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Comment sauver les travailleurs indépendants du RSI

Manifestation des travailleurs indépendants contre le RSI, septembre 2015. SIPA. 00723958_000020

Au commencement était la démagogie

Le rapport entre les travailleurs indépendants et la Sécurité sociale est problématique depuis fort longtemps. En 1947, le ministre du Travail et des Affaires sociales Daniel Meyer a pourtant clairement expliqué les choses à la commission chargée de préparer la généralisation de la Sécurité sociale aux travailleurs non-salariés : « Dans le domaine de la vieillesse, il est manifeste qu’aucun régime d’assurance n’est viable s’il ne s’adresse pas à un groupe social dans lequel la répartition entre les éléments âgés et les éléments actifs présente une certaine stabilité. Or, il n’est pas exagéré de dire que c’est seulement dans le cadre de la population d’un pays que l’on peut trouver cette stabilité. »[1. Comité d’histoire de la sécurité sociale, La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, tome III, p. 90.] Mais la commission ne tint pas compte de ces propos de bon sens, ce que le rapporteur Lory a exprimé en ces termes : « Il est apparu que la solidarité professionnelle plus forte que la solidarité nationale permettrait de vaincre les obstacles psychologiques qui avaient contribué à l’échec de la généralisation de la sécurité sociale. »

La loi du 17 janvier 1948 suit la recommandation du rapport Lory : elle instaure 4 caisses vieillesse autonomes, respectivement pour les artisans, pour les industriels et commerçants, pour les professions libérales, et pour les agriculteurs. Le ministre a beau regretter les « égoïsmes de catégories sociales qui ont ce résultat que, maintenant, la loi n’est plus tellement une loi de sécurité sociale », le texte est voté à l’unanimité. Dès lors le ver est dans le fruit ; 69 ans plus tard, nous sommes face aux conséquences désastreuses d’une loi dont l’esprit était : votons ce qui est psychologiquement acceptable, et après nous le Déluge !

L’invention du RSI

En 2005, sous le gouvernement Raffarin, la décision fut prise de fusionner les caisses de travailleurs non-salariés non agricoles (les « non-non », disait-on familièrement). Le régime des exploitants agricoles ayant été antérieurement confié à la Mutualité sociale agricole (MSA) ne fut pas concerné. Les professions libérales, très attachées à leurs caisses de retraites complémentaires majoritairement liées à une profession particulière (médecins, vétérinaires, notaires, etc.), restèrent également en dehors du mouvement de fusion pour ce qui est de l’assurance vieillesse. Restait donc comme fusion à opérer celle de deux carpes et d’un lapin, les carpes étant la CANCAVA des artisans et l’ORGANIC des industriels et commerçants, tandis que le lapin était l’Assurance maladie et maternité des professions indépendantes (l’AMPI), qui assurait également les professionnels libéraux.

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La mise au monde du Régime social des indépendants (RSI) se fit au forceps : sous forme de trois ordonnances, la première du 31 mars 2005 et les deux autres du 8 décembre 2005. La conception remontait à la loi du 2 juillet 2003 « habilitant le gouvernement à simplifier le droit » en procédant par ordonnances de façon à permettre aux « non-non » de s’adresser à un « interlocuteur social unique » (ISU).

La fusion des systèmes informatiques, réalisée dans un climat de lutte pour le pouvoir, a débouché sur une monstruosité, produisant un taux d’erreurs équivalent à celui du logiciel Louvois qui empoisonne depuis des années la vie de nos militaires. La mise en commun réussie des moyens informatiques de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (l’AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (l’ARRCO) montre heureusement que de tels cafouillages ne sont pas une fatalité, mais le résultat de la gestion politicienne d’un problème essentiellement technique. Les commissaires aux comptes ont fait des refus de certification et la Cour des comptes et  l’Inspection générale des affaires sociales (l’IGAS) produit des rapports accablants. L’encaissement maladroit des cotisations par les URSSAF, nullement habituées à traiter avec des travailleurs indépendants, a alors été particulièrement mal vécu par les artisans et commerçants.

Des assurés sociaux très mécontents

L’exaspération de nombreux travailleurs indépendants a été révélée une fois de plus par une enquête récente commandée par le Syndicat des Indépendants : 76 % d’entre eux auraient une mauvaise opinion des services rendus par le RSI. Les passages à la formule « société par actions simplifiée unipersonnelle » (SASU), qui permet de bénéficier du régime général en tant qu’assimilé salarié, se multiplient.

Face à cette mauvaise cote du RSI auprès de ses adhérents, des candidats à la présidence de la République (Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon) ont fait différentes propositions, dont la suppression de ce régime, qui serait absorbé par celui des salariés. Les administrateurs du RSI essayent de sauver leur institution en proposant quelques augmentations de la générosité du régime, et en demandant que le statut de SAS ne permette plus d’échapper aux cotisations en se rémunérant sous forme de dividendes, ce qui augmente le revenu disponible dans l’immédiat, mais au prix d’un affaiblissement des droits à pension. Tout cela manque singulièrement de hauteur de vue.

La solution : l’unité grâce à la diversité

Ce problème particulier du RSI fournit une indication qui permettrait de réaliser enfin, de façon intelligente, le projet de Sécurité sociale commune à tous les Français (un seul régime) – projet qui avait été inscrit dans la loi à la Libération – tout en respectant les particularismes professionnels. Les malheurs des adhérents au RSI indiquent en effet ce qu’il faut faire pour réaliser ce grand œuvre : dissocier les notions de régime et de caisse. Le régime est un ensemble cohérent de règles juridiques définissant les droits et les devoirs des assurés sociaux, la façon dont ils acquièrent une couverture sociale et ce en quoi consiste cette couverture. La caisse est un organisme qui rend à certains assurés sociaux le service d’encaisser leurs cotisations et de calculer puis de verser les prestations auxquelles ils ont droit, et qui leur propose éventuellement des services complémentaires.

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Les indépendants ont des spécificités importantes. Leur revenu est pour la majorité d’entre eux difficile à calculer : ils doivent avoir comme interlocuteur une caisse dont les employés connaissent ces particularités et savent en tenir compte. Chaque assuré social devrait avoir le droit de choisir sa caisse, mais cette liberté de choix est encore plus vitale pour les indépendants que pour les salariés. Les médecins ont des besoins différents de ceux des experts comptables, c’est pourquoi les premiers sont bien avec la CARMF et les seconds avec la CAVEC. Parmi les commerçants et artisans il existe aussi une grande diversité : il serait bon qu’ils aient le choix entre différentes caisses, appliquant bien entendu les mêmes règles pour la Sécurité sociale, mais chacune de manière adaptée aux particularités de sa clientèle. De plus, ces caisses professionnelles pourraient proposer, comme les « sections » des professions libérales, tous les compléments souhaitables, que ce soit en matière de retraite par capitalisation, de complémentaires santé, d’invalidité permanente ou temporaire, etc.

La Sécu doit imiter la gastronomie

Ce schéma de fonctionnement de la Sécurité sociale, la même pour tous, mais servie à chacun avec un assaisonnement adapté à ses spécificités et à ses préférences, constitue clairement une novation conceptuelle par rapport au schéma bureaucratique selon lequel fonctionne notre État providence. Les Français sont gastronomes : ils savent que la même pièce de bœuf, le même filet de sole, les mêmes haricots verts, peuvent être cuisinés de quantité de façons différentes, et chacun d’eux choisit le restaurant dont les recettes réjouissent particulièrement ses papilles. Disons que la retraite est une côte de bœuf, l’Assurance maladie une sole et les prestations familiales une poignée de haricots verts, et laissons chaque Français choisir son restaurant : le problème du RSI, et quantité d’autres, deviendront presque faciles à résoudre.

Macron, prophète de bonheur

Emmanuel Macron François Hollande Campagne présidentielle Marine Le Pen
Meeting d'Emmanuel Macron au Palais des Sports de Lyon, 4 février 2017

Grâces soient rendues à Sylvain Fort. Ce garçon, que je n’ai jamais vu mais avec qui j’ai eu quelques échanges écrits et téléphonés, plutôt amicaux au demeurant, fait partie des porte-parole d’Emmanuel Macron. Après nous avoir baladés pendant des semaines, Pierre Lamalattie et moi-même – lui pour un reportage, moi pour un entretien –, il m’a finalement fait comprendre que les articles plutôt vachards, et c’est un euphémisme, publiés sur causeur.fr, ne donnaient guère envie à son candidat de répondre favorablement à nos demandes. Blacklister les journalistes considérés comme trop critiques, n’est-ce pas un peu trumpiste sur les bords ? Peu importe, c’est sans doute mieux comme ça. Qui sait ce qui serait arrivé, si la rencontre avait eu lieu. Comme le dit drôlement Vincent Castagno, si ce gars pouvait serrer la main de tous les Français, il serait élu avec 100 % des voix.

Si ça se trouve, j’aurais été, moi aussi, touchée par la grâce et je serais présentement dans un meeting, à applaudir au signal de l’ambiance team avec un tee-shirt « Macron président ». Il y a un mystère Macron et le réduire à une création médiatique serait ne rien y comprendre. Si l’ancien ministre de Manuel Valls est à l’évidence le chouchou du parti des médias, il n’est pas seulement cela. La séduction qu’il exerce sur des gens très différents, allant de vieux briscards de la politique à de parfaits novices, ne repose pas seulement sur un marketing bien rodé, mais aussi sur un charisme réel dont on peine à comprendre pourquoi il enchante les uns et laisse les autres de marbre.

Macron voudrait plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos. Il risque, évidemment, de décevoir tout le monde.

Aussi étrange que cela soit, cet homme passé par nos meilleures écoles, par la banque privée et par le gouvernement de la France, apparaît un phénomène nouveau. Au rayon politique, Macron est incontestablement ce que nous avons de plus frais. Au moment où nous avons décidé de lui consacrer notre « une », la rédaction de Causeur comptait quelques fervents macronistes qui se sont fait passablement chahuter. Au terme de cette réunion chaotique et joyeuse, Gil Mihaely avait trouvé la clef de l’énigme : « Arrêtez de vous chamailler sur son programme, c’est lui le programme », lançait-il pour ramener le calme. Quelques jours plus tard, Macron déclarait au JDD : « La politique c’est un style. […] C’est une magie. » Le problème, avec les illusionnistes, c’est que, même quand on marche, on a du mal à oublier qu’il y a un truc. Sa voix éraillée de[access capability= »lire_inedits »] rock-star en fin de concert, ses manières de télévangéliste lassent un peu. On commence à trouver que ce folklore a des relents vaguement sectaires. Après tout, ce n’est ni un gourou ni un directeur de conscience que nous devons élire en mai.

Dans cette campagne pleine de rebondissements, on sait ce que valent les prédictions. Reste qu’après un début de campagne en fanfare, facilité par la déroute de Fillon, la magie Macron semble marquer le pas, y compris à Causeur. Peut-être ces ingrats d’électeurs ne trouvent-ils pas suffisant qu’on leur dise qu’on les aime, même d’une belle voix chaude.

Il faut dire qu’entre-temps, Macron a bien été obligé de sortir de l’ambiguïté et, comme le pronostiquaient les commentateurs en paraphrasant le cardinal de Retz, cela ne pouvait être qu’à son détriment. Son discours de Lyon, dans lequel il a décrété : « Il n’y a pas de culture française. Mais il y a des cultures en France », puis son faux pas d’Alger, où il a qualifié la colonisation française de crime contre l’humanité, ont montré les limites de la stratégie « une cuillère pour la gauche, une cuillère pour la droite » – ou « une cuillère pour Jeanne d’Arc, une cuillère pour Steve Jobs ». Macron voudrait plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos. Il risque, évidemment, de décevoir tout le monde.

Au fil des semaines, on a vu donc apparaître, derrière l’apparente nouveauté du costume un personnage pour le moins classique. Comme Ségolène Royal, Macron conjugue un ancrage décidé dans le cercle de la raison à un style New Age qui lui donne un petit air de prophète, mais de prophète du bonheur. Libéral sur le plan économique, libertaire sur le plan sociétal, immigrationniste, européiste et libre-échangiste, convaincu que toutes les questions identitaires sont solubles dans la croissance économique, Macron est, au fond, une incarnation très classique du bloc central de la société française – que Marine Le Pen avait, non sans finesse, baptisé UMPS.

Dans ces conditions, le jeune prodige de la politique française pourrait bien être le meilleur continuateur du président qu’il a abandonné. Bien qu’il regrette sans doute vivement de ne pas avoir tenté sa chance lui-même, François Hollande a, semble-t-il, pardonné la trahison du fils prodigue et en attendant de tuer le veau gras, il a laissé Ségolène Royal faire allégeance. Récemment, il a suggéré à l’un de ses amis, rappeur de son état, d’attendre encore un peu avant de rejoindre officiellement En Marche !. Mais Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, qui soutient officiellement Hamon, s’est dit prêt à voter pour lui dès le premier tour s’il fallait faire barrage à Marine Le Pen. Et quand Le Foll parle, c’est souvent Hollande qui pense. Bien sûr, une consigne de ce type pourrait libérer les plus légitimistes des électeurs socialistes qui hésitent à abandonner le candidat de leur parti. Toutefois, un soutien trop clair du président risquerait de rappeler au bon peuple que Macron, en dépit de sa jeunesse, n’est pas un perdreau de l’année, et qu’il n’est pas sorti tout armé des ondes mais de deux ans à Bercy. Surtout, promettre aux Français un second quinquennat Hollande n’est pas nécessairement le moyen de réenchanter leur vie comme tous les candidats promettent de le faire. Bref, si Hollande et Macron continuent à travailler main dans la main, ni l’un ni l’autre n’a intérêt à ce que cela se sache.

Le charme, l’intelligence, la culture et même la beauté : à l’exception, peut-être, de l’humour, dont on ne dirait pas qu’il est son point fort, mais je peux me tromper, Emmanuel Macron a toutes les qualités. Et pourtant, on a du mal à se départir de l’impression qu’il est le genre d’homme à vous glisser entre les doigts. Macron ne cesse de dire qu’il aime tous les Français. Fort bien. On aimerait être sûr qu’il aime aussi la France. [/access]

OTAN: coup de semonce des États-Unis

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D’invitation à faire quelque chose, le mot semonce a changé de sens, jusqu’à désigner une mise en garde ferme. Un glissement sémantique qui se retrouve dans les rapports États-Unis – Europe au sein de l’OTAN.

Alors qu’il était seulement candidat, le président américain a tout au long de l’année 2016, multiplié les déclarations sur sa volonté de faire payer ses alliés, notamment européens, pour la contribution que les États-Unis apportent à leur défense. Il estime que les Européens ne font pas les efforts suffisants pour équilibrer la contribution américaine au sein de l’OTAN, allant même jusqu’à menacer de ne pas remplir ses obligations si les Européens ne remplissait pas les leurs.

Trump accuse le laxisme européen

Ce message a été retransmis le  15 février 2017 aux ministres de la défense européens, lors d’une réunion à Bruxelles, par Jim Mattis, le ministre de la Défense américain. Une intervention vue comme un « ultimatum » par la presse américaine et comme « rassurante » par la presse européenne. Une différence d’analyse qui reflète bien les positions politiques de chaque côté de l’Atlantique. Les Européens estiment avoir besoin de la puissance militaire américaine alors que les États-Unis, qui sont fortement investis militairement depuis 2001 au Proche Orient, veulent, et cela depuis la chute de l’URSS et la montée en puissance de la Chine reporter leurs efforts militaires sur le Pacifique. Les accusations portées par le président Trump contre le laxisme européen en matière de défense ne sont donc pas nouveaux mais la critique contre l’OTAN en tant que telle est un fait nouveau plus surprenant.

Il faut mettre en évidence les lignes de forces structurant la relation transatlantique pour comprendre la portée des multiples déclarations sur la question de la défense de l’Europe et de l’OTAN.

Le traité de Washington (14 avril 1949) scellait, dans son article 5, un pacte de défense entre 12 pays[1. Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni.] pour faire face collectivement à toute attaque contre le territoire de l’un des signataires. Afin de parfaire la capacité à répondre à la menace militaire de l’URSS implicitement désignée comme l’ennemi potentiel, une organisation civilo-militaire fut mise en place.

Une OTAN en plusieurs strates

L’organisation civile, avec notamment le Conseil de l’Atlantique nord (CAN), régule les processus de la décision politique alors que l’organisation militaire intégrée, sous les ordres du SACEUR (Supreme Allied Command in Europe ou Commandant suprême des forces alliées en Europe) constitue une architecture d’états-majors et de troupes prêts à réagir. Cette structure permanente combinée et ses efforts d’harmonisation des procédures et des matériels (interopérabilité) en ont fait une remarquable mécanique d’intégration pour des forces multinationales. C’est pourquoi, après la disparition de l’ennemi soviétique, elle a pu perdurer pour remplir des missions en liens de plus en plus lâches avec son objectif initial de défense du territoire européen des pays membres, qu’il s’agisse d’opérations coercitives (Bosnie Herzégovine – 1992/ ; Kosovo-depuis 1999/ ; Afghanistan-2003/2014, …), de lutte contre le terrorisme islamiste, la piraterie ou de secours aux populations. Elle a été, dans plusieurs de ces opérations, le bras armé du Conseil de sécurité.

Il faut donc d’abord comprendre que « l’organisation » n’est qu’un outil bifide (politique/militaire) de « l’Alliance ». L’administration américaine prend bien en compte cette distinction pour porter ses critiques sur un rééquilibrage entre États membres pour la création et l’entretien de la caisse à outils militaires et non les chantiers sur lesquels les employer (décision politique).

En effet, l’organisation politique (CAN) est la seule instance dans laquelle États-Unis et autres pays occidentaux peuvent se retrouver pour parler de sujets politiques. Et les États-Unis ne veulent pas céder sur cet avantage : les nouvelles autorités américaines se sont rendues au siège de l’OTAN, le président Trump doit rencontrer les dirigeants des pays de l’OTAN en mai 2017. Dans les autres instances internationales sont présents des pays tiers. Quant à l’Union européenne, aucun contact n’a été pris à ce stade. De leurs côtés, les pays membres ont intérêt à conserver cette organisation politique qui leur permet d’avoir un droit de regard sur toute opération de l’OTAN même s’ils n’y participent pas (raisons pour lesquelles, par exemple, les pays membres avaient insisté pour faire conduire les opérations en Libye par l’OTAN).

