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Marcel Ophuls: « le documentaire, j’en ai soupé! »

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Marcel Ophuls.

Marcel Ophuls, très résistant

Dans quelle langue s’interroge-t-il, se répond-il ? En allemand, qu’il entendit à sa naissance (1927) ? En anglais – en 1941, il suivit ses parents à Hollywood (les nazis recherchaient son père, Max) ? En français ? C’est en France qu’il réside, depuis que Max Ophuls, né Maximilian Oppenheimer (1902-1957), l’un des plus grands metteurs en scène du xxe siècle, et Hildegard Wall (1894-1980), la mère de Marcel, sont revenus ici, après la guerre. Max et Hilde étaient allemands. Hilde avait été la maîtresse du chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler avant d’épouser Max.[1. Marcel Ophuls, Mémoires d’un fils à papa, éditions Calmann-Lévy] Marcel est déclaré franco-américain ; son père ne disait-il pas, quand on l’interrogeait sur sa nationalité : « Je la connaîtrai demain ! » ? Marcel manie l’ironie dans toutes ses langues ; il porte sur le monde en général un redoutable esprit critique. La France en sait quelque chose, qui chancela lorsqu’il lui tendit le miroir de ses années d’Occupation. Il y eut soudain un « malaise dans la civilisation » française, quand parut sur les écrans de cinéma Le Chagrin et la Pitié (1969), jugé partial, injuste, vrai, ignoble, nécessaire. La France s’était endormie en excellente santé ; réveillée en sursaut par ce documentaire, elle se découvrait, pour reprendre le mot d’Arletty à la Libération, au procureur qui lui demandait comment elle se sentait : « pas très résistante ».

Marcel l’excentré

Causeur. Pourquoi habitez-vous si loin de Paris ?
Marcel Ophuls.
En effet, j’habite au pied des Pyrénées, le panorama est magnifique. J’ai choisi ce lieu comme on choisit un refuge, pour guérir des blessures. Hélas, je ne suis pas guéri ! J’ai éprouvé une immense déception après l’échec de Veillées d’armes (1994, consacré au siège de Sarajevo et aux « aventures » de la vérité journalistique en temps de guerre), un sentiment d’injustice aussi. J’ai voulu m’enfuir.

Et vous enfouir ! Dans Un voyageur (2013) vos mémoires filmés, vous parlez de votre maison du Béarn comme d’un pavillon d’une banlieue très excentrée, d’un sam’suffit de retraité malicieux.
La maison avait été désertée par Régine, ma femme, après une dispute violente (il a mimé la scène dans son film), je m’étais fâché avec Bertrand Tavernier, alors que je n’avais rien à lui reprocher et qu’il est un homme charmant : je m’en sortais avec l’humour, vous savez… la politesse du désespoir.

Certes, mais vous conserviez l’espoir de réaliser l’un ou l’autre de vos projets.
Oh ! le documentaire, j’en ai soupé ! Cela demande trop de travail, c’est souvent peu rémunérateur, on prend des coups, et l’on se retrouve souvent devant les tribunaux.

Godard envoie Marcel sur les roses (de Tel Aviv)

C’est pourtant l’idée d’un documentaire qui vous a conduit devant le domicile de Jean-Luc Godard, à Rolle, en Suisse : une scène très cocasse.
Il était venu me parler, il y a longtemps, dans mon potager, d’un projet qu’il souhaitait réaliser avec moi.

Ce qu’on en sait le rend à la fois mystérieux, excitant et… compliqué.
Il voulait que nous allions en Israël, que nous y examinions le destin des Juifs et celui des Palestiniens, au centre de cette région du monde très « disputée ». Nous devions[access capability= »lire_inedits »] mêler le récit de nos propres expériences, l’examen de nos histoires respectives, à des entretiens avec des intellectuels, des militants, des habitants. J’ai plusieurs fois relancé Godard, en vain. Avec les années, la situation évolua considérablement. J’ajoute que le bombardement de Gaza m’a mis en colère. Eyal Sivan m’ayant contacté, nous sommes allés à Tel Aviv, mais, avant, nous avons sonné chez Jean-Luc.

Qui vous reçoit fort mal ! Il est à l’intérieur de son domicile, on ne le voit pas, vous criez à son intention, depuis la rue : « Jean-Luc Godard ! Jean-Luc, tu m’ouvres ! C’est le moment de le faire, le film. Dans trois jours on peut partir pour Tel Aviv. » Il apparaît sur le seuil, furieux : « Va à Tel Aviv si tu veux, et fous-moi la paix ! » Et il s’enferme à double tour !
Je l’avais prévenu, j’avais annoncé ma venue. J’ai placé cette scène prise sur le vif dans le film Des vérités désagréables (2014, avec Eyal Sivan, documentariste israélien « insolent », ainsi qu’il se définit lui-même) : c’est une petite vengeance contre Jean-Luc, qui est un cher ami « difficile ».

Le film se poursuit en Israël, mais l’argent vient à manquer, vous quittez le pays. Eyal Sivan, de son côté, voudrait continuer.
J’ai interrompu le tournage parce que je n’étais plus payé. Mon père m’avait confié cette formule : les Ophuls n’éditent pas à compte d’auteur ! Il nous manquait une quinzaine de jours, mais j’avais l’accord d’Alain Finkielkraut, de Manuel Valls, d’Edwy Plenel, de Daniel Cohn-Bendit, et même d’Alain Soral !

N’avez-vous pas sollicité Élisabeth Lévy ?
Non, on me l’a suggéré récemment.

L’enterrement de Lubitsch

N’hésitez pas à le faire, elle ne manque pas d’arguments ! Revenons à vos projets de films, à cette fiction autour de la personnalité si brillante d’Ernst Lubitsch.

Je le fais revivre par le truchement de ses amis et collaborateurs. Lubitsch est, avec Max, mon metteur en scène préféré. Je m’inspire de la réalité. Il est mort en faisant l’amour ; il avait eu plusieurs crises cardiaques, la dernière, dans les bras d’une femme, lui fut fatale.

Il est parti en état d’épectase, à la manière du regretté président Félix Faure.
Et du cardinal Daniélou ! Donc Lubitsch meurt : on fait sortir la dame, et l’on s’interroge sur la suite. Samson Raphaelson était le scénariste préféré de Lubitsch ; sa nouvelle, The Day of Atonement, avait fourni la matière d’un spectacle musical très populaire à Broadway, puis était devenue The Jazz Singer (Alan Crosland, 1927, scénario Alfred Cohn), considéré comme le premier film parlant de l’Histoire. Après la première crise cardiaque de Lubitsch, il fut entendu, en secret, par l’entourage, que Raphaelson serait chargé de rédiger son oraison funèbre. Les choses ne se passèrent pas ainsi, mais Raphaelson écrivit un récit sur son amitié avec Lubitsch, intitulé Freundschaft, que publia The New Yorker en 1981 (en français, Amitié, éditions Allia). Mon film s’achève sur Billy Wilder et William Wyler sortant du cimetière, et sur leur échange, délicieux même s’il n’est pas tout à fait authentique : « No more Lubitsch ! » dit sobrement Billy Wilder, et Wyler conclut : « Worse than that : no more Lubitsch pictures ! » (« Lubitsch, c’est fini ! », « Pire encore : plus jamais de films de Lubitsch ! »)

Bardot s’ennuie, Jane est contrite

Lubitsch aurait beaucoup apprécié Brigitte Bardot, que vous avez croisée à ses débuts.
J’ai fait sa connaissance grâce à Anatole Litvak. Je travaillais comme stagiaire au montage de son film Un acte d’amour (1953). À la fin, comme il se doit, un grand dîner est donné avant la séparation de l’équipe. Je me trouve placé à côté d’une délicieuse jeune femme, qui tenait un petit rôle : Brigitte Bardot. Ai-je été bête ! J’aurais dû la divertir, l’inviter à danser, je lui ai parlé de philosophie ! Dieu qu’elle était belle ! Cela dit, vers deux heures du matin, Vadim est venu la chercher.

À la fin, Vadim raflait toujours la mise !
Oh ! Vadim, ce n’était pas un bon metteur en scène ! Son adaptation des Liaisons dangereuses ne vaut pas un clou.

Nierez-vous que Barbarella est une réussite ?
Ah ! Barbarella, c’est épatant ! La séquence d’ouverture, Jane Fonda nue… Je l’ai rencontrée alors que je tournais The Memory of Justice (1976). Avant même que je l’interroge, elle m’a dit ceci : « Marcel, je vous dois des excuses. » Je marquai mon étonnement. « Oui, pour avoir repris le rôle que Danielle Darrieux avait tenu dans La Ronde, sous la direction de votre père, Max. »[2. La version de Vadim est écrasée par le chef-d’œuvre que Max Ophuls tira de la pièce d’Arthur Schnitzler. Il adaptera magnifiquement trois nouvelles de Maupassant, La Maison Tellier, Le Masque, Le Modèle, réunies sous le titre Le Plaisir.]

Max, le papa

Justement, il est temps de parler de Max Ophuls. Commençons par sa période berlinoise.
J’aime bien son premier long-métrage, méconnu, Die Verliebte Firma (Le studio amoureux, 1932). Le thème est un peu celui du Schpountz, de Marcel Pagnol. La jeune héroïne chante, entre autres, un air ravissant, qui dit ceci (il fredonne en allemand) : « Ich war noch nie… Je n’ai jamais encore été amoureuse, mais je sais par le cinéma parlant que cela existe. » Peu de gens connaissent La Fiancée vendue (1932), adaptée de l’opéra de Smetana, qui n’a pas marché – mon père ne me parlait jamais de ses échecs. Arturo Toscanini, après l’avoir visionné, déclara : « Je veux cet homme pour filmer Tosca ! » Nous étions en 1934 ou 1935. Toscanini, viscéralement antifasciste, a fichu le camp à New York, et Max n’a pas réalisé Tosca ! Cela dit, son chef-d’œuvre demeure Libelei (1933), inspiré d’une pièce d’Arthur Schnitzler, qu’il retrouvera plus tard avec La Ronde (1950).

En Amérique, il a découvert le système hollywoodien, le pouvoir des studios et des producteurs.
Mon père avait un côté grand seigneur arrogant, il n’aimait pas quémander, il s’y prenait autrement, j’ai hérité de ce trait. Il s’entendait très bien avec John Houseman[3. John Houseman (1902-1988), né en Roumanie, d’origine alsacienne par son père et anglaise par sa mère, comédien, producteur cultivé : Lettre d’une inconnue, 1948, Max Ophuls ; La Vie passionnée de Vincent Van Gogh, 1956, Vincente Minnelli. Un temps associé à Orson Welles.], qui le protégeait, ainsi qu’avec Walter Wanger[4. Walter Wanger (1894-1968) : Les Désemparés, 1949, Max Ophuls ; Cléopâtre, 1963, Joseph Mankiewicz.], excellent producteur également. Papa est revenu en Europe, encouragé par Wanger ; ils avaient quatre projets de films ensemble, dont La Duchesse de Langeais, pour lequel Max avait pressenti James Mason, son ami, et Greta Garbo. Elle est venue à Rome en fuyant les paparazzi, pour faire des essais devant la caméra du légendaire chef opérateur James Wong Howe. Ce devait être le retour à l’écran de Garbo. Mais Wanger n’a pas pu réunir la somme d’argent nécessaire. Puis il a été mêlé à un scandale passionnel : il tira par deux fois sur Jennings Lang, impresario et amant de sa femme, l’actrice Joan Bennett. Lang, fort heureusement, survécut à ses blessures. Wanger, après avoir purgé une peine de prison assez légère, rentra à la maison, où l’attendait Joan Bennett, dont il ne divorça pas !

Et en France, quels étaient ses producteurs ?
Les frères Hakim, Raymond (1909-1980) et Robert (1907-1992) : avec eux, les choses étaient simples. Il aimait bien aussi Henry Deutschmeister (1902-1969). Mon père n’était pas spécialement cinéphile. Il disait souvent, par boutade, une formule sans doute reprise de quelqu’un d’autre : « Pourquoi irais-je au cinéma ? Si le film est mauvais, je m’emmerde, s’il est bon, je suis jaloux ! »

On dirait plutôt un trait de Sacha Guitry, mais Sacha aurait dit « je m’ennuie ». Max est mort en Allemagne, n’est-ce pas ?
Oui, mais ses cendres sont à Paris, au Père-Lachaise, avec celles de ma mère. J’avais sollicité Henri Jeanson pour l’oraison funèbre, ma mère avait choisi Gustaf Gründgens, (le baron von Eggersdorff dans Liebelei). Gründgens lut un papier sans intérêt, mais alors Jeanson, magnifique ! Pourtant, lui et mon père s’étaient détestés. D’abord, Max n’aimait pas les mots d’auteur dans les films, en outre, il avait eu une liaison avec Madeleine Ozeray, qui était alors la compagne de Louis Jouvet. Or Jouvet était un intime de Jeanson. Ils s’étaient réconciliés, grâce au producteur Deutschmeister, qui disait : « Ophuls, il ne faut pas le prendre après un succès, on ne peut plus le tenir, mais après un bide, il est plus abordable. » Il le connaissait bien.[/access]


Islamisme: l’amour rend aveugle

Quentin Véronique Roy Daech Radicalisation Islamisme
Évacuation de civils dans le quartier d'Al-Samah, à la périphérie est de Mossoul, 1er décembre 2016

« Il y a dans le sentiment maternel je ne sais quelle immensité qui permet de ne rien enlever aux autres affections », écrivait Balzac. À lire le témoignage de Véronique Roy, mère d’un djihadiste mort en Syrie il y a tout juste un an, l’amour maternel peut en tout cas altérer le bon sens et la faculté d’extrapolation. Il n’est certes pas question ici de reprocher à une mère d’avoir trop aimé son enfant. Ni de pénétrer, au moyen d’hypothèses psychologisantes, dans l’intimité de la dyade mère-fils, au-delà de ce qui a été rendu public. Reste que dès le titre, Quentin, qu’ont-ils fait de toi ?, qui paraît ce mois-ci aux éditions Robert Laffont, prête à controverse. Car si on sait, dès la première page qui est Quentin, l’identité de « ils » est beaucoup moins claire.

S’il avait rencontré un militant de Greenpeace ou de la Fondation Abbé Pierre…

Un morceau d’amour égaré, dirait-on de Quentin, dont on découvre au fil des pages un parcours sans faute, du berceau jusqu’à ses premiers pas dans la vie adulte marqués par la conversion à l’islam et, très vite, à l’islamisme. « On l’a toujours éduqué dans le respect des valeurs de tolérance et d’ouverture. C’est pour ça qu’on n’avait pas rejeté sa conversion », explique Véronique Roy, catholique peu ou pas pratiquante, adepte du yoga et ouverte à l’enseignement du bouddhisme. S’il y a un profil de famille qui prédispose les rejetons à embrasser l’islam intégriste, on ne s’attend pas à le trouver dans la famille Roy. Ainsi, lorsque Quentin prévient ses parents qu’il a une annonce importante à leur faire, sa mère s’attend à un coming out. Pourtant, on n’est pas à Boboland mais à Sevran, une commune de Seine-Saint-Denis à la mauvaise réputation assez largement justifiée. Et le certificat d’islam de Quentin lui a été délivré par l’imam d’Aubervilliers, menacé en son temps d’expulsion par Manuel Valls pour propos homophobes.

La question essentielle demeure : s’il avait grandi ailleurs, Quentin aurait-il pu échapper à son destin ? Grand sportif, assidu, appliqué – il a été inscrit en sciences et techniques des activités sportives à Paris 13 –, le jeune homme aurait pu faire la joie des recruteurs des armées. « Certains auront peut-être du mal à l’entendre, mais je crois qu’il était beaucoup trop pacifiste pour s’engager sous les drapeaux », note sa mère, qui lui offre un livre de Pierre Rabhi et tente de stimuler sa fibre sociale. S’il avait rencontré un militant de Greenpeace ou de la Fondation Abbé Pierre, Quentin serait à présent en train de camper à Sivens ou de lutter contre le mal-logement, soutient Véronique Roy : « Mais à Sevran ou ailleurs, il a croisé les fondamentalistes qui l’ont attiré en lui faisant miroiter les mêmes valeurs : l’éthique, le bien, le mal, l’humanitaire… »

« Ce qui se passe en France c’est la même guerre qui se passe ici, en Syrie et en Irak »

On comprend que « ils », ce sont les « entrepreneurs de radicalité », les pouvoirs locaux passifs, voire permissifs, face à la propagation de la gangrène islamiste, l’État enfin, dont les lois ne semblent plus en vigueur, passé le périphérique. L’argumentation de Véronique Roy ne relève pas seulement de l’égarement d’une mère percluse de douleur. À 20 kilomètres du palais de l’Élysée, se trouve une salle de prières surnommée « la mosquée de Daech ». On pourrait presque en rire si cela ne menaçait pas notre sécurité.

C’est sur un autre point que l’amour maternel de Véronique Roy paraît altérer son esprit critique. Alors qu’elle sait Quentin parti en Syrie, des représentants de l’association de victimes « 13 novembre 2015, fraternité et vérité » la convient à une rencontre entre des proches des victimes et parents de jeunes enrôlés par Daech. Et voici ce qu’elle en retient : « Alors qu’ils ont pour la plupart perdu un être cher dans le carnage de cette funeste nuit, ils nous ont assuré que nos combats étaient les mêmes, que c’étaient des enfants de la République qui avaient tué d’autres enfants de la République et que la société dans son ensemble portait donc une lourde responsabilité. » On sourit amèrement.

Pour commencer, précisons que Quentin Roy, bien qu’il reste à tout jamais l’enfant de sa mère, n’est plus un enfant au moment où il décide de renier la République, ses valeurs et ses principes. Qu’il le fasse sous influence ne suffit pas à le disculper. Jusqu’à preuve du contraire, cet homme de 22 ans n’a pas été forcé d’embarquer sur un vol pour Istanbul. En quoi son acte engagerait-il la responsabilité de M. Dupont ? En quoi devrait-il bénéficier du même statut que les jeunes gens déchiquetés par les balles au Bataclan, alors même qu’en commentant l’événement depuis la Syrie, il n’exprime aucun regret ni ne remet en cause la barbarie de ses coreligionnaires ? « Je comprends que vous soyez choqués, mais il faut que vous compreniez que c’est un temps de guerre aujourd’hui et qu’il faut que vous preniez position. Ce qui se passe en France c’est la même guerre qui se passe ici, en Syrie et en Irak », assène-t-il au téléphone depuis Raqqa. En conclusion, loin d’ignorer les enjeux stratégiques, le fils de Véronique Roy en donne un résumé parfaitement lucide.

À chaque étape brûlée, la famille acquiesce

On ne saurait réhabiliter Eichmann – et j’assume cette comparaison dès lors que le jeune djihadiste, tout comme le criminel nazi, a obéi aux exigences d’un système totalitaire dont il assurait activement l’expansion et espérait la victoire. Et tout comme Eichmann, qui n’a su devant ses juges qu’utiliser la langue du bois du IIIe Reich, Quentin répète les mêmes formules magiques truffées de sourates, trahissant son incapacité fondamentale à se mettre à la place d’autrui et à penser de façon autonome. Assurant seul sa défense, Eichmann comptait éveiller l’empathie de l’auditoire en racontant ses mésaventures de « fonctionnaire exemplaire ». Véronique Roy semble vouloir nous arracher la nôtre en plaidant la dérive sectaire. C’est sa condition morale de survie, on le comprend bien.

Il serait toutefois intéressant de savoir à quel moment précis la mère de Quentin situe le point de non-retour. Car donnant la chronologie exacte de la radicalisation de son fils, Véronique Roy s’abstient de le mentionner. Et pour cause. À chaque étape brûlée, la famille acquiesce – par naïveté, par peur de perdre cet « enfant », qui finira par s’en aller de toute manière. Quentin ne supporte plus la vue d’une bouteille de vin à la table familiale ? On le met à la table des enfants. Il arrête de jouer du piano ? On regrette que la musique soit « haram », mais on ne se formalise pas. Il refuse d’entrer à l’église pour participer à la messe funéraire de sa grand-mère ? On rechigne, on se fâche et on passe à autre chose. On voudrait comprendre ce progressif enlisement de toute une famille dans la folie intégriste d’un des siens. Il faut ajouter l’isolement terrible de cette mère durant des mois et l’absence d’interlocuteur apte à la conseiller ou la soutenir, à commencer par les représentants de la Grande Mosquée de Paris à qui elle s’adresse. L’aboutissement, c’est cette femme aveugle au déraillement d’un jeune qui quitte son travail parce qu’il l’empêche de faire ses cinq prières par jour.

Quelle que soit la compassion qu’elle nous inspire, Véronique Roy a tort de revendiquer le titre de « victime du terrorisme », Véronique Roy atteint des limites. Car si elle est victime, c’est plutôt d’on ne sait quelle « immensité » de l’amour maternel qui l’a empêchée d’affronter la réalité.

Quentin, qu’ont-ils fait de toi ?, Véronique Roy, éditions Robert Laffont

C’est maintenant qu’il faut soutenir François Fillon

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François Fillon. Sipa. Numéro de reportage : AP22021429_000003.

