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Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!»


Terrée dans les sous-sols peu avenants de l’Opéra-Bastille, la petite salle en rotonde de l’Amphithéâtre Olivier Messiaen est en placement libre. Au seuil de la représentation, les spectateurs demeurent rivés à leurs smartphones, la plupart d’entre eux curieusement indifférents au beau danseur brun (Nicolas Fayol, formé au breakdance) qui, sa flexible nudité enveloppée d’un simple caleçon couleur chair, le chef coiffé de petites cornes animales, bondit telle la biche sur le massif rocher central, ou arpente à quatre pattes le sol charbonneux du plateau, sur fond de pépiements d’oiseaux.

Opéra en format poche

Prélude à L’isola disabitata (L’île déserte), « azione teatrale » chantée en italien, comme il se doit, courte partition (moins d’une heure et demi) composée en 1779 par Joseph Haydn, sur un livret de Métastase, déjà maintes fois exploité alors par le genre lyrique. Un opéra en format de poche, en quelque sorte. À main gauche de la salle s’installe, en gradins, la petite formation de l’orchestre Ostinato, dirigé par le maestro hispano-américain François Lopez-Ferrer (lauréat du prix Sir Georg Solti en 2024). Pour les parties chantées alternent, selon les représentations, plusieurs artistes en résidence à l’Académie maison. Pas de chœur dans cette œuvre qui ne mobilise que deux mezzo ou soprano pour les voix de femmes, un ténor et un baryton pour les rôles masculins.

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L’intrigue se résume à presque rien. Constanza et sa petite sœur Silvia, pris dans une tempête, échouent sur une île déserte. Capturé par des pirates, Gernando, l’époux de Constanza, a pu s’échapper avec son ami Enrico. Treize ans ont passé. Les deux garçons débarquent sur l’île où Constanza, se croyant trompée et abandonnée, a transmis à la virginale Silvia sa défiance vis-à-vis de la gent masculine. Mais les sens de la candide Silvia s’éveillent irrésistiblement au contact d’Enrico. Par chance, tous ces fâcheux malentendus finiront par se voir levés et, dans un réjouissant quatuor final, les deux couples hissent les voiles pour convoler en justes noces.

Intelligent et raffiné

Au départ danseur du Corps de ballet de l’Opéra de Paris, puis metteur en scène en résidence à l’Opéra de Paris, Simon Valastro signe ici une nouvelle production : intelligente, discrète et raffinée. Selon sa position dans l’espace scénique, le rocher pivotant se transforme en refuge voire, au dénouement, en proue du navire où, sur fond d’écume figurée par une fumée blanchâtre à ras de sol, une voile bleue victorieusement levée, embarqueront Costanza et Gernando, Silvia et Enrico, rescapés voguant désormais vers le bonheur conjugal.

La même sobriété allusive s’attache aux costumes imaginés par Angelina Uliashova pour ces quatre rôles : ils se déplacent, pieds nus, dans la lumière changeante du huis-clos insulaire, vêtus d’étoffes blanches ou beiges qui les caractérisent chacun – nuisette immaculée pour la candide adolescente Silvia, robe à traîne pour l’âpre Costanza, par exemple… Laquelle finira par avouer à sa cadette :  « Les hommes ne sont pas, comme je te le disais, inhumains et infidèles ». Par les temps qui courent, en 2025, la leçon est bonne à prendre.

Au soir de la première, une ovation nourrie s’adressait tout autant à la remarquable performance de l’orchestre qu’aux quatre interprètes en piste ce 11 mars –  mezzo Amandine Portelli (Costanza), ténor Liang Wei (Gernando), baryton Clemens Frank (Enrico), soprano américaine Isobel Anthony (Silvia). A cette dernière, surtout, vont mes suffrages personnels, si je puis me permettre : vibrato serré d’une grande expressivité, subtilité, douceur de l’émission vocale, articulation parfaite dans les vocalises, jeu d’une vitalité, d’une sincérité touchantes.  


L’isola disabitata, de Joseph Haydn. Direction : François Lopez-Ferrer. Mise en scène : Simon Valastro. Orchestre Ostinato. Artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris.
Durée : 1h30
Opéra Bastille, amphithéâtre Olivier Messiaen, les 14, 15, 18 et 21 mars à 20h.

Dernières leçons de maintien en date de tous ces cultureux qui me fatiguent…

L’élection de Donald Trump aux États-Unis glace le sang de François Cluzet, Yann Barthès, Omar Sy et Emmanuelle Béart. De son côté, Daniel Craig, alias « 007 », redoute un retour en force de la masculinité toxique. Tilda Swinton tremble face au retour des frontières, tandis que Nagui sermonne les candidats qui n’aiment pas Gaïa et les vachettes autant que lui. Une chronique signée Didier Desrimais, qui passe sans doute un peu trop de temps devant la télé !


Le panurgisme des artistes n’a d’égal que celui des journalistes. Ça bêle à qui mieux-mieux dans les milieux cultureux. Les moutons défendent identiquement certaines valeurs, dénoncent pareillement certains fascistes, préconisent semblablement de sauver la planète et d’abolir les frontières. Naturellement de gauche, ils ne peuvent s’empêcher de donner des leçons de morale et de politique au monde entier. Sur LCI, à Darius Rochebin lui demandant ce qu’il pense de l’arrivée de Trump au pouvoir, l’acteur François Cluzet balbutie : « Dabord, ce qui est incroyable cest quil ait pu être réélu. Ça a été vraiment la surprise du chef. Comment ce type qui est dune obscénité incroyable, dune vulgarité sans nom, qui propose des trucs dont il change davis (sic) la semaine daprès ou en tout cas qui ne se réalisent pas… » La phrase, inachevée, reste en suspens au-dessus du vide cérébral.

La France a peur…

L’acteur égrène ensuite de confuses et craintives considérations qui semblent enchanter M. Rochebin. M. Cluzet confie en effet avoir peur pour l’Amérique et pour l’Europe. Il récite l’évangile européiste selon Sainte Ursula en invoquant Victor Hugo et son désir de voir naître un jour les États-Unis d’Europe. Adepte de formules creuses, usées jusqu’à la corde par Jack Lang et par ses congénères, il dit être persuadé que, grâce à une UE forte et « ouverte », nous allons « surtout nous enrichir culturellement ». L’enrichissement culturel auquel songe l’acteur s’affiche d’ores et déjà dans l’espace monotone et uniforme d’une Europe wokisée, macdonaldisée, jeffkoonsisée, netflixisée – et donc culturellement appauvrie. Ce monde « ouvert et inclusif » accueille en outre en son sein un nouvel enrichissement culturel issu d’une immigration extra-européenne imposant petit à petit de nouvelles mœurs, une religion qui a fait ses preuves en termes de paix et de tolérance, un jeûne du mois de ramadan d’ores et déjà plus souvent cité et honoré dans nos médias et dans certaines de nos villes que celui qui accompagne le Carême, des commerces halals de plus en plus nombreux, des modes vestimentaires inédites sous nos latitudes. À ce propos, la dernière vidéo publicitaire de la marque de vêtements islamiques Merrachi annonce explicitement le projet d’enrichissement culturel des Frères musulmans et des islamo-gauchistes : la Tour Eiffel y est en effet recouverte d’une abaya et d’un hijab…

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Le 10 février, l’insipide Yann Barthès recevait sur le plateau de Quotidien les protagonistes du dernier film d’Anne Le Ny, Dis-moi juste que tu m’aimes. Omar Sy, à propos de l’élection de Donald Trump : « C’est tragique ». Court, sobre, efficace, sans doute la meilleure prestation de l’acteur. Elodie Bouchez, elle, confie avoir beaucoup aimé vivre à Los Angeles, « mais ce qui se passe aux États-Unis est dramatique….  avec le retour de Trump. Ça fait froid dans le dos. » Nous étions au début d’une nouvelle ère glaciaire dans les médias…

24 février. La matinée est fraîche. Un vent polaire balaie la matinale de France Inter. Bien qu’emmitouflée dans un épais pull en laine, l’actrice Emmanuelle Béart frissonne : « L’élection de Trump me glace le sang. Et puis nous, nous lEurope, on ne réalise pas à quel point à partir daujourdhui nous sommes en danger. » Nous n’en saurons pas plus. Un silence hivernal étreint cet avertissement impénétrable. Brr !

Hollywood et le Fouquet’s ne dorment plus…

Sur France Inter, toujours. Daniel Craig est reçu pour son dernier rôle dans le film de Luca Guadagnino, Queer. Il est horrifié, dit-il, par le « retour violent de la masculinité », en particulier en politique, « avec les extrêmes », suivez mon regard. Le discours woke de M. Craig est aussi ennuyeux et convenu que le film dont il fait actuellement la promotion, si je veux en croire Éric Neuhoff qui, dans Le Figaro, conseille d’écluser une bonne rasade de mescal pour « se remettre de ce pensum prétentieux ». Je ne suis pas allé voir le pensum en question ; j’ai préféré déguster un excellent whisky écossais en regardant Skyfall, un des meilleurs James Bond avec Daniel Craig du temps où la masculinité ne lui faisait pas peur.

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50ème Cérémonie des César. Le cinéma français subventionné et subclaquant se regarde mourir. Durant cette longue soirée mortuaire, chacun cache son ennui du mieux qu’il peut. Signe des temps, le film woke de Jacques Audiard rafle logiquement la mise. Les discours édifiants sont aux petits oignons : un coup sur Trump, un coup sur « l’extrême droite fasciste », un coup sur Israël, un coup sur la Russie, un coup sur Bolloré – ah ! non, pas sur Bolloré, en tout cas pas ce soir : la cérémonie est, comme tous les ans, retransmise sur Canal + et Vincent Bolloré est le premier financeur du cinéma français. Bohèmes, oui, mais bourgeois, avant tout… et tout ce petit monde de finir la soirée au Fouquet’s, aux frais de la princesse.

Lors d’une autre veillée funèbre, celle du dernier Festival du film de Berlin, l’actrice Tilda Swinton a tenu à mettre ses pas dans ceux de tous ces merveilleux artistes qui ne rêvent que d’inclusivité, de diversité et de solidarité. Cette prêtresse théâtrale a prêché pour un monde meilleur « intrinsèquement inclusif » dans lequel seront en outre punis les méchants qui « fraternisent avec ceux qui détruisent la planète », un monde ouvert, « sans politique d’exclusion, de persécution ou de déportation », sans visas, sans contrôles migratoires, sans frontières. La voix sépulcrale et la pâleur spectrale de l’actrice renforcèrent une pénible impression, celle d’entendre la Mort elle-même augurer les phénomènes mortifères menant à notre anéantissement. Dans la salle, des ombres macabres applaudirent la lugubre pythie. Dehors, dans le monde réel, les Allemands apprenaient le même jour l’attentat, à Munich, d’un Afghan ayant foncé dans la foule avec sa voiture, faisant près de 40 blessés et tuant une jeune femme et sa fille de deux ans.

Sur le plateau de BFMTV, la comédienne Macha Méril s’est enthousiasmée pour la « menace militaire » qui planerait sur la France et qui laisse présager, selon elle, une nouvelle « cohésion nationale » : « Regardez ces témoignages de jeunes qui sont au fond disposés à s’engager. C’est formidable, c’est nouveau. On pensait qu’aux loisirs, aux vacances et à aller à l’étranger, se dorer la pilule aux Bermudes. Maintenant il y a un autre objectif qui va nous réunir et ça veut dire qu’on s’achètera moins de pantalons et qu’on va dépenser l’argent autrement. » Je préfère n’ajouter aucun commentaire à cette logorrhée sénile.

https://twitter.com/DestinationTele/status/1899403512171094282

Conclusion menant à un réjouissant exercice de gymnastique jambière. Nagui, l’animateur de “N’oubliez pas les paroles”, se prétend écolo. Quand Fanny, une participante à son émission, lui apprend qu’elle a l’intention d’acheter un fourgon pour l’aménager et pouvoir se déplacer et surtout travailler, il la sermonne sévèrement : « Non mais, attendez, vous dites aimer la planète, vouloir sauver la planète, vous occuper de la culture… Et le problème d’un fourgon, c’est que d’un coup, là, il y a des odeurs de diesel qui arrivent à mon nez. » La pauvre Fanny, humiliée, n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive que l’animateur l’apostrophe à nouveau avec condescendance : « Vous connaissez le principe de sauver la nature et la planète ? » Si Fanny avait eu autant de rouerie pontifiante que son tourmenteur, elle aurait pu lui répondre qu’elle n’a pas les moyens, elle, de se payer des vacances sur un yacht luxueux, de faire de nombreux allers-retours en avion pour aller simplement voir des matchs de foot à l’étranger, de se détendre dans une somptueuse villa avec piscine à Saint Tropez ou de s’offrir une voiture de sport de collection. « Ah ! oui, mais attention, aurait alors sûrement rétorqué le tartuffe, j’ai aussi une voiture électrique. » C’est vrai : une Tesla Model X de 125 000 euros conduite par un chauffeur privé ! M. Nagui mérite incontestablement un coup de pied au derrière. Pas de demi-mesure : le coup de pied en question doit être foudroyant, décisif, suffisamment puissant pour envoyer définitivement cette baudruche sur orbite. Voilà un geste, je crois, qu’il serait aisé de citer en exemple, puisqu’il participerait tout à la fois au sauvetage de la culture et de la planète…

https://twitter.com/NewsTVReal/status/1897006851843322261

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Pierre Lellouche/Ukraine: une guerre pour rien?

Pierre Lellouche ne s’attendait pas à la brutalité de Donald Trump à l’égard de Kiev ni à ce qu’il refonde la puissance américaine sur le modèle de la Chine ou de la Russie. L’ancien ministre de François Fillon, excellent connaisseur des questions stratégiques, appelle les Européens, jusqu’ici grands cocus de cette affaire, au réarmement.


Causeur. La Russie et les États-Unis ont entamé des négociations bilatérales visant à mettre fin à la guerre en Ukraine… sans les Ukrainiens ! Les Américains sont-ils en train de les lâcher ?

Pierre Lellouche. Malheureusement, tout cela était parfaitement prévisible. Donald Trump avait annoncé son intention de mettre fin rapidement à ce conflit, qu’il jugeait « ridicule ». Je persiste pour ma part à penser que cette guerre, qui a fait un million de tués et de blessés des deux côtés, aurait pu être évitée, voire stoppée depuis avril 2022, comme je le démontre en détail dans mon dernier livre Engrenages1. Les Russes souhaitent également y mettre fin rapidement, car elle représente non seulement de lourdes pertes humaines, mais elle pèse fortement, à long terme, sur l’économie. En revanche, ce que je n’avais pas prévu, c’est la brutalité du nouveau président des États-Unis à l’égard des Européens, de l’Ukraine et de Volodymyr Zelensky en particulier. Trump inaugure une Amérique révisionniste, nationaliste et même impérialiste, à l’instar des autres grandes puissances, la Chine et la Russie. Avec lui, les États-Unis rompent avec ce qu’ils étaient depuis 1945 : le leader de l’Occident et le promoteur d’un ordre mondial fondé sur le droit. Cela s’accompagne d’un profond bouleversement à l’intérieur de l’État fédéral et de ses institutions, dans le but de retrouver ce qu’il qualifie de « vraies valeurs de l’Amérique ». Mais cette brutalité fait partie d’une stratégie, dont le but est de convaincre les Ukrainiens que la poursuite du conflit est une voie sans issue.

En somme, nous devons nous adapter à un monde où seuls comptent la force et les intérêts ?

Exactement. Nous vivons tout simplement le retour aux relations internationales d’avant 1918 et les illusions du wilsonisme. Mon vieux maître Henry Kissinger aurait adoré. C’est le retour au congrès de Vienne et au jeu d’équilibre des grandes puissances…

Revenons à l’Ukraine. N’y avait-il vraiment pas une autre issue, plus conforme au droit et à la morale ?

Il n’y en a jamais eu. La vérité est que les Ukrainiens ne pouvaient pas gagner cette guerre ni reprendre militairement les territoires perdus. Aujourd’hui, sans les livraisons d’armes américaines, l’Ukraine ne pourra pas simplement continuer cette guerre. Zelensky lui-même l’a reconnu publiquement.