Pour la Maison blanche, le volet militaire de l’Alliance importait lorsqu’il était vu comme un outil pour renforcer (Afghanistan), voire remplacer (Libye) un engagement direct américain. Mais le nouveau président ne veut plus participer au traitement de toutes les crises, donc l’outil devient moins utile pour lui. A l’inverse, pour les pays européens, la dimension militaire importe de plus en plus, car elle est garante de l’existence d’une capacité de défense, à moindre coût, grâce à la puissance américaine. Ainsi, le budget de défense des États-Unis représente 70% du total des budgets militaires des pays membres. Ils sont quasiment les seuls à appliquer la règle d’affectation de 2 % du PIB à la défense[2. Une règle fixée pour tenter d’enrayer la décroissance des budgets de défense au sein de l’Alliance. Outre les États-Unis avec un taux de 3,6 % représentant 664 058 millions de $, seuls le Royaume uni, la Grèce, l’Estonie et la Pologne dépassent ce seuil pour un total cumulé de 77 656 millions de $.]. C’est bien ce que les États-Unis reprochent depuis la fin de la guerre froide à leurs partenaires européens qui ont glissé vers la facilité de « toucher les dividendes de la paix ». Après les supplications, puis les injonctions, voici maintenant venu le temps des mises en garde, dans le style direct du nouveau président, sur l’idée de « pas d’engagement militaire américain, s’il n’y a pas un meilleur partage du fardeau financier ».

Des Européens conscients mais coincés

Certes, l’on peut supposer que les dirigeants européens sont conscients de la vulnérabilité de leur défense face aux menaces grandissantes. Qu’elles soient sur leurs frontières Est ou résultent du développement d’une idéologie islamiste fortement anti-occidentale en voie de s’installer solidement, si elle n’est pas contrecarrée à temps, sur ses frontières sud, de l’Atlantique jusqu’en Asie centrale. Mais ils sont bloqués par la situation de fait créée par leurs politiques d’augmentation des dépenses publiques corrélées à une diminution des dépenses de défense. Ils savent qu’inverser la tendance pour répondre à l’attente du président Trump, c’est brusquer des opinions publiques bercées par les doux chants de la paix. Comme il s’y ajoute des affinités modérées pour la nouvelle Administration américaine, des incertitudes sur l’avenir politique dans chaque pays européen, une propension à édulcorer les menaces, l’Europe semble saisie d’une lassitude identique à celle qui a saisi la France dans les années 1930.

Il ne s’agit donc pas d’un bras de fer entre un président « imprévisible » et des dirigeants plus enclins aux formes diplomatiques classiques mais de répondre à une question de fond : les Etats-Unis reviendront-ils en Europe, en cas de besoin, au cri de « Lafayette, nous voici » ?

La réponse est dans une appréciation de situation géopolitique partagée sur deux sujets majeurs : la Russie, et les dossiers conflictuels ouverts par la précédente Administration rejointe par de nombreux pays européens ; l’islamisme, comme idéologie conquérante. Sur tous les autres dossiers, et notamment la Chine ou les principes du commerce international, l’administration Trump semblerait avoir fait le choix de ne plus y associer l’Europe. Et elle est ensuite sur la nature de la stratégie à mettre en place face à ces différents sujets.

Et, qu’il s’agisse d’analyse géopolitique ou de stratégie, le président Trump ouvre clairement de nouvelles perspectives, qu’il s’agit désormais d’explorer.

Affaire Fillon: « les journalistes jouissent d’avoir le premier rôle »

François Fillon, 21 février 2017

L‘affaire Fillon

« Imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen ? » a dit François Fillon au début de sa campagne. Cette phrase qui visait à discréditer un Nicolas Sarkozy plombé par les affaires m’a scandalisé pour trois raisons : elle faisait bon marché de la présomption d’innocence ; elle transformait De Gaulle en personne de bibliothèque rose : De Gaulle c’était l’association de la grandeur et de la raison d’État, de l’appel du 18 juin et des basses œuvres de Foccart ou de Charles Pasqua. Certes, il payait son électricité et les déjeuners auxquels il invitait ses collaborateurs, mais à son machiavélisme politique, la justice des anges qui règne aujourd’hui trouverait sans nul doute à redire. Last but not least, François Fillon, en parlant ainsi, transgressait le principe de la séparation des sphères. Au lieu de préserver la spécificité du domaine politique, il l’inféodait au judiciaire en demandant à celui-ci d’arbitrer ses litiges. Apprenant qu’il a, seize ans durant, salarié sa femme comme attachée parlementaire alors même que celle-ci s’est toujours présentée comme une femme au foyer, et qu’il a payé deux de ses enfants encore étudiant pour des missions imprécises, je me suis donc remémoré, comme d’autres, ce vieux proverbe africain : « Quand on monte au cocotier, il vaut mieux avoir le cul propre ! »

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J’aurais aimé cependant qu’avant d’exiger la mise à mort politique de François Fillon, on se pose la question suivante : la France s’en sortira-t-elle mieux sans lui qu’avec lui ? Il était, l’autre soir, en meeting à Charleville-Mézières et il a fait, contre vents et marées, un discours politique. J’en retiens deux passages : « De faiblesses en abandons, de renoncements en compromis, nous avons laissé proliférer des zones de non-droit. Désormais dans bien des lieux, les règles salafistes semblent prendre le pas sur les lois de la République. Cela n’est pas tolérable, cela ne sera pas toléré. Si le prochain président de la République ne met pas un coup d’arrêt à la progression du fanatisme, je vous le dis : la France entrera dans une nouvelle période sombre de son histoire. » Second cri d’alarme : « L’école était le creuset de la République, elle en est désormais le caveau. Obsédés par leur furie égalitariste, nos idéologues de l’éducation ont tout simplement oublié que l’école était là pour transmettre des connaissances. Notre école nivelle les intelligences, rabaisse les mérites, étouffe les talents, accroît les handicaps culturels et sociaux, au nom d’une conception dévoyée de l’égalité. Elle empêche l’élévation des meilleurs élèves, surtout s’ils sont issus des milieux les plus modestes. »


Alain Finkielkraut revient sur la polémique… par causeur

Qu’y a-t-il aujourd’hui de plus urgent que de réparer la fracture française et que de sauver l’école ? Et quel autre candidat parle ainsi ? Mais peu importe aux journalistes : ils se délectent de voir les affaires judiciaires prendre le pas sur les affaires communes car c’est pour eux l’occasion d’exercer et d’étendre encore leur pouvoir. Ils se veulent les représentants de l’exigence citoyenne, en fait, ils jouissent d’avoir le premier rôle et cette jouissance a quelque chose d’obscène. « Autrefois, écrit Kundera dans L’Immortalité, être journaliste signifiait[access capability= »lire_inedits »] s’approcher plus que tout autre de la vie réelle, fouiller ses recoins cachés, y plonger les mains et les salir. » La situation a changé. Le questionnement n’est plus la méthode de travail du reporter poursuivant humblement une enquête le calepin à la main, mais bien une façon d’exercer le pouvoir : « Le journaliste n’est pas celui qui pose des questions, mais celui qui détient le droit de les poser à n’importe qui sur n’importe quel sujet. » Bien sûr, nous avons tous ce droit : la question est une passerelle de compréhension jetée de l’homme à l’homme. Alors Kundera précise : « Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question mais sur le droit d’exiger une réponse. » « Répondez ! » disent Edwy Plenel, Jean-Michel Aphatie, Gérard Davet, Fabrice Lhomme et les reporters d’Envoyé spécial qui sont allés coincer à Sablé-sur-Sarthe les employés de François Fillon pour les sommer de sortir de leur silence. « Répondez ! », c’est le onzième commandement.

La mise en œuvre de ce commandement flatte le ressentiment démocratique contre les détenteurs de pouvoir. Ils ont beau avoir été élus, leur primauté apparaît comme une insulte à l’égale dignité des personnes. Ils sont donc l’objet d’une défiance permanente. Cette défiance conduit certains réformateurs audacieux à vouloir équilibrer le vote par le tirage au sort. Je propose d’aller plus loin et de fonder la VIe République sur la généralisation du tirage au sort. Une fois les résultats connus, les journalistes vedettes du onzième commandement se réuniraient en conclave, examineraient les dossiers et choisiraient le plus pur, le plus transparent pour présider nos destinées. Alors s’élèverait une fumée blanche, puis l’élu(e) apparaîtrait au balcon, tendrait les bras et s’offrirait à la France.

Le procès Bensoussan

Des propos tenus lors de l’émission Répliques du 10 octobre 2015 ont valu à Georges Bensoussan de comparaître devant la 17e chambre correctionnelle pour provocation à la haine raciale. J’ai réécouté l’enregistrement la veille de l’audience et, comme je l’ai dit à la barre, le débat entre mes invités Patrick Weil et Georges Bensoussan était tendu car il portait sur le sujet le plus brûlant du jour : la crise du vivre-ensemble, mais il n’y a eu aucun dérapage, aucun débordement et, l’émission durant cinquante-trois minutes, chacun a pu préciser sa pensée et lever tous les malentendus possibles. D’où mon étonnement d’avoir à témoigner devant un tribunal : il ne revient pas à la justice de régler les litiges intellectuels. Le reproche qui est fait à Bensoussan est d’avoir affirmé, en s’appuyant sur les travaux du sociologue d’origine algérienne Smaïn Laacher, que dans les familles arabes, l’antisémitisme, on le tête avec le lait de la mère. Cette expression est ancienne et elle n’a, en elle-même, rien de raciste. Comme l’a rappelé Michel Laval, l’avocat de Bensoussan, en citant Le Livre des métaphores de Marc Fumaroli, l’image du lait maternel évoque au figuré les sentiments et opinions contractés dès l’enfance dans la famille et le milieu. Le « lait », autrement dit, ce n’est pas le « sang », il ne s’agit pas de génétique, il s’agit de transmission. Et c’est l’expression qu’a employée l’ancien Premier ministre israélien Ytzhak Shamir pour qualifier l’antisémitisme polonais, dont Zeev Sternhell nous dit par ailleurs qu’il était palpable dans chaque coin de rue au sortir de la guerre. Peut-être parce qu’il était habité par ces références, le directeur de la Revue d’Histoire de la Shoah n’a pas utilisé la bonne image. Lors du documentaire diffusé sur France 3 auquel il faisait référence, Smaïn Laacher a dit que l’antisémitisme arabe est « déjà déposé dans l’espace domestique… Une des insultes des parents à leurs enfants quand ils veulent les réprimander, c’est qu’il suffit de les traiter de “Juifs”. Et ça, toutes les familles arabes le savent » ! En d’autres termes, avant d’être une opinion ou une idéologie, cet antisémitisme est un code culturel : « Dans ce qu’on appelle les ghettos, il est difficile d’y échapper, comme à l’air qu’on respire. » « L’air qu’on respire » et « le lait de la mère », ce sont deux métaphores différentes qui disent exactement la même chose !


Alain Finkielkraut sur le procès de Georges… par causeur

Pour justifier cependant l’accusation de racisme, le CCIF et toutes les associations qui lui ont emboîté le pas font grief à Bensoussan d’être tombé dans la généralisation. Généraliser, c’est essentialiser ; essentialiser, c’est remettre en cause l’unité du genre humain. Ce raisonnement montre qu’il ne s’agit plus, pour l’antiracisme officiel, de combattre les préjugés et les discriminations mais de frapper d’interdit le mouvement même de la pensée. Qui pense, en effet, conceptualise. Et qui conceptualise généralise. Avec le mot-couperet d’essentialisation, la réalité est soustraite à l’investigation et les musulmans à la critique. Toute critique de l’islam comme fait social, religieux et politique relève, dans cette perspective, de l’islamophobie. Et nous voici confrontés au grand paradoxe du multiculturalisme : on conteste d’abord la prétention de l’Occident à incarner l’universel en lui rappelant l’existence d’autres manières d’être et de faire. Et dans un second temps, on cloue au pilori ceux qui relèvent dans ces manières des traits négatifs, comme par exemple la misogynie et l’antisémitisme. Le non-Occident n’est jamais coupable de rien, il a l’innocence absolue, intouchable et intachable de la victime de l’histoire. Quand les multiculturalistes voient des musulmans choisir le djihad contre les juifs et les croisés, ils disent comme l’islamologue François Burgat que c’est parce qu’ils n’étaient pas traités comme des sujets à part entière qu’ils sont devenus des sujets entièrement à part. Ainsi l’Occident est-il doté de l’attribut divin de l’omnipotence par ceux-là mêmes qui se targuent de l’avoir fait descendre de son trône. C’est lui le grand criminel, c’est lui qui est à l’initiative de tout.

Bensoussan rejette cette façon de voir (ou plutôt de ne pas voir) mais il se garde bien d’enfermer les musulmans dans la mentalité qu’il dénonce. Quand j’évoque, en l’entendant parler de la coupure de la France en deux peuples, le risque de l’essentialisation, il me répond qu’il n’y a aucune fatalité à ce phénomène et qu’il y a tous les moyens d’y remédier si les élites de notre nation reprennent les choses en main, si elles acceptent de revendiquer leur héritage. Mais, prenant acte de l’actuelle fracture française et du fait que la France est devenue la première terre d’immigration vers Israël, il se demande : « Qu’est-ce qui se passe ? » Et au lieu de s’interroger avec lui, le ministère public et les associations ne pensent qu’à le punir. Je l’ai dit à la cour : « Un antiracisme dévoyé vous enjoint de criminaliser l’inquiétude au lieu de combattre la réalité sur laquelle elle se fonde. Si vous cédez, ce sera une catastrophe intellectuelle et morale. »

On croyait naguère que le racisme n’avait qu’un visage : Dupont-Lajoie, et une multitude de cibles : le Noir, l’Arabe, le Musulman, le Juif, le Rom. Cette vision du monde a été démentie par les faits. L’antiracisme judiciaire fuit ce démenti dans le déni. Et la Licra, longtemps accusée de judéocentrisme, vient de rejoindre le parti du déni. Je faisais partie du Comité d’honneur de la Licra. En s’associant à tous les collectifs contre la liberté de penser et le droit de regarder la réalité en face, cette organisation s’est déshonorée. J’ai donc envoyé, dès le lendemain du procès, ma lettre de démission et j’invite tous les adhérents à tirer eux-mêmes les conséquences de l’indignité qui vient d’être commise. La Licra se « mrapise » et s’il y a une chose dont la France d’aujourd’hui n’a pas besoin, c’est de deux Mrap.

Un mot, pour finir, sur le ministère public : dans son réquisitoire, la procureure a parlé à propos de Bensoussan de « passage à l’acte dans le champ lexical ». Cette femme est jeune, et les mots qu’elle emploie portent la marque du jargon débile qui a, depuis quelques décennies, envahi l’Éducation nationale. Mais la formule n’est pas seulement jargonnante, elle est extravagante. Qu’est-ce que passer à l’acte, sinon précisément sortir du champ lexical ? En rapatriant dans la langue ce qui par définition n’en relève pas, la procureure a voulu dire que Bensoussan était un véritable criminel. Elle n’a cessé, en outre, de le comparer à Éric Zemmour car, pour elle, le vrai problème de la France ce n’est pas que les juifs ne s’y sentent plus en sécurité, c’est qu’y sévissent impunément des intellectuels et des journalistes « réactionnaires ». Si, comme on peut l’espérer, Bensoussan est relaxé, la grande alliance des associations antiracistes et de la magistrature du mur des cons ne lâchera pas l’affaire. Elle interjettera appel car rien ne lui est plus intolérable que la nécessité d’ouvrir les yeux.[/access]

Martin Schulz à l’assaut d’Angela Merkel

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Martin Schulz et Angela Merkel au Parlement européen, décembre 2013. SIPA. AP22018705_000002

Alors que la gauche française s’enfonce dans la spirale d’une défaite inéluctable lors de la toute prochaine élection présidentielle, son homologue allemande, la vieille social-démocratie de papa et grand-papa, reprend des couleurs et sort du marasme où l’ont plongé huit ans de présence dans le gouvernement dirigé par Angela Merkel.

Jusqu’en janvier dernier, les perspectives étaient sombres pour les héritiers de Willy Brandt et d’Helmut Schmidt : le SPD se traînait dans les sondages à plus d’une dizaine de points derrière la CDU-CSU d’Angela Merkel, candidate à un quatrième mandat à la chancellerie lors des élections au Bundestag du 24 septembre 2017. Cette dernière souffrait, certes, de l’usure du pouvoir après douze ans à la tête du gouvernement fédéral, et prenait régulièrement des claques lors d’élections locales, où le parti anti-européen et hostile aux immigrés AfD grimpait en flèche. Cependant, lorsqu’il s’agissait de se déterminer pour le scrutin décisif, celui qui désigne les députés au Bundestag et établit la hiérarchie dans une coalition gouvernementale, Merkel conservait, jusqu’à ces dernières semaines, une confortable avance dans l’opinion, y compris parmi les électeurs du SPD, peu motivés par son concurrent putatif, le vice-chancelier Sigmar Gabriel.

Merkel n’est pas à l’abri de ce « dégagisme » qu’ont subi certains de ses anciens alliés

Tout a changé depuis que ce dernier à renoncé à briguer la chancellerie, laissant le champ libre à Martin Schulz, ci-devant président du Parlement européen, qui remplace Sigmar Gabriel à la tête du parti, et défie la présumée indéboulonnable Merkel. En quelques semaines, la cote du SPD fait un bond spectaculaire, faisant jeu égal et même parfois dépassant les chrétiens-démocrates, autour de 30% des intentions de vote.

Comment est-ce possible dans un pays, la RFA, où les sautes d’humeur de l’opinion ne sont pas monnaie courante, et où les alternances, depuis 1945, sont le fruit d’une longue maturation, aussi bien au sein des partis que dans la société ? Le choix de Martin Schulz a révélé que l’Allemagne, en dépit de ses succès économiques et de l’aura internationale de son actuelle chancelière, n’est pas à l’abri de ce « dégagisme » qu’ont subi nombre de gouvernants des démocraties voisines : Hollande, Renzi, Cameron en sont les victimes les plus connues et les plus récentes. Par son parcours, personnel et politique, Martin Schulz représente une rupture avec l’offre politique des autres partis de gouvernement, CDU-CSU, et vieille garde du SPD. Son passé de fils de petit fonctionnaire et d’une mère au foyer, décrocheur scolaire, rescapé d’une descente aux enfers alcoolique dans l’adolescence, se prête excellemment à un « storytelling » édifiant dont les Allemands raffolent. La rédemption du pécheur par le travail et l’abstinence est un classique du genre, diablement efficace lorsqu’il est incarné par un ancien cancre qui parle aujourd’hui couramment cinq ou six langues (dont le français qu’il maîtrise très correctement). Il bénéficie également de la présomption d’innocence relative aux griefs que les électeurs ont accumulé au cours de la dernière décennie envers un SPD à la remorque de la CDU/CSU, comme partenaire junior de la grande coalition, et faisant péniblement passer quelques correctifs sociaux mineurs dans l’ordo-libéralisme germanique incarné par le couple Angela Merkel-Wolfgang Schäuble. A l’exception du poste de bourgmestre de sa petite ville natale de Würselen, près d’Aix-la-Chapelle, Schulz a effectué toute sa carrière politique à Bruxelles et à Strasbourg, de député européen de base à la présidence du groupe socialiste, puis à celle du Parlement. C’est donc un homme neuf dans la politique nationale, qui n’a pas à assumer le bilan de ses prédécesseurs, même celui de Gerhardt Schröder et de ces réformes des prestations sociales qui ont fait grincer des dents chez les électeurs traditionnels du SPD. Il n’assume pas, non plus le bilan des gouvernements sortants de grande coalition, dont il n’a jamais fait partie. Et cela marche : sans être un tribun exceptionnel, Schulz, toujours jovial et affable, plait aux gens simples, ceux qui respectent Angela Merkel, certes, mais la trouvent décidément froide et ennuyeuse à mourir. Elle, n’aurait jamais pu décrocher la distinction carnavalesque de « L’ordre contre le sérieux bestial » dont s’honorent ceux des hommes politiques allemands l’ayant reçu en raison de leurs efforts à résister à ce trait de caractère national par quelques manifestations d’humour ou d’autodérision.

