maintenir notre pays à son rang. Les sujets d’inquiétude sont certes nombreux,  mais à y regarder de plus près les raisons d’être optimiste sont très nombreuses car, bon an mal an, et malgré les aléas de l’Histoire, la France se maintient depuis 500 ans à la 5ème place mondiale. Regardons sur quoi repose cette 5ème place assez homogène selon les secteurs :

  • PIB =  5ème place (2900 Mds, 1 = USA, 2 = CH, 3 = JA, 4 = RFA)
  • Exportations  = 5ème exportateur mondial (600 mds €   , 1= CH, 2 = RFA, 3 = USA, 4 = JA)
  • Exportations agricoles = 4ème exportateur mondial (1 = USA, 2 = Pays-Bas, 3 =  Brésil, 5 = 5 RFA)
  • Productivité du travail = 5ème rang mondial en productivité annuelle par travailleur, 3ème rang mondial en productivité horaire,  (1 = USA, 2 = Irlande, 3 =3 Lux, 4 = 4 Bel )
  • Production industrielle =  7ème place (300 Mds, 1 = CH, 2 = 2 USA, 3 = JA, 4 = RFA, 5 = Brésil, 6 = IT)
  • Grandes entreprises = 4ème rang mondial des 500 plus grandes entreprises ( 1 = USA, 2 = CH, 3 = JA, 5 = RFA)
  • Rayonnement scientifique / Prix Nobel scientifiques = 4ème rang mondial (1 = USA, 2 =  UK, 3 = RFA)
  • Rayonnement linguistique = le français 6 ème langue parlée dans le monde (274 millions de francophones, 1 = mandarin, 2 = anglais, 3 = espagnol, 4 = arabe, 5 = 5 hindi)
  • Rayonnement numérique / Nombre d’abonnés au haut débit internet = 5ème rang mondial ( 23 millions, 1 = USA, 2 = CH, 3 = JA, 4 = RFA,  6 =  UK)
  • Attractivité économique / stocks d’investissements étrangers : 4ème rang mondial (960 Mds, 1 = USA, 2 = UK, 3 = CH, 5 = Belg, 6 = RFA)
  • Attractivité touristique : 3ème rang mondial en termes de recettes (1 = USA, 2 = Esp, 4 = IT)
  • Rayonnement culturel / production de films = 5 ème rang mondial (1 = IN, 2 = CH, 3 = USA, 4 = JA)
  • Espérance de vie = 5ème rang mondial  (81, 19 ans   , 1 = JA, 2 = Singapour, 3 = Aus, 4 = Can)
  • Puissance militaire = 5 ème rang global, 3ème rang nucléaire (ex æquo avec UK , 1 = USA,  2 =  RUS , 3 = CH,  4 = IN)
  • Puissance financière = La place de Paris occupe le 4ème rang mondial en terme de capitalisation et le 6ème en terme de volume d’échanges (1 = USA, 2 = JA, 3 = CH, 4 = UK)
  • Puissance bancaire = 2 banques françaises dans les 10 premières banques mondiales. Et l’ensemble des banques françaises détiennent une part du marché mondial qui place la France dans le Top 5 mondial  avec les USA, la Chine, le Royaume-Uni et les Pays-bas.

Ces indicateurs sont certes disparates et incomplets, mais ils donnent le ton : dans le concert des nations, la France occupe aujourd’hui la cinquième place mondiale. Il  y a certes des tendances qui nous sont défavorables, notamment dans la production industrielle qui régresse chaque année en France. Mais que ce soit sur des indicateurs économiques, financiers ou sociaux et culturels, la France est toujours globalement en cinquième position. Certains objecteront que ce qui compte avant tout n’est pas tant la place à un instant T  que la tendance générale. Mais, c’est justement là que réside l’originalité de la France en comparaison de ses compétiteurs : depuis 500 ans la France est vaille que vaille la cinquième puissance mondiale. C’est sa place et elle s’y accroche.

Regardons ce qu’il en est au cours des siècles :

  • À la Renaissance, la France occupe la 5ème place mondiale derrière la Chine, l’Inde, l’empire Ottoman et l’Espagne.
  • 200 ans plus tard, à la mort de Louis XIV, la France est la 4ème  ou 5ème  puissance mondiale, derrière la Chine, l’Inde,  l’empire Ottoman, et peut-être la Perse.
  • En 1815 après l’effondrement de l’Empire napoléonien, la France était la 4ème puissance mondiale derrière la Chine, l’Inde et le Royaume-Uni.
  • Cent ans plus tard à la veille de la première guerre mondiale,  la France était 5ème si on y ajoutait ses colonies,  7ème puissance sans ses colonies , derrière  les USA, la Chine, l’Allemagne, la Russie, le Royaume-Uni,  l’Inde.
  • La France reconquiert sa  5ème place mondiale après la seconde guerre mondiale (elle atteint cette place au tournant des années 70) malgré la perte de ses colonies. 5ème place mondiale qu’elle conserve jusqu’à nos jours.

Ce tour d’horizon nous montre que depuis 500 ans environ, la France en tant que puissance mondiale, navigue sur la crête de la cinquième place. Et ce malgré de grands bouleversements dans les 4 premières places du classement : l’effondrement de l’empire ottoman au XIX° siècle, l’irruption des USA en tête du peloton au XX° siècle, l’endormissement de la Chine au XIX° siècle puis son réveil au XXI°, la disparition de l’empire espagnol, la révolution industrielle initiée par le Royaume-Uni et son lent déclin, la montée en puissance de l’Allemagne après son rebond démographique à la fin du XIX° siècle.

On voit que la France occupe une place originale et constante. La cinquième. Elle ne doit d’ailleurs pas cette place aux mêmes causes : Si la France occupe la cinquième place mondiale au XVI° et au XVII° siècle , elle le doit sans doute à sa démographie très  dynamique, la France étant alors le pays le plus peuplé d’Europe. Par contre, pour des raisons inverses, l’effondrement démographique français au XIX° aurait pu provoquer notre recul. Nous l’avons compensé en partie par l’impérialisme en nous constituant le 2ème empire colonial mondial. Avec la fin de colonies, on aurait pu craindre une rechute, mais ce sont les grands projets gaulliens et le statut politique original que la France avait acquis en Europe à la fin de la seconde  guerre mondiale qui lui ont permis de reconquérir notre place perdue avec le désastre de 1940.

D’où nous vient alors ce pessimisme ambiant ? Si on essaie de s’extraire de la conjoncture économique et politique actuelle, il faut certainement le situer au tournant des années 70. Quand le président Giscard d’Estaing rompant avec la dynamique gaulliste nous réduisit à une infime portion de la population mondiale en nous affirmant qu’un pays de 50 millions d’habitants ne représentait finalement pas grand chose sur une planète de 6 milliards d’humains et nous invitait à nous convertir à l’Europe supranationale.

Cette affirmation était dénuée de tout fondement analytique et historique, on l’a vu : la France occupe depuis 500 ans la cinquième place mondiale, quelques soient les innombrables ruptures économiques, démographiques, géopolitiques qui sont intervenues dans le monde. Nous la devons à la conjonction de plusieurs faits incontournables dans le domaine culturel, géographique : la place incomparable que la France occupe en Europe avec 3 façades ouvertes sur la mer du Nord, l’Atlantique et la Méditerranée, la confluence des cultures latines et germaniques, la cohabitation d’au moins trois fonds anthropologiques qui font la diversité et l’originalité françaises – les familles nucléaires dans le bassin parisien, les familles souches  sur les marches de l’est et de l’ouest, les familles communautaires dans le centre et sur l’arc méditerranéen.

Quoi qu’en disent les défaitistes et les déclinistes de tout acabit, la France s’est toujours battue sur la crête de la cinquième place mondiale. Et la France, même si certains le voudraient, restera toujours aux confluents de la plaque européenne où se conjuguent la culture, une religion de paix, une conscience sociale élevée, un génie industriel incomparables.

Giscard nous a endormis en nous faisant croire que la France ne pourrait désormais plus rien seule. Les élites françaises qui sont antinationales (et l’ont toujours été… C’est une des particularités du « génie français) lui ont emboîté le pas avec allégresse. L’Europe devenait notre unique horizon, notre planche de salut. Mon propos n’est pas ici de remettre en cause toutes les avancées européennes, mais de poser une question.

« Les institutions européennes doivent-elles être, peuvent-elle être un levier conjoncturel pour permettre à la France de maintenir son rang de cinquième puissance mondial qu’elle occupe depuis 500 ans ? Ou doit-on considérer l’Europe comme un facteur de renoncement à défendre la place de la France dans le monde ? »

Cette question est centrale. Et si la France doit s’effacer derrière l’Europe personne ne nous a dit pourquoi. En tout cas, l’Histoire nous prouve que cette injonction ne repose sur aucune donnée valable. Ni au cours des 500 dernières années, ni très probablement au cours du siècle qui s’ouvre à nous.Revendiquer pour la France au XXI° siècle la place de cinquième puissance mondiale, refuser que la France se dissolve dans un espace paneuropéen sans limites, ce n’est pas nous enfermer dans une logique à la nord-coréenne. C’est au contraire retrouver les sources d’un dynamisme et d’un optimisme renouvelés. C’est reconquérir l’énergie qui nous manque aujourd’hui pour défendre notre rang.

Transhumanisme : vers l’obsolescence de l’homme?

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robots transhumanisme anders

La modernité pratique l’incarnation à l’envers, écrivait Georges Bernanos, dans La France contre les robots. Ce n’est désormais plus une information. Le transhumanisme, et son penchant techniciste, est le phénomène qui s’empare des colloques et des universités. Les 20, 21 et 22 novembre derniers, se tenait à Paris le premier rendez-vous transhumaniste, Transvision 2014, sous la direction de plusieurs associations transhumanistes. Ceux qui y ont assisté pouvaient notamment participer, selon les organisateurs, à une « conférence Imaginaire sur la question des implants cochléaires, implants qui permettent aux sourds de retrouver en partie l’audition, avec toujours présente l’idée d’ouvrir le champ des réflexions par le biais artistique et de plonger le public dans un imaginaire, un « possible » ».  Les sourds entendront, les aveugles verront, les paralysés joueront au beach-volley. On appelle cela  « le champ des possibles », mais c’est surtout, n’en déplaise au technophiles, l’impossibilité d’un champ. Avec sa terre friable ou sèche, avec sa rangée d’aubergines que vient ronger le chant des insectes. Autant de vestiges dont le transhumaniste voudrait bien se passer, tant ils rappellent la présence pesante d’un corps, qui mange, qui vit,  et charrie son fatras d’organes.