Les Européens ne peuvent-ils pas remplacer le soutien américain ?

Non ! Les Européens ne disposent pas d’armements équivalents aux lance-roquettes HIMARS, aux systèmes de défenses sol-air NASAMS et Patriot ou au système de communication par satellite Starlink. Surtout, leurs arsenaux sont vides et leurs usines tournent insuffisamment, faute de commandes. Le Vieux Continent se révèle être le grand cocu de l’opération. Comme l’avait dit le journaliste américain David Ignatius, bon connaisseur de ces affaires, « les États-Unis ont saigné l’armée russe en laissant la note du boucher aux Ukrainiens ». Les Européens, eux, n’avaient aucun objectif stratégique réfléchi dans cette guerre par procuration commencée par Joe Biden en avril 2022. La véritable grande surprise stratégique de ce conflit, en dehors de l’utilisation massive de drones qui est venue plus tard, c’est la résistance des Ukrainiens et la débâcle de l’armée russe au cours des premières semaines de combat. A Moscou et à Washington, on pensait que la guerre serait pliée en trois jours. C’est cet échec russe qui a encouragé Biden, dès avril, à réarmer l’Ukraine de manière significative afin d’infliger une leçon à Vladimir Poutine et, comme l’avait déclaré le ministre américain de la Défense de l’époque Lloyd Austin, « lui ôter l’envie de recommencer ». Les Européens, quant à eux, se sont contentés de suivre Biden, espérant qu’il remporte cette guerre. Ils se sont comportés dans cette affaire comme des supporteurs enthousiastes d’une équipe de football qui ont payé leur ticket sans participer au match, en partie parce qu’après trente années de désarmement budgétaire, ils n’en avaient pas les moyens.

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Si les Américains ont fait la guerre par procuration pour bouter les Russes hors d’Ukraine, pourquoi ne dit-on pas qu’ils l’ont perdue, cette guerre ?

Ce serait reconnaître qu’on s’est trompé depuis le début. Biden, à Varsovie, avait présenté cette guerre comme celle « du bien contre le mal ». Qu’on ne pouvait donc pas perdre. Quant à Poutine, qu’il appelait « le tueur », il devait « partir ». Or Poutine est toujours là. Quant à Macron, il désigne la Russie comme « une menace existentielle pour l’Europe ». Alors pourquoi ne pas l’avoir combattue directement ? Et comment accepter la défaite de l’Ukraine aujourd’hui, sans accepter qu’elle est aussi la défaite de l’Europe elle-même ? En nous engageant à moitié dans cette guerre par procuration derrières les Américains, nous avons pris le risque que la défaite soit aussi celle de l’Europe, ce que naturellement nos dirigeants somnambules ne peuvent pas admettre.

Si l’état des arsenaux des pays européens était aussi déplorable, de quoi Poutine avait-il peur ? Pourquoi lancer une guerre contre un tigre de papier ?

C’est une longue histoire qui remonte à la chute de l’URSS il y a trente-quatre ans. À la fin de la guerre froide, les Russes espéraient que la dissolution du pacte de Varsovie serait suivie par celle de l’OTAN et que l’Ukraine resterait dans leur zone d’influence et certainement pas dans l’Alliance atlantique. Bill Clinton était de cet avis lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche en janvier 1993. Mais sous la pression des Polonais, des Hongrois et d’autres pays de l’Est, qui refusaient de rester « en suspens » après la chute du mur de Berlin, la politique de Washington a évolué. Il ne faut pas oublier non plus la pression exercée par l’appareil militaro-industriel et technocratique de l’OTAN à Bruxelles, en quête d’une nouvelle raison d’être. Cela explique notamment l’engagement de l’OTAN en Afghanistan, où son rôle n’était pourtant nullement défini. Ce changement de politique américaine s’est opéré contre l’avis des meilleurs stratèges américains, de Henry Kissinger à Zbigniew Brzezinski, en passant par George Kennan, le père de la stratégie du containment (endiguement ). Quant aux Russes, ils n’ont pas cessé de protester contre les élargissements successifs de l’OTAN, mais personne ne les écoutait. Puis, lorsque Poutine est parvenu au pouvoir en 1999-2000, les Ukrainiens ont commencé progressivement à exprimer le souhait d’adhérer à l’OTAN (le président ukrainien Iouchtchenko lui-même me l’a confirmé en 2004 lors de ma visite à Kiev en tant que président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN). Or c’était insupportable pour les Russes. En 2007, Poutine prononce son célèbre discours, dans lequel il accuse les États-Unis de chercher à dominer un monde unipolaire contre la Russie mais personne, là encore n’écoute.Pour le sénateur John McCain, la Russie n’était rien d’autre qu’une « grosse station d’essence avec des bombes atomiques ». L’année suivante, lors du sommet de Bucarest, en mars 2008, George W. Bush annonce, comme point d’orgue de la fin de son deuxième mandat, l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et l’Ukraine, donc jusqu’aux frontières de la Russie. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lui demandent alors de renoncer à cette politique, sous peine de déclencher une guerre. Cependant, le compromis trouvé à l’issue du sommet ne fera qu’aggraver la crise. Le texte stipulait que l’Ukraine et la Géorgie « avaient vocation à intégrer l’OTAN », mais sans pour autant fixer de date. Résultat, ils se sont retrouvés sans défense face à des Russes, désormais convaincus que, s’ils ne faisaient rien, Kiev intégrerait l’Alliance atlantique. Cet été-là, les Russes ont envahi la Géorgie.

Le point de départ, c’est que la Russie refuse d’avoir des États pleinement souverains à ses frontières. Cette exigence (qui piétine celle des peuples à décider des moyens de leur sécurité) est-elle légitime ?

C’est le sort des États qui ont la malchance d’être frontaliers des très grandes puissances. Voyez comment Trump traite des pays amis comme le Canada, le Mexique ou Panama ! À Cuba, les Américains n’ont pas accepté le déploiement de missiles nucléaires russes à portée de leur territoire. Poutine ne dit pas autre chose s’agissant de l’Ukraine. Et il me l’a dit en face en septembre 2013, juste avant Euromaïdan2 et la crise de Crimée. C’est sans doute contestable au niveau de la morale et des grands principes du droit international. Mais qu’est-ce que le droit international sinon le résultat du rapport de force entre les nations ?

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Aujourd’hui, quels sont les objectifs russes ? Quel est le prix minimum que Poutine acceptera pour signer une paix avec l’Ukraine ?

Contrairement aux Occidentaux, qui n’ont jamais, depuis trente ans, articulé une politique cohérente vis-à-vis de l’Ukraine, les Russes, eux, sont constants en politique étrangère. Ils ont quatre objectifs principaux, annoncés dès avant la guerre. Ils exigent tout d’abord la neutralité de l’Ukraine, c’est-à-dire la garantie de l’Occident qu’elle ne rejoindra pas l’OTAN. La triste ironie de cette affaire, c’est que, tout en prétendant le contraire, ni Obama ni Biden ne souhaitaient voir l’Ukraine entrer dans l’OTAN. Et Trump encore moins bien sûr. Une guerre pour rien, donc ! Leur deuxième condition est, bien entendu, de conserver la Crimée et le Donbass, là aussi une position russe constante depuis 1991. C’est pourquoi leur effort militaire se concentre aujourd’hui sur la reconquête totale des quatre oblasts du Donbass. Le troisième objectif est la levée des sanctions et le rétablissement de relations commerciales normales, en priorité avec les États-Unis et, accessoirement, avec l’Europe. L’économie russe a besoin de la technologie occidentale et souhaite éviter une dépendance totale vis-à-vis de la Chine. Enfin, leur dernier objectif, qu’ils poursuivent depuis longtemps, est de reconfigurer l’architecture de sécurité en Europe.

C’est-à-dire ?

Repousser le plus loin possible les forces de missiles et de défense antimissile que l’OTAN et les États-Unis ont déployées près de la Russie. Ils souhaitent également un accord sur les armes nucléaires intermédiaires, qui, rappelons-le, faisaient l’objet du traité de 1987, dit « INF », abandonné depuis.

Quelle position la France devrait-elle adopter ?

Notre problème est d’éviter que la négociation se fasse au-dessus de notre tête et qu’ensuite un accord bâclé conduise à une nouvelle guerre. Sauf que, après avoir longuement hésité et même alerté sur le danger d’ « humilier » la Russie, Emmanuel Macron est désormais en rupture totale avec Poutine. Pour ne rien arranger, la situation politique et économique de la France fait qu’elle ne compte plus guère aux yeux des États-Unis. Résultat, je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement qu’acquiescer à ce que décideront les Russes et les Américains. Ce qu’a fait Macron à Washington le 24 février dernier.

Rencontre triatérale entre Donald Trump, Emmanuel Macron et Volodomyr Zelensky au palais de l’Élysée, en marge de la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 7 décembre 2024 © Ukrainian Presidency/SIPA

Mais la France et le Royaume-Uni ne disposent-ils pas de moyens militaires suffisants pour se déployer en Ukraine et y garantir la paix ?

Le scénario le plus probable, c’est celui de la neutralité de l’Ukraine, reconnue par la communauté internationale, c’est-à-dire par le Conseil de sécurité des Nations unies, et garantie par des puissances extérieures. C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition des Français et des Britanniques d’engager leurs forces en Ukraine pour « garantir la paix ». Mais, pour ce faire, ils souhaitent l’appui logistique et aérien au minimum des États-Unis. Or les Américains ont déjà précisé qu’ils n’avaient ni l’intention d’intervenir en Ukraine, ni de donner la moindre garantie de sécurité, y compris au titre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord, aux troupes européennes qui s’engageraient en Ukraine. C’est la raison pour laquelle les Allemands, les Italiens et les Polonais ne souhaitent pas participer à une telle force.

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Pourtant, Zelensky, après avoir perdu le soutien américain, avait demandé à l’Europe 200 000 soldats…

Sauf que cette armée n’existe pas ! L’Angleterre et la France peuvent engager 30 000 à 40 000 hommes sur une ligne de front de mille kilomètres. Pour donner un ordre de grandeur, environ un million de soldats, de part et d’autre, sont déployés le long de ce front.

Qui vous garantit que, si Poutine obtient satisfaction sur ses quatre points, il s’arrêtera là ? Ne sera-t-il pas tenté de pousser l’avantage, comme après 2014, et de déstabiliser les pays baltes et la Moldavie ?

Je pense que les objectifs de la Russie consistent fondamentalement à arrêter l’expansion de l’OTAN et à neutraliser une Ukraine dont elle contrôlera la partie orientale. Poutine n’a pas pour plan de conquérir l’Europe, il n’en a pas les moyens. En trois ans, la Russie n’a même pas été capable de conquérir l’Ukraine, un pays qui compte aujourd’hui moins de 30 millions d’habitants.

Admettons que Poutine se borne à cette ambition « mesurée ». En quoi cela nous prémunit-il contre l’appétit de ses successeurs ?

La meilleure façon d’éviter les tentations bellicistes russes dans cinq ou dix ans est de faire en sorte que les principales nations européennes soient capables de se défendre, plutôt que de rester désarmées. Je ne prétends pas prédire les décisions des dirigeants russes à l’avenir, car cela dépendra en grande partie de l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident. S’il y a une reprise des échanges économiques, nous pourrions nous retrouver dans un monde complètement différent. En tout cas, les grands États européens doivent redécouvrir qu’ils étaient jadis des puissances souveraines et qu’ils doivent le redevenir. Jean-Jacques Rousseau disait que « la servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer ». Les Européens ont adoré l’OTAN. Il va leur falloir apprendre à s’en passer.

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Si vous étiez au pouvoir, quelle armée française construiriez-vous pour 2030-2035 ?

Vous avez raison de vous projeter à cette échéance, car il faudra au moins cinq à dix ans pour remettre en route l’industrie de l’armement à un niveau sérieux. L’impératif, dans l’immédiat, est d’abord de conserver, ne serait-ce qu’à minima, l’Alliance atlantique et une présence américaine. Parallèlement, il faut que les Européens se chargent de leur propre sécurité à commencer par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. La réponse en tout cas ne viendra pas de Bruxelles. Il faut s’arrêter, comme le disait le général de Gaulle, de sautiller en criant « Europe de la défense » ou « souveraineté européenne ». De son côté, Bruxelles ferait mieux de mettre fin à sa taxonomie qui interdit aux entreprises européennes pétrolières, gazières et militaires l’accès aux crédits, et qui empêche les banques européennes de financer l’industrie de l’armement. Il faut donner au contraire une priorité communautaire à l’achat d’armement européen, seule condition d’un ruissellement économique sur le reste de notre économie. Enfin il conviendra sans doute de remobiliser nos pays en réintroduisant le service militaire obligatoire. Si chacun des grands pays entreprend ce réarmement, quantitatif et qualitatif, il sera possible de construire une force européenne coordonnée, appuyée sur la dissuasion du Royaume-Uni et de la France, qui sera crédible aux yeux des Russes. Cela est tout à fait à la portée de l’Europe actuelle. Mais l’alternative, comme je le crains et le dis dans mon livre, c’est que rien de tout cela ne se passe et que, après avoir perdu son socle sécuritaire américain, l’Europe finisse par imploser. On verrait alors se reposer la question allemande, avec le risque d’une nucléarisation de l’Allemagne au moment même où la jeunesse du pays menace d’être tentée par l’AFD.


  1. Engrenages : la guerre d’Ukraine et le basculement du monde, Odile Jacob, 2024. ↩︎
  2. Les manifestations survenues en Ukraine suite au refus du gouvernement de signer un accord d’association avec l’Union européenne ↩︎

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Affiche “antisémite” de LFI: selon Mélenchon, c’est la faute à l’extrême droite!

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Le leader de l’extrême gauche française a répondu hier matin à la polémique monstre suscitée par une affiche de son mouvement caricaturant l’animateur télé Cyril Hanouna. Pas convaincant !


Le mardi 11 mars, La France Insoumise a publié de nouvelles affiches pour promouvoir sa « manifestation contre le racisme et le fascisme » prévue le 22 mars à Paris et dans plusieurs grandes villes. En d’autres termes, pour reprendre son vocabulaire : contre « l’extrême droite » ! Plusieurs visuels ont été diffusés, représentant le journaliste de CNews Pascal Praud ou l’animateur Cyril Hanouna, considérés par le mouvement d’extrême gauche comme des « relais » de « l’extrême droite et de ses idées ».

Malheureusement, cette campagne de propagande n’a pas du tout eu l’effet escompté, et a même provoqué une intense polémique qui agite la sphère politico-médiatique depuis. Sur l’une des affiches, Cyril Hanouna est caricaturé avec des traits physiques déformés, un regard menaçant et une bouche difforme, le tout plongé dans une extrême noirceur. Il n’a fallu que quelques minutes pour que les réseaux sociaux soient inondés de réactions condamnant cette représentation. De nombreux observateurs ont immédiatement remarqué une troublante ressemblance entre ce visage volontairement déformé et celui figurant sur l’affiche du film antisémite allemand de 1940, Le Juif éternel. C’est la même caricature physique, les mêmes oreilles légèrement décollées, le même sourire grinçant, le même regard sombre, se persuadent les détracteurs de LFI !

La faute à pas de chance ?

Même le journaliste progressiste Jean-Michel Aphatie, pourtant peu connu pour porter Cyril Hanouna dans son cœur, a apporté son soutien à l’animateur, dénonçant un visuel « effrayant (…) qui rappelle la haine des Juifs des années trente ». De son côté, Cyril Hanouna a annoncé entamer des procédures judiciaires, pendant que la chaîne CNews ou le JDD suivent l’affaire de près. L’ancien sénateur socialiste David Assouline a, lui aussi, condamné une caricature « abjecte », affirmant que « cette image emprunte tous les codes des caricatures antisémites » et que désormais, « LFI n’a plus rien à voir avec la gauche antiraciste ».