À chaque jour son déserteur. À chaque jour son article accablant. À chaque jour sa convocation au poste de police. Comme si la surprise sortie de cette primaire venait contrarier des plans trop bien huilés, et qu’il fallait remuer ciel et terre pour se débarrasser de ce candidat et de son programme encombrant.

Celui qui a su cristalliser le ras-le-bol

Libéral, conservateur, catholique, qui n’a ni peur de l’ombre portée de Margaret Thatcher ni de la lumière des Évangiles. Il y a effectivement de quoi secouer la caste socialo-progressiste qui à force d’endogamie, avait fini par se croire seule à bord.

Pire, François Fillon, qui a su cristalliser ce ras-le-bol fiscal et identitaire, n’a pas les manières mal dégrossies des candidats “populistes” qui font tomber les certitudes électorales aux quatre coins de l’Occident. Authentique homme de droite, il tient une ligne austère, sans lendemains qui chantent, mais où chacun pourra faire les efforts nécessaires pour essayer d’être à la hauteur de nos morts.

Il n’a pas non plus le bon goût d’avoir admis la supériorité morale du socialisme, et assume sans trembler qu’il vaut mieux lutter contre la pauvreté en encourageant la richesse, que de lutter contre la richesse pour finir tous pauvres.

Il n’a pas peur de dire que les Français voudraient bien travailler plus et plus longtemps si la moitié de leurs revenus n’étaient pas engloutis par un Etat obèse qui n’arrive d’ailleurs même plus à assurer ses missions essentielles.

Il n’a pas peur de dire qu’à force de vouloir aider les agriculteurs, la bureaucratie publique est devenue un cauchemar pour tous ceux qui veulent simplement continuer à cultiver la terre. Il n’a pas peur de dire que l’école doit être le lieu de l’apprentissage et de la recherche de la réussite, et non de l’endoctrinement de masse aux lubies du siècle.

Réflexions sur la question islamique

Mais surtout, il ose mettre le doigt sur les problèmes posés par l’essor de l’Islam dans notre pays. Celui de l’islamisme, certes, et de la terreur des attentats, mais aussi celui de l’Islam du quotidien, qui transforme les habitudes et les paysages, au point de détourner les Français non-musulmans de territoires entiers, devant une pression religieuse et culturelle sans précédent.

Certes, on pourrait lui reprocher de se réfugier derrière la complexité de la question de l’Islam pour ne pas évoquer frontalement celle de l’immigration en général. Et il faudra de toute façon finir par penser la question migratoire sans haine, sans agressivité, mais également sans angélisme, et sans déni. Sans doute faut-il répartir les chantiers dans le temps, et ne pas perdre en lisibilité ce que l’on gagnerait en quantité.

Enfin, le soutien hardi de Sens Commun, émanation politique de la Manif pour tous, est une garantie que les questions de la famille et du genre ne seront pas vouées aux caprices des associations qui ont déclaré la guerre à la nature et à la culture, au nom de l’insupportable oppression bourgeoise qui empêche les enfants transgenres de 7 ans de s’épanouir dans leur poly-sexualité naissante.

Je n’ai pas d’avis sur le « Penelopegate ». Ou plutôt, ce que je retiens de cette affaire, c’est surtout la capacité de la grosse presse à se taire sciemment toute l’année, se rendant complice des pratiques critiquables du monde politique, pour se découvrir un matin une vocation d’informateur public quand il s’agit de faire tomber un candidat de droite qui a de sérieuses chances de remporter la prochaine élection.

Non à l’attelage Hue-Minc !

Pour toutes ces raisons, et devant le spectacle consternant des lapins de coursives qui quittent le navire au premier coup de vent (ce qui est finalement un bon tri, car devant les chantiers qui attendent le prochain président sérieux, il va falloir un peu plus de courage que le petit soldat Le Maire), j’ai choisi de soutenir François Fillon.

J’aurais pu soutenir Marine Le Pen, si elle n’avait pas bradé l’héritage pour ne vendre qu’une soupe vaguement jacobine – les plus aimables diront colbertiste, sur fond de lutte des classes et de laïcité vieille d’un siècle. C’est dommage, il ne faudrait pourtant que certains ajustements pour se diriger enfin vers une union tranquille des droites.

J’aurais aussi pu soutenir Emmanuel Macron, si son déguisement de réformateur libéral était plus solidement cousu, et si je croyais un instant que l’on puisse être de droite et de gauche en même temps.  La France n’a pas besoin de plus de confusion, et il n’est pas sûr qu’une ronde de printemps qui réunisse Robert Hue et Alain Minc participe à la clarté du paysage politique.

Alors pour l’instant, quelques soient les défauts du système, qui sont nombreux, et devant les déceptions quotidiennes que nous inflige la nature humaine, je fais le choix des idées et du projet. Et aujourd’hui, je vois dans ce que certains appellent un acharnement, l’ultime preuve qu’il me fallait pour faire confiance à la ténacité du prochain président de la République.

Dans l’attente impatiente des batailles à venir, je lui rappelle amicalement le vieil adage : « Qui trébuche mais ne tombe pas, fait un grand pas. »

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Macron réinvente l’eau tiède à l’école

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Emmanuel Macron. Sipa.Numéro de reportage : 00788611_000012.

Nous connaissons depuis hier matin le programme d’Emmanuel Macron sur les questions éducatives. Ou plutôt les grandes orientations. Parce qu’on ne peut décemment soutenir que les mesures éparses qu’il a citées relèvent d’un programme ni ne s’inscrivent dans une vision d’ensemble. On les dirait tout juste destinées à satisfaire une curiosité journalistique.

Des mesures qui existent déjà

Le candidat illusionniste de la gauche et du centre, celui qui fut ministre de François Hollande et collègue de Najat Vallaud-Belkacem, qui assista sans mot dire à la réforme des rythmes scolaires, à la suppression du latin et des classes bilangues et au déclassement des humanités, celui qui est responsable du bilan désastreux de ce quinquennat en matière éducative, affirme aujourd’hui qu’il faudrait revenir sur toutes les réformes dudit quinquennat. Que ne l’a-t-il pas dit plus tôt ! Pourquoi s’est-il tu quand il était au gouvernement ? Comment faire confiance à quelqu’un qui a approuvé par le passé des réformes qu’il dénonce aujourd’hui ? Et puis, quel aveu cruel pour toute la gauche qui se murait jusqu’à présent dans une arrogance qui la conduisait – avec toute la mauvaise foi qu’on lui connaît – à refuser le réel et à ne pas admettre l’échec patent du quinquennat Hollande en matière éducative !

Mais la lucidité d’Emmanuel Macron s’arrête là puisque le candidat d’En marche se borne à proposer des mesures qui existent déjà dans le code de l’Éducation mais ne sont tout simplement pas appliquées. Ainsi en est-il de l’interdiction de l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte des écoles primaires et des collèges. À force de vouloir à tout prix être en marche, le candidat-héritier oublie de se poser et de regarder ce qui existe déjà dans la législation. Il est vrai qu’il essaie tant bien que mal de bricoler un programme qui a toujours peine à voir le jour… S’il avait un peu plus réfléchi, il aurait consulté l’article L511-5 du code de l’Éducation dans lequel on peut lire noir sur blanc : « Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ». Un dispositif issu de la loi du 12 juillet 2010, adoptée sous un gouvernement alors dirigé par un certain François Fillon…

Un président-proviseur?!

Le problème, comme toujours en France, c’est que ce texte n’est pas suffisamment appliqué, faute de sanctions prévues. On mesure la force du droit à son effectivité dans la vie réelle, c’est-à-dire à sa capacité d’être traduit en fait et respecté de tous. En France, on multiplie les règles sans apporter un soin particulier à leur application concrète. Le résultat, c’est un État délégitimé dans sa prétention à incarner l’autorité et incapable de faire respecter l’ordre public. Nous n’avons pas besoin de nouvelles lois en tous sens, il suffit simplement d’appliquer celles qui existent déjà, d’autant qu’elles relèvent du simple bon sens ! Est-ce du ressort du Président de la République d’interdire l’usage des téléphones portables dans les enceintes scolaires ? Ne serait-ce pas plutôt la mission d’un chef d’établissement ? Emmanuel Macron semble ignorer le principe de subsidiarité selon lequel il est nuisible de confier à l’échelon supérieur ce qui peut être décidé à l’échelon inférieur. Arrêtons de penser que l’État doit administrer l’Éducation nationale depuis la rue de Grenelle ! Cette idée très jacobine fait d’Emmanuel Macron un digne héritier de François Hollande et de la gauche socialiste. L’État doit fixer un cadre, il est le garant du respect de la liberté éducative et de l’apprentissage des savoirs fondamentaux ; il n’est pas le gérant effectif de tous les établissements scolaires.

Quelles sont les autres mesures du candidat-marcheur ? Des professeurs mieux payés en ZEP – 3 000€ de primes nets par an -, une division par deux du nombre d’élèves par classes en CP-CE1 ou encore la création de 4 000 à 5 000 postes. Des mesures qui sortent tout droit de la bouche du Père Noël ! Qui peut être contre la création de postes ou la division du nombre d’élèves par classes ? Personne, bien sûr ! Mais, il n’explique nulle part comment il entend financer une telle mesure. Or, c’est bien là tout le problème, surtout quand on propose, par ailleurs, de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires ! À multiplier les promesses inconsistantes et les mesures coûteuses, Emmanuel Macron pourrait bientôt se mesurer à Benoît Hamon, expert en la matière ! Seule proposition de bon sens : la réforme du baccalauréat par l’introduction du contrôle continu pour certaines matières. Une réforme qui figure d’ailleurs au programme de François Fillon depuis juin 2015…

Puisqu’Emmanuel Macron semble vouloir copier – en le dénaturant – le programme éducatif de François Fillon, je lui conseillerais de couper court avec la repentance mémorielle et d’exiger des manuels scolaires qu’ils fassent une part plus grande à la vérité historique, à la trame chronologique et au récit national. Un état d’esprit qu’ignore pour l’instant Emmanuel Macron qui préfère qualifier la colonisation de crime contre l’humanité !

Russie-Qatar: les dessous d’un mariage de raison

poutine qatar syrie gaz
L'émir du Qatar et Vladimir Poutine. Sipa. Numéro de reportage : AP21845924_000005.

Quelques points de chronologie d’abord. Le 20 février, l’ambassadeur de Russie au Qatar, Nurmakhmad Kholov, a annoncé à l’agence russe Tass que « le Qatar investissait près de 2 milliards de dollars dans les activités de l’entreprise russe Novatek, plus important producteur indépendant de gaz de Russie ». Kholov a précisé que « la Russie et le Qatar ont réussi ces trois dernières années à obtenir de bons résultats en matière d’économie et d’échanges commerciaux grâce au travail conjoint de la commission intergouvernementale pour le commerce, l’économie, la science et la coopération technique » entre les deux pays. Avant de conclure : « Le Qatar exprime un grand intérêt pour les produits agricoles russes ainsi que pour les projets russes en matière de pétrochimie et de sources énergétiques, autant que dans le domaine de la construction ».

Un embryon de coopération militaire

Ceci est dans la droite ligne de la privatisation du géant public russe du pétrole, Rosneft, qui a eu lieu au début du mois de décembre dernier. L’Etat russe qui possédait 50% de Rosneft, première entreprise pétrolière mondiale, en a cédé 19,5% du capital au fonds d’investissement Glencore ainsi qu’au fonds souverain du Qatar (dans une proportion que l’on ignore) pour un montant de 10,5 milliards de dollars, qui doivent servir au renflouement du budget russe via l’entreprise publique Rosneftegaz. Précisons que le Qatar est lui-même majoritaire au sein du fonds Glencore.

Précisions enfin, pour illustrer cette « lune de miel » qu’au delà de l’énergie, un embryon de coopération militaire existe entre les deux pays. Le 6 septembre 2016, Moscou et Doha ont en effet signé un accord militaire après une visite du ministre qatari de la Défense, Khalid bin Mohammad Al Attiyah à son homologue russe Sergueï Choïgou, lors du Forum international militaire et technique de Moscou « ARMÉE-2016 ». Cet accord faisait suite à la rencontre, en mai de la même année, du vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov avec l’émir Tamim ben Hamad al-Thanin. « Nous avons signé un accord de coopération militaire avec la Russie, mais il ne comprend pas l’achat d’armes », a indiqué Saoud Bin Abdallah al-Mahmoud, Ambassadeur du Qatar à Moscou. Comme l’explique le site Opex360, « s’agissant d’éventuels contrats d’armement, rien n’est fermé du côté de Doha, le diplomate ayant assuré que son gouvernement examinerait cette ‘possibilité’ ». Dans ce nouveau contexte marqué par les progrès en matière de coopération énergétique, il n’est pas à exclure que des armes russes soient vendues au Qatar dans les deux ans, d’autant plus qu’elles ont, au grand dam de Doha, démontré toute leur efficacité en Syrie et que Moscou engrange déjà de précieux contrats d’armement dans la région (nous ferons un point d’ici peu sur ces contrats tous azimuts).

Une vieille discorde aggravée par la crise syrienne

Le passif entre Moscou et Doha est pourtant ancien. La Tchétchénie fut un premier motif de discorde. Au commencement de la décennie 2000, le Tchétchène Zelimkhan Iandarbiev, alors au Qatar, était accusé par la Russie de financer des rebelles tchétchènes liés à Al-Qaïda et d’avoir participé à l’organisation de la prise d’otages dans un théâtre moscovite en octobre 2002 qui s’était soldée par 129 morts. Mais Doha a refusé à la Russie son extradition. En février 2004, toujours en exil à Doha, Zelimkhan Iandarbiev trépassa après qu’une bombe placée dans sa voiture eut explosé. Comme l’explique le site Opex360, « les services russes (SVR et GRU) furent accusés d’avoir commis cet assassinat, qui sera, plus tard, à l’origine de la première loi anti-terroriste adoptée par l’Emirat. En tout cas, deux suspects de nationalité russe appartenant effectivement au GRU furent interpellés et jugés à Doha pour assassinat et trafic d’armes. Après avoir été torturés selon Moscou, les deux hommes furent condamnés à la prison à vie, avant d’être finalement transférés en Russie pour y accomplir leur peine. On y a perdu leur trace ».

La relation russo-qatarie se dégrade brutalement dès le début de la Guerre civile syrienne en 2011. Alors que la Russie joue des circonstances pour consolider son alliance avec le régime syrien (pour ne pas laisser les mains libres à Téhéran), et vole ouvertement à son secours en septembre 2015 en intervenant militairement (une première pour Moscou depuis l’invasion de l’Afghanistan en 1979), le Qatar, proche des Frères musulmans, est en fait dès le début de la Guerre syrienne à la manœuvre pour faire tomber le régime de Bachar Al-Assad et installer, en coopération avec les Turcs – eux aussi très liés aux Frères musulmans – et en concurrence avec les wahhabites d’Arabie Saoudite, un régime sunnite à Damas sous la forme d’un “Etat islamique”. Les Frères musulmans financent et arment les rebelles syriens (moins le Front al-Nosra, émanation wahhabite d’Al-Qaïda, qu’Ahrar al-Sham et la coalition du Front islamique, dominés par les Frères musulmans et parrainés par Doha et Ankara).

En 2012, alors que les Occidentaux pensent que le régime de Bachar Al-Assad va tomber en quelques semaines, le ministre qatari des Affaires étrangères Hamed Ibn Jassem aurait déclaré à l’ambassadeur russe auprès des Nations Unies : « Je vous mets en garde contre toute utilisation du veto sur la crise en Syrie; la Russie doit approuver la résolution, sinon elle perdra tous les pays arabes ». Mais l’intéressé, Vitali Tchourkine, qui vient de décéder brutalement, aurait alors rétorqué au Qatari : « Si vous me reparliez sur ce ton de nouveau, il n’y aurait plus une chose qui s’appelle le Qatar » avant de lancer directement au Premier ministre du Qatar : « Vous êtes ici au Conseil de sécurité en tant qu’invité, respectez-vous et reprenez votre taille initiale, d’ailleurs je ne m’adresserai plus à vous, je parle au nom de la grande Russie, et qu’avec les Grands ». Ces propos peu diplomatiques ont été bien sûr démentis par la Fédération de Russie, mais ils illustrent bien les certitudes de l’époque : les puissances sunnites du Moyen-Orient, fortes de leurs soutiens occidentaux, pensent alors réellement pouvoir parvenir à leurs fins en profitant des « Printemps arabes » pour écarter le très gênant Assad tandis que les Russes, cherchant à rattraper l’humiliation endurée en Libye – où ils n’ont pu empêcher les Occidentaux d’outrepasser leur mandat initial pour provoquer la chute du régime libyen et la fin terrifiante du Colonel Kadhafi -, se promettent alors de ne plus rien céder aux Occidentaux ou à leurs alliés du Golfe, tant sur le terrain diplomatique, en dégainant leur veto au Conseil de Sécurité que sur le terrain militaire, en volant directement à la rescousse d’Assad dans sa guerre contre-insurrectionnelle l’opposant aux « rebelles » syriens.

Doha prend acte de la domination russe

Sur fond de crise syrienne, mais aussi de guerre du pétrole et du gaz, il faut convenir qu’aujourd’hui, en concluant ces accords avec Moscou, le Qatar, à l’instar de la Turquie l’été dernier, prend acte de la domination stratégique russe sur la région et « va à Canossa », tandis que Moscou consolide son approche diplomatique éminemment pragmatique et basée sur du « win-win » consistant à parler à tous – même à ses adversaires voire à ses ennemis – et à trouver avec chacun des bases d’accord diversifiées permettant d’exercer un effet de levier sur d’autres partenaires-concurrents (en l’espèce sur Téhéran qui ne peut que s’inquiéter fortement de l’actuel rapprochement Moscou-Doha)

La prophétie qatarie, partagée à l’époque par bien des analystes occidentaux – « vous allez voir, en protégeant Bachar Al-Assad, les Russes vont se mettre à dos tous les pays de la région, particulièrement les puissances sunnites, et ils s’enliseront en Syrie comme les Soviétiques (ou les Américains…) en Afghanistan » – ne s’est pas révélée exacte. Contrairement à la France, qui, seule contre tous, semble encore vouloir pousser en Syrie les rebelles contre le régime – il faut lire la passionnante enquête de Georges Malbrunot du Figaro sur ce point –, les Qataris, comme les Turcs, ont pris acte de leur échec pour déstabiliser le régime de Bachar Al-Assad et souhaitent désormais exercer leur influence autrement sur la région. Si le processus d’Astana n’a pas encore porté ses fruits politiques, il y a fort à parier que les Turcs, mais aussi les puissances du Golfe, font tout pour disposer en Syrie d’une zone d’influence qui comporte la région d’Idleb (aujourd’hui aux mains des rebelles, essentiellement djihadistes) mais aussi la région de l’extrême Nord du pays, symbolisée par la ville d’Al-Bab, récemment reprise à l’Etat islamique, où l’Armée turque aidée des rebelles syriens occupe, dans le cadre de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », un espace stratégique et pourrait souhaiter s’étendre plus au sud vers Raqqa, moins au détriment du régime syrien (les Russes n’accepteraient pas) qu’au détriment des Kurdes du PYD, qui servent encore une fois, dans l’histoire du Levant, de variable d’ajustement régionale à l’usage des Russes comme des Américains… Une telle influence sunnite en Syrie ne gênerait d’ailleurs pas Moscou qui, contrairement à Damas ou Téhéran, ne souhaite pas un contrôle unitaire de l’ensemble de la Syrie. La Russie pourrait se satisfaire d’une solution fédérale avec une Syrie utile alaouite protégeant les intérêts stratégiques russes (base navale de Tartous et aérienne de Hmeimim).

Pour comprendre les raisonnements russe, turc et qatari, il faut s’intéresser aux enjeux gaziers et pétroliers. Non que la Syrie soit un producteur important d’hydrocarbures. Les réserves onshore au Nord et à l’Est du pays n’ont rien d’exceptionnel. Quant aux possibles réserves off-shore, elles se situent au large de Lattaquié, sous contrôle des Alaouites : les sociétés russes placent déjà leurs pions pour les exploiter ultérieurement. L’enjeu est moins dans la production d’hydrocarbures que dans le transport d’hydrocarbures des riches régions du Moyen-Orient (Iran, Qatar, Arabie Saoudite) vers l’Europe. Pour le dire en une phrase, les puissances sunnites, en s’alliant aux Occidentaux, pensaient pouvoir doubler les Russes dans l’approvisionnement en hydrocarbures du Sud de l’Europe avec la Turquie servant de « hub » énergétique à cette opération d’envergure. Une Syrie sous contrôle sunnite aurait facilité un tel projet… et introduit une sévère concurrence pour les Russes sur le marché européen des hydrocarbures. Mais ce rêve sunnite a vécu. Le 9 août dernier, le président turc Recep Erdogan qui, pour asseoir son pouvoir autocratique, a besoin de l’influence russe pour contrebalancer celle des Américains, est lui aussi « allé à Canossa » en rencontrant Poutine à Saint-Pétersbourg (cf. l’excellente analyse de Jean-François Colosimo dans une interview au Figaro). Le lendemain, Vladimir Poutine se rendait à Istanbul et les deux présidents relançaient le projet de gazoduc « Turkish Stream », qui permet aux Russes de passer par la Turquie (et de contourner l’Ukraine !) pour vendre du gaz à l’Europe via le sud du continent. En investissant dans Rosneft et dans Novatek, les Qataris comprennent à leur tour qu’ils ne peuvent avoir sérieusement accès au marché européen sans l’aval de Moscou. Une aubaine financière pour le président russe friand de l’argent qatari pour assainir ses finances publiques et réduire le déficit public du pays (même si la dette publique russe n’atteint que 20% du PIB quand la nôtre frôle les 100%…).