Une alternance plus culturelle que politique

S’agit-il pour autant d’un virage politique radical, d’une « corbynisation » de la social-démocratie allemande, à l’image de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, où les travaillistes ont rejeté l’héritage social-libéral de Tony Blair, ou risque de se passer en Italie et en France à l’occasion des prochains scrutins nationaux ? Rien n’est moins certain, car le SPD est une lourde machine de permanents, d’élus de tous niveaux qu’il est difficile de faire changer de cap brusquement et radicalement, sauf circonstances exceptionnelles.

L’opinion allemande souhaite majoritairement l’alternance, mais dans l’ordre et la responsabilité, en évitant la surenchère de droite comme de gauche. Ainsi, jamais des candidats de la CSU bavaroise n’ont pu déboulonner des candidats SPD en place (Franz-Josef Strauss battu par Helmut Schmidt, et Edmund Stoiber défait par Gerhardt Schröder), l’ensemble du pays trouvant ces Bavarois décidemment trop conservateurs…

Schulz marche sur des œufs, et sa remise en cause des réformes Schröder reste, pour l’instant, dans des limites mesurées, surtout si on la met en regard des programmes proposés par des Jeremy Corbyn ou Benoit Hamon !

Les conservateurs allemands, un peu surpris et bousculés, commencent à tirer à boulets rouges sur Martin Schulz qu’ils soupçonnent d’être favorable à la mutualisation des dettes des pays de la zone euro et de laxisme supposé envers les pays du «  Club Med », toujours suspects de vouloir renflouer leurs finances de cigale en puisant dans le magot de la fourmi allemande. Ils ne manqueront pas d’agiter l’épouvantail d’une coalition du SPD avec Die Linke, alliage d’anciens communistes est-allemands et de gauchistes de l’ouest.

Mais ils resteront démunis pour contrer l’autre désir d’alternance, moins visible mais bien réel, qu’incarne aujourd’hui Martin Schultz : c’est une alternance plus culturelle que politique, qui a vu se succéder au pouvoir à Bonn, puis à Berlin, des représentants de l’Allemagne rhénane, catholique et carolingienne (Konrad Adenauer, Helmut Kohl) et des nordiques de culture protestante (Willy Brandt, Helmut Schmidt, Gerhardt Schröder, Angela Merkel). Martin Schulz est natif d’Aix-la-Chapelle, la capitale de Charlemagne, d’une maman fervente catholique militante de la CDU. Il arrive donc à point pour engranger les bénéfices de la «  Merkelmüdigkeit » (fatigue de Merkel) qui semble saisir nos voisins d’outre Rhin.

#Justice pour Fillon!

Meeting de François Fillon à Paris, 29 janvier 2017. AFP PHOTO / Eric FEFERBERG

François Fillon ne mérite sans doute pas un premier prix de vertu. Ni la médaille du désintéressement. Mais s’il parvient à sortir du piège tissé par ses adversaires, il aura au moins prouvé qu’il possède la première qualité d’un boxeur : savoir encaisser les coups. Mieux, pour rester le champion de son camp– ce qui paraît probable à l’heure où nous bouclons, trois semaines avant la date limite de dépôt des candidatures –, il lui aura fallu défier une puissance à deux têtes d’autant plus redoutable qu’elle avance parée des atours de la faiblesse et des séductions de la pureté. La sainte-alliance des juges et des journalistes, comme l’appelait Philippe Cohen, promet de faire advenir un monde meilleur, une démocratie délivrée des turpitudes humaines. L’interminable chronique des affaires et des lynchages afférents fournissant un avant-goût de cet avenir radieux, on peut déjà affirmer qu’on n’y rigolera pas. Le spectacle de Plic et Ploc, surnoms affectueux donnés par Régis de Castelnau à Davet et Lhomme, procureurs au Monde et confidents du président ­– ou de leurs clones de Mediapart –, reçus sur tous les plateaux avec la déférence qu’on voue aux commissaires politiques qui peuvent vous faire guillotiner, est pourtant hautement comique. Surtout tant qu’ils ne le peuvent pas. Voilà pourquoi il faut que Fillon tienne. Pas parce qu’il est le champion de la droite – et encore moins pour son programme. Parce que, s’il devait céder, cela signifierait qu’une sorte de putsch médiatico-judiciaire a réussi à plomber l’élection présidentielle plus sûrement qu’une armée de trolls russes. Plenel au pouvoir, je demande l’asile politique à Poutine.

Tout cela devrait valoir un peu d’indulgence aux fautes de François Fillon – que pour ma part, quoique ultra-minoritaire, je persiste à trouver vénielles. L’obsession, si largement partagée, pour l’argent des autres, en dit plus sur le règne de l’envie et du soupçon que sur les pratiques illégales ou immorales présumées de nos gouvernants. On a raison de reprocher à Fillon d’avoir lui-même appuyé sur ce bouton – et avec une inélégance marquée à l’égard de Nicolas Sarkozy. Il serait cruel et frivole de voir dans la tempête qu’il traverse une forme de justice immanente – « bien fait pour lui », ça ne fait pas une politique.

A quand un « label propreté » pour tous les candidats?

À tout prendre, pensera-t-on peut-être, les juges et les journalistes ne sont pas les plus mal placés pour défendre un intérêt général malmené par l’abus des petits et grands privilèges que s’arrogent les gouvernants. Quand les décodeurs du Monde prétendent dire le vrai et le faux, et que personne ou presque ne s’en émeut, pourquoi les médias et la Justice ne décerneraient-ils pas un « label propreté » aux candidats, afin d’aider l’électeur égaré ? Admettons même – provisoirement –, qu’il n’entre dans les croisades respectives de ces deux pouvoirs aucune envie de se payer un puissant, aucun désir de jouer à Bernstein-et-Woodward. Ces belles campagnes d’assainissement n’en masquent pas moins une opération de basse police politique, dans laquelle juges et journalistes se sont, en quelque sorte, auto-instrumentalisés. « Les magistrats rêvent de condamner les politiques en exercice, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche et en retour, les politiques en fonction rêvent d’assujettir les magistrats », écrivait Richard Malka dans le JDD en décembre, à propos de l’affaire Christine Lagarde. Quand les « politiques en fonction » et les magistrats tirent dans le même sens, ils peuvent faire de sacrés dégâts. Et quand, en prime, les médias jouent la même partition, la partie est jouée d’avance : l’enquête est menée à charge et au pas de charge, au rythme de[access capability= »lire_inedits »] fuites soigneusement distillées qui finissent par donner l’impression au public qu’on lui parle d’Al Capone.

Autant l’annoncer d’emblée, on n’apporte pas ici la preuve formelle que l’affaire Fillon est le fruit d’une opération politique : il faudrait pour cela disposer de contacts à haut niveau au sein de l’appareil d’État – brigade financière, parquet national financier, Bercy….. Or Causeur ne fait visiblement pas partie de la liste des receleurs agréés. Et on dirait bien que les gens de droite sont, en matière de réseaux et de coups tordus, des enfants de chœur. Trois semaines après la parution du premier article du Canard, l’entourage du candidat n’avait pas déniché la preuve irréfutable du complot dont il s’est dit victime. En l’absence de preuves, on dispose néanmoins d’un paquet d’indices sérieux et concordants qui excluent, à tout le moins, de classer l’affaire. Trois points, ça fait une ligne, qui permet de brosser un récit au moins aussi convaincant que la gentille bluette dans laquelle de courageux investigateurs rejoints par de vaillants petits juges déterrent avec leurs petits bras un immense scandale de corruption. Il flotte autour de cette affaire Fillon une sale odeur de cabinet noir et de basses œuvres qui laisse penser que le scandale n’est pas celui qu’on croit. D’ailleurs, Fillon n’a nullement cherché à cacher les faits qui lui sont reprochés. « Sentiment d’impunité », grondent les accusateurs. C’est peut-être, tout simplement, qu’il ne se pensait pas coupable. Ou alors, c’est qu’il ne se pensait pas coupable.

En général, quand on ose critiquer les juges et/ou les médias, les journalistes hésitent entre indignation et ricanement. « Haïr les médias, c’est haïr la démocratie », déclare pompeusement Edwy Plenel au Journal de Genève. Fillon s’en prend à la presse, c’est bien la preuve qu’il n’a pas d’argument. En somme, puisque les médias attaquent Fillon, celui-ci ne serait pas légitime à riposter car il serait partial. Face je gagne, pile tu perds : logique inepte destinée à nous faire avaler que les médias devraient, par principe, être soustraits à la critique, et plus encore à l’investigation. Comme s’ils étaient d’une autre essence. Comme s’ils n’étaient pas l’un des paramètres de l’équation.

Le 24 janvier au soir, le premier article du Canard enchaîné qui va lancer le Penelopegate agit dans les rédactions comme un bout de viande rouge lancé à une meute de piranhas. Chacun veut sa part du festin. Très vite, les éléments de langage se diffusent à l’ensemble de la profession, jusqu’aux soutiers des chaînes infos qui vont bravement relayer le message pendant deux bonne semaines. Il ne peut pas tenir. Il doit partir. Entre le 27 janvier et le 17 février, Libération, tout en assistant avec émerveillement à l’avènement d’une « gauche de gauche » (une gauche au carré, ça fait envie…), consacre à l’affaire pas moins de six unes, de plus en plus explicites, comme « Plombé ! » le 1er février, « Jusqu’à quand ? » le 2, « Laisse béton ! » le 4 et « L’acharné » le 7, au lendemain de la conférence de presse dans laquelle Fillon annonce qu’il continue. Sur le mode jésuitique qui est le sien – « Fillon peut-il tenir ? –, Le Monde, avec huit unes, pilonne sans relâche. Début février, l’affaire semble pliée. Un journaliste vedette se désole à l’avance de devoir interrompre ses vacances d’hiver pour revenir couvrir l’annonce du retrait, perspective ô combien excitante.

C’est la fête de la transparence. Le populisme médiatique bat son plein. On course des secrétaires, on traque des proches, réels ou supposés, on exhume avec une minutie policière des archives embarrassantes, on ressasse des chiffres d’autant plus mirobolants qu’ils sont agrégés et qu’on les compare au Smic plutôt qu’au salaire des vedettes de la télévision. On lance des équipes, micro et caméra au poing, dans les rues de Sablé ou les couloirs de l’Assemblée. Et si on évoque un climat de chasse à l’homme, les limiers répondent, en sautant comme les cabris du Général : Les faits, les faits, les faits !, oubliant que n’importe quel fait, dénoncé en boucle pendant des jours, peut devenir une affaire d’État – qu’on se rappelle l’affaire totalement bidon des diamants de Bokassa –, et surtout que, des faits de cet ordre ou d’approchants, on peut sans doute en trouver sur la plupart des candidats. Les humains sans part d’ombre, ça n’existe pas. Heureusement.

La profession oppose un tir de barrage groupé à toute tentative d’enquêter sur les enquêteurs. A croire que la sacro-sainte transparence doit s’arrêter à l’entrée des rédactions.

Mi-février, une partie de la profession semble néanmoins avoir la gueule de bois. À moins que, constatant que François Fillon est toujours debout et qu’on ne sait jamais, elle ne maquille sa prudence en examen de conscience. « En avons-nous trop fait ? » demande ainsi avec candeur un journaliste de BFM. Bien sûr, cette circonspection vaut surtout pour la troupe. Au Quartier général, on désarme d’autant moins que le Parti des Médias, ou plutôt sa fraction libérale, à ne pas confondre avec la tendance gauchiste, les deux convergeant dans le culte des droits et la détestation de la verticalité, a choisi son candidat. Et, quelle coïncidence, c’est à lui que profite le crime. En effet, si l’opération « Penelope » réussissait, elle aurait de bonnes chances d’aboutir à un second tour Le Pen/Macron que les partisans du second croient gagné d’avance. À tort d’ailleurs.

Que les journalistes aient des préférences politiques, fort bien. Ce qui est fâcheux, dans l’affaire Fillon, outre la pesante unanimité imposée par leurs prétentions morales (qui serait contre le Bien ?), c’est qu’ils servent un agenda édicté par d’autres avec des moyens mis à leur disposition par ces mêmes autres. « La presse fait son travail », ânonnent les petits soldats du journalisme. En l’occurrence ce travail a consisté, pour Le Canard Enchaîné, à réceptionner un dossier tout ficelé et, éventuellement, à procéder à quelques vérifications et, pour Le Monde, selon une scénographie rodée au fil des affaires, à publier, dix jours après l’ouverture de l’enquête préliminaire (EP) par le parquet national financier (PNF), des extraits bien choisis (pour enfoncer) des auditions des époux Fillon. À cette occasion, on a pu voir Gérard Davet (Plic) répéter, très content de lui : « Nous avons eu accès au dossier. » Avoir accès au dossier : une excellente définition du journalisme d’investigation. On pourrait aussi appeler ça du recel de délation.

Le plus extravagant, c’est que la profession oppose un tir de barrage groupé à toute tentative d’enquêter sur les enquêteurs. À croire que la sacro-sainte transparence doit s’arrêter à l’entrée des rédactions et que toutes les questions sont intéressantes sauf une : qui a fourni ses informations au Canard ? Dans l’équipe Fillon, on affirme que les erreurs du palmipède dans la répartition des sommes (entre salaire et indemnités de départ) montrent qu’il n’a pas eu accès aux fiches de paie, qui auraient désigné une source interne à l’Assemblée, mais à des documents fiscaux où figurent des montants agrégés.

Si on ne peut pas connaître le coupable avec certitude, le mobile, lui, ne fait guère de doute ; à trois mois de la présidentielle, on a voulu torpiller la candidature Fillon pour ouvrir un boulevard à Macron. Rien n’indique, bien sûr, que celui-ci ou son entourage aient été directement impliqués. Mais alors que de multiples signes montrent que François Hollande a décidé d’oublier l’affront et de soutenir son poulain (voir notre dossier), on aperçoit souvent, dans cette ténébreuse affaire, l’ombre du secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, dont on imagine qu’il se verrait bien rempiler auprès d’un jeune président dont il a été le mentor. Complotisme, dira-t-on. Ce n’est pas parce qu’il y a du complotisme qu’il n’y a jamais de complots.

S’il est battu, il faut que ce soit à la loyale

Quoi de plus innocent que des camarades d’école nourrissant de grandes ambitions pour eux et pour leur pays ? Dans la galaxie Jouyet, la promotion Senghor semble occuper une place spéciale : avec Macron, on croise Gaspard Gantzer, conseiller com à l’Élysée, donc particulièrement bien placé pour nourrir le feuilleton de la presse parisienne, Thomas Andrieu, dirccab de Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux. Il y a aussi Pierre Heilbronn (promotion Copernic), nommé numéro deux de la BERD à Londres et dont la compagne, Ariane Amson, brillante magistrate, a été exfiltrée du PNF pour être promue conseillère Justice à l’Élysée quatre mois avant la fin du mandat. Pour ce connaisseur des humeurs du monde judiciaire, c’est un excellent moyen, pour la présidence, d’être informée en temps réel des progrès et de l’ambiance de l’enquête. Éliane Houlette, est connue, semble-t-il, pour faire remonter avec parcimonie l’information sur les dossiers, et pas, paraît-il, les PV intégraux. « C’est une chieuse, mais avec tout le monde », résume une avocate. Au demeurant, personne ne semble soupçonner le PNF d’être à l’origine des fuites. En régime d’EP, où seuls les policiers et le parquet ont accès au dossier, le plus probable est qu’elles émanent de la Place Beauvau.

La célérité exceptionnelle avec laquelle le PNF « a ouvert », comme on dit dans le jargon, n’a cependant échappé à personne. « Six heures après la parution du Canard, souligne Me Antonin Lévy. Pour les Panama papers, cela leur a pris vingt-quatre heures et je suis sûr que, pendant ces vingt-quatre heures, pas mal de comptes ont été fermés. » Pour autant, on aurait tort d’accuser la Justice de partialité politique. Elle fait avec ce qu’elle a. C’est sans doute un hasard si elle a eu de quoi se faire Fillon. Sarkozy a été encore mieux servi : il a perdu la primaire, mais le coup était parti. Le juge Tournaire n’allait pas se priver du plaisir d’envoyer l’ancien président en correctionnelle. Et tant pis si Renaud Van Ruymbeke, également en charge du dossier Bygmalion, a refusé de signer l’ordonnance, renforçant le sentiment qu’il y avait un loup.

Éliane Houlette se voit volontiers en tombeuse de Fillon, mais si on lui apportait, via Le Canard, un dossier sur Macron, Hamon ou un autre des « gentils », elle ouvrirait sans doute aussi sec. C’est que Houlette n’est ni une juge rouge ni une juge aux ordres. C’est pire : elle est en mission. Elle veut participer au grand ménage, et peu lui importe que la séparation des pouvoirs ait à en souffrir. Sauf que celle-ci n’est pas une fanfreluche pour cours de droit, elle est la garantie que nous ne vivons pas sous l’emprise de juges que nous n’avons pas élus. L’activisme de Mme Houlette est d’autant plus effrayant que le PNF dispose de pouvoirs exceptionnels. Maître de sa saisine (qui dans les faits n’est pas susceptible de recours au stade de l’EP) et de son champ de compétences, il décide aussi de la procédure (comparution directe ou nomination d’un juge d’instruction) et surtout du calendrier. En l’espèce, il semble avoir choisi de prolonger le plus possible l’EP : outre l’effet « supplice chinois » (ou « épée de Damoclès », au choix), cela lui permet de garder la main sur un dossier auquel seuls la Justice, la police et les journalistes du Monde ont accès, à la différence des avocats.

Il faut rappeler que le PNF a été créé, dans la foulée de l’affaire Cahuzac, en théorie pour s’occuper des affaires complexes, en réalité pour s’occuper des affaires tout court – les dossiers Fillon n’ont rien de complexe et concernent des montants ridicules au regard des sommes habituellement brassées par le PNF. Si on ajoute que François Molins, le procureur de Paris, ne passe pas pour un homme de gauche, on peut imaginer que le pouvoir a voulu disposer d’une instance, sinon à sa main, du moins plus facile à truffer de sympathisants. De toute façon, dans le cas de Fillon, le pouvoir n’a pas vraiment besoin de manipuler la justice : elle court devant lui. Et ça, ça fiche la trouille.

Le chœur des vierges médiatiques, furieux de voir qu’on ne lui obéit pas, répète avec obstination qu’en Suède ou en Patagonie, Fillon eut été contraint de renoncer. Grand bien fasse aux Suédois et aux Patagons, si c’est ce qu’ils veulent. On aimerait être sûr qu’en France, ce sont les électeurs qui décident, et que le scrutin n’est pas confisqué par des intrigues d’arrière-boutique. Nous n’avons nullement décidé, à Causeur, de faire campagne pour François Fillon, mais s’il est battu, il faut que ce soit à la loyale. Finalement, l’enjeu de cette affaire est simple : il s’agit de savoir qui, du peuple ou de la sainte-alliance des juges et des journalistes, choisira le prochain président de la République. Autrement dit, si nous sommes toujours en démocratie.[/access]

Macron: Au secours, Hollande revient!

macron bensoussan gauchet ophuls

Je vous aurais ri au nez. Il y a trois mois, si vous vous étiez hasardé à pronostiquer l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, cette (mauvaise) blague m’aurait fait hausser les sourcils.  Mais voilà, le Penelopegate étant passé par là, le pédalo Hamon peinant à dépasser sa voiture de croisière, voici l’ancien ministre de l’Economie intronisé nouveau favori des sondages, assuré de son élection s’il se retrouvait opposé à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Sur l’Algérie française, la Manif pour tous, le passé, le présent et l’avenir, le fils prodigue de Hollande n’est pas à une contradiction près. Comme le relève malicieusement Elisabeth Lévy, de louvoiements en volte-face, le candidat En marche accorde « cinq minutes pour Jeanne d’Arc, cinq minutes pour Steve Jobs ». A force de vouloir « plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos, il risque évidemment de décevoir tout le monde ».

Un télévangéliste thaumaturge

Un peu à la manière de Hollande, le panache d’un télévangéliste thaumaturge en plus. Conciliant les contraires, Macron incarne le « candidat des milliardaires et des sous-prolétaires » dans la « pure logique de la mondialisation » pour Jean-Luc Gréau. D’après notre ami économiste, « le candidat du système coupe le pays en deux : d’une part, la France bénéficiaire de la masse de nos aides sociales, mais exonérée de charges sociales ou fiscales, et, d’autre part, la France qui paie plein pot pour bénéficier de la même protection sociale ». Quoi qu’en dise le chouchou des sondages, l’économie n’explique ni ne résout tout. Ainsi Alain Finkielkraut se désole-t-il de sa « vision économique du monde » : « Quand il s‘y tient, il laisse échapper l’essentiel. Quand il en sort, il déraille. Et quand il veut se rattraper, il déraille encore. » La preuve en meeting à Toulon le 18 février, face à un parterre de pieds-noirs, qui a eu droit au malencontreux « Je vous ai compris », en présence de notre envoyé spécial Pierre Lamalattie qui, face au désarroi du prétendant, songe à « ces situations où, voulant effacer une tache, on ne fait que l’étaler »… A Lyon, Luc Rosenzweig a néanmoins rencontré le noyau de l’appareil militant macronien constitué par le maire rhodanien Gérard Collomb, qui fournit un ancrage local à cet ancien conseillé du prince étranger au suffrage universel.

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« Surtout si vous n’êtes pas d’accord », dit notre slogan. Aussi notre camarade macronien lucide Hervé Algalarrondo soutient mordicus le champion de la grande coalition centriste, à une réserve près : EM « assure vouloir réconcilier les deux France, mais en oublie une et de taille : celle des ouvriers et des employés ! »

En sus de ce dossier roboratif, dont je n’ai pu décrire tous les papiers par le menu, notre volet actualités commence par un entretien fleuve avec Marcel Gauchet. L’auteur de L’avènement de la démocratie s’interroge sur le devenir de l’Occident, de l’Europe et de nos démocraties désenchantées. La liberté, pour quoi faire ? A l’heure postmoderne, l’interrogation bernanosienne n’a rien perdu de son actualité.

L’Amérique selon Trump

S’insurgeant contre la curée de campagne anti-Fillon, notre reine Elisabeth s’inquiète de la collusion des juges et des médias, peut-être aidés par certaines officines de la République. « Au demeurant, personne ne semble soupçonner le parquet national financier d’être à l’origine des fuites. En régime d’enquête préliminaire, où seuls les policiers et le parquet ont accès au dossier, le plus probable est qu’elles émanent de la Place Beauvau », conjecture notre cheftaine. De l’affaire Théo chroniquée par Cyril Bennasar aux racines ultralibérales du revenu universel qu’analyse Julien Damon, l’heure est encore une fois à l’éclectisme. A fortiori après un détour par l’Amérique de Trump et de l’Alt Right vue par Sami Biasoni et Jeremy Stubbs.

En guise d’entremet culturel, Patrick Mandon nous offre un grand entretien avec le documentariste Marcel Ophuls, qui se souvient de son père, de la mémoire et de son inoubliable Chagrin et la pitié. Revenu de ses pérégrinations toulonnaises, Pierre Lamalattaie se consacre à nouveau au grand art au fil de l’expo sur Valentin de Boulogne au Louvre. Un grand maître à découvrir jusqu’à fin mai.

Enfin, l’enseignante Barbara Lefebvre, figure des Territoires perdus de la République, nous livre une défense et illustration de Georges Bensoussan contre ses calomniateurs. Double ration de Finkielkraut et retour de Basile de Koch, que demander de plus ?


Causeur #44 – Mars 2017 par causeur

« Les Fleurs bleues »: portrait d’un autre Strzeminski

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Boguslaw Linda dans "Les Fleurs bleues" de Andrzej Wajda.

La grande dame de la critique littéraire polonaise, Maria Janion, disait de Wajda qu’il fait ses films « à l’ombre des évènements à venir ». C’est un point de vue à retenir quand on s’apprête à découvrir l’œuvre posthume du maître polonais, sorti en salles, mercredi. Les fleurs bleues, titre grand public de l’intraduisible « Powidoki » (approximativement « images rémanentes » en polonais), une des notions-clés de la théorie de l’art de Wladyslaw Strzeminski, pionnier de l’avant-garde constructiviste, à qui Wajda rend hommage, a en apparence tout d’un film historique.

Ce que la Pologne soviétique laisse apercevoir de notre époque

A travers la déchéance de Strzeminski dans les dernières années de sa vie, lesquelles correspondaient à la stalinisation de la Pologne, Wajda dresse le monument d’un artiste total, insoumis aux ukases du régime et prêt à en payer le prix, tout comme il dépeint le paysage monochrome d’une époque où la « banalité du mal » s’épanouissait sans entraves. Certes, sans le civisme exemplaire des citoyens de la nouvelle République populaire, le sort de Strzeminski aurait été moins dur. Du moins, pense-t-on, qu’un tube de peinture ou les deux cents grammes de saucisse qu’on a refusé de lui vendre, auraient rendu son quotidien moins pénible. Mais le plus intéressant n’est pas ce que Wajda raconte, de manière fort subjective, de Strzeminski ou du stalinisme. Le plus passionnant est ce que l’histoire racontée par Wajda, laisse apercevoir de notre époque.

Là-bas, en Pologne, le pouvoir conservateur enjoint les artistes de créer dans un esprit patriotique, en leur rappelant à tout bout de champ qu’il est de leur rôle premier de « glorifier la Pologne » et, au passage, son saint martyr, Lech Kaczynski. Les députés de Droit et Justice se sont opposés – certainement pour cette raison – à la remise du titre de citoyen d’honneur de la ville de Gdansk à Wajda. Ici, en France, il n’y a guère de patriotisme mais l’apogée du « meklatisme », en vertu duquel la médiocrité la plus vulgaire et la provocation la plus insupportable, pourvu qu’elles sortent de la banlieue, valent toujours mieux qu’une pensée complexe venue d’ailleurs. En somme, la question posée à Strzeminski par le commissaire politique, « Etes-vous avec ou contre-nous ? », semble d’une actualité déconcertante.

Bien qu’il s’ouvre sur un plan panoramique d’une campagne polonaise où Strzeminski supervise le travail en plein air de ses étudiants, le film de Wajda se déroule quasi exclusivement dans des espaces clos : appartement du peintre, bureaux, salles de l’Ecole supérieure des arts plastiques, boutiques, couloirs d’hôpital. Il faut probablement y voir un choix délibéré du réalisateur, moyennant quoi le spectateur devient prisonnier de l’atmosphère de l’époque, étouffante et viciée. A l’image de Strzeminski dont la fenêtre vient d’être entièrement obstruée par un immense portrait de Staline sur fond rouge et qu’il se hâte de percer avec sa béquille, on a par moments envie de crever l’écran pour respirer. Sans passer outre la symbolique, un peu lourde, de la scène. Voici qu’un artiste, de surcroît amputé d’un bras et d’une jambe, se met debout et, sans penser aux conséquences, déchire le visage d’un tyran, afin que la lumière naturelle pénètre dans son atelier et lui permette de continuer à peindre. David contre Goliath version Europe de l’Est.

Qui était vraiment Strzeminski ?

Pourtant Strzeminski n’a pas été ce héros immaculé et digne en lequel Wajda voudrait nous faire croire. A peine esquissée, sa vie privée dont le réalisateur a décidé de nous montrer uniquement la face solitaire et brave, lui a valu en réalité la réputation d’être une ordure à qui on ne voulait plus serrer la main. Le raisonnement de Wajda semble sur ce point aussi clair que justifié : ce n’est pas parce que Strzeminski maltraitait sa femme, une artiste peut-être plus grande que lui, que le régime totalitaire aurait eu le droit de maltraiter Strzeminski, en même temps que le spectateur serait excusé de penser que le salaud n’a eu que ce qu’il méritait. Qui alors était vraiment Strzeminski ?

Parus en Pologne, deux ouvrages permettent de compléter sa biographie. Il s’agit tout d’abord du livre de Malgorzata Czyzewska dédié à Katia von Kobro, alias Katarzyna Kobro, femme de Strzeminski. Puis des mémoires de la fille unique du couple, Nika Strzeminska. Cette dernière, jouée dans le film par la remarquable Bronislawa Zamachowska, a consacré une partie de sa vie à conserver l’héritage artistique de ses parents, tout en notant à leur propos : « J’ai toujours eu peur qu’à l’avenir mon couple ne ressemble à celui de ma mère et de mon père, dans lequel il n’y a eu ni tendresse, ni  bienveillance, ni amour. ». Cela n’a pourtant pas été toujours le cas. Jeune, Strzeminski a fait la connaissance de Katia Kobro à l’hôpital militaire à Moscou, au printemps 1916. Il y était soigné de ses blessures de guerre, infligées non pas par l’ennemi, mais par son propre subalterne, qui avait eu la maladresse de trébucher avec une grenade dégoupillée à la main. Elle, une Russe d’origine allemande, issue d’une riche et noble famille de marchands, y travaillait comme garde-malades. Plus tard, Strzeminski dira qu’il était devenu artiste grâce à sa femme.

L’un des plus émouvants films de Wajda

En effet, après son passage par le corps moscovite des cadets, Strzeminski avait fait l’Académie Nicolas du Génie à Saint- Pétersbourg et, sans l’accident, aurait probablement mené une carrière militaire. Son initiation à l’art a commencé pendant sa convalescence avec la découverte des impressionnistes et des cubistes. Il s’était aussitôt inscrit à l’Institut national des arts appliqués Stroganov et, après la Révolution, avait commencé à travailler comme assistant de Malevitch. Katia Kobro étudiait également les arts, bâtissant une réputation de sculpteuse talentueuse. Ils se sont mariés en 1920 à Smolensk, où Malevitch a confié à Strzeminski la direction de l’antenne locale de l’Unovis, groupement éphémère d’artistes russes voués au développement des idées suprématistes dans l’art. Les critiques véhémentes de Lénine à l’adresse des avant-gardistes, les ont fait fuir la Russie sans parvenir à les transformer en ouvriers sacrifiant leur talent au service des masses travailleuses. Ils avaient rêvé de pousser leur exode jusqu’à Paris, mais n’ont eu les moyens que pour aller à Lodz, près de Varsovie. Pendant la guerre, Katia von Kobro avait sauvé sa famille en signant la dite « liste russe », créée par les Allemands à l’intention des Russes blancs, qui ainsi bénéficiaient d’un traitement de faveur. Emporté par un patriotisme vindicatif, Strzeminski ne le lui a jamais pardonné et a fait de l’humiliation de sa femme son passe-temps favori. C’est sous le prétexte que Katia « dénationalisait » leur fille, qu’il avait par ailleurs tenté d’obtenir la garde exclusive de l’enfant, qu’un jugement du Tribunal lui refusa. Les témoins s’étaient prononcés au profit de la mère, pointant le caractère colérique et instable de Strzeminski. Katia von Kobro est décédée d’un cancer, dans la même solitude dans laquelle peu de temps après est mort Strzeminski, atteint de tuberculose.

Wajda drape l’agonie de Strzeminski d’une étoffe majestueuse. Employé à décorer des vitrines de boutiques, un des plus grands artistes de l’avant-garde mondiale s’écroule en se débattant contre des mannequins en résine. Derrière la vitre la foule anonyme passe, dans une  indifférence totale. Si Les Fleurs bleues ne compte pas parmi les meilleurs films de Wajda, il est sans doute un des plus émouvants car des plus autobiographiques. Après avoir arraché la figure de l’ouvrier au pouvoir communiste avec L’Homme de marbre, le chef de file de ce qu’on appelle en Pologne le courant du cinéma de « l’inquiétude morale », semble avoir voulu dans son dernier film récupérer la figure de l’artiste des mains des nationalistes. Et il y a réussi.

Sainte Taubira, pleurez pour elle!

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Christiane Taubira, février 2017. SIPA. AP22010721_000006

Pour certains, la vie est un long fleuve tranquille. Pour d’autres – et Christiane Taubira en témoigne avec l’éloquence emphatique qui est sa marque – c’est une vallée de larmes. Pleure, ô mon pays bien-aimé… Pleurez, martyrs de la vérité… Et vous tous qui avez le cœur sec, écoutez la triste complainte de la pauvre Taubira.

Elle a certainement souffert en Guyane des abominations de la colonisation française. Elle a certainement vécu dans sa chair émue les horreurs que nous avons infligées à l’Afrique noire. Mais depuis un certain temps, elle fait preuve d’une louable retenue sur ces douloureuses questions. C’est d’elle-même, de sa souffrance personnelle qu’elle a voulu parler en s’affranchissant de sa timidité et de sa modestie naturelles.

Chez l’ancienne garde des Sceaux, tout sonne faux

Elle était interviewée dans Le Monde où on l’interrogeait sur les propos d’Emmanuel Macron, selon lesquels, lors du débat sur le mariage pour tous, les opposants à cette loi avaient été « humiliés ». Et là, la lionne blessée a rugi. Son cri de colère mérite d’être cité en entier tant il atteint les cimes de la perfection lyrique :

« Qui a été humilié ? Celle qu’on traitait de guenon tous les matins ? Celle qui recevait des menaces de mort ? Celle sur qui on lançait des œufs ? A l’inverse, qu’on trouve un quart de virgule où j’aurais tenu un propos humiliant. Ce n’est pas faute d’en avoir entendu et d’avoir quatre enfants qui, en se levant le matin, les entendaient.

Mais je ne compte pas, je fais rempart parce que, derrière moi, il y a des gens. Les agressions physiques homophobes, c’est la Manif pour tous qui les a supportées ? Les insultes homophobes, la disqualification de toute famille en dehors de celle avec un papa, une maman, un petit garçon et une petite fille… Ces gamins qui ont entendu qu’on les traitait d’“enfants Playmobil”. Elle était dans quel camp, l’humiliation ? »

On aimerait faire crédit à Christiane Taubira et lui accorder, le temps d’un article, une présomption de sincérité. Mais on ne peut tant l’outrance est grande, renforcée de surcroît par une grandiloquence dégoulinante. « Guenon » tous les matins ? Une – oui, seulement une – imbécile frontiste l’a caricaturée en singe. Et c’est déjà trop. On lui a lancé des œufs ? Oui, deux ou trois crétins racistes, et tout crétin raciste doit être dénoncé pour ce qu’il est. Des agressions physiques homophobes ? Oui, mais elles sont le fait – et Christiane Taubira ne peut l’ignorer – des jeunes de banlieue qu’elle aime tant.

Chez l’ancienne garde des Sceaux, tout sonne faux. Elle fait sonner les cloches du désespoir et on entend un bruit de mensonge. Elle affecte de pleurer et on a aussitôt le sentiment qu’elle ricane en douce. Elle s’adresse à notre cœur et on ne peut s’empêcher de penser qu’elle nous prend pour des cons. Christiane Taubira n’est pas candidate à la présidence de la République. C’est dommage : on aurait su pour qui ne pas voter !

Marianne & Macron, le jeu des 7 erreurs

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macron bayrou marianne
A gauche, le Une de Marianne du 19 janvier. A droite, celle du 24 février.

Ami lecteur, sauras-tu retrouver les modifications opérées, sans doute par distraction, entre la ligne éditoriale de Marianne du 19 janvier (n°1033) et celle du 24 février (n°1039) ?

Les 100 premières bonnes réponses gagneront toute mon affection.

Comment sauver les travailleurs indépendants du RSI

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Manifestation des travailleurs indépendants contre le RSI, septembre 2015. SIPA. 00723958_000020
Manifestation des travailleurs indépendants contre le RSI, septembre 2015. SIPA. 00723958_000020

Au commencement était la démagogie

Le rapport entre les travailleurs indépendants et la Sécurité sociale est problématique depuis fort longtemps. En 1947, le ministre du Travail et des Affaires sociales Daniel Meyer a pourtant clairement expliqué les choses à la commission chargée de préparer la généralisation de la Sécurité sociale aux travailleurs non-salariés : « Dans le domaine de la vieillesse, il est manifeste qu’aucun régime d’assurance n’est viable s’il ne s’adresse pas à un groupe social dans lequel la répartition entre les éléments âgés et les éléments actifs présente une certaine stabilité. Or, il n’est pas exagéré de dire que c’est seulement dans le cadre de la population d’un pays que l’on peut trouver cette stabilité. »[1. Comité d’histoire de la sécurité sociale, La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes, tome III, p. 90.] Mais la commission ne tint pas compte de ces propos de bon sens, ce que le rapporteur Lory a exprimé en ces termes : « Il est apparu que la solidarité professionnelle plus forte que la solidarité nationale permettrait de vaincre les obstacles psychologiques qui avaient contribué à l’échec de la généralisation de la sécurité sociale. »

La loi du 17 janvier 1948 suit la recommandation du rapport Lory : elle instaure 4 caisses vieillesse autonomes, respectivement pour les artisans, pour les industriels et commerçants, pour les professions libérales, et pour les agriculteurs. Le ministre a beau regretter les « égoïsmes de catégories sociales qui ont ce résultat que, maintenant, la loi n’est plus tellement une loi de sécurité sociale », le texte est voté à l’unanimité. Dès lors le ver est dans le fruit ; 69 ans plus tard, nous sommes face aux conséquences désastreuses d’une loi dont l’esprit était : votons ce qui est psychologiquement acceptable, et après nous le Déluge !

L’invention du RSI

En 2005, sous le gouvernement Raffarin, la décision fut prise de fusionner les caisses de travailleurs non-salariés non agricoles (les « non-non », disait-on familièrement). Le régime des exploitants agricoles ayant été antérieurement confié à la Mutualité sociale agricole (MSA) ne fut pas concerné. Les professions libérales, très attachées à leurs caisses de retraites complémentaires majoritairement liées à une profession particulière (médecins, vétérinaires, notaires, etc.), restèrent également en dehors du mouvement de fusion pour ce qui est de l’assurance vieillesse. Restait donc comme fusion à opérer celle de deux carpes et d’un lapin, les carpes étant la CANCAVA des artisans et l’ORGANIC des industriels et commerçants, tandis que le lapin était l’Assurance maladie et maternité des professions indépendantes (l’AMPI), qui assurait également les professionnels libéraux.

A lire aussi >> Pour une vraie réforme libérale de la Sécurité sociale: autonomie et responsabilité en seraient les piliers

La mise au monde du Régime social des indépendants (RSI) se fit au forceps : sous forme de trois ordonnances, la première du 31 mars 2005 et les deux autres du 8 décembre 2005. La conception remontait à la loi du 2 juillet 2003 « habilitant le gouvernement à simplifier le droit » en procédant par ordonnances de façon à permettre aux « non-non » de s’adresser à un « interlocuteur social unique » (ISU).

La fusion des systèmes informatiques, réalisée dans un climat de lutte pour le pouvoir, a débouché sur une monstruosité, produisant un taux d’erreurs équivalent à celui du logiciel Louvois qui empoisonne depuis des années la vie de nos militaires. La mise en commun réussie des moyens informatiques de l’Association générale des institutions de retraite des cadres (l’AGIRC) et de l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (l’ARRCO) montre heureusement que de tels cafouillages ne sont pas une fatalité, mais le résultat de la gestion politicienne d’un problème essentiellement technique. Les commissaires aux comptes ont fait des refus de certification et la Cour des comptes et  l’Inspection générale des affaires sociales (l’IGAS) produit des rapports accablants. L’encaissement maladroit des cotisations par les URSSAF, nullement habituées à traiter avec des travailleurs indépendants, a alors été particulièrement mal vécu par les artisans et commerçants.

Des assurés sociaux très mécontents

L’exaspération de nombreux travailleurs indépendants a été révélée une fois de plus par une enquête récente commandée par le Syndicat des Indépendants : 76 % d’entre eux auraient une mauvaise opinion des services rendus par le RSI. Les passages à la formule « société par actions simplifiée unipersonnelle » (SASU), qui permet de bénéficier du régime général en tant qu’assimilé salarié, se multiplient.

Face à cette mauvaise cote du RSI auprès de ses adhérents, des candidats à la présidence de la République (Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon) ont fait différentes propositions, dont la suppression de ce régime, qui serait absorbé par celui des salariés. Les administrateurs du RSI essayent de sauver leur institution en proposant quelques augmentations de la générosité du régime, et en demandant que le statut de SAS ne permette plus d’échapper aux cotisations en se rémunérant sous forme de dividendes, ce qui augmente le revenu disponible dans l’immédiat, mais au prix d’un affaiblissement des droits à pension. Tout cela manque singulièrement de hauteur de vue.

La solution : l’unité grâce à la diversité

Ce problème particulier du RSI fournit une indication qui permettrait de réaliser enfin, de façon intelligente, le projet de Sécurité sociale commune à tous les Français (un seul régime) – projet qui avait été inscrit dans la loi à la Libération – tout en respectant les particularismes professionnels. Les malheurs des adhérents au RSI indiquent en effet ce qu’il faut faire pour réaliser ce grand œuvre : dissocier les notions de régime et de caisse. Le régime est un ensemble cohérent de règles juridiques définissant les droits et les devoirs des assurés sociaux, la façon dont ils acquièrent une couverture sociale et ce en quoi consiste cette couverture. La caisse est un organisme qui rend à certains assurés sociaux le service d’encaisser leurs cotisations et de calculer puis de verser les prestations auxquelles ils ont droit, et qui leur propose éventuellement des services complémentaires.

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Les indépendants ont des spécificités importantes. Leur revenu est pour la majorité d’entre eux difficile à calculer : ils doivent avoir comme interlocuteur une caisse dont les employés connaissent ces particularités et savent en tenir compte. Chaque assuré social devrait avoir le droit de choisir sa caisse, mais cette liberté de choix est encore plus vitale pour les indépendants que pour les salariés. Les médecins ont des besoins différents de ceux des experts comptables, c’est pourquoi les premiers sont bien avec la CARMF et les seconds avec la CAVEC. Parmi les commerçants et artisans il existe aussi une grande diversité : il serait bon qu’ils aient le choix entre différentes caisses, appliquant bien entendu les mêmes règles pour la Sécurité sociale, mais chacune de manière adaptée aux particularités de sa clientèle. De plus, ces caisses professionnelles pourraient proposer, comme les « sections » des professions libérales, tous les compléments souhaitables, que ce soit en matière de retraite par capitalisation, de complémentaires santé, d’invalidité permanente ou temporaire, etc.

La Sécu doit imiter la gastronomie

Ce schéma de fonctionnement de la Sécurité sociale, la même pour tous, mais servie à chacun avec un assaisonnement adapté à ses spécificités et à ses préférences, constitue clairement une novation conceptuelle par rapport au schéma bureaucratique selon lequel fonctionne notre État providence. Les Français sont gastronomes : ils savent que la même pièce de bœuf, le même filet de sole, les mêmes haricots verts, peuvent être cuisinés de quantité de façons différentes, et chacun d’eux choisit le restaurant dont les recettes réjouissent particulièrement ses papilles. Disons que la retraite est une côte de bœuf, l’Assurance maladie une sole et les prestations familiales une poignée de haricots verts, et laissons chaque Français choisir son restaurant : le problème du RSI, et quantité d’autres, deviendront presque faciles à résoudre.

Macron, prophète de bonheur

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Emmanuel Macron François Hollande Campagne présidentielle Marine Le Pen
Meeting d'Emmanuel Macron au Palais des Sports de Lyon, 4 février 2017
Emmanuel Macron François Hollande Campagne présidentielle Marine Le Pen
Meeting d'Emmanuel Macron au Palais des Sports de Lyon, 4 février 2017

Grâces soient rendues à Sylvain Fort. Ce garçon, que je n’ai jamais vu mais avec qui j’ai eu quelques échanges écrits et téléphonés, plutôt amicaux au demeurant, fait partie des porte-parole d’Emmanuel Macron. Après nous avoir baladés pendant des semaines, Pierre Lamalattie et moi-même – lui pour un reportage, moi pour un entretien –, il m’a finalement fait comprendre que les articles plutôt vachards, et c’est un euphémisme, publiés sur causeur.fr, ne donnaient guère envie à son candidat de répondre favorablement à nos demandes. Blacklister les journalistes considérés comme trop critiques, n’est-ce pas un peu trumpiste sur les bords ? Peu importe, c’est sans doute mieux comme ça. Qui sait ce qui serait arrivé, si la rencontre avait eu lieu. Comme le dit drôlement Vincent Castagno, si ce gars pouvait serrer la main de tous les Français, il serait élu avec 100 % des voix.

Si ça se trouve, j’aurais été, moi aussi, touchée par la grâce et je serais présentement dans un meeting, à applaudir au signal de l’ambiance team avec un tee-shirt « Macron président ». Il y a un mystère Macron et le réduire à une création médiatique serait ne rien y comprendre. Si l’ancien ministre de Manuel Valls est à l’évidence le chouchou du parti des médias, il n’est pas seulement cela. La séduction qu’il exerce sur des gens très différents, allant de vieux briscards de la politique à de parfaits novices, ne repose pas seulement sur un marketing bien rodé, mais aussi sur un charisme réel dont on peine à comprendre pourquoi il enchante les uns et laisse les autres de marbre.

Macron voudrait plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos. Il risque, évidemment, de décevoir tout le monde.

Aussi étrange que cela soit, cet homme passé par nos meilleures écoles, par la banque privée et par le gouvernement de la France, apparaît un phénomène nouveau. Au rayon politique, Macron est incontestablement ce que nous avons de plus frais. Au moment où nous avons décidé de lui consacrer notre « une », la rédaction de Causeur comptait quelques fervents macronistes qui se sont fait passablement chahuter. Au terme de cette réunion chaotique et joyeuse, Gil Mihaely avait trouvé la clef de l’énigme : « Arrêtez de vous chamailler sur son programme, c’est lui le programme », lançait-il pour ramener le calme. Quelques jours plus tard, Macron déclarait au JDD : « La politique c’est un style. […] C’est une magie. » Le problème, avec les illusionnistes, c’est que, même quand on marche, on a du mal à oublier qu’il y a un truc. Sa voix éraillée de[access capability= »lire_inedits »] rock-star en fin de concert, ses manières de télévangéliste lassent un peu. On commence à trouver que ce folklore a des relents vaguement sectaires. Après tout, ce n’est ni un gourou ni un directeur de conscience que nous devons élire en mai.

Dans cette campagne pleine de rebondissements, on sait ce que valent les prédictions. Reste qu’après un début de campagne en fanfare, facilité par la déroute de Fillon, la magie Macron semble marquer le pas, y compris à Causeur. Peut-être ces ingrats d’électeurs ne trouvent-ils pas suffisant qu’on leur dise qu’on les aime, même d’une belle voix chaude.

Il faut dire qu’entre-temps, Macron a bien été obligé de sortir de l’ambiguïté et, comme le pronostiquaient les commentateurs en paraphrasant le cardinal de Retz, cela ne pouvait être qu’à son détriment. Son discours de Lyon, dans lequel il a décrété : « Il n’y a pas de culture française. Mais il y a des cultures en France », puis son faux pas d’Alger, où il a qualifié la colonisation française de crime contre l’humanité, ont montré les limites de la stratégie « une cuillère pour la gauche, une cuillère pour la droite » – ou « une cuillère pour Jeanne d’Arc, une cuillère pour Steve Jobs ». Macron voudrait plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos. Il risque, évidemment, de décevoir tout le monde.

Au fil des semaines, on a vu donc apparaître, derrière l’apparente nouveauté du costume un personnage pour le moins classique. Comme Ségolène Royal, Macron conjugue un ancrage décidé dans le cercle de la raison à un style New Age qui lui donne un petit air de prophète, mais de prophète du bonheur. Libéral sur le plan économique, libertaire sur le plan sociétal, immigrationniste, européiste et libre-échangiste, convaincu que toutes les questions identitaires sont solubles dans la croissance économique, Macron est, au fond, une incarnation très classique du bloc central de la société française – que Marine Le Pen avait, non sans finesse, baptisé UMPS.

Dans ces conditions, le jeune prodige de la politique française pourrait bien être le meilleur continuateur du président qu’il a abandonné. Bien qu’il regrette sans doute vivement de ne pas avoir tenté sa chance lui-même, François Hollande a, semble-t-il, pardonné la trahison du fils prodigue et en attendant de tuer le veau gras, il a laissé Ségolène Royal faire allégeance. Récemment, il a suggéré à l’un de ses amis, rappeur de son état, d’attendre encore un peu avant de rejoindre officiellement En Marche !. Mais Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, qui soutient officiellement Hamon, s’est dit prêt à voter pour lui dès le premier tour s’il fallait faire barrage à Marine Le Pen. Et quand Le Foll parle, c’est souvent Hollande qui pense. Bien sûr, une consigne de ce type pourrait libérer les plus légitimistes des électeurs socialistes qui hésitent à abandonner le candidat de leur parti. Toutefois, un soutien trop clair du président risquerait de rappeler au bon peuple que Macron, en dépit de sa jeunesse, n’est pas un perdreau de l’année, et qu’il n’est pas sorti tout armé des ondes mais de deux ans à Bercy. Surtout, promettre aux Français un second quinquennat Hollande n’est pas nécessairement le moyen de réenchanter leur vie comme tous les candidats promettent de le faire. Bref, si Hollande et Macron continuent à travailler main dans la main, ni l’un ni l’autre n’a intérêt à ce que cela se sache.

Le charme, l’intelligence, la culture et même la beauté : à l’exception, peut-être, de l’humour, dont on ne dirait pas qu’il est son point fort, mais je peux me tromper, Emmanuel Macron a toutes les qualités. Et pourtant, on a du mal à se départir de l’impression qu’il est le genre d’homme à vous glisser entre les doigts. Macron ne cesse de dire qu’il aime tous les Français. Fort bien. On aimerait être sûr qu’il aime aussi la France. [/access]

OTAN: coup de semonce des États-Unis

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usa europe trump otan defense

usa europe trump otan defense

D’invitation à faire quelque chose, le mot semonce a changé de sens, jusqu’à désigner une mise en garde ferme. Un glissement sémantique qui se retrouve dans les rapports États-Unis – Europe au sein de l’OTAN.

Alors qu’il était seulement candidat, le président américain a tout au long de l’année 2016, multiplié les déclarations sur sa volonté de faire payer ses alliés, notamment européens, pour la contribution que les États-Unis apportent à leur défense. Il estime que les Européens ne font pas les efforts suffisants pour équilibrer la contribution américaine au sein de l’OTAN, allant même jusqu’à menacer de ne pas remplir ses obligations si les Européens ne remplissait pas les leurs.

Trump accuse le laxisme européen

Ce message a été retransmis le  15 février 2017 aux ministres de la défense européens, lors d’une réunion à Bruxelles, par Jim Mattis, le ministre de la Défense américain. Une intervention vue comme un « ultimatum » par la presse américaine et comme « rassurante » par la presse européenne. Une différence d’analyse qui reflète bien les positions politiques de chaque côté de l’Atlantique. Les Européens estiment avoir besoin de la puissance militaire américaine alors que les États-Unis, qui sont fortement investis militairement depuis 2001 au Proche Orient, veulent, et cela depuis la chute de l’URSS et la montée en puissance de la Chine reporter leurs efforts militaires sur le Pacifique. Les accusations portées par le président Trump contre le laxisme européen en matière de défense ne sont donc pas nouveaux mais la critique contre l’OTAN en tant que telle est un fait nouveau plus surprenant.

Il faut mettre en évidence les lignes de forces structurant la relation transatlantique pour comprendre la portée des multiples déclarations sur la question de la défense de l’Europe et de l’OTAN.

Le traité de Washington (14 avril 1949) scellait, dans son article 5, un pacte de défense entre 12 pays[1. Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni.] pour faire face collectivement à toute attaque contre le territoire de l’un des signataires. Afin de parfaire la capacité à répondre à la menace militaire de l’URSS implicitement désignée comme l’ennemi potentiel, une organisation civilo-militaire fut mise en place.

Une OTAN en plusieurs strates

L’organisation civile, avec notamment le Conseil de l’Atlantique nord (CAN), régule les processus de la décision politique alors que l’organisation militaire intégrée, sous les ordres du SACEUR (Supreme Allied Command in Europe ou Commandant suprême des forces alliées en Europe) constitue une architecture d’états-majors et de troupes prêts à réagir. Cette structure permanente combinée et ses efforts d’harmonisation des procédures et des matériels (interopérabilité) en ont fait une remarquable mécanique d’intégration pour des forces multinationales. C’est pourquoi, après la disparition de l’ennemi soviétique, elle a pu perdurer pour remplir des missions en liens de plus en plus lâches avec son objectif initial de défense du territoire européen des pays membres, qu’il s’agisse d’opérations coercitives (Bosnie Herzégovine – 1992/ ; Kosovo-depuis 1999/ ; Afghanistan-2003/2014, …), de lutte contre le terrorisme islamiste, la piraterie ou de secours aux populations. Elle a été, dans plusieurs de ces opérations, le bras armé du Conseil de sécurité.

Il faut donc d’abord comprendre que « l’organisation » n’est qu’un outil bifide (politique/militaire) de « l’Alliance ». L’administration américaine prend bien en compte cette distinction pour porter ses critiques sur un rééquilibrage entre États membres pour la création et l’entretien de la caisse à outils militaires et non les chantiers sur lesquels les employer (décision politique).

En effet, l’organisation politique (CAN) est la seule instance dans laquelle États-Unis et autres pays occidentaux peuvent se retrouver pour parler de sujets politiques. Et les États-Unis ne veulent pas céder sur cet avantage : les nouvelles autorités américaines se sont rendues au siège de l’OTAN, le président Trump doit rencontrer les dirigeants des pays de l’OTAN en mai 2017. Dans les autres instances internationales sont présents des pays tiers. Quant à l’Union européenne, aucun contact n’a été pris à ce stade. De leurs côtés, les pays membres ont intérêt à conserver cette organisation politique qui leur permet d’avoir un droit de regard sur toute opération de l’OTAN même s’ils n’y participent pas (raisons pour lesquelles, par exemple, les pays membres avaient insisté pour faire conduire les opérations en Libye par l’OTAN).

Pour la Maison blanche, le volet militaire de l’Alliance importait lorsqu’il était vu comme un outil pour renforcer (Afghanistan), voire remplacer (Libye) un engagement direct américain. Mais le nouveau président ne veut plus participer au traitement de toutes les crises, donc l’outil devient moins utile pour lui. A l’inverse, pour les pays européens, la dimension militaire importe de plus en plus, car elle est garante de l’existence d’une capacité de défense, à moindre coût, grâce à la puissance américaine. Ainsi, le budget de défense des États-Unis représente 70% du total des budgets militaires des pays membres. Ils sont quasiment les seuls à appliquer la règle d’affectation de 2 % du PIB à la défense[2. Une règle fixée pour tenter d’enrayer la décroissance des budgets de défense au sein de l’Alliance. Outre les États-Unis avec un taux de 3,6 % représentant 664 058 millions de $, seuls le Royaume uni, la Grèce, l’Estonie et la Pologne dépassent ce seuil pour un total cumulé de 77 656 millions de $.]. C’est bien ce que les États-Unis reprochent depuis la fin de la guerre froide à leurs partenaires européens qui ont glissé vers la facilité de « toucher les dividendes de la paix ». Après les supplications, puis les injonctions, voici maintenant venu le temps des mises en garde, dans le style direct du nouveau président, sur l’idée de « pas d’engagement militaire américain, s’il n’y a pas un meilleur partage du fardeau financier ».

Des Européens conscients mais coincés

Certes, l’on peut supposer que les dirigeants européens sont conscients de la vulnérabilité de leur défense face aux menaces grandissantes. Qu’elles soient sur leurs frontières Est ou résultent du développement d’une idéologie islamiste fortement anti-occidentale en voie de s’installer solidement, si elle n’est pas contrecarrée à temps, sur ses frontières sud, de l’Atlantique jusqu’en Asie centrale. Mais ils sont bloqués par la situation de fait créée par leurs politiques d’augmentation des dépenses publiques corrélées à une diminution des dépenses de défense. Ils savent qu’inverser la tendance pour répondre à l’attente du président Trump, c’est brusquer des opinions publiques bercées par les doux chants de la paix. Comme il s’y ajoute des affinités modérées pour la nouvelle Administration américaine, des incertitudes sur l’avenir politique dans chaque pays européen, une propension à édulcorer les menaces, l’Europe semble saisie d’une lassitude identique à celle qui a saisi la France dans les années 1930.

Il ne s’agit donc pas d’un bras de fer entre un président « imprévisible » et des dirigeants plus enclins aux formes diplomatiques classiques mais de répondre à une question de fond : les Etats-Unis reviendront-ils en Europe, en cas de besoin, au cri de « Lafayette, nous voici » ?

La réponse est dans une appréciation de situation géopolitique partagée sur deux sujets majeurs : la Russie, et les dossiers conflictuels ouverts par la précédente Administration rejointe par de nombreux pays européens ; l’islamisme, comme idéologie conquérante. Sur tous les autres dossiers, et notamment la Chine ou les principes du commerce international, l’administration Trump semblerait avoir fait le choix de ne plus y associer l’Europe. Et elle est ensuite sur la nature de la stratégie à mettre en place face à ces différents sujets.

Et, qu’il s’agisse d’analyse géopolitique ou de stratégie, le président Trump ouvre clairement de nouvelles perspectives, qu’il s’agit désormais d’explorer.

Affaire Fillon: « les journalistes jouissent d’avoir le premier rôle »

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François Fillon, 21 février 2017
François Fillon, 21 février 2017

L‘affaire Fillon

« Imagine-t-on le Général de Gaulle mis en examen ? » a dit François Fillon au début de sa campagne. Cette phrase qui visait à discréditer un Nicolas Sarkozy plombé par les affaires m’a scandalisé pour trois raisons : elle faisait bon marché de la présomption d’innocence ; elle transformait De Gaulle en personne de bibliothèque rose : De Gaulle c’était l’association de la grandeur et de la raison d’État, de l’appel du 18 juin et des basses œuvres de Foccart ou de Charles Pasqua. Certes, il payait son électricité et les déjeuners auxquels il invitait ses collaborateurs, mais à son machiavélisme politique, la justice des anges qui règne aujourd’hui trouverait sans nul doute à redire. Last but not least, François Fillon, en parlant ainsi, transgressait le principe de la séparation des sphères. Au lieu de préserver la spécificité du domaine politique, il l’inféodait au judiciaire en demandant à celui-ci d’arbitrer ses litiges. Apprenant qu’il a, seize ans durant, salarié sa femme comme attachée parlementaire alors même que celle-ci s’est toujours présentée comme une femme au foyer, et qu’il a payé deux de ses enfants encore étudiant pour des missions imprécises, je me suis donc remémoré, comme d’autres, ce vieux proverbe africain : « Quand on monte au cocotier, il vaut mieux avoir le cul propre ! »

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J’aurais aimé cependant qu’avant d’exiger la mise à mort politique de François Fillon, on se pose la question suivante : la France s’en sortira-t-elle mieux sans lui qu’avec lui ? Il était, l’autre soir, en meeting à Charleville-Mézières et il a fait, contre vents et marées, un discours politique. J’en retiens deux passages : « De faiblesses en abandons, de renoncements en compromis, nous avons laissé proliférer des zones de non-droit. Désormais dans bien des lieux, les règles salafistes semblent prendre le pas sur les lois de la République. Cela n’est pas tolérable, cela ne sera pas toléré. Si le prochain président de la République ne met pas un coup d’arrêt à la progression du fanatisme, je vous le dis : la France entrera dans une nouvelle période sombre de son histoire. » Second cri d’alarme : « L’école était le creuset de la République, elle en est désormais le caveau. Obsédés par leur furie égalitariste, nos idéologues de l’éducation ont tout simplement oublié que l’école était là pour transmettre des connaissances. Notre école nivelle les intelligences, rabaisse les mérites, étouffe les talents, accroît les handicaps culturels et sociaux, au nom d’une conception dévoyée de l’égalité. Elle empêche l’élévation des meilleurs élèves, surtout s’ils sont issus des milieux les plus modestes. »


Alain Finkielkraut revient sur la polémique… par causeur

Qu’y a-t-il aujourd’hui de plus urgent que de réparer la fracture française et que de sauver l’école ? Et quel autre candidat parle ainsi ? Mais peu importe aux journalistes : ils se délectent de voir les affaires judiciaires prendre le pas sur les affaires communes car c’est pour eux l’occasion d’exercer et d’étendre encore leur pouvoir. Ils se veulent les représentants de l’exigence citoyenne, en fait, ils jouissent d’avoir le premier rôle et cette jouissance a quelque chose d’obscène. « Autrefois, écrit Kundera dans L’Immortalité, être journaliste signifiait[access capability= »lire_inedits »] s’approcher plus que tout autre de la vie réelle, fouiller ses recoins cachés, y plonger les mains et les salir. » La situation a changé. Le questionnement n’est plus la méthode de travail du reporter poursuivant humblement une enquête le calepin à la main, mais bien une façon d’exercer le pouvoir : « Le journaliste n’est pas celui qui pose des questions, mais celui qui détient le droit de les poser à n’importe qui sur n’importe quel sujet. » Bien sûr, nous avons tous ce droit : la question est une passerelle de compréhension jetée de l’homme à l’homme. Alors Kundera précise : « Le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question mais sur le droit d’exiger une réponse. » « Répondez ! » disent Edwy Plenel, Jean-Michel Aphatie, Gérard Davet, Fabrice Lhomme et les reporters d’Envoyé spécial qui sont allés coincer à Sablé-sur-Sarthe les employés de François Fillon pour les sommer de sortir de leur silence. « Répondez ! », c’est le onzième commandement.

La mise en œuvre de ce commandement flatte le ressentiment démocratique contre les détenteurs de pouvoir. Ils ont beau avoir été élus, leur primauté apparaît comme une insulte à l’égale dignité des personnes. Ils sont donc l’objet d’une défiance permanente. Cette défiance conduit certains réformateurs audacieux à vouloir équilibrer le vote par le tirage au sort. Je propose d’aller plus loin et de fonder la VIe République sur la généralisation du tirage au sort. Une fois les résultats connus, les journalistes vedettes du onzième commandement se réuniraient en conclave, examineraient les dossiers et choisiraient le plus pur, le plus transparent pour présider nos destinées. Alors s’élèverait une fumée blanche, puis l’élu(e) apparaîtrait au balcon, tendrait les bras et s’offrirait à la France.

Le procès Bensoussan

Des propos tenus lors de l’émission Répliques du 10 octobre 2015 ont valu à Georges Bensoussan de comparaître devant la 17e chambre correctionnelle pour provocation à la haine raciale. J’ai réécouté l’enregistrement la veille de l’audience et, comme je l’ai dit à la barre, le débat entre mes invités Patrick Weil et Georges Bensoussan était tendu car il portait sur le sujet le plus brûlant du jour : la crise du vivre-ensemble, mais il n’y a eu aucun dérapage, aucun débordement et, l’émission durant cinquante-trois minutes, chacun a pu préciser sa pensée et lever tous les malentendus possibles. D’où mon étonnement d’avoir à témoigner devant un tribunal : il ne revient pas à la justice de régler les litiges intellectuels. Le reproche qui est fait à Bensoussan est d’avoir affirmé, en s’appuyant sur les travaux du sociologue d’origine algérienne Smaïn Laacher, que dans les familles arabes, l’antisémitisme, on le tête avec le lait de la mère. Cette expression est ancienne et elle n’a, en elle-même, rien de raciste. Comme l’a rappelé Michel Laval, l’avocat de Bensoussan, en citant Le Livre des métaphores de Marc Fumaroli, l’image du lait maternel évoque au figuré les sentiments et opinions contractés dès l’enfance dans la famille et le milieu. Le « lait », autrement dit, ce n’est pas le « sang », il ne s’agit pas de génétique, il s’agit de transmission. Et c’est l’expression qu’a employée l’ancien Premier ministre israélien Ytzhak Shamir pour qualifier l’antisémitisme polonais, dont Zeev Sternhell nous dit par ailleurs qu’il était palpable dans chaque coin de rue au sortir de la guerre. Peut-être parce qu’il était habité par ces références, le directeur de la Revue d’Histoire de la Shoah n’a pas utilisé la bonne image. Lors du documentaire diffusé sur France 3 auquel il faisait référence, Smaïn Laacher a dit que l’antisémitisme arabe est « déjà déposé dans l’espace domestique… Une des insultes des parents à leurs enfants quand ils veulent les réprimander, c’est qu’il suffit de les traiter de “Juifs”. Et ça, toutes les familles arabes le savent » ! En d’autres termes, avant d’être une opinion ou une idéologie, cet antisémitisme est un code culturel : « Dans ce qu’on appelle les ghettos, il est difficile d’y échapper, comme à l’air qu’on respire. » « L’air qu’on respire » et « le lait de la mère », ce sont deux métaphores différentes qui disent exactement la même chose !


Alain Finkielkraut sur le procès de Georges… par causeur

Pour justifier cependant l’accusation de racisme, le CCIF et toutes les associations qui lui ont emboîté le pas font grief à Bensoussan d’être tombé dans la généralisation. Généraliser, c’est essentialiser ; essentialiser, c’est remettre en cause l’unité du genre humain. Ce raisonnement montre qu’il ne s’agit plus, pour l’antiracisme officiel, de combattre les préjugés et les discriminations mais de frapper d’interdit le mouvement même de la pensée. Qui pense, en effet, conceptualise. Et qui conceptualise généralise. Avec le mot-couperet d’essentialisation, la réalité est soustraite à l’investigation et les musulmans à la critique. Toute critique de l’islam comme fait social, religieux et politique relève, dans cette perspective, de l’islamophobie. Et nous voici confrontés au grand paradoxe du multiculturalisme : on conteste d’abord la prétention de l’Occident à incarner l’universel en lui rappelant l’existence d’autres manières d’être et de faire. Et dans un second temps, on cloue au pilori ceux qui relèvent dans ces manières des traits négatifs, comme par exemple la misogynie et l’antisémitisme. Le non-Occident n’est jamais coupable de rien, il a l’innocence absolue, intouchable et intachable de la victime de l’histoire. Quand les multiculturalistes voient des musulmans choisir le djihad contre les juifs et les croisés, ils disent comme l’islamologue François Burgat que c’est parce qu’ils n’étaient pas traités comme des sujets à part entière qu’ils sont devenus des sujets entièrement à part. Ainsi l’Occident est-il doté de l’attribut divin de l’omnipotence par ceux-là mêmes qui se targuent de l’avoir fait descendre de son trône. C’est lui le grand criminel, c’est lui qui est à l’initiative de tout.

Bensoussan rejette cette façon de voir (ou plutôt de ne pas voir) mais il se garde bien d’enfermer les musulmans dans la mentalité qu’il dénonce. Quand j’évoque, en l’entendant parler de la coupure de la France en deux peuples, le risque de l’essentialisation, il me répond qu’il n’y a aucune fatalité à ce phénomène et qu’il y a tous les moyens d’y remédier si les élites de notre nation reprennent les choses en main, si elles acceptent de revendiquer leur héritage. Mais, prenant acte de l’actuelle fracture française et du fait que la France est devenue la première terre d’immigration vers Israël, il se demande : « Qu’est-ce qui se passe ? » Et au lieu de s’interroger avec lui, le ministère public et les associations ne pensent qu’à le punir. Je l’ai dit à la cour : « Un antiracisme dévoyé vous enjoint de criminaliser l’inquiétude au lieu de combattre la réalité sur laquelle elle se fonde. Si vous cédez, ce sera une catastrophe intellectuelle et morale. »

On croyait naguère que le racisme n’avait qu’un visage : Dupont-Lajoie, et une multitude de cibles : le Noir, l’Arabe, le Musulman, le Juif, le Rom. Cette vision du monde a été démentie par les faits. L’antiracisme judiciaire fuit ce démenti dans le déni. Et la Licra, longtemps accusée de judéocentrisme, vient de rejoindre le parti du déni. Je faisais partie du Comité d’honneur de la Licra. En s’associant à tous les collectifs contre la liberté de penser et le droit de regarder la réalité en face, cette organisation s’est déshonorée. J’ai donc envoyé, dès le lendemain du procès, ma lettre de démission et j’invite tous les adhérents à tirer eux-mêmes les conséquences de l’indignité qui vient d’être commise. La Licra se « mrapise » et s’il y a une chose dont la France d’aujourd’hui n’a pas besoin, c’est de deux Mrap.

Un mot, pour finir, sur le ministère public : dans son réquisitoire, la procureure a parlé à propos de Bensoussan de « passage à l’acte dans le champ lexical ». Cette femme est jeune, et les mots qu’elle emploie portent la marque du jargon débile qui a, depuis quelques décennies, envahi l’Éducation nationale. Mais la formule n’est pas seulement jargonnante, elle est extravagante. Qu’est-ce que passer à l’acte, sinon précisément sortir du champ lexical ? En rapatriant dans la langue ce qui par définition n’en relève pas, la procureure a voulu dire que Bensoussan était un véritable criminel. Elle n’a cessé, en outre, de le comparer à Éric Zemmour car, pour elle, le vrai problème de la France ce n’est pas que les juifs ne s’y sentent plus en sécurité, c’est qu’y sévissent impunément des intellectuels et des journalistes « réactionnaires ». Si, comme on peut l’espérer, Bensoussan est relaxé, la grande alliance des associations antiracistes et de la magistrature du mur des cons ne lâchera pas l’affaire. Elle interjettera appel car rien ne lui est plus intolérable que la nécessité d’ouvrir les yeux.[/access]

Martin Schulz à l’assaut d’Angela Merkel

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Martin Schulz et Angela Merkel au Parlement européen, décembre 2013. SIPA. AP22018705_000002
Martin Schulz et Angela Merkel au Parlement européen, décembre 2013. SIPA. AP22018705_000002

Alors que la gauche française s’enfonce dans la spirale d’une défaite inéluctable lors de la toute prochaine élection présidentielle, son homologue allemande, la vieille social-démocratie de papa et grand-papa, reprend des couleurs et sort du marasme où l’ont plongé huit ans de présence dans le gouvernement dirigé par Angela Merkel.

Jusqu’en janvier dernier, les perspectives étaient sombres pour les héritiers de Willy Brandt et d’Helmut Schmidt : le SPD se traînait dans les sondages à plus d’une dizaine de points derrière la CDU-CSU d’Angela Merkel, candidate à un quatrième mandat à la chancellerie lors des élections au Bundestag du 24 septembre 2017. Cette dernière souffrait, certes, de l’usure du pouvoir après douze ans à la tête du gouvernement fédéral, et prenait régulièrement des claques lors d’élections locales, où le parti anti-européen et hostile aux immigrés AfD grimpait en flèche. Cependant, lorsqu’il s’agissait de se déterminer pour le scrutin décisif, celui qui désigne les députés au Bundestag et établit la hiérarchie dans une coalition gouvernementale, Merkel conservait, jusqu’à ces dernières semaines, une confortable avance dans l’opinion, y compris parmi les électeurs du SPD, peu motivés par son concurrent putatif, le vice-chancelier Sigmar Gabriel.

Merkel n’est pas à l’abri de ce « dégagisme » qu’ont subi certains de ses anciens alliés

Tout a changé depuis que ce dernier à renoncé à briguer la chancellerie, laissant le champ libre à Martin Schulz, ci-devant président du Parlement européen, qui remplace Sigmar Gabriel à la tête du parti, et défie la présumée indéboulonnable Merkel. En quelques semaines, la cote du SPD fait un bond spectaculaire, faisant jeu égal et même parfois dépassant les chrétiens-démocrates, autour de 30% des intentions de vote.

Comment est-ce possible dans un pays, la RFA, où les sautes d’humeur de l’opinion ne sont pas monnaie courante, et où les alternances, depuis 1945, sont le fruit d’une longue maturation, aussi bien au sein des partis que dans la société ? Le choix de Martin Schulz a révélé que l’Allemagne, en dépit de ses succès économiques et de l’aura internationale de son actuelle chancelière, n’est pas à l’abri de ce « dégagisme » qu’ont subi nombre de gouvernants des démocraties voisines : Hollande, Renzi, Cameron en sont les victimes les plus connues et les plus récentes. Par son parcours, personnel et politique, Martin Schulz représente une rupture avec l’offre politique des autres partis de gouvernement, CDU-CSU, et vieille garde du SPD. Son passé de fils de petit fonctionnaire et d’une mère au foyer, décrocheur scolaire, rescapé d’une descente aux enfers alcoolique dans l’adolescence, se prête excellemment à un « storytelling » édifiant dont les Allemands raffolent. La rédemption du pécheur par le travail et l’abstinence est un classique du genre, diablement efficace lorsqu’il est incarné par un ancien cancre qui parle aujourd’hui couramment cinq ou six langues (dont le français qu’il maîtrise très correctement). Il bénéficie également de la présomption d’innocence relative aux griefs que les électeurs ont accumulé au cours de la dernière décennie envers un SPD à la remorque de la CDU/CSU, comme partenaire junior de la grande coalition, et faisant péniblement passer quelques correctifs sociaux mineurs dans l’ordo-libéralisme germanique incarné par le couple Angela Merkel-Wolfgang Schäuble. A l’exception du poste de bourgmestre de sa petite ville natale de Würselen, près d’Aix-la-Chapelle, Schulz a effectué toute sa carrière politique à Bruxelles et à Strasbourg, de député européen de base à la présidence du groupe socialiste, puis à celle du Parlement. C’est donc un homme neuf dans la politique nationale, qui n’a pas à assumer le bilan de ses prédécesseurs, même celui de Gerhardt Schröder et de ces réformes des prestations sociales qui ont fait grincer des dents chez les électeurs traditionnels du SPD. Il n’assume pas, non plus le bilan des gouvernements sortants de grande coalition, dont il n’a jamais fait partie. Et cela marche : sans être un tribun exceptionnel, Schulz, toujours jovial et affable, plait aux gens simples, ceux qui respectent Angela Merkel, certes, mais la trouvent décidément froide et ennuyeuse à mourir. Elle, n’aurait jamais pu décrocher la distinction carnavalesque de « L’ordre contre le sérieux bestial » dont s’honorent ceux des hommes politiques allemands l’ayant reçu en raison de leurs efforts à résister à ce trait de caractère national par quelques manifestations d’humour ou d’autodérision.

Une alternance plus culturelle que politique

S’agit-il pour autant d’un virage politique radical, d’une « corbynisation » de la social-démocratie allemande, à l’image de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, où les travaillistes ont rejeté l’héritage social-libéral de Tony Blair, ou risque de se passer en Italie et en France à l’occasion des prochains scrutins nationaux ? Rien n’est moins certain, car le SPD est une lourde machine de permanents, d’élus de tous niveaux qu’il est difficile de faire changer de cap brusquement et radicalement, sauf circonstances exceptionnelles.

L’opinion allemande souhaite majoritairement l’alternance, mais dans l’ordre et la responsabilité, en évitant la surenchère de droite comme de gauche. Ainsi, jamais des candidats de la CSU bavaroise n’ont pu déboulonner des candidats SPD en place (Franz-Josef Strauss battu par Helmut Schmidt, et Edmund Stoiber défait par Gerhardt Schröder), l’ensemble du pays trouvant ces Bavarois décidemment trop conservateurs…

Schulz marche sur des œufs, et sa remise en cause des réformes Schröder reste, pour l’instant, dans des limites mesurées, surtout si on la met en regard des programmes proposés par des Jeremy Corbyn ou Benoit Hamon !

Les conservateurs allemands, un peu surpris et bousculés, commencent à tirer à boulets rouges sur Martin Schulz qu’ils soupçonnent d’être favorable à la mutualisation des dettes des pays de la zone euro et de laxisme supposé envers les pays du «  Club Med », toujours suspects de vouloir renflouer leurs finances de cigale en puisant dans le magot de la fourmi allemande. Ils ne manqueront pas d’agiter l’épouvantail d’une coalition du SPD avec Die Linke, alliage d’anciens communistes est-allemands et de gauchistes de l’ouest.

Mais ils resteront démunis pour contrer l’autre désir d’alternance, moins visible mais bien réel, qu’incarne aujourd’hui Martin Schultz : c’est une alternance plus culturelle que politique, qui a vu se succéder au pouvoir à Bonn, puis à Berlin, des représentants de l’Allemagne rhénane, catholique et carolingienne (Konrad Adenauer, Helmut Kohl) et des nordiques de culture protestante (Willy Brandt, Helmut Schmidt, Gerhardt Schröder, Angela Merkel). Martin Schulz est natif d’Aix-la-Chapelle, la capitale de Charlemagne, d’une maman fervente catholique militante de la CDU. Il arrive donc à point pour engranger les bénéfices de la «  Merkelmüdigkeit » (fatigue de Merkel) qui semble saisir nos voisins d’outre Rhin.

#Justice pour Fillon!

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Meeting de François Fillon à Paris, 29 janvier 2017. AFP PHOTO / Eric FEFERBERG
Meeting de François Fillon à Paris, 29 janvier 2017. AFP PHOTO / Eric FEFERBERG

François Fillon ne mérite sans doute pas un premier prix de vertu. Ni la médaille du désintéressement. Mais s’il parvient à sortir du piège tissé par ses adversaires, il aura au moins prouvé qu’il possède la première qualité d’un boxeur : savoir encaisser les coups. Mieux, pour rester le champion de son camp– ce qui paraît probable à l’heure où nous bouclons, trois semaines avant la date limite de dépôt des candidatures –, il lui aura fallu défier une puissance à deux têtes d’autant plus redoutable qu’elle avance parée des atours de la faiblesse et des séductions de la pureté. La sainte-alliance des juges et des journalistes, comme l’appelait Philippe Cohen, promet de faire advenir un monde meilleur, une démocratie délivrée des turpitudes humaines. L’interminable chronique des affaires et des lynchages afférents fournissant un avant-goût de cet avenir radieux, on peut déjà affirmer qu’on n’y rigolera pas. Le spectacle de Plic et Ploc, surnoms affectueux donnés par Régis de Castelnau à Davet et Lhomme, procureurs au Monde et confidents du président ­– ou de leurs clones de Mediapart –, reçus sur tous les plateaux avec la déférence qu’on voue aux commissaires politiques qui peuvent vous faire guillotiner, est pourtant hautement comique. Surtout tant qu’ils ne le peuvent pas. Voilà pourquoi il faut que Fillon tienne. Pas parce qu’il est le champion de la droite – et encore moins pour son programme. Parce que, s’il devait céder, cela signifierait qu’une sorte de putsch médiatico-judiciaire a réussi à plomber l’élection présidentielle plus sûrement qu’une armée de trolls russes. Plenel au pouvoir, je demande l’asile politique à Poutine.

Tout cela devrait valoir un peu d’indulgence aux fautes de François Fillon – que pour ma part, quoique ultra-minoritaire, je persiste à trouver vénielles. L’obsession, si largement partagée, pour l’argent des autres, en dit plus sur le règne de l’envie et du soupçon que sur les pratiques illégales ou immorales présumées de nos gouvernants. On a raison de reprocher à Fillon d’avoir lui-même appuyé sur ce bouton – et avec une inélégance marquée à l’égard de Nicolas Sarkozy. Il serait cruel et frivole de voir dans la tempête qu’il traverse une forme de justice immanente – « bien fait pour lui », ça ne fait pas une politique.

A quand un « label propreté » pour tous les candidats?

À tout prendre, pensera-t-on peut-être, les juges et les journalistes ne sont pas les plus mal placés pour défendre un intérêt général malmené par l’abus des petits et grands privilèges que s’arrogent les gouvernants. Quand les décodeurs du Monde prétendent dire le vrai et le faux, et que personne ou presque ne s’en émeut, pourquoi les médias et la Justice ne décerneraient-ils pas un « label propreté » aux candidats, afin d’aider l’électeur égaré ? Admettons même – provisoirement –, qu’il n’entre dans les croisades respectives de ces deux pouvoirs aucune envie de se payer un puissant, aucun désir de jouer à Bernstein-et-Woodward. Ces belles campagnes d’assainissement n’en masquent pas moins une opération de basse police politique, dans laquelle juges et journalistes se sont, en quelque sorte, auto-instrumentalisés. « Les magistrats rêvent de condamner les politiques en exercice, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche et en retour, les politiques en fonction rêvent d’assujettir les magistrats », écrivait Richard Malka dans le JDD en décembre, à propos de l’affaire Christine Lagarde. Quand les « politiques en fonction » et les magistrats tirent dans le même sens, ils peuvent faire de sacrés dégâts. Et quand, en prime, les médias jouent la même partition, la partie est jouée d’avance : l’enquête est menée à charge et au pas de charge, au rythme de[access capability= »lire_inedits »] fuites soigneusement distillées qui finissent par donner l’impression au public qu’on lui parle d’Al Capone.

Autant l’annoncer d’emblée, on n’apporte pas ici la preuve formelle que l’affaire Fillon est le fruit d’une opération politique : il faudrait pour cela disposer de contacts à haut niveau au sein de l’appareil d’État – brigade financière, parquet national financier, Bercy….. Or Causeur ne fait visiblement pas partie de la liste des receleurs agréés. Et on dirait bien que les gens de droite sont, en matière de réseaux et de coups tordus, des enfants de chœur. Trois semaines après la parution du premier article du Canard, l’entourage du candidat n’avait pas déniché la preuve irréfutable du complot dont il s’est dit victime. En l’absence de preuves, on dispose néanmoins d’un paquet d’indices sérieux et concordants qui excluent, à tout le moins, de classer l’affaire. Trois points, ça fait une ligne, qui permet de brosser un récit au moins aussi convaincant que la gentille bluette dans laquelle de courageux investigateurs rejoints par de vaillants petits juges déterrent avec leurs petits bras un immense scandale de corruption. Il flotte autour de cette affaire Fillon une sale odeur de cabinet noir et de basses œuvres qui laisse penser que le scandale n’est pas celui qu’on croit. D’ailleurs, Fillon n’a nullement cherché à cacher les faits qui lui sont reprochés. « Sentiment d’impunité », grondent les accusateurs. C’est peut-être, tout simplement, qu’il ne se pensait pas coupable. Ou alors, c’est qu’il ne se pensait pas coupable.

En général, quand on ose critiquer les juges et/ou les médias, les journalistes hésitent entre indignation et ricanement. « Haïr les médias, c’est haïr la démocratie », déclare pompeusement Edwy Plenel au Journal de Genève. Fillon s’en prend à la presse, c’est bien la preuve qu’il n’a pas d’argument. En somme, puisque les médias attaquent Fillon, celui-ci ne serait pas légitime à riposter car il serait partial. Face je gagne, pile tu perds : logique inepte destinée à nous faire avaler que les médias devraient, par principe, être soustraits à la critique, et plus encore à l’investigation. Comme s’ils étaient d’une autre essence. Comme s’ils n’étaient pas l’un des paramètres de l’équation.

Le 24 janvier au soir, le premier article du Canard enchaîné qui va lancer le Penelopegate agit dans les rédactions comme un bout de viande rouge lancé à une meute de piranhas. Chacun veut sa part du festin. Très vite, les éléments de langage se diffusent à l’ensemble de la profession, jusqu’aux soutiers des chaînes infos qui vont bravement relayer le message pendant deux bonne semaines. Il ne peut pas tenir. Il doit partir. Entre le 27 janvier et le 17 février, Libération, tout en assistant avec émerveillement à l’avènement d’une « gauche de gauche » (une gauche au carré, ça fait envie…), consacre à l’affaire pas moins de six unes, de plus en plus explicites, comme « Plombé ! » le 1er février, « Jusqu’à quand ? » le 2, « Laisse béton ! » le 4 et « L’acharné » le 7, au lendemain de la conférence de presse dans laquelle Fillon annonce qu’il continue. Sur le mode jésuitique qui est le sien – « Fillon peut-il tenir ? –, Le Monde, avec huit unes, pilonne sans relâche. Début février, l’affaire semble pliée. Un journaliste vedette se désole à l’avance de devoir interrompre ses vacances d’hiver pour revenir couvrir l’annonce du retrait, perspective ô combien excitante.

C’est la fête de la transparence. Le populisme médiatique bat son plein. On course des secrétaires, on traque des proches, réels ou supposés, on exhume avec une minutie policière des archives embarrassantes, on ressasse des chiffres d’autant plus mirobolants qu’ils sont agrégés et qu’on les compare au Smic plutôt qu’au salaire des vedettes de la télévision. On lance des équipes, micro et caméra au poing, dans les rues de Sablé ou les couloirs de l’Assemblée. Et si on évoque un climat de chasse à l’homme, les limiers répondent, en sautant comme les cabris du Général : Les faits, les faits, les faits !, oubliant que n’importe quel fait, dénoncé en boucle pendant des jours, peut devenir une affaire d’État – qu’on se rappelle l’affaire totalement bidon des diamants de Bokassa –, et surtout que, des faits de cet ordre ou d’approchants, on peut sans doute en trouver sur la plupart des candidats. Les humains sans part d’ombre, ça n’existe pas. Heureusement.

La profession oppose un tir de barrage groupé à toute tentative d’enquêter sur les enquêteurs. A croire que la sacro-sainte transparence doit s’arrêter à l’entrée des rédactions.

Mi-février, une partie de la profession semble néanmoins avoir la gueule de bois. À moins que, constatant que François Fillon est toujours debout et qu’on ne sait jamais, elle ne maquille sa prudence en examen de conscience. « En avons-nous trop fait ? » demande ainsi avec candeur un journaliste de BFM. Bien sûr, cette circonspection vaut surtout pour la troupe. Au Quartier général, on désarme d’autant moins que le Parti des Médias, ou plutôt sa fraction libérale, à ne pas confondre avec la tendance gauchiste, les deux convergeant dans le culte des droits et la détestation de la verticalité, a choisi son candidat. Et, quelle coïncidence, c’est à lui que profite le crime. En effet, si l’opération « Penelope » réussissait, elle aurait de bonnes chances d’aboutir à un second tour Le Pen/Macron que les partisans du second croient gagné d’avance. À tort d’ailleurs.

Que les journalistes aient des préférences politiques, fort bien. Ce qui est fâcheux, dans l’affaire Fillon, outre la pesante unanimité imposée par leurs prétentions morales (qui serait contre le Bien ?), c’est qu’ils servent un agenda édicté par d’autres avec des moyens mis à leur disposition par ces mêmes autres. « La presse fait son travail », ânonnent les petits soldats du journalisme. En l’occurrence ce travail a consisté, pour Le Canard Enchaîné, à réceptionner un dossier tout ficelé et, éventuellement, à procéder à quelques vérifications et, pour Le Monde, selon une scénographie rodée au fil des affaires, à publier, dix jours après l’ouverture de l’enquête préliminaire (EP) par le parquet national financier (PNF), des extraits bien choisis (pour enfoncer) des auditions des époux Fillon. À cette occasion, on a pu voir Gérard Davet (Plic) répéter, très content de lui : « Nous avons eu accès au dossier. » Avoir accès au dossier : une excellente définition du journalisme d’investigation. On pourrait aussi appeler ça du recel de délation.

Le plus extravagant, c’est que la profession oppose un tir de barrage groupé à toute tentative d’enquêter sur les enquêteurs. À croire que la sacro-sainte transparence doit s’arrêter à l’entrée des rédactions et que toutes les questions sont intéressantes sauf une : qui a fourni ses informations au Canard ? Dans l’équipe Fillon, on affirme que les erreurs du palmipède dans la répartition des sommes (entre salaire et indemnités de départ) montrent qu’il n’a pas eu accès aux fiches de paie, qui auraient désigné une source interne à l’Assemblée, mais à des documents fiscaux où figurent des montants agrégés.

Si on ne peut pas connaître le coupable avec certitude, le mobile, lui, ne fait guère de doute ; à trois mois de la présidentielle, on a voulu torpiller la candidature Fillon pour ouvrir un boulevard à Macron. Rien n’indique, bien sûr, que celui-ci ou son entourage aient été directement impliqués. Mais alors que de multiples signes montrent que François Hollande a décidé d’oublier l’affront et de soutenir son poulain (voir notre dossier), on aperçoit souvent, dans cette ténébreuse affaire, l’ombre du secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, dont on imagine qu’il se verrait bien rempiler auprès d’un jeune président dont il a été le mentor. Complotisme, dira-t-on. Ce n’est pas parce qu’il y a du complotisme qu’il n’y a jamais de complots.

S’il est battu, il faut que ce soit à la loyale

Quoi de plus innocent que des camarades d’école nourrissant de grandes ambitions pour eux et pour leur pays ? Dans la galaxie Jouyet, la promotion Senghor semble occuper une place spéciale : avec Macron, on croise Gaspard Gantzer, conseiller com à l’Élysée, donc particulièrement bien placé pour nourrir le feuilleton de la presse parisienne, Thomas Andrieu, dirccab de Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux. Il y a aussi Pierre Heilbronn (promotion Copernic), nommé numéro deux de la BERD à Londres et dont la compagne, Ariane Amson, brillante magistrate, a été exfiltrée du PNF pour être promue conseillère Justice à l’Élysée quatre mois avant la fin du mandat. Pour ce connaisseur des humeurs du monde judiciaire, c’est un excellent moyen, pour la présidence, d’être informée en temps réel des progrès et de l’ambiance de l’enquête. Éliane Houlette, est connue, semble-t-il, pour faire remonter avec parcimonie l’information sur les dossiers, et pas, paraît-il, les PV intégraux. « C’est une chieuse, mais avec tout le monde », résume une avocate. Au demeurant, personne ne semble soupçonner le PNF d’être à l’origine des fuites. En régime d’EP, où seuls les policiers et le parquet ont accès au dossier, le plus probable est qu’elles émanent de la Place Beauvau.

La célérité exceptionnelle avec laquelle le PNF « a ouvert », comme on dit dans le jargon, n’a cependant échappé à personne. « Six heures après la parution du Canard, souligne Me Antonin Lévy. Pour les Panama papers, cela leur a pris vingt-quatre heures et je suis sûr que, pendant ces vingt-quatre heures, pas mal de comptes ont été fermés. » Pour autant, on aurait tort d’accuser la Justice de partialité politique. Elle fait avec ce qu’elle a. C’est sans doute un hasard si elle a eu de quoi se faire Fillon. Sarkozy a été encore mieux servi : il a perdu la primaire, mais le coup était parti. Le juge Tournaire n’allait pas se priver du plaisir d’envoyer l’ancien président en correctionnelle. Et tant pis si Renaud Van Ruymbeke, également en charge du dossier Bygmalion, a refusé de signer l’ordonnance, renforçant le sentiment qu’il y avait un loup.

Éliane Houlette se voit volontiers en tombeuse de Fillon, mais si on lui apportait, via Le Canard, un dossier sur Macron, Hamon ou un autre des « gentils », elle ouvrirait sans doute aussi sec. C’est que Houlette n’est ni une juge rouge ni une juge aux ordres. C’est pire : elle est en mission. Elle veut participer au grand ménage, et peu lui importe que la séparation des pouvoirs ait à en souffrir. Sauf que celle-ci n’est pas une fanfreluche pour cours de droit, elle est la garantie que nous ne vivons pas sous l’emprise de juges que nous n’avons pas élus. L’activisme de Mme Houlette est d’autant plus effrayant que le PNF dispose de pouvoirs exceptionnels. Maître de sa saisine (qui dans les faits n’est pas susceptible de recours au stade de l’EP) et de son champ de compétences, il décide aussi de la procédure (comparution directe ou nomination d’un juge d’instruction) et surtout du calendrier. En l’espèce, il semble avoir choisi de prolonger le plus possible l’EP : outre l’effet « supplice chinois » (ou « épée de Damoclès », au choix), cela lui permet de garder la main sur un dossier auquel seuls la Justice, la police et les journalistes du Monde ont accès, à la différence des avocats.

Il faut rappeler que le PNF a été créé, dans la foulée de l’affaire Cahuzac, en théorie pour s’occuper des affaires complexes, en réalité pour s’occuper des affaires tout court – les dossiers Fillon n’ont rien de complexe et concernent des montants ridicules au regard des sommes habituellement brassées par le PNF. Si on ajoute que François Molins, le procureur de Paris, ne passe pas pour un homme de gauche, on peut imaginer que le pouvoir a voulu disposer d’une instance, sinon à sa main, du moins plus facile à truffer de sympathisants. De toute façon, dans le cas de Fillon, le pouvoir n’a pas vraiment besoin de manipuler la justice : elle court devant lui. Et ça, ça fiche la trouille.

Le chœur des vierges médiatiques, furieux de voir qu’on ne lui obéit pas, répète avec obstination qu’en Suède ou en Patagonie, Fillon eut été contraint de renoncer. Grand bien fasse aux Suédois et aux Patagons, si c’est ce qu’ils veulent. On aimerait être sûr qu’en France, ce sont les électeurs qui décident, et que le scrutin n’est pas confisqué par des intrigues d’arrière-boutique. Nous n’avons nullement décidé, à Causeur, de faire campagne pour François Fillon, mais s’il est battu, il faut que ce soit à la loyale. Finalement, l’enjeu de cette affaire est simple : il s’agit de savoir qui, du peuple ou de la sainte-alliance des juges et des journalistes, choisira le prochain président de la République. Autrement dit, si nous sommes toujours en démocratie.[/access]

Macron: Au secours, Hollande revient!

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macron bensoussan gauchet ophuls

macron bensoussan gauchet ophuls

Je vous aurais ri au nez. Il y a trois mois, si vous vous étiez hasardé à pronostiquer l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, cette (mauvaise) blague m’aurait fait hausser les sourcils.  Mais voilà, le Penelopegate étant passé par là, le pédalo Hamon peinant à dépasser sa voiture de croisière, voici l’ancien ministre de l’Economie intronisé nouveau favori des sondages, assuré de son élection s’il se retrouvait opposé à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Sur l’Algérie française, la Manif pour tous, le passé, le présent et l’avenir, le fils prodigue de Hollande n’est pas à une contradiction près. Comme le relève malicieusement Elisabeth Lévy, de louvoiements en volte-face, le candidat En marche accorde « cinq minutes pour Jeanne d’Arc, cinq minutes pour Steve Jobs ». A force de vouloir « plaire aux pieds-noirs et aux descendants d’immigrés, aux bobos et aux cathos, il risque évidemment de décevoir tout le monde ».

Un télévangéliste thaumaturge

Un peu à la manière de Hollande, le panache d’un télévangéliste thaumaturge en plus. Conciliant les contraires, Macron incarne le « candidat des milliardaires et des sous-prolétaires » dans la « pure logique de la mondialisation » pour Jean-Luc Gréau. D’après notre ami économiste, « le candidat du système coupe le pays en deux : d’une part, la France bénéficiaire de la masse de nos aides sociales, mais exonérée de charges sociales ou fiscales, et, d’autre part, la France qui paie plein pot pour bénéficier de la même protection sociale ». Quoi qu’en dise le chouchou des sondages, l’économie n’explique ni ne résout tout. Ainsi Alain Finkielkraut se désole-t-il de sa « vision économique du monde » : « Quand il s‘y tient, il laisse échapper l’essentiel. Quand il en sort, il déraille. Et quand il veut se rattraper, il déraille encore. » La preuve en meeting à Toulon le 18 février, face à un parterre de pieds-noirs, qui a eu droit au malencontreux « Je vous ai compris », en présence de notre envoyé spécial Pierre Lamalattie qui, face au désarroi du prétendant, songe à « ces situations où, voulant effacer une tache, on ne fait que l’étaler »… A Lyon, Luc Rosenzweig a néanmoins rencontré le noyau de l’appareil militant macronien constitué par le maire rhodanien Gérard Collomb, qui fournit un ancrage local à cet ancien conseillé du prince étranger au suffrage universel.

Le Causeur du mois de mars est en kiosques et sur notre boutique en ligne: commandez-le!

« Surtout si vous n’êtes pas d’accord », dit notre slogan. Aussi notre camarade macronien lucide Hervé Algalarrondo soutient mordicus le champion de la grande coalition centriste, à une réserve près : EM « assure vouloir réconcilier les deux France, mais en oublie une et de taille : celle des ouvriers et des employés ! »

En sus de ce dossier roboratif, dont je n’ai pu décrire tous les papiers par le menu, notre volet actualités commence par un entretien fleuve avec Marcel Gauchet. L’auteur de L’avènement de la démocratie s’interroge sur le devenir de l’Occident, de l’Europe et de nos démocraties désenchantées. La liberté, pour quoi faire ? A l’heure postmoderne, l’interrogation bernanosienne n’a rien perdu de son actualité.

L’Amérique selon Trump

S’insurgeant contre la curée de campagne anti-Fillon, notre reine Elisabeth s’inquiète de la collusion des juges et des médias, peut-être aidés par certaines officines de la République. « Au demeurant, personne ne semble soupçonner le parquet national financier d’être à l’origine des fuites. En régime d’enquête préliminaire, où seuls les policiers et le parquet ont accès au dossier, le plus probable est qu’elles émanent de la Place Beauvau », conjecture notre cheftaine. De l’affaire Théo chroniquée par Cyril Bennasar aux racines ultralibérales du revenu universel qu’analyse Julien Damon, l’heure est encore une fois à l’éclectisme. A fortiori après un détour par l’Amérique de Trump et de l’Alt Right vue par Sami Biasoni et Jeremy Stubbs.

En guise d’entremet culturel, Patrick Mandon nous offre un grand entretien avec le documentariste Marcel Ophuls, qui se souvient de son père, de la mémoire et de son inoubliable Chagrin et la pitié. Revenu de ses pérégrinations toulonnaises, Pierre Lamalattaie se consacre à nouveau au grand art au fil de l’expo sur Valentin de Boulogne au Louvre. Un grand maître à découvrir jusqu’à fin mai.

Enfin, l’enseignante Barbara Lefebvre, figure des Territoires perdus de la République, nous livre une défense et illustration de Georges Bensoussan contre ses calomniateurs. Double ration de Finkielkraut et retour de Basile de Koch, que demander de plus ?


Causeur #44 – Mars 2017 par causeur

« Les Fleurs bleues »: portrait d’un autre Strzeminski

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Boguslaw Linda dans "Les Fleurs bleues" de Andrzej Wajda.
Boguslaw Linda dans "Les Fleurs bleues" de Andrzej Wajda.

La grande dame de la critique littéraire polonaise, Maria Janion, disait de Wajda qu’il fait ses films « à l’ombre des évènements à venir ». C’est un point de vue à retenir quand on s’apprête à découvrir l’œuvre posthume du maître polonais, sorti en salles, mercredi. Les fleurs bleues, titre grand public de l’intraduisible « Powidoki » (approximativement « images rémanentes » en polonais), une des notions-clés de la théorie de l’art de Wladyslaw Strzeminski, pionnier de l’avant-garde constructiviste, à qui Wajda rend hommage, a en apparence tout d’un film historique.

Ce que la Pologne soviétique laisse apercevoir de notre époque

A travers la déchéance de Strzeminski dans les dernières années de sa vie, lesquelles correspondaient à la stalinisation de la Pologne, Wajda dresse le monument d’un artiste total, insoumis aux ukases du régime et prêt à en payer le prix, tout comme il dépeint le paysage monochrome d’une époque où la « banalité du mal » s’épanouissait sans entraves. Certes, sans le civisme exemplaire des citoyens de la nouvelle République populaire, le sort de Strzeminski aurait été moins dur. Du moins, pense-t-on, qu’un tube de peinture ou les deux cents grammes de saucisse qu’on a refusé de lui vendre, auraient rendu son quotidien moins pénible. Mais le plus intéressant n’est pas ce que Wajda raconte, de manière fort subjective, de Strzeminski ou du stalinisme. Le plus passionnant est ce que l’histoire racontée par Wajda, laisse apercevoir de notre époque.

Là-bas, en Pologne, le pouvoir conservateur enjoint les artistes de créer dans un esprit patriotique, en leur rappelant à tout bout de champ qu’il est de leur rôle premier de « glorifier la Pologne » et, au passage, son saint martyr, Lech Kaczynski. Les députés de Droit et Justice se sont opposés – certainement pour cette raison – à la remise du titre de citoyen d’honneur de la ville de Gdansk à Wajda. Ici, en France, il n’y a guère de patriotisme mais l’apogée du « meklatisme », en vertu duquel la médiocrité la plus vulgaire et la provocation la plus insupportable, pourvu qu’elles sortent de la banlieue, valent toujours mieux qu’une pensée complexe venue d’ailleurs. En somme, la question posée à Strzeminski par le commissaire politique, « Etes-vous avec ou contre-nous ? », semble d’une actualité déconcertante.

Bien qu’il s’ouvre sur un plan panoramique d’une campagne polonaise où Strzeminski supervise le travail en plein air de ses étudiants, le film de Wajda se déroule quasi exclusivement dans des espaces clos : appartement du peintre, bureaux, salles de l’Ecole supérieure des arts plastiques, boutiques, couloirs d’hôpital. Il faut probablement y voir un choix délibéré du réalisateur, moyennant quoi le spectateur devient prisonnier de l’atmosphère de l’époque, étouffante et viciée. A l’image de Strzeminski dont la fenêtre vient d’être entièrement obstruée par un immense portrait de Staline sur fond rouge et qu’il se hâte de percer avec sa béquille, on a par moments envie de crever l’écran pour respirer. Sans passer outre la symbolique, un peu lourde, de la scène. Voici qu’un artiste, de surcroît amputé d’un bras et d’une jambe, se met debout et, sans penser aux conséquences, déchire le visage d’un tyran, afin que la lumière naturelle pénètre dans son atelier et lui permette de continuer à peindre. David contre Goliath version Europe de l’Est.

Qui était vraiment Strzeminski ?

Pourtant Strzeminski n’a pas été ce héros immaculé et digne en lequel Wajda voudrait nous faire croire. A peine esquissée, sa vie privée dont le réalisateur a décidé de nous montrer uniquement la face solitaire et brave, lui a valu en réalité la réputation d’être une ordure à qui on ne voulait plus serrer la main. Le raisonnement de Wajda semble sur ce point aussi clair que justifié : ce n’est pas parce que Strzeminski maltraitait sa femme, une artiste peut-être plus grande que lui, que le régime totalitaire aurait eu le droit de maltraiter Strzeminski, en même temps que le spectateur serait excusé de penser que le salaud n’a eu que ce qu’il méritait. Qui alors était vraiment Strzeminski ?

Parus en Pologne, deux ouvrages permettent de compléter sa biographie. Il s’agit tout d’abord du livre de Malgorzata Czyzewska dédié à Katia von Kobro, alias Katarzyna Kobro, femme de Strzeminski. Puis des mémoires de la fille unique du couple, Nika Strzeminska. Cette dernière, jouée dans le film par la remarquable Bronislawa Zamachowska, a consacré une partie de sa vie à conserver l’héritage artistique de ses parents, tout en notant à leur propos : « J’ai toujours eu peur qu’à l’avenir mon couple ne ressemble à celui de ma mère et de mon père, dans lequel il n’y a eu ni tendresse, ni  bienveillance, ni amour. ». Cela n’a pourtant pas été toujours le cas. Jeune, Strzeminski a fait la connaissance de Katia Kobro à l’hôpital militaire à Moscou, au printemps 1916. Il y était soigné de ses blessures de guerre, infligées non pas par l’ennemi, mais par son propre subalterne, qui avait eu la maladresse de trébucher avec une grenade dégoupillée à la main. Elle, une Russe d’origine allemande, issue d’une riche et noble famille de marchands, y travaillait comme garde-malades. Plus tard, Strzeminski dira qu’il était devenu artiste grâce à sa femme.

L’un des plus émouvants films de Wajda

En effet, après son passage par le corps moscovite des cadets, Strzeminski avait fait l’Académie Nicolas du Génie à Saint- Pétersbourg et, sans l’accident, aurait probablement mené une carrière militaire. Son initiation à l’art a commencé pendant sa convalescence avec la découverte des impressionnistes et des cubistes. Il s’était aussitôt inscrit à l’Institut national des arts appliqués Stroganov et, après la Révolution, avait commencé à travailler comme assistant de Malevitch. Katia Kobro étudiait également les arts, bâtissant une réputation de sculpteuse talentueuse. Ils se sont mariés en 1920 à Smolensk, où Malevitch a confié à Strzeminski la direction de l’antenne locale de l’Unovis, groupement éphémère d’artistes russes voués au développement des idées suprématistes dans l’art. Les critiques véhémentes de Lénine à l’adresse des avant-gardistes, les ont fait fuir la Russie sans parvenir à les transformer en ouvriers sacrifiant leur talent au service des masses travailleuses. Ils avaient rêvé de pousser leur exode jusqu’à Paris, mais n’ont eu les moyens que pour aller à Lodz, près de Varsovie. Pendant la guerre, Katia von Kobro avait sauvé sa famille en signant la dite « liste russe », créée par les Allemands à l’intention des Russes blancs, qui ainsi bénéficiaient d’un traitement de faveur. Emporté par un patriotisme vindicatif, Strzeminski ne le lui a jamais pardonné et a fait de l’humiliation de sa femme son passe-temps favori. C’est sous le prétexte que Katia « dénationalisait » leur fille, qu’il avait par ailleurs tenté d’obtenir la garde exclusive de l’enfant, qu’un jugement du Tribunal lui refusa. Les témoins s’étaient prononcés au profit de la mère, pointant le caractère colérique et instable de Strzeminski. Katia von Kobro est décédée d’un cancer, dans la même solitude dans laquelle peu de temps après est mort Strzeminski, atteint de tuberculose.

Wajda drape l’agonie de Strzeminski d’une étoffe majestueuse. Employé à décorer des vitrines de boutiques, un des plus grands artistes de l’avant-garde mondiale s’écroule en se débattant contre des mannequins en résine. Derrière la vitre la foule anonyme passe, dans une  indifférence totale. Si Les Fleurs bleues ne compte pas parmi les meilleurs films de Wajda, il est sans doute un des plus émouvants car des plus autobiographiques. Après avoir arraché la figure de l’ouvrier au pouvoir communiste avec L’Homme de marbre, le chef de file de ce qu’on appelle en Pologne le courant du cinéma de « l’inquiétude morale », semble avoir voulu dans son dernier film récupérer la figure de l’artiste des mains des nationalistes. Et il y a réussi.

Sainte Taubira, pleurez pour elle!

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Christiane Taubira, février 2017 © SIPA
Christiane Taubira, février 2017. SIPA. AP22010721_000006

Pour certains, la vie est un long fleuve tranquille. Pour d’autres – et Christiane Taubira en témoigne avec l’éloquence emphatique qui est sa marque – c’est une vallée de larmes. Pleure, ô mon pays bien-aimé… Pleurez, martyrs de la vérité… Et vous tous qui avez le cœur sec, écoutez la triste complainte de la pauvre Taubira.

Elle a certainement souffert en Guyane des abominations de la colonisation française. Elle a certainement vécu dans sa chair émue les horreurs que nous avons infligées à l’Afrique noire. Mais depuis un certain temps, elle fait preuve d’une louable retenue sur ces douloureuses questions. C’est d’elle-même, de sa souffrance personnelle qu’elle a voulu parler en s’affranchissant de sa timidité et de sa modestie naturelles.

Chez l’ancienne garde des Sceaux, tout sonne faux

Elle était interviewée dans Le Monde où on l’interrogeait sur les propos d’Emmanuel Macron, selon lesquels, lors du débat sur le mariage pour tous, les opposants à cette loi avaient été « humiliés ». Et là, la lionne blessée a rugi. Son cri de colère mérite d’être cité en entier tant il atteint les cimes de la perfection lyrique :

« Qui a été humilié ? Celle qu’on traitait de guenon tous les matins ? Celle qui recevait des menaces de mort ? Celle sur qui on lançait des œufs ? A l’inverse, qu’on trouve un quart de virgule où j’aurais tenu un propos humiliant. Ce n’est pas faute d’en avoir entendu et d’avoir quatre enfants qui, en se levant le matin, les entendaient.

Mais je ne compte pas, je fais rempart parce que, derrière moi, il y a des gens. Les agressions physiques homophobes, c’est la Manif pour tous qui les a supportées ? Les insultes homophobes, la disqualification de toute famille en dehors de celle avec un papa, une maman, un petit garçon et une petite fille… Ces gamins qui ont entendu qu’on les traitait d’“enfants Playmobil”. Elle était dans quel camp, l’humiliation ? »

On aimerait faire crédit à Christiane Taubira et lui accorder, le temps d’un article, une présomption de sincérité. Mais on ne peut tant l’outrance est grande, renforcée de surcroît par une grandiloquence dégoulinante. « Guenon » tous les matins ? Une – oui, seulement une – imbécile frontiste l’a caricaturée en singe. Et c’est déjà trop. On lui a lancé des œufs ? Oui, deux ou trois crétins racistes, et tout crétin raciste doit être dénoncé pour ce qu’il est. Des agressions physiques homophobes ? Oui, mais elles sont le fait – et Christiane Taubira ne peut l’ignorer – des jeunes de banlieue qu’elle aime tant.

Chez l’ancienne garde des Sceaux, tout sonne faux. Elle fait sonner les cloches du désespoir et on entend un bruit de mensonge. Elle affecte de pleurer et on a aussitôt le sentiment qu’elle ricane en douce. Elle s’adresse à notre cœur et on ne peut s’empêcher de penser qu’elle nous prend pour des cons. Christiane Taubira n’est pas candidate à la présidence de la République. C’est dommage : on aurait su pour qui ne pas voter !

Marianne & Macron, le jeu des 7 erreurs

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macron bayrou marianne
macron bayrou marianne
A gauche, le Une de Marianne du 19 janvier. A droite, celle du 24 février.

Ami lecteur, sauras-tu retrouver les modifications opérées, sans doute par distraction, entre la ligne éditoriale de Marianne du 19 janvier (n°1033) et celle du 24 février (n°1039) ?

Les 100 premières bonnes réponses gagneront toute mon affection.