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La tragédie des éleveurs

eleveurs lait lactalais europe
Sipa. Numéro de reportage : 00768532_000007.

Périco Légasse a raison de dire qu’à côté de la tragédie que traversent les éleveurs bovins, hier à viande,  aujourd’hui laitiers, la querelle du burkini ou la démission de Macron paraissent des sujets bien frivoles.

Des prairies et des  vaches;  au milieu  une ferme avec un  fermier et un chien;  c’était là une part essentielle de ce qu’était la France (rien de comparable à tous les  pays où on ne voit pas d’animaux dehors, l’élevage s’y faisant hors sol). C’est ce qui disparaît parfois tragiquement, des centaines d’agriculteurs surendettés et désespérés étant conduits au suicide chaque année dans l’indifférence générale.

Il y a quelques jours, je passais à Saint-Benoît-du-Sault, un de plus jolis villages de France  dans une région, le Sud-Berry, parmi les plus déshéritées. À la sortie du village, j’aperçois une ferme à l’abandon : l’herbe avait poussé sur le machines agricoles laissées dans les hangars sans que personne en ait trouvé l’utilité. Spectacle désolant,  tout un symbole.

Lactalis et les producteurs ont passé un accord sur la base de 0, 90 euros le litre. C’est mieux que les 0,25 euros qui étaient versés il y a un mois, mais c’est le même prix, 1,90 francs, qui était payé aux producteurs il y a trente ans. Aucune hausse de productivité significative ne justifie cette stagnation du  prix nominal versé au producteur qui représente une  baisse du prix réel. On incite les éleveurs  à rationaliser leur exploitation, à s’agrandir et ils le font, mais cela suppose des investissements  et  se traduit par toujours  plus de travail  (pour des gens qui sont déjà  sont bien au-delà des 35 heures), pas forcemént une plus grande productivité. Entre-temps, les charges n’ont cessé d’augmenter, les normes de se compliquer.

Pour ceux qui ont investi comme  on  leur  a dit,  0,90 euros  c’est un euro de moins que le prix de revient. Seuls résistent encore ceux qui n’ont pas fait d’investissements ou les ont déjà   amortis, pas forcément  les plus modernes.

Merci le libre-échange !

Il y un an, le lait de vache se vendait  à 0,36 euros le litre. Que s’est-il passé ? La fin des quotas laitiers prévue par les accords du GATT de 1995, au nom du libre-échange, a libéré un peu partout la production. En ont particulièrement profité les producteurs allemands dont les coûts de revient (salaires, impôts, engrais, aliments) sont moindres et où le régime communiste avait laissé  en Prusse l’ héritage  d’ immenses  exploitations, proches de pays où la main d’œuvre ne coûte guère.

Si les fruits et légumes ou le vin courant ont à craindre de la  fin de l’euro, qui tirerait les prix de nos concurrents  méditerranéens vers le bas, si les exploitations céréalières ultra-compétitives du Bassin parisien  n’ont rien à  redouter hors les  intempéries ( ont elles souffrent ces jours-ci) , les éleveurs de viande ou de lait sont les premières victimes d’une monnaie surévaluée par rapport à nos concurrents d’Europe du Nord.

La crise de l’élevage illustre combien la conjugaison d’une monnaie trop forte et de frontières ouvertes est destructrice, ce que nos « élites » ignares en économie ne veulent pas voir.

La balance agricole, notamment animale,  franco-allemande n’a cessé de s’améliorer au bénéfice des Allemands depuis la mise en place de l’euro. Autrefois, quand la situation était inverse, les Français avaient fait preuve de solidarité au travers des montants  compensatoires. Rien de tel aujourd’hui où  la solidarité devrait jouer en  sens inverse.

Derrière les accords du GATT, il y avait  l’objectif de la mondialisation du marché du lait, largement atteint aujourd’hui. Le prix mondial se fixe en Nouvelle-Zélande: même si nos berlingots frais  sont fabriqués en Europe, le lait en poudre traverse les mers. Or la baisse de consommation de la Chine a tiré les prix mondiaux  vers le bas.

La seule arme qui permettrait aux producteurs de retrouver une certaine marge de manœuvre face aux grands groupes est le mouvement coopératif. Il dispose en France d’avantages fiscaux qui lui donnent les moyens de verser de gros salaires à ses dirigeants, lesquels, taille oblige, y ont seuls  le vrai pouvoir. Dans le cadre de la réforme de l’Etat, le service spécialisé du ministère de l’agriculture s’est assigné pour objectif chiffré le nombre de fusions de coopératives qu’il pourra susciter. Big is beautiful.

Sans doute les prix, après avoir assez  baissé, finiront-ils  bien par  remonter et certains éleveurs résisteront-ils à la crise. Mais chaque fois ils seront moins nombreux. Ce n’est pas seulement un pan entier de notre  civilisation qui s’en va, c’est aussi un atout essentiel de la  France, si bien pourvue en terroirs divers,  favorables à un vaste éventail de productions. La déprise de ces terroirs est à prévoir quand les producteurs auront été les uns après les autres découragés. Les consommateurs perdent en qualité ce qu’ils semblent gagner sur les prix (très peu en réalité, car la matière première ne représente qu’une petite partie du prix de vente). À qui donc, en matière  agricole, a profité la  mondialisation, sinon  aux multinationales ?

Angela Merkel en a encore sous la pédale

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Angela Merkel, lors du sommet du G20, le 4 septembre 2016 à Hangzhou, en Chine © AFP.

Annoncée par les sondages, la percée de l’AfD, parti catalogué populiste, anti-européen et hostile aux migrants, à l’élection régionale du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale a suscité hors d’Allemagne, et particulièrement en France, des réactions outrancières. Attirés par l’odeur du sang – celui d’une chancelière en route du Capitole vers la Roche Tarpéienne, nombre de nos commentateurs installés voient dans ce revers local le signal d’un prochain bouleversement politique outre-Rhin, à l’occasion des élections au Bundestag de l’automne 2017.

Sovkhozes capitalistes

C’est aller un peu vite en besogne, même s’il est tentant de céder à la Schadenfreude, cette joie mauvaise typiquement germanique, de voir une incorrigible donneuse de leçons de maintien économique, politique et moral se faire tailler des croupières sur sa terre d’élection. Ce Land, pourvu d’un nom à rallonge,  que l’hebdo Der Spiegel a opportunément rétréci en Meck-Pomm, c’était naguère le nord-est de l’ex RDA, et jadis le territoire des Junkers prussiens, cette aristocratie terrienne et militaire, dont Otto von Bismarck fut l’emblème. Les grands domaines agricoles, transformés en sovkhozes communistes au temps de la RDA, se perpétuent aujourd’hui sous la forme d’exploitations capitalistes capables de produire du lait et des céréales à des prix ultracompétitifs, au grand désespoir de nos braves éleveurs de bovins étranglés par cette concurrence. Fermes de mille vaches et de dix mille cochons soignés par des ouvriers polonais à bas prix, tourisme au bord de la Baltique, activités portuaires de Rostock suffisent  à donner à cette région de quoi vivre à peu près correctement, moins somptueusement, certes, que les Länder industrialisés de l’ouest et du sud, mais mieux que jamais dans son histoire récente.

Un foyer de nationalisme ombrageux

Géré « à la protestante » par une « grande coalition » SPD-CDU, dans laquelle les sociaux-démocrates sont majoritaires depuis dix ans, le Meck-Pomm est peu endetté, ses villes, toutes moyennes, ne connaissent pas de tensions sociales ou ethniques majeures. Ce Land, cependant, longtemps à l’écart des évolutions sociologiques et idéologiques liées à l’intégration européenne et à la mondialisation, demeure un foyer de nationalisme ombrageux, imperméable à la repentance générale vis à vis du passé nazi de l’Allemagne, dont la RDA avait fait l’économie en refusant l’héritage moral de l’hitlérisme. Skinheads et néo-nazis y prospèrent plus qu’ailleurs : dès le début des années 90, c’est à Rostock que l’on put assister aux premières agressions contre des foyers d’immigrés alors majoritairement occupés par des demandeurs d’asile originaires des Balkans. Le parti d’extrême droite NPD était représenté à la Diète régionale depuis 2006, avec un programme xénophobe décomplexé, visant les demandeurs d’asile et les travailleurs polonais.

Cet état d’esprit ne pouvait que profiter à la force montante en Allemagne, l’AfD, qui a réussi à faire la synthèse entre le rejet, par une partie notable de l’opinion, des contraintes de la solidarité européenne à l’occasion des crises de l’euro, et de la politique « généreuse » décrétée par Angela Merkel lors de la crise migratoire de l’été 2015. Passé en trois ans de l’inexistence à un score de 21% des suffrages, l’AfD, en dépit de ses querelles internes est devenu le parti de protestation dominant à l’échelle fédérale, ponctionnant l’électorat de l’ensemble des partis installés, de droite comme de gauche. Le coup du Meck-Pomm est particulièrement réussi, puisque l’AfD peut se vanter d’avoir fait sortir les néo-nazis du NPD de la diète régionale, et d’avoir dépassé la CDU sur les terres d’Angela Merkel. l’AfD fait ainsi coup double : elle se dédiabolise en éliminant le NPD, et elle s’installe dans le club très fermé des partis à deux chiffres, dont seuls la CDU et le SPD  étaient jusque là membres à l’échelle nationale : les deniers sondages créditent l’AfD de 11 à 15% des voix aux législatives de 2017.

Merkel à 44%  d’opinions favorables

Mais cela signifie-t-il le début de la fin de la carrière politique d’Angela Merkel, qui subirait ainsi une forme d(« hollandisation » annonciatrice d’une alternance à Berlin ? En aucune manière ! Certes, depuis un an, la cote de popularité de «  Mutti » a chuté, conséquence des inquiétudes provoquées par la crise migratoire, mais elle reste cependant à 44%  d’opinions favorables, un niveau dont rêveraient certains de ses collègues…

De surcroît, elle est, pour l’instant, à l’abri d’un putsch interne à la CDU, qui se trouverait alors un autre champion pour 2017 : ses alliés bavarois de la CSU n’ont plus la force électorale d’avant l’unification, qui leur avait permis d’imposer, naguère Franz Josef Strauss et Edmund Stoiber comme challengers (malheureux) des chanceliers Helmut Schmidt et Gerhardt Schröder, figures de proue de la droite sociale-démocrate pour le premier, sociale libérale pour le second. La montée du populisme AfD affaiblit autant, sinon plus, le SPD que la CDU.

Les chrétiens-démocrates merkeliens restent donc le pivot de toute coalition gouvernementale possible à l’issue des élections de 2017, le SPD de Sigmar Gabriel n’ayant aucune chance de dépasser la CDU en nombre de voix et de sièges dans le prochain Bundestag. À Schwerin, capitale du Meck-Pomm, comme à Berlin l’an prochain, la reconduction d’une grande coalition est donc l’hypothèse la plus probable, même si, au niveau fédéral, l’adjonction d’un troisième cheval à l’attelage peut se révéler indispensable à la constitution d’une majorité de gouvernement. Les Verts conservateurs du style de Winfried Kretschmann, ministre-président du Bade-Wurtemberg, en rêvent, comme les libéraux du FDP dont on prédit le retour au Bundestag en 2017. Solidement campée au centre de l’échiquier politique, Angela Merkel peut voir l’avenir avec confiance, à moins que l’Allemagne  ne subisse, avant le scrutin fédéral, une vague de terrorisme similaire à celle que l’on vient de connaître en France. En revanche, elle n’aura plus les mains aussi libres qu’avant la crise migratoire, et devra défendre les intérêts nationaux plus fermement qu’auparavant.

Comme dirait Bertolt Brecht dans L’Opéra de quat’ sous, « Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral ! »[1. « D’abord la bouffe, puis la morale ».] . Tout cela promet des nuits agitées à Bruxelles. Mais qui, aujourd’hui, à part Bernard Guetta, se soucie de Bruxelles ?

Terrorisme islamiste: les «radicalisés», une armée de fous?

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"La nef des fous", Jérôme Bosch. Wikipedia.

Si l’on raisonne en termes de compatibilité logique, d’après ce qu’on peut lire dans les médias, un terroriste/djihadiste/radicalisé ne peut pas être un déséquilibré. « Terroriste » et « déséquilibré » sont apparemment deux notions tout à fait antinomiques. Le premier est un méchant, le second est un fou. En même temps, on nous détaille sans rire la mise en place de « suivis thérapeutiques » à destination des « radicalisés » : il s’agit donc de soigner les méchants, pas les fous. Ou bien alors, tous les radicalisés sont des fous et dans ce cas la précédente distinction ne tient plus. Quelqu’un y comprend quelque chose ?

«La piste terroriste est écartée»

C’est un fait divers enterré rapidement et proprement, comme on le fait désormais à chaque fois que c’est possible. Une preuve de plus que le rôle des journalistes (du moins tel qu’ils le conçoivent) consiste à sauvegarder la paix civile, quoi qu’il en coûte à l’éthique de la profession.

Mardi 30 août, un monsieur se présente dans un commissariat de Toulouse et poignarde un policier.

Si l’on cherche des articles au sujet de cette affaire, il faut éviter de taper « attentat Toulouse » qui ne donne presque rien de récent. Il faut se contenter de « policier poignardé ». En effet, comme le rappellent tous les médias, « la piste terroriste a été écartée ». C’est une information objective. Il n’empêche que c’est une information problématique qui mériterait sans doute d’être présentée comme telle.

Lire la suite sur le blog d’Ingrid Riocreux.