Russie, Iran et Qatar ont 50% du gaz mondial

Je prends la liberté de citer longuement le Général (2S) Jean-Bernard Pinatel qui résume parfaitement, dans Atlantico, la nouvelle donne géostratégique : « Trois pays – la Russie, l’Iran et le Qatar – possèdent 50% des réserves mondiales de gaz naturel. Les trois sont désormais alliés économiquement et stratégiquement, ce qui marque l’échec de la stratégie de l’Union européenne de diversification de ses sources d’approvisionnement de gaz naturel inspirée et voulue par les Etats-Unis et l’Otan. En effet, la Russie est déjà le premier fournisseur de l’Union européenne avec 40% des importations, qui représentent 20% de la consommation totale de gaz de l’Union européenne. Compte tenu de la hausse de la consommation dans l’Union européenne et de l’épuisement du gisement gazier en Mer du Nord, cette dépendance énergétique de l’UE vis-à-vis de la Russie devrait fortement s’accroître dans les prochaines années. La Commission européenne estimait en effet que, d’ici 2040, 70% des besoins énergétiques de l’UE devraient être assurés par les importations, contre 50% aujourd’hui. Cette dépendance était inacceptable pour les stratèges américains pour lesquels la création d’une Eurasie annoncerait la fin de leur suprématie mondiale et l’arrivée d’un troisième grand acteur sur la scène mondiale qui perturberait leur tête-à-tête d’adversaire-partenaire avec la Chine.Pour les stratèges américains et les atlantistes européens, le Qatar, avec 24300 milliards de m3 de réserves prouvées qui lui assurent 154 ans de production au rythme actuel, était la solution. A condition toutefois de construire un gazoduc, car la liquéfaction et le transport en bateau via le détroit d’Ormuz et le canal de Suez rendaient le gaz qatari non concurrentiel avec le gaz russe. Selon des informations du journal libanais Al-Akhbar publiées en 2012, les Qataris avaient établi un plan, approuvé par l’administration Obama et l’UE visant à construire un gazoduc vers l’Europe via la Syrie. Ce gazoduc terrestre aurait traversé l’Arabie Saoudite, puis la Jordanie, en évitant l’Irak pour arriver à Homs en Syrie, d’où il aurait bifurqué dans trois directions : Lattaquié sur la côte syrienne, Tripoli au nord du Liban, et une troisième branche via la Turquie vers l’Europe. Mais Bachar El-Assad refusait d’autoriser ce transit ».

J’avais moi-même publié un article dans la Revue des Affaires sur les enjeux énergétiques de la Guerre de Syrie. Ce que j’entrevoyais commence de se réaliser et nous voyons les prémisses d’une politique énergétique moyen-orientale directement pilotée par Moscou. Alors qu’avant 2011, deux projets de gazoducs entraient en concurrence – un “tracé chiite” permettant d’exporter le gaz iranien via la Syrie et un “gazoduc sunnite” permettant d’exporter le gaz qatari via la Turquie – la Russie a joué un jeu à la fois ferme (via ses Soukhoï…) et souple (en ne fermant pas la voie d’une influence sunnite dans une future Syrie fédérale) de sorte à devenir le pivot central et l’honest broker du Levant pour que le gaz tant iranien que qatari transite vers l’Europe sans déposséder Moscou via le futur gazoduc russo-turc Turkish Stream, la Syrie marquant dans ce périple gazier une étape essentielle.

La Russie, acteur de coordination et de médiation

Quid de la suite ? Tandis que la Guerre de Syrie commence de se stabiliser avec une zone chiite formée par la Syrie utile et une percée vers l’Est à Deir Ezzor, une zone sunnite et une zone kurde servant de levier à l’influence croisée américano-russe, des compromis politiques pourraient être trouvés peu à peu à Astana où les véritables négociations de paix devraient supplanter celles de Genève sur le fond du dossier. Dans le même temps, une coordination des différents acteurs régionaux (Iran, Turquie, Qatar, Arabie Saoudite) se matérialise sous les auspices de la Russie qui négocie parallèlement son action à un niveau supérieur de gouvernance avec les Etats-Unis, eux-mêmes désireux de conserver leur « leadership from behind » – en matière de non-interventionnisme, Trump pourrait paradoxalement agir en continuité avec la politique de B. Obama -, et avec la Chine qui, elle, devrait jouer à l’avenir un rôle essentiel au Moyen-Orient via son projet de « Nouvelle route de la Soie ». Un projet pharaonique qui constitue l’armature de ce que je nommerais le « pivot vers l’Ouest » chinois en miroir du « pivot vers l’Est » américain.

Retrouvez la version initiale de cet article sur le blog de Caroline Galacteros.

Affaire Fillon: peut-on avoir confiance en la justice?

Eliane Houlette, 2014. SIPA. 00677791_000020

Je ne suis pas d’accord avec les commentaires vertueux sur l’honorabilité inconditionnelle de la justice de notre pays. Pour ma part, je ne lui fais guère confiance.

Beaucoup de juges sont anormalement politisés, bien au delà de l’engagement naturel de chacun. L’épisode du « mur des cons » est significatif, notamment parce que la secrétaire du syndicat en question n’y voyait rien d’aberrant et s’indigna d’être poursuivie.

Beaucoup de juges sont, sinon corrompus, du moins dépendant des réseaux. En province, ce sont les cercles de notabilité, les clubs, la maçonnerie; à Paris, c’est le monde de la mondanité (je me souviens des propos d’un mien avocat: « venez à ma remise de décoration, vous verrez ceux qui seront amenés à vous juger » – sic!).

Indépendance et compétence ?

La pratique des fuites dans la presse est devenue insupportable et l’argument de prétendus contre-feux allumés par les juges contre la parole médiatique des avocats ne vaut pas. On pourrait en effet poursuivre les avocats qui abusent de leur prétendue « déontologie » – si on n’était pas en connivence avec eux.

La compétence des juges est souvent discutable, pas forcément parce qu’ils sont tous incompétents mais parce que beaucoup ne s’y retrouvent plus dans une législation proliférante et contradictoire. Je me souviens aussi des propos de deux juristes membres du jury d’admission à l’Ecole nationale de la magistrature: « les 20 premiers sont remarquables, ensuite c’est passable mais la queue de classement est effarante… »

L’indépendance des magistrats est une bonne blague quand on connaît le système des promotions.

L’impunité quasi complète des magistrats quand on voit les sanctions prises par le Conseil supérieur de la magistrature est aussi une bonne blague, mais moins drôle.

Je continue à penser que la diligence des magistrats à traiter l’affaire Fillon est suspecte. On attendrait la même diligence dans des cas un peu plus lourds – le montage fiscal Seillière-Wendel date de 2007 et n’est toujours pas venu au jugement…

La France n’est pas un open space

Emmanuel Macron Houria Bouteldjia colonisation de Gaulle Algérie identité
Conférence d'Emmanuel Macron à la New York University, 5 décembre 2016

Macron et la culture

Emmanuel Macron veut en finir avec le vieux clivage droite/gauche et rassembler autour de lui les progressistes, à quelque camp qu’ils appartiennent, contre les conservateurs de tous bords. Qu’est-ce que le progrès pour l’homme qu’Alain Minc, Pierre Bergé, Jacques Attali et Xavier Niel voudraient nous voir élire ? C’est multiplier les start-up, ubériser le marché du travail, faciliter les trajets en autocar, développer dans les banlieues le désir d’être milliardaire et autoriser, pour stimuler la consommation, la pose de panneaux publicitaires dans les villes de moins de 10 000 habitants.

Il y a quelques jours à Lyon, ce progressisme s’est enrichi d’une dimension culturelle. Macron a dit ceci : « Et notre culture ne peut plus être une assignation à résidence identitaire : il n’y a pas la culture des uns et la culture des autres. Il n’y aurait pas cette formidable richesse française qui est là, dont on devrait renier une partie. Il n’y a d’ailleurs pas une culture française, il y a une culture en France. Elle est diverse, elle est multiple. Et je ne veux pas sortir du champ de cette culture certains auteurs, musiciens, artistes, sous prétexte qu’ils viennent d’ailleurs. » Les conservateurs défendent la culture française, les progressistes célèbrent la culture en France. Autrement dit, pour ceux qui se retrouvent sous cette bannière, la France n’est plus une histoire, la France n’est plus même un pays, c’est un pur espace. L’espace-France accueille la diversité et sur cette diversité des goûts, des pratiques, des musiques, des origines, nulle antériorité ne saurait prévaloir, nulle hiérarchie n’est en droit de s’exercer. Tout est égal et puisque tout est différent, tout est pareil.

A lire aussi >> Macron, prophète de bonheur: l’homme qui voulait plaire à tout le monde

De « français » à « en France », il y a la distance qui sépare une nation d’une société multiculturelle. Au nom du progrès, Emmanuel Macron nous invite à franchir ce pas. Au lieu de s’inquiéter de la désintégration française qui se produit sous nos yeux, il l’accompagne, il la conceptualise, il en[access capability= »lire_inedits »] recouvre la violence par l’éloge du multiple. Au lieu de proposer la reconstruction de l’école en ruine autour de la transmission d’un grand héritage, il dépouille nos classiques de leur aura et les noie dans la masse. Le divertissement dicte sa loi, l’immigration dicte sa loi, et le progressisme macronien cède en donnant à toutes ces redditions l’apparence de l’abnégation. Comme les auteurs de l’Histoire mondiale de la France, il boute la France hors de France pour ne pas entraver les processus en cours, et comme eux, il s’enchante de son ouverture, de sa bonté, de son hospitalité. Ce sont les lâches qui, autrefois, capitulaient, ce sont maintenant les progressistes et les érudits généreux.

La veille ou l’avant-veille du grand discours d’Emmanuel Macron, la tour Eiffel, qui tend de plus en plus à devenir une vitrine politico-publicitaire, s’est illuminée, et on a vu apparaître en lettres blanches ces mots énigmatiques : « Made for sharing » (« Fait pour être partagé »). Cette « scrapline », comme on dit aujourd’hui, est le slogan de la campagne que mène la Ville de Paris pour l’organisation des jeux Olympiques de 2024. Il vient d’être déposé mais il n’est pas, lui-même, de la première jeunesse. Il a déjà été utilisé en Angleterre par des confiseurs-chocolatiers, et repris aux États-Unis par Burger King pour lancer une pizza géante à découper. Pourquoi un tel choix ? Réponse de la directrice de la marque et du contenu : cette idée de sharing « synthétise l’ADN de notre projet au cœur de la ville-monde qu’est Paris ». Le progressisme atteint ici son apogée. Dans l’espace de la diversité qu’est devenue la France et dans la ville-monde que devient Paris, on ne voit pas pourquoi le français, cette survivance vernaculaire, devrait garder sa prééminence. Il faut une langue globale, et la seule qui puisse prétendre à cette fonction, c’est l’anglais. Je rappelle qu’Emmanuel Macron, invité il y a peu par l’université Humboldt de Berlin, s’est exprimé dans cette langue globale devant son auditoire. Et c’est un Québécois, Mathieu Bock-Côté, qui y a trouvé à redire.

Si rien ne vient déranger les plans de la providence, Emmanuel Macron sera le prochain président de l’espace-France. Et en faisant de la diversité la valeur suprême, il réalisera le prodige d’accélérer à la fois la division et l’uniformisation en cours. Un autre scénario aurait pu avoir lieu avec François Fillon. Mais le Penelopegate risque bien d’être fatal à celui-ci. Il a déjà été condamné par le tribunal médiatique. Et comme il dénonce ce tribunal, la condamnation s’aggrave. On ne critique pas les médias dans nos démocraties. On ne s’indigne pas de voir Le Canard enchaîné feuilletonner ses révélations pour des raisons commerciales. On se réjouit de ne plus être dupe de la vertu de M. Fillon. Ainsi abandonne-t-on la politique pour la morale ou, plus exactement, la morale politique pour les seules exigences de la morale privée. La morale politique, c’est le souci du monde. C’est l’effort pour rendre le monde habitable. L’habitabilité est son grand critère. Et au regard de ce critère, l’opposition des progressistes et des conservateurs n’a aucun sens. Il y a, pour que le monde soit un séjour humain, des progrès qui s’imposent et des choses qu’il faut savoir garder et transmettre. Voilà ce que Macron ignore car ce n’est pas l’habitabilité qu’il vise, c’est la fluidité. Et, ironie suprême, la culture française deviendra le repoussoir de ce programme inquiétant si, François Fillon n’ayant pas été assez vertueux, Marine Le Pen se retrouve seule à la défendre sur la scène politique.

Macron et l’histoire

Le moins qu’on puisse attendre d’un candidat à la magistrature suprême, c’est la cohérence, la responsabilité et le respect dû à la vérité historique. Emmanuel Macron, qui est pourtant un intellectuel, qui a fait partie du comité de rédaction de la revue Esprit, qui a travaillé avec Paul Ricœur, vient de manquer à ces trois exigences. Dans un entretien donné au Point en novembre 2016, il avait évoqué les « effets positifs » de la colonisation. « En Algérie, il y a eu la torture mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes. C’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie. » Un journaliste de la télévision algérienne a demandé des explications à Macron et voici sa réponse : « Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation […] La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »

En première page de son édition datée du 17 février, Le Monde écrit que la déclaration d’Emmanuel Macron a suscité de vives critiques « à droite et à l’extrême droite ». Comme s’il fallait, pour s’offusquer des propos du candidat en marche, être un nostalgique de l’Empire français. Comme si la gauche, héritière des luttes anticoloniales, ne devait rien trouver à redire à une approximation aussi monstrueuse. Comme si le combat politique exigeait de sacrifier la nuance et les distinctions élémentaires. Claude Liauzu, historien très engagé à gauche, nous avait pourtant alertés dès 2005 : « De plus en plus nombreux, les spécialistes s’inquiètent de la propension qui gagne le métier à réduire l’histoire à un procès ou en faire un instrument idéologique. Confondre coloniser et exterminer, cela n’ajoute rien à la critique, au contraire. Ce schématisme ne permet guère de progrès scientifiques. » Coloniser, exterminer, c’est le titre d’un ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison paru en 2005. Tandis que les plus vieux lâchement se taisent, les journalistes trentenaires et quarantenaires du Monde et de Libération se conduisent en bons élèves de l’école post-républicaine. Ils sont les purs produits d’un enseignement de l’histoire à la Boucheron et à la Le Cour Grandmaison que nul scrupule, que nulle probité intellectuelle n’arrête quand il s’agit de souligner les failles et les fautes de la France dans son rapport à l’altérité. Cet enseignement n’expose pas la complexité, il fustige le Mal. Macron a le même âge que les journalistes ainsi formés, il a donc tout naturellement suivi cette pente. Et il s’est fait ainsi le complice du régime algérien qui cherche à détourner l’attention de ses turpitudes et de son échec cuisant à assurer à son peuple une vie décente, malgré les rentes pétrolières et la rente gazeuse, par une condamnation de plus en plus obsessionnelle et délirante de la période coloniale. Par la même occasion, Macron a envoyé un message de soutien aux enfants de l’immigration postcoloniale, comme aiment à dire les sociologues, qui regardent la France avec une mentalité de créancier : elle leur doit réparation et ils ne lui doivent rien. Dans son livre effrayant paru aux éditions La Fabrique Les Blancs, les juifs et nous, Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, écrit : « La Shoah ? Le sujet colonial en a connu des dizaines. Des exterminations ? À gogo. » À tous ceux qui pensent comme elle, Emmanuel Macron demande de voter pour lui. Il s’adresse à ces électeurs potentiels et il leur dit que le ressentiment qu’ils éprouvent a sa place dans la diversité française.

Si les journalistes avaient un sens moral aussi développé qu’ils le prétendent, ils jugeraient cette affaire Macron bien plus grave que le Penelopegate. Certes, il n’est pas convenable de garder pour soi et pour les siens son enveloppe parlementaire mais s’affranchir des contraintes de l’objectivité et de la précision historique, aggraver la fracture française en donnant quitus à une francophobie de plus en plus militante et s’aplatir pour finir devant un pouvoir cynique, corrompu et manipulateur, c’est tout de même autre chose. Emmanuel Macron est, comme le dit Marcel Gauchet, « porteur d’une vision économique du monde ». Quand il s’y tient, il laisse échapper l’essentiel. Quand il en sort, il déraille. Et quand il veut se rattraper, il déraille encore. Souhaitant, sans rien renier de ses propos, mettre du baume au cœur des pieds-noirs qu’il a pu blesser, il a dit sur un ton grave : « Je vous ai compris » – soit la formule même que leur avait servie le Général de Gaulle après avoir décidé de faire exactement le contraire de ce qu’ils attendaient de lui. Si j’étais la France, je ne confierais pas mon destin à cet homme-là.[/access]


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Et si la présidentielle était reportée?

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Conférence de presse de François Fillon. Numéro de reportage : AP22020960_000001.

Mercredi 1er mars 2017, début du carême. En bon chrétien, François Fillon entame son chemin de croix. Il annonce publiquement qu’il est convoqué par un juge d’instruction le 15 mars prochain «aux fins de mise en examen ».

Cela tombe bien, c’est exactement entre le 10 mars et le 17 mars que le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection !

« Violation de l’Etat de droit », « assassinat politique », les accusations portées à l’encontre de la justice sont particulièrement violentes. La rapidité de la procédure a en effet de quoi surprendre. A peine un mois s’est écoulé entre l’ouverture d’une enquête par le parquet national financier (en principe compétent « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité ») et la décision d’une convocation aux fins de mise en examen.

L’éventualité d’une mise en examen du candidat LR  (opportunément ?) programmée à deux jours de la date limite du dépôt des candidatures, alourdit le climat délétère qui règne depuis plusieurs semaines sur la vie politique française.


Présidentielle : François Fillon annonce qu’il… par journalsudouest

Les temps judiciaire et politique se marient décidément aussi bien que l’huile et le vinaigre.

Le débat public n’existe plus, la démocratie est prise en otage par les affaires, l’ambiance est étouffante, lourde, pesante et, pour reprendre un terme à la mode, particulièrement « nauséabonde ».

Il reste 40 jours à tenir, ce qui est dans la moyenne pour un calvaire. Imagine-t-on François Fillon mis en examen ? La Constitution ne l’a pas imaginé. Aucune disposition juridique n’a prévu le cas dans lequel un candidat déclaré à une élection présidentielle ferait l’objet d’une procédure judiciaire. Alors tachons de faire preuve d’imagination.

L’esprit de la Vème République, c’est celui de la rencontre entre un homme et le peuple souverain. En principe, aucun juge ne vient tenir la chandelle.

François Fillon peut-il être candidat ? Moralement, c’est à lui seul de répondre. Mais juridiquement, il ne peut pas être empêché de concourir.

Dans l’histoire de la Vème République, deux événements majeurs ont contribué à faire évoluer le régime juridique de l’élection du président de la République.

22 août 1962 : l’attentat manqué du Petit Clamart

Un commando fait feu sur la DS du Général de Gaulle alors en route pour l’aérodrome de Villacoublay. 187 balles sont tirées, 14 atteignent la DS présidentielle et, miraculeusement, les quatre occupants du convoi (le président de la République et son épouse Yvonne de Gaulle, leur gendre le colonel Alain de Boissieu et le chauffeur Francis Marroux) en sortent indemnes.

Bastien-Thiry, condamné à mort, n’a pas été gracié. L’une des raisons du refus de grâce aura été celle de la mise en danger de la vie d’autrui. Aucune précaution ne fut prise par le commando pour protéger les riverains du Petit Clamart. Si le président de la République s’en est miraculeusement sorti, l’attentat aurait pu coûter la vie à une famille innocente. Au moment du passage du convoi présidentiel, un véhicule comprenant une famille circulait sur l’autre sens de la chaussée et se retrouva au beau milieu de la fusillade. Son conducteur fut blessé au doigt. Il s’appelait Monsieur Fillon.

La famille Fillon s’était ainsi retrouvée au cœur d’un événement qui allait bouleverser l’histoire de l’élection du président de la République.

Avant 1962, le président de la République était élu par des grands électeurs. En réaction politique à l’attentat manqué, le Général de Gaulle proposa au peuple français, par la voie du référendum, une réforme visant à soumettre l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel direct.

Depuis 1965, le président de la République est désigné directement par le peuple souverain.