Car la question du transhumanisme est avant tout celle de la chair. Un homme, journaliste et écrivain de son état, qualifie l’affaire de « pudibonderie » des temps modernes. Jean-Claude Guillebaud a sans aucun doute raison. Ce samedi, au colloque « Transhumanisme, une idée chrétienne devenue folle ? », organisé par le philosophe Fabrice Hadjadj et l’institut Philanthropos aux Bernardins, Guillebaud a rappelé que l’enjeu du siècle était bel et bien celui de la technique. En 2007, l’humanité a vécu une révolution largement passée sous silence. Elle est devenue majoritairement urbaine. Elle ne vit plus rivée à la terre, mais vissée au béton. Pour le journaliste, les technophiles qui se réjouissent de ce changement affichent « un mépris pour le corps qu’aucun puritain n’a jamais pensé dans l’histoire ».  Le constat est entendu depuis un demi-siècle. Jacques Ellul, maître à penser du journaliste, l’avait déjà rendu en 1954, en publiant La technique ou l’enjeu du siècle. Dans ce maitre ouvrage, il énonçait clairement la situation : «  l’homme reporte son sens du sacré sur cela même qui a détruit tout ce qui en été l’objet : la technique ». La religion moderne tient dans ce credo : la technique est grande, le transhumaniste est son prophète. Avec ce constat d’envergure : les transhumanistes créent eux-mêmes les conditions de la fin.  Comme l’a rappelé Guillebaud, cette idéologie est profondément évolutionniste et progressiste. Elle croit en l’extinction du plus faible. Pour preuve, à la question « Que ferez-vous des humains non-hybrides ? » Hans  Moravec, l’un de ses représentants,  n’hésite pas à répondre ceci : « les dinosaures ont bien disparus ».

La critique de la technique ne saurait être dupe d’elle-même. Chez les philosophes présents au colloque ce week-end, elle a moins pour but de dénoncer la machine que de déplorer les nombreuses expropriations dont la technique est coupable. Coupable de quoi, au juste ?  Dans un monde automatisé, chaque partie du corps est récusée une à une. La main, les jambes, le sexe. En langage marxiste, on appelle cette expropriation l’ « accumulation par dépossession ». Un exemple : pour le philosophe Olivier Rey, invité ce samedi au colloque, la possibilité de subvenir à nos besoins sans être obligés de recourir à autre chose qu’à ses jambes( les transports en commun, la voiture) s’est en partie anéantie. Autrement dit, « tout en prétendant augmenter la liberté des hommes, la technique a transformé le monde de telle sorte qu’un être humain réduit à ses seules capacités corporelles se trouve, aujourd’hui, dans une situation à peine meilleure que celle d’un grabataire. ». Pour dire vite : la technique moderne supprime une faculté naturelle, et la reconstitue sous forme de produit de consommation. Lorsque vous achetez une voiture, ce sont vos jambes que vous rendez obsolètes. Quant au capitalisme, il doit sans cesse recourir à l’invention de nouveaux marchés et fractionner sa marchandise autant que possible. Seulement voilà, arrivé à un certain stade, le marché  transforme le consommateur lui-même en marchandise. Pour Olivier Rey, c’est le point d’orgue de « l’homme auto-construit », fractionné en rouages et , pour ainsi dire, divisé pour mieux être régné. Pour l’occasion, ce samedi, le philosophe a lu Günther Anders. Dès 1956, le philosophe allemand décrit par l’anecdote un homme-marchandise, divisé comme autant de rayons de supermarchés : « L’homme qui prend un bain de soleil, par exemple, fait bronzer son dos pendant que ses yeux parcourent un magazine, que ses oreilles suivent un match et que ses mâchoires mastiquent un chewing-gum . Cette figure d’homme-orchestre passif et de paresseux hyperactif est un phénomène quotidien et international.[…]Si l’on demandait à cet homme qui prend un bain de soleil en quoi consiste « proprement » son occupation, il serait bien en peine de répondre. Son identité est tellement déstructurée que si l’on partait à la recherche de « lui-même », on partirait à la recherche d’un objet qui n’existe pas ». (L’Obsolescence de l’homme, Tome 1, trad. Christophe David, encyclopédie des nuisances, p.161).

Quel est le point commun entre le néolithique et l’industrialisation ? La révolution, bien sûr. C’est au tour du philosophe Jean Vioulac, qui vient de publier Apocalypse de la vérité (éd. Ad Solem) de prendre la parole. À l’instar d’Olivier Rey, ce qu’il conteste, ce n’est pas tant la technique que le progrès dont elle se réclame. Selon lui, « il faut récuser l’idée de linéarité » qui accompagne chaque nouvelle invention. Concrètement, nous rend-t-elle plus autonome ? Jean Vioulac y va sans détours : s’il ne sait pas recoudre une chemise, explique-t-il, c’est que l’industrie s’en charge pour lui. La main ? Congédiée, à son tour. « Lorsque l’homme a perdu la main sur l’outil, et que cet outil devient autonome, on parle alors de machine, rappelle-t-il en citant Marx ». Renversée. L’autonomie de l’homme n’était que momentanée. Désormais, il dépend des machines et « n’est plus capable du moindre savoir faire ». C’est ce qui fit dire à Michel Houellebecq cette célèbre phrase, note Vioulac, dans Les Particules Elémentaires : « Mes compétence personnelles sont largement inférieures à celles de l’homme de Neandertal ».  Régression de l’homme, avancée de la machine. Aussi y-va-t-il d’une certaine rouerie lorsque les transhumanistes parlent d’ « homme augmenté ». L’hybridation de l’être humain par les NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) n’inaugure pas un monde plus humain, mais plus mécanique. « Lorsque l’intelligence est conçue comme un ordinateur, déclarait Fabrice Hadjadj en ouverture du colloque, cela ne fait pas des surhommes, mais des sous-outils. L’époque où nous sommes est apocalyptique.  La technique est une contre-annonciation, puisqu’elle reconstruit la vie pour fabriquer des êtres entièrement fonctionnalisés. » Dans un monde entièrement automatisé, l’homme pourrait à tout moment provoquer sa propre obsolescence. Nous souffrons « d’une dislocation entre le logique et le généalogique, avance Fabrice Hadjadj». L’homme est pensé comme un individu communicant, et non plus comme « une fille, ou un fils héritier d’une langue ». Avec un sexe, des poils et une histoire qu’il n’a ni planifié ni fabriqué, mais recueilli,  comme on reçoit une aumône. C’est l’incarnation, à l’endroit.

*Photo : wikimedia.

GPA : le cynisme des naïfs

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GPA gaspard koenig pma

Il faut le reconnaître : Gaspard Koenig a le mérite de la cohérence. Hier, il rendait un hommage paradoxal à Jean-Luc Mélenchon, pour son anticléricalisme sentant le formol, en blâmant la vision de l’homme portée par le Pape François. Aujourd’hui, il récidive, en argumentant, toujours dans L’Opinion, son soutien au nouvel esclavagisme connu sous le sigle de GPA. Tout cela, au nom d’un libéralisme décomplexé.

Notre homme est formel : « il est difficile d’être libéral et de s’opposer à la gestation pour autrui ». Sur ce point, nous sommes d’accord avec lui. La question, ici, est de savoir comment les libéraux qui marchent avec la manif pour tous parviendront à se rendre compte qu’ils défendent des valeurs non-marchandes, mais célèbrent en même temps ce qui les nient. Citons le boutefeux de Valeurs Actuelles Yves de Kerdrel, virulent contre le mariage gay, mais qui écrivait en 2008 au sujet du travail dominical : « Est-il normal que la liberté de travailler, donc de s’épanouir et de s’émanciper, se trouve ainsi entravée ? » En changeant le terme « travailler » par « se marier » ou « commander un enfant par GPA », on croirait lire un porte-parole de l’Inter-LGBT.

La contradiction est encore plus flagrante aux États-Unis : les républicains se sont tirés une balle dans le pied dans leur combat pour préserver le mariage « traditionnel », comme ils disent, en acceptant dans le même temps la PMA et la GPA, au nom de la liberté d’entreprendre. Tagg Romney, fils du célèbre Mitt, lequel hésite à se présenter une nouvelle fois en 2016 à la tête du Parti républicain, a eu des jumeaux par mère porteuse. Si l’on accepte le droit à l’enfant, alors l’opposition au mariage gay est vaine, et vouée à l’échec. Le conservatisme américain a perdu ce terrain-là par fidélité au libéralisme. Dieu se rit des hommes qui déplorent des conséquences dont ils chérissent les causes.

Que Gaspard Koenig soit donc logique avec son libéralisme. Mais sa cohérence le rend vite arrogant et aveugle, comme quiconque s’en remet à une idéologie. Selon lui, la marchandisation que constitue la GPA est acceptable, puisque les femmes disposent librement de leur corps. Dès lors qu’il y a consentement, les problèmes disparaissent, pour Gaspard Koenig. Notre penseur estime que toutes les transactions se valent, et n’a pas un mot pour les femmes qui louent leur ventre, par besoin d’argent, dans les usines à bébés d’Inde, d’Ukraine, de Géorgie et du Mexique. Leur « liberté » est entravée par la nécessité et une situation de faiblesse.

Notre penseur croit avoir réponse à tout : « Craint-on les dérives, l’exploitation, les trafics ? Ils seront, comme toujours, d’autant mieux combattus que la légalisation permettra la régulation et le contrôle. C’est tout le sens de la «GPA éthique» ». Le problème, c’est que notre ami ment, ou se contredit lui-même sans s’en rendre compte, ce qui n’est guère plus rassurant. Interrogé sur France Culture le 4 juillet 2014, il reconnaissait que la GPA soi-disant éthique, n’existait pas : « On voit au Canada en fait, il y a très très peu de cas, et le meilleur exemple c’est le Nevada, puisque c’est un des seuls des États-Unis où la GPA n’est permise que sur le modèle du don, et à ce moment-là, tout le monde va en Californie. »

Sans doute par pudeur, notre cher Gaspard n’évoque pas le cas britannique. Au royaume de Sa Majesté, la GPA est permise sans transaction financière… Mais la mère porteuse est officiellement indemnisée, au titre des efforts physiques représentés par la grossesse. Ce qui équivaut sensiblement à la même situation de la GPA américaine. Les indemnités sont d’ailleurs trop élevées au goût de certains couples, qui préfèrent aller en Thaïlande.

Empêtré dans son relativisme, Gaspard Koenig se fait législateur, et imagine une acceptation totale de la PMA et de la GPA : « Plutôt que de laisser maladroitement émerger une génération de bébés Thalys, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique, en créant non pas un obscur droit à l’enfant, mais un véritable droit à naître, qui s’appliquerait au futur enfant en tant que projet parental ? » Entériner ce qui existe, au seul titre que cela existe, c’est un peu court, pour un penseur. Par ailleurs, le « droit à naître » des bébés Thalys, nés de PMA à l’étranger, d’où leur nom poétique, n’en est pas un. Non qu’ils ne méritent pas de vivre, mais que leur naissance s’oppose justement au principe des droits de l’homme : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Les bébés Thalys ne sont pas égaux aux autres. Leurs embryons sont sélectionnés par le diagnostic préimplantatoire utilisé pour la PMA, qui ouvre la porte à l’eugénisme, en assurant aux parents une garantie de « qualité » du bébé. En France, ce diagnostic est strictement encadré, limité aux maladies graves. Mais au Royaume-Uni, le strabisme est considéré comme rédhibitoire. Aux États-Unis, on en est à sélectionner le sexe et la couleur des yeux de l’enfant. Avec le transhumanisme, un formidable chantier s’ouvre pour « améliorer » l’individu.