 

Sous le burkini, la vague islamiste

« Débat stérile », « polémique indigne », « querelle hystérique » : après la publication des premiers arrêtés anti-burkinis[1. S’agissant d’un habit qui évoque furieusement la burqa et pas du tout le bikini, on devrait plutôt écrire « burqini ». Où se niche la bien-pensance…], début août, toutes les grandes consciences du pays et environ 95 % des journalistes ont martelé sans relâche les mêmes éléments de langage. Sujet sans intérêt, circulez. Attention, contrairement à ce que pensent certains, fort excités, sur les forums de discussion, on n’est pas un traître, un salaud ou un vendu-aux-barbus parce qu’on est hostile à l’interdiction. Mais l’argument assené en boucle pour clouer le bec de tout contradicteur laisse rêveur. On n’aurait pas le droit d’interdire le burkini, mais il faudrait interdire d’en parler ? On aimerait comprendre en quoi la promotion d’un costume de bain islamique, jusque-là inconnu sous nos cieux, serait un sujet moins digne de débat que la hiérarchie des normes dans la loi travail, dont nous avons mangé à tous les repas pendant des semaines. Les grands démocrates qui s’émerveillaient des interminables et autarciques logorrhées de Nuit debout, rebaptisées « débats citoyens », sur des thématiques le plus souvent absconses et confidentielles, voient d’un fort mauvais œil que l’on débatte d’une question qui intéresse sacrément une majorité de Français, et pas seulement des méchants de droite : au-delà du burkini, la progression d’un islam radical qui nourrit ou encourage le terrorisme.

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On aimerait comprendre, façon de parler, vu que le même mécanisme de censure est à l’œuvre depuis quarante ans – même s’il perd assurément de son efficacité. Identité ? Islam ? Immigration ? Questions dangereuses, idées puantes, lepéno-sarkozysme. Pouah, pas touche. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire : après dix-huit mois d’expérience de la terreur, nos innombrables petits singes croient encore faire disparaître les choses qui leur déplaisent en interdisant les mots. Il n’y a pas de problème, répètent-ils en guise de formule conjuratoire. Comme l’analyse Marcel Gauchet, il n’y a pas de problème parce que, dans leur logiciel intellectuel, il ne peut pas y en avoir. Ou alors, il vient de nous, de nos idées étroites et de nos peurs rances.

On croyait que les attentats et ce qu’ils nous ont appris sur la société musulmane en France feraient l’effet d’un coup de réel. Las ! Tout occupées à dispenser des leçons de maintien multiculti, les VIP de la gauche politique et médiatique (qui comptent, faut-il le rappeler, des tas de gens de droite) ne voient pas qu’une guerre culturelle a commencé. Ce n’est pas, ou pas seulement, pour faire parler d’eux que des maires ont décidé d’interdire le burkini, mais pour répondre à la demande sourde de leurs administrés qui, depuis Nice, expriment de diverses manières la même opinion, ou le même sentiment : ça suffit ! Assez de complaisance ! Arrêtons de céder du terrain !

Cette guerre ne sera pas menée par des forces armées mais par la société, elle ne vise pas à conquérir des territoires mais des esprits, elle ne combat pas les musulmans mais l’islam fondamentaliste et séparatiste qui veut les empêcher d’être français. Du reste, si nous devons la livrer, c’est d’abord pour ceux – et peut-être plus encore pour celles – qui subissent, dans notre pays, le joug des « Frères » et ne peuvent compter que sur la France pour y échapper. Que doit-on dire à toutes ces femmes qui assurent que, si on n’interdit pas ce nouveau carcan qu’est le burkini, elles seront contraintes de le porter ? Chacun sa vie ? Edwy Plenel, semble-t-il, n’a pas daigné répondre à Fatiha Daoudi, juriste et chroniqueuse au HuffPost Maghreb qui, en quelques phrases, a ridiculisé son interminable et prévisible plaidoyer pour ce « vêtement comme un autre » : « À vous entendre pérorer sur la liberté vestimentaire des femmes musulmanes, confortablement installé dans une démocratie centenaire dont les institutions sont solidement ancrées et où les libertés individuelles sont sacralisées, je sens mes cheveux se dresser sur ma tête non voilée et la colère m’envahir. » Droit dans les gencives.

De peur de froisser les spécialistes, on se gardera de se demander si ceux qui endoctrinent des gamins et pourrissent la vie de leurs concitoyens dès qu’ils sont majoritaires sont salafistes, wahhabites ou islamo-déséquilibrés. Leur islam est certainement plus identitaire et politique que strictement religieux. Pour une partie des enfants d’immigrés, il est un état d’esprit, une façon de voir et de diviser le monde entre « eux » et « nous » plus qu’une spiritualité. Reste une certitude : au cours des dernières années, cet état d’esprit s’est répandu, poussant un nombre croissant de musulmans à vivre dans une société parallèle devenue, stricto sensu, une contre-société. En effet, il ne s’agit pas seulement d’entre-soi, tel que le pratiquent les Juifs religieux ou beaucoup de Chinois, mais de sécession hostile. Ainsi, à en croire nombre de représentants communautaires interrogés par Bertrand Pasquet, c’est seulement après Nice que la rue musulmane s’est sentie concernée par les attentats.

On aurait tort, toutefois, de croire à une évolution spontanée. Nous sommes en présence d’une offensive qui n’est pas menée par un commandement unifié mais par des myriades d’individus et de factions, d’associations, d’amicales, de médias, sans oublier des sponsors plus ou moins transparents. Comme le souligne Marcel Gauchet, cette nébuleuse ne cherche nullement à prendre le pouvoir comme le Ben Abbes d’Houellebecq. Ses activistes s’emploient à renforcer leur contrôle sur le groupe, en particulier sur sa partie féminine, tout en menant un combat idéologique qui se traduit régulièrement par des campagnes destinées à tester notre capacité de résistance. C’est ce qui s’est passé avec le burkini.

Le Conseil d’État a tranché, le droit a parlé, dit-on. Après le Washington Post, le New York Times et toute la presse convenable de la Terre, le Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est permis d’engueuler la France dans un tweet comminatoire, appelant les maires non concernés par l’arrêt à abroger au plus vite leurs mesures discriminatoires. De quoi je me mêle ? C’est bête, mais quand le machin droits-de-l’homme de l’ONU et le Conseil d’État parlent en chœur de liberté, j’ai une furieuse envie d’interdire. Pourtant, on ne saurait le faire de gaieté de cœur. Ma fibre libérale souffre doublement, pour le burkini et pour son interdiction.

En attendant, et n’en déplaise à tous ceux qui veulent nous obliger à vivre ensemble avec n’importe qui, la « dérisoire affaire » du burkini marquera peut-être le début de la reconquête culturelle des territoires perdus – du Kulturkampf, comme aurait dit Bismarck. À nous de décider collectivement si nous voulons qu’elle se fasse à la manière corse ou dans les formes républicaines. Si la République se montre mollassonne, compassionnelle et accommodante, beaucoup de ses enfants déçus commenceront à lorgner avec envie sur les défenses identitaires spontanées des Corses, oubliant qu’elles se déploient grâce à l’intimidation collective orchestrée par des manifestations silencieuses mais punitives, organisées en représailles dans les cités où résident les auteurs d’actions violentes.

Je préfère pour ma part la manière républicaine. La force de la loi, la puissance de la Raison –pour les câlins, on verra plus tard. Si la bataille est engagée, on ne recule plus, comme disait l’autre. Peut-être faudra-t-il, si le Conseil d’État s’entête, légiférer sur le burkini. À moins, bien sûr, que les islamo-activistes qui nous cherchent entendent finalement l’appel à la discrétion que leur a lancé Jean-Pierre Chevènement. Amusant, les réactions outrées que ce mot a suscitées – encore qu’à l’ère des prides, on pouvait s’y attendre. Discret, moi, répète si t’oses ! La discrétion, il y a des maisons pour ça ! Pourtant, ne pas jeter ses croyances à la tête de ses concitoyens, en particulier quand on sait que leur affichage – en l’occurrence celui de l’infériorité des femmes – heurte la sensibilité majoritaire, ne devrait pas être considéré comme une humiliation, mais comme une forme de courtoisie républicaine. On peut parfois dire « après vous », s’effacer devant l’ancienneté, au lieu de revendiquer sans cesse une visibilité maximale.

Reste que le burkini ne fait pas une politique. Il est temps, entend-on de toute part, de redéfinir les règles du jeu et de renégocier (ou de négocier) le pacte entre la France et son islam. Dit ainsi, cela paraît simple. En réalité, c’est un inextricable casse-tête. Bien sûr, on peut compter sur Jean-Pierre Chevènement pour faire œuvre utile à la tête de la Fondation pour l’islam de France. Qu’il nous permette de lui suggérer le lancement d’un vaste audit des milliers d’associations qui bénéficient de fonds publics et dont un nombre conséquent contribuent non pas au développement de la jeunesse mais à son décervelage.

Pour négocier, encore faut-il définir les parties en présence. On connaît la difficulté qu’il y a à faire émerger une représentation légitime de l’islam de France, et il est à craindre que la nouvelle relance du chantier, aussi bien intentionnée soit-elle, ne parvienne pas à régler le problème. Il est fort bon de discuter avec Tareq Oubrou et d’autres personnalités tout aussi respectables, mais cela ne sera d’aucune utilité pour regagner une jeunesse perdue qui les considère à peu près comme des juifs – et ce n’est pas un compliment. C’est l’encadrement intermédiaire de la société musulmane – animateurs culturels et caïds subventionnés – qu’il faut évaluer et, si besoin, neutraliser.

Quant à la France, seconde partie au dialogue, on voudrait bien son numéro de téléphone. Comment dire ce que nous attendons de nos compatriotes musulmans, quand nous sommes loin d’attendre tous la même chose et d’avoir la même définition des différences que nous tolérons et de celles dont nous ne voulons pas ? Cette pluralité qui fait le charme de notre société est plus problématique au sommet de l’État où le président laisse, comme à son habitude, se développer une cacophonie qui lui permet d’avoir plusieurs fers au feu. Mais alors, qui parle au nom de la France : Manuel Valls qui a soutenu les arrêtés anti-burqini, ou Najat Vallaud-Belkacem qui, soucieuse de ne pas s’aliéner les électeurs de Villeurbanne, a décrété qu’il s’agissait d’une intolérable atteinte aux libertés ? Jean-Pierre Chevènement ou l’inénarrable Thierry Tuot, cosignataire de l’arrêt du Conseil d’État, chantre de la « société d’inclusion », qui veut en finir avec la suprématie du français à l’école ?

En attendant, nos dirigeants et ceux qui aspirent à le devenir devraient s’interdire de flatter la fibre victimaire de jeunes Français qui n’ont jamais subi la colonisation en leur serinant que nous sommes coupables de tous leurs maux. C’est en tenant, depuis trente ans, ce discours, infantilisant et condescendant sous son air compatissant, qu’on a semé dans des esprits faibles la graine de la haine et du ressentiment, et abandonné la majorité silencieuse à la loi du plus fort. Pour l’islam, la bataille de France a commencé. Comme le disait Churchill le 4 juin 1940 devant la Chambre des communes, « We shall fight on the beaches »« Nous nous battrons sur les plages ». Et nous ne gagnerons pas à coups de bon sentiment.

Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°38.   

Burkini: un étrange tour de passe-passe

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Marwan Mohammed, dirigeant du CCIF, devant le Conseil d'Etat. Sipa. Numéro de reportage : AP21942980_000004.

Le Monde avait donc raison. Après l’ordonnance du 26 août 2016, suspendant l’arrêté anti-burkini de Villeneuve-Loubet il avait titré « le Conseil d’État met fin aux arrêtés anti burkini ». Ce que j’avais considéré dans ces colonnes comme étant faux, le juge s’étant contenté de rappeler que l’on pouvait restreindre des libertés, dès lors qu’on établissait existence de risques de troubles à l’ordre public, mais que la commune de Villeneuve-Loubet n’en avait pas rapporté la preuve. C’était donc une décision d’espèce, pas de principe. Ce qui s’est produit par la suite jette aujourd’hui un autre éclairage sur cette décision, et nous confronte à un étrange tour de passe-passe.

Tenir compte du contexte

Les autres arrêtés soumis aux juridictions du premier degré ont été systématiquement suspendus, parfois même alors qu’ils avaient été validés une première fois par le même tribunal. Ce qui change tout. Le propre d’une décision juridictionnelle est de délivrer une vérité pratique. Qui ne concerne d’abord que l’espèce qu’elle tranche, mais peut comporter des aspects qui lui donnent une portée plus générale. Le fait que les tribunaux de première instance se soient ensuite alignés, sur la position du Conseil, quitte à se déjuger,  donne a posteriori à l’ordonnance du 26 août le caractère de décision de  principe! Avec comme conséquence principale, que la question de la nature exacte du burkini n’a pas été posée. Vêtement banal choisi par ceux qui le portent, ou emblème d’un combat politique et religieux ? Parce que si le port d’un tel vêtement est bien évidemment susceptible dans tel endroit précis et dans telles circonstances précises de provoquer des troubles à l’ordre public, comme le disaient les arrêtés, l’analyse du message qu’il porte dans son rapport au contexte dans lequel il est porté est tout à fait essentielle.

Un habit ontologiquement neutre ?