2 avril 1974 : le décès du président Pompidou

Georges Pompidou est le premier chef d’Etat  à disparaître en cours de mandat sous la Vème République. Il n’est pas cependant le premier président de la République à décéder durant l’exercice de ses fonctions. Le président Félix Faure mourut le 16 février 1899 à l’Élysée et les circonstances de son décès passèrent à la postérité sous la formule célèbre de Clemenceau : « il a voulu vivre César, il est mort Pompée ».

La disparition du président Pompidou amena le pouvoir constituant à réfléchir à l’éventualité du  décès d’un candidat à l’élection présidentielle. Depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976, l’article 7 de la Constitution envisage les hypothèses de décès ou d’empêchement d’un candidat à l’élection présidentielle :

– Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection.

– Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil constitutionnel prononce le report de l’élection.

Deux cas de figure sont donc envisagés. Le premier dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, soit pour cette année du 10 au 17 mars, le second avant le premier tour, soit entre le 17 mars et le 23 avril prochain.

Dans le premier cas, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection, il dispose d’un choix. Dans le second cas, il ne dispose d’aucun libre arbitre. Si un candidat décède ou est empêché, il est tenu de prononcer le report de l’élection.

Quelles sont les conditions pour que le Conseil constitutionnel reporte l’élection ?

Entre le 10 et le 17 mars

Avant la date limite de dépôt des candidatures, il n’y a pas de candidat. Il n’existe que des « personnes ayant annoncé publiquement leur décision d’être candidate ». Les candidatures relèvent officiellement de l’intention, elles ne sont pas encore jugées par le Conseil constitutionnel. Si un des candidats déclarés décède ou est empêché, alors le Conseil constitutionnel pourra décider de reporter l’élection.

Cette liberté qui lui est offerte de décider de reporter ou non l’élection se comprend pour une raison simple.

Prenons le cas d’un petit candidat qui a officiellement déclaré qu’il briguerait la magistrature suprême, celui dont on dit communément qu’il fait une candidature de témoignage et dont on sait pertinemment qu’il ne dispose d’aucune chance de recueillir les 500 parrainages.

S’il venait à décéder ou à être empêché, alors le Conseil constitutionnel n’est pas contraint de reporter l’élection pour une personne qui n’aurait en tout état de cause pas concouru.

A l’inverse, si par exemple le 15 mars prochain, le candidat de la droite et du centre venait à être empêché, le Conseil constitutionnel pourrait décider de reporter l’élection.

Toutefois, notons que selon le texte constitutionnel, le décès ou l’empêchement doit survenir la semaine précédant la date limite de présentation des candidatures. Si l’événement survient huit ou dix jours avant, le Conseil constitutionnel ne peut rien faire.

Fort heureusement, la convocation tombe le 15 mars !

Entre le 17 mars et le 23 avril

Après la date limite, il n’y a plus de candidats déclarés, mais uniquement des candidats à égalité. Le régime est alors le même pour tous, et, en cas de décès ou d’empêchement de l’un d’entre eux, alors le Conseil constitutionnel n’a plus le choix. Il doit prononcer le report de l’élection.

Après le 23 avril

Si le décès ou l’empêchement d’un des deux finalistes survient entre les deux tours, alors le Conseil constitutionnel annule les opérations électorales et de nouvelles élections sont organisées.

Une mise en examen n’est pas un cas d’empêchement au sens de la Constitution. Sauf si le Conseil constitutionnel décide de faire jurisprudence…

Le pouvoir du juge constitutionnel de reporter l’élection est limité aux cas de décès et d’empêchement. Il y a donc lieu de considérer que si ces deux cas produisent juridiquement des effets analogues, c’est qu’ils doivent être compris comme correspondant tous deux à une situation identique, celle dans laquelle, physiquement, il n’est pas possible pour une personne d’exercer la fonction de président de la République.

Evidemment, le Conseil constitutionnel dispose de la liberté reconnue aux juges pour interpréter les textes et aucune autorité supérieure ne pourrait contredire son choix. Il pourrait ainsi décider de considérer qu’une mise en examen constitue un cas d’empêchement.

Mais gageons qu’il ne le fera pas. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de juger de la valeur éthique ou morale d’un candidat. Seule la conscience du candidat puis le vote du peuple souverain permettront de résoudre la question.

Le juge, fût-il constitutionnel, ne peut connaître que des questions de droit. Pour la morale ou pour l’éthique, il appartient aux citoyens d’en juger.
L’empêchement visé à l’article 7 de la Constitution ne vise que des cas qui rendraient le candidat physiquement inapte à exercer la fonction (maladie, disparition, accident, aliénation, attaque cérébrale,…).

L’empêchement n’étant pas défini par la Constitution, l’ambiguïté du terme laisse certains penser que la procédure prévue à l’article 7 de la Constitution pourrait être utilisée à l’encontre du candidat Fillon.

Aussi, le terme d’empêchement s’avère-t-il proche de l’impeachment américain, procédure permettant de destituer un président en exercice ayant commis des manquements incompatibles avec l’exercice de son mandat.

Mais en France, le terme d’empêchement a un sens. Et pour en cerner les contours, on s’intéressera alors au statut du président de la République.

S’agissant du chef de l’Etat, on remarque qu’il peut à la fois faire l’objet d’une procédure de destitution et être victime d’un empêchement. On définira donc l’empêchement par opposition à la destitution.

Aux termes de l’article 68 de la Constitution, le président de la République peut être destitué en cas de manquements incompatibles avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement réuni en Haute Cour. Prononcée par le Parlement, la sanction revêt une dimension politique.

La destitution du président de la République suppose la réalisation d’un manquement incompatible avec l’exercice du mandat. Par définition, il est porté une appréciation de nature subjective sur le comportement du président de la République. Des faits présentant un caractère pénal, la révélation d’un passé trouble pourraient constituer de tels manquements.

Hormis dans la série Baron Noir, cette procédure n’a jamais été mise en œuvre, alors même que deux périodes de cohabitation auraient pu le permettre. En 1986, il avait été envisagé de renvoyer François Mitterrand devant la Haute Cour pour son refus de signer les ordonnances. En 2000, Arnaud Montebourg proposa d’y renvoyer Jacques Chirac en raison des révélations des affaires liées à la Mairie de Paris.

Dans ces deux cas, il n’avait pas été envisagé de déclarer le président de la République empêché. Lorsqu’on reproche au président de la République d’avoir des casseroles, on songe à le destituer, on ne constate pas son empêchement.

A l’inverse, l’article 7 de la Constitution prévoit un cas de vacance ou d’empêchement du président de la République. Ce cas de figure est intervenu à deux reprises sous la Ve République, après la démission du Général de Gaulle et après le décès du président Pompidou.

Dans la Constitution, il est écrit que le Conseil constitutionnel constate l’empêchement. Ainsi, l’empêchement doit donc être entendu comme correspondant à une situation objective, un constat, celui dans lequel la santé du président de la République serait altérée.

Le terme d’empêchement ayant été introduit dans la Constitution après le décès du président Pompidou, cela révèle donc l’intention du pouvoir constituant de prévoir une situation dans laquelle la maladie ou l’aliénation emporterait un candidat et non des affaires judiciaires.

Une mise en examen, des casseroles, une moralité peu exemplaire ou le passé judiciaire trouble d’un candidat ne constituent donc nullement des circonstances qui devraient amener le Conseil constitutionnel à décider de reporter l’élection.

Mais toute décision du Conseil constitutionnel étant sans appel, les sages de la rue de Montpensier demeurent libres, si la situation les contraignait à interpréter le texte comme ils l’entendent.

Dans cette hypothèse, ils feraient alors jurisprudence, au détriment de l’esprit de notre Constitution.

De Macron à Podemos, les mirages de la société civile

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Emmanuel Macron, Pablo Iglesias et Alexis Tsipras. Photos: Eduardo Munoz Alavarez ; Sipa. Numéro de reportage :00792983_000008. Sipa. Numéro de reportage : 00777706_000003.

La société civile est aujourd’hui parée de toutes les vertus qu’aurait perdues le monde politique. Ses membres – auto-désignés – sont flattés par les médias tandis que les élus sont censés cumuler (en plus de leurs mandats) malhonnêteté, incompétence et clientélisme ! Qui appartient d’ailleurs à la « société civile » ? Celui qui n’a jamais été élu et qui candidate ? Par définition, c’est le cas, au départ, de tous les élus ! Celui qui s’affranchit des partis politiques alors que la Constitution (article 4) reconnaît leur rôle et définit les conditions de leur légalité (« le respect de la souveraineté nationale et de la démocratie ») ? Le chef d’entreprise, le « zadiste », le « pétitionnaire », le chanteur, le public d’On n’est pas couché ?

La réalité est simple : est aujourd’hui baptisé membre de la société civile celui qui conteste la démocratie représentative mais cherche à peser sur la vie politique ou… à se faire élire, en enfilant le manteau de la probité et de la compétence !

Les avatars de la « société civile »

Quelques exemples étrangers illustrent pourtant les avatars de la « société civile » : le maire de Rome, issu du Mouvement 5 étoiles, apôtre de la transparence et de la sobriété, est embourbé depuis son élection dans des affaires de corruption, de conflits d’intérêts et de cupidité de son équipe.

En Grèce, le chantre de l’insurrection populaire, Alexis Tsipras, s’est finalement couché devant les exigences du FMI et de la Commission européenne. Les « Indignés » espagnols de Podemos ont perdu les élections. Le « Printemps » tunisien des libertés a ouvert les portes de la présidence à un islamiste puis à un très vieil homme.

Qu’est-ce qu’apporte la société civile en France ? Beaucoup à travers les associations, viviers de générosité ; mais le bénévolat s’essouffle quand il ne meurt pas de vieillesse. Son bilan est plus contrasté en politique : Simone Veil était inconnue du grand public quand elle a été nommée en 1974 ministre de la Santé. Puis elle s’est fondue dans le moule. Coluche ? Soutenu par le promoteur du « mouvement social » Pierre Bourdieu, il s’est effondré. Jacques Attali ? Même François Mitterrand ne lui confiait aucune responsabilité. Hulot ? Se soumettant aux primaires écologistes, il a été balayé. Tapie ? Une vie d’« affaires » ! Le professeur Schwartzenberg ? Quelques jours au gouvernement. Les succès de Thierry Breton, qui fut d’abord un remarquable élu local, ne peuvent dissimuler l’échec de Francis Mer à s’acclimater à la vie politique.

La représentation n’est que le « miroir brisé de la Nation »

La société civile se nourrirait de la « démocratie participative ». Laquelle ? Celle qui conteste à Notre-Dame-des-Landes par la violence les décisions des pouvoirs publics approuvées par un référendum local ? Elle serait stimulée par le numérique : l’observation des déchaînements de haine et de bêtise sur les réseaux sociaux invite à la prudence…

La démocratie représentative, elle, est un bien précieux : elle est issue d’un cadre légal et légitime et du libre choix des électeurs. Elle fait office de filtre des passions humaines. Pas assez « représentative » la démocratie ? Mais de qui ? La représentation n’est que le « miroir brisé de la Nation », selon le mot de Gambetta, certes. Mais la République est « une et indivisible ».

La démocratie représentative serait ainsi en crise. Sans doute ; mais comme les syndicats, les associations, le monde lui-même ! Les partis politiques attirent peu, c’est vrai, à l’exception de militants dévoués, habités par une passion. S’ils sont désertés, c’est sans doute que la droite et la gauche n’ont pas toujours fait la politique de leurs électeurs ! Mais qui veut prendre le risque de mettre entre parenthèses sa vie personnelle et professionnelle ? Qui est prêt à endurer en politique ce que l’on refuse justement dans sa vie « normale », le regard injuste ou sectaire, même si l’on a bien fait ? Si la politique est une passion, elle est bien aussi un sacrifice. Le mot passe mal dans une société hédoniste. Il est suspect. Il doit cacher des turpitudes et autant de bénéfices hypocrites ! Je mesure l’ironie du lecteur qui ne sait rien de la vie d’un maire, qui demande à ses élus d’être partout au même instant et que leurs familles attendent en vain, le soir, pour passer à table. Et quelle patience faut-il éprouver pour écouter ceux qui vous assènent les recettes d’un monde à refaire ! Des élus qu’aucune rumeur positive n’a jamais câlinés, soumis à l’imagination réglementaire sans limites des Administrations et aux risques judiciaires, obligés de dire « non » à ceux qui les ont soutenus, et « oui » à des adversaires acharnés !

La politique n’est pas un métier mais…

Le mandat parlementaire se nourrit justement de cette vie et de ces responsabilités locales où l’on s’efforce de marier l’anticipation et le soin apporté aux innombrables détails de la vie quotidienne des gens. L’opinion sait-elle qu’avec la fin du cumul des mandats, entérinée pour lui faire plaisir, on renforcera le poids des administrations de l’État et des partis parisiens ? La culture hors-sol est aussi mauvaise pour les élus que pour les plantes !

En revanche, nul n’a jamais voulu interdire le cumul des fonctions de tant d’autres acteurs de la « société civile » ! Nul ne trouve à redire au fait que le « quatrième pouvoir » déploie ses talents dans plusieurs médias à la fois, dans des universités, des maisons d’édition, des consultations d’entreprises, des instituts de sondage !

La politique n’est pas un métier ; mais ses missions doivent être assurées évidemment avec professionnalisme. Beaucoup de progrès dans la vie des Français sont issus des réussites des élus locaux qui équilibrent, souvent, les erreurs de l’État… Nombre de parlementaires sont exceptionnels et leurs travaux méconnus.

Seule la passion du bien commun permet de surmonter les difficultés techniques et psychologiques d’une vie où les sentiments sont exacerbés. Les élus ne réclament pas la pitié. Simplement le même respect qu’ils éprouvent pour ceux qui leur font confiance, et qu’ils attendent aussi des donneurs de leçons de morale qui, au nom d’un concept creux – celui de la société civile – ne sont pas toujours eux-mêmes des parangons de vertu.

Les végétaux prennent la parole

Francis Lalanne

ENFIN UN CANDIDAT UFCR-UDG !

Jeudi 2 février

Qui osera dire que le débat de fond n’est pas lancé dans cette campagne ? Il suffit de s’informer. Ainsi, dans mes spams d’aujourd’hui, je récupère un communiqué de presse d’Alain Mourguy, candidat de l’Union des forces citoyennes et républicaines et de l’Union des gens de bon sens (UFCR-UDG) à la présidentielle de 2017. Parmi 159 autres intéressantes propositions, il nous explique « comment créer un million d’emplois tout en économisant huit milliards d’euros par an ». A priori ça a l’air tentant ; j’ai pas tout lu mais en gros, pour financer le truc, il suffirait de supprimer le chômage.

LALANNE LAND

Vendredi 3 février

Encore une preuve de la vivacité du débat démocratique – au moins dans les couches conscientisées de la société : le « Collectif éco-citoyen 100 % » présidé par le polyvalent Francis Lalanne présentera aux prochaines législatives des candidats dans toutes les circonscriptions, de façon à « offrir une alternative citoyenne à la politique politicienne ». Il fallait y penser !

Toujours est-il que, sur ce programme, le collectif réunit pas moins de « 28 mouvements politiques, citoyens et écologiques ». Même que parmi eux, en ma qualité de président à vie de Jalons, je voudrais adresser un salut tout particulier à nos amis de Génération Végétale, qui sont la relève des idées que nous portons ! Qu’ils le sachent : en cas de problème à Lalanne Land, il y aura toujours à Jalons une place pour ces jeunes pousses.

FIGARO-CI, FIGARO-LÀ

Mercredi 8 février

Vendredi 3 février : au plus fort de la tempête, Le Figaro lâche celui qui était devenu son héros depuis son triomphe aux primaires. Le titre, qui s’étale sur cinq colonnes à la une, est sans ambiguïté : « Fillon continue, la droite s’inquiète. » Pas dur de deviner ce qu’il faudrait pour la calmer… À l’intérieur, deux articles de fond précisent le message : « Une affaire judiciaire et familiale qui n’en finit pas », déplore l’un ; « Les réflexions s’accélèrent autour du plan B », rassure l’autre. En bon français : Fillon est foutu, il est temps de passer à autre chose !

Ce mercredi, cinq jours plus tard, la tempête semble s’être calmée, au point que Le Figaro remonte sur le navire : « La droite resserre les rangs autour de Fillon », titre le journal à nouveau mobilisé. Et de filer, en pages intérieures, la métaphore militaire : « Fillon soude son camp et repart sur le terrain », « La contre-offensive est aussi juridique »… Mais le plus fort, c’est quand Le Figaro nous explique en une que[access capability= »lire_inedits »] « le candidat entend relancer une campagne entravée depuis quinze jours ». Comme si le quotidien lui-même n’y avait pas contribué en annonçant au peuple de droite que son candidat était cuit !

Heureusement il n’y paraît plus, et à lire la livraison d’aujourd’hui, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes fillonistes… Jusqu’au prochain obstacle qui pourrait faire trébucher le candidat ; auquel cas, n’en doutons pas, le quotidien reprendrait sa fameuse « liberté de blâmer ».

JÉSUS, ONFRAY ET MOI

Samedi 11 février

Dieu sait que j’aime bien Onfray, j’ai même été le premier à l’interviewer pour ce magazine. Avec tout ça, il est au courant bien sûr pour mon problème de catholisme, mais il ne m’en veut pas ; il me plaint, c’est tout.

Moi, pareil ! Quel dommage, lui ai-je habilement représenté, qu’un esprit aussi ouvert, fécond et indépendant que le sien se crispe dès qu’il s’agit des religions monothéistes, et de la mienne en particulier. Mais rien à faire ! Pour toute réponse Onfray, sûr de son fait, se contente de moquer gentiment mes chimères d’« arrière-monde »

Ce soir, Michel est venu chez Ruquier pour parler de Décadence, le tome 2 de sa Brève Encyclopédie, consacré précisément au constat de décès de la civilisation judéo-chrétienne. Mais comme tout ça est un peu sérieux, pour détendre l’atmosphère, on lui demande de développer sa thèse sur l’inexistence historique de Jésus.

Flavius Josèphe atteste du contraire, de même que Tacite et Suétone ? C’est qu’ils n’ont pas eu accès aux bonnes sources ! Le meilleur argument d’Onfray – enfin, mon préféré : « Si Jésus avait existé, il aurait bien sûr mangé des loukoums ! » Et bien sûr les quatre évangélistes (s’ils avaient eux-mêmes existé) se seraient bousculés pour nous rapporter l’affaire, vu son importance.

À ce compte-là, moi aussi j’ai ma preuve de l’inexistence historique du Christ : dans tous les évangiles on le voit manger, mais nulle part il ne fait popo ! Pas très crédible, tout ça.

Sur quoi, une heure plus tard, qu’est-ce que j’apprends ? Saint Paul non plus n’aurait pas existé ! Quand même, il exagère, Michel… commencé-je à marmonner, avant de me calmer tout net : de toute façon, une fois qu’il n’y a plus de Jésus, hein…

AFFAIRE THÉO : LE FILM

Jeudi 16 février

En exclu dans Le Point, du nouveau sur l’affaire Théo : le témoignage des flics, et celui des caméras de surveillance. En gros, l’histoire n’est pas aussi simple qu’a bien voulu nous le raconter le jeune homme, relayé depuis quinze jours par tous les médias. Non seulement il s’est interposé violemment pour empêcher l’interpellation d’un dealer, qui a pu prendre la fuite, mais il était chaud pour se fighter – et les flics ne se sont pas faits prier ! Tout ça s’est passé en moins d’une minute et, selon l’IGPN, l’intentionnalité de l’acte n’est pas établie. N’empêche qu’on lui a troué le cul, à Théo, alors qu’il méritait deux baffes… Et la proportionnalité des peines ?

PLUTÔT MÉLENCHON QUE MACRON !

Vendredi 17 février, 1h15

Sur LCI en ce moment, rediffusion du discours de Mélenchon à Strasbourg. On aime ou on n’aime pas, mais ça a le mérite d’exister. Je n’en dirais pas autant du zero man show de Macron, avec ses ambianceurs – robots capables de scander sur commande n’importe quoi. Il faut les entendre s’époumoner à hurler « Europe ! Europe ! », avec cet enthousiasme irréel qui est l’essence du macronisme et le moteur de son action.

EMMANUEL 2 : Y A-T-IL UN PILOTE DANS MACRON ?

Samedi 18 février

Qu’on cesse de dire qu’Emmanuel n’a pas de programme ! Il l’a détaillé en meeting cet après-midi à Toulon :
– « Je veux être élu ;
Je vous ai compris ;
Je vous aime« .
Cela dit, si vraiment il est élu sur de telles bases, chapeau ! Ce n’est plus du charisme, c’est de l’hypnose mesmérienne.[/access]

Marcel Ophuls: « le documentaire, j’en ai soupé! »

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Marcel Ophuls.
Marcel Ophuls.