La société que Gaspard Koenig appelle de ses vœux, ce n’est rien de moins que la plongée dans l’état sauvage décrit ainsi par le polémiste Ernest Hello, dans son pamphlet Le Jour du Seigneur : « l’état sauvage consiste dans le développement arbitraire et injuste des fantaisies de l’individu ». Cette sauvagerie achève de consacrer l’avènement et la supériorité du plus fort sur le plus faible, et dans le cas de la GPA, du riche couple occidental sur la femme indienne exploité. Si Gaspard Koenig ne le voit pas déjà, alors il ne reste qu’à lui souhaiter de poursuivre sa logique libérale jusqu’au bout. Et de devenir cynique, par naïveté.

*Photo : Pixabay.

Russie : le scénario du pire

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Abdellah El-Badri, le secrétaire général de l’OPEP, parle de manipulation des cours pour expliquer la chute continue des cours du pétrole. Compte tenu de la situation financière russe – la chute du rouble entraîne le pays vers la ruine -, on peut, on doit, s’interroger sur l’origine de ces manipulations.

Il n’est pas absurde d’imaginer que la manipulation des cours du pétrole et la spéculation à la baisse sur le rouble sont organisées par un pays qui a intérêt à voir l’économie russe s’effondrer et ce pays basculer dans le chaos.

Personnellement je m’interroge sur le rôle des USA et de la CIA dans cette affaire qui ne cachent pas leur intention de renverser Vladimir Poutine. Si c’était le cas, ce serait une attitude totalement irresponsable car il ne faut pas imaginer que la Russie implorera l’aide du FMI et se rendra à Canossa. Il est plutôt probable qu’elle cherchera à s’en sortir par la guerre.

Si ce scénario du pire s’avérait, l’histoire jugera durement les USA qui depuis dix ans par l’installation d’un bouclier anti-missiles en contravention avec le traité New START signé avec la Russie, puis avec le soutien (voire l’instrumentalisation) des putschistes de Maïdan anti-russes, puis avec les manipulations boursières pour faire s’effondrer l’économie russe, auront pris le risque d’une déstabilisation complète du continent européen.

Insécurité : les faits contre les chiffres

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insecurite chiffres delinquance

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 « Je suis de plus en plus préoccupé par l’insécurité qui se développe à Paris. (…) La montée de l’insécurité est due à l’afflux incontrôlé depuis trois ans d’une immigration clandestine de la plus mauvaise qualité. » L’auteur de ces propos est Jacques Chirac cuvée 1984. Mais peu importent au fond les palinodies du RPR ou du PS sur le sujet depuis trente ans : la bizarrerie tient en ceci que le « sentiment d’insécurité » n’ayant fait que croître tout au long de cette période, les gouvernements et les oppositions successifs se relayant pour l’exploiter ou le minorer selon leurs intérêts et positions du moment, on ne sait toujours pas réellement si l’insécurité au sens large est la même depuis les années 1970, si elle a augmenté ou si elle a diminué. Les chiffres bruts de l’homicide en France illustrent à merveille ce désaccord profond entre le sentiment de la population et les faits déclarés. Ainsi, entre 2000 et 2012, le nombre des homicides a chuté de près de 40 %, passant de 1 051 à 665. En revanche, les agressions violentes non crapuleuses augmentent régulièrement, 3 % de plus encore cette année. Est-ce dû au plus grand nombre de signalements ? À une présence accrue de la police ? À l’obsession médiatique ? À des chiffres trafiqués ?[access capability= »lire_inedits »]

En attendant, quand bien même l’insécurité serait seulement un « sentiment » sans lien avec la réalité, ce sentiment lui-même est un fait. Un autre fait est que « l’insécurité » est nettement associée à la présence d’étrangers ou perçus comme tels. Phénomène qui n’a rien de nouveau mais qui a tendance à se généraliser aujourd’hui. On accuse généralement le Front national d’avoir exploité et, partant, encouragé cette peur. En réalité, c’est la droite d’il y a trente ans qui a, la première, mis le sujet sur le tapis, au début des années 1980, au moment où la montée vertigineuse du chômage laissait craindre la formation de « classes dangereuses ». Non sans raison. Aujourd’hui, les dégâts de la mondialisation nourrissent encore un peu plus le sentiment d’« invasion ».

Reste à expliquer cette discordance persistante entre l’insécurité « réelle » et l’insécurité « sentie », discordance qui permet de disqualifier la seconde, sous le nom de « fantasme sécuritaire ».  Le criminologue Alain Bauer fustige le terme même : « Il n’y a pas plus de “sentiment d’insécurité” que de beurre en branche. Cette très mauvaise traduction de l’anglais “fear of crime” (“la peur du crime”) visait essentiellement à sous-estimer, voire à mépriser, les remontées des victimes. Il y a un climat d’insécurité porté par l’augmentation massive des atteintes et violences aux personnes. »

De bons esprits imputent l’importance, excessive selon eux, prise par la « question sécuritaire » dans la tête de nos concitoyens à la multiplication des moyens de police et de contrôle, qui ne ferait que braquer les projecteurs sur une réalité autrefois ignorée, avec la complicité de médias avides de sensations. En somme, ce n’est pas l’insécurité réelle qui augmenterait, mais l’insécurité mesurée.

Mais qu’ils soient cachés ou exhibés, que l’on souhaite apeurer la population ou la rassurer, tous les chiffres de la police sont trafiqués, c’est même la seule science sûre en la matière depuis deux siècles. Le dernier exemple en date de l’influence politique fâcheuse sur le travail de la maréchaussée serait, selon Bauer, la préemption des chiffres du nouveau service statistique ministériel de sécurité intérieure (SSMSI) par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur : le 19 novembre, les deux hommes ont brûlé la politesse à leurs experts et vanté devant la presse les excellents résultats de leur politique. C’est-à-dire qu’ils ont choisi de mettre en avant les bons chiffres. Le criminologue, plus apprécié à droite il est vrai, y voit « une sorte de brutale régression dans le traitement de l’information, a contrario de la volonté affirmée des derniers ministres de l’Intérieur ». Au nouvel outil ministériel, Bauer préfère l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale), toujours en activité : « Indépendant et efficace, il ne se base pas uniquement sur les plaintes enregistrées par les services mais aussi sur l’enquête nationale de victimation, qui a réussi à donner plus d’informations en cinq vagues de remontées que la statistique policière en cinquante ans. » Sans doute. On rappellera cependant que la « politique du chiffre » de Nicolas Sarkozy dans la police n’a pas eu de résultats très heureux. Et que les statistiques de l’insécurité n’étaient pas plus transparentes pendant son quinquennat.

De toute façon, dans la jungle des chiffres, il est difficile de démêler le faux du vrai. On peut au moins faire preuve de bon sens et observer que, dans de nombreuses communes urbaines, voire « sensibles », comme Montfermeil, la vidéosurveillance a permis de faire diminuer fortement la délinquance, alors que dans des communes jusque-là trop tranquilles, ou trop pauvres pour s’équiper, l’insécurité augmente.

Les statistiques font aussi apparaître de nouvelles tendances. Les derniers chiffres de l’ONDRP révèlent un déplacement de la délinquance vers la campagne ou le « périurbain ». Sur l’ensemble des agressions contre les forces de l’ordre, c’est de plus en plus souvent la gendarmerie qui est visée : dans ses rangs, 5 109 personnes ont été « victimes d’atteintes », soit près de 30 % de plus que l’année précédente. La baisse notable de la délinquance et de la criminalité en Seine-Saint-Denis et à Marseille (hors règlements de comptes du grand banditisme) semble corroborer ce diagnostic. L’ennui, c’est que, dans ces deux cas, le « sentiment » d’insécurité, lui, ne semble pas avoir bougé d’un iota. Ça ne leur suffit pas, à ces ploucs, qu’on ne tire pas à la kalach en bas de chez eux, ils voudraient encore qu’on évacue les dealers des cages d’escalier…

Y aurait-il deux France, une qui échapperait peu à peu à l’insécurité quand l’autre s’y enfoncerait ? Dans les zones de sécurité prioritaires (ZSP), mises en place sous le ministère de Manuel Valls, des progrès notables ont été accomplis dans la lutte contre le trafic de drogue, selon le dernier rapport parlementaire sur le sujet. Et les violences urbaines sont en baisse. Le gouvernement se félicite aussi de la baisse des cambriolages de 4,3 % et des vols à main armée de 14 % sur les dix premiers mois de l’année. Mais il y a la seconde France. Selon la Fédération française des assurances, les cambriolages avaient déjà bondi de 50 % de 2008 à 2013 et, d’après l’ONDRP, le pays subit un cambriolage toutes les quatre-vingt-dix secondes, les maisons de campagne étant particulièrement visées. Des campagnes longtemps épargnées, qui ont l’impression d’être livrées au pillage : toutes sortes de choses y sont volées, des animaux aux fruits et légumes, des outils aux tracteurs en passant par le carburant. Alain Bauer réfute cette interprétation : « C’est surtout la modernisation de l’outil statistique de la gendarmerie qui produit cet effet en obligeant à intégrer tous les faits. » Encore une fois, ce serait seulement le thermomètre qui s’affole.

Mais surtout, et c’est ce qui explique la persistance déplorable de ce fichu « sentiment d’insécurité », la violence au sens large, et particulièrement la violence gratuite, est en hausse dans 76 des 96 départements métropolitains, selon l’ONDRP. Parmi ces violences, celles dont le but est le vol diminuent de 2 % tandis que les violences « sans raison » (sauf à considérer qu’un regard est une bonne raison) augmentent, elles, de 8 %. À la fin du premier semestre 2014, la barre des 500 000 cas connus de violences aux personnes a été franchie pour la première fois. Les « coups et blessures volontaires suivis de mort » ont augmenté de 50 % en un an. Ce qui, il est vrai, représente « seulement » une cinquantaine de décès supplémentaires.[/access]

*Photo : Pixabay.