Cette analyse n’a semble-t-il pas été faite par les juridictions, lui donnant ainsi le caractère d’un vêtement ontologiquement neutre. Lorsqu’il a s’agit d’interdire, à juste titre, les « apéros saucisson pinard » et les distributions aux SDF « de soupe au cochon », on a examiné le caractère de discrimination interdite véhiculé par ces manifestations. Si j’ai quelques doutes concernant la bonne foi de certains des maires qui ont pris la trentaine d’arrêtés anti burkini, je suis plutôt d’avis que les mises en scène sur la plage de Nice à une dizaine de mètres du massacre étaient autant de provocations. Mais cette question n’a même pas été examinée.

Ce faisant, le dispositif mis en place par la combinaison de l’ordonnance du Conseil d’État et des décisions conséquentes des tribunaux administratifs pose quand même de sacrés problèmes juridiques. Il y a d’abord une discordance avec une jurisprudence constante et séculaire qui fait obligation au juge d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public que pourrait présenter l’exercice d’une liberté fondamentale. Il y a ensuite le refus d’analyser l’expression en elle-même du message émis par l’usage du burkini, et cette façon de sanctuariser ce vêtement, étant quand même dans la situation actuelle, une drôle de façon de se débarrasser du problème.

Anéantir les libertés ou les organiser ?

Mais il y a plus sérieux, le caractère probablement inconstitutionnel de la position des juridictions administratives dans la façon dont elles ont jugé de la légalité des arrêtés. En effet, la vie civile est pleine de ces interdictions qui sont autant d’atteintes aux libertés, qu’on ne remarque plus parce qu’elles font partie de la vie de tous les jours. Les limitations de vitesse et les sens interdits entravent la liberté d’aller venir, comme l’interdiction d’aller sans autorisation dans la propriété du voisin. On est libre de fumer, mais on ne peut pas le faire n’importe où, on peut s’habiller comme on l’entend, mais il n’est pas recommandé, de se balader tout nu dans la rue etc. etc. Ne multiplions pas les exemples que tout le monde connaît, mais pour illustrer les délires qui se sont emparés des opposants aux mesures d’interdiction, et montrer où se situe le droit, on relèvera une perle trouvée dans le déferlement de ces textes tout d’emphase et de logomachie.

« Lorsque l’ordre politique et juridique s’autorise à disqualifier la volonté individuelle d’un citoyen parce que ce citoyen adopte un comportement jugé irrationnel, mortifère, dégradant ou indigne, alors, ce n’est rien de moins que l’anéantissement de toute liberté qui peut se profiler », explique la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez. Cet anarchisme de pacotille est très sympathique, mais il est proprement inepte. Qualifier et disqualifier ce qui doit l’être, « L’ordre politique et juridique », fait ça toute la sainte journée, et c’est même son boulot ! Égorger son voisin est effectivement passablement mortifère, et « l’ordre politique et juridique », il n’aime pas trop. Il a donc promulgué un Code Pénal pour dire que ce n’est pas bien et l’interdire. Alors, « l’ordre politique et juridique » qui est le gouvernement du pays va s’autoriser non pas à anéantir les libertés mais à les organiser. Et dans une démocratie républicaine comme la France, les citoyens vont se mettre en tas pour décider de ce qu’ils veulent, pour ensuite élire des gens pour le mettre en œuvre, le tout dans un cadre juridique normé. Être contraint de rappeler ces évidences, finit par être un peu angoissant.

Pour les mesures ponctuelles comme la « soupe au cochon » ou le burkini, où « L’ordre politique et juridique » est représenté par le maire, la question est délicate car s’agissant de porter atteinte a priori à une liberté, l’existence d’un risque de troubles à l’ordre public doit être avéré. Il peut se déduire d’un certain nombre d’éléments qui doivent donc être analysés.

Arbitrer entre liberté et ordre public : le raisonnement de la loi Gayssot

Prenons un exemple particulièrement significatif des raisonnements utilisés pour rendre les arbitrages entre respect des libertés et maintien de l’ordre public, il s’agit de la loi Gayssot. Que nous dit-elle ?

« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »

Par conséquent, l’expression d’un négationnisme, quelle que soit la bonne foi éventuelle de l’auteur est considérée par nature comme causant un trouble à l’ordre public. Saisi d’une QPC , 8 janvier 2016 le Conseil Constitutionnel a validé ce texte en rappelant que sur la base de l’article 34 de la Constitution : «il est loisible au législateur d’édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer ; qu’il  lui est également loisible, à ce titre, d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ». Et le conseil poursuit : « Considérant que les propos contestant l’existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l’humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l’antisémitisme ».

On va naturellement répondre que tout cela n’a rien à voir, qu’il s’agit d’un vêtement et que la liberté de s’habiller comme on l’entend est une liberté terriblement fondamentale. Et que si l’on y touche pour le burkini c’est la mort de la République, les heures sombres, le croissant jaune remplaçant l’étoile jaune, et, horreur, l’atteinte à la liberté des intégristes d’emburkiner leurs femmes et maintenant leurs enfants.

Rien à voir ? Voire.

Mais s’il s’agit d’un vêtement ?

Toutes les libertés fondamentales sont concernées, le vêtement étant lui aussi, c’est une banalité que de le rappeler, un moyen d’expression. Une preuve ?

Que nous dit l’article R645-1 du Code pénal ? Il est interdit « de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ». Le port de ces vêtements constitue bien, en lui-mêmesi l’on suit le raisonnement du Conseil Constitutionnel, une incitation au racisme et à l’antisémitisme.

L’on va à nouveau nous répondre que nous serions en présence d’un cas particulier et que l’on ne peut pas assimiler l’expression d’une idéologie religieuse dans des vêtements, celle de l’islam intégriste, à l’idéologie nazie. J’en conviens bien volontiers, mais nous discutons ici de principes juridiques qui sont les supports de l’instauration de prescriptions à caractère général. C’est si vrai que la Cour de Cassation vient récemment d’adopter une jurisprudence en s’appuyant sur ce type de raisonnement à propos du mouvement BDS préconisant le boycott des produits venant de l’État d’Israël. Cet appel au boycott est considéré par la Chambre Criminelle comme étant par nature l’expression d’une discrimination antisémite. Et les porteurs de t-shirts siglés BDS, considérés eux aussi comme support du message ont été verbalisés. Sans parler des porteurs de T-shirts « Manif Pour Tous » eux aussi verbalisés parce qu’évidemment homophobes…

Alors, le débat sur ces vêtements, dont l’islam intégriste essaie de banaliser le port dans l’espace public, doit impérativement avoir lieu. C’est d’ailleurs le cas, puisque nombreux sont ceux qui ont posé la question du message envoyé par le burkini. Tout comme en face se sont exprimées les partisans de sa neutralité quelles que soient les circonstances, et ceux pour qui le fait qu’il s’agisse d’une contrainte pour la femme, est sans importance. Pour ma part, je considère que le port, volontaire ou pas, de ces vêtements, est l’expression d’un combat mené contre l’ordre républicain et ses fondements. Un combat séparatiste et communautariste qui fait de soi-disant principes, d’un islam dévoyé, des normes supérieures à celles de la République. Je conçois parfaitement que ces positions soient contestées, mais elles sont massivement partagées par la population française. Le débat démocratique, c’est ça.

Pas besoin de loi, appliquons le droit français tel qu’il est

Mais justement, il convient d’en tirer les conséquences et  de le trancher. Il appartenait aux juridictions de le faire plutôt que de se livrer, à cette contorsion passablement jésuitique qui a envoyé la balle dans le camp du législateur. On aurait peut-être pu se dispenser de cette étape, en laissant les maires, sous le contrôle du juge, régler le problème en appliquant le droit français tel qu’il est aujourd’hui.

Manif du 4 septembre : Quand les Chinois de France s’éveillent…

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Manifestation du 4 septembre, République (Paris). Photo : Daoud B.

Place de la République, dimanche 4 septembre, 14 heures. Des milliers de citoyens disciplinés défilent en rangs serrés, vêtus du t-shirt « Stop violence- agressions –insécurités », brandissant des drapeaux tricolores qui forment une nuée bleu-blanc-rouge. Juchée sur un camion dont la sono diffuse La Marseillaise, une oratrice scande « Violence, agressions, à quand la répression ? » sur l’air de l’hymne national. En soulevant des pancartes « Justice laxiste », la foule manifeste une colère longtemps restée sourde. En ce jour anniversaire de la proclamation de la IIIème République, quelle mouche a piqué cette place mythique de la gauche ? Un 6 février 1934 est-il en train d’émerger sur les décombres de Nuit debout ? Vous n’y êtes pas, cette demande d’ordre et de sécurité n’émane d’aucune ligue brune, ni du fan club français de Donald Trump…

Le mort de trop

Si mobilisation massive il y a, elle a été prise à l’initiative du Conseil représentatif des associations asiatiques de France (CRAAF), de l’Association des Chinois résidant en France, du collectif « Sécurité pour tous » et de quelques autres groupes de la même eau. L’événement déclencheur ? Le 7 août dernier, Zhang Chaolin, modeste couturier chinois d’Aubervilliers, a été agressé par trois lascars puis laissé pour mort entre deux barres HLM, sans qu’aucun témoin ne moufte ni ne donne l’alerte. Cinq jours plus tard, il succombait à ses blessures, suscitant une vague d’indignation parmi la communauté asiatique qui, fait rarissime, a marché trois fois par milliers ces dernières semaines, les 14 et 21 août à Aubervilliers puis aujourd’hui à Paris. Cette mort fut la goutte de sang qui fit déborder le vase d’une communauté vivant d’ordinaire en vase clos, mais légitimement courroucée par les rackets en règle que lui fait subir autre frange de l’immigration. Ainsi, les trois agresseurs d’Aubervilliers ont-ils reconnu les faits, mais nié leur caractère raciste, version retenue par le parquet. Et l’origine nord-africaine des coupables ne passe pas inaperçu dans la presse chinoise, un peu plus libérée que la nôtre lorsqu’il s’agit de désigner l’origine ethnique de certains sans crainte de stigmatiser

Un zeste plus consensuel, le chantre du cortège s’égosille dans le micro : « Des promesses ont été faites » mais « les autorités attendent ». L’homme paraît agacé par la surreprésentation des politiques qu’il exhorte « d’exécuter leurs promesses » et désigne comme de simples « témoins » (de leur impéritie ?). Ainsi parle le porte-parole du collectif « Sécurité pour tous » né après les émeutes interthniques de Belleville en 2010-2011[1. Evénements qui avaient servi de décor réel à l’incipit de Fractures françaises de Christophe Guilluy.] – entre Maghrébins et Chinois régulièrement dépouillés de leurs espèces.  Il faut bien admettre que la convocation du ban et de l’arrière-ban du théâtre politique a quelque chose de baroque : les maires PS des 10e, 13et 20e arrondissements de Paris, le premier fédéral socialiste, des représentants de la LICRA, de l’UEJF, Emmanuel Macron et la présidente de région Valérie Pécresse sont – à tort ou à raison – annoncés, de même que la quinzaine d’élus « d’origine asiatique » cosignataires de la tribune contre l’insécurité et le racisme antichinois parue ce matin dans le Journal du dimanche.  Autant de hiérarques socialistes défilant en solidarité avec des Chinois réclamant plus de sévérité, de flicage et de vidéosurveillance (fût-elle payée à leurs frais), l’ubuesque de la situation aurait fait sourire Jean Yanne…

Aux urnes, citoyens !

« Qu’un maximum d’Asiatiques s’inscrivent sur les listes électorales ! » appelle Jackie Troy, vice-présidente et secrétaire du Conseil représentatif des associations asiatiques de France. Cette ancienne militante libérale originaire de Shanghai fait preuve d’un entregent certain dans la gestion des relations publiques. Son vice-président Valéry Vuong, d’origine vietnamienne, milite au PS, ce qui confirme l’apolitisme de l’association. Mais il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirai pas… »  Imaginez la manne que représentent des milliers d’électeurs potentiels, de plus en plus tentés par la droite (et plus si affinités, Marine Le Pen ayant été la première responsable politique à réagir au meurtre d’Aubervilliers).

En guise de rabatteur, la région a donc dépêché Patrick Karam, saint patron LR des causes désespérées : outremer, diversité et chrétiens d’Orient. Fin politique, l’entrepreneur (multi)communautaire proche de Nicolas Sarkozy a fait ses armes au sein de la minorité libanaise de Guadeloupe. C’est en tant que vice-président de la région Île-de-France chargé de la vie associative qu’il drague les organisateurs de la manif : « La région possède douze bases de loisir. On peut privatiser l’une d’elles pour que la communauté asiatique organise un grand événement, par exemple à Saint-Quentin-en-Yvelines, près du château de Versailles. »

Une grande récré comme palliatif à la sécurité, voilà qui est bien gentil mais cache mal l’embarras des élus. Jusqu’ici politiquement inertes, les Asiatiques de France comptent bien peser de tout leur poids lors des prochaines échéances électorales. Dans des localités PS ou Front de gauche de la région parisienne, la mobilisation d’une communauté soudée au fort potentiel économique pourrait faire très mal. Ce qu’il reste de municipalités rouges ou roses autour de la capitale risque de ployer sous le poids de leurs contradictions : entre les risettes aux islamo-racailles et les promesses de sécurité aux travailleurs chinois, il faudra bien choisir. Quand les Chinois s’éveilleront, la gauche francilienne tremblera…

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Quand les choses de la vie défilent dans le rétroviseur

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On ne dira jamais assez combien la laideur de l’époque actuelle nous accable et nous désole. Une vulgarité de ton doublée d’une absence de style. Une lourdeur bien-pensante qui, chaque jour, envahit les écrans et les librairies. Et cette morgue suicidaire de filmer, écrire, manger, s’habiller comme tous les autres peuples, résignés à accepter ce destin tragique. La mondialisation a été jusqu’à standardiser nos émotions. Les Français y ont perdu leur singularité et leur sensibilité. Affirmer que « c’était mieux avant ! » n’est pas une posture réactionnaire mais un constat lucide et, sans appel. Il suffit de revoir « Les choses de la vie », le film de Claude Sautet (Prix Louis-Delluc 1970) adapté du roman de Paul Guimard sorti en 1967 chez Denoël.