Marcel Ophuls, très résistant

Dans quelle langue s’interroge-t-il, se répond-il ? En allemand, qu’il entendit à sa naissance (1927) ? En anglais – en 1941, il suivit ses parents à Hollywood (les nazis recherchaient son père, Max) ? En français ? C’est en France qu’il réside, depuis que Max Ophuls, né Maximilian Oppenheimer (1902-1957), l’un des plus grands metteurs en scène du xxe siècle, et Hildegard Wall (1894-1980), la mère de Marcel, sont revenus ici, après la guerre. Max et Hilde étaient allemands. Hilde avait été la maîtresse du chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler avant d’épouser Max.[1. Marcel Ophuls, Mémoires d’un fils à papa, éditions Calmann-Lévy] Marcel est déclaré franco-américain ; son père ne disait-il pas, quand on l’interrogeait sur sa nationalité : « Je la connaîtrai demain ! » ? Marcel manie l’ironie dans toutes ses langues ; il porte sur le monde en général un redoutable esprit critique. La France en sait quelque chose, qui chancela lorsqu’il lui tendit le miroir de ses années d’Occupation. Il y eut soudain un « malaise dans la civilisation » française, quand parut sur les écrans de cinéma Le Chagrin et la Pitié (1969), jugé partial, injuste, vrai, ignoble, nécessaire. La France s’était endormie en excellente santé ; réveillée en sursaut par ce documentaire, elle se découvrait, pour reprendre le mot d’Arletty à la Libération, au procureur qui lui demandait comment elle se sentait : « pas très résistante ».

Marcel l’excentré

Causeur. Pourquoi habitez-vous si loin de Paris ?
Marcel Ophuls.
En effet, j’habite au pied des Pyrénées, le panorama est magnifique. J’ai choisi ce lieu comme on choisit un refuge, pour guérir des blessures. Hélas, je ne suis pas guéri ! J’ai éprouvé une immense déception après l’échec de Veillées d’armes (1994, consacré au siège de Sarajevo et aux « aventures » de la vérité journalistique en temps de guerre), un sentiment d’injustice aussi. J’ai voulu m’enfuir.

Et vous enfouir ! Dans Un voyageur (2013) vos mémoires filmés, vous parlez de votre maison du Béarn comme d’un pavillon d’une banlieue très excentrée, d’un sam’suffit de retraité malicieux.
La maison avait été désertée par Régine, ma femme, après une dispute violente (il a mimé la scène dans son film), je m’étais fâché avec Bertrand Tavernier, alors que je n’avais rien à lui reprocher et qu’il est un homme charmant : je m’en sortais avec l’humour, vous savez… la politesse du désespoir.

Certes, mais vous conserviez l’espoir de réaliser l’un ou l’autre de vos projets.
Oh ! le documentaire, j’en ai soupé ! Cela demande trop de travail, c’est souvent peu rémunérateur, on prend des coups, et l’on se retrouve souvent devant les tribunaux.

Godard envoie Marcel sur les roses (de Tel Aviv)

C’est pourtant l’idée d’un documentaire qui vous a conduit devant le domicile de Jean-Luc Godard, à Rolle, en Suisse : une scène très cocasse.
Il était venu me parler, il y a longtemps, dans mon potager, d’un projet qu’il souhaitait réaliser avec moi.

Ce qu’on en sait le rend à la fois mystérieux, excitant et… compliqué.
Il voulait que nous allions en Israël, que nous y examinions le destin des Juifs et celui des Palestiniens, au centre de cette région du monde très « disputée ». Nous devions[access capability= »lire_inedits »] mêler le récit de nos propres expériences, l’examen de nos histoires respectives, à des entretiens avec des intellectuels, des militants, des habitants. J’ai plusieurs fois relancé Godard, en vain. Avec les années, la situation évolua considérablement. J’ajoute que le bombardement de Gaza m’a mis en colère. Eyal Sivan m’ayant contacté, nous sommes allés à Tel Aviv, mais, avant, nous avons sonné chez Jean-Luc.

Qui vous reçoit fort mal ! Il est à l’intérieur de son domicile, on ne le voit pas, vous criez à son intention, depuis la rue : « Jean-Luc Godard ! Jean-Luc, tu m’ouvres ! C’est le moment de le faire, le film. Dans trois jours on peut partir pour Tel Aviv. » Il apparaît sur le seuil, furieux : « Va à Tel Aviv si tu veux, et fous-moi la paix ! » Et il s’enferme à double tour !
Je l’avais prévenu, j’avais annoncé ma venue. J’ai placé cette scène prise sur le vif dans le film Des vérités désagréables (2014, avec Eyal Sivan, documentariste israélien « insolent », ainsi qu’il se définit lui-même) : c’est une petite vengeance contre Jean-Luc, qui est un cher ami « difficile ».

Le film se poursuit en Israël, mais l’argent vient à manquer, vous quittez le pays. Eyal Sivan, de son côté, voudrait continuer.
J’ai interrompu le tournage parce que je n’étais plus payé. Mon père m’avait confié cette formule : les Ophuls n’éditent pas à compte d’auteur ! Il nous manquait une quinzaine de jours, mais j’avais l’accord d’Alain Finkielkraut, de Manuel Valls, d’Edwy Plenel, de Daniel Cohn-Bendit, et même d’Alain Soral !

N’avez-vous pas sollicité Élisabeth Lévy ?
Non, on me l’a suggéré récemment.

L’enterrement de Lubitsch

N’hésitez pas à le faire, elle ne manque pas d’arguments ! Revenons à vos projets de films, à cette fiction autour de la personnalité si brillante d’Ernst Lubitsch.

Je le fais revivre par le truchement de ses amis et collaborateurs. Lubitsch est, avec Max, mon metteur en scène préféré. Je m’inspire de la réalité. Il est mort en faisant l’amour ; il avait eu plusieurs crises cardiaques, la dernière, dans les bras d’une femme, lui fut fatale.

Il est parti en état d’épectase, à la manière du regretté président Félix Faure.
Et du cardinal Daniélou ! Donc Lubitsch meurt : on fait sortir la dame, et l’on s’interroge sur la suite. Samson Raphaelson était le scénariste préféré de Lubitsch ; sa nouvelle, The Day of Atonement, avait fourni la matière d’un spectacle musical très populaire à Broadway, puis était devenue The Jazz Singer (Alan Crosland, 1927, scénario Alfred Cohn), considéré comme le premier film parlant de l’Histoire. Après la première crise cardiaque de Lubitsch, il fut entendu, en secret, par l’entourage, que Raphaelson serait chargé de rédiger son oraison funèbre. Les choses ne se passèrent pas ainsi, mais Raphaelson écrivit un récit sur son amitié avec Lubitsch, intitulé Freundschaft, que publia The New Yorker en 1981 (en français, Amitié, éditions Allia). Mon film s’achève sur Billy Wilder et William Wyler sortant du cimetière, et sur leur échange, délicieux même s’il n’est pas tout à fait authentique : « No more Lubitsch ! » dit sobrement Billy Wilder, et Wyler conclut : « Worse than that : no more Lubitsch pictures ! » (« Lubitsch, c’est fini ! », « Pire encore : plus jamais de films de Lubitsch ! »)

Bardot s’ennuie, Jane est contrite

Lubitsch aurait beaucoup apprécié Brigitte Bardot, que vous avez croisée à ses débuts.
J’ai fait sa connaissance grâce à Anatole Litvak. Je travaillais comme stagiaire au montage de son film Un acte d’amour (1953). À la fin, comme il se doit, un grand dîner est donné avant la séparation de l’équipe. Je me trouve placé à côté d’une délicieuse jeune femme, qui tenait un petit rôle : Brigitte Bardot. Ai-je été bête ! J’aurais dû la divertir, l’inviter à danser, je lui ai parlé de philosophie ! Dieu qu’elle était belle ! Cela dit, vers deux heures du matin, Vadim est venu la chercher.

À la fin, Vadim raflait toujours la mise !
Oh ! Vadim, ce n’était pas un bon metteur en scène ! Son adaptation des Liaisons dangereuses ne vaut pas un clou.

Nierez-vous que Barbarella est une réussite ?
Ah ! Barbarella, c’est épatant ! La séquence d’ouverture, Jane Fonda nue… Je l’ai rencontrée alors que je tournais The Memory of Justice (1976). Avant même que je l’interroge, elle m’a dit ceci : « Marcel, je vous dois des excuses. » Je marquai mon étonnement. « Oui, pour avoir repris le rôle que Danielle Darrieux avait tenu dans La Ronde, sous la direction de votre père, Max. »[2. La version de Vadim est écrasée par le chef-d’œuvre que Max Ophuls tira de la pièce d’Arthur Schnitzler. Il adaptera magnifiquement trois nouvelles de Maupassant, La Maison Tellier, Le Masque, Le Modèle, réunies sous le titre Le Plaisir.]

Max, le papa

Justement, il est temps de parler de Max Ophuls. Commençons par sa période berlinoise.
J’aime bien son premier long-métrage, méconnu, Die Verliebte Firma (Le studio amoureux, 1932). Le thème est un peu celui du Schpountz, de Marcel Pagnol. La jeune héroïne chante, entre autres, un air ravissant, qui dit ceci (il fredonne en allemand) : « Ich war noch nie… Je n’ai jamais encore été amoureuse, mais je sais par le cinéma parlant que cela existe. » Peu de gens connaissent La Fiancée vendue (1932), adaptée de l’opéra de Smetana, qui n’a pas marché – mon père ne me parlait jamais de ses échecs. Arturo Toscanini, après l’avoir visionné, déclara : « Je veux cet homme pour filmer Tosca ! » Nous étions en 1934 ou 1935. Toscanini, viscéralement antifasciste, a fichu le camp à New York, et Max n’a pas réalisé Tosca ! Cela dit, son chef-d’œuvre demeure Libelei (1933), inspiré d’une pièce d’Arthur Schnitzler, qu’il retrouvera plus tard avec La Ronde (1950).

En Amérique, il a découvert le système hollywoodien, le pouvoir des studios et des producteurs.
Mon père avait un côté grand seigneur arrogant, il n’aimait pas quémander, il s’y prenait autrement, j’ai hérité de ce trait. Il s’entendait très bien avec John Houseman[3. John Houseman (1902-1988), né en Roumanie, d’origine alsacienne par son père et anglaise par sa mère, comédien, producteur cultivé : Lettre d’une inconnue, 1948, Max Ophuls ; La Vie passionnée de Vincent Van Gogh, 1956, Vincente Minnelli. Un temps associé à Orson Welles.], qui le protégeait, ainsi qu’avec Walter Wanger[4. Walter Wanger (1894-1968) : Les Désemparés, 1949, Max Ophuls ; Cléopâtre, 1963, Joseph Mankiewicz.], excellent producteur également. Papa est revenu en Europe, encouragé par Wanger ; ils avaient quatre projets de films ensemble, dont La Duchesse de Langeais, pour lequel Max avait pressenti James Mason, son ami, et Greta Garbo. Elle est venue à Rome en fuyant les paparazzi, pour faire des essais devant la caméra du légendaire chef opérateur James Wong Howe. Ce devait être le retour à l’écran de Garbo. Mais Wanger n’a pas pu réunir la somme d’argent nécessaire. Puis il a été mêlé à un scandale passionnel : il tira par deux fois sur Jennings Lang, impresario et amant de sa femme, l’actrice Joan Bennett. Lang, fort heureusement, survécut à ses blessures. Wanger, après avoir purgé une peine de prison assez légère, rentra à la maison, où l’attendait Joan Bennett, dont il ne divorça pas !

Et en France, quels étaient ses producteurs ?
Les frères Hakim, Raymond (1909-1980) et Robert (1907-1992) : avec eux, les choses étaient simples. Il aimait bien aussi Henry Deutschmeister (1902-1969). Mon père n’était pas spécialement cinéphile. Il disait souvent, par boutade, une formule sans doute reprise de quelqu’un d’autre : « Pourquoi irais-je au cinéma ? Si le film est mauvais, je m’emmerde, s’il est bon, je suis jaloux ! »

On dirait plutôt un trait de Sacha Guitry, mais Sacha aurait dit « je m’ennuie ». Max est mort en Allemagne, n’est-ce pas ?
Oui, mais ses cendres sont à Paris, au Père-Lachaise, avec celles de ma mère. J’avais sollicité Henri Jeanson pour l’oraison funèbre, ma mère avait choisi Gustaf Gründgens, (le baron von Eggersdorff dans Liebelei). Gründgens lut un papier sans intérêt, mais alors Jeanson, magnifique ! Pourtant, lui et mon père s’étaient détestés. D’abord, Max n’aimait pas les mots d’auteur dans les films, en outre, il avait eu une liaison avec Madeleine Ozeray, qui était alors la compagne de Louis Jouvet. Or Jouvet était un intime de Jeanson. Ils s’étaient réconciliés, grâce au producteur Deutschmeister, qui disait : « Ophuls, il ne faut pas le prendre après un succès, on ne peut plus le tenir, mais après un bide, il est plus abordable. » Il le connaissait bien.[/access]


Islamisme: l’amour rend aveugle

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Quentin Véronique Roy Daech Radicalisation Islamisme
Évacuation de civils dans le quartier d'Al-Samah, à la périphérie est de Mossoul, 1er décembre 2016
Quentin Véronique Roy Daech Radicalisation Islamisme
Évacuation de civils dans le quartier d'Al-Samah, à la périphérie est de Mossoul, 1er décembre 2016

« Il y a dans le sentiment maternel je ne sais quelle immensité qui permet de ne rien enlever aux autres affections », écrivait Balzac. À lire le témoignage de Véronique Roy, mère d’un djihadiste mort en Syrie il y a tout juste un an, l’amour maternel peut en tout cas altérer le bon sens et la faculté d’extrapolation. Il n’est certes pas question ici de reprocher à une mère d’avoir trop aimé son enfant. Ni de pénétrer, au moyen d’hypothèses psychologisantes, dans l’intimité de la dyade mère-fils, au-delà de ce qui a été rendu public. Reste que dès le titre, Quentin, qu’ont-ils fait de toi ?, qui paraît ce mois-ci aux éditions Robert Laffont, prête à controverse. Car si on sait, dès la première page qui est Quentin, l’identité de « ils » est beaucoup moins claire.

S’il avait rencontré un militant de Greenpeace ou de la Fondation Abbé Pierre…

Un morceau d’amour égaré, dirait-on de Quentin, dont on découvre au fil des pages un parcours sans faute, du berceau jusqu’à ses premiers pas dans la vie adulte marqués par la conversion à l’islam et, très vite, à l’islamisme. « On l’a toujours éduqué dans le respect des valeurs de tolérance et d’ouverture. C’est pour ça qu’on n’avait pas rejeté sa conversion », explique Véronique Roy, catholique peu ou pas pratiquante, adepte du yoga et ouverte à l’enseignement du bouddhisme. S’il y a un profil de famille qui prédispose les rejetons à embrasser l’islam intégriste, on ne s’attend pas à le trouver dans la famille Roy. Ainsi, lorsque Quentin prévient ses parents qu’il a une annonce importante à leur faire, sa mère s’attend à un coming out. Pourtant, on n’est pas à Boboland mais à Sevran, une commune de Seine-Saint-Denis à la mauvaise réputation assez largement justifiée. Et le certificat d’islam de Quentin lui a été délivré par l’imam d’Aubervilliers, menacé en son temps d’expulsion par Manuel Valls pour propos homophobes.

La question essentielle demeure : s’il avait grandi ailleurs, Quentin aurait-il pu échapper à son destin ? Grand sportif, assidu, appliqué – il a été inscrit en sciences et techniques des activités sportives à Paris 13 –, le jeune homme aurait pu faire la joie des recruteurs des armées. « Certains auront peut-être du mal à l’entendre, mais je crois qu’il était beaucoup trop pacifiste pour s’engager sous les drapeaux », note sa mère, qui lui offre un livre de Pierre Rabhi et tente de stimuler sa fibre sociale. S’il avait rencontré un militant de Greenpeace ou de la Fondation Abbé Pierre, Quentin serait à présent en train de camper à Sivens ou de lutter contre le mal-logement, soutient Véronique Roy : « Mais à Sevran ou ailleurs, il a croisé les fondamentalistes qui l’ont attiré en lui faisant miroiter les mêmes valeurs : l’éthique, le bien, le mal, l’humanitaire… »

« Ce qui se passe en France c’est la même guerre qui se passe ici, en Syrie et en Irak »

On comprend que « ils », ce sont les « entrepreneurs de radicalité », les pouvoirs locaux passifs, voire permissifs, face à la propagation de la gangrène islamiste, l’État enfin, dont les lois ne semblent plus en vigueur, passé le périphérique. L’argumentation de Véronique Roy ne relève pas seulement de l’égarement d’une mère percluse de douleur. À 20 kilomètres du palais de l’Élysée, se trouve une salle de prières surnommée « la mosquée de Daech ». On pourrait presque en rire si cela ne menaçait pas notre sécurité.

C’est sur un autre point que l’amour maternel de Véronique Roy paraît altérer son esprit critique. Alors qu’elle sait Quentin parti en Syrie, des représentants de l’association de victimes « 13 novembre 2015, fraternité et vérité » la convient à une rencontre entre des proches des victimes et parents de jeunes enrôlés par Daech. Et voici ce qu’elle en retient : « Alors qu’ils ont pour la plupart perdu un être cher dans le carnage de cette funeste nuit, ils nous ont assuré que nos combats étaient les mêmes, que c’étaient des enfants de la République qui avaient tué d’autres enfants de la République et que la société dans son ensemble portait donc une lourde responsabilité. » On sourit amèrement.

Pour commencer, précisons que Quentin Roy, bien qu’il reste à tout jamais l’enfant de sa mère, n’est plus un enfant au moment où il décide de renier la République, ses valeurs et ses principes. Qu’il le fasse sous influence ne suffit pas à le disculper. Jusqu’à preuve du contraire, cet homme de 22 ans n’a pas été forcé d’embarquer sur un vol pour Istanbul. En quoi son acte engagerait-il la responsabilité de M. Dupont ? En quoi devrait-il bénéficier du même statut que les jeunes gens déchiquetés par les balles au Bataclan, alors même qu’en commentant l’événement depuis la Syrie, il n’exprime aucun regret ni ne remet en cause la barbarie de ses coreligionnaires ? « Je comprends que vous soyez choqués, mais il faut que vous compreniez que c’est un temps de guerre aujourd’hui et qu’il faut que vous preniez position. Ce qui se passe en France c’est la même guerre qui se passe ici, en Syrie et en Irak », assène-t-il au téléphone depuis Raqqa. En conclusion, loin d’ignorer les enjeux stratégiques, le fils de Véronique Roy en donne un résumé parfaitement lucide.

À chaque étape brûlée, la famille acquiesce

On ne saurait réhabiliter Eichmann – et j’assume cette comparaison dès lors que le jeune djihadiste, tout comme le criminel nazi, a obéi aux exigences d’un système totalitaire dont il assurait activement l’expansion et espérait la victoire. Et tout comme Eichmann, qui n’a su devant ses juges qu’utiliser la langue du bois du IIIe Reich, Quentin répète les mêmes formules magiques truffées de sourates, trahissant son incapacité fondamentale à se mettre à la place d’autrui et à penser de façon autonome. Assurant seul sa défense, Eichmann comptait éveiller l’empathie de l’auditoire en racontant ses mésaventures de « fonctionnaire exemplaire ». Véronique Roy semble vouloir nous arracher la nôtre en plaidant la dérive sectaire. C’est sa condition morale de survie, on le comprend bien.

Il serait toutefois intéressant de savoir à quel moment précis la mère de Quentin situe le point de non-retour. Car donnant la chronologie exacte de la radicalisation de son fils, Véronique Roy s’abstient de le mentionner. Et pour cause. À chaque étape brûlée, la famille acquiesce – par naïveté, par peur de perdre cet « enfant », qui finira par s’en aller de toute manière. Quentin ne supporte plus la vue d’une bouteille de vin à la table familiale ? On le met à la table des enfants. Il arrête de jouer du piano ? On regrette que la musique soit « haram », mais on ne se formalise pas. Il refuse d’entrer à l’église pour participer à la messe funéraire de sa grand-mère ? On rechigne, on se fâche et on passe à autre chose. On voudrait comprendre ce progressif enlisement de toute une famille dans la folie intégriste d’un des siens. Il faut ajouter l’isolement terrible de cette mère durant des mois et l’absence d’interlocuteur apte à la conseiller ou la soutenir, à commencer par les représentants de la Grande Mosquée de Paris à qui elle s’adresse. L’aboutissement, c’est cette femme aveugle au déraillement d’un jeune qui quitte son travail parce qu’il l’empêche de faire ses cinq prières par jour.

Quelle que soit la compassion qu’elle nous inspire, Véronique Roy a tort de revendiquer le titre de « victime du terrorisme », Véronique Roy atteint des limites. Car si elle est victime, c’est plutôt d’on ne sait quelle « immensité » de l’amour maternel qui l’a empêchée d’affronter la réalité.

Quentin, qu’ont-ils fait de toi ?, Véronique Roy, éditions Robert Laffont

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C’est maintenant qu’il faut soutenir François Fillon

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François Fillon. Sipa. Numéro de reportage : AP22021429_000003.
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François Fillon. Sipa. Numéro de reportage : AP22021429_000003.

À chaque jour son déserteur. À chaque jour son article accablant. À chaque jour sa convocation au poste de police. Comme si la surprise sortie de cette primaire venait contrarier des plans trop bien huilés, et qu’il fallait remuer ciel et terre pour se débarrasser de ce candidat et de son programme encombrant.