Quand les étrangers voteront…

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droit vote etrangers hollande

droit vote etrangers hollande

François Hollande a décidé, en (mauvais) élève de François Mitterrand d’agiter, une fois de plus, le chiffon rouge du droit de vote des étrangers aux élections locales. Pourtant, lors du débat de l’entre-deux-tours, il avait expliqué que, puisqu’il n’y aurait certainement pas de majorité pour voter cette réforme constitutionnelle, la proposition n°50 de son projet ne connaîtrait pas un début d’application. Mais voilà, le retour sur la scène politique de Nicolas Sarkozy lui a rendu de l’optimisme. Et il espère aujourd’hui réussir un exploit à la sauce corrézienne : gagner l’élection présidentielle face à un membre de la famille Le Pen alors qu’on était au fond du trou quelques mois auparavant. La tactique est simple : entre l’extrême droite et moi, il ne doit rien y avoir. Il faut alors mettre l’UMP dans une position difficile sur un sujet clivant, obligeant cette dernière à choisir soit le camp de Marine Le Pen, soit celui du Progrès.

Lundi, lors de son discours d’inauguration du musée de l’immigration, il a donc lancé un défi en forme de piège à l’UMP. Cette réforme, explique-t-il, doit recueillir l’approbation des deux chambres, dont le Sénat qui penche aujourd’hui à droite, puis la majorité des trois cinquièmes du Parlement réunis en Congrès. Il ajouté, avec une perfidie non dissimulée et satisfaite, qu’il reviendrait alors à l’opposition de « prendre ses responsabilités ». Habile, peut-être, mais un peu oublieux de ses cours de droit public, le Président a omis l’article 89 consacré aux révisions constitutionnelles. En effet, après l’approbation des deux chambres, la constitution prévoit une première voie, celle du référendum. Un alinéa suivant permet l’adoption par la voie du Congrès, si la première n’est pas choisie par le Président. Une proposition de loi constitutionnelle qui prévoit cette réforme du droit de vote a déjà été adoptée par le Sénat, alors majoritairement à gauche, en 2011. Il suffit donc que le Président fasse voter par sa majorité à l’Assemblée nationale le même texte approuvé par le Sénat et il ne resterait plus que la seconde étape.

Que doivent donc faire l’UMP et l’UDI pour se sortir du piège que leur tend François Hollande ? Invoquer la Constitution, tout simplement. Retourner le piège ! Et s’adresser à François Hollande en ces termes : « Puisque cette réforme vous est chère, et que vous craignez de ne pas obtenir de nous la majorité qualifiée nécessaire, pourquoi ne provoquez-vous pas un référendum ? Craignez-vous de ne pas connaître davantage le succès lors d’une consultation populaire ? Sinon, pourquoi s’en priver ? Si oui, n’attendez pas de nous que nous validions une réforme dont vous-même pensez qu’elle n’a pas l’agrément de notre peuple ».

L’opposition, sans même à avoir à se prononcer sur le fond du projet, retournerait le piège contre François Hollande. Cette manœuvre grossière apparaîtrait alors que pour ce qu’elle est, la maladresse d’un habile, qui instrumentalise les étrangers vivant sur notre sol dont il se fiche bien, à des fins tactiques dérisoires.

 *Photo : DELAGE JEAN-MICHEL/SIPA. 00526005_000009.

Un cadeau pour le Président

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noel hollande valls cnr

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Le Président, dans son bureau de l’Elysée, le 24 décembre au soir, n’avait pas le moral. Il s’apprêtait à rejoindre ses invités pour le réveillon mais il regardait les derniers sondages. C’était de pire en pire. Le Président avait beau savoir que les sondeurs racontaient n’importe quoi, par exemple que plus de 60% des Français rêvaient de Merkel, ils ne pouvaient pas se tromper à ce point là. Il fallait que le Président s’y fasse, on ne l’aimait pas. Mais alors pas du tout. Il se demanda, et cela lui arrivait de plus en plus souvent ces temps-ci, comment il allait terminer son quinquennat ou même s’il allait le terminer.

Le Président retira ses lunettes, se frotta les ailes du nez, soupira. On n’allait pas tarder à l’appeler pour rejoindre la petite fête. Il n’en avait aucune envie. Tout le monde ferait semblant que ça allait, qu’on allait dans le bon sens. Entre les petits fours et le champagne, on parlerait de la « nécessaire adaptation » de l’économie française et de la société à la mondialisation. On échangerait des cadeaux. Ce serait sinistre, en fait.

Une vilaine pensée traversa soudain l’esprit du Président.  Heureusement que certains n’avaient pas accepté la « nécessaire adaptation » en 1940. Parce que la « nécessaire adaptation », en 40, c’était Pétain, c’était la collaboration. TINA, comme disaient ses conseillers, ses économistes, ses partenaires européens. TINA, c’est à dire  There is not alternative. Il n’y a pas le choix. Imaginons que De Gaulle et les communistes aient réagi de la même manière, 70 ans plus tôt. « Bah non, on ne va pas résister, on n’a pas le choix. Il faut être réaliste. Et puis le modèle allemand, il a ses bons côtés. » Le Président frissonna. Quelle horreur…

Était-il aussi lâche que ça ?

Il se leva de son bureau. Il ne savait plus trop s’il avait trop chaud ou trop froid. Il ne savait plus s’il était de gauche ou de droite, social-démocrate ou social-libéral, président ou maire de Tulle.

Soudain, il trébucha. Zut, il s’était pris les pieds dans un tapis. Il se retourna. Il n’y avait pas de tapis. C’était bien lui, ça. Et ça résumait parfaitement sa politique : se prendre les pieds dans des tapis qui n’existaient pas…

– Suis-je si nul que ça ? se demanda-t-il à haute voix comme pour conjurer le silence de la pièce, le poids écrasant des moulures et des dorures, la sensation d’étouffement créée par les lourds rideaux cramoisis.

– Mais non, monsieur le Président, tu n’es pas si nul que ça. Tu manques juste un peu de courage !

Le Président sursauta. Il était pourtant persuadé qu’il n’y avait personne dans son bureau et l’huissier à la porte l’aurait prévenu de toute manière. Il chercha du regard dans la pièce et c’est alors qu’il vit, assis confortablement sur le siège de son bureau, le Père Noël qui fumait un cigare mahousse. S’il avait été amateur de cigare comme son prédécesseur, le Président aurait reconnu un Cohiba Behike 56.

– Qui êtes vous, monsieur ?

– Ça ne se voit pas, Président ? Je suis le père Noël.

Le Président hésita entre plusieurs hypothèses : un fou qui s’était introduit dans le palais, Mélenchon qui lui faisait une farce, Valérie Trierweiler qui essayait de nouveau le piéger, un retraité écœuré par la nécessité d’enchaîner des petits boulots pour survivre.

– Pas la peine de chercher, Président, je suis vraiment le Père Noël.

– Mais il n’existe pas !

-Première nouvelle ! Tu ne crois pas en moi, Président, alors que tu crois en la sincérité des patrons dans tous tes pactes de responsabilité, tes CICE, j’en passe et des pires ! T’avoueras que tu es difficile à suivre, Président…rigola le Père Noël en soufflant une grosse bouffée de son Cohiba.

-Mais qu’est-ce que vous me voulez ?

-Bah tu crois quoi ? Je suis venu te faire un cadeau ! C’est mon job après tout. Et j’ai bien compris que tu n’avais pas le moral. Alors je vais te donner un moyen de le retrouver, ton moral.

Le Père Noël quitta le  siège présidentiel et se pencha vers la hotte posée à côté du bureau. Il en retira une brochure à la couverture blanche un peu salie qui avait l’air assez ancienne.

-Tiens, joyeux Noël, Président. Tu m’excuseras, j’ai pas fait d’emballage cadeau.

Le Président regarda le titre de la brochure : Les jours heureux par le CNR. C’était un exemplaire d’époque, celui de l’édition clandestine du 15 mars 1944.

– Ça te fait plaisir, au moins, Président ?

– 70 ans, c’est si loin…

– Ça dépend du point de vue, Président. Ça ne doit pas être si loin que ça pour Kessler, un de tes amis du Medef puisqu’il a dit explicitement à plusieurs reprise qu’« il fallait en finir avec le programme du CNR ». Mais lis-le, toi, je suis sûr que ça pourrait t’intéresser !

Quand le Président releva les yeux, le Père Noël avait disparu. Il ouvrit la brochure au hasard et lut : « … retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ». Et puis, plus loin, « Un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ».

« Une vie pleinement humaine… » Il y avait encore l’odeur du cigare du Père Noël dans le bureau.

Le Président sourit d’un sourire qu’il n’avait pas eu depuis un bon bout de temps. C’était comme si un poids, le poids qui pesait depuis des années au niveau de son plexus solaire,  venait de se lever .

« Une vie pleinement humaine… » Après tout, pourquoi pas ?

Il prit son téléphone, fit un numéro et, au bout d’un instant, s’exclama presque joyeusement dans le combiné :

– Allô, Manuel ? J’ai une mauvaise nouvelle pour toi…

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00699955_000001. 

Les mille et une aventures de Fatima Allaoui

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fatima allaoui ump

Pour ne rien vous cacher, j’ai été assez amusé par  l’affaire Fatima Allaoui qui avait permis à Libération de titrer lundi dernier « Sarkozy nomme une secrétaire nationale d’extrême droite ». Apparemment d’après mes confrères, ladite dame leur aurait avoué sa forfaiture, et même les raisons profondes de celle–ci, «par désespoir de cause et pour augmenter ses chances d’être élue» aux élections cantonales du printemps prochain. Soit.

Mais peut-on jeter la pierre au président de l’UMP d’avoir promu cette dame ? Car jusqu’ici, elle avait fait preuve d’un antilepenisme tout à fait méritant, comme le montre, par exemple, ce tweet bouleversant d’enthousiasme, publié lors de la soirée télé des élections européennes, le 11 mai 2014.

fatima allaoui ump

Pas rancunier pour un sou, Florian Philippot  vient d’assurer qu’il serait ravi d’accueillir Fatima Allaoui dans les rangs du  Front national. Ira, ira pas, on verra…

En attendant, on se demande si la jeune transfuge va faire un peu de ménage sur son compte Twitter. Parce qu’en plus de multiples déclarations antimarinistes, on y trouve une flopée de messages encensant Nathalie Kosciusko-Morizet tel celui-ci, publié en septembre dernier, durant l’émission de France 2 Des paroles et des actes

fatima allaoui nkm

Oui, oui, la même NKM qui avait suggéré à Sarko de la nommer, et la même qui aussitôt après, s’est empressée de la virer…

Misère d’Isère

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chambaran verts isere grenoble

chambaran verts isere grenoble

C’est suffisamment rare pour être souligné : la majorité dite silencieuse d’un petit coin de France, celle qui tente de survivre sur le plateau de Chambaran, en Isère, est massivement descendue dans la rue (ou plutôt sur les chemins) du  village de Roybon, pour faire échec aux « zadistes ». Ces écologistes radicaux, qui pratiquent la transhumance entre les diverses «  zones à défendre » de l’hexagone (Notre Dame-des-Landes, Sivens),  croyaient avoir trouvé un nouveau terrain d’action favorable pour leur guérilla en venant soutenir les associations locales (très minoritaires) opposées à la construction d’un village de vacances Center Parcs au cœur de la forêt de Chambaran, située à l’ouest du département. Le 6 décembre, leur marche aux flambeaux pour «  un Chambaran sans Center Parcs » a réuni moins de 500 personnes, alors que le lendemain, à l’appel des élus locaux de tous les partis, à l’exception d’EELV, une manifestation en rassemblait cinq fois plus, pour demander la poursuite des travaux de défrichage entravée par l’occupation du terrain par les  zadistes. Encore traumatisés par la mort accidentelle du jeune Rémi Fraisse lors des affrontements entre les CRS et les manifestants opposés au barrage de Sivens, dans le Tarn, les pouvoirs publics n’étaient pas fait usage de la force pour empêcher les zadistes d’occuper le terrain, et de squatter une maison forestière située au milieu du chantier.