Une France aussi inconstante qu’attirante

Ce bond dans le passé sur une musique de Philippe Sarde nous éclaire sur ce que nous avons été : des esthètes mélancoliques, des héros fatigués, des enfants tristes, des conducteurs imprudents, des amoureux en bout de course, c’est-à-dire les représentants d’une nation aussi inconstante qu’attirante. Les filles rêvaient en secret que Pierre (Michel Piccoli) les prendrait à la sortie du lycée dans son Alfa Giulietta Sprint, gris métallisé, phares « longue portée ». Leurs mères en mourraient de jalousie et leurs pères ne désapprouveraient pas complètement ce choix du cœur. Il y a des images que l’on n’oublie pas. Piccoli, cigarette pendante, nœud de cravate légèrement ouvert, les mains rivés sur le volant en bois de sa voiture italienne, le regard perdu dans ses souvenirs et ses amours, conduit trop vite sur une Départementale quand une bétaillère s’immobilise à un carrefour, près d’un lieu-dit appelé « La Providence ».

Les garçons débattaient, au bistrot du coin, de longues heures sur les avantages comparés des deux actrices à l’écran : Hélène (Romy Schneider) et Catherine (Lea Massari). Chacun vantant les mérites de sa protégée, trouvant dans un geste anodin, un supplément de charme ou dans une intonation particulière, les prémices à un rapprochement des corps. À vrai dire, elles n’étaient pas si faciles à départager. Romy, lunettes sur le nez, enfilant une chemise au petit matin, qui se met à taper à la machine avait de quoi réveiller les fantasmes plus enfouis. Le cinéma d’aujourd’hui produit-il quelque chose d’aussi érotique, classique et déroutant ? Le grain de peau de Romy et cet accent à couper au couteau faisaient grincer les lits dans les internats des années 70.

Romy contre Lea

Pour les adorateurs de Lea Massari, il ne faisait aucun doute que la fêlure de la belle romaine l’emportait sur la troublante viennoise. La voix de Lea, son amertume, sa retenue, son splendide visage de femme blessée lui assuraient la victoire finale. Mais, lorsqu’on entendait la « Chanson d’Hélène » interprétée par Romy, nous n’étions plus sûrs de rien. Ces deux femmes nous désarmaient. A l’été 1969, le tournage des «choses de la vie », notamment l’accident de la route, fut compliqué à scénariser et nécessita l’utilisation de nombreux véhicules. Ce dérapage non contrôlé n’était finalement qu’un prétexte à raconter l’errance amoureuse d’un homme mûr. Dans le roman qui a obtenu le Prix des Libraires en 1968, Pierre Delhommeau n’est pas un architecte mais un avocat parti plaider à Rennes et il ne roule pas en Alfa mais dans une MG 1100. Paul Guimard, admirable écrivain du sentiment refoulé a emprunté le titre de son livre à une locution de Valery Larbaud. Son personnage principal, reste conscient durant toutes les phases de l’accident. De l’entrée dans le virage à vive allure jusqu’à l’hôpital sur un brancard, il ne perd, à aucun moment, connaissance. Il entend tout. Il voit tout. Le paysage s’est figé dans une netteté mémorielle. Il délivre alors un testament précis, détaillé, impudique et profond de sa relation avec Hélène. « A force de se pencher sur son passé, on contracte envers soi des complaisances suspectes. Hélène me reproche d’enjoliver – elle dit « maquiller » – ma jeunesse […] Elle proclame que la mythologie de l’adolescence conduit au gâtisme » fait-il avouer à son héros fracassé, à l’article de la mort.

Les choses de la vie – roman de Paul Guimard – Folio.

Les choses de la vie – film de Claude Sautet –  DVD StudioCanal.

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Les débordements de Toni Erdmann

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Parce qu’elle travaille désormais à Bucarest pour une grosse boite en tant que consultante et qu’elle présente des plans de restructuration économique entraînant un certain nombre de licenciements, Inès ne voit désormais quasiment plus jamais son père. Ce dernier est une espèce de clown lunaire qui affectionne particulièrement les déguisements. Un jour, il décide de rejoindre sa fille dans son univers, en Roumanie, pour lui offrir son cadeau d’anniversaire et savoir si elle est heureuse ou pas…

Père et fille

Sur le papier, on voit immédiatement à quels écueils Maren Ade allait devoir se confronter dans Toni Erdmann. Premier écueil, le schéma psychologique centré sur la relation père/fille avec son lot de clichés sur les années qui séparent immanquablement les êtres les plus proches, sur l’incompréhension qui naît en raison des différences de mode de vie… Le tout, on l’imagine, dirigé vers une « réconciliation finale » où chacun aura appris de l’autre.

Deuxième écueil : le schéma sociologique. Combien a-t-on déjà vu de ces films (au hasard, le nullissime Mon meilleur ami de Patrice Leconte) confrontant un cadre proche de la dépression et du surmenage à un personnage plus excentrique qui finit par lui redonner le sens des vraies valeurs ? Entre la chasseuse de têtes et le clown, il y avait là matière à une énième « leçon de vie » à la façon d’Intouchables.

Enfin, dernier écueil : le schéma militant. En faisant évoluer ses personnages dans les décors aseptisés de bureaux high-tech, de chambres d’hôtels internationaux, de grandes surfaces et de cocktails mondains ; la cinéaste entend, bien entendu, porter un regard critique sur la déshumanisation qu’entraîne dans son sillage la mondialisation. Mais là encore, elle aurait pu se contenter d’une satire convenue n’allant pas plus loin que l’égratignement de certains signes de l’époque et qu’une célébration un peu neuneu de valeurs gentiment « de gauche », Inès se moquant d’ailleurs des postures « écolos » de son père.

Mais disons-le tout net, Maren Ade évite magistralement tous ces écueils et nous livre une fable des plus étonnantes qu’il soit. La principale raison de cette réussite, c’est l’élaboration de ce personnage fabuleux qu’est Winfried Conradi (Peter Simonischek, acteur incroyable), le père d’Inès.

Le spectateur ne sait plus sur quel pied danser

Dès la première scène du film, il fait tourner en bourrique un pauvre facteur en lui faisant croire que le colis qu’il est en train de livrer est destiné à son frère, un repris de justice condamné pour avoir confectionné… des colis piégés ! Comme le facteur, le spectateur ne sait plus sur quel pied danser, entre le rire et l’inquiétude, ni si les histoires racontées par ce père facétieux sont du lard ou du cochon. Quand il réalise que Winfried incarnait les deux personnages, il prend conscience que ce personnage est capable de faire « déborder » le quotidien, de lui donner un caractère totalement incongru et excessif.

La force de Toni Erdmann, c’est d’être constamment dans ce « débordement », à la limite de l’explosion. Tout ce qu’il pourrait y avoir de convenu dans le récit ou dans les relations entre les personnages est transcendé par cet excès permanent.  Winfried n’est pas un « révélateur » dans le sens où il incarnerait une sorte d’« idiot » pur auxquels s’opposeraient les vices des autres et de la société. Il est plutôt une sorte de Diogène moderne, un diable dans sa boîte toujours prêt à bondir, au moment où on l’attend le moins. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Inès lorsqu’elle le voit resurgir dans un restaurant sous les traits de Toni Erdmann, autre personnage imaginaire créé par son infatigable père.

D’une certaine manière, Maren Ade applique la subversion des rôles préconisés par les situationnistes. Il n’en faut pas beaucoup à Winfried pour changer d’identité : de fausses dents, une perruque parfois et le voilà ambassadeur d’Allemagne, coach pour PDG ou bateleur pour maison de retraités. La force de ce personnage excentrique, c’est qu’il est constamment dans l’excès et que sa seule présence insolite perturbe le quotidien de ceux qu’il approche. Il est à la fois un corps burlesque qui donne lieu à des scènes tordantes (son apparition en yéti), portées par un humour vraiment dévastateur.

Mais Maren Ade ne se contente pas de la charge subversive du rire : elle fait grincer les situations jusqu’au malaise, jusqu’à ces moments où les masques tombent et dévoilent la vanité et la vacuité des rôles sociaux.

Une excentricité contagieuse

L’excentricité de Winfried finit par contaminer tout le récit et tous les personnages : l’amant d’Inès ne peut plus accéder à son corps et se masturbe en caleçon Calvin Klein sur les petits fours que la jeune femme mangera, une visite de chantier se transforme en « dérive » chez un ouvrier, comme si la « rumeur du monde », la misère sociale, la pauvreté économique, l’envers du cauchemar climatisé de la mondialisation, faisaient irruption sans façon. La séquence la plus stupéfiante du film est ce brunch qu’organise Inès pour son anniversaire. Réalisant que sa robe est trop cintrée, elle l’enlève et accueille sa première invitée seulement vêtue d’une petite culotte. Quand arrive un deuxième invité, elle enlève ladite culotte et annonce à brûle-pourpoint qu’il s’agit d’un « cocktail nu ». On ne détaillera pas la séquence en entier mais elle oscille en permanence entre un rire franc (l’hilarante assistante qui se plie docilement aux règles de sa patronne) et un indescriptible malaise. Tout « déborde » dans ce passage qui met à nu, à tous les sens du terme, l’absurdité de ces rapports humains : l’excuse de la culture d’entreprise et du « défi pour souder l’équipe », la mise à nu réelle des personnages qui traduit l’extrême vacuité de leurs occupations…

Il y a un peu de Houellebecq dans cette manière incisive de saisir le vide absolu d’une époque où la prédation capitaliste semble l’unique raison  d’être des sociétés humaines. Au cœur de ce néant s’agite la pauvre Inès, jouée avec une infinité de nuances (dans les expressions et les émotions) par une impeccable Sandra Hüller.

Toni Erdmann est le film de cette époque : drôle et désespéré, noir mais enclin à une excentricité roborative qui contamine le réel pour le transcender et surtout, à tous les sens du terme, pour l’excéder.

Toni Erdmann (2016) de Maren Ade avec Sandra Hüller, Peter Simonischek, en salle depuis le 17 août.

Grincheux, lisez Bardolle!

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Un bar parisien, une semaine tout juste après les attentats de Paris (Photo : SIPA.00731529_000026)

En le lisant, j’ai eu l’impression que ce texte avait été écrit spécialement pour moi qui souffre de râlerie chronique. Je parle du dernier essai signé par Olivier Bardolle et intitulé De la joie de vivre par temps hostiles. Pourtant, il n’y a pas de doute, le livre est dédié à une certaine Pauline qui n’a rien d’atrabilaire. Le texte commence par une confession au sujet des relations de l’auteur avec cette jeune femme. Ils se sont quittés, voilà le problème, et pourtant ils s’aimaient. J’ajouterais, moi qui les ai connus, qu’ils formaient un duo plein d’allant et de panache qui était une vraie publicité pour la notion de couple. C’est toujours bien, pour réfléchir, de démarrer par un cas concret.[access capability= »lire_inedits »]

Ce que se reproche Olivier Bardolle, c’est un tropisme excessif vers la lucidité, autrement dit vers le pessimisme. Il a trop lu Cioran et quelques autres. En un sens, c’est agréable de râler, de chercher à avoir raison et de regretter le bon vieux temps. On peut dire que c’est une activité paisible. Je la pratique d’ailleurs moi-même, avec assiduité, parfois en picolant. On y prend goût. Mais, à la longue, les toxines s’accumulent. Ce n’est bon ni pour soi-même ni pour son entourage.

Et puis, surtout, c’est souvent faux. Le bon vieux temps est comme ces piquettes oubliées en cave qu’on voudrait faire passer pour de grands crus. Ainsi, les fameuses Trente Glorieuses qu’on ne cesse de vanter ont été, en réalité, mortellement ennuyeuses et très laides. C’était une époque où « les roulettes [des dentistes] tournaient trop lentement et leur son résonnait longtemps dans les crânes ». Ce détail à lui seul suffirait à me convaincre, moi qui ai tant poireauté dans des salles d’attente où l’unique palliatif à la terreur était des reproductions d’artistes aussi médiocres que Toffoli ou Vasarely. Olivier Bardolle fait un tour d’horizon de cette période et il remet bien les choses en place.

Ensuite, il nous emmène faire une promenade de fantaisie au pays des inventions pressenties pour l’avenir. Certaines de ces améliorations auront peut-être le destin du camembert en tube alors que d’autres, au contraire, bonifieront irréversiblement nos vies. Difficile de le savoir à l’avance. L’important est de faire preuve de bonne volonté. Et Olivier Bardolle en a à revendre, de la bonne volonté. Ça fait du bien.[/access]

De la joie de vivre par temps hostiles, Olivier Bardolle, L’Éditeur, mai 2016.

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La tragédie des éleveurs

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Sipa. Numéro de reportage : 00768532_000007.
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Périco Légasse a raison de dire qu’à côté de la tragédie que traversent les éleveurs bovins, hier à viande,  aujourd’hui laitiers, la querelle du burkini ou la démission de Macron paraissent des sujets bien frivoles.