Celui qui a su cristalliser le ras-le-bol

Libéral, conservateur, catholique, qui n’a ni peur de l’ombre portée de Margaret Thatcher ni de la lumière des Évangiles. Il y a effectivement de quoi secouer la caste socialo-progressiste qui à force d’endogamie, avait fini par se croire seule à bord.

Pire, François Fillon, qui a su cristalliser ce ras-le-bol fiscal et identitaire, n’a pas les manières mal dégrossies des candidats “populistes” qui font tomber les certitudes électorales aux quatre coins de l’Occident. Authentique homme de droite, il tient une ligne austère, sans lendemains qui chantent, mais où chacun pourra faire les efforts nécessaires pour essayer d’être à la hauteur de nos morts.

Il n’a pas non plus le bon goût d’avoir admis la supériorité morale du socialisme, et assume sans trembler qu’il vaut mieux lutter contre la pauvreté en encourageant la richesse, que de lutter contre la richesse pour finir tous pauvres.

Il n’a pas peur de dire que les Français voudraient bien travailler plus et plus longtemps si la moitié de leurs revenus n’étaient pas engloutis par un Etat obèse qui n’arrive d’ailleurs même plus à assurer ses missions essentielles.

Il n’a pas peur de dire qu’à force de vouloir aider les agriculteurs, la bureaucratie publique est devenue un cauchemar pour tous ceux qui veulent simplement continuer à cultiver la terre. Il n’a pas peur de dire que l’école doit être le lieu de l’apprentissage et de la recherche de la réussite, et non de l’endoctrinement de masse aux lubies du siècle.

Réflexions sur la question islamique

Mais surtout, il ose mettre le doigt sur les problèmes posés par l’essor de l’Islam dans notre pays. Celui de l’islamisme, certes, et de la terreur des attentats, mais aussi celui de l’Islam du quotidien, qui transforme les habitudes et les paysages, au point de détourner les Français non-musulmans de territoires entiers, devant une pression religieuse et culturelle sans précédent.

Certes, on pourrait lui reprocher de se réfugier derrière la complexité de la question de l’Islam pour ne pas évoquer frontalement celle de l’immigration en général. Et il faudra de toute façon finir par penser la question migratoire sans haine, sans agressivité, mais également sans angélisme, et sans déni. Sans doute faut-il répartir les chantiers dans le temps, et ne pas perdre en lisibilité ce que l’on gagnerait en quantité.

Enfin, le soutien hardi de Sens Commun, émanation politique de la Manif pour tous, est une garantie que les questions de la famille et du genre ne seront pas vouées aux caprices des associations qui ont déclaré la guerre à la nature et à la culture, au nom de l’insupportable oppression bourgeoise qui empêche les enfants transgenres de 7 ans de s’épanouir dans leur poly-sexualité naissante.

Je n’ai pas d’avis sur le « Penelopegate ». Ou plutôt, ce que je retiens de cette affaire, c’est surtout la capacité de la grosse presse à se taire sciemment toute l’année, se rendant complice des pratiques critiquables du monde politique, pour se découvrir un matin une vocation d’informateur public quand il s’agit de faire tomber un candidat de droite qui a de sérieuses chances de remporter la prochaine élection.

Non à l’attelage Hue-Minc !

Pour toutes ces raisons, et devant le spectacle consternant des lapins de coursives qui quittent le navire au premier coup de vent (ce qui est finalement un bon tri, car devant les chantiers qui attendent le prochain président sérieux, il va falloir un peu plus de courage que le petit soldat Le Maire), j’ai choisi de soutenir François Fillon.

J’aurais pu soutenir Marine Le Pen, si elle n’avait pas bradé l’héritage pour ne vendre qu’une soupe vaguement jacobine – les plus aimables diront colbertiste, sur fond de lutte des classes et de laïcité vieille d’un siècle. C’est dommage, il ne faudrait pourtant que certains ajustements pour se diriger enfin vers une union tranquille des droites.

J’aurais aussi pu soutenir Emmanuel Macron, si son déguisement de réformateur libéral était plus solidement cousu, et si je croyais un instant que l’on puisse être de droite et de gauche en même temps.  La France n’a pas besoin de plus de confusion, et il n’est pas sûr qu’une ronde de printemps qui réunisse Robert Hue et Alain Minc participe à la clarté du paysage politique.

Alors pour l’instant, quelques soient les défauts du système, qui sont nombreux, et devant les déceptions quotidiennes que nous inflige la nature humaine, je fais le choix des idées et du projet. Et aujourd’hui, je vois dans ce que certains appellent un acharnement, l’ultime preuve qu’il me fallait pour faire confiance à la ténacité du prochain président de la République.

Dans l’attente impatiente des batailles à venir, je lui rappelle amicalement le vieil adage : « Qui trébuche mais ne tombe pas, fait un grand pas. »

Vaincre le totalitarisme islamique

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Macron réinvente l’eau tiède à l’école

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emmanuel macron ecole
Emmanuel Macron. Sipa.Numéro de reportage : 00788611_000012.
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Emmanuel Macron. Sipa.Numéro de reportage : 00788611_000012.

Nous connaissons depuis hier matin le programme d’Emmanuel Macron sur les questions éducatives. Ou plutôt les grandes orientations. Parce qu’on ne peut décemment soutenir que les mesures éparses qu’il a citées relèvent d’un programme ni ne s’inscrivent dans une vision d’ensemble. On les dirait tout juste destinées à satisfaire une curiosité journalistique.

Des mesures qui existent déjà

Le candidat illusionniste de la gauche et du centre, celui qui fut ministre de François Hollande et collègue de Najat Vallaud-Belkacem, qui assista sans mot dire à la réforme des rythmes scolaires, à la suppression du latin et des classes bilangues et au déclassement des humanités, celui qui est responsable du bilan désastreux de ce quinquennat en matière éducative, affirme aujourd’hui qu’il faudrait revenir sur toutes les réformes dudit quinquennat. Que ne l’a-t-il pas dit plus tôt ! Pourquoi s’est-il tu quand il était au gouvernement ? Comment faire confiance à quelqu’un qui a approuvé par le passé des réformes qu’il dénonce aujourd’hui ? Et puis, quel aveu cruel pour toute la gauche qui se murait jusqu’à présent dans une arrogance qui la conduisait – avec toute la mauvaise foi qu’on lui connaît – à refuser le réel et à ne pas admettre l’échec patent du quinquennat Hollande en matière éducative !

Mais la lucidité d’Emmanuel Macron s’arrête là puisque le candidat d’En marche se borne à proposer des mesures qui existent déjà dans le code de l’Éducation mais ne sont tout simplement pas appliquées. Ainsi en est-il de l’interdiction de l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte des écoles primaires et des collèges. À force de vouloir à tout prix être en marche, le candidat-héritier oublie de se poser et de regarder ce qui existe déjà dans la législation. Il est vrai qu’il essaie tant bien que mal de bricoler un programme qui a toujours peine à voir le jour… S’il avait un peu plus réfléchi, il aurait consulté l’article L511-5 du code de l’Éducation dans lequel on peut lire noir sur blanc : « Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ». Un dispositif issu de la loi du 12 juillet 2010, adoptée sous un gouvernement alors dirigé par un certain François Fillon…

Un président-proviseur?!

Le problème, comme toujours en France, c’est que ce texte n’est pas suffisamment appliqué, faute de sanctions prévues. On mesure la force du droit à son effectivité dans la vie réelle, c’est-à-dire à sa capacité d’être traduit en fait et respecté de tous. En France, on multiplie les règles sans apporter un soin particulier à leur application concrète. Le résultat, c’est un État délégitimé dans sa prétention à incarner l’autorité et incapable de faire respecter l’ordre public. Nous n’avons pas besoin de nouvelles lois en tous sens, il suffit simplement d’appliquer celles qui existent déjà, d’autant qu’elles relèvent du simple bon sens ! Est-ce du ressort du Président de la République d’interdire l’usage des téléphones portables dans les enceintes scolaires ? Ne serait-ce pas plutôt la mission d’un chef d’établissement ? Emmanuel Macron semble ignorer le principe de subsidiarité selon lequel il est nuisible de confier à l’échelon supérieur ce qui peut être décidé à l’échelon inférieur. Arrêtons de penser que l’État doit administrer l’Éducation nationale depuis la rue de Grenelle ! Cette idée très jacobine fait d’Emmanuel Macron un digne héritier de François Hollande et de la gauche socialiste. L’État doit fixer un cadre, il est le garant du respect de la liberté éducative et de l’apprentissage des savoirs fondamentaux ; il n’est pas le gérant effectif de tous les établissements scolaires.

Quelles sont les autres mesures du candidat-marcheur ? Des professeurs mieux payés en ZEP – 3 000€ de primes nets par an -, une division par deux du nombre d’élèves par classes en CP-CE1 ou encore la création de 4 000 à 5 000 postes. Des mesures qui sortent tout droit de la bouche du Père Noël ! Qui peut être contre la création de postes ou la division du nombre d’élèves par classes ? Personne, bien sûr ! Mais, il n’explique nulle part comment il entend financer une telle mesure. Or, c’est bien là tout le problème, surtout quand on propose, par ailleurs, de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires ! À multiplier les promesses inconsistantes et les mesures coûteuses, Emmanuel Macron pourrait bientôt se mesurer à Benoît Hamon, expert en la matière ! Seule proposition de bon sens : la réforme du baccalauréat par l’introduction du contrôle continu pour certaines matières. Une réforme qui figure d’ailleurs au programme de François Fillon depuis juin 2015…

Puisqu’Emmanuel Macron semble vouloir copier – en le dénaturant – le programme éducatif de François Fillon, je lui conseillerais de couper court avec la repentance mémorielle et d’exiger des manuels scolaires qu’ils fassent une part plus grande à la vérité historique, à la trame chronologique et au récit national. Un état d’esprit qu’ignore pour l’instant Emmanuel Macron qui préfère qualifier la colonisation de crime contre l’humanité !

Russie-Qatar: les dessous d’un mariage de raison

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poutine qatar syrie gaz
L'émir du Qatar et Vladimir Poutine. Sipa. Numéro de reportage : AP21845924_000005.
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L'émir du Qatar et Vladimir Poutine. Sipa. Numéro de reportage : AP21845924_000005.

Quelques points de chronologie d’abord. Le 20 février, l’ambassadeur de Russie au Qatar, Nurmakhmad Kholov, a annoncé à l’agence russe Tass que « le Qatar investissait près de 2 milliards de dollars dans les activités de l’entreprise russe Novatek, plus important producteur indépendant de gaz de Russie ». Kholov a précisé que « la Russie et le Qatar ont réussi ces trois dernières années à obtenir de bons résultats en matière d’économie et d’échanges commerciaux grâce au travail conjoint de la commission intergouvernementale pour le commerce, l’économie, la science et la coopération technique » entre les deux pays. Avant de conclure : « Le Qatar exprime un grand intérêt pour les produits agricoles russes ainsi que pour les projets russes en matière de pétrochimie et de sources énergétiques, autant que dans le domaine de la construction ».

Un embryon de coopération militaire

Ceci est dans la droite ligne de la privatisation du géant public russe du pétrole, Rosneft, qui a eu lieu au début du mois de décembre dernier. L’Etat russe qui possédait 50% de Rosneft, première entreprise pétrolière mondiale, en a cédé 19,5% du capital au fonds d’investissement Glencore ainsi qu’au fonds souverain du Qatar (dans une proportion que l’on ignore) pour un montant de 10,5 milliards de dollars, qui doivent servir au renflouement du budget russe via l’entreprise publique Rosneftegaz. Précisons que le Qatar est lui-même majoritaire au sein du fonds Glencore.

Précisions enfin, pour illustrer cette « lune de miel » qu’au delà de l’énergie, un embryon de coopération militaire existe entre les deux pays. Le 6 septembre 2016, Moscou et Doha ont en effet signé un accord militaire après une visite du ministre qatari de la Défense, Khalid bin Mohammad Al Attiyah à son homologue russe Sergueï Choïgou, lors du Forum international militaire et technique de Moscou « ARMÉE-2016 ». Cet accord faisait suite à la rencontre, en mai de la même année, du vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov avec l’émir Tamim ben Hamad al-Thanin. « Nous avons signé un accord de coopération militaire avec la Russie, mais il ne comprend pas l’achat d’armes », a indiqué Saoud Bin Abdallah al-Mahmoud, Ambassadeur du Qatar à Moscou. Comme l’explique le site Opex360, « s’agissant d’éventuels contrats d’armement, rien n’est fermé du côté de Doha, le diplomate ayant assuré que son gouvernement examinerait cette ‘possibilité’ ». Dans ce nouveau contexte marqué par les progrès en matière de coopération énergétique, il n’est pas à exclure que des armes russes soient vendues au Qatar dans les deux ans, d’autant plus qu’elles ont, au grand dam de Doha, démontré toute leur efficacité en Syrie et que Moscou engrange déjà de précieux contrats d’armement dans la région (nous ferons un point d’ici peu sur ces contrats tous azimuts).

Une vieille discorde aggravée par la crise syrienne

Le passif entre Moscou et Doha est pourtant ancien. La Tchétchénie fut un premier motif de discorde. Au commencement de la décennie 2000, le Tchétchène Zelimkhan Iandarbiev, alors au Qatar, était accusé par la Russie de financer des rebelles tchétchènes liés à Al-Qaïda et d’avoir participé à l’organisation de la prise d’otages dans un théâtre moscovite en octobre 2002 qui s’était soldée par 129 morts. Mais Doha a refusé à la Russie son extradition. En février 2004, toujours en exil à Doha, Zelimkhan Iandarbiev trépassa après qu’une bombe placée dans sa voiture eut explosé. Comme l’explique le site Opex360, « les services russes (SVR et GRU) furent accusés d’avoir commis cet assassinat, qui sera, plus tard, à l’origine de la première loi anti-terroriste adoptée par l’Emirat. En tout cas, deux suspects de nationalité russe appartenant effectivement au GRU furent interpellés et jugés à Doha pour assassinat et trafic d’armes. Après avoir été torturés selon Moscou, les deux hommes furent condamnés à la prison à vie, avant d’être finalement transférés en Russie pour y accomplir leur peine. On y a perdu leur trace ».

La relation russo-qatarie se dégrade brutalement dès le début de la Guerre civile syrienne en 2011. Alors que la Russie joue des circonstances pour consolider son alliance avec le régime syrien (pour ne pas laisser les mains libres à Téhéran), et vole ouvertement à son secours en septembre 2015 en intervenant militairement (une première pour Moscou depuis l’invasion de l’Afghanistan en 1979), le Qatar, proche des Frères musulmans, est en fait dès le début de la Guerre syrienne à la manœuvre pour faire tomber le régime de Bachar Al-Assad et installer, en coopération avec les Turcs – eux aussi très liés aux Frères musulmans – et en concurrence avec les wahhabites d’Arabie Saoudite, un régime sunnite à Damas sous la forme d’un “Etat islamique”. Les Frères musulmans financent et arment les rebelles syriens (moins le Front al-Nosra, émanation wahhabite d’Al-Qaïda, qu’Ahrar al-Sham et la coalition du Front islamique, dominés par les Frères musulmans et parrainés par Doha et Ankara).

En 2012, alors que les Occidentaux pensent que le régime de Bachar Al-Assad va tomber en quelques semaines, le ministre qatari des Affaires étrangères Hamed Ibn Jassem aurait déclaré à l’ambassadeur russe auprès des Nations Unies : « Je vous mets en garde contre toute utilisation du veto sur la crise en Syrie; la Russie doit approuver la résolution, sinon elle perdra tous les pays arabes ». Mais l’intéressé, Vitali Tchourkine, qui vient de décéder brutalement, aurait alors rétorqué au Qatari : « Si vous me reparliez sur ce ton de nouveau, il n’y aurait plus une chose qui s’appelle le Qatar » avant de lancer directement au Premier ministre du Qatar : « Vous êtes ici au Conseil de sécurité en tant qu’invité, respectez-vous et reprenez votre taille initiale, d’ailleurs je ne m’adresserai plus à vous, je parle au nom de la grande Russie, et qu’avec les Grands ». Ces propos peu diplomatiques ont été bien sûr démentis par la Fédération de Russie, mais ils illustrent bien les certitudes de l’époque : les puissances sunnites du Moyen-Orient, fortes de leurs soutiens occidentaux, pensent alors réellement pouvoir parvenir à leurs fins en profitant des « Printemps arabes » pour écarter le très gênant Assad tandis que les Russes, cherchant à rattraper l’humiliation endurée en Libye – où ils n’ont pu empêcher les Occidentaux d’outrepasser leur mandat initial pour provoquer la chute du régime libyen et la fin terrifiante du Colonel Kadhafi -, se promettent alors de ne plus rien céder aux Occidentaux ou à leurs alliés du Golfe, tant sur le terrain diplomatique, en dégainant leur veto au Conseil de Sécurité que sur le terrain militaire, en volant directement à la rescousse d’Assad dans sa guerre contre-insurrectionnelle l’opposant aux « rebelles » syriens.

Doha prend acte de la domination russe

Sur fond de crise syrienne, mais aussi de guerre du pétrole et du gaz, il faut convenir qu’aujourd’hui, en concluant ces accords avec Moscou, le Qatar, à l’instar de la Turquie l’été dernier, prend acte de la domination stratégique russe sur la région et « va à Canossa », tandis que Moscou consolide son approche diplomatique éminemment pragmatique et basée sur du « win-win » consistant à parler à tous – même à ses adversaires voire à ses ennemis – et à trouver avec chacun des bases d’accord diversifiées permettant d’exercer un effet de levier sur d’autres partenaires-concurrents (en l’espèce sur Téhéran qui ne peut que s’inquiéter fortement de l’actuel rapprochement Moscou-Doha)

La prophétie qatarie, partagée à l’époque par bien des analystes occidentaux – « vous allez voir, en protégeant Bachar Al-Assad, les Russes vont se mettre à dos tous les pays de la région, particulièrement les puissances sunnites, et ils s’enliseront en Syrie comme les Soviétiques (ou les Américains…) en Afghanistan » – ne s’est pas révélée exacte. Contrairement à la France, qui, seule contre tous, semble encore vouloir pousser en Syrie les rebelles contre le régime – il faut lire la passionnante enquête de Georges Malbrunot du Figaro sur ce point –, les Qataris, comme les Turcs, ont pris acte de leur échec pour déstabiliser le régime de Bachar Al-Assad et souhaitent désormais exercer leur influence autrement sur la région. Si le processus d’Astana n’a pas encore porté ses fruits politiques, il y a fort à parier que les Turcs, mais aussi les puissances du Golfe, font tout pour disposer en Syrie d’une zone d’influence qui comporte la région d’Idleb (aujourd’hui aux mains des rebelles, essentiellement djihadistes) mais aussi la région de l’extrême Nord du pays, symbolisée par la ville d’Al-Bab, récemment reprise à l’Etat islamique, où l’Armée turque aidée des rebelles syriens occupe, dans le cadre de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », un espace stratégique et pourrait souhaiter s’étendre plus au sud vers Raqqa, moins au détriment du régime syrien (les Russes n’accepteraient pas) qu’au détriment des Kurdes du PYD, qui servent encore une fois, dans l’histoire du Levant, de variable d’ajustement régionale à l’usage des Russes comme des Américains… Une telle influence sunnite en Syrie ne gênerait d’ailleurs pas Moscou qui, contrairement à Damas ou Téhéran, ne souhaite pas un contrôle unitaire de l’ensemble de la Syrie. La Russie pourrait se satisfaire d’une solution fédérale avec une Syrie utile alaouite protégeant les intérêts stratégiques russes (base navale de Tartous et aérienne de Hmeimim).

Pour comprendre les raisonnements russe, turc et qatari, il faut s’intéresser aux enjeux gaziers et pétroliers. Non que la Syrie soit un producteur important d’hydrocarbures. Les réserves onshore au Nord et à l’Est du pays n’ont rien d’exceptionnel. Quant aux possibles réserves off-shore, elles se situent au large de Lattaquié, sous contrôle des Alaouites : les sociétés russes placent déjà leurs pions pour les exploiter ultérieurement. L’enjeu est moins dans la production d’hydrocarbures que dans le transport d’hydrocarbures des riches régions du Moyen-Orient (Iran, Qatar, Arabie Saoudite) vers l’Europe. Pour le dire en une phrase, les puissances sunnites, en s’alliant aux Occidentaux, pensaient pouvoir doubler les Russes dans l’approvisionnement en hydrocarbures du Sud de l’Europe avec la Turquie servant de « hub » énergétique à cette opération d’envergure. Une Syrie sous contrôle sunnite aurait facilité un tel projet… et introduit une sévère concurrence pour les Russes sur le marché européen des hydrocarbures. Mais ce rêve sunnite a vécu. Le 9 août dernier, le président turc Recep Erdogan qui, pour asseoir son pouvoir autocratique, a besoin de l’influence russe pour contrebalancer celle des Américains, est lui aussi « allé à Canossa » en rencontrant Poutine à Saint-Pétersbourg (cf. l’excellente analyse de Jean-François Colosimo dans une interview au Figaro). Le lendemain, Vladimir Poutine se rendait à Istanbul et les deux présidents relançaient le projet de gazoduc « Turkish Stream », qui permet aux Russes de passer par la Turquie (et de contourner l’Ukraine !) pour vendre du gaz à l’Europe via le sud du continent. En investissant dans Rosneft et dans Novatek, les Qataris comprennent à leur tour qu’ils ne peuvent avoir sérieusement accès au marché européen sans l’aval de Moscou. Une aubaine financière pour le président russe friand de l’argent qatari pour assainir ses finances publiques et réduire le déficit public du pays (même si la dette publique russe n’atteint que 20% du PIB quand la nôtre frôle les 100%…).