La situation est donc la suivante : au bout de sept ans d’études et de négociations entre les promoteurs du projet, le groupe « Pierre et Vacances » et les responsables politiques  et administratifs de tous niveaux (Etat, Région, département, commune), le feu vert a été donné à la mise en chantier, sur un terrain de 202 hectares d’un Center parcs, un équipement de loisir comprenant 1000 « cottages » autour de divers équipements récréatifs, dont un « Aquamundo », énorme bulle transparente où l’on créée une atmosphère tropicale artificielle avec piscine chauffée, arbres et animaux exotiques,  parcours aquatiques, jacuzzi etc…). Le concept de Center parcs c’est, pour employer le sabir globish en usage dans le secteur de l’industrie touristique, le low cost de la wellness, en clair un espace près de chez soi, où, pour une somme relativement modique, les familles de la classe moyenne inférieure peuvent aller buller, et évacuer leur stress, dans un décor similaire aux « resorts » luxueux des Maldives eu de l’île Maurice. C’est le Club Med sans « Med », un modèle économique qui privilégie le choix de zones déshéritées, donc à bas coûts fonciers, pour y créer des paradis tropicaux artificiels. Ainsi, les cinq Center parcs français se situent ainsi dans l’Aisne, les Vosges, le Limousin, L’Eure), dans des secteurs sans attraits touristiques évidents.

Le plateau de Chambaran est, depuis la nuit des temps, la Cendrillon du Dauphiné : la terre y est si stérile que les moines du Moyen-âge jugèrent inutile de procéder à son défrichement, préférant mettre en valeur les  fertiles vallées alpines et des massifs plus propices au pastoralisme, comme la Chartreuse. La forêt de feuillus et les taillis qui recouvraient ce sol pauvre était, jadis, le domaine des bêtes sauvages, le refuge des bandits de grand chemin, des révoltés dont le plus célèbre est Louis Mandrin, héros populaire  originaire des lieux, contrebandier et ennemi juré des fermiers généraux affameurs du pauvre peuple, condamné à mort et roué à Valence en 1755… Jusque dans les années soixante dix du siècle dernier, on exploitait la forêt pour produire du charbon de bois, longtemps le seul combustible disponible pour la métallurgie dans des régions dépourvues de houille. Cette activité, pratiquée par des ouvriers souvent venus de Sicile[1. Les descendants des travailleurs immigrés transalpins sont présents dans le monde politique dauphinois, comme le ministre André Vallini, ou l’actuel président du conseil général Alain Cottalorda, fervent défenseur du projet Center Parcs.] a complètement cessé depuis la fermeture des usines Pechiney d’Isère et de Savoie, qui utilisaient le charbon de bois pour la fabrication d’aciers spéciaux.

Trop éloignée des centres urbains pourvoyeurs d’emploi pour se transformer en une zone périurbaine du genre de celles décrites par le géographe Christophe Guilly, la région de Chambaran est devenue une poche de chômage endémique dans une région Rhône-Alpes pourtant moins défavorisée que d’autres. Le projet de Center parcs, de ses six cents emplois, directs et induits, dans un secteur où six mille personnes pointent à Pôle emploi est donc survenu  à un moment où  le spectre d la mort économique et de la désertification rôdait autour du village de Roybon (1400 habitants),  et les terroirs alentours.

Pour donner une idée de l’emprise du Center Parcs sur le milieu naturel de la forêt de Chambaran, il faut mettre en regard les 202 ha de la zone aménagée, la superficie d’une grosse ferme beauceronne, avec les 7300 ha de bois, zones humides et taillis du plateau, dont déjà 250 ha ont été classés parc naturel, avec protection totale des animaux et végétaux présents sur le site. Il n’y avait pas péril écologique en la demeure,  sauf à considérer que les tracas causés aux lombrics, lors des actions de défrichage et de construction, par les pelleteuses constituent un crime écologique imprescriptible. Aucun dommage irrémédiable au milieu naturel n’est donc à redouter de cet aménagement touristique, à moins que l’on estime que les écureuils, les grenouilles ou les papillons ont un droit patrimonial inaliénable à demeurer sur les quelques hectares constituant leur territoire. Le rapport de la commission publique d’enquête, devenu la bible des opposants écolos au projet, est un exemple parfait de chicane pseudo experte.

Les commissaires enquêteurs ouvrent tout grand leur parapluie en s’appuyant sur l’hyper réglementation française et européenne de protection de la nature et le fameux principe de précaution étendu à l’infini pour empêcher toute initiative, au motif que l’existant, tout l’existant doit être préservé, à l’exception des ressortissants de l’espèce humaine présents sur les lieux, et qui cherchent à y demeurer dans des conditions décentes…

C’est donc à raison que l’Etat et les collectivités locales (de droite comme de gauche) sont passés outre ces conclusions aberrantes et ont donné le feu vert au démarrage du chantier, même si quelques recours devant le tribunal administratif, dont l’issue défavorable aux opposants ne laisse guère de doute, ne sont pas encore tranchés. Peut-on laisser une minorité agissante, armée d’une foi inébranlable dans leur mission de sauvetage d’une nature fétichisée, imposer sa loi à une majorité populaire ne partageant pas ces convictions ? Même si l’on n’est pas un fan du modèle Center parcs, la question mérite d’être posée…

Mais restons en Isère, qui a le privilège, depuis mars 2014, d’avoir la première métropole régionale, Grenoble, dirigée par un maire EELV, Eric Piolle,  qui s’est allié au Front de Gauche pour déboulonner la municipalité socialiste sortante. Eric Piolle est une sorte de Robert Ménard, version écolo-gauchiste, dont le talent consiste principalement à susciter le buzz autour d’initiatives spectaculaires dans sa ville pour soigner sa notoriété médiatique nationale. Dès son accession au siège de premier magistrat de la ville natale de Stendhal, Eric Piolle a décidé de diminuer de 20% les indemnités de membres de l’exécutif municipal. Incidence minime sur l’équilibre des finances, mais retombées médiatiques maximales ! Tout le monde sait bien, pourtant, que les misérables compensations financières accordées aux élus locaux (bien inférieures à celles de leurs homologues de pays européens comparables) ont pour conséquence un poids démesuré, dans les décisions, de la technostructure administrative territoriale face à des élus contraints de concilier les exigences de leur mandat et l’obligation de faire bouillir la marmite familiale…

Une fois l’effet fric estompé, on lance un nouvel attrape-gogos sur lequel  les médias et réseaux sociaux se précipitent comme la truite sur la mouche : à Grenoble, les Verts sont écolos ! La preuve ? Ils vont remplacer les bruyantes et  polluantes tondeuses à gazons et débrousailleuses thermiques par des « moutondeuses ». Il s’agit d’utiliser une race d’ovins originaires de l’ile de Soay, en Ecosse, pour transformer les espaces verts grenoblois en gazon anglais, tout en préservant, au nom de la biodiversité, une race promise, sinon, à l’extinction. On vit donc pendant quelques semaines, ces intéressants bestiaux pâturer dans les friches entourant le fort de la Bastille dominant la rive droite de l’Isère. Bingo ! Tout le monde en a causé, en oubliant que cette méthode de défrichage, économiquement rentable lorsqu’il s’agit de terrains inaccessibles aux engins traditionnels, est utilisée depuis belle lurette par des villes plus discrètes, Lille et Lyon par exemple, sur les terrains escarpés entourant les forts hérités de Vauban.

Les moutons sont donc rentrés à la bergerie, mais la soif de notoriété de M. Piolle semble inextinguible : la démocratie grenobloise sera par-ti-ci-pa-tive ou ne sera pas ! S’inspirant de la Suisse voisine, la nouvelle municipalité décide d’instaurer des « votations » à l’échelle locale : toute initiative portée par au moins 2500 signatures de citoyens devra obligatoirement faire l’objet d’un débat au conseil municipal, et toute proposition soutenue par au moins 8000 personnes sera soumise à un référendum. Malheureusement pour Eric Piolle, l’opposition de droite l’a pris au mot, et est actuellement sur le point de réunir les 8000 signatures demandant l’installation de caméras de surveillance destinée à lutter contre l’insécurité sur la voix publique. La nouvelle municipalité se piquant de privilégier l’approche préventive à la répression dite sécuritaire avait, d’ailleurs, remplacé l’intitulé du poste d’adjoint sur ces affaires, qui n’est plus chargé de la sécurité publique, mais de la « tranquillité », ce qui ne semble pas, toutefois, avoir provoqué une baisse notable des agressions et des incivilités dans l’espace urbain…Aux dernières nouvelles, toutes les astuces procédurières sont à l’étude dans le bureau du maire pour empêcher la tenue d’un référendum «  caméras », dont l’issue est prévisible…

Don Quichotte avait ses moulins à vent, Eric Piolle a ses « sucettes » Decaux, ces panneaux de mobilier urbain à usage publicitaire (Ah !  les «  leçons d’amour des dessous  Aubade » quels doux souvenirs !), considérés par ces messieurs-dames de l’écologie politique comme une intolérable pollution de l’esprit des citoyens arpentant la ville. A notre connaissance, l’appel du peuple grenoblois à leur suppression n’a pas été déchirant, mais, là encore, l’effet buzz à été grandiose. David Piolle contre Goliath Jean-Claude Decaux, le Napoléon de l’abribus, ç’est grave vendeur ! Sauf que le manque à gagner, environ 150 000€ par an, intervient dans une conjoncture où les collectivités locales doivent se serrer la ceinture pour cause de réduction importante des dotations de l’Etat. Pour Eric Piolle, pas de problème : cette perte sera compensée par une baisse équivalente des « frais de protocole » de la Mairie, qui ne devrait, désormais, plus servir que des chips bio et du jus de pomme sans additif, en quantité limitée, lors des raouts officiels.

On aimerait bien le croire, mais il se trouve que, quelques jours plus tard, on apprenait la suppression brutale et totale de la subvention municipale de 400 000 € à l’orchestre classique  « Les Musiciens du Louvre », dirigé par Marc Minkowski, seule institution culturelle  de rayonnement international implantée à Grenoble. En matière de culture, la municipalité Piolle se veut résolument plurielle : Mme Catherine Bernard, est adjointe aux cultures, avec un s ! Et comme gouverner c’est choisir (Pierre Mendès-France a été député de Grenoble…), c’est plus simple de dégager Minkowski, délocalisable à Singapour ou Toronto en raison de son talent, que de baisser de 15% les subventions de tout le monde, pour cause de vaches maigres. Au cul la culture bourgeoise,  Jean Philippe Rameau et même le régional de l’étape Hector Berlioz ! Tournée générale de shit  dans les lieux culturels de la «  diversité » épargnés par le couperet budgétaire !

Et c’est ainsi que Grenoble redevient doucement le Cularo[2. Henri Beyle, alias Stendhal, affectait, par mépris, de désigner sa ville natale par son nom celtique de Cularo, plus adaptée, phonétiquement, selon lui, à la médiocrité de ses édiles.] de Stendhal, où l’on ne pourra, comme l’avouait Henri Beyle que « foutre pour se désennuyer »… de la bêtise verte.

*Photo : XAVIER VILA/SIPA. 00699821_000063.

Toute alternative à la prison va dans le bon sens

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eric dupond moretti

eric dupond moretti

Avocat pénaliste de renom, Me Éric Dupond-Moretti, membre du barreau de Lille, a notamment plaidé dans l’affaire d’Outreau.

Daoud Boughezala : De plus en plus de procédures judiciaires ouvertes contre des délinquants débouchent sur des peines légères, voire de simples rappels à la loi. Pensez-vous que la justice française soit trop laxiste ?

Eric Dupond-Moretti : C’est une plaisanterie ! A chaque échéance électorale, on utilise la sécurité comme thème majeur, à défaut de pouvoir résoudre les grands problèmes économiques de ce pays. On accrédite ainsi l’idée que la France est devenue un coupe-gorge, que les juges sont laxistes et favorisent les délinquants aux dépens des victimes. En réalité, il n’y a jamais eu de peines aussi lourdes prononcées qu’aujourd’hui.

Pourtant, les primo-délinquants échappent presque toujours à la prison…

Allez passer une après-midi au tribunal en comparution immédiate et  vous verrez. Moi, ce que j’observe, c’est que des tas de gens sont incarcérés alors qu’ils n’ont strictement rien à faire en prison – les délinquants routiers, les pères divorcés coupables de défaut de paiement de la pension alimentaire, etc.[access capability= »lire_inedits »]  Quand j’ai commencé ma carrière d’avocat il y a une trentaine d’années, il était rarissime qu’on prononce une peine de quatre ans d’emprisonnement ferme dans un tribunal de grande instance comme Lille tandis qu’aujourd’hui, c’est monnaie courante. On glose beaucoup sur les chiffres mais la population pénale représente 70 000 personnes dans un pays de 70 millions d’habitants. Il y a quinze ans, quand l’ancien médecin-chef à la prison de la Santé Véronique Vasseur a courageusement sorti son livre accablant sur la situation carcérale, tous les politiques se sont émus. Mais une fois le soufflé retombé, les actes n’ont pas suivi. Au contraire, on a multiplié les effets d’annonces : l’arsenal punitif s’est considérablement étoffé pour un bénéfice social nul, puisque la délinquance ne baisse pas.

Je vous accorde ce dernier constat. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec la condition carcérale, puisque les juges ont massivement recours au bracelet électronique. Faut-il désengorger nos prisons à tout prix ?

Tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens, tant celle-ci remplit mal son triple rôle : mettre à l’écart un individu jugé dangereux  pour la société à un moment donné, lui permettre de se réinsérer, et bien sûr le punir. On ne sauvera pas la paix sociale en envoyant les condamnés dans des lieux où règnent des « conditions inhumaines et dégradantes », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme. Sachez qu’à l’issue de son enquête sur les prisons, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil-Robles a placé la France juste au-dessus de la Moldavie ! Si un ours des Pyrénées était enfermé comme beaucoup d’êtres humains dans les prisons françaises, on verrait les gens défiler pour dénoncer la condition plantigrade.

Ces arguments humanitaires, aussi louables soient-ils, font peu de cas de l’effet dissuasif de l’incarcération. Je ne vous apprendrai pas que la prison est censée prévenir le premier délit et éviter la récidive.

Un individu qui s’apprête à commettre un délit a la certitude qu’il ne se fera pas pincer. Il  ne consulte pas la gazette judiciaire qui annonce la condamnation d’un quidam à deux ans de prison quelques jours plus tôt ! Chez les mineurs en particulier, le séjour carcéral constitue au contraire un galon que certains portent avec fierté. Je me réfère donc à Victor Hugo : « Ouvrez une école et vous fermerez une prison. » au risque de me faire traiter de bobo de gauche droit de l’hommiste du Café de Flore !

Ça ne vous va pas si mal, mais à Causeur, le nom d’oiseau n’est pas notre genre. J’apporterai même un peau d’eau à votre moulin : il paraît qu’un nombre croissant de magistrats ont la main très lourde à l’encontre de citoyens qui se défendent ou interviennent pour défendre un tiers.

Je ne sais pas d’où sortent des âneries pareilles !

De l’interview d’à côté, si je puis dire, c’est-à-dire de quelqu’un qui, jusqu’à une date récente, officiait au Tribunal d’Orléans….

Il y a autant de jugements qu’il y a de juges. À ma connaissance, il n’y a pas de circulaire définissant l’attitude à avoir à l’égard de tel ou tel type de délinquance. Contrairement à ce que vous prétendez, des juges considèrent généralement les individus qui prêtent main forte à une victime comme des héros plutôt que comme des délinquants, ce dont je me félicite. Une loi déjà ancienne autorise même la légitime défense dans le cas d’attaques nocturnes contre les biens.

La formation de comités de surveillance et de vigilance pour pallier les carences de la police est un phénomène relativement récent. De même que le regain d’intérêt des Français, souvent urbains, pour le port d’armes et le permis de chasse. Tout cela vous inquiète-t-il ?

Que des commerçants s’associent pour surveiller leurs biens, cela a toujours existé. Mais je concède volontiers que des quartiers ont été gangrenés par la délinquance et connaissent peut-être une  recrudescence de l’autodéfense que je ne peux pas mesurer car je ne suis pas ministre de l’Intérieur. Puisque vous évoquez les béances du service public, je vous rappelle que l’Etat est en faillite, ce qui empêche la justice d’avoir les moyens de faire son travail et accroît encore les difficultés.

Tentons une motion de synthèse. Il me semble deux éléments se conjuguent pour former un cercle vicieux : d’un côté, la déliquescence du service public qui mine l’efficacité de la police et de la justice ; de l’autre, un ensauvagement général de la société…

C’est vrai. On vit une époque singulière d’égoïsme, de dureté, d’inhumanité et de peur de l’Autre. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les travaux du linguiste Alain Bentolila. Il rappelle que les fondements d’une nation, ce sont une culture et une langue communes. Or, nous ne parlons plus la même langue que certains jeunes Français. Prenons un exemple. Quand des gens qui ont un minimum de culture  se bousculent, ils se parlent immédiatement de façon à apaiser les tensions. Mais lorsqu’au lieu de dire « pardon monsieur excusez-moi », un jeune lance « nique ta mère », la tension s’exacerbe et cela bastonne.

Comme dirait Lénine, que faire ?

Je n’en sais rien mais je me pose de vraies questions sociétales. Comme se le demandait Nicolas Sarkozy, le policier a-t-il vocation à jouer au rugby avec les enfants des cités ? Faut-il ou non une police de proximité ? Malheureusement, surtout dans nos banlieues qui concentrent les difficultés, on peut poser plus de questions qu’on ne peut apporter de réponses. L’homme qui se dirait prêt à devenir ministre de la Ville car il a des solutions,  celui-là aurait toute mon approbation, toute mon admiration, mais aussi toute ma circonspection ![/access]

*Photo :  Hannah.

La France, 5ème puissance mondiale depuis 500 ans

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france puissance giscard

france puissance giscard

La France traverse une grave crise de confiance. Confiance dans sa capacité à affronter les mutations du monde. Confiance dans ses élites dirigeantes et leur capacité à maintenir notre pays à son rang. Les sujets d’inquiétude sont certes nombreux,  mais à y regarder de plus près les raisons d’être optimiste sont très nombreuses car, bon an mal an, et malgré les aléas de l’Histoire, la France se maintient depuis 500 ans à la 5ème place mondiale. Regardons sur quoi repose cette 5ème place assez homogène selon les secteurs :

  • PIB =  5ème place (2900 Mds, 1 = USA, 2 = CH, 3 = JA, 4 = RFA)
  • Exportations  = 5ème exportateur mondial (600 mds €   , 1= CH, 2 = RFA, 3 = USA, 4 = JA)
  • Exportations agricoles = 4ème exportateur mondial (1 = USA, 2 = Pays-Bas, 3 =  Brésil, 5 = 5 RFA)
  • Productivité du travail = 5ème rang mondial en productivité annuelle par travailleur, 3ème rang mondial en productivité horaire,  (1 = USA, 2 = Irlande, 3 =3 Lux, 4 = 4 Bel )
  • Production industrielle =  7ème place (300 Mds, 1 = CH, 2 = 2 USA, 3 = JA, 4 = RFA, 5 = Brésil, 6 = IT)
  • Grandes entreprises = 4ème rang mondial des 500 plus grandes entreprises ( 1 = USA, 2 = CH, 3 = JA, 5 = RFA)
  • Rayonnement scientifique / Prix Nobel scientifiques = 4ème rang mondial (1 = USA, 2 =  UK, 3 = RFA)
  • Rayonnement linguistique = le français 6 ème langue parlée dans le monde (274 millions de francophones, 1 = mandarin, 2 = anglais, 3 = espagnol, 4 = arabe, 5 = 5 hindi)
  • Rayonnement numérique / Nombre d’abonnés au haut débit internet = 5ème rang mondial ( 23 millions, 1 = USA, 2 = CH, 3 = JA, 4 = RFA,  6 =  UK)
  • Attractivité économique / stocks d’investissements étrangers : 4ème rang mondial (960 Mds, 1 = USA, 2 = UK, 3 = CH, 5 = Belg, 6 = RFA)
  • Attractivité touristique : 3ème rang mondial en termes de recettes (1 = USA, 2 = Esp, 4 = IT)
  • Rayonnement culturel / production de films = 5 ème rang mondial (1 = IN, 2 = CH, 3 = USA, 4 = JA)
  • Espérance de vie = 5ème rang mondial  (81, 19 ans   , 1 = JA, 2 = Singapour, 3 = Aus, 4 = Can)
  • Puissance militaire = 5 ème rang global, 3ème rang nucléaire (ex æquo avec UK , 1 = USA,  2 =  RUS , 3 = CH,  4 = IN)
  • Puissance financière = La place de Paris occupe le 4ème rang mondial en terme de capitalisation et le 6ème en terme de volume d’échanges (1 = USA, 2 = JA, 3 = CH, 4 = UK)
  • Puissance bancaire = 2 banques françaises dans les 10 premières banques mondiales. Et l’ensemble des banques françaises détiennent une part du marché mondial qui place la France dans le Top 5 mondial  avec les USA, la Chine, le Royaume-Uni et les Pays-bas.

Ces indicateurs sont certes disparates et incomplets, mais ils donnent le ton : dans le concert des nations, la France occupe aujourd’hui la cinquième place mondiale. Il  y a certes des tendances qui nous sont défavorables, notamment dans la production industrielle qui régresse chaque année en France. Mais que ce soit sur des indicateurs économiques, financiers ou sociaux et culturels, la France est toujours globalement en cinquième position. Certains objecteront que ce qui compte avant tout n’est pas tant la place à un instant T  que la tendance générale. Mais, c’est justement là que réside l’originalité de la France en comparaison de ses compétiteurs : depuis 500 ans la France est vaille que vaille la cinquième puissance mondiale. C’est sa place et elle s’y accroche.

Regardons ce qu’il en est au cours des siècles :

  • À la Renaissance, la France occupe la 5ème place mondiale derrière la Chine, l’Inde, l’empire Ottoman et l’Espagne.
  • 200 ans plus tard, à la mort de Louis XIV, la France est la 4ème  ou 5ème  puissance mondiale, derrière la Chine, l’Inde,  l’empire Ottoman, et peut-être la Perse.
  • En 1815 après l’effondrement de l’Empire napoléonien, la France était la 4ème puissance mondiale derrière la Chine, l’Inde et le Royaume-Uni.
  • Cent ans plus tard à la veille de la première guerre mondiale,  la France était 5ème si on y ajoutait ses colonies,  7ème puissance sans ses colonies , derrière  les USA, la Chine, l’Allemagne, la Russie, le Royaume-Uni,  l’Inde.
  • La France reconquiert sa  5ème place mondiale après la seconde guerre mondiale (elle atteint cette place au tournant des années 70) malgré la perte de ses colonies. 5ème place mondiale qu’elle conserve jusqu’à nos jours.

Ce tour d’horizon nous montre que depuis 500 ans environ, la France en tant que puissance mondiale, navigue sur la crête de la cinquième place. Et ce malgré de grands bouleversements dans les 4 premières places du classement : l’effondrement de l’empire ottoman au XIX° siècle, l’irruption des USA en tête du peloton au XX° siècle, l’endormissement de la Chine au XIX° siècle puis son réveil au XXI°, la disparition de l’empire espagnol, la révolution industrielle initiée par le Royaume-Uni et son lent déclin, la montée en puissance de l’Allemagne après son rebond démographique à la fin du XIX° siècle.

On voit que la France occupe une place originale et constante. La cinquième. Elle ne doit d’ailleurs pas cette place aux mêmes causes : Si la France occupe la cinquième place mondiale au XVI° et au XVII° siècle , elle le doit sans doute à sa démographie très  dynamique, la France étant alors le pays le plus peuplé d’Europe. Par contre, pour des raisons inverses, l’effondrement démographique français au XIX° aurait pu provoquer notre recul. Nous l’avons compensé en partie par l’impérialisme en nous constituant le 2ème empire colonial mondial. Avec la fin de colonies, on aurait pu craindre une rechute, mais ce sont les grands projets gaulliens et le statut politique original que la France avait acquis en Europe à la fin de la seconde  guerre mondiale qui lui ont permis de reconquérir notre place perdue avec le désastre de 1940.

D’où nous vient alors ce pessimisme ambiant ? Si on essaie de s’extraire de la conjoncture économique et politique actuelle, il faut certainement le situer au tournant des années 70. Quand le président Giscard d’Estaing rompant avec la dynamique gaulliste nous réduisit à une infime portion de la population mondiale en nous affirmant qu’un pays de 50 millions d’habitants ne représentait finalement pas grand chose sur une planète de 6 milliards d’humains et nous invitait à nous convertir à l’Europe supranationale.

Cette affirmation était dénuée de tout fondement analytique et historique, on l’a vu : la France occupe depuis 500 ans la cinquième place mondiale, quelques soient les innombrables ruptures économiques, démographiques, géopolitiques qui sont intervenues dans le monde. Nous la devons à la conjonction de plusieurs faits incontournables dans le domaine culturel, géographique : la place incomparable que la France occupe en Europe avec 3 façades ouvertes sur la mer du Nord, l’Atlantique et la Méditerranée, la confluence des cultures latines et germaniques, la cohabitation d’au moins trois fonds anthropologiques qui font la diversité et l’originalité françaises – les familles nucléaires dans le bassin parisien, les familles souches  sur les marches de l’est et de l’ouest, les familles communautaires dans le centre et sur l’arc méditerranéen.

Quoi qu’en disent les défaitistes et les déclinistes de tout acabit, la France s’est toujours battue sur la crête de la cinquième place mondiale. Et la France, même si certains le voudraient, restera toujours aux confluents de la plaque européenne où se conjuguent la culture, une religion de paix, une conscience sociale élevée, un génie industriel incomparables.

Giscard nous a endormis en nous faisant croire que la France ne pourrait désormais plus rien seule. Les élites françaises qui sont antinationales (et l’ont toujours été… C’est une des particularités du « génie français) lui ont emboîté le pas avec allégresse. L’Europe devenait notre unique horizon, notre planche de salut. Mon propos n’est pas ici de remettre en cause toutes les avancées européennes, mais de poser une question.

« Les institutions européennes doivent-elles être, peuvent-elle être un levier conjoncturel pour permettre à la France de maintenir son rang de cinquième puissance mondial qu’elle occupe depuis 500 ans ? Ou doit-on considérer l’Europe comme un facteur de renoncement à défendre la place de la France dans le monde ? »

Cette question est centrale. Et si la France doit s’effacer derrière l’Europe personne ne nous a dit pourquoi. En tout cas, l’Histoire nous prouve que cette injonction ne repose sur aucune donnée valable. Ni au cours des 500 dernières années, ni très probablement au cours du siècle qui s’ouvre à nous.Revendiquer pour la France au XXI° siècle la place de cinquième puissance mondiale, refuser que la France se dissolve dans un espace paneuropéen sans limites, ce n’est pas nous enfermer dans une logique à la nord-coréenne. C’est au contraire retrouver les sources d’un dynamisme et d’un optimisme renouvelés. C’est reconquérir l’énergie qui nous manque aujourd’hui pour défendre notre rang.

Transhumanisme : vers l’obsolescence de l’homme?

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robots transhumanisme anders

robots transhumanisme anders

La modernité pratique l’incarnation à l’envers, écrivait Georges Bernanos, dans La France contre les robots. Ce n’est désormais plus une information. Le transhumanisme, et son penchant techniciste, est le phénomène qui s’empare des colloques et des universités. Les 20, 21 et 22 novembre derniers, se tenait à Paris le premier rendez-vous transhumaniste, Transvision 2014, sous la direction de plusieurs associations transhumanistes. Ceux qui y ont assisté pouvaient notamment participer, selon les organisateurs, à une « conférence Imaginaire sur la question des implants cochléaires, implants qui permettent aux sourds de retrouver en partie l’audition, avec toujours présente l’idée d’ouvrir le champ des réflexions par le biais artistique et de plonger le public dans un imaginaire, un « possible » ».  Les sourds entendront, les aveugles verront, les paralysés joueront au beach-volley. On appelle cela  « le champ des possibles », mais c’est surtout, n’en déplaise au technophiles, l’impossibilité d’un champ. Avec sa terre friable ou sèche, avec sa rangée d’aubergines que vient ronger le chant des insectes. Autant de vestiges dont le transhumaniste voudrait bien se passer, tant ils rappellent la présence pesante d’un corps, qui mange, qui vit,  et charrie son fatras d’organes.

Car la question du transhumanisme est avant tout celle de la chair. Un homme, journaliste et écrivain de son état, qualifie l’affaire de « pudibonderie » des temps modernes. Jean-Claude Guillebaud a sans aucun doute raison. Ce samedi, au colloque « Transhumanisme, une idée chrétienne devenue folle ? », organisé par le philosophe Fabrice Hadjadj et l’institut Philanthropos aux Bernardins, Guillebaud a rappelé que l’enjeu du siècle était bel et bien celui de la technique. En 2007, l’humanité a vécu une révolution largement passée sous silence. Elle est devenue majoritairement urbaine. Elle ne vit plus rivée à la terre, mais vissée au béton. Pour le journaliste, les technophiles qui se réjouissent de ce changement affichent « un mépris pour le corps qu’aucun puritain n’a jamais pensé dans l’histoire ».  Le constat est entendu depuis un demi-siècle. Jacques Ellul, maître à penser du journaliste, l’avait déjà rendu en 1954, en publiant La technique ou l’enjeu du siècle. Dans ce maitre ouvrage, il énonçait clairement la situation : «  l’homme reporte son sens du sacré sur cela même qui a détruit tout ce qui en été l’objet : la technique ». La religion moderne tient dans ce credo : la technique est grande, le transhumaniste est son prophète. Avec ce constat d’envergure : les transhumanistes créent eux-mêmes les conditions de la fin.  Comme l’a rappelé Guillebaud, cette idéologie est profondément évolutionniste et progressiste. Elle croit en l’extinction du plus faible. Pour preuve, à la question « Que ferez-vous des humains non-hybrides ? » Hans  Moravec, l’un de ses représentants,  n’hésite pas à répondre ceci : « les dinosaures ont bien disparus ».

La critique de la technique ne saurait être dupe d’elle-même. Chez les philosophes présents au colloque ce week-end, elle a moins pour but de dénoncer la machine que de déplorer les nombreuses expropriations dont la technique est coupable. Coupable de quoi, au juste ?  Dans un monde automatisé, chaque partie du corps est récusée une à une. La main, les jambes, le sexe. En langage marxiste, on appelle cette expropriation l’ « accumulation par dépossession ». Un exemple : pour le philosophe Olivier Rey, invité ce samedi au colloque, la possibilité de subvenir à nos besoins sans être obligés de recourir à autre chose qu’à ses jambes( les transports en commun, la voiture) s’est en partie anéantie. Autrement dit, « tout en prétendant augmenter la liberté des hommes, la technique a transformé le monde de telle sorte qu’un être humain réduit à ses seules capacités corporelles se trouve, aujourd’hui, dans une situation à peine meilleure que celle d’un grabataire. ». Pour dire vite : la technique moderne supprime une faculté naturelle, et la reconstitue sous forme de produit de consommation. Lorsque vous achetez une voiture, ce sont vos jambes que vous rendez obsolètes. Quant au capitalisme, il doit sans cesse recourir à l’invention de nouveaux marchés et fractionner sa marchandise autant que possible. Seulement voilà, arrivé à un certain stade, le marché  transforme le consommateur lui-même en marchandise. Pour Olivier Rey, c’est le point d’orgue de « l’homme auto-construit », fractionné en rouages et , pour ainsi dire, divisé pour mieux être régné. Pour l’occasion, ce samedi, le philosophe a lu Günther Anders. Dès 1956, le philosophe allemand décrit par l’anecdote un homme-marchandise, divisé comme autant de rayons de supermarchés : « L’homme qui prend un bain de soleil, par exemple, fait bronzer son dos pendant que ses yeux parcourent un magazine, que ses oreilles suivent un match et que ses mâchoires mastiquent un chewing-gum . Cette figure d’homme-orchestre passif et de paresseux hyperactif est un phénomène quotidien et international.[…]Si l’on demandait à cet homme qui prend un bain de soleil en quoi consiste « proprement » son occupation, il serait bien en peine de répondre. Son identité est tellement déstructurée que si l’on partait à la recherche de « lui-même », on partirait à la recherche d’un objet qui n’existe pas ». (L’Obsolescence de l’homme, Tome 1, trad. Christophe David, encyclopédie des nuisances, p.161).

Quel est le point commun entre le néolithique et l’industrialisation ? La révolution, bien sûr. C’est au tour du philosophe Jean Vioulac, qui vient de publier Apocalypse de la vérité (éd. Ad Solem) de prendre la parole. À l’instar d’Olivier Rey, ce qu’il conteste, ce n’est pas tant la technique que le progrès dont elle se réclame. Selon lui, « il faut récuser l’idée de linéarité » qui accompagne chaque nouvelle invention. Concrètement, nous rend-t-elle plus autonome ? Jean Vioulac y va sans détours : s’il ne sait pas recoudre une chemise, explique-t-il, c’est que l’industrie s’en charge pour lui. La main ? Congédiée, à son tour. « Lorsque l’homme a perdu la main sur l’outil, et que cet outil devient autonome, on parle alors de machine, rappelle-t-il en citant Marx ». Renversée. L’autonomie de l’homme n’était que momentanée. Désormais, il dépend des machines et « n’est plus capable du moindre savoir faire ». C’est ce qui fit dire à Michel Houellebecq cette célèbre phrase, note Vioulac, dans Les Particules Elémentaires : « Mes compétence personnelles sont largement inférieures à celles de l’homme de Neandertal ».  Régression de l’homme, avancée de la machine. Aussi y-va-t-il d’une certaine rouerie lorsque les transhumanistes parlent d’ « homme augmenté ». L’hybridation de l’être humain par les NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) n’inaugure pas un monde plus humain, mais plus mécanique. « Lorsque l’intelligence est conçue comme un ordinateur, déclarait Fabrice Hadjadj en ouverture du colloque, cela ne fait pas des surhommes, mais des sous-outils. L’époque où nous sommes est apocalyptique.  La technique est une contre-annonciation, puisqu’elle reconstruit la vie pour fabriquer des êtres entièrement fonctionnalisés. » Dans un monde entièrement automatisé, l’homme pourrait à tout moment provoquer sa propre obsolescence. Nous souffrons « d’une dislocation entre le logique et le généalogique, avance Fabrice Hadjadj». L’homme est pensé comme un individu communicant, et non plus comme « une fille, ou un fils héritier d’une langue ». Avec un sexe, des poils et une histoire qu’il n’a ni planifié ni fabriqué, mais recueilli,  comme on reçoit une aumône. C’est l’incarnation, à l’endroit.

*Photo : wikimedia.

GPA : le cynisme des naïfs

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GPA gaspard koenig pma

GPA gaspard koenig pma

Il faut le reconnaître : Gaspard Koenig a le mérite de la cohérence. Hier, il rendait un hommage paradoxal à Jean-Luc Mélenchon, pour son anticléricalisme sentant le formol, en blâmant la vision de l’homme portée par le Pape François. Aujourd’hui, il récidive, en argumentant, toujours dans L’Opinion, son soutien au nouvel esclavagisme connu sous le sigle de GPA. Tout cela, au nom d’un libéralisme décomplexé.

Notre homme est formel : « il est difficile d’être libéral et de s’opposer à la gestation pour autrui ». Sur ce point, nous sommes d’accord avec lui. La question, ici, est de savoir comment les libéraux qui marchent avec la manif pour tous parviendront à se rendre compte qu’ils défendent des valeurs non-marchandes, mais célèbrent en même temps ce qui les nient. Citons le boutefeux de Valeurs Actuelles Yves de Kerdrel, virulent contre le mariage gay, mais qui écrivait en 2008 au sujet du travail dominical : « Est-il normal que la liberté de travailler, donc de s’épanouir et de s’émanciper, se trouve ainsi entravée ? » En changeant le terme « travailler » par « se marier » ou « commander un enfant par GPA », on croirait lire un porte-parole de l’Inter-LGBT.

La contradiction est encore plus flagrante aux États-Unis : les républicains se sont tirés une balle dans le pied dans leur combat pour préserver le mariage « traditionnel », comme ils disent, en acceptant dans le même temps la PMA et la GPA, au nom de la liberté d’entreprendre. Tagg Romney, fils du célèbre Mitt, lequel hésite à se présenter une nouvelle fois en 2016 à la tête du Parti républicain, a eu des jumeaux par mère porteuse. Si l’on accepte le droit à l’enfant, alors l’opposition au mariage gay est vaine, et vouée à l’échec. Le conservatisme américain a perdu ce terrain-là par fidélité au libéralisme. Dieu se rit des hommes qui déplorent des conséquences dont ils chérissent les causes.

Que Gaspard Koenig soit donc logique avec son libéralisme. Mais sa cohérence le rend vite arrogant et aveugle, comme quiconque s’en remet à une idéologie. Selon lui, la marchandisation que constitue la GPA est acceptable, puisque les femmes disposent librement de leur corps. Dès lors qu’il y a consentement, les problèmes disparaissent, pour Gaspard Koenig. Notre penseur estime que toutes les transactions se valent, et n’a pas un mot pour les femmes qui louent leur ventre, par besoin d’argent, dans les usines à bébés d’Inde, d’Ukraine, de Géorgie et du Mexique. Leur « liberté » est entravée par la nécessité et une situation de faiblesse.

Notre penseur croit avoir réponse à tout : « Craint-on les dérives, l’exploitation, les trafics ? Ils seront, comme toujours, d’autant mieux combattus que la légalisation permettra la régulation et le contrôle. C’est tout le sens de la «GPA éthique» ». Le problème, c’est que notre ami ment, ou se contredit lui-même sans s’en rendre compte, ce qui n’est guère plus rassurant. Interrogé sur France Culture le 4 juillet 2014, il reconnaissait que la GPA soi-disant éthique, n’existait pas : « On voit au Canada en fait, il y a très très peu de cas, et le meilleur exemple c’est le Nevada, puisque c’est un des seuls des États-Unis où la GPA n’est permise que sur le modèle du don, et à ce moment-là, tout le monde va en Californie. »

Sans doute par pudeur, notre cher Gaspard n’évoque pas le cas britannique. Au royaume de Sa Majesté, la GPA est permise sans transaction financière… Mais la mère porteuse est officiellement indemnisée, au titre des efforts physiques représentés par la grossesse. Ce qui équivaut sensiblement à la même situation de la GPA américaine. Les indemnités sont d’ailleurs trop élevées au goût de certains couples, qui préfèrent aller en Thaïlande.

Empêtré dans son relativisme, Gaspard Koenig se fait législateur, et imagine une acceptation totale de la PMA et de la GPA : « Plutôt que de laisser maladroitement émerger une génération de bébés Thalys, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de cette logique, en créant non pas un obscur droit à l’enfant, mais un véritable droit à naître, qui s’appliquerait au futur enfant en tant que projet parental ? » Entériner ce qui existe, au seul titre que cela existe, c’est un peu court, pour un penseur. Par ailleurs, le « droit à naître » des bébés Thalys, nés de PMA à l’étranger, d’où leur nom poétique, n’en est pas un. Non qu’ils ne méritent pas de vivre, mais que leur naissance s’oppose justement au principe des droits de l’homme : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Les bébés Thalys ne sont pas égaux aux autres. Leurs embryons sont sélectionnés par le diagnostic préimplantatoire utilisé pour la PMA, qui ouvre la porte à l’eugénisme, en assurant aux parents une garantie de « qualité » du bébé. En France, ce diagnostic est strictement encadré, limité aux maladies graves. Mais au Royaume-Uni, le strabisme est considéré comme rédhibitoire. Aux États-Unis, on en est à sélectionner le sexe et la couleur des yeux de l’enfant. Avec le transhumanisme, un formidable chantier s’ouvre pour « améliorer » l’individu.

La société que Gaspard Koenig appelle de ses vœux, ce n’est rien de moins que la plongée dans l’état sauvage décrit ainsi par le polémiste Ernest Hello, dans son pamphlet Le Jour du Seigneur : « l’état sauvage consiste dans le développement arbitraire et injuste des fantaisies de l’individu ». Cette sauvagerie achève de consacrer l’avènement et la supériorité du plus fort sur le plus faible, et dans le cas de la GPA, du riche couple occidental sur la femme indienne exploité. Si Gaspard Koenig ne le voit pas déjà, alors il ne reste qu’à lui souhaiter de poursuivre sa logique libérale jusqu’au bout. Et de devenir cynique, par naïveté.

*Photo : Pixabay.

Russie : le scénario du pire

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Abdellah El-Badri, le secrétaire général de l’OPEP, parle de manipulation des cours pour expliquer la chute continue des cours du pétrole. Compte tenu de la situation financière russe – la chute du rouble entraîne le pays vers la ruine -, on peut, on doit, s’interroger sur l’origine de ces manipulations.

Il n’est pas absurde d’imaginer que la manipulation des cours du pétrole et la spéculation à la baisse sur le rouble sont organisées par un pays qui a intérêt à voir l’économie russe s’effondrer et ce pays basculer dans le chaos.

Personnellement je m’interroge sur le rôle des USA et de la CIA dans cette affaire qui ne cachent pas leur intention de renverser Vladimir Poutine. Si c’était le cas, ce serait une attitude totalement irresponsable car il ne faut pas imaginer que la Russie implorera l’aide du FMI et se rendra à Canossa. Il est plutôt probable qu’elle cherchera à s’en sortir par la guerre.

Si ce scénario du pire s’avérait, l’histoire jugera durement les USA qui depuis dix ans par l’installation d’un bouclier anti-missiles en contravention avec le traité New START signé avec la Russie, puis avec le soutien (voire l’instrumentalisation) des putschistes de Maïdan anti-russes, puis avec les manipulations boursières pour faire s’effondrer l’économie russe, auront pris le risque d’une déstabilisation complète du continent européen.