Des prairies et des  vaches;  au milieu  une ferme avec un  fermier et un chien;  c’était là une part essentielle de ce qu’était la France (rien de comparable à tous les  pays où on ne voit pas d’animaux dehors, l’élevage s’y faisant hors sol). C’est ce qui disparaît parfois tragiquement, des centaines d’agriculteurs surendettés et désespérés étant conduits au suicide chaque année dans l’indifférence générale.

Il y a quelques jours, je passais à Saint-Benoît-du-Sault, un de plus jolis villages de France  dans une région, le Sud-Berry, parmi les plus déshéritées. À la sortie du village, j’aperçois une ferme à l’abandon : l’herbe avait poussé sur le machines agricoles laissées dans les hangars sans que personne en ait trouvé l’utilité. Spectacle désolant,  tout un symbole.

Lactalis et les producteurs ont passé un accord sur la base de 0, 90 euros le litre. C’est mieux que les 0,25 euros qui étaient versés il y a un mois, mais c’est le même prix, 1,90 francs, qui était payé aux producteurs il y a trente ans. Aucune hausse de productivité significative ne justifie cette stagnation du  prix nominal versé au producteur qui représente une  baisse du prix réel. On incite les éleveurs  à rationaliser leur exploitation, à s’agrandir et ils le font, mais cela suppose des investissements  et  se traduit par toujours  plus de travail  (pour des gens qui sont déjà  sont bien au-delà des 35 heures), pas forcemént une plus grande productivité. Entre-temps, les charges n’ont cessé d’augmenter, les normes de se compliquer.

Pour ceux qui ont investi comme  on  leur  a dit,  0,90 euros  c’est un euro de moins que le prix de revient. Seuls résistent encore ceux qui n’ont pas fait d’investissements ou les ont déjà   amortis, pas forcément  les plus modernes.

Merci le libre-échange !

Il y un an, le lait de vache se vendait  à 0,36 euros le litre. Que s’est-il passé ? La fin des quotas laitiers prévue par les accords du GATT de 1995, au nom du libre-échange, a libéré un peu partout la production. En ont particulièrement profité les producteurs allemands dont les coûts de revient (salaires, impôts, engrais, aliments) sont moindres et où le régime communiste avait laissé  en Prusse l’ héritage  d’ immenses  exploitations, proches de pays où la main d’œuvre ne coûte guère.

Si les fruits et légumes ou le vin courant ont à craindre de la  fin de l’euro, qui tirerait les prix de nos concurrents  méditerranéens vers le bas, si les exploitations céréalières ultra-compétitives du Bassin parisien  n’ont rien à  redouter hors les  intempéries ( ont elles souffrent ces jours-ci) , les éleveurs de viande ou de lait sont les premières victimes d’une monnaie surévaluée par rapport à nos concurrents d’Europe du Nord.

La crise de l’élevage illustre combien la conjugaison d’une monnaie trop forte et de frontières ouvertes est destructrice, ce que nos « élites » ignares en économie ne veulent pas voir.

La balance agricole, notamment animale,  franco-allemande n’a cessé de s’améliorer au bénéfice des Allemands depuis la mise en place de l’euro. Autrefois, quand la situation était inverse, les Français avaient fait preuve de solidarité au travers des montants  compensatoires. Rien de tel aujourd’hui où  la solidarité devrait jouer en  sens inverse.

Derrière les accords du GATT, il y avait  l’objectif de la mondialisation du marché du lait, largement atteint aujourd’hui. Le prix mondial se fixe en Nouvelle-Zélande: même si nos berlingots frais  sont fabriqués en Europe, le lait en poudre traverse les mers. Or la baisse de consommation de la Chine a tiré les prix mondiaux  vers le bas.

La seule arme qui permettrait aux producteurs de retrouver une certaine marge de manœuvre face aux grands groupes est le mouvement coopératif. Il dispose en France d’avantages fiscaux qui lui donnent les moyens de verser de gros salaires à ses dirigeants, lesquels, taille oblige, y ont seuls  le vrai pouvoir. Dans le cadre de la réforme de l’Etat, le service spécialisé du ministère de l’agriculture s’est assigné pour objectif chiffré le nombre de fusions de coopératives qu’il pourra susciter. Big is beautiful.

Sans doute les prix, après avoir assez  baissé, finiront-ils  bien par  remonter et certains éleveurs résisteront-ils à la crise. Mais chaque fois ils seront moins nombreux. Ce n’est pas seulement un pan entier de notre  civilisation qui s’en va, c’est aussi un atout essentiel de la  France, si bien pourvue en terroirs divers,  favorables à un vaste éventail de productions. La déprise de ces terroirs est à prévoir quand les producteurs auront été les uns après les autres découragés. Les consommateurs perdent en qualité ce qu’ils semblent gagner sur les prix (très peu en réalité, car la matière première ne représente qu’une petite partie du prix de vente). À qui donc, en matière  agricole, a profité la  mondialisation, sinon  aux multinationales ?

Angela Merkel en a encore sous la pédale

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Angela Merkel, lors du sommet du G20, le 4 septembre 2016 à Hangzhou, en Chine © AFP.
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Angela Merkel, lors du sommet du G20, le 4 septembre 2016 à Hangzhou, en Chine © AFP.

Annoncée par les sondages, la percée de l’AfD, parti catalogué populiste, anti-européen et hostile aux migrants, à l’élection régionale du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale a suscité hors d’Allemagne, et particulièrement en France, des réactions outrancières. Attirés par l’odeur du sang – celui d’une chancelière en route du Capitole vers la Roche Tarpéienne, nombre de nos commentateurs installés voient dans ce revers local le signal d’un prochain bouleversement politique outre-Rhin, à l’occasion des élections au Bundestag de l’automne 2017.

Sovkhozes capitalistes

C’est aller un peu vite en besogne, même s’il est tentant de céder à la Schadenfreude, cette joie mauvaise typiquement germanique, de voir une incorrigible donneuse de leçons de maintien économique, politique et moral se faire tailler des croupières sur sa terre d’élection. Ce Land, pourvu d’un nom à rallonge,  que l’hebdo Der Spiegel a opportunément rétréci en Meck-Pomm, c’était naguère le nord-est de l’ex RDA, et jadis le territoire des Junkers prussiens, cette aristocratie terrienne et militaire, dont Otto von Bismarck fut l’emblème. Les grands domaines agricoles, transformés en sovkhozes communistes au temps de la RDA, se perpétuent aujourd’hui sous la forme d’exploitations capitalistes capables de produire du lait et des céréales à des prix ultracompétitifs, au grand désespoir de nos braves éleveurs de bovins étranglés par cette concurrence. Fermes de mille vaches et de dix mille cochons soignés par des ouvriers polonais à bas prix, tourisme au bord de la Baltique, activités portuaires de Rostock suffisent  à donner à cette région de quoi vivre à peu près correctement, moins somptueusement, certes, que les Länder industrialisés de l’ouest et du sud, mais mieux que jamais dans son histoire récente.

Un foyer de nationalisme ombrageux

Géré « à la protestante » par une « grande coalition » SPD-CDU, dans laquelle les sociaux-démocrates sont majoritaires depuis dix ans, le Meck-Pomm est peu endetté, ses villes, toutes moyennes, ne connaissent pas de tensions sociales ou ethniques majeures. Ce Land, cependant, longtemps à l’écart des évolutions sociologiques et idéologiques liées à l’intégration européenne et à la mondialisation, demeure un foyer de nationalisme ombrageux, imperméable à la repentance générale vis à vis du passé nazi de l’Allemagne, dont la RDA avait fait l’économie en refusant l’héritage moral de l’hitlérisme. Skinheads et néo-nazis y prospèrent plus qu’ailleurs : dès le début des années 90, c’est à Rostock que l’on put assister aux premières agressions contre des foyers d’immigrés alors majoritairement occupés par des demandeurs d’asile originaires des Balkans. Le parti d’extrême droite NPD était représenté à la Diète régionale depuis 2006, avec un programme xénophobe décomplexé, visant les demandeurs d’asile et les travailleurs polonais.

Cet état d’esprit ne pouvait que profiter à la force montante en Allemagne, l’AfD, qui a réussi à faire la synthèse entre le rejet, par une partie notable de l’opinion, des contraintes de la solidarité européenne à l’occasion des crises de l’euro, et de la politique « généreuse » décrétée par Angela Merkel lors de la crise migratoire de l’été 2015. Passé en trois ans de l’inexistence à un score de 21% des suffrages, l’AfD, en dépit de ses querelles internes est devenu le parti de protestation dominant à l’échelle fédérale, ponctionnant l’électorat de l’ensemble des partis installés, de droite comme de gauche. Le coup du Meck-Pomm est particulièrement réussi, puisque l’AfD peut se vanter d’avoir fait sortir les néo-nazis du NPD de la diète régionale, et d’avoir dépassé la CDU sur les terres d’Angela Merkel. l’AfD fait ainsi coup double : elle se dédiabolise en éliminant le NPD, et elle s’installe dans le club très fermé des partis à deux chiffres, dont seuls la CDU et le SPD  étaient jusque là membres à l’échelle nationale : les deniers sondages créditent l’AfD de 11 à 15% des voix aux législatives de 2017.

Merkel à 44%  d’opinions favorables

Mais cela signifie-t-il le début de la fin de la carrière politique d’Angela Merkel, qui subirait ainsi une forme d(« hollandisation » annonciatrice d’une alternance à Berlin ? En aucune manière ! Certes, depuis un an, la cote de popularité de «  Mutti » a chuté, conséquence des inquiétudes provoquées par la crise migratoire, mais elle reste cependant à 44%  d’opinions favorables, un niveau dont rêveraient certains de ses collègues…

De surcroît, elle est, pour l’instant, à l’abri d’un putsch interne à la CDU, qui se trouverait alors un autre champion pour 2017 : ses alliés bavarois de la CSU n’ont plus la force électorale d’avant l’unification, qui leur avait permis d’imposer, naguère Franz Josef Strauss et Edmund Stoiber comme challengers (malheureux) des chanceliers Helmut Schmidt et Gerhardt Schröder, figures de proue de la droite sociale-démocrate pour le premier, sociale libérale pour le second. La montée du populisme AfD affaiblit autant, sinon plus, le SPD que la CDU.

Les chrétiens-démocrates merkeliens restent donc le pivot de toute coalition gouvernementale possible à l’issue des élections de 2017, le SPD de Sigmar Gabriel n’ayant aucune chance de dépasser la CDU en nombre de voix et de sièges dans le prochain Bundestag. À Schwerin, capitale du Meck-Pomm, comme à Berlin l’an prochain, la reconduction d’une grande coalition est donc l’hypothèse la plus probable, même si, au niveau fédéral, l’adjonction d’un troisième cheval à l’attelage peut se révéler indispensable à la constitution d’une majorité de gouvernement. Les Verts conservateurs du style de Winfried Kretschmann, ministre-président du Bade-Wurtemberg, en rêvent, comme les libéraux du FDP dont on prédit le retour au Bundestag en 2017. Solidement campée au centre de l’échiquier politique, Angela Merkel peut voir l’avenir avec confiance, à moins que l’Allemagne  ne subisse, avant le scrutin fédéral, une vague de terrorisme similaire à celle que l’on vient de connaître en France. En revanche, elle n’aura plus les mains aussi libres qu’avant la crise migratoire, et devra défendre les intérêts nationaux plus fermement qu’auparavant.

Comme dirait Bertolt Brecht dans L’Opéra de quat’ sous, « Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral ! »[1. « D’abord la bouffe, puis la morale ».] . Tout cela promet des nuits agitées à Bruxelles. Mais qui, aujourd’hui, à part Bernard Guetta, se soucie de Bruxelles ?

Terrorisme islamiste: les «radicalisés», une armée de fous?

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islam toulouse desequilibres
"La nef des fous", Jérôme Bosch. Wikipedia.
islam toulouse desequilibres
"La nef des fous", Jérôme Bosch. Wikipedia.

Si l’on raisonne en termes de compatibilité logique, d’après ce qu’on peut lire dans les médias, un terroriste/djihadiste/radicalisé ne peut pas être un déséquilibré. « Terroriste » et « déséquilibré » sont apparemment deux notions tout à fait antinomiques. Le premier est un méchant, le second est un fou. En même temps, on nous détaille sans rire la mise en place de « suivis thérapeutiques » à destination des « radicalisés » : il s’agit donc de soigner les méchants, pas les fous. Ou bien alors, tous les radicalisés sont des fous et dans ce cas la précédente distinction ne tient plus. Quelqu’un y comprend quelque chose ?

«La piste terroriste est écartée»

C’est un fait divers enterré rapidement et proprement, comme on le fait désormais à chaque fois que c’est possible. Une preuve de plus que le rôle des journalistes (du moins tel qu’ils le conçoivent) consiste à sauvegarder la paix civile, quoi qu’il en coûte à l’éthique de la profession.

Mardi 30 août, un monsieur se présente dans un commissariat de Toulouse et poignarde un policier.

Si l’on cherche des articles au sujet de cette affaire, il faut éviter de taper « attentat Toulouse » qui ne donne presque rien de récent. Il faut se contenter de « policier poignardé ». En effet, comme le rappellent tous les médias, « la piste terroriste a été écartée ». C’est une information objective. Il n’empêche que c’est une information problématique qui mériterait sans doute d’être présentée comme telle.

Lire la suite sur le blog d’Ingrid Riocreux.