Russie, Iran et Qatar ont 50% du gaz mondial

Je prends la liberté de citer longuement le Général (2S) Jean-Bernard Pinatel qui résume parfaitement, dans Atlantico, la nouvelle donne géostratégique : « Trois pays – la Russie, l’Iran et le Qatar – possèdent 50% des réserves mondiales de gaz naturel. Les trois sont désormais alliés économiquement et stratégiquement, ce qui marque l’échec de la stratégie de l’Union européenne de diversification de ses sources d’approvisionnement de gaz naturel inspirée et voulue par les Etats-Unis et l’Otan. En effet, la Russie est déjà le premier fournisseur de l’Union européenne avec 40% des importations, qui représentent 20% de la consommation totale de gaz de l’Union européenne. Compte tenu de la hausse de la consommation dans l’Union européenne et de l’épuisement du gisement gazier en Mer du Nord, cette dépendance énergétique de l’UE vis-à-vis de la Russie devrait fortement s’accroître dans les prochaines années. La Commission européenne estimait en effet que, d’ici 2040, 70% des besoins énergétiques de l’UE devraient être assurés par les importations, contre 50% aujourd’hui. Cette dépendance était inacceptable pour les stratèges américains pour lesquels la création d’une Eurasie annoncerait la fin de leur suprématie mondiale et l’arrivée d’un troisième grand acteur sur la scène mondiale qui perturberait leur tête-à-tête d’adversaire-partenaire avec la Chine.Pour les stratèges américains et les atlantistes européens, le Qatar, avec 24300 milliards de m3 de réserves prouvées qui lui assurent 154 ans de production au rythme actuel, était la solution. A condition toutefois de construire un gazoduc, car la liquéfaction et le transport en bateau via le détroit d’Ormuz et le canal de Suez rendaient le gaz qatari non concurrentiel avec le gaz russe. Selon des informations du journal libanais Al-Akhbar publiées en 2012, les Qataris avaient établi un plan, approuvé par l’administration Obama et l’UE visant à construire un gazoduc vers l’Europe via la Syrie. Ce gazoduc terrestre aurait traversé l’Arabie Saoudite, puis la Jordanie, en évitant l’Irak pour arriver à Homs en Syrie, d’où il aurait bifurqué dans trois directions : Lattaquié sur la côte syrienne, Tripoli au nord du Liban, et une troisième branche via la Turquie vers l’Europe. Mais Bachar El-Assad refusait d’autoriser ce transit ».

J’avais moi-même publié un article dans la Revue des Affaires sur les enjeux énergétiques de la Guerre de Syrie. Ce que j’entrevoyais commence de se réaliser et nous voyons les prémisses d’une politique énergétique moyen-orientale directement pilotée par Moscou. Alors qu’avant 2011, deux projets de gazoducs entraient en concurrence – un “tracé chiite” permettant d’exporter le gaz iranien via la Syrie et un “gazoduc sunnite” permettant d’exporter le gaz qatari via la Turquie – la Russie a joué un jeu à la fois ferme (via ses Soukhoï…) et souple (en ne fermant pas la voie d’une influence sunnite dans une future Syrie fédérale) de sorte à devenir le pivot central et l’honest broker du Levant pour que le gaz tant iranien que qatari transite vers l’Europe sans déposséder Moscou via le futur gazoduc russo-turc Turkish Stream, la Syrie marquant dans ce périple gazier une étape essentielle.

La Russie, acteur de coordination et de médiation

Quid de la suite ? Tandis que la Guerre de Syrie commence de se stabiliser avec une zone chiite formée par la Syrie utile et une percée vers l’Est à Deir Ezzor, une zone sunnite et une zone kurde servant de levier à l’influence croisée américano-russe, des compromis politiques pourraient être trouvés peu à peu à Astana où les véritables négociations de paix devraient supplanter celles de Genève sur le fond du dossier. Dans le même temps, une coordination des différents acteurs régionaux (Iran, Turquie, Qatar, Arabie Saoudite) se matérialise sous les auspices de la Russie qui négocie parallèlement son action à un niveau supérieur de gouvernance avec les Etats-Unis, eux-mêmes désireux de conserver leur « leadership from behind » – en matière de non-interventionnisme, Trump pourrait paradoxalement agir en continuité avec la politique de B. Obama -, et avec la Chine qui, elle, devrait jouer à l’avenir un rôle essentiel au Moyen-Orient via son projet de « Nouvelle route de la Soie ». Un projet pharaonique qui constitue l’armature de ce que je nommerais le « pivot vers l’Ouest » chinois en miroir du « pivot vers l’Est » américain.

Retrouvez la version initiale de cet article sur le blog de Caroline Galacteros.

Affaire Fillon: peut-on avoir confiance en la justice?

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Eliane Houlette, 2014. SIPA. 00677791_000020
Eliane Houlette, 2014. SIPA. 00677791_000020

Je ne suis pas d’accord avec les commentaires vertueux sur l’honorabilité inconditionnelle de la justice de notre pays. Pour ma part, je ne lui fais guère confiance.

Beaucoup de juges sont anormalement politisés, bien au delà de l’engagement naturel de chacun. L’épisode du « mur des cons » est significatif, notamment parce que la secrétaire du syndicat en question n’y voyait rien d’aberrant et s’indigna d’être poursuivie.

Beaucoup de juges sont, sinon corrompus, du moins dépendant des réseaux. En province, ce sont les cercles de notabilité, les clubs, la maçonnerie; à Paris, c’est le monde de la mondanité (je me souviens des propos d’un mien avocat: « venez à ma remise de décoration, vous verrez ceux qui seront amenés à vous juger » – sic!).

Indépendance et compétence ?

La pratique des fuites dans la presse est devenue insupportable et l’argument de prétendus contre-feux allumés par les juges contre la parole médiatique des avocats ne vaut pas. On pourrait en effet poursuivre les avocats qui abusent de leur prétendue « déontologie » – si on n’était pas en connivence avec eux.

La compétence des juges est souvent discutable, pas forcément parce qu’ils sont tous incompétents mais parce que beaucoup ne s’y retrouvent plus dans une législation proliférante et contradictoire. Je me souviens aussi des propos de deux juristes membres du jury d’admission à l’Ecole nationale de la magistrature: « les 20 premiers sont remarquables, ensuite c’est passable mais la queue de classement est effarante… »

L’indépendance des magistrats est une bonne blague quand on connaît le système des promotions.

L’impunité quasi complète des magistrats quand on voit les sanctions prises par le Conseil supérieur de la magistrature est aussi une bonne blague, mais moins drôle.

Je continue à penser que la diligence des magistrats à traiter l’affaire Fillon est suspecte. On attendrait la même diligence dans des cas un peu plus lourds – le montage fiscal Seillière-Wendel date de 2007 et n’est toujours pas venu au jugement…

La France n’est pas un open space

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Emmanuel Macron Houria Bouteldjia colonisation de Gaulle Algérie identité
Conférence d'Emmanuel Macron à la New York University, 5 décembre 2016
Emmanuel Macron Houria Bouteldjia colonisation de Gaulle Algérie identité
Conférence d'Emmanuel Macron à la New York University, 5 décembre 2016

Macron et la culture

Emmanuel Macron veut en finir avec le vieux clivage droite/gauche et rassembler autour de lui les progressistes, à quelque camp qu’ils appartiennent, contre les conservateurs de tous bords. Qu’est-ce que le progrès pour l’homme qu’Alain Minc, Pierre Bergé, Jacques Attali et Xavier Niel voudraient nous voir élire ? C’est multiplier les start-up, ubériser le marché du travail, faciliter les trajets en autocar, développer dans les banlieues le désir d’être milliardaire et autoriser, pour stimuler la consommation, la pose de panneaux publicitaires dans les villes de moins de 10 000 habitants.

Il y a quelques jours à Lyon, ce progressisme s’est enrichi d’une dimension culturelle. Macron a dit ceci : « Et notre culture ne peut plus être une assignation à résidence identitaire : il n’y a pas la culture des uns et la culture des autres. Il n’y aurait pas cette formidable richesse française qui est là, dont on devrait renier une partie. Il n’y a d’ailleurs pas une culture française, il y a une culture en France. Elle est diverse, elle est multiple. Et je ne veux pas sortir du champ de cette culture certains auteurs, musiciens, artistes, sous prétexte qu’ils viennent d’ailleurs. » Les conservateurs défendent la culture française, les progressistes célèbrent la culture en France. Autrement dit, pour ceux qui se retrouvent sous cette bannière, la France n’est plus une histoire, la France n’est plus même un pays, c’est un pur espace. L’espace-France accueille la diversité et sur cette diversité des goûts, des pratiques, des musiques, des origines, nulle antériorité ne saurait prévaloir, nulle hiérarchie n’est en droit de s’exercer. Tout est égal et puisque tout est différent, tout est pareil.

A lire aussi >> Macron, prophète de bonheur: l’homme qui voulait plaire à tout le monde

De « français » à « en France », il y a la distance qui sépare une nation d’une société multiculturelle. Au nom du progrès, Emmanuel Macron nous invite à franchir ce pas. Au lieu de s’inquiéter de la désintégration française qui se produit sous nos yeux, il l’accompagne, il la conceptualise, il en[access capability= »lire_inedits »] recouvre la violence par l’éloge du multiple. Au lieu de proposer la reconstruction de l’école en ruine autour de la transmission d’un grand héritage, il dépouille nos classiques de leur aura et les noie dans la masse. Le divertissement dicte sa loi, l’immigration dicte sa loi, et le progressisme macronien cède en donnant à toutes ces redditions l’apparence de l’abnégation. Comme les auteurs de l’Histoire mondiale de la France, il boute la France hors de France pour ne pas entraver les processus en cours, et comme eux, il s’enchante de son ouverture, de sa bonté, de son hospitalité. Ce sont les lâches qui, autrefois, capitulaient, ce sont maintenant les progressistes et les érudits généreux.

La veille ou l’avant-veille du grand discours d’Emmanuel Macron, la tour Eiffel, qui tend de plus en plus à devenir une vitrine politico-publicitaire, s’est illuminée, et on a vu apparaître en lettres blanches ces mots énigmatiques : « Made for sharing » (« Fait pour être partagé »). Cette « scrapline », comme on dit aujourd’hui, est le slogan de la campagne que mène la Ville de Paris pour l’organisation des jeux Olympiques de 2024. Il vient d’être déposé mais il n’est pas, lui-même, de la première jeunesse. Il a déjà été utilisé en Angleterre par des confiseurs-chocolatiers, et repris aux États-Unis par Burger King pour lancer une pizza géante à découper. Pourquoi un tel choix ? Réponse de la directrice de la marque et du contenu : cette idée de sharing « synthétise l’ADN de notre projet au cœur de la ville-monde qu’est Paris ». Le progressisme atteint ici son apogée. Dans l’espace de la diversité qu’est devenue la France et dans la ville-monde que devient Paris, on ne voit pas pourquoi le français, cette survivance vernaculaire, devrait garder sa prééminence. Il faut une langue globale, et la seule qui puisse prétendre à cette fonction, c’est l’anglais. Je rappelle qu’Emmanuel Macron, invité il y a peu par l’université Humboldt de Berlin, s’est exprimé dans cette langue globale devant son auditoire. Et c’est un Québécois, Mathieu Bock-Côté, qui y a trouvé à redire.

Si rien ne vient déranger les plans de la providence, Emmanuel Macron sera le prochain président de l’espace-France. Et en faisant de la diversité la valeur suprême, il réalisera le prodige d’accélérer à la fois la division et l’uniformisation en cours. Un autre scénario aurait pu avoir lieu avec François Fillon. Mais le Penelopegate risque bien d’être fatal à celui-ci. Il a déjà été condamné par le tribunal médiatique. Et comme il dénonce ce tribunal, la condamnation s’aggrave. On ne critique pas les médias dans nos démocraties. On ne s’indigne pas de voir Le Canard enchaîné feuilletonner ses révélations pour des raisons commerciales. On se réjouit de ne plus être dupe de la vertu de M. Fillon. Ainsi abandonne-t-on la politique pour la morale ou, plus exactement, la morale politique pour les seules exigences de la morale privée. La morale politique, c’est le souci du monde. C’est l’effort pour rendre le monde habitable. L’habitabilité est son grand critère. Et au regard de ce critère, l’opposition des progressistes et des conservateurs n’a aucun sens. Il y a, pour que le monde soit un séjour humain, des progrès qui s’imposent et des choses qu’il faut savoir garder et transmettre. Voilà ce que Macron ignore car ce n’est pas l’habitabilité qu’il vise, c’est la fluidité. Et, ironie suprême, la culture française deviendra le repoussoir de ce programme inquiétant si, François Fillon n’ayant pas été assez vertueux, Marine Le Pen se retrouve seule à la défendre sur la scène politique.

Macron et l’histoire

Le moins qu’on puisse attendre d’un candidat à la magistrature suprême, c’est la cohérence, la responsabilité et le respect dû à la vérité historique. Emmanuel Macron, qui est pourtant un intellectuel, qui a fait partie du comité de rédaction de la revue Esprit, qui a travaillé avec Paul Ricœur, vient de manquer à ces trois exigences. Dans un entretien donné au Point en novembre 2016, il avait évoqué les « effets positifs » de la colonisation. « En Algérie, il y a eu la torture mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes. C’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie. » Un journaliste de la télévision algérienne a demandé des explications à Macron et voici sa réponse : « Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation […] La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »

En première page de son édition datée du 17 février, Le Monde écrit que la déclaration d’Emmanuel Macron a suscité de vives critiques « à droite et à l’extrême droite ». Comme s’il fallait, pour s’offusquer des propos du candidat en marche, être un nostalgique de l’Empire français. Comme si la gauche, héritière des luttes anticoloniales, ne devait rien trouver à redire à une approximation aussi monstrueuse. Comme si le combat politique exigeait de sacrifier la nuance et les distinctions élémentaires. Claude Liauzu, historien très engagé à gauche, nous avait pourtant alertés dès 2005 : « De plus en plus nombreux, les spécialistes s’inquiètent de la propension qui gagne le métier à réduire l’histoire à un procès ou en faire un instrument idéologique. Confondre coloniser et exterminer, cela n’ajoute rien à la critique, au contraire. Ce schématisme ne permet guère de progrès scientifiques. » Coloniser, exterminer, c’est le titre d’un ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison paru en 2005. Tandis que les plus vieux lâchement se taisent, les journalistes trentenaires et quarantenaires du Monde et de Libération se conduisent en bons élèves de l’école post-républicaine. Ils sont les purs produits d’un enseignement de l’histoire à la Boucheron et à la Le Cour Grandmaison que nul scrupule, que nulle probité intellectuelle n’arrête quand il s’agit de souligner les failles et les fautes de la France dans son rapport à l’altérité. Cet enseignement n’expose pas la complexité, il fustige le Mal. Macron a le même âge que les journalistes ainsi formés, il a donc tout naturellement suivi cette pente. Et il s’est fait ainsi le complice du régime algérien qui cherche à détourner l’attention de ses turpitudes et de son échec cuisant à assurer à son peuple une vie décente, malgré les rentes pétrolières et la rente gazeuse, par une condamnation de plus en plus obsessionnelle et délirante de la période coloniale. Par la même occasion, Macron a envoyé un message de soutien aux enfants de l’immigration postcoloniale, comme aiment à dire les sociologues, qui regardent la France avec une mentalité de créancier : elle leur doit réparation et ils ne lui doivent rien. Dans son livre effrayant paru aux éditions La Fabrique Les Blancs, les juifs et nous, Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, écrit : « La Shoah ? Le sujet colonial en a connu des dizaines. Des exterminations ? À gogo. » À tous ceux qui pensent comme elle, Emmanuel Macron demande de voter pour lui. Il s’adresse à ces électeurs potentiels et il leur dit que le ressentiment qu’ils éprouvent a sa place dans la diversité française.

Si les journalistes avaient un sens moral aussi développé qu’ils le prétendent, ils jugeraient cette affaire Macron bien plus grave que le Penelopegate. Certes, il n’est pas convenable de garder pour soi et pour les siens son enveloppe parlementaire mais s’affranchir des contraintes de l’objectivité et de la précision historique, aggraver la fracture française en donnant quitus à une francophobie de plus en plus militante et s’aplatir pour finir devant un pouvoir cynique, corrompu et manipulateur, c’est tout de même autre chose. Emmanuel Macron est, comme le dit Marcel Gauchet, « porteur d’une vision économique du monde ». Quand il s’y tient, il laisse échapper l’essentiel. Quand il en sort, il déraille. Et quand il veut se rattraper, il déraille encore. Souhaitant, sans rien renier de ses propos, mettre du baume au cœur des pieds-noirs qu’il a pu blesser, il a dit sur un ton grave : « Je vous ai compris » – soit la formule même que leur avait servie le Général de Gaulle après avoir décidé de faire exactement le contraire de ce qu’ils attendaient de lui. Si j’étais la France, je ne confierais pas mon destin à cet homme-là.[/access]


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Et si la présidentielle était reportée?

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fillon election conseil constitutionnel degaulle
Conférence de presse de François Fillon. Numéro de reportage : AP22020960_000001.
fillon election conseil constitutionnel degaulle
Conférence de presse de François Fillon. Numéro de reportage : AP22020960_000001.

Mercredi 1er mars 2017, début du carême. En bon chrétien, François Fillon entame son chemin de croix. Il annonce publiquement qu’il est convoqué par un juge d’instruction le 15 mars prochain «aux fins de mise en examen ».

Cela tombe bien, c’est exactement entre le 10 mars et le 17 mars que le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection !

« Violation de l’Etat de droit », « assassinat politique », les accusations portées à l’encontre de la justice sont particulièrement violentes. La rapidité de la procédure a en effet de quoi surprendre. A peine un mois s’est écoulé entre l’ouverture d’une enquête par le parquet national financier (en principe compétent « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité ») et la décision d’une convocation aux fins de mise en examen.

L’éventualité d’une mise en examen du candidat LR  (opportunément ?) programmée à deux jours de la date limite du dépôt des candidatures, alourdit le climat délétère qui règne depuis plusieurs semaines sur la vie politique française.


Présidentielle : François Fillon annonce qu’il… par journalsudouest

Les temps judiciaire et politique se marient décidément aussi bien que l’huile et le vinaigre.

Le débat public n’existe plus, la démocratie est prise en otage par les affaires, l’ambiance est étouffante, lourde, pesante et, pour reprendre un terme à la mode, particulièrement « nauséabonde ».

Il reste 40 jours à tenir, ce qui est dans la moyenne pour un calvaire. Imagine-t-on François Fillon mis en examen ? La Constitution ne l’a pas imaginé. Aucune disposition juridique n’a prévu le cas dans lequel un candidat déclaré à une élection présidentielle ferait l’objet d’une procédure judiciaire. Alors tachons de faire preuve d’imagination.

L’esprit de la Vème République, c’est celui de la rencontre entre un homme et le peuple souverain. En principe, aucun juge ne vient tenir la chandelle.

François Fillon peut-il être candidat ? Moralement, c’est à lui seul de répondre. Mais juridiquement, il ne peut pas être empêché de concourir.

Dans l’histoire de la Vème République, deux événements majeurs ont contribué à faire évoluer le régime juridique de l’élection du président de la République.

22 août 1962 : l’attentat manqué du Petit Clamart

Un commando fait feu sur la DS du Général de Gaulle alors en route pour l’aérodrome de Villacoublay. 187 balles sont tirées, 14 atteignent la DS présidentielle et, miraculeusement, les quatre occupants du convoi (le président de la République et son épouse Yvonne de Gaulle, leur gendre le colonel Alain de Boissieu et le chauffeur Francis Marroux) en sortent indemnes.

Bastien-Thiry, condamné à mort, n’a pas été gracié. L’une des raisons du refus de grâce aura été celle de la mise en danger de la vie d’autrui. Aucune précaution ne fut prise par le commando pour protéger les riverains du Petit Clamart. Si le président de la République s’en est miraculeusement sorti, l’attentat aurait pu coûter la vie à une famille innocente. Au moment du passage du convoi présidentiel, un véhicule comprenant une famille circulait sur l’autre sens de la chaussée et se retrouva au beau milieu de la fusillade. Son conducteur fut blessé au doigt. Il s’appelait Monsieur Fillon.

La famille Fillon s’était ainsi retrouvée au cœur d’un événement qui allait bouleverser l’histoire de l’élection du président de la République.

Avant 1962, le président de la République était élu par des grands électeurs. En réaction politique à l’attentat manqué, le Général de Gaulle proposa au peuple français, par la voie du référendum, une réforme visant à soumettre l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel direct.