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Depuis le 7-Octobre, LFI s’est distinguée par des déclarations controversées sur le conflit israélo-palestinien. Le parti a même été accusé par certains d’un soutien plus ou moins ambigu envers le Hamas, organisation terroriste. Ainsi, la question soulevée par de nombreux twittos le 11 mars semble légitime : le parti d’extrême gauche aurait-il délibérément voulu faire une affiche à connotation antisémite crasse ? Trop gros pour être vrai ? Maladresse ? Incompétence notoire ? Parmi les éditorialistes, les avis divergent. Et certains estiment qu’il vaudrait mieux garder un peu de salive en bouche, des fois que demain un député islamo-gauchiste publie une caricature similaire avec étoile de David, kippa sur la tête ou drapeau israélien… Éric Coquerel, député LFI et président de la commission des finances a reconnu toutefois sur TF1 « une maladresse sur la forme », tout en affirmant que « nous n’avons pas récupéré […] des références antisémites ». Toutefois, force est de constater que le visuel polémique a bien été retiré par son parti.

C’est pas ma faute, c’est le charlisme qui a encore frappé…

Invité de Léa Salamé sur France Inter jeudi matin, Jean-Luc Mélenchon s’est vivement emporté contre la journaliste qui n’y comprend rien au conflit russo-ukrainien. Interrogé en fin d’émission sur la fameuse affiche, il a préféré accuser son ennemi de toujours : l’extrême droite. Refusant de reconnaître une quelconque erreur, il a dénoncé une « habitude des réseaux d’extrême droite » et s’est même lancé dans un exercice d’autoflagellation : « Nous n’avons pas le droit à ces caricatures […] Des caricatures de M. Hanouna, il y en a qui sont mille fois pires dans Charlie Hebdo, mais eux ne sont pas la cible des réseaux d’extrême droite. » Avant de conclure, agacé : « Par pitié, lâchez-nous ! Occupez-vous de ce qu’on raconte vraiment, de ce qu’on dit vraiment, de ce qu’on propose. Dites-nous : “vous vous trompez”, mais arrêtez avec ce cirque. » Dire qu’il se trompe ? Mais nous ne cessons de répéter dans ces colonnes que le parti de M. Mélenchon se trompe ! Mais, il semble qu’il ne soit jamais bienvenu de critiquer les idées de M. Mélenchon…

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Relayer l’idée que cette affiche polémique serait une erreur reviendrait à faire le jeu de l’extrême droite, nous dit le leader insoumis. Très franchement, à part les spectateurs présents exceptionnellement dans le studio ce matin et qui applaudissaient bêtement, qui pensait-il vraiment convaincre ?

https://twitter.com/DestinationTele/status/1900103936868065542

Chef de guerre, chef de la diplomatie? Calmez-vous, ça va bien se passer!

Tensions internationales. Emmanuel Macron, toujours prompt à théâtraliser son rôle, a endossé le costume du chef de guerre le 5 mars. Cheffer, c’est son dada, et il ne manque jamais une occasion de le rappeler, surtout quand il s’agit de diplomatie et de défense. Mais attention, même en matière militaire, sous la Ve République, le chef décide souvent… à condition que d’autres signent derrière lui ! Grande analyse.


Jacques Chirac avait l’habitude de dire qu’ « un chef c’est fait pour cheffer ». Le 5 mars, durant près d’un quart d’heure, le président Macron a essayé de démontrer qu’il s’inscrivait dans les pas de son illustre prédécesseur. Il a donc adopté la posture du chef de guerre mais aussi, l’une ne va pas sans l’autre sous la Ve République, de chef de la diplomatie. Il nous avait fait un coup similaire pour nous annoncer le confinement. Le coup de menton est son arme favorite quand il veut impressionner ! Calmez-vous, M. le président !

Domaine réservé !

Depuis quelques mois, une petite musique est jouée, notamment du côté de l’Elysée, qui laisserait à penser que « le domaine réservé » posé par Jacques Chaban-Delmas dans les années 60, est de retour même dans une période de cohabitation hybride. Mais que disait exactement l’ancien maire de Bordeaux ? Au début de la Ve République, le parti gaulliste n’est pas majoritaire, et M. Chaban-Delmas, qui a été élu président de l’Assemblée nationale contre l’avis du général de Gaulle en 1959, décrit un « secteur réservé ou présidentiel » qui « comprend l’Algérie, sans oublier le Sahara, la communauté franco-africaine, les affaires étrangères, la défense ». Il ajoute que, face à cela : « Le secteur ouvert se rapporte au reste, un reste, d’ailleurs, considérable, puisqu’il réunit les éléments mêmes de la condition humaine. Dans le premier secteur, le gouvernement exécute, dans le second, il conçoit ».

Comme le précise notre collègue D. Rousseau, « dans le texte de la Constitution, le domaine réservé n’est écrit nulle part ». C’est une pratique qui l’a mis en place, impulsée par le présidentialisme. Chaque président s’y est, plus ou moins, référé. Comme le soulignait Georges Pompidou : « je puis affirmer qu’il n’y a pas de domaine réservé, et cela dans aucun sens, qu’en toutes matières, pour l’impulsion, la ligne générale, la continuité, je tiens le rôle du chef de l’État pour essentiel ».

Voyons un peu ce qu’il en est et surtout clarifions les choses d’un point de vue constitutionnel. Nonobstant le « domaine réservé », le gouvernement dispose lui aussi, de par la Constitution, de prérogatives qui touchent aussi à ce fameux « domaine réservé ». Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation (art. 20 de la Constitution). Cela implique d’être aussi actif en matière de politique étrangère et de défense. Mais attention : hors cohabitation cet article 20 doit être lu différemment : le président détermine et le gouvernement conduit. La cohabitation permet en revanche de recourir à une lecture plus parlementaire. Au titre de l’art. 20 également, le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée.  Cela signifie notamment qu’il y a un ministre en charge de la Défense. Enfin, le Premier ministre, chef du gouvernement, est aussi responsable de la défense nationale au titre de l’art. 21.

C’est pour toutes ces raisons, qu’il faut  préférer la notion de « domaine partagé » à celle de « domaine réservé ». D’autant plus que, et c’est là-dessus que l’on va s’attarder, tous les pouvoirs présidentiels sont soumis en ces matières au contreseing ministériel du gouvernement. Que d’observateurs et surtout d’acteurs politiques, souvent de premier niveau, méconnaissent cette règle essentielle à l’exercice des pouvoirs sous la Vè. Etudions à présent cette dernière qui s’applique au « domaine réservé » pour en faire un « domaine partagé ».

Origines du contreseing ministériel

C’est une très ancienne règle monarchique qui voulait que les actes du roi soient contresignés (y compris ceux relatifs à la guerre). Il y avait un ministre en charge des Sceaux qu’il apposait sur les actes royaux afin de les authentifier. Il n’est qu’à regarder les émissions historiques pour constater que lorsqu’est présenté un acte royal il y a toujours un sceau (rouge de préférence). Il s’agit du cachet officiel dont l’empreinte est apposée sur des actes pour les rendre authentiques ou les fermer de façon inviolable. Ce sceau est aussi l’empreinte faite par ce cachet. La cire, le plomb portent cette empreinte. Et si, aujourd’hui,  le ministre de la Justice et aussi Garde des Sceaux, c’est toujours pour cette raison. Son rôle est d’authentifier par un sceau de la République une révision constitutionnelle.

A partir de la IIIè République, le contreseing généralisé sur les actes présidentiels sert toujours à authentifier l’acte mais aussi,  et même surtout,  à « transférer la responsabilité de celui qui signe vers celui qui contresigne » (Thèse Du contreseing sous la Vé République, R.Piastra ; ANRT Lille, 1997).

Bien évidemment, cela se situe dans le contexte du régime parlementaire qui est consacré en France dès 1870 et qui sera perpétué sous la IVe République et, à un degré moindre, sous la Vè. Cela signifie donc que l’essentiel des actes du président de la République est soumis au contreseing ministériel du Premier ministre et des ministres. Sous les IIIè et IVè Républiques c’est un contreseing généralisé même sur les actes liés à la défense et à la diplomatie. Alors qu’avec la Vè, à côté des pouvoirs partagés, on a une nouvelle et inédite catégorie, les pouvoirs propres c’est-à-dire dispensés de contreseing.

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C’est l’art. 19 de la Constitution de 1958 qui définit ces pouvoirs propres et partagés. Ainsi, il énonce que «les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ». Afin de n’avoir pas à y revenir, précisons ici ce qu’est un ministre responsable. Il s’agit de celui qui exerce des compétences sur le domaine visé par l’acte présidentiel (en particulier l’exécution du texte).  Naturellement, le contreseing du ministre est obligatoire. Le refuser équivaut à sa démission. Pour l’exécution de la loi Evin (10 janvier 1991, relative à la lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme), M. Charasse, comme il nous l’a confié, avait ponctué son contreseing d’un « à regret ».  Le clin d’œil du fumeur de cigares en quelque sorte ! Le Secrétariat général du gouvernement dut reprendre le texte que l’intéressé signa (normalement cette fois-ci). 

Les  pouvoirs présidentiels partagés sous la Vè

La liste des pouvoirs partagés est implicitement donnée par l’art. 19. Il s’agit : du pouvoir de nomination des membres du gouvernement (art. 8-1), de la présidence du Conseil des ministres (art. 9), de la signature des ordonnances ainsi que les décrets délibérés en Conseil des ministres (art. 13), du pouvoir de promulgation des lois et de la demande d’une nouvelle délibération (art. 10), des nominations aux emplois civils et militaires (art. 13), de la convocation du Parlement en session extraordinaire et clôture de la séance (art. 30), des pouvoirs en matière de diplomatie et de défense, et du droit de grâce individuelle (art. 17).

Dans le droit fil de notre axe d’étude, étudions plus spécialement deux pouvoirs partagés capitaux en particulier si l’on s’en réfère à l’actualité : les pouvoirs diplomatiques et les pouvoirs de défense.

Les pouvoirs diplomatiques

Selon l’art. 13 C, le président procède à certaines nominations, notamment « les ambassadeurs et envoyés extraordinaires ». Ces derniers doivent être approuvés par le Parlement et, bien entendu, le décret de nomination doit être contresigné par le Premier ministre et les ministres responsables (ndlr : responsables de l’exécution du texte). Comme on le constate, le président n’est pas libre de ses choix conditionnés qu’ils sont par le contreseing et par l’aval parlementaire. En cohabitation, il est évidemment encore plus contraint.

Selon l’art 14, le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui. Là encore, les nominations doivent être contresignées.

Selon l’art. 52 C, le président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification. C’est cet article qui consacre le président de la République comme « chef de la diplomatie ». On remarquera que c’est lui qui conduit la délégation française dans toutes les rencontres internationales ou européennes d’importance. Mais, c’est bien le Premier ministre qui dispose de l’administration (art. 21) y compris de celle du ministère des Affaires étrangères. C’est donc lui qui propose à ce titre la nomination des ambassadeurs, et il n’est pas contestable que la négociation d’un traité s’inscrit pleinement dans la « politique de la nation  déterminée et conduite par le gouvernement » (art. 20).

Hors période de cohabitation, le président a la haute main sur la diplomatie. Il y a une verticalité décisionnelle incontestable. En cohabitation, même hybride comme celle que l’on vit actuellement, cette hiérarchie doit être relativisée. Il y a même une dyarchie ou plus exactement une horizontalité décisionnelle.  Actuellement, on voit que M. Barrot, en charge du quai d’Orsay, et assez actif sur la scène internationale. Ce qui semble arranger M. Bayrou, enferré dans les affaires internes. Il est incontestable que c’est M. Macron qui a activé l’UE sur le dossier ukrainien. Mais être en première ligne contre la Russie après avoir dit voici deux ans qu’il ne fallait pas rompre avec elle, peut laisser assez perplexe. De même on ne peut que s’interroger sur la ligne de conduite de l’Elysée à tout le moins erratique sur le dossier algérien. On ne le dit pas assez, mais la gestion des OQTF relève aussi du chef de l’Etat lorsqu’il y a blocage sur les laisser-passer consulaires (titre de voyage exceptionnel délivré aux ressortissants algériens non immatriculés afin de leur permettre de rentrer en Algérie suite à la perte ou au vol de leurs passeports). Quand il le fallait, Jacques Chirac négociait en direct avec son homologue algérien (laisser-passer contre visas, en quelque sorte). Il en fit de même avec ses « amis » marocains Hassan II puis Mohamed VI. Comme Emmanuel Macron ne sait pas gérer le dossier algérien, les OQTF sont systématiquement refusés, refoulés chez nous où ils peuvent continuer à se livrer à des exactions.

En cohabitation, le domaine diplomatique est assez sensible aux rapports personnels entre l’Elysée et Matignon. S’ils sont bons et que la répartition l’est aussi,  la politique est « fluide ». S’il y a hiatus,  c’est plus compliqué. La période actuelle nous parait plus relever du second cas que du premier.

Répétons ici que tous les actes diplomatiques du président de la République sont revêtus des contreseings d’usage (notamment Premier ministre et ministre de la Défense). Cela ne va pas toujours de soi en cohabitation (à ce titre, la première de 1986 à 1988 fut plutôt tendue !). « Quand un diplomate dit ‘oui’, cela signifie ‘peut-être’ ; quand il dit ‘peut-être’, cela veut dire ‘non’ ; et quand il dit ‘non’, ce n’est pas un diplomate »… (Henri Louis Mencken).

Les pouvoirs militaires

L’article 15 énonce que « le président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ». En France, le chef des armées est l’autorité suprême pour les questions militaires. C’est essentiellement son élection populaire qui légitime son rôle éminent auprès des militaires. L’image la plus symbolique est le défilé des troupes le 14-Juillet. C’est vers le président que convergent tous les regards des militaires.

Malheureusement, dès le premier 14-Juillet où il officié, en 2017, le président Macron a envoyé un signe assez  négatif mais révélateur à toutes les autorités militaires françaises. Lors de la campagne présidentielle de 2017, il s’engage à porter le budget de la Défense à 2% du PIB pour 2025, engagement que le général Pierre de Villiers prend très au sérieux. Cependant, la réduction des dépenses publiques votée par le Parlement prévoit une diminution du budget de la Défense en 2017, ce que le chef d’État-major critique vivement devant la commission de la Défense. Ses propos fuitent dans la presse, ce qui marque le début d’une détérioration de ses relations avec le palais de l’Elysée. Pierre de Villiers (chef d’État-major des armées, le plus haut grade de l’armée française) est ensuite limogé de sa fonction le 19 juillet 2017, par le chef de l’Etat, et il quitte le ministère des Armées pour accéder à la retraite. Dans deux ouvrages, le général de Villiers a exposé une vision assez largement approuvé par le corps militaires ainsi que le grand public (Servir, Fayard, 2017 et L’Équilibre est un courage, Fayard, 2020). Il faut en outre préciser que tous les hiérarques militaires ont été choqués de ce limogeage qui n’a aucun précédent. Cela a entrainé une perte de confiance certaine et durable  entre le chef des armées et ses troupes.

Lorsque l’on envisage les pouvoirs militaires de président, ce sont deux choses. D’abord la loi de programmation militaire (LPM). En matière de finances publiques, il s’agit d’une loi visant à établir une programmation pluriannuelle des dépenses que l’État consacre à ses forces armées. S’il est un domaine où les choix présidentiels sont majeurs, c’est bien là. Car les choix stratégiques et d’équipements, c’est lui qui les fait. Même si le contreseing s’applique également. Ainsi, après plusieurs semaines de débats, la loi de programmation militaire 2024-2030 a été définitivement adoptée par le Parlement le jeudi 13 juillet 2024. Le texte prévoit une enveloppe de 413,3 milliards d’euros pour les armées. Selon le ministre de la Défense Sébastien Lecornu, cette LPM porte l’ambition de transformer les armées pour permettre à la France de faire face aux nouvelles menaces et de maintenir son rang parmi les premières puissances mondiales.