 

Sous le burkini, la vague islamiste

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burkini islam gauchet conseil etat

« Débat stérile », « polémique indigne », « querelle hystérique » : après la publication des premiers arrêtés anti-burkinis[1. S’agissant d’un habit qui évoque furieusement la burqa et pas du tout le bikini, on devrait plutôt écrire « burqini ». Où se niche la bien-pensance…], début août, toutes les grandes consciences du pays et environ 95 % des journalistes ont martelé sans relâche les mêmes éléments de langage. Sujet sans intérêt, circulez. Attention, contrairement à ce que pensent certains, fort excités, sur les forums de discussion, on n’est pas un traître, un salaud ou un vendu-aux-barbus parce qu’on est hostile à l’interdiction. Mais l’argument assené en boucle pour clouer le bec de tout contradicteur laisse rêveur. On n’aurait pas le droit d’interdire le burkini, mais il faudrait interdire d’en parler ? On aimerait comprendre en quoi la promotion d’un costume de bain islamique, jusque-là inconnu sous nos cieux, serait un sujet moins digne de débat que la hiérarchie des normes dans la loi travail, dont nous avons mangé à tous les repas pendant des semaines. Les grands démocrates qui s’émerveillaient des interminables et autarciques logorrhées de Nuit debout, rebaptisées « débats citoyens », sur des thématiques le plus souvent absconses et confidentielles, voient d’un fort mauvais œil que l’on débatte d’une question qui intéresse sacrément une majorité de Français, et pas seulement des méchants de droite : au-delà du burkini, la progression d’un islam radical qui nourrit ou encourage le terrorisme.

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On aimerait comprendre, façon de parler, vu que le même mécanisme de censure est à l’œuvre depuis quarante ans – même s’il perd assurément de son efficacité. Identité ? Islam ? Immigration ? Questions dangereuses, idées puantes, lepéno-sarkozysme. Pouah, pas touche. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire : après dix-huit mois d’expérience de la terreur, nos innombrables petits singes croient encore faire disparaître les choses qui leur déplaisent en interdisant les mots. Il n’y a pas de problème, répètent-ils en guise de formule conjuratoire. Comme l’analyse Marcel Gauchet, il n’y a pas de problème parce que, dans leur logiciel intellectuel, il ne peut pas y en avoir. Ou alors, il vient de nous, de nos idées étroites et de nos peurs rances.

On croyait que les attentats et ce qu’ils nous ont appris sur la société musulmane en France feraient l’effet d’un coup de réel. Las ! Tout occupées à dispenser des leçons de maintien multiculti, les VIP de la gauche politique et médiatique (qui comptent, faut-il le rappeler, des tas de gens de droite) ne voient pas qu’une guerre culturelle a commencé. Ce n’est pas, ou pas seulement, pour faire parler d’eux que des maires ont décidé d’interdire le burkini, mais pour répondre à la demande sourde de leurs administrés qui, depuis Nice, expriment de diverses manières la même opinion, ou le même sentiment : ça suffit ! Assez de complaisance ! Arrêtons de céder du terrain !

Cette guerre ne sera pas menée par des forces armées mais par la société, elle ne vise pas à conquérir des territoires mais des esprits, elle ne combat pas les musulmans mais l’islam fondamentaliste et séparatiste qui veut les empêcher d’être français. Du reste, si nous devons la livrer, c’est d’abord pour ceux – et peut-être plus encore pour celles – qui subissent, dans notre pays, le joug des « Frères » et ne peuvent compter que sur la France pour y échapper. Que doit-on dire à toutes ces femmes qui assurent que, si on n’interdit pas ce nouveau carcan qu’est le burkini, elles seront contraintes de le porter ? Chacun sa vie ? Edwy Plenel, semble-t-il, n’a pas daigné répondre à Fatiha Daoudi, juriste et chroniqueuse au HuffPost Maghreb qui, en quelques phrases, a ridiculisé son interminable et prévisible plaidoyer pour ce « vêtement comme un autre » : « À vous entendre pérorer sur la liberté vestimentaire des femmes musulmanes, confortablement installé dans une démocratie centenaire dont les institutions sont solidement ancrées et où les libertés individuelles sont sacralisées, je sens mes cheveux se dresser sur ma tête non voilée et la colère m’envahir. » Droit dans les gencives.

De peur de froisser les spécialistes, on se gardera de se demander si ceux qui endoctrinent des gamins et pourrissent la vie de leurs concitoyens dès qu’ils sont majoritaires sont salafistes, wahhabites ou islamo-déséquilibrés. Leur islam est certainement plus identitaire et politique que strictement religieux. Pour une partie des enfants d’immigrés, il est un état d’esprit, une façon de voir et de diviser le monde entre « eux » et « nous » plus qu’une spiritualité. Reste une certitude : au cours des dernières années, cet état d’esprit s’est répandu, poussant un nombre croissant de musulmans à vivre dans une société parallèle devenue, stricto sensu, une contre-société. En effet, il ne s’agit pas seulement d’entre-soi, tel que le pratiquent les Juifs religieux ou beaucoup de Chinois, mais de sécession hostile. Ainsi, à en croire nombre de représentants communautaires interrogés par Bertrand Pasquet, c’est seulement après Nice que la rue musulmane s’est sentie concernée par les attentats.

On aurait tort, toutefois, de croire à une évolution spontanée. Nous sommes en présence d’une offensive qui n’est pas menée par un commandement unifié mais par des myriades d’individus et de factions, d’associations, d’amicales, de médias, sans oublier des sponsors plus ou moins transparents. Comme le souligne Marcel Gauchet, cette nébuleuse ne cherche nullement à prendre le pouvoir comme le Ben Abbes d’Houellebecq. Ses activistes s’emploient à renforcer leur contrôle sur le groupe, en particulier sur sa partie féminine, tout en menant un combat idéologique qui se traduit régulièrement par des campagnes destinées à tester notre capacité de résistance. C’est ce qui s’est passé avec le burkini.

Le Conseil d’État a tranché, le droit a parlé, dit-on. Après le Washington Post, le New York Times et toute la presse convenable de la Terre, le Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est permis d’engueuler la France dans un tweet comminatoire, appelant les maires non concernés par l’arrêt à abroger au plus vite leurs mesures discriminatoires. De quoi je me mêle ? C’est bête, mais quand le machin droits-de-l’homme de l’ONU et le Conseil d’État parlent en chœur de liberté, j’ai une furieuse envie d’interdire. Pourtant, on ne saurait le faire de gaieté de cœur. Ma fibre libérale souffre doublement, pour le burkini et pour son interdiction.

En attendant, et n’en déplaise à tous ceux qui veulent nous obliger à vivre ensemble avec n’importe qui, la « dérisoire affaire » du burkini marquera peut-être le début de la reconquête culturelle des territoires perdus – du Kulturkampf, comme aurait dit Bismarck. À nous de décider collectivement si nous voulons qu’elle se fasse à la manière corse ou dans les formes républicaines. Si la République se montre mollassonne, compassionnelle et accommodante, beaucoup de ses enfants déçus commenceront à lorgner avec envie sur les défenses identitaires spontanées des Corses, oubliant qu’elles se déploient grâce à l’intimidation collective orchestrée par des manifestations silencieuses mais punitives, organisées en représailles dans les cités où résident les auteurs d’actions violentes.

Je préfère pour ma part la manière républicaine. La force de la loi, la puissance de la Raison –pour les câlins, on verra plus tard. Si la bataille est engagée, on ne recule plus, comme disait l’autre. Peut-être faudra-t-il, si le Conseil d’État s’entête, légiférer sur le burkini. À moins, bien sûr, que les islamo-activistes qui nous cherchent entendent finalement l’appel à la discrétion que leur a lancé Jean-Pierre Chevènement. Amusant, les réactions outrées que ce mot a suscitées – encore qu’à l’ère des prides, on pouvait s’y attendre. Discret, moi, répète si t’oses ! La discrétion, il y a des maisons pour ça ! Pourtant, ne pas jeter ses croyances à la tête de ses concitoyens, en particulier quand on sait que leur affichage – en l’occurrence celui de l’infériorité des femmes – heurte la sensibilité majoritaire, ne devrait pas être considéré comme une humiliation, mais comme une forme de courtoisie républicaine. On peut parfois dire « après vous », s’effacer devant l’ancienneté, au lieu de revendiquer sans cesse une visibilité maximale.

Reste que le burkini ne fait pas une politique. Il est temps, entend-on de toute part, de redéfinir les règles du jeu et de renégocier (ou de négocier) le pacte entre la France et son islam. Dit ainsi, cela paraît simple. En réalité, c’est un inextricable casse-tête. Bien sûr, on peut compter sur Jean-Pierre Chevènement pour faire œuvre utile à la tête de la Fondation pour l’islam de France. Qu’il nous permette de lui suggérer le lancement d’un vaste audit des milliers d’associations qui bénéficient de fonds publics et dont un nombre conséquent contribuent non pas au développement de la jeunesse mais à son décervelage.

Pour négocier, encore faut-il définir les parties en présence. On connaît la difficulté qu’il y a à faire émerger une représentation légitime de l’islam de France, et il est à craindre que la nouvelle relance du chantier, aussi bien intentionnée soit-elle, ne parvienne pas à régler le problème. Il est fort bon de discuter avec Tareq Oubrou et d’autres personnalités tout aussi respectables, mais cela ne sera d’aucune utilité pour regagner une jeunesse perdue qui les considère à peu près comme des juifs – et ce n’est pas un compliment. C’est l’encadrement intermédiaire de la société musulmane – animateurs culturels et caïds subventionnés – qu’il faut évaluer et, si besoin, neutraliser.

Quant à la France, seconde partie au dialogue, on voudrait bien son numéro de téléphone. Comment dire ce que nous attendons de nos compatriotes musulmans, quand nous sommes loin d’attendre tous la même chose et d’avoir la même définition des différences que nous tolérons et de celles dont nous ne voulons pas ? Cette pluralité qui fait le charme de notre société est plus problématique au sommet de l’État où le président laisse, comme à son habitude, se développer une cacophonie qui lui permet d’avoir plusieurs fers au feu. Mais alors, qui parle au nom de la France : Manuel Valls qui a soutenu les arrêtés anti-burqini, ou Najat Vallaud-Belkacem qui, soucieuse de ne pas s’aliéner les électeurs de Villeurbanne, a décrété qu’il s’agissait d’une intolérable atteinte aux libertés ? Jean-Pierre Chevènement ou l’inénarrable Thierry Tuot, cosignataire de l’arrêt du Conseil d’État, chantre de la « société d’inclusion », qui veut en finir avec la suprématie du français à l’école ?

En attendant, nos dirigeants et ceux qui aspirent à le devenir devraient s’interdire de flatter la fibre victimaire de jeunes Français qui n’ont jamais subi la colonisation en leur serinant que nous sommes coupables de tous leurs maux. C’est en tenant, depuis trente ans, ce discours, infantilisant et condescendant sous son air compatissant, qu’on a semé dans des esprits faibles la graine de la haine et du ressentiment, et abandonné la majorité silencieuse à la loi du plus fort. Pour l’islam, la bataille de France a commencé. Comme le disait Churchill le 4 juin 1940 devant la Chambre des communes, « We shall fight on the beaches »« Nous nous battrons sur les plages ». Et nous ne gagnerons pas à coups de bon sentiment.

Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°38.   

Burkini: un étrange tour de passe-passe

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burkini conseil etat islam loi
Marwan Mohammed, dirigeant du CCIF, devant le Conseil d'Etat. Sipa. Numéro de reportage : AP21942980_000004.
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Marwan Mohammed, dirigeant du CCIF, devant le Conseil d'Etat. Sipa. Numéro de reportage : AP21942980_000004.

Le Monde avait donc raison. Après l’ordonnance du 26 août 2016, suspendant l’arrêté anti-burkini de Villeneuve-Loubet il avait titré « le Conseil d’État met fin aux arrêtés anti burkini ». Ce que j’avais considéré dans ces colonnes comme étant faux, le juge s’étant contenté de rappeler que l’on pouvait restreindre des libertés, dès lors qu’on établissait existence de risques de troubles à l’ordre public, mais que la commune de Villeneuve-Loubet n’en avait pas rapporté la preuve. C’était donc une décision d’espèce, pas de principe. Ce qui s’est produit par la suite jette aujourd’hui un autre éclairage sur cette décision, et nous confronte à un étrange tour de passe-passe.

Tenir compte du contexte

Les autres arrêtés soumis aux juridictions du premier degré ont été systématiquement suspendus, parfois même alors qu’ils avaient été validés une première fois par le même tribunal. Ce qui change tout. Le propre d’une décision juridictionnelle est de délivrer une vérité pratique. Qui ne concerne d’abord que l’espèce qu’elle tranche, mais peut comporter des aspects qui lui donnent une portée plus générale. Le fait que les tribunaux de première instance se soient ensuite alignés, sur la position du Conseil, quitte à se déjuger,  donne a posteriori à l’ordonnance du 26 août le caractère de décision de  principe! Avec comme conséquence principale, que la question de la nature exacte du burkini n’a pas été posée. Vêtement banal choisi par ceux qui le portent, ou emblème d’un combat politique et religieux ? Parce que si le port d’un tel vêtement est bien évidemment susceptible dans tel endroit précis et dans telles circonstances précises de provoquer des troubles à l’ordre public, comme le disaient les arrêtés, l’analyse du message qu’il porte dans son rapport au contexte dans lequel il est porté est tout à fait essentielle.

Un habit ontologiquement neutre ?