Depuis 1965, le président de la République est désigné directement par le peuple souverain.

2 avril 1974 : le décès du président Pompidou

Georges Pompidou est le premier chef d’Etat  à disparaître en cours de mandat sous la Vème République. Il n’est pas cependant le premier président de la République à décéder durant l’exercice de ses fonctions. Le président Félix Faure mourut le 16 février 1899 à l’Élysée et les circonstances de son décès passèrent à la postérité sous la formule célèbre de Clemenceau : « il a voulu vivre César, il est mort Pompée ».

La disparition du président Pompidou amena le pouvoir constituant à réfléchir à l’éventualité du  décès d’un candidat à l’élection présidentielle. Depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976, l’article 7 de la Constitution envisage les hypothèses de décès ou d’empêchement d’un candidat à l’élection présidentielle :

– Si, dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection.

– Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché, le Conseil constitutionnel prononce le report de l’élection.

Deux cas de figure sont donc envisagés. Le premier dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, soit pour cette année du 10 au 17 mars, le second avant le premier tour, soit entre le 17 mars et le 23 avril prochain.

Dans le premier cas, le Conseil constitutionnel peut décider de reporter l’élection, il dispose d’un choix. Dans le second cas, il ne dispose d’aucun libre arbitre. Si un candidat décède ou est empêché, il est tenu de prononcer le report de l’élection.

Quelles sont les conditions pour que le Conseil constitutionnel reporte l’élection ?

Entre le 10 et le 17 mars

Avant la date limite de dépôt des candidatures, il n’y a pas de candidat. Il n’existe que des « personnes ayant annoncé publiquement leur décision d’être candidate ». Les candidatures relèvent officiellement de l’intention, elles ne sont pas encore jugées par le Conseil constitutionnel. Si un des candidats déclarés décède ou est empêché, alors le Conseil constitutionnel pourra décider de reporter l’élection.

Cette liberté qui lui est offerte de décider de reporter ou non l’élection se comprend pour une raison simple.

Prenons le cas d’un petit candidat qui a officiellement déclaré qu’il briguerait la magistrature suprême, celui dont on dit communément qu’il fait une candidature de témoignage et dont on sait pertinemment qu’il ne dispose d’aucune chance de recueillir les 500 parrainages.

S’il venait à décéder ou à être empêché, alors le Conseil constitutionnel n’est pas contraint de reporter l’élection pour une personne qui n’aurait en tout état de cause pas concouru.

A l’inverse, si par exemple le 15 mars prochain, le candidat de la droite et du centre venait à être empêché, le Conseil constitutionnel pourrait décider de reporter l’élection.

Toutefois, notons que selon le texte constitutionnel, le décès ou l’empêchement doit survenir la semaine précédant la date limite de présentation des candidatures. Si l’événement survient huit ou dix jours avant, le Conseil constitutionnel ne peut rien faire.

Fort heureusement, la convocation tombe le 15 mars !

Entre le 17 mars et le 23 avril

Après la date limite, il n’y a plus de candidats déclarés, mais uniquement des candidats à égalité. Le régime est alors le même pour tous, et, en cas de décès ou d’empêchement de l’un d’entre eux, alors le Conseil constitutionnel n’a plus le choix. Il doit prononcer le report de l’élection.

Après le 23 avril

Si le décès ou l’empêchement d’un des deux finalistes survient entre les deux tours, alors le Conseil constitutionnel annule les opérations électorales et de nouvelles élections sont organisées.

Une mise en examen n’est pas un cas d’empêchement au sens de la Constitution. Sauf si le Conseil constitutionnel décide de faire jurisprudence…

Le pouvoir du juge constitutionnel de reporter l’élection est limité aux cas de décès et d’empêchement. Il y a donc lieu de considérer que si ces deux cas produisent juridiquement des effets analogues, c’est qu’ils doivent être compris comme correspondant tous deux à une situation identique, celle dans laquelle, physiquement, il n’est pas possible pour une personne d’exercer la fonction de président de la République.

Evidemment, le Conseil constitutionnel dispose de la liberté reconnue aux juges pour interpréter les textes et aucune autorité supérieure ne pourrait contredire son choix. Il pourrait ainsi décider de considérer qu’une mise en examen constitue un cas d’empêchement.

Mais gageons qu’il ne le fera pas. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de juger de la valeur éthique ou morale d’un candidat. Seule la conscience du candidat puis le vote du peuple souverain permettront de résoudre la question.

Le juge, fût-il constitutionnel, ne peut connaître que des questions de droit. Pour la morale ou pour l’éthique, il appartient aux citoyens d’en juger.
L’empêchement visé à l’article 7 de la Constitution ne vise que des cas qui rendraient le candidat physiquement inapte à exercer la fonction (maladie, disparition, accident, aliénation, attaque cérébrale,…).

L’empêchement n’étant pas défini par la Constitution, l’ambiguïté du terme laisse certains penser que la procédure prévue à l’article 7 de la Constitution pourrait être utilisée à l’encontre du candidat Fillon.

Aussi, le terme d’empêchement s’avère-t-il proche de l’impeachment américain, procédure permettant de destituer un président en exercice ayant commis des manquements incompatibles avec l’exercice de son mandat.

Mais en France, le terme d’empêchement a un sens. Et pour en cerner les contours, on s’intéressera alors au statut du président de la République.

S’agissant du chef de l’Etat, on remarque qu’il peut à la fois faire l’objet d’une procédure de destitution et être victime d’un empêchement. On définira donc l’empêchement par opposition à la destitution.

Aux termes de l’article 68 de la Constitution, le président de la République peut être destitué en cas de manquements incompatibles avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement réuni en Haute Cour. Prononcée par le Parlement, la sanction revêt une dimension politique.

La destitution du président de la République suppose la réalisation d’un manquement incompatible avec l’exercice du mandat. Par définition, il est porté une appréciation de nature subjective sur le comportement du président de la République. Des faits présentant un caractère pénal, la révélation d’un passé trouble pourraient constituer de tels manquements.

Hormis dans la série Baron Noir, cette procédure n’a jamais été mise en œuvre, alors même que deux périodes de cohabitation auraient pu le permettre. En 1986, il avait été envisagé de renvoyer François Mitterrand devant la Haute Cour pour son refus de signer les ordonnances. En 2000, Arnaud Montebourg proposa d’y renvoyer Jacques Chirac en raison des révélations des affaires liées à la Mairie de Paris.

Dans ces deux cas, il n’avait pas été envisagé de déclarer le président de la République empêché. Lorsqu’on reproche au président de la République d’avoir des casseroles, on songe à le destituer, on ne constate pas son empêchement.

A l’inverse, l’article 7 de la Constitution prévoit un cas de vacance ou d’empêchement du président de la République. Ce cas de figure est intervenu à deux reprises sous la Ve République, après la démission du Général de Gaulle et après le décès du président Pompidou.

Dans la Constitution, il est écrit que le Conseil constitutionnel constate l’empêchement. Ainsi, l’empêchement doit donc être entendu comme correspondant à une situation objective, un constat, celui dans lequel la santé du président de la République serait altérée.

Le terme d’empêchement ayant été introduit dans la Constitution après le décès du président Pompidou, cela révèle donc l’intention du pouvoir constituant de prévoir une situation dans laquelle la maladie ou l’aliénation emporterait un candidat et non des affaires judiciaires.

Une mise en examen, des casseroles, une moralité peu exemplaire ou le passé judiciaire trouble d’un candidat ne constituent donc nullement des circonstances qui devraient amener le Conseil constitutionnel à décider de reporter l’élection.

Mais toute décision du Conseil constitutionnel étant sans appel, les sages de la rue de Montpensier demeurent libres, si la situation les contraignait à interpréter le texte comme ils l’entendent.

Dans cette hypothèse, ils feraient alors jurisprudence, au détriment de l’esprit de notre Constitution.

De Macron à Podemos, les mirages de la société civile

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podemos macron tsipras
Eduardo Munoz Alavarez ; Sipa. Numéro de reportage :00792983_000008. Sipa. Numéro de reportage : 00777706_000003.
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Emmanuel Macron, Pablo Iglesias et Alexis Tsipras. Photos: Eduardo Munoz Alavarez ; Sipa. Numéro de reportage :00792983_000008. Sipa. Numéro de reportage : 00777706_000003.

La société civile est aujourd’hui parée de toutes les vertus qu’aurait perdues le monde politique. Ses membres – auto-désignés – sont flattés par les médias tandis que les élus sont censés cumuler (en plus de leurs mandats) malhonnêteté, incompétence et clientélisme ! Qui appartient d’ailleurs à la « société civile » ? Celui qui n’a jamais été élu et qui candidate ? Par définition, c’est le cas, au départ, de tous les élus ! Celui qui s’affranchit des partis politiques alors que la Constitution (article 4) reconnaît leur rôle et définit les conditions de leur légalité (« le respect de la souveraineté nationale et de la démocratie ») ? Le chef d’entreprise, le « zadiste », le « pétitionnaire », le chanteur, le public d’On n’est pas couché ?

La réalité est simple : est aujourd’hui baptisé membre de la société civile celui qui conteste la démocratie représentative mais cherche à peser sur la vie politique ou… à se faire élire, en enfilant le manteau de la probité et de la compétence !

Les avatars de la « société civile »

Quelques exemples étrangers illustrent pourtant les avatars de la « société civile » : le maire de Rome, issu du Mouvement 5 étoiles, apôtre de la transparence et de la sobriété, est embourbé depuis son élection dans des affaires de corruption, de conflits d’intérêts et de cupidité de son équipe.

En Grèce, le chantre de l’insurrection populaire, Alexis Tsipras, s’est finalement couché devant les exigences du FMI et de la Commission européenne. Les « Indignés » espagnols de Podemos ont perdu les élections. Le « Printemps » tunisien des libertés a ouvert les portes de la présidence à un islamiste puis à un très vieil homme.

Qu’est-ce qu’apporte la société civile en France ? Beaucoup à travers les associations, viviers de générosité ; mais le bénévolat s’essouffle quand il ne meurt pas de vieillesse. Son bilan est plus contrasté en politique : Simone Veil était inconnue du grand public quand elle a été nommée en 1974 ministre de la Santé. Puis elle s’est fondue dans le moule. Coluche ? Soutenu par le promoteur du « mouvement social » Pierre Bourdieu, il s’est effondré. Jacques Attali ? Même François Mitterrand ne lui confiait aucune responsabilité. Hulot ? Se soumettant aux primaires écologistes, il a été balayé. Tapie ? Une vie d’« affaires » ! Le professeur Schwartzenberg ? Quelques jours au gouvernement. Les succès de Thierry Breton, qui fut d’abord un remarquable élu local, ne peuvent dissimuler l’échec de Francis Mer à s’acclimater à la vie politique.

La représentation n’est que le « miroir brisé de la Nation »

La société civile se nourrirait de la « démocratie participative ». Laquelle ? Celle qui conteste à Notre-Dame-des-Landes par la violence les décisions des pouvoirs publics approuvées par un référendum local ? Elle serait stimulée par le numérique : l’observation des déchaînements de haine et de bêtise sur les réseaux sociaux invite à la prudence…

La démocratie représentative, elle, est un bien précieux : elle est issue d’un cadre légal et légitime et du libre choix des électeurs. Elle fait office de filtre des passions humaines. Pas assez « représentative » la démocratie ? Mais de qui ? La représentation n’est que le « miroir brisé de la Nation », selon le mot de Gambetta, certes. Mais la République est « une et indivisible ».

La démocratie représentative serait ainsi en crise. Sans doute ; mais comme les syndicats, les associations, le monde lui-même ! Les partis politiques attirent peu, c’est vrai, à l’exception de militants dévoués, habités par une passion. S’ils sont désertés, c’est sans doute que la droite et la gauche n’ont pas toujours fait la politique de leurs électeurs ! Mais qui veut prendre le risque de mettre entre parenthèses sa vie personnelle et professionnelle ? Qui est prêt à endurer en politique ce que l’on refuse justement dans sa vie « normale », le regard injuste ou sectaire, même si l’on a bien fait ? Si la politique est une passion, elle est bien aussi un sacrifice. Le mot passe mal dans une société hédoniste. Il est suspect. Il doit cacher des turpitudes et autant de bénéfices hypocrites ! Je mesure l’ironie du lecteur qui ne sait rien de la vie d’un maire, qui demande à ses élus d’être partout au même instant et que leurs familles attendent en vain, le soir, pour passer à table. Et quelle patience faut-il éprouver pour écouter ceux qui vous assènent les recettes d’un monde à refaire ! Des élus qu’aucune rumeur positive n’a jamais câlinés, soumis à l’imagination réglementaire sans limites des Administrations et aux risques judiciaires, obligés de dire « non » à ceux qui les ont soutenus, et « oui » à des adversaires acharnés !

La politique n’est pas un métier mais…

Le mandat parlementaire se nourrit justement de cette vie et de ces responsabilités locales où l’on s’efforce de marier l’anticipation et le soin apporté aux innombrables détails de la vie quotidienne des gens. L’opinion sait-elle qu’avec la fin du cumul des mandats, entérinée pour lui faire plaisir, on renforcera le poids des administrations de l’État et des partis parisiens ? La culture hors-sol est aussi mauvaise pour les élus que pour les plantes !

En revanche, nul n’a jamais voulu interdire le cumul des fonctions de tant d’autres acteurs de la « société civile » ! Nul ne trouve à redire au fait que le « quatrième pouvoir » déploie ses talents dans plusieurs médias à la fois, dans des universités, des maisons d’édition, des consultations d’entreprises, des instituts de sondage !

La politique n’est pas un métier ; mais ses missions doivent être assurées évidemment avec professionnalisme. Beaucoup de progrès dans la vie des Français sont issus des réussites des élus locaux qui équilibrent, souvent, les erreurs de l’État… Nombre de parlementaires sont exceptionnels et leurs travaux méconnus.

Seule la passion du bien commun permet de surmonter les difficultés techniques et psychologiques d’une vie où les sentiments sont exacerbés. Les élus ne réclament pas la pitié. Simplement le même respect qu’ils éprouvent pour ceux qui leur font confiance, et qu’ils attendent aussi des donneurs de leçons de morale qui, au nom d’un concept creux – celui de la société civile – ne sont pas toujours eux-mêmes des parangons de vertu.

Les végétaux prennent la parole

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Francis Lalanne
Francis Lalanne

ENFIN UN CANDIDAT UFCR-UDG !

Jeudi 2 février

Qui osera dire que le débat de fond n’est pas lancé dans cette campagne ? Il suffit de s’informer. Ainsi, dans mes spams d’aujourd’hui, je récupère un communiqué de presse d’Alain Mourguy, candidat de l’Union des forces citoyennes et républicaines et de l’Union des gens de bon sens (UFCR-UDG) à la présidentielle de 2017. Parmi 159 autres intéressantes propositions, il nous explique « comment créer un million d’emplois tout en économisant huit milliards d’euros par an ». A priori ça a l’air tentant ; j’ai pas tout lu mais en gros, pour financer le truc, il suffirait de supprimer le chômage.

LALANNE LAND

Vendredi 3 février

Encore une preuve de la vivacité du débat démocratique – au moins dans les couches conscientisées de la société : le « Collectif éco-citoyen 100 % » présidé par le polyvalent Francis Lalanne présentera aux prochaines législatives des candidats dans toutes les circonscriptions, de façon à « offrir une alternative citoyenne à la politique politicienne ». Il fallait y penser !

Toujours est-il que, sur ce programme, le collectif réunit pas moins de « 28 mouvements politiques, citoyens et écologiques ». Même que parmi eux, en ma qualité de président à vie de Jalons, je voudrais adresser un salut tout particulier à nos amis de Génération Végétale, qui sont la relève des idées que nous portons ! Qu’ils le sachent : en cas de problème à Lalanne Land, il y aura toujours à Jalons une place pour ces jeunes pousses.

FIGARO-CI, FIGARO-LÀ

Mercredi 8 février

Vendredi 3 février : au plus fort de la tempête, Le Figaro lâche celui qui était devenu son héros depuis son triomphe aux primaires. Le titre, qui s’étale sur cinq colonnes à la une, est sans ambiguïté : « Fillon continue, la droite s’inquiète. » Pas dur de deviner ce qu’il faudrait pour la calmer… À l’intérieur, deux articles de fond précisent le message : « Une affaire judiciaire et familiale qui n’en finit pas », déplore l’un ; « Les réflexions s’accélèrent autour du plan B », rassure l’autre. En bon français : Fillon est foutu, il est temps de passer à autre chose !

Ce mercredi, cinq jours plus tard, la tempête semble s’être calmée, au point que Le Figaro remonte sur le navire : « La droite resserre les rangs autour de Fillon », titre le journal à nouveau mobilisé. Et de filer, en pages intérieures, la métaphore militaire : « Fillon soude son camp et repart sur le terrain », « La contre-offensive est aussi juridique »… Mais le plus fort, c’est quand Le Figaro nous explique en une que[access capability= »lire_inedits »] « le candidat entend relancer une campagne entravée depuis quinze jours ». Comme si le quotidien lui-même n’y avait pas contribué en annonçant au peuple de droite que son candidat était cuit !

Heureusement il n’y paraît plus, et à lire la livraison d’aujourd’hui, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes fillonistes… Jusqu’au prochain obstacle qui pourrait faire trébucher le candidat ; auquel cas, n’en doutons pas, le quotidien reprendrait sa fameuse « liberté de blâmer ».

JÉSUS, ONFRAY ET MOI

Samedi 11 février

Dieu sait que j’aime bien Onfray, j’ai même été le premier à l’interviewer pour ce magazine. Avec tout ça, il est au courant bien sûr pour mon problème de catholisme, mais il ne m’en veut pas ; il me plaint, c’est tout.

Moi, pareil ! Quel dommage, lui ai-je habilement représenté, qu’un esprit aussi ouvert, fécond et indépendant que le sien se crispe dès qu’il s’agit des religions monothéistes, et de la mienne en particulier. Mais rien à faire ! Pour toute réponse Onfray, sûr de son fait, se contente de moquer gentiment mes chimères d’« arrière-monde »

Ce soir, Michel est venu chez Ruquier pour parler de Décadence, le tome 2 de sa Brève Encyclopédie, consacré précisément au constat de décès de la civilisation judéo-chrétienne. Mais comme tout ça est un peu sérieux, pour détendre l’atmosphère, on lui demande de développer sa thèse sur l’inexistence historique de Jésus.

Flavius Josèphe atteste du contraire, de même que Tacite et Suétone ? C’est qu’ils n’ont pas eu accès aux bonnes sources ! Le meilleur argument d’Onfray – enfin, mon préféré : « Si Jésus avait existé, il aurait bien sûr mangé des loukoums ! » Et bien sûr les quatre évangélistes (s’ils avaient eux-mêmes existé) se seraient bousculés pour nous rapporter l’affaire, vu son importance.

À ce compte-là, moi aussi j’ai ma preuve de l’inexistence historique du Christ : dans tous les évangiles on le voit manger, mais nulle part il ne fait popo ! Pas très crédible, tout ça.

Sur quoi, une heure plus tard, qu’est-ce que j’apprends ? Saint Paul non plus n’aurait pas existé ! Quand même, il exagère, Michel… commencé-je à marmonner, avant de me calmer tout net : de toute façon, une fois qu’il n’y a plus de Jésus, hein…

AFFAIRE THÉO : LE FILM

Jeudi 16 février

En exclu dans Le Point, du nouveau sur l’affaire Théo : le témoignage des flics, et celui des caméras de surveillance. En gros, l’histoire n’est pas aussi simple qu’a bien voulu nous le raconter le jeune homme, relayé depuis quinze jours par tous les médias. Non seulement il s’est interposé violemment pour empêcher l’interpellation d’un dealer, qui a pu prendre la fuite, mais il était chaud pour se fighter – et les flics ne se sont pas faits prier ! Tout ça s’est passé en moins d’une minute et, selon l’IGPN, l’intentionnalité de l’acte n’est pas établie. N’empêche qu’on lui a troué le cul, à Théo, alors qu’il méritait deux baffes… Et la proportionnalité des peines ?

PLUTÔT MÉLENCHON QUE MACRON !

Vendredi 17 février, 1h15

Sur LCI en ce moment, rediffusion du discours de Mélenchon à Strasbourg. On aime ou on n’aime pas, mais ça a le mérite d’exister. Je n’en dirais pas autant du zero man show de Macron, avec ses ambianceurs – robots capables de scander sur commande n’importe quoi. Il faut les entendre s’époumoner à hurler « Europe ! Europe ! », avec cet enthousiasme irréel qui est l’essence du macronisme et le moteur de son action.

EMMANUEL 2 : Y A-T-IL UN PILOTE DANS MACRON ?

Samedi 18 février

Qu’on cesse de dire qu’Emmanuel n’a pas de programme ! Il l’a détaillé en meeting cet après-midi à Toulon :
– « Je veux être élu ;
Je vous ai compris ;
Je vous aime« .
Cela dit, si vraiment il est élu sur de telles bases, chapeau ! Ce n’est plus du charisme, c’est de l’hypnose mesmérienne.[/access]