Il s’avère que la crise en Ukraine révèle ces dernières semaines qu’il va falloir faire plus. Dans sa déclaration du 5 mars, le président Macron a énoncé que face aux menaces (Russie et désengagement américain), « nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables ». Il a ensuite précisé : « J’ai demandé au gouvernement d’y travailler le plus vite possible. Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage ». Cet effort a été calculé. Il est de l’ordre d’environ 80 milliards. Le grand problème qui se pose, c’est comment financer ? Si l’on suit le processus budgétaire, la LPM ayant été votée en juillet, il conviendra de voter une loi spéciale pour la modifier. Vu la composition de l’Assemblée, cela risque de ne pas être une sinécure.

Second axe important des pouvoirs militaires présidentiels, l’opérationnel. C’est d’abord l’engagement de troupes françaises sur des zones étrangères. Cet engagement relève de la décision du chef de l’Etat. De de Gaulle à Macron, il en a toujours été ainsi. Bien sûr, le décret présidentiel d’engagement revêt les contreseings de rigueur. Cela pose parfois problème (ex : démission de Jean-Pierre Chevènement en 1991, opposé à l’opération militaire en Irak). C’est aussi le désengagement de soldats (ex : Mali en 2024). Mais, là encore, engager ou désengager des troupes se fait sur la base de décrets contresignés. En 2021, environ 13 000 militaires assuraient la sécurité du territoire national, de pays amis et de ses installations stratégiques.

Mais il faut préciser ici que selon l’art 35 C, « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention ». Bien évidemment c’est au président,  assisté des conseils et comités qui l’entourent, de gérer l’intervention. Toujours sur la base de décrets contresignés. Chacun se rappelle que, depuis 1939, la France n’a plus été confrontée à une guerre. Pour le conflit en Ukraine, et contrairement à ce qui est véhiculé çà et là dans divers médias,  la France comme les autres Etats européens qui aident l’Ukraine n’est en aucun cas un pays belligérant. La belligérance c’est prendre part directement à une guerre. Serait belligérant le pays qui engagerait tout moyen humain (soldats) ou matériel (char) contre la Russie.

Il faut maintenant dire un mot de ce que notre collègue Samy Cohen appelait « le feu nucléaire ». Ce dernier repose sur la dissuasion nucléaire. En France elle est fondée sur notre capacité à infliger des dommages inacceptables à un adversaire qui voudrait attaquer. La dissuasion repose sur la possession de l’arme nucléaire mais aussi sur la capacité à l’utiliser par différents moyens terrestres, maritimes et aériens (Nicolas Roche, « Pourquoi la dissuasion », PUF, 2017). Désormais les textes concernant la dissuasion nucléaire sont contenus au Titre Ier (Articles R*1411-1 à R*1411-18) du Code de la Défense.  La France possède environ 300 têtes nucléaires. Ce qui la classe au 4è rang mondial.  Depuis l’origine la doctrine nucléaire française, fixée par le général de Gaulle, implique que l’emploi de l’arme ne vaut que si un adversaire s’en prend aux « intérêts vitaux du pays ».

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Il existe un paradoxe essentiel que peu d’observateurs soulignent. En l’état actuel de notre Constitution, les pouvoirs militaires sont, comme nous l’avons souligné ci-dessus, contresignés. Dès lors l’engagement du « feu nucléaire » aussi. Bien évidemment une attaque qui menacerait nos « intérêts vitaux » ne supporterait la lenteur formaliste de la procédure des contreseings. Mais impliquerait une réactivité basée sur le chef de l’Etat et les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale. Le décret d’engagement contresigné des forces pourrait être à la limite élaboré a posteriori. Ainsi que nous l’avons proposé dans notre thèse sur le contreseing sous la Vè, il serait aussi possible d’ajouter un article constitutionnel sur l’engament des forces nucléaires dispensé du contreseing (J. Guisnel, B. Tertrais, Le président et la bombe, O. Jacob, 2016).

Dernier point sur ce « feu nucléaire » : récemment Friedrich Merz, futur chancelier allemand, s’est dit favorable à se mettre sous notre « parapluie nucléaire ». Le Premier ministre polonais également. De son côté Emmanuel Macron s’est dit prêt à « ouvrir la discussion » sur l’élargissement à l’Europe de la dissuasion nucléaire française. Mais il a, à bon droit, précisé que le « bouton nucléaire » resterait une prérogative française (et élyséenne). Même s’il nous faut impérativement demeurer souverains en la matière, il est impossible de ne pas intégrer, vu l’évolution de la scène internationale, de plus en plus belliqueuse, que nos « intérêts vitaux » comportent aussi une dimension européenne. Depuis de Gaulle chaque président de la Ve République a défendu une dimension européenne de la dissuasion nucléaire à sa façon. Il n’a jamais été question de «partager» l’arme ultime, mais de considérer les «intérêts vitaux» de la France. Et puis, très prosaïquement, pourquoi ne pas envisager de « protéger » des
Etats qui le veulent moyennant une « rétribution » (un budget annuel, par exemple) ? Cela nous permettrait aussi d’entretenir et d’enrichir notre arsenal et même d’augmenter le budget Défense.  Mais attention :  « Si on étend le parapluie nucléaire, ça signifie qu’on est prêt à utiliser des armes nucléaires pour protéger potentiellement un État européen ou un État de l’OTAN. Mais ça signifie qu’en contrepartie, on s’expose à un risque de représailles de la part d’un État », souligne Christophe Wasinski, professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Des actes non soumis au contreseing sous la Vé : pouvoirs propres

L’article 19, on l’a dit,  sépare deux types de pouvoirs : les pouvoirs partagés, soumis au contreseing ministériel, et les pouvoirs propres non soumis à ce contreseing. Les premiers sont classiques en régime parlementaire alors que les seconds sont totalement nouveaux. Celui qui a inspiré les pouvoirs propres au général de Gaulle, c’est Raymond Janot, résistant et conseiller d’Etat,  il s’est spécialisé très tôt en matière institutionnelle. Comme il nous l’a confié lors de notre travail doctoral, il fallait « donner au chef de l’Etat des pouvoirs qui lui permettent d’agir seul dans certaines circonstances particulières ».

Ainsi ont été mis en place :

  •  l’art 8-1 : la nomination et la fin de fonction du Premier  Ministre
  • l’art. 11 : le référendum
  • l’art 12 : la dissolution
  • l’art. 16 : les pleins pouvoirs constitutionnels.
  • l’art. 18 : le droit de message
  • l’art. 54, 56, 61 : les rapports du président avec le CC (nominations, saisines).

A noter que, très marqué par la dévolution des pouvoirs à Pétain en 1940, le général tint particulièrement à la possibilité pour le président de recourir à des pleins pouvoirs en cas de crise grave. Comme nous l’a confié encore M. Janot, le général était persuadé qu’avec l’art. 16 le gouvernement aurait été en mesure en 1940 de ne pas céder à Pétain et de tenir face à l’envahisseur allemand. « Rien n’est moins sûr » nous précise l’intéressé.  Parmi les pouvoirs propres, ne figure aucun article relatif à la diplomatie ou à la guerre. Pour la simple et bonne raison, qu’au titre du régime parlementaire,  ils appartiennent à la catégorie des pouvoirs partagés comme on l’a vu ci-dessus.  

Il faut préciser que l’usage des pouvoirs propres est aussi fonction de la conjoncture politique. Hors cohabitation, c’est-à-dire en logique présidentialiste, la prééminence du chef de l’Etat est affirmée. En cohabitation elle est plus… mesurée. Présider c’est « cheffer » en matière de politique interne mais aussi externe. Toutefois la Constitution ne permet pas de s’arroger des pouvoirs que l’on n’a pas. Et surtout elle implique d’en partager certains avec le gouvernement. Depuis la fin de son premier mandat (Covid oblige), beaucoup de citoyens mettent en cause la manière de présider d’Emmanuel Macron. Et ce, aussi bien dans l’opposition que dans la majorité. Il apparait évident qu’on est de plus en plus dans un exercice isolé du pouvoir. Et la situation générée par la dissolution n’a rien arrangé. Bien au contraire. Qui dirige vraiment ? Sur la scène internationale, les initiatives françaises sont toujours décalées. Emmanuel Macron réunit à Paris les responsables militaires de pays européens. Certes. Dans le même temps ou presque, la paix se dessine entre Ukrainiens, Américains et bientôt Russes. Et l’UE n’y est pas. La France, encore moins. D’autant moins qu’après avoir clamé haut et fort qu’il ne fallait pas rompre le dialogue avec la Russie (position raisonnable s’il en est), le président Macron la désigne comme danger principal. Que pèse-t-il par rapport au maître du Kremlin ? L’image de la France est particulièrement dégradée en Russie. Tout comme elle s’est dégradée aux Etats-Unis. Et dans tant d’autres endroits… La junte algérienne nous humilie à chaque dossier d’OQTF. Un ex-diplomate de nos connaissances, qui a commencé sa carrière sous l’ère de Nicolas Sarkozy, nous a confié n’avoir jamais vu une politique étrangère aussi « erratique ».

Et puis, est-ce franchement digne d’un « chef » d’affoler la population comme il l’a fait dans son discours du 5 mars qui se voulait de mobilisation générale ? La Russie était dans son viseur. C’est un peu ridicule, selon nous. Cette dernière, en bientôt trois ans, n’a pas été capable de prendre Kiev et elle arriverait aux portes de Paris ? L’islamisme intégriste est un danger bien plus grave, qui a fait des dizaines de morts en France alors que la Russie aucun, observent l’opposition politique. Mais là, il ne faudrait rien dire, banlieues obligent. M. Bellatar veille… Pour conclure : « On ne mène pas une politique étrangère avec des clins d’œil et des ronds de jambe… » (Jacques Vergès).

« Make Industry Great Again »

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Pour le fondateur de l’Observatoire Janus, la puissance française est à l’heure des choix: l’industrie ou le déclin…


La désindustrialisation française ne s’est pas faite par hasard, mais par choix. Tandis que d’autres nations préservaient et renforçaient leur appareil productif, la France a laissé son industrie décliner, avec des conséquences économiques et stratégiques majeures. Aujourd’hui, face aux tensions géopolitiques croissantes, aux ruptures d’approvisionnement et à la guerre économique entre grandes puissances, la question n’est plus de savoir si la France doit réindustrialiser, mais comment y parvenir.

Depuis les années 1970, la France a subi une désindustrialisation, plus brutale que ses voisins. En misant sur les services et la finance au détriment de la production, elle a vu ses usines partir, son savoir-faire disparaître et la part de l’industrie dans son PIB s’effondrer. Là où Berlin a préservé un tissu industriel en intégrant la R&D et en soutenant les exportations, Paris a externalisé ses services, misé sur la consommation et alourdi la fiscalité des entreprises.

Ces choix ont eu des effets catastrophiques : perte de souveraineté, déficits commerciaux et disparition de groupes industriels majeurs. Contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, qui affichent des excédents grâce à leur industrie, la France décroche économiquement. Pourtant, alors que le débat sur la réindustrialisation s’intensifie, les mesures concrètes restent marginales. Or, la souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit.

En Asie : l’industrie au service de la puissance

L’industrialisation est toujours le fruit d’une volonté politique. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont bâti, en quelques décennies, des bases industrielles solides, faisant de leur économie un levier de puissance. Après 1945, le Japon engage une reconstruction industrielle dirigée par le MITI, un super-ministère chargé du développement économique. L’industrie est protégée par des barrières tarifaires et se structure autour des keiretsu, des conglomérats intégrés reliant banques, usines et services. Subventions et accès facilité au crédit permettent au Japon de devenir une puissance exportatrice.

Dans les années 1960, la Corée du Sud suit ce modèle avec une planification industrielle rigoureuse qui pilote le développement des chaebols. Ces conglomérats bénéficient de financements massifs et d’un accès aux marchés publics en échange d’objectifs d’exportation stricts. L’industrie lourde et la haute technologie deviennent les fers de lance du miracle coréen.

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Enfin, la Chine adopte, dès les années 1980, un modèle mêlant capitalisme et contrôle étatique. Avec les zones économiques spéciales, Pékin attire les capitaux étrangers tout en imposant des transferts de technologies. L’État pilote l’industrialisation à travers des plans ciblant les semi-conducteurs, les batteries et l’aérospatial. Les points communs de ces stratégies sont clairs : un État qui planifie, une industrie protégée, un soutien massif au crédit et une orientation vers l’exportation. Les résultats le sont tout autant.

Le Japon, pays défait et ruiné en 1945 devient le premier rival économique des États-Unis à la fin de la guerre froide. La Corée du Sud, qui affichait un revenu par habitant inférieur à celui d’Haïti au début des années 1960, figure aujourd’hui parmi les quinze premières économies mondiales. Quant à la Chine, son ascension vers le statut de première puissance mondiale parle d’elle-même. Contrairement à l’UE et son dogme du libre-échange, ces pays ont compris que la puissance industrielle repose sur l’alliance entre l’économie et le politique.

Aux États-Unis, un réveil tardif

Les États-Unis ont récemment amorcé un virage clair vers la réindustrialisation. Ils ont engagé une série de réformes pour protéger leurs industries stratégiques, relocaliser la production et sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

L’administration Trump impose des tarifs douaniers sur les importations chinoises, ciblant notamment l’acier, l’aluminium et les composants électroniques. L’objectif est de rendre les importations moins compétitives et de relancer la production locale. L’administration Biden a lancé le CHIPS Act en 2022, un plan de 52 milliards de dollars pour relancer la production nationale de semi-conducteurs.

La même année, l’Inflation Reduction Act injectait 370 milliards de dollars dans les industries vertes, avec une logique de relocalisation. Enfin, le Build America, Buy America Act, adopté en 2021, impose aux marchés publics de privilégier les entreprises nationales. L’accent est aussi mis sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’accès à une énergie compétitive. Cette réindustrialisation ne repose donc pas sur le marché, mais sur des politiques volontaristes, combinant protectionnisme ciblé, aides directes et incitations fiscales.

France: que faire ?

Aucune grande puissance industrielle ne s’est construite sans intervention de l’État. Trois piliers sont essentiels : protéger, financer, organiser.

Protéger l’industrie nationale passe par un protectionnisme ciblé. Conditionner les marchés publics à la production locale, imposer des barrières tarifaires sur les produits stratégiques, réguler les investissements étrangers pour éviter le rachat d’entreprises clés.

Financer et soutenir la montée en puissance des industries stratégiques exige la création de fonds souverains. Un crédit industriel préférentiel garantirait des prêts à taux réduits aux entreprises manufacturières. La fiscalité doit aussi être adaptée avec une baisse des charges sur la production, des incitations fiscales à l’investissement et une prime à l’export pour renforcer la compétitivité.

Structurer l’industrie autour d’écosystèmes compétitifs permettrait de rivaliser à l’international. Un Airbus des semi-conducteurs, des batteries, du cloud computing permettrait d’atteindre la taille critique pour s’imposer. Les États doivent favoriser la création de clusters industriels, reliant grandes entreprises, PME et centres de recherche pour maximiser l’innovation.

La réindustrialisation ne repose ni sur des slogans ni sur des demi-mesures. Elle implique des arbitrages et des choix stratégiques clairs et assumés.

C’est dans l’air et c’est pollué

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Anne-Elisabeth Lemoine recevait récemment la grande actrice Julie Gayet dans son talk-show. Une belle occasion de s’indigner avec élégance: pourquoi diable le cinéma français a-t-il si peu mis en lumière Olympe de Gouges? Franchement, il y avait pourtant là un rôle en or! Quel scandale, ma bonne dame, on en ferait presque une pétition sur change.org… Et bien sûr, impossible de ne pas remettre les choses en perspective: la cause féminine en Occident? Pas de quoi fanfaronner, hein. Avant de vouloir donner des leçons au monde arabe, on ferait peut-être mieux de vérifier si on a enfin payé l’écart de salaire entre Ken et Barbie…


Ce n’est certes pas la première fois que Bécassine entend le propos, mais comme certains comportements ou phrases qu’on enregistre et dont le sens n’advient que plus tard, à la faveur d’une cristallisation, cette fois-ci, elle a vraiment entendu ce qui se disait. La répétition, ça instruit. Ça abrutit aussi, mais si l’on veut bien décortiquer, ça instruit.

Donc, C dans l’air recevait Julie Gayet pour sa prestation dans « Olympe de Gouges » qui passait le soir à la télévision. Il fut donc question du combat des femmes, de la Révolution qui trouvait que ce n’était pas le moment, qu’on verrait après, etc. La présentatrice parla alors de ce combat toujours hélas d’actualité ; il n’y avait qu’à voir le sort des femmes en Afghanistan, en Iran, mais aussi aux États-Unis où le droit à l’avortement était menacé et en France, n’est-ce pas, où l’égalité salariale n’était toujours pas au rendez-vous !

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Pris un à un, ces éléments sont tous vrais, sauf qu’on aura remarqué qu’il n’est pas dit grand-chose des femmes en Afghanistan et en Iran ; on est déjà plus prolixe dès qu’il s’agit de l’Occident. On précise. Parce que s’il fallait préciser les choses pour Bagdad et Téhéran, ça ferait une liste longue comme le bras : vente de petites filles, lapidation, interdiction de quasiment tout, enfermement, bref, mise au tombeau de leur vivant. Côté perse, on a mort pour une mèche de cheveux qui dépasse, ou pour avoir manifesté, pendaisons à gogo, hommes compris. Mais dire tout ça pourrait couper l’appétit et pourrait porter préjudice à certaines cultures, voire certaine religion.

C’est pourquoi on va appliquer la théorie de la relativité à tous les tourments que les femmes endurent « partout » depuis des lustres. On va mettre sur le même plan le sort des femmes en Afghanistan et le droit à l’avortement menacé dans certains États de l’Amérique ; on va mettre dans le même panier le fait d’être tuée et celui de n’avoir pas le même salaire que ces messieurs. On va clamer que nous aussi, ou non plus, hein, on ne fait pas les fières, qu’on n’a pas tout réglé, loin s’en faut. Ainsi, on aura fait preuve d’équité, on aura bien équilibré les dommages, pour qu’on ne croie surtout pas que dans certaines cultures où sévit certaine religion, cela soit forcément pire qu’ailleurs.

Alors, après avoir noyé le poisson, il sera temps de le manger, en toute impartialité.

« D’Amour » et de musique

Thomas Lebrun présente D’Amour, sur la scène du théâtre de Chaillot, un spectacle chorégraphique autour de la chanson française. Une belle énergie qui s’adresse aussi au jeune public.  


Que ne revoit-on des pièces du chorégraphe Thomas Lebrun aussi belles que La Constellation consternée (2010) ou qu’Avant toute disparition (2016), magnifique composition qui balaya naguère la grande scène du Théâtre de Chaillot d’un souffle épique qui demeure encore dans les mémoires !

Le pernicieux système qui règne en France contraint les rares bons chorégraphes d’aujourd’hui à créer sans cesse de nouveaux spectacles sans pouvoir exploiter suffisamment les précédents, et à délaisser ainsi tout un répertoire qui mériterait d’être maintenu et de pouvoir être découvert, année après année, par des spectateurs toujours plus nombreux.

© Frédéric Iovino

Fantaisie et poésie

Ainsi poussé à créer un nouvel ouvrage, mais avec des moyens très modestes, Thomas Lebrun, qui dirige le Centre chorégraphique national de Tours depuis janvier 2012, livre avec D’Amour une aimable anthologie de chansons de variétés, de celles qui firent rêver, de l’après-guerre à nos jours, des générations de midinettes et d’adolescents boutonneux ainsi que leurs géniteurs. De Charles Trenet à Léonard Bernstein pour le meilleur, de Sheila à Elli et Jacno ou Sagazan pour le moins convaincant, en passant par Edith Piaf, Theo Sarapo, Lady Blackbard ou Richard Sanderson…

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Conçu comme l’émission radiophonique d’un poste imaginaire, Radio Love, mais qu’on voit illustrée par un joli quatuor de danseurs très plaisamment costumés par Kite Vollard, D’Amour débute sur les chapeaux de roues par des danses libres, facétieuses, délicieusement entraînantes, très genre music-hall, et d’autant plus vivantes quand elles sont accompagnées de chansons pleines de fantaisie ou de poésie. Cela faiblit quelque peu sous l’effet délétère de la chansonnette française dont le niveau ne s’arrange guère au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Il faudrait des chants d’amour d’Espagne ou d’Amérique latine, brûlants, âpres, incandescents, mélodiquement superbes, pour mieux embraser une scène.

Gare à l’excès de guimauve

Mais Thomas Lebrun rétorque avec ironie à la mièvrerie sucrée ou au simplisme, sans verser pour autant dans une dérision qui serait trop cruelle. Et les deux danseuses au chic spontané, à la jolie dégaine (Élodie Cottet et Lucie Gemon), comme les deux danseurs de belle prestance (Sylvain Cassou et Paul Grassin), gomment avec élégance l’excès de guimauve de la chanson française, intervertissant aussi, par petites touches discrètes, les rôles masculins/féminins.

« Aimer la différence et la diversité plutôt que de les rejeter ; accepter, comprendre, respecter les singularités de chacun et chacune ; aimer ce que nous ne sommes pas comme aimer ce que nous sommes », écrit Thomas Lebrun dans le programme. Porté par la chanson, son message de tolérance et d’ouverture est clair, surtout pour un jeune public infiniment attentif aux textes entendus et les percevant pleinement.    

Si D’Amour est évidemment destiné à tous les publics, il l’est plus encore pour un jeune auditoire (dès 7 ans) à qui il est principalement destiné. Les enfants comme les adolescents en font leur miel. Et la pièce, créée à Tours en janvier dernier, doit faire une carrière multiple dans les circuits scolaires.


D’Amour Spectacle « jeune et tout public » de Thomas Lebrun. Théâtre national de Chaillot, Paris, le 14 mars à 19h30, le 15 mars à 15h et 18h, le 16 mars à 11h et 15h ; 01 53 65 30 00 ou https://theatre-chaillot.fr/fr/programmation/2024-2025/damour-thomas-lebrun-ccn-de-tours
À la Ferme de Buisson, à Noisiel, du 10 au 12 avril ; 01 64 62 77 77.

Autres ouvrages de Thomas Lebrun en tournée en France :

L’Envahissement de l’être ; le 18 mars à Montval-sur-Loire, le 25 au Théâtre Gallia de Saintes, le 25 mars au Moulin du Roc de Niort.
Pouce !  Tu, solo tu, le 21 mars. Espace Bernard Glandier, Montpellier.
Dans ce monde, les 30 et 31 mars, au Dôme de Saumur.

Cessez-le-feu en Ukraine: quand la pensée univoque entend se substituer au doute

Il devient difficile d’aborder le sujet de l’Ukraine sans se faire traiter de « va-t-en-guerre » ou de « Munichois ». Pourquoi ?


Un phénomène de plus en plus prégnant s’impose dans l’espace public : l’adhésion aveugle aux discours dominants, sans nuance ni véritable analyse critique. Ce qui frappe et agace, c’est la facilité avec laquelle certains individus, dépourvus de toute expertise, adoptent une posture péremptoire sur des sujets complexes tels que les conflits géopolitiques (Ukraine-Russie, Israël-Palestine), le réchauffement climatique, ou encore les grandes mutations sociétales.

La superficialité de ces prises de position est alimentée par des médias qui, loin d’être de simples vecteurs d’information neutres, se font les relais d’une narration souvent biaisée par des intérêts politiques, économiques et idéologiques. Au lieu d’inviter au questionnement et au débat, ces discours verrouillent la réflexion et imposent des réponses préfabriquées, souvent manichéennes.

La « géostratégie de salon » et le prisme de l’assimilation

Cette conformité intellectuelle se traduit par une tendance à simplifier à l’excès des situations déjà complexes. Dans une véritable « géostratégie de salon », certains s’erigent en experts autoproclamés, prédisant avec une certitude déconcertante les intentions des dirigeants mondiaux. Les nuances sont gommées au profit d’analogies historiques simplistes : Poutine devient un nouvel Hitler, prêt à dévorer l’Europe une fois l’Ukraine annexée ; l’année 2024 est perçue comme une réplique exacte de 1939, avec une catastrophe mondiale imminente.

Cette perception binaire du monde, où les acteurs sont répartis en « bons » et « mauvais », empêche toute analyse profonde et interroge sur les véritables mécanismes à l’œuvre. Qui profite de ces discours simplistes ? Comment les rapports de force réels, les intérêts économiques, et les enjeux stratégiques sont-ils occultés au profit d’une moralisation du débat ?

L’exclusion du doute et l’ostracisation des voix discordantes

Aujourd’hui, s’éloigner de la ligne dominante expose à des accusations immédiates : être taxé de « pro-russe », de « complotiste », voire d’affinités avec l’extrême droite. Cette dynamique de disqualification systématique fonctionne comme un outil de censure implicite : dès lors que l’on cherche à comprendre le point de vue d’un dirigeant controversé – qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, Benjamin Netanyahou, Donald Trump ou Viktor Orbán – on devient suspect aux yeux du discours dominant.

Mais comprendre ne signifie ni adhérer, ni excuser. Analyser les motivations d’un acteur politique, étudier son discours et son impact réel, c’est tenter de saisir la complexité du monde sans tomber dans l’emprise de dogmes réducteurs. Pourquoi alors ce besoin de condamner sans analyser ? Pourquoi l’adhésion à une idée, si elle repose sur des faits vérifiables et des résultats tangibles, devrait-elle être frappée d’interdit sous prétexte qu’elle contredit le récit dominant ?

Une presse en quête de crédibilité

Le rôle des médias dans cette dynamique est fondamental. Jadis perçus comme des garants de l’objectivité, nombre d’entre eux ont perdu leur crédibilité à force de parti pris et d’omissions stratégiques.

Cette perte de confiance a ouvert la voie à des sources alternatives d’information, certaines sérieuses et rigoureuses, d’autres bien plus discutables. Une fragmentation de l’information s’est ainsi opérée, où chacun tend à se replier dans un écosystème médiatique confirmant ses croyances préétablies, renforçant ainsi l’absence de débat contradictoire.

Réhabiliter la pensée critique et la diversité des analyses

Face à cette polarisation du débat, il est essentiel de réaffirmer le droit à une pensée libre et critique. Une véritable démocratie ne peut se résumer à une adhésion forcée à des dogmes établis. Elle doit offrir un espace ouvert à l’examen du réel, même – et surtout – lorsque cet examen vient contredire les certitudes dominantes.

Plutôt que de diaboliser les idées divergentes, nous devons encourager un débat authentique, fondé sur des faits, des arguments rationnels et une réelle volonté de comprendre. L’avenir du débat public repose sur cette capacité à dépasser les clivages artificiels et à embrasser la complexité du monde avec un esprit critique et une ouverture d’esprit renouvelée.

L’anti-éducation de Simon Liberati

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Chic, on va enfin reparler de Stanislas ! Simon Liberati raconte ses années au fameux collège parisien, entre solitude, harcèlement et découverte d’une bourgeoisie catholique hypocrite, dans un récit précis et cruel…


Ce qu’il y a d’intéressant avec les bons écrivains, c’est qu’ils peuvent parler de tout, surtout d’eux, sans ennuyer. Simon Liberati – Prix Femina 2011 ; Prix Renaudot 2022 – évoque ses années passées à Stanislas, établissement scolaire prestigieux de Paris qui s’est retrouvé sous les feux de l’actualité après un numéro de « Complément d’Enquête », l’émission phare de France 2, particulièrement à charge.

Principale accusation : l’établissement de prestige, sous contrat avec l’État, ne pratiquerait pas la mixité sociale. Ajoutons à cela que la religion catholique y occuperait une place prépondérante. Un sanctuaire, donc, qui résisterait à la contamination woke. On a en effet dressé des bûchers idéologiques pour moins que cela.

Brebis égarée

L’établissement, situé dans les beaux quartiers de la capitale, a abrité derrière ses murs qui ont des oreilles mais qui se taisent de futurs responsables politiques – un président de la République – de puissants patrons de presse, des militaires sans guerre et quelques brebis égarées dont le jeune Simon Liberati. Ce dernier nous raconte son éducation pas sentimentale du tout à partir de son inscription comme externe en 11e bleu au collège Stan, inscription faite par un oncle mathématicien farfelu et une tante déjantée, sœur ainée de son père, toujours habillée comme une prostituée de la porte Saint-Denis. Mais si c’est à ce prix qu’on devient un écrivain iconoclaste, je ne vois pas pourquoi on renierait ses aïeuls renégats. Le jeune Simon, un introverti aux épaules étroites, devient le numéro 103. Perte d’identité immédiate. Ses camarades ne l’aiment pas ; ses profs non plus. C’est un garçon fragile avec des notes fragiles. En résumé, il est médiocre. Il va rester douze ans dans ce qu’il nomme ses « années de bagne ». Il ne passera pas le bac, renvoyé à la fin de la Première. Trop bagarreur ? Trop bad boy, tendance Charles Manson ? Rien de tout ça, juste que « Liboche », de plus en plus maltraité par ses condisciples, n’a pas le niveau pour être présenté à l’examen final. Alors exit l’adolescent. À Stan, on doit avoir cent pour cent de réussite. La réputation de l’établissement est à ce prix. Liberati résume : « C’est le collège qui est responsable de la pudeur haineuse que je garde à l’égard des principes moraux affichés et un goût de la provocation et du scandale qui m’a valu, à mon âge, de ne connaître ni la paix ni la reconnaissance de mes qualités de cœur. » Il ajoute : « Une inexorable solitude aussi qui m’a aidé bien des fois à surmonter les épreuves. » Il conclut, ce qui nous le rend décidément de plus en plus sympathique, livre après livre : « Je ne serai jamais, suivant la devise de Stan, un Français sans peur ni un chrétien sans reproche. » Surtout quand on sait que le portrait de Pétain trônait dans le bureau d’un responsable et que certains de ses condisciples « en imper vert et lunettes fumées » écrivaient sur le tableau « B. au four » en parlant d’un camarade de confession juive. C’est surtout dans les années 73/74 que l’extrême droite fit son apparition dans l’établissement. « En matière d’excentricité patronymique, révèle Liberati, j’avais deux Drieu la Rochelle, les neveux de l’auteur de Gilles, blonds, brosse courte, plutôt sympathiques (…) ». Ils voisinaient avec François-Xavier Bagnoud, fils de la productrice Albina du Boisrouvray, qui mourrait en pilotant l’hélicoptère de Daniel Balavoine lors du Paris-Dakar, le chanteur étant devenu la bête noire du pouvoir socialiste puisqu’il avait décidé de se présenter à la présidentielle. Quant à la note de Mai 68, elle ne fut guère entendue par les élèves de Stan protégés par les murs de la forteresse.

A relire, Emmanuel Domont: Simon Liberati, la fureur d’écrire

Ambiance carcérale

Liberati évoque également ses lectures qui l’aident à surmonter l’ambiance carcérale. Il apprécie Morand, Chardonne, Dickens. Il parle de Stephen Hecquet, élève à Stan, écrivain-avocat, mort en 1960 à quarante ans, au passé vaguement maréchaliste, qui a consacré un livre à l’établissement, Les Collégiens. Liberati cite un extrait de son meilleur ouvrage Les Guimbardes de Bordeaux où Stan est également décrit vers 1937. Le rôle d’un écrivain n’est-il pas d’extraire des limbes les auteurs dont les romans protègent ?

« Les coups, les humiliations, les infortunes sans cesse répétées » ont été surmontés par le numéro 103. Son œuvre l’atteste. Il signe ici une confession sans fard qui touche le lecteur. La force de l’écrivain est de pouvoir puiser dans son enfance, même si celle-ci à la couleur du châle des veuves de Corrèze.

À la fin du livre, Liberati se demande s’il ne serait pas un peu fou. « À deux reprises, écrit-il, ces dix dernières années, j’ai dit la vérité à deux femmes. La première fut Eva, jusqu’à ce qu’elle devienne vraiment insupportable et dangereuse. La seconde vit près de moi à l’heure où j’écris. » Il poursuit : « J’ai passé beaucoup du reste de ma vie à mentir aux femmes, aux amis, aux éditeurs. Je ne suis pas mythomane car je me suis arrangé pour que ma vie soit aussi amusante et romanesque que possible, je suis lâche et léger. » Qu’il se rassure : les écrivains ont le droit d’être des mythomanes.

Simon Liberati, Stanislas, Grasset. 224 pages

Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!»

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"L'Isola disabitata", de Haydn, Opéra-Bastille © Vincent Lappartient / Studio j'adore ce que vous faites / Opéra national de Paris

Terrée dans les sous-sols peu avenants de l’Opéra-Bastille, la petite salle en rotonde de l’Amphithéâtre Olivier Messiaen est en placement libre. Au seuil de la représentation, les spectateurs demeurent rivés à leurs smartphones, la plupart d’entre eux curieusement indifférents au beau danseur brun (Nicolas Fayol, formé au breakdance) qui, sa flexible nudité enveloppée d’un simple caleçon couleur chair, le chef coiffé de petites cornes animales, bondit telle la biche sur le massif rocher central, ou arpente à quatre pattes le sol charbonneux du plateau, sur fond de pépiements d’oiseaux.

Opéra en format poche

Prélude à L’isola disabitata (L’île déserte), « azione teatrale » chantée en italien, comme il se doit, courte partition (moins d’une heure et demi) composée en 1779 par Joseph Haydn, sur un livret de Métastase, déjà maintes fois exploité alors par le genre lyrique. Un opéra en format de poche, en quelque sorte. À main gauche de la salle s’installe, en gradins, la petite formation de l’orchestre Ostinato, dirigé par le maestro hispano-américain François Lopez-Ferrer (lauréat du prix Sir Georg Solti en 2024). Pour les parties chantées alternent, selon les représentations, plusieurs artistes en résidence à l’Académie maison. Pas de chœur dans cette œuvre qui ne mobilise que deux mezzo ou soprano pour les voix de femmes, un ténor et un baryton pour les rôles masculins.

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L’intrigue se résume à presque rien. Constanza et sa petite sœur Silvia, pris dans une tempête, échouent sur une île déserte. Capturé par des pirates, Gernando, l’époux de Constanza, a pu s’échapper avec son ami Enrico. Treize ans ont passé. Les deux garçons débarquent sur l’île où Constanza, se croyant trompée et abandonnée, a transmis à la virginale Silvia sa défiance vis-à-vis de la gent masculine. Mais les sens de la candide Silvia s’éveillent irrésistiblement au contact d’Enrico. Par chance, tous ces fâcheux malentendus finiront par se voir levés et, dans un réjouissant quatuor final, les deux couples hissent les voiles pour convoler en justes noces.

Intelligent et raffiné

Au départ danseur du Corps de ballet de l’Opéra de Paris, puis metteur en scène en résidence à l’Opéra de Paris, Simon Valastro signe ici une nouvelle production : intelligente, discrète et raffinée. Selon sa position dans l’espace scénique, le rocher pivotant se transforme en refuge voire, au dénouement, en proue du navire où, sur fond d’écume figurée par une fumée blanchâtre à ras de sol, une voile bleue victorieusement levée, embarqueront Costanza et Gernando, Silvia et Enrico, rescapés voguant désormais vers le bonheur conjugal.

La même sobriété allusive s’attache aux costumes imaginés par Angelina Uliashova pour ces quatre rôles : ils se déplacent, pieds nus, dans la lumière changeante du huis-clos insulaire, vêtus d’étoffes blanches ou beiges qui les caractérisent chacun – nuisette immaculée pour la candide adolescente Silvia, robe à traîne pour l’âpre Costanza, par exemple… Laquelle finira par avouer à sa cadette :  « Les hommes ne sont pas, comme je te le disais, inhumains et infidèles ». Par les temps qui courent, en 2025, la leçon est bonne à prendre.

Au soir de la première, une ovation nourrie s’adressait tout autant à la remarquable performance de l’orchestre qu’aux quatre interprètes en piste ce 11 mars –  mezzo Amandine Portelli (Costanza), ténor Liang Wei (Gernando), baryton Clemens Frank (Enrico), soprano américaine Isobel Anthony (Silvia). A cette dernière, surtout, vont mes suffrages personnels, si je puis me permettre : vibrato serré d’une grande expressivité, subtilité, douceur de l’émission vocale, articulation parfaite dans les vocalises, jeu d’une vitalité, d’une sincérité touchantes.  


L’isola disabitata, de Joseph Haydn. Direction : François Lopez-Ferrer. Mise en scène : Simon Valastro. Orchestre Ostinato. Artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris.
Durée : 1h30
Opéra Bastille, amphithéâtre Olivier Messiaen, les 14, 15, 18 et 21 mars à 20h.

Dernières leçons de maintien en date de tous ces cultureux qui me fatiguent…

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L'actrice britannique Tilda Swinton, cérémonie d'ouverture du festival du film de Berlin, 13 février 2025. Capture Youtube.

L’élection de Donald Trump aux États-Unis glace le sang de François Cluzet, Yann Barthès, Omar Sy et Emmanuelle Béart. De son côté, Daniel Craig, alias « 007 », redoute un retour en force de la masculinité toxique. Tilda Swinton tremble face au retour des frontières, tandis que Nagui sermonne les candidats qui n’aiment pas Gaïa et les vachettes autant que lui. Une chronique signée Didier Desrimais, qui passe sans doute un peu trop de temps devant la télé !


Le panurgisme des artistes n’a d’égal que celui des journalistes. Ça bêle à qui mieux-mieux dans les milieux cultureux. Les moutons défendent identiquement certaines valeurs, dénoncent pareillement certains fascistes, préconisent semblablement de sauver la planète et d’abolir les frontières. Naturellement de gauche, ils ne peuvent s’empêcher de donner des leçons de morale et de politique au monde entier. Sur LCI, à Darius Rochebin lui demandant ce qu’il pense de l’arrivée de Trump au pouvoir, l’acteur François Cluzet balbutie : « Dabord, ce qui est incroyable cest quil ait pu être réélu. Ça a été vraiment la surprise du chef. Comment ce type qui est dune obscénité incroyable, dune vulgarité sans nom, qui propose des trucs dont il change davis (sic) la semaine daprès ou en tout cas qui ne se réalisent pas… » La phrase, inachevée, reste en suspens au-dessus du vide cérébral.

La France a peur…

L’acteur égrène ensuite de confuses et craintives considérations qui semblent enchanter M. Rochebin. M. Cluzet confie en effet avoir peur pour l’Amérique et pour l’Europe. Il récite l’évangile européiste selon Sainte Ursula en invoquant Victor Hugo et son désir de voir naître un jour les États-Unis d’Europe. Adepte de formules creuses, usées jusqu’à la corde par Jack Lang et par ses congénères, il dit être persuadé que, grâce à une UE forte et « ouverte », nous allons « surtout nous enrichir culturellement ». L’enrichissement culturel auquel songe l’acteur s’affiche d’ores et déjà dans l’espace monotone et uniforme d’une Europe wokisée, macdonaldisée, jeffkoonsisée, netflixisée – et donc culturellement appauvrie. Ce monde « ouvert et inclusif » accueille en outre en son sein un nouvel enrichissement culturel issu d’une immigration extra-européenne imposant petit à petit de nouvelles mœurs, une religion qui a fait ses preuves en termes de paix et de tolérance, un jeûne du mois de ramadan d’ores et déjà plus souvent cité et honoré dans nos médias et dans certaines de nos villes que celui qui accompagne le Carême, des commerces halals de plus en plus nombreux, des modes vestimentaires inédites sous nos latitudes. À ce propos, la dernière vidéo publicitaire de la marque de vêtements islamiques Merrachi annonce explicitement le projet d’enrichissement culturel des Frères musulmans et des islamo-gauchistes : la Tour Eiffel y est en effet recouverte d’une abaya et d’un hijab…

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Le 10 février, l’insipide Yann Barthès recevait sur le plateau de Quotidien les protagonistes du dernier film d’Anne Le Ny, Dis-moi juste que tu m’aimes. Omar Sy, à propos de l’élection de Donald Trump : « C’est tragique ». Court, sobre, efficace, sans doute la meilleure prestation de l’acteur. Elodie Bouchez, elle, confie avoir beaucoup aimé vivre à Los Angeles, « mais ce qui se passe aux États-Unis est dramatique….  avec le retour de Trump. Ça fait froid dans le dos. » Nous étions au début d’une nouvelle ère glaciaire dans les médias…

24 février. La matinée est fraîche. Un vent polaire balaie la matinale de France Inter. Bien qu’emmitouflée dans un épais pull en laine, l’actrice Emmanuelle Béart frissonne : « L’élection de Trump me glace le sang. Et puis nous, nous lEurope, on ne réalise pas à quel point à partir daujourdhui nous sommes en danger. » Nous n’en saurons pas plus. Un silence hivernal étreint cet avertissement impénétrable. Brr !

Hollywood et le Fouquet’s ne dorment plus…

Sur France Inter, toujours. Daniel Craig est reçu pour son dernier rôle dans le film de Luca Guadagnino, Queer. Il est horrifié, dit-il, par le « retour violent de la masculinité », en particulier en politique, « avec les extrêmes », suivez mon regard. Le discours woke de M. Craig est aussi ennuyeux et convenu que le film dont il fait actuellement la promotion, si je veux en croire Éric Neuhoff qui, dans Le Figaro, conseille d’écluser une bonne rasade de mescal pour « se remettre de ce pensum prétentieux ». Je ne suis pas allé voir le pensum en question ; j’ai préféré déguster un excellent whisky écossais en regardant Skyfall, un des meilleurs James Bond avec Daniel Craig du temps où la masculinité ne lui faisait pas peur.

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50ème Cérémonie des César. Le cinéma français subventionné et subclaquant se regarde mourir. Durant cette longue soirée mortuaire, chacun cache son ennui du mieux qu’il peut. Signe des temps, le film woke de Jacques Audiard rafle logiquement la mise. Les discours édifiants sont aux petits oignons : un coup sur Trump, un coup sur « l’extrême droite fasciste », un coup sur Israël, un coup sur la Russie, un coup sur Bolloré – ah ! non, pas sur Bolloré, en tout cas pas ce soir : la cérémonie est, comme tous les ans, retransmise sur Canal + et Vincent Bolloré est le premier financeur du cinéma français. Bohèmes, oui, mais bourgeois, avant tout… et tout ce petit monde de finir la soirée au Fouquet’s, aux frais de la princesse.

Lors d’une autre veillée funèbre, celle du dernier Festival du film de Berlin, l’actrice Tilda Swinton a tenu à mettre ses pas dans ceux de tous ces merveilleux artistes qui ne rêvent que d’inclusivité, de diversité et de solidarité. Cette prêtresse théâtrale a prêché pour un monde meilleur « intrinsèquement inclusif » dans lequel seront en outre punis les méchants qui « fraternisent avec ceux qui détruisent la planète », un monde ouvert, « sans politique d’exclusion, de persécution ou de déportation », sans visas, sans contrôles migratoires, sans frontières. La voix sépulcrale et la pâleur spectrale de l’actrice renforcèrent une pénible impression, celle d’entendre la Mort elle-même augurer les phénomènes mortifères menant à notre anéantissement. Dans la salle, des ombres macabres applaudirent la lugubre pythie. Dehors, dans le monde réel, les Allemands apprenaient le même jour l’attentat, à Munich, d’un Afghan ayant foncé dans la foule avec sa voiture, faisant près de 40 blessés et tuant une jeune femme et sa fille de deux ans.

Sur le plateau de BFMTV, la comédienne Macha Méril s’est enthousiasmée pour la « menace militaire » qui planerait sur la France et qui laisse présager, selon elle, une nouvelle « cohésion nationale » : « Regardez ces témoignages de jeunes qui sont au fond disposés à s’engager. C’est formidable, c’est nouveau. On pensait qu’aux loisirs, aux vacances et à aller à l’étranger, se dorer la pilule aux Bermudes. Maintenant il y a un autre objectif qui va nous réunir et ça veut dire qu’on s’achètera moins de pantalons et qu’on va dépenser l’argent autrement. » Je préfère n’ajouter aucun commentaire à cette logorrhée sénile.

https://twitter.com/DestinationTele/status/1899403512171094282

Conclusion menant à un réjouissant exercice de gymnastique jambière. Nagui, l’animateur de “N’oubliez pas les paroles”, se prétend écolo. Quand Fanny, une participante à son émission, lui apprend qu’elle a l’intention d’acheter un fourgon pour l’aménager et pouvoir se déplacer et surtout travailler, il la sermonne sévèrement : « Non mais, attendez, vous dites aimer la planète, vouloir sauver la planète, vous occuper de la culture… Et le problème d’un fourgon, c’est que d’un coup, là, il y a des odeurs de diesel qui arrivent à mon nez. » La pauvre Fanny, humiliée, n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive que l’animateur l’apostrophe à nouveau avec condescendance : « Vous connaissez le principe de sauver la nature et la planète ? » Si Fanny avait eu autant de rouerie pontifiante que son tourmenteur, elle aurait pu lui répondre qu’elle n’a pas les moyens, elle, de se payer des vacances sur un yacht luxueux, de faire de nombreux allers-retours en avion pour aller simplement voir des matchs de foot à l’étranger, de se détendre dans une somptueuse villa avec piscine à Saint Tropez ou de s’offrir une voiture de sport de collection. « Ah ! oui, mais attention, aurait alors sûrement rétorqué le tartuffe, j’ai aussi une voiture électrique. » C’est vrai : une Tesla Model X de 125 000 euros conduite par un chauffeur privé ! M. Nagui mérite incontestablement un coup de pied au derrière. Pas de demi-mesure : le coup de pied en question doit être foudroyant, décisif, suffisamment puissant pour envoyer définitivement cette baudruche sur orbite. Voilà un geste, je crois, qu’il serait aisé de citer en exemple, puisqu’il participerait tout à la fois au sauvetage de la culture et de la planète…

https://twitter.com/NewsTVReal/status/1897006851843322261

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Pierre Lellouche/Ukraine: une guerre pour rien?

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Pierre Lellouche © Pierre Villard/SIPA

Pierre Lellouche ne s’attendait pas à la brutalité de Donald Trump à l’égard de Kiev ni à ce qu’il refonde la puissance américaine sur le modèle de la Chine ou de la Russie. L’ancien ministre de François Fillon, excellent connaisseur des questions stratégiques, appelle les Européens, jusqu’ici grands cocus de cette affaire, au réarmement.


Causeur. La Russie et les États-Unis ont entamé des négociations bilatérales visant à mettre fin à la guerre en Ukraine… sans les Ukrainiens ! Les Américains sont-ils en train de les lâcher ?

Pierre Lellouche. Malheureusement, tout cela était parfaitement prévisible. Donald Trump avait annoncé son intention de mettre fin rapidement à ce conflit, qu’il jugeait « ridicule ». Je persiste pour ma part à penser que cette guerre, qui a fait un million de tués et de blessés des deux côtés, aurait pu être évitée, voire stoppée depuis avril 2022, comme je le démontre en détail dans mon dernier livre Engrenages1. Les Russes souhaitent également y mettre fin rapidement, car elle représente non seulement de lourdes pertes humaines, mais elle pèse fortement, à long terme, sur l’économie. En revanche, ce que je n’avais pas prévu, c’est la brutalité du nouveau président des États-Unis à l’égard des Européens, de l’Ukraine et de Volodymyr Zelensky en particulier. Trump inaugure une Amérique révisionniste, nationaliste et même impérialiste, à l’instar des autres grandes puissances, la Chine et la Russie. Avec lui, les États-Unis rompent avec ce qu’ils étaient depuis 1945 : le leader de l’Occident et le promoteur d’un ordre mondial fondé sur le droit. Cela s’accompagne d’un profond bouleversement à l’intérieur de l’État fédéral et de ses institutions, dans le but de retrouver ce qu’il qualifie de « vraies valeurs de l’Amérique ». Mais cette brutalité fait partie d’une stratégie, dont le but est de convaincre les Ukrainiens que la poursuite du conflit est une voie sans issue.

En somme, nous devons nous adapter à un monde où seuls comptent la force et les intérêts ?

Exactement. Nous vivons tout simplement le retour aux relations internationales d’avant 1918 et les illusions du wilsonisme. Mon vieux maître Henry Kissinger aurait adoré. C’est le retour au congrès de Vienne et au jeu d’équilibre des grandes puissances…

Revenons à l’Ukraine. N’y avait-il vraiment pas une autre issue, plus conforme au droit et à la morale ?

Il n’y en a jamais eu. La vérité est que les Ukrainiens ne pouvaient pas gagner cette guerre ni reprendre militairement les territoires perdus. Aujourd’hui, sans les livraisons d’armes américaines, l’Ukraine ne pourra pas simplement continuer cette guerre. Zelensky lui-même l’a reconnu publiquement.

Les Européens ne peuvent-ils pas remplacer le soutien américain ?

Non ! Les Européens ne disposent pas d’armements équivalents aux lance-roquettes HIMARS, aux systèmes de défenses sol-air NASAMS et Patriot ou au système de communication par satellite Starlink. Surtout, leurs arsenaux sont vides et leurs usines tournent insuffisamment, faute de commandes. Le Vieux Continent se révèle être le grand cocu de l’opération. Comme l’avait dit le journaliste américain David Ignatius, bon connaisseur de ces affaires, « les États-Unis ont saigné l’armée russe en laissant la note du boucher aux Ukrainiens ». Les Européens, eux, n’avaient aucun objectif stratégique réfléchi dans cette guerre par procuration commencée par Joe Biden en avril 2022. La véritable grande surprise stratégique de ce conflit, en dehors de l’utilisation massive de drones qui est venue plus tard, c’est la résistance des Ukrainiens et la débâcle de l’armée russe au cours des premières semaines de combat. A Moscou et à Washington, on pensait que la guerre serait pliée en trois jours. C’est cet échec russe qui a encouragé Biden, dès avril, à réarmer l’Ukraine de manière significative afin d’infliger une leçon à Vladimir Poutine et, comme l’avait déclaré le ministre américain de la Défense de l’époque Lloyd Austin, « lui ôter l’envie de recommencer ». Les Européens, quant à eux, se sont contentés de suivre Biden, espérant qu’il remporte cette guerre. Ils se sont comportés dans cette affaire comme des supporteurs enthousiastes d’une équipe de football qui ont payé leur ticket sans participer au match, en partie parce qu’après trente années de désarmement budgétaire, ils n’en avaient pas les moyens.

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Si les Américains ont fait la guerre par procuration pour bouter les Russes hors d’Ukraine, pourquoi ne dit-on pas qu’ils l’ont perdue, cette guerre ?

Ce serait reconnaître qu’on s’est trompé depuis le début. Biden, à Varsovie, avait présenté cette guerre comme celle « du bien contre le mal ». Qu’on ne pouvait donc pas perdre. Quant à Poutine, qu’il appelait « le tueur », il devait « partir ». Or Poutine est toujours là. Quant à Macron, il désigne la Russie comme « une menace existentielle pour l’Europe ». Alors pourquoi ne pas l’avoir combattue directement ? Et comment accepter la défaite de l’Ukraine aujourd’hui, sans accepter qu’elle est aussi la défaite de l’Europe elle-même ? En nous engageant à moitié dans cette guerre par procuration derrières les Américains, nous avons pris le risque que la défaite soit aussi celle de l’Europe, ce que naturellement nos dirigeants somnambules ne peuvent pas admettre.

Si l’état des arsenaux des pays européens était aussi déplorable, de quoi Poutine avait-il peur ? Pourquoi lancer une guerre contre un tigre de papier ?

C’est une longue histoire qui remonte à la chute de l’URSS il y a trente-quatre ans. À la fin de la guerre froide, les Russes espéraient que la dissolution du pacte de Varsovie serait suivie par celle de l’OTAN et que l’Ukraine resterait dans leur zone d’influence et certainement pas dans l’Alliance atlantique. Bill Clinton était de cet avis lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche en janvier 1993. Mais sous la pression des Polonais, des Hongrois et d’autres pays de l’Est, qui refusaient de rester « en suspens » après la chute du mur de Berlin, la politique de Washington a évolué. Il ne faut pas oublier non plus la pression exercée par l’appareil militaro-industriel et technocratique de l’OTAN à Bruxelles, en quête d’une nouvelle raison d’être. Cela explique notamment l’engagement de l’OTAN en Afghanistan, où son rôle n’était pourtant nullement défini. Ce changement de politique américaine s’est opéré contre l’avis des meilleurs stratèges américains, de Henry Kissinger à Zbigniew Brzezinski, en passant par George Kennan, le père de la stratégie du containment (endiguement ). Quant aux Russes, ils n’ont pas cessé de protester contre les élargissements successifs de l’OTAN, mais personne ne les écoutait. Puis, lorsque Poutine est parvenu au pouvoir en 1999-2000, les Ukrainiens ont commencé progressivement à exprimer le souhait d’adhérer à l’OTAN (le président ukrainien Iouchtchenko lui-même me l’a confirmé en 2004 lors de ma visite à Kiev en tant que président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN). Or c’était insupportable pour les Russes. En 2007, Poutine prononce son célèbre discours, dans lequel il accuse les États-Unis de chercher à dominer un monde unipolaire contre la Russie mais personne, là encore n’écoute.Pour le sénateur John McCain, la Russie n’était rien d’autre qu’une « grosse station d’essence avec des bombes atomiques ». L’année suivante, lors du sommet de Bucarest, en mars 2008, George W. Bush annonce, comme point d’orgue de la fin de son deuxième mandat, l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et l’Ukraine, donc jusqu’aux frontières de la Russie. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lui demandent alors de renoncer à cette politique, sous peine de déclencher une guerre. Cependant, le compromis trouvé à l’issue du sommet ne fera qu’aggraver la crise. Le texte stipulait que l’Ukraine et la Géorgie « avaient vocation à intégrer l’OTAN », mais sans pour autant fixer de date. Résultat, ils se sont retrouvés sans défense face à des Russes, désormais convaincus que, s’ils ne faisaient rien, Kiev intégrerait l’Alliance atlantique. Cet été-là, les Russes ont envahi la Géorgie.

Le point de départ, c’est que la Russie refuse d’avoir des États pleinement souverains à ses frontières. Cette exigence (qui piétine celle des peuples à décider des moyens de leur sécurité) est-elle légitime ?

C’est le sort des États qui ont la malchance d’être frontaliers des très grandes puissances. Voyez comment Trump traite des pays amis comme le Canada, le Mexique ou Panama ! À Cuba, les Américains n’ont pas accepté le déploiement de missiles nucléaires russes à portée de leur territoire. Poutine ne dit pas autre chose s’agissant de l’Ukraine. Et il me l’a dit en face en septembre 2013, juste avant Euromaïdan2 et la crise de Crimée. C’est sans doute contestable au niveau de la morale et des grands principes du droit international. Mais qu’est-ce que le droit international sinon le résultat du rapport de force entre les nations ?

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Aujourd’hui, quels sont les objectifs russes ? Quel est le prix minimum que Poutine acceptera pour signer une paix avec l’Ukraine ?

Contrairement aux Occidentaux, qui n’ont jamais, depuis trente ans, articulé une politique cohérente vis-à-vis de l’Ukraine, les Russes, eux, sont constants en politique étrangère. Ils ont quatre objectifs principaux, annoncés dès avant la guerre. Ils exigent tout d’abord la neutralité de l’Ukraine, c’est-à-dire la garantie de l’Occident qu’elle ne rejoindra pas l’OTAN. La triste ironie de cette affaire, c’est que, tout en prétendant le contraire, ni Obama ni Biden ne souhaitaient voir l’Ukraine entrer dans l’OTAN. Et Trump encore moins bien sûr. Une guerre pour rien, donc ! Leur deuxième condition est, bien entendu, de conserver la Crimée et le Donbass, là aussi une position russe constante depuis 1991. C’est pourquoi leur effort militaire se concentre aujourd’hui sur la reconquête totale des quatre oblasts du Donbass. Le troisième objectif est la levée des sanctions et le rétablissement de relations commerciales normales, en priorité avec les États-Unis et, accessoirement, avec l’Europe. L’économie russe a besoin de la technologie occidentale et souhaite éviter une dépendance totale vis-à-vis de la Chine. Enfin, leur dernier objectif, qu’ils poursuivent depuis longtemps, est de reconfigurer l’architecture de sécurité en Europe.

C’est-à-dire ?

Repousser le plus loin possible les forces de missiles et de défense antimissile que l’OTAN et les États-Unis ont déployées près de la Russie. Ils souhaitent également un accord sur les armes nucléaires intermédiaires, qui, rappelons-le, faisaient l’objet du traité de 1987, dit « INF », abandonné depuis.

Quelle position la France devrait-elle adopter ?

Notre problème est d’éviter que la négociation se fasse au-dessus de notre tête et qu’ensuite un accord bâclé conduise à une nouvelle guerre. Sauf que, après avoir longuement hésité et même alerté sur le danger d’ « humilier » la Russie, Emmanuel Macron est désormais en rupture totale avec Poutine. Pour ne rien arranger, la situation politique et économique de la France fait qu’elle ne compte plus guère aux yeux des États-Unis. Résultat, je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement qu’acquiescer à ce que décideront les Russes et les Américains. Ce qu’a fait Macron à Washington le 24 février dernier.

Rencontre triatérale entre Donald Trump, Emmanuel Macron et Volodomyr Zelensky au palais de l’Élysée, en marge de la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 7 décembre 2024 © Ukrainian Presidency/SIPA

Mais la France et le Royaume-Uni ne disposent-ils pas de moyens militaires suffisants pour se déployer en Ukraine et y garantir la paix ?

Le scénario le plus probable, c’est celui de la neutralité de l’Ukraine, reconnue par la communauté internationale, c’est-à-dire par le Conseil de sécurité des Nations unies, et garantie par des puissances extérieures. C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition des Français et des Britanniques d’engager leurs forces en Ukraine pour « garantir la paix ». Mais, pour ce faire, ils souhaitent l’appui logistique et aérien au minimum des États-Unis. Or les Américains ont déjà précisé qu’ils n’avaient ni l’intention d’intervenir en Ukraine, ni de donner la moindre garantie de sécurité, y compris au titre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord, aux troupes européennes qui s’engageraient en Ukraine. C’est la raison pour laquelle les Allemands, les Italiens et les Polonais ne souhaitent pas participer à une telle force.

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Pourtant, Zelensky, après avoir perdu le soutien américain, avait demandé à l’Europe 200 000 soldats…

Sauf que cette armée n’existe pas ! L’Angleterre et la France peuvent engager 30 000 à 40 000 hommes sur une ligne de front de mille kilomètres. Pour donner un ordre de grandeur, environ un million de soldats, de part et d’autre, sont déployés le long de ce front.

Qui vous garantit que, si Poutine obtient satisfaction sur ses quatre points, il s’arrêtera là ? Ne sera-t-il pas tenté de pousser l’avantage, comme après 2014, et de déstabiliser les pays baltes et la Moldavie ?

Je pense que les objectifs de la Russie consistent fondamentalement à arrêter l’expansion de l’OTAN et à neutraliser une Ukraine dont elle contrôlera la partie orientale. Poutine n’a pas pour plan de conquérir l’Europe, il n’en a pas les moyens. En trois ans, la Russie n’a même pas été capable de conquérir l’Ukraine, un pays qui compte aujourd’hui moins de 30 millions d’habitants.

Admettons que Poutine se borne à cette ambition « mesurée ». En quoi cela nous prémunit-il contre l’appétit de ses successeurs ?

La meilleure façon d’éviter les tentations bellicistes russes dans cinq ou dix ans est de faire en sorte que les principales nations européennes soient capables de se défendre, plutôt que de rester désarmées. Je ne prétends pas prédire les décisions des dirigeants russes à l’avenir, car cela dépendra en grande partie de l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident. S’il y a une reprise des échanges économiques, nous pourrions nous retrouver dans un monde complètement différent. En tout cas, les grands États européens doivent redécouvrir qu’ils étaient jadis des puissances souveraines et qu’ils doivent le redevenir. Jean-Jacques Rousseau disait que « la servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer ». Les Européens ont adoré l’OTAN. Il va leur falloir apprendre à s’en passer.

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Si vous étiez au pouvoir, quelle armée française construiriez-vous pour 2030-2035 ?

Vous avez raison de vous projeter à cette échéance, car il faudra au moins cinq à dix ans pour remettre en route l’industrie de l’armement à un niveau sérieux. L’impératif, dans l’immédiat, est d’abord de conserver, ne serait-ce qu’à minima, l’Alliance atlantique et une présence américaine. Parallèlement, il faut que les Européens se chargent de leur propre sécurité à commencer par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. La réponse en tout cas ne viendra pas de Bruxelles. Il faut s’arrêter, comme le disait le général de Gaulle, de sautiller en criant « Europe de la défense » ou « souveraineté européenne ». De son côté, Bruxelles ferait mieux de mettre fin à sa taxonomie qui interdit aux entreprises européennes pétrolières, gazières et militaires l’accès aux crédits, et qui empêche les banques européennes de financer l’industrie de l’armement. Il faut donner au contraire une priorité communautaire à l’achat d’armement européen, seule condition d’un ruissellement économique sur le reste de notre économie. Enfin il conviendra sans doute de remobiliser nos pays en réintroduisant le service militaire obligatoire. Si chacun des grands pays entreprend ce réarmement, quantitatif et qualitatif, il sera possible de construire une force européenne coordonnée, appuyée sur la dissuasion du Royaume-Uni et de la France, qui sera crédible aux yeux des Russes. Cela est tout à fait à la portée de l’Europe actuelle. Mais l’alternative, comme je le crains et le dis dans mon livre, c’est que rien de tout cela ne se passe et que, après avoir perdu son socle sécuritaire américain, l’Europe finisse par imploser. On verrait alors se reposer la question allemande, avec le risque d’une nucléarisation de l’Allemagne au moment même où la jeunesse du pays menace d’être tentée par l’AFD.


  1. Engrenages : la guerre d’Ukraine et le basculement du monde, Odile Jacob, 2024. ↩︎
  2. Les manifestations survenues en Ukraine suite au refus du gouvernement de signer un accord d’association avec l’Union européenne ↩︎

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Affiche “antisémite” de LFI: selon Mélenchon, c’est la faute à l’extrême droite!

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Jean-Luc Mélenchon, 13 mars 2025. Capture YouTube.

Le leader de l’extrême gauche française a répondu hier matin à la polémique monstre suscitée par une affiche de son mouvement caricaturant l’animateur télé Cyril Hanouna. Pas convaincant !


Le mardi 11 mars, La France Insoumise a publié de nouvelles affiches pour promouvoir sa « manifestation contre le racisme et le fascisme » prévue le 22 mars à Paris et dans plusieurs grandes villes. En d’autres termes, pour reprendre son vocabulaire : contre « l’extrême droite » ! Plusieurs visuels ont été diffusés, représentant le journaliste de CNews Pascal Praud ou l’animateur Cyril Hanouna, considérés par le mouvement d’extrême gauche comme des « relais » de « l’extrême droite et de ses idées ».

Malheureusement, cette campagne de propagande n’a pas du tout eu l’effet escompté, et a même provoqué une intense polémique qui agite la sphère politico-médiatique depuis. Sur l’une des affiches, Cyril Hanouna est caricaturé avec des traits physiques déformés, un regard menaçant et une bouche difforme, le tout plongé dans une extrême noirceur. Il n’a fallu que quelques minutes pour que les réseaux sociaux soient inondés de réactions condamnant cette représentation. De nombreux observateurs ont immédiatement remarqué une troublante ressemblance entre ce visage volontairement déformé et celui figurant sur l’affiche du film antisémite allemand de 1940, Le Juif éternel. C’est la même caricature physique, les mêmes oreilles légèrement décollées, le même sourire grinçant, le même regard sombre, se persuadent les détracteurs de LFI !

La faute à pas de chance ?

Même le journaliste progressiste Jean-Michel Aphatie, pourtant peu connu pour porter Cyril Hanouna dans son cœur, a apporté son soutien à l’animateur, dénonçant un visuel « effrayant (…) qui rappelle la haine des Juifs des années trente ». De son côté, Cyril Hanouna a annoncé entamer des procédures judiciaires, pendant que la chaîne CNews ou le JDD suivent l’affaire de près. L’ancien sénateur socialiste David Assouline a, lui aussi, condamné une caricature « abjecte », affirmant que « cette image emprunte tous les codes des caricatures antisémites » et que désormais, « LFI n’a plus rien à voir avec la gauche antiraciste ».

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Depuis le 7-Octobre, LFI s’est distinguée par des déclarations controversées sur le conflit israélo-palestinien. Le parti a même été accusé par certains d’un soutien plus ou moins ambigu envers le Hamas, organisation terroriste. Ainsi, la question soulevée par de nombreux twittos le 11 mars semble légitime : le parti d’extrême gauche aurait-il délibérément voulu faire une affiche à connotation antisémite crasse ? Trop gros pour être vrai ? Maladresse ? Incompétence notoire ? Parmi les éditorialistes, les avis divergent. Et certains estiment qu’il vaudrait mieux garder un peu de salive en bouche, des fois que demain un député islamo-gauchiste publie une caricature similaire avec étoile de David, kippa sur la tête ou drapeau israélien… Éric Coquerel, député LFI et président de la commission des finances a reconnu toutefois sur TF1 « une maladresse sur la forme », tout en affirmant que « nous n’avons pas récupéré […] des références antisémites ». Toutefois, force est de constater que le visuel polémique a bien été retiré par son parti.

C’est pas ma faute, c’est le charlisme qui a encore frappé…

Invité de Léa Salamé sur France Inter jeudi matin, Jean-Luc Mélenchon s’est vivement emporté contre la journaliste qui n’y comprend rien au conflit russo-ukrainien. Interrogé en fin d’émission sur la fameuse affiche, il a préféré accuser son ennemi de toujours : l’extrême droite. Refusant de reconnaître une quelconque erreur, il a dénoncé une « habitude des réseaux d’extrême droite » et s’est même lancé dans un exercice d’autoflagellation : « Nous n’avons pas le droit à ces caricatures […] Des caricatures de M. Hanouna, il y en a qui sont mille fois pires dans Charlie Hebdo, mais eux ne sont pas la cible des réseaux d’extrême droite. » Avant de conclure, agacé : « Par pitié, lâchez-nous ! Occupez-vous de ce qu’on raconte vraiment, de ce qu’on dit vraiment, de ce qu’on propose. Dites-nous : “vous vous trompez”, mais arrêtez avec ce cirque. » Dire qu’il se trompe ? Mais nous ne cessons de répéter dans ces colonnes que le parti de M. Mélenchon se trompe ! Mais, il semble qu’il ne soit jamais bienvenu de critiquer les idées de M. Mélenchon…

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Relayer l’idée que cette affiche polémique serait une erreur reviendrait à faire le jeu de l’extrême droite, nous dit le leader insoumis. Très franchement, à part les spectateurs présents exceptionnellement dans le studio ce matin et qui applaudissaient bêtement, qui pensait-il vraiment convaincre ?

https://twitter.com/DestinationTele/status/1900103936868065542

Chef de guerre, chef de la diplomatie? Calmez-vous, ça va bien se passer!

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Jean-Noël Barrot et Emmanuel Macron à Paris, 24 octobre 2025 © Lafargue Raphael-Pool/SIPA

Tensions internationales. Emmanuel Macron, toujours prompt à théâtraliser son rôle, a endossé le costume du chef de guerre le 5 mars. Cheffer, c’est son dada, et il ne manque jamais une occasion de le rappeler, surtout quand il s’agit de diplomatie et de défense. Mais attention, même en matière militaire, sous la Ve République, le chef décide souvent… à condition que d’autres signent derrière lui ! Grande analyse.


Jacques Chirac avait l’habitude de dire qu’ « un chef c’est fait pour cheffer ». Le 5 mars, durant près d’un quart d’heure, le président Macron a essayé de démontrer qu’il s’inscrivait dans les pas de son illustre prédécesseur. Il a donc adopté la posture du chef de guerre mais aussi, l’une ne va pas sans l’autre sous la Ve République, de chef de la diplomatie. Il nous avait fait un coup similaire pour nous annoncer le confinement. Le coup de menton est son arme favorite quand il veut impressionner ! Calmez-vous, M. le président !

Domaine réservé !

Depuis quelques mois, une petite musique est jouée, notamment du côté de l’Elysée, qui laisserait à penser que « le domaine réservé » posé par Jacques Chaban-Delmas dans les années 60, est de retour même dans une période de cohabitation hybride. Mais que disait exactement l’ancien maire de Bordeaux ? Au début de la Ve République, le parti gaulliste n’est pas majoritaire, et M. Chaban-Delmas, qui a été élu président de l’Assemblée nationale contre l’avis du général de Gaulle en 1959, décrit un « secteur réservé ou présidentiel » qui « comprend l’Algérie, sans oublier le Sahara, la communauté franco-africaine, les affaires étrangères, la défense ». Il ajoute que, face à cela : « Le secteur ouvert se rapporte au reste, un reste, d’ailleurs, considérable, puisqu’il réunit les éléments mêmes de la condition humaine. Dans le premier secteur, le gouvernement exécute, dans le second, il conçoit ».

Comme le précise notre collègue D. Rousseau, « dans le texte de la Constitution, le domaine réservé n’est écrit nulle part ». C’est une pratique qui l’a mis en place, impulsée par le présidentialisme. Chaque président s’y est, plus ou moins, référé. Comme le soulignait Georges Pompidou : « je puis affirmer qu’il n’y a pas de domaine réservé, et cela dans aucun sens, qu’en toutes matières, pour l’impulsion, la ligne générale, la continuité, je tiens le rôle du chef de l’État pour essentiel ».

Voyons un peu ce qu’il en est et surtout clarifions les choses d’un point de vue constitutionnel. Nonobstant le « domaine réservé », le gouvernement dispose lui aussi, de par la Constitution, de prérogatives qui touchent aussi à ce fameux « domaine réservé ». Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation (art. 20 de la Constitution). Cela implique d’être aussi actif en matière de politique étrangère et de défense. Mais attention : hors cohabitation cet article 20 doit être lu différemment : le président détermine et le gouvernement conduit. La cohabitation permet en revanche de recourir à une lecture plus parlementaire. Au titre de l’art. 20 également, le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée.  Cela signifie notamment qu’il y a un ministre en charge de la Défense. Enfin, le Premier ministre, chef du gouvernement, est aussi responsable de la défense nationale au titre de l’art. 21.

C’est pour toutes ces raisons, qu’il faut  préférer la notion de « domaine partagé » à celle de « domaine réservé ». D’autant plus que, et c’est là-dessus que l’on va s’attarder, tous les pouvoirs présidentiels sont soumis en ces matières au contreseing ministériel du gouvernement. Que d’observateurs et surtout d’acteurs politiques, souvent de premier niveau, méconnaissent cette règle essentielle à l’exercice des pouvoirs sous la Vè. Etudions à présent cette dernière qui s’applique au « domaine réservé » pour en faire un « domaine partagé ».

Origines du contreseing ministériel

C’est une très ancienne règle monarchique qui voulait que les actes du roi soient contresignés (y compris ceux relatifs à la guerre). Il y avait un ministre en charge des Sceaux qu’il apposait sur les actes royaux afin de les authentifier. Il n’est qu’à regarder les émissions historiques pour constater que lorsqu’est présenté un acte royal il y a toujours un sceau (rouge de préférence). Il s’agit du cachet officiel dont l’empreinte est apposée sur des actes pour les rendre authentiques ou les fermer de façon inviolable. Ce sceau est aussi l’empreinte faite par ce cachet. La cire, le plomb portent cette empreinte. Et si, aujourd’hui,  le ministre de la Justice et aussi Garde des Sceaux, c’est toujours pour cette raison. Son rôle est d’authentifier par un sceau de la République une révision constitutionnelle.

A partir de la IIIè République, le contreseing généralisé sur les actes présidentiels sert toujours à authentifier l’acte mais aussi,  et même surtout,  à « transférer la responsabilité de celui qui signe vers celui qui contresigne » (Thèse Du contreseing sous la Vé République, R.Piastra ; ANRT Lille, 1997).

Bien évidemment, cela se situe dans le contexte du régime parlementaire qui est consacré en France dès 1870 et qui sera perpétué sous la IVe République et, à un degré moindre, sous la Vè. Cela signifie donc que l’essentiel des actes du président de la République est soumis au contreseing ministériel du Premier ministre et des ministres. Sous les IIIè et IVè Républiques c’est un contreseing généralisé même sur les actes liés à la défense et à la diplomatie. Alors qu’avec la Vè, à côté des pouvoirs partagés, on a une nouvelle et inédite catégorie, les pouvoirs propres c’est-à-dire dispensés de contreseing.

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C’est l’art. 19 de la Constitution de 1958 qui définit ces pouvoirs propres et partagés. Ainsi, il énonce que «les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ». Afin de n’avoir pas à y revenir, précisons ici ce qu’est un ministre responsable. Il s’agit de celui qui exerce des compétences sur le domaine visé par l’acte présidentiel (en particulier l’exécution du texte).  Naturellement, le contreseing du ministre est obligatoire. Le refuser équivaut à sa démission. Pour l’exécution de la loi Evin (10 janvier 1991, relative à la lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme), M. Charasse, comme il nous l’a confié, avait ponctué son contreseing d’un « à regret ».  Le clin d’œil du fumeur de cigares en quelque sorte ! Le Secrétariat général du gouvernement dut reprendre le texte que l’intéressé signa (normalement cette fois-ci). 

Les  pouvoirs présidentiels partagés sous la Vè

La liste des pouvoirs partagés est implicitement donnée par l’art. 19. Il s’agit : du pouvoir de nomination des membres du gouvernement (art. 8-1), de la présidence du Conseil des ministres (art. 9), de la signature des ordonnances ainsi que les décrets délibérés en Conseil des ministres (art. 13), du pouvoir de promulgation des lois et de la demande d’une nouvelle délibération (art. 10), des nominations aux emplois civils et militaires (art. 13), de la convocation du Parlement en session extraordinaire et clôture de la séance (art. 30), des pouvoirs en matière de diplomatie et de défense, et du droit de grâce individuelle (art. 17).

Dans le droit fil de notre axe d’étude, étudions plus spécialement deux pouvoirs partagés capitaux en particulier si l’on s’en réfère à l’actualité : les pouvoirs diplomatiques et les pouvoirs de défense.

Les pouvoirs diplomatiques

Selon l’art. 13 C, le président procède à certaines nominations, notamment « les ambassadeurs et envoyés extraordinaires ». Ces derniers doivent être approuvés par le Parlement et, bien entendu, le décret de nomination doit être contresigné par le Premier ministre et les ministres responsables (ndlr : responsables de l’exécution du texte). Comme on le constate, le président n’est pas libre de ses choix conditionnés qu’ils sont par le contreseing et par l’aval parlementaire. En cohabitation, il est évidemment encore plus contraint.

Selon l’art 14, le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui. Là encore, les nominations doivent être contresignées.

Selon l’art. 52 C, le président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification. C’est cet article qui consacre le président de la République comme « chef de la diplomatie ». On remarquera que c’est lui qui conduit la délégation française dans toutes les rencontres internationales ou européennes d’importance. Mais, c’est bien le Premier ministre qui dispose de l’administration (art. 21) y compris de celle du ministère des Affaires étrangères. C’est donc lui qui propose à ce titre la nomination des ambassadeurs, et il n’est pas contestable que la négociation d’un traité s’inscrit pleinement dans la « politique de la nation  déterminée et conduite par le gouvernement » (art. 20).

Hors période de cohabitation, le président a la haute main sur la diplomatie. Il y a une verticalité décisionnelle incontestable. En cohabitation, même hybride comme celle que l’on vit actuellement, cette hiérarchie doit être relativisée. Il y a même une dyarchie ou plus exactement une horizontalité décisionnelle.  Actuellement, on voit que M. Barrot, en charge du quai d’Orsay, et assez actif sur la scène internationale. Ce qui semble arranger M. Bayrou, enferré dans les affaires internes. Il est incontestable que c’est M. Macron qui a activé l’UE sur le dossier ukrainien. Mais être en première ligne contre la Russie après avoir dit voici deux ans qu’il ne fallait pas rompre avec elle, peut laisser assez perplexe. De même on ne peut que s’interroger sur la ligne de conduite de l’Elysée à tout le moins erratique sur le dossier algérien. On ne le dit pas assez, mais la gestion des OQTF relève aussi du chef de l’Etat lorsqu’il y a blocage sur les laisser-passer consulaires (titre de voyage exceptionnel délivré aux ressortissants algériens non immatriculés afin de leur permettre de rentrer en Algérie suite à la perte ou au vol de leurs passeports). Quand il le fallait, Jacques Chirac négociait en direct avec son homologue algérien (laisser-passer contre visas, en quelque sorte). Il en fit de même avec ses « amis » marocains Hassan II puis Mohamed VI. Comme Emmanuel Macron ne sait pas gérer le dossier algérien, les OQTF sont systématiquement refusés, refoulés chez nous où ils peuvent continuer à se livrer à des exactions.

En cohabitation, le domaine diplomatique est assez sensible aux rapports personnels entre l’Elysée et Matignon. S’ils sont bons et que la répartition l’est aussi,  la politique est « fluide ». S’il y a hiatus,  c’est plus compliqué. La période actuelle nous parait plus relever du second cas que du premier.

Répétons ici que tous les actes diplomatiques du président de la République sont revêtus des contreseings d’usage (notamment Premier ministre et ministre de la Défense). Cela ne va pas toujours de soi en cohabitation (à ce titre, la première de 1986 à 1988 fut plutôt tendue !). « Quand un diplomate dit ‘oui’, cela signifie ‘peut-être’ ; quand il dit ‘peut-être’, cela veut dire ‘non’ ; et quand il dit ‘non’, ce n’est pas un diplomate »… (Henri Louis Mencken).

Les pouvoirs militaires

L’article 15 énonce que « le président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ». En France, le chef des armées est l’autorité suprême pour les questions militaires. C’est essentiellement son élection populaire qui légitime son rôle éminent auprès des militaires. L’image la plus symbolique est le défilé des troupes le 14-Juillet. C’est vers le président que convergent tous les regards des militaires.

Malheureusement, dès le premier 14-Juillet où il officié, en 2017, le président Macron a envoyé un signe assez  négatif mais révélateur à toutes les autorités militaires françaises. Lors de la campagne présidentielle de 2017, il s’engage à porter le budget de la Défense à 2% du PIB pour 2025, engagement que le général Pierre de Villiers prend très au sérieux. Cependant, la réduction des dépenses publiques votée par le Parlement prévoit une diminution du budget de la Défense en 2017, ce que le chef d’État-major critique vivement devant la commission de la Défense. Ses propos fuitent dans la presse, ce qui marque le début d’une détérioration de ses relations avec le palais de l’Elysée. Pierre de Villiers (chef d’État-major des armées, le plus haut grade de l’armée française) est ensuite limogé de sa fonction le 19 juillet 2017, par le chef de l’Etat, et il quitte le ministère des Armées pour accéder à la retraite. Dans deux ouvrages, le général de Villiers a exposé une vision assez largement approuvé par le corps militaires ainsi que le grand public (Servir, Fayard, 2017 et L’Équilibre est un courage, Fayard, 2020). Il faut en outre préciser que tous les hiérarques militaires ont été choqués de ce limogeage qui n’a aucun précédent. Cela a entrainé une perte de confiance certaine et durable  entre le chef des armées et ses troupes.

Lorsque l’on envisage les pouvoirs militaires de président, ce sont deux choses. D’abord la loi de programmation militaire (LPM). En matière de finances publiques, il s’agit d’une loi visant à établir une programmation pluriannuelle des dépenses que l’État consacre à ses forces armées. S’il est un domaine où les choix présidentiels sont majeurs, c’est bien là. Car les choix