Cette analyse n’a semble-t-il pas été faite par les juridictions, lui donnant ainsi le caractère d’un vêtement ontologiquement neutre. Lorsqu’il a s’agit d’interdire, à juste titre, les « apéros saucisson pinard » et les distributions aux SDF « de soupe au cochon », on a examiné le caractère de discrimination interdite véhiculé par ces manifestations. Si j’ai quelques doutes concernant la bonne foi de certains des maires qui ont pris la trentaine d’arrêtés anti burkini, je suis plutôt d’avis que les mises en scène sur la plage de Nice à une dizaine de mètres du massacre étaient autant de provocations. Mais cette question n’a même pas été examinée.

Ce faisant, le dispositif mis en place par la combinaison de l’ordonnance du Conseil d’État et des décisions conséquentes des tribunaux administratifs pose quand même de sacrés problèmes juridiques. Il y a d’abord une discordance avec une jurisprudence constante et séculaire qui fait obligation au juge d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public que pourrait présenter l’exercice d’une liberté fondamentale. Il y a ensuite le refus d’analyser l’expression en elle-même du message émis par l’usage du burkini, et cette façon de sanctuariser ce vêtement, étant quand même dans la situation actuelle, une drôle de façon de se débarrasser du problème.

Anéantir les libertés ou les organiser ?

Mais il y a plus sérieux, le caractère probablement inconstitutionnel de la position des juridictions administratives dans la façon dont elles ont jugé de la légalité des arrêtés. En effet, la vie civile est pleine de ces interdictions qui sont autant d’atteintes aux libertés, qu’on ne remarque plus parce qu’elles font partie de la vie de tous les jours. Les limitations de vitesse et les sens interdits entravent la liberté d’aller venir, comme l’interdiction d’aller sans autorisation dans la propriété du voisin. On est libre de fumer, mais on ne peut pas le faire n’importe où, on peut s’habiller comme on l’entend, mais il n’est pas recommandé, de se balader tout nu dans la rue etc. etc. Ne multiplions pas les exemples que tout le monde connaît, mais pour illustrer les délires qui se sont emparés des opposants aux mesures d’interdiction, et montrer où se situe le droit, on relèvera une perle trouvée dans le déferlement de ces textes tout d’emphase et de logomachie.

« Lorsque l’ordre politique et juridique s’autorise à disqualifier la volonté individuelle d’un citoyen parce que ce citoyen adopte un comportement jugé irrationnel, mortifère, dégradant ou indigne, alors, ce n’est rien de moins que l’anéantissement de toute liberté qui peut se profiler », explique la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez. Cet anarchisme de pacotille est très sympathique, mais il est proprement inepte. Qualifier et disqualifier ce qui doit l’être, « L’ordre politique et juridique », fait ça toute la sainte journée, et c’est même son boulot ! Égorger son voisin est effectivement passablement mortifère, et « l’ordre politique et juridique », il n’aime pas trop. Il a donc promulgué un Code Pénal pour dire que ce n’est pas bien et l’interdire. Alors, « l’ordre politique et juridique » qui est le gouvernement du pays va s’autoriser non pas à anéantir les libertés mais à les organiser. Et dans une démocratie républicaine comme la France, les citoyens vont se mettre en tas pour décider de ce qu’ils veulent, pour ensuite élire des gens pour le mettre en œuvre, le tout dans un cadre juridique normé. Être contraint de rappeler ces évidences, finit par être un peu angoissant.

Pour les mesures ponctuelles comme la « soupe au cochon » ou le burkini, où « L’ordre politique et juridique » est représenté par le maire, la question est délicate car s’agissant de porter atteinte a priori à une liberté, l’existence d’un risque de troubles à l’ordre public doit être avéré. Il peut se déduire d’un certain nombre d’éléments qui doivent donc être analysés.

Arbitrer entre liberté et ordre public : le raisonnement de la loi Gayssot

Prenons un exemple particulièrement significatif des raisonnements utilisés pour rendre les arbitrages entre respect des libertés et maintien de l’ordre public, il s’agit de la loi Gayssot. Que nous dit-elle ?

« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »

Par conséquent, l’expression d’un négationnisme, quelle que soit la bonne foi éventuelle de l’auteur est considérée par nature comme causant un trouble à l’ordre public. Saisi d’une QPC , 8 janvier 2016 le Conseil Constitutionnel a validé ce texte en rappelant que sur la base de l’article 34 de la Constitution : «il est loisible au législateur d’édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer ; qu’il  lui est également loisible, à ce titre, d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ». Et le conseil poursuit : « Considérant que les propos contestant l’existence de faits commis durant la seconde guerre mondiale qualifiés de crimes contre l’humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l’antisémitisme ».

On va naturellement répondre que tout cela n’a rien à voir, qu’il s’agit d’un vêtement et que la liberté de s’habiller comme on l’entend est une liberté terriblement fondamentale. Et que si l’on y touche pour le burkini c’est la mort de la République, les heures sombres, le croissant jaune remplaçant l’étoile jaune, et, horreur, l’atteinte à la liberté des intégristes d’emburkiner leurs femmes et maintenant leurs enfants.

Rien à voir ? Voire.

Mais s’il s’agit d’un vêtement ?

Toutes les libertés fondamentales sont concernées, le vêtement étant lui aussi, c’est une banalité que de le rappeler, un moyen d’expression. Une preuve ?

Que nous dit l’article R645-1 du Code pénal ? Il est interdit « de porter ou d’exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité ». Le port de ces vêtements constitue bien, en lui-mêmesi l’on suit le raisonnement du Conseil Constitutionnel, une incitation au racisme et à l’antisémitisme.

L’on va à nouveau nous répondre que nous serions en présence d’un cas particulier et que l’on ne peut pas assimiler l’expression d’une idéologie religieuse dans des vêtements, celle de l’islam intégriste, à l’idéologie nazie. J’en conviens bien volontiers, mais nous discutons ici de principes juridiques qui sont les supports de l’instauration de prescriptions à caractère général. C’est si vrai que la Cour de Cassation vient récemment d’adopter une jurisprudence en s’appuyant sur ce type de raisonnement à propos du mouvement BDS préconisant le boycott des produits venant de l’État d’Israël. Cet appel au boycott est considéré par la Chambre Criminelle comme étant par nature l’expression d’une discrimination antisémite. Et les porteurs de t-shirts siglés BDS, considérés eux aussi comme support du message ont été verbalisés. Sans parler des porteurs de T-shirts « Manif Pour Tous » eux aussi verbalisés parce qu’évidemment homophobes…

Alors, le débat sur ces vêtements, dont l’islam intégriste essaie de banaliser le port dans l’espace public, doit impérativement avoir lieu. C’est d’ailleurs le cas, puisque nombreux sont ceux qui ont posé la question du message envoyé par le burkini. Tout comme en face se sont exprimées les partisans de sa neutralité quelles que soient les circonstances, et ceux pour qui le fait qu’il s’agisse d’une contrainte pour la femme, est sans importance. Pour ma part, je considère que le port, volontaire ou pas, de ces vêtements, est l’expression d’un combat mené contre l’ordre républicain et ses fondements. Un combat séparatiste et communautariste qui fait de soi-disant principes, d’un islam dévoyé, des normes supérieures à celles de la République. Je conçois parfaitement que ces positions soient contestées, mais elles sont massivement partagées par la population française. Le débat démocratique, c’est ça.

Pas besoin de loi, appliquons le droit français tel qu’il est

Mais justement, il convient d’en tirer les conséquences et  de le trancher. Il appartenait aux juridictions de le faire plutôt que de se livrer, à cette contorsion passablement jésuitique qui a envoyé la balle dans le camp du législateur. On aurait peut-être pu se dispenser de cette étape, en laissant les maires, sous le contrôle du juge, régler le problème en appliquant le droit français tel qu’il est aujourd’hui.

Manif du 4 septembre : Quand les Chinois de France s’éveillent…

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chinois aubervilliers racisme securite
Manifestation du 4 septembre, République (Paris). Photo : Daoud B.
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Manifestation du 4 septembre, République (Paris). Photo : Daoud B.

Place de la République, dimanche 4 septembre, 14 heures. Des milliers de citoyens disciplinés défilent en rangs serrés, vêtus du t-shirt « Stop violence- agressions –insécurités », brandissant des drapeaux tricolores qui forment une nuée bleu-blanc-rouge. Juchée sur un camion dont la sono diffuse La Marseillaise, une oratrice scande « Violence, agressions, à quand la répression ? » sur l’air de l’hymne national. En soulevant des pancartes « Justice laxiste », la foule manifeste une colère longtemps restée sourde. En ce jour anniversaire de la proclamation de la IIIème République, quelle mouche a piqué cette place mythique de la gauche ? Un 6 février 1934 est-il en train d’émerger sur les décombres de Nuit debout ? Vous n’y êtes pas, cette demande d’ordre et de sécurité n’émane d’aucune ligue brune, ni du fan club français de Donald Trump…

Le mort de trop

Si mobilisation massive il y a, elle a été prise à l’initiative du Conseil représentatif des associations asiatiques de France (CRAAF), de l’Association des Chinois résidant en France, du collectif « Sécurité pour tous » et de quelques autres groupes de la même eau. L’événement déclencheur ? Le 7 août dernier, Zhang Chaolin, modeste couturier chinois d’Aubervilliers, a été agressé par trois lascars puis laissé pour mort entre deux barres HLM, sans qu’aucun témoin ne moufte ni ne donne l’alerte. Cinq jours plus tard, il succombait à ses blessures, suscitant une vague d’indignation parmi la communauté asiatique qui, fait rarissime, a marché trois fois par milliers ces dernières semaines, les 14 et 21 août à Aubervilliers puis aujourd’hui à Paris. Cette mort fut la goutte de sang qui fit déborder le vase d’une communauté vivant d’ordinaire en vase clos, mais légitimement courroucée par les rackets en règle que lui fait subir autre frange de l’immigration. Ainsi, les trois agresseurs d’Aubervilliers ont-ils reconnu les faits, mais nié leur caractère raciste, version retenue par le parquet. Et l’origine nord-africaine des coupables ne passe pas inaperçu dans la presse chinoise, un peu plus libérée que la nôtre lorsqu’il s’agit de désigner l’origine ethnique de certains sans crainte de stigmatiser

Un zeste plus consensuel, le chantre du cortège s’égosille dans le micro : « Des promesses ont été faites » mais « les autorités attendent ». L’homme paraît agacé par la surreprésentation des politiques qu’il exhorte « d’exécuter leurs promesses » et désigne comme de simples « témoins » (de leur impéritie ?). Ainsi parle le porte-parole du collectif « Sécurité pour tous » né après les émeutes interthniques de Belleville en 2010-2011[1. Evénements qui avaient servi de décor réel à l’incipit de Fractures françaises de Christophe Guilluy.] – entre Maghrébins et Chinois régulièrement dépouillés de leurs espèces.  Il faut bien admettre que la convocation du ban et de l’arrière-ban du théâtre politique a quelque chose de baroque : les maires PS des 10e, 13et 20e arrondissements de Paris, le premier fédéral socialiste, des représentants de la LICRA, de l’UEJF, Emmanuel Macron et la présidente de région Valérie Pécresse sont – à tort ou à raison – annoncés, de même que la quinzaine d’élus « d’origine asiatique » cosignataires de la tribune contre l’insécurité et le racisme antichinois parue ce matin dans le Journal du dimanche.  Autant de hiérarques socialistes défilant en solidarité avec des Chinois réclamant plus de sévérité, de flicage et de vidéosurveillance (fût-elle payée à leurs frais), l’ubuesque de la situation aurait fait sourire Jean Yanne…

Aux urnes, citoyens !

« Qu’un maximum d’Asiatiques s’inscrivent sur les listes électorales ! » appelle Jackie Troy, vice-présidente et secrétaire du Conseil représentatif des associations asiatiques de France. Cette ancienne militante libérale originaire de Shanghai fait preuve d’un entregent certain dans la gestion des relations publiques. Son vice-président Valéry Vuong, d’origine vietnamienne, milite au PS, ce qui confirme l’apolitisme de l’association. Mais il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirai pas… »  Imaginez la manne que représentent des milliers d’électeurs potentiels, de plus en plus tentés par la droite (et plus si affinités, Marine Le Pen ayant été la première responsable politique à réagir au meurtre d’Aubervilliers).

En guise de rabatteur, la région a donc dépêché Patrick Karam, saint patron LR des causes désespérées : outremer, diversité et chrétiens d’Orient. Fin politique, l’entrepreneur (multi)communautaire proche de Nicolas Sarkozy a fait ses armes au sein de la minorité libanaise de Guadeloupe. C’est en tant que vice-président de la région Île-de-France chargé de la vie associative qu’il drague les organisateurs de la manif : « La région possède douze bases de loisir. On peut privatiser l’une d’elles pour que la communauté asiatique organise un grand événement, par exemple à Saint-Quentin-en-Yvelines, près du château de Versailles. »

Une grande récré comme palliatif à la sécurité, voilà qui est bien gentil mais cache mal l’embarras des élus. Jusqu’ici politiquement inertes, les Asiatiques de France comptent bien peser de tout leur poids lors des prochaines échéances électorales. Dans des localités PS ou Front de gauche de la région parisienne, la mobilisation d’une communauté soudée au fort potentiel économique pourrait faire très mal. Ce qu’il reste de municipalités rouges ou roses autour de la capitale risque de ployer sous le poids de leurs contradictions : entre les risettes aux islamo-racailles et les promesses de sécurité aux travailleurs chinois, il faudra bien choisir. Quand les Chinois s’éveilleront, la gauche francilienne tremblera…

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Quand les choses de la vie défilent dans le rétroviseur

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On ne dira jamais assez combien la laideur de l’époque actuelle nous accable et nous désole. Une vulgarité de ton doublée d’une absence de style. Une lourdeur bien-pensante qui, chaque jour, envahit les écrans et les librairies. Et cette morgue suicidaire de filmer, écrire, manger, s’habiller comme tous les autres peuples, résignés à accepter ce destin tragique. La mondialisation a été jusqu’à standardiser nos émotions. Les Français y ont perdu leur singularité et leur sensibilité. Affirmer que « c’était mieux avant ! » n’est pas une posture réactionnaire mais un constat lucide et, sans appel. Il suffit de revoir « Les choses de la vie », le film de Claude Sautet (Prix Louis-Delluc 1970) adapté du roman de Paul Guimard sorti en 1967 chez Denoël.

Une France aussi inconstante qu’attirante

Ce bond dans le passé sur une musique de Philippe Sarde nous éclaire sur ce que nous avons été : des esthètes mélancoliques, des héros fatigués, des enfants tristes, des conducteurs imprudents, des amoureux en bout de course, c’est-à-dire les représentants d’une nation aussi inconstante qu’attirante. Les filles rêvaient en secret que Pierre (Michel Piccoli) les prendrait à la sortie du lycée dans son Alfa Giulietta Sprint, gris métallisé, phares « longue portée ». Leurs mères en mourraient de jalousie et leurs pères ne désapprouveraient pas complètement ce choix du cœur. Il y a des images que l’on n’oublie pas. Piccoli, cigarette pendante, nœud de cravate légèrement ouvert, les mains rivés sur le volant en bois de sa voiture italienne, le regard perdu dans ses souvenirs et ses amours, conduit trop vite sur une Départementale quand une bétaillère s’immobilise à un carrefour, près d’un lieu-dit appelé « La Providence ».

Les garçons débattaient, au bistrot du coin, de longues heures sur les avantages comparés des deux actrices à l’écran : Hélène (Romy Schneider) et Catherine (Lea Massari). Chacun vantant les mérites de sa protégée, trouvant dans un geste anodin, un supplément de charme ou dans une intonation particulière, les prémices à un rapprochement des corps. À vrai dire, elles n’étaient pas si faciles à départager. Romy, lunettes sur le nez, enfilant une chemise au petit matin, qui se met à taper à la machine avait de quoi réveiller les fantasmes plus enfouis. Le cinéma d’aujourd’hui produit-il quelque chose d’aussi érotique, classique et déroutant ? Le grain de peau de Romy et cet accent à couper au couteau faisaient grincer les lits dans les internats des années 70.

Romy contre Lea

Pour les adorateurs de Lea Massari, il ne faisait aucun doute que la fêlure de la belle romaine l’emportait sur la troublante viennoise. La voix de Lea, son amertume, sa retenue, son splendide visage de femme blessée lui assuraient la victoire finale. Mais, lorsqu’on entendait la « Chanson d’Hélène » interprétée par Romy, nous n’étions plus sûrs de rien. Ces deux femmes nous désarmaient. A l’été 1969, le tournage des «choses de la vie », notamment l’accident de la route, fut compliqué à scénariser et nécessita l’utilisation de nombreux véhicules. Ce dérapage non contrôlé n’était finalement qu’un prétexte à raconter l’errance amoureuse d’un homme mûr. Dans le roman qui a obtenu le Prix des Libraires en 1968, Pierre Delhommeau n’est pas un architecte mais un avocat parti plaider à Rennes et il ne roule pas en Alfa mais dans une MG 1100. Paul Guimard, admirable écrivain du sentiment refoulé a emprunté le titre de son livre à une locution de Valery Larbaud. Son personnage principal, reste conscient durant toutes les phases de l’accident. De l’entrée dans le virage à vive allure jusqu’à l’hôpital sur un brancard, il ne perd, à aucun moment, connaissance. Il entend tout. Il voit tout. Le paysage s’est figé dans une netteté mémorielle. Il délivre alors un testament précis, détaillé, impudique et profond de sa relation avec Hélène. « A force de se pencher sur son passé, on contracte envers soi des complaisances suspectes. Hélène me reproche d’enjoliver – elle dit « maquiller » – ma jeunesse […] Elle proclame que la mythologie de l’adolescence conduit au gâtisme » fait-il avouer à son héros fracassé, à l’article de la mort.

Les choses de la vie – roman de Paul Guimard – Folio.

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Les débordements de Toni Erdmann

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Parce qu’elle travaille désormais à Bucarest pour une grosse boite en tant que consultante et qu’elle présente des plans de restructuration économique entraînant un certain nombre de licenciements, Inès ne voit désormais quasiment plus jamais son père. Ce dernier est une espèce de clown lunaire qui affectionne particulièrement les déguisements. Un jour, il décide de rejoindre sa fille dans son univers, en Roumanie, pour lui offrir son cadeau d’anniversaire et savoir si elle est heureuse ou pas…

Père et fille

Sur le papier, on voit immédiatement à quels écueils Maren Ade allait devoir se confronter dans Toni Erdmann. Premier écueil, le schéma psychologique centré sur la relation père/fille avec son lot de clichés sur les années qui séparent immanquablement les êtres les plus proches, sur l’incompréhension qui naît en raison des différences de mode de vie… Le tout, on l’imagine, dirigé vers une « réconciliation finale » où chacun aura appris de l’autre.

Deuxième écueil : le schéma sociologique. Combien a-t-on déjà vu de ces films (au hasard, le nullissime Mon meilleur ami de Patrice Leconte) confrontant un cadre proche de la dépression et du surmenage à un personnage plus excentrique qui finit par lui redonner le sens des vraies valeurs ? Entre la chasseuse de têtes et le clown, il y avait là matière à une énième « leçon de vie » à la façon d’Intouchables.

Enfin, dernier écueil : le schéma militant. En faisant évoluer ses personnages dans les décors aseptisés de bureaux high-tech, de chambres d’hôtels internationaux, de grandes surfaces et de cocktails mondains ; la cinéaste entend, bien entendu, porter un regard critique sur la déshumanisation qu’entraîne dans son sillage la mondialisation. Mais là encore, elle aurait pu se contenter d’une satire convenue n’allant pas plus loin que l’égratignement de certains signes de l’époque et qu’une célébration un peu neuneu de valeurs gentiment « de gauche », Inès se moquant d’ailleurs des postures « écolos » de son père.

Mais disons-le tout net, Maren Ade évite magistralement tous ces écueils et nous livre une fable des plus étonnantes qu’il soit. La principale raison de cette réussite, c’est l’élaboration de ce personnage fabuleux qu’est Winfried Conradi (Peter Simonischek, acteur incroyable), le père d’Inès.

Le spectateur ne sait plus sur quel pied danser

Dès la première scène du film, il fait tourner en bourrique un pauvre facteur en lui faisant croire que le colis qu’il est en train de livrer est destiné à son frère, un repris de justice condamné pour avoir confectionné… des colis piégés ! Comme le facteur, le spectateur ne sait plus sur quel pied danser, entre le rire et l’inquiétude, ni si les histoires racontées par ce père facétieux sont du lard ou du cochon. Quand il réalise que Winfried incarnait les deux personnages, il prend conscience que ce personnage est capable de faire « déborder » le quotidien, de lui donner un caractère totalement incongru et excessif.

La force de Toni Erdmann, c’est d’être constamment dans ce « débordement », à la limite de l’explosion. Tout ce qu’il pourrait y avoir de convenu dans le récit ou dans les relations entre les personnages est transcendé par cet excès permanent.  Winfried n’est pas un « révélateur » dans le sens où il incarnerait une sorte d’« idiot » pur auxquels s’opposeraient les vices des autres et de la société. Il est plutôt une sorte de Diogène moderne, un diable dans sa boîte toujours prêt à bondir, au moment où on l’attend le moins. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Inès lorsqu’elle le voit resurgir dans un restaurant sous les traits de Toni Erdmann, autre personnage imaginaire créé par son infatigable père.

D’une certaine manière, Maren Ade applique la subversion des rôles préconisés par les situationnistes. Il n’en faut pas beaucoup à Winfried pour changer d’identité : de fausses dents, une perruque parfois et le voilà ambassadeur d’Allemagne, coach pour PDG ou bateleur pour maison de retraités. La force de ce personnage excentrique, c’est qu’il est constamment dans l’excès et que sa seule présence insolite perturbe le quotidien de ceux qu’il approche. Il est à la fois un corps burlesque qui donne lieu à des scènes tordantes (son apparition en yéti), portées par un humour vraiment dévastateur.

Mais Maren Ade ne se contente pas de la charge subversive du rire : elle fait grincer les situations jusqu’au malaise, jusqu’à ces moments où les masques tombent et dévoilent la vanité et la vacuité des rôles sociaux.

Une excentricité contagieuse

L’excentricité de Winfried finit par contaminer tout le récit et tous les personnages : l’amant d’Inès ne peut plus accéder à son corps et se masturbe en caleçon Calvin Klein sur les petits fours que la jeune femme mangera, une visite de chantier se transforme en « dérive » chez un ouvrier, comme si la « rumeur du monde », la misère sociale, la pauvreté économique, l’envers du cauchemar climatisé de la mondialisation, faisaient irruption sans façon. La séquence la plus stupéfiante du film est ce brunch qu’organise Inès pour son anniversaire. Réalisant que sa robe est trop cintrée, elle l’enlève et accueille sa première invitée seulement vêtue d’une petite culotte. Quand arrive un deuxième invité, elle enlève ladite culotte et annonce à brûle-pourpoint qu’il s’agit d’un « cocktail nu ». On ne détaillera pas la séquence en entier mais elle oscille en permanence entre un rire franc (l’hilarante assistante qui se plie docilement aux règles de sa patronne) et un indescriptible malaise. Tout « déborde » dans ce passage qui met à nu, à tous les sens du terme, l’absurdité de ces rapports humains : l’excuse de la culture d’entreprise et du « défi pour souder l’équipe », la mise à nu réelle des personnages qui traduit l’extrême vacuité de leurs occupations…

Il y a un peu de Houellebecq dans cette manière incisive de saisir le vide absolu d’une époque où la prédation capitaliste semble l’unique raison  d’être des sociétés humaines. Au cœur de ce néant s’agite la pauvre Inès, jouée avec une infinité de nuances (dans les expressions et les émotions) par une impeccable Sandra Hüller.

Toni Erdmann est le film de cette époque : drôle et désespéré, noir mais enclin à une excentricité roborative qui contamine le réel pour le transcender et surtout, à tous les sens du terme, pour l’excéder.

Toni Erdmann (2016) de Maren Ade avec Sandra Hüller, Peter Simonischek, en salle depuis le 17 août.

Grincheux, lisez Bardolle!

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Un bar parisien, une semaine tout juste après les attentats de Paris (Photo : SIPA.00731529_000026)
Un bar parisien, une semaine tout juste après les attentats de Paris (Photo : SIPA.00731529_000026)

En le lisant, j’ai eu l’impression que ce texte avait été écrit spécialement pour moi qui souffre de râlerie chronique. Je parle du dernier essai signé par Olivier Bardolle et intitulé De la joie de vivre par temps hostiles. Pourtant, il n’y a pas de doute, le livre est dédié à une certaine Pauline qui n’a rien d’atrabilaire. Le texte commence par une confession au sujet des relations de l’auteur avec cette jeune femme. Ils se sont quittés, voilà le problème, et pourtant ils s’aimaient. J’ajouterais, moi qui les ai connus, qu’ils formaient un duo plein d’allant et de panache qui était une vraie publicité pour la notion de couple. C’est toujours bien, pour réfléchir, de démarrer par un cas concret.[access capability= »lire_inedits »]

Ce que se reproche Olivier Bardolle, c’est un tropisme excessif vers la lucidité, autrement dit vers le pessimisme. Il a trop lu Cioran et quelques autres. En un sens, c’est agréable de râler, de chercher à avoir raison et de regretter le bon vieux temps. On peut dire que c’est une activité paisible. Je la pratique d’ailleurs moi-même, avec assiduité, parfois en picolant. On y prend goût. Mais, à la longue, les toxines s’accumulent. Ce n’est bon ni pour soi-même ni pour son entourage.

Et puis, surtout, c’est souvent faux. Le bon vieux temps est comme ces piquettes oubliées en cave qu’on voudrait faire passer pour de grands crus. Ainsi, les fameuses Trente Glorieuses qu’on ne cesse de vanter ont été, en réalité, mortellement ennuyeuses et très laides. C’était une époque où « les roulettes [des dentistes] tournaient trop lentement et leur son résonnait longtemps dans les crânes ». Ce détail à lui seul suffirait à me convaincre, moi qui ai tant poireauté dans des salles d’attente où l’unique palliatif à la terreur était des reproductions d’artistes aussi médiocres que Toffoli ou Vasarely. Olivier Bardolle fait un tour d’horizon de cette période et il remet bien les choses en place.

Ensuite, il nous emmène faire une promenade de fantaisie au pays des inventions pressenties pour l’avenir. Certaines de ces améliorations auront peut-être le destin du camembert en tube alors que d’autres, au contraire, bonifieront irréversiblement nos vies. Difficile de le savoir à l’avance. L’important est de faire preuve de bonne volonté. Et Olivier Bardolle en a à revendre, de la bonne volonté. Ça fait du bien.[/access]

De la joie de vivre par temps hostiles, Olivier Bardolle, L’Éditeur, mai 2016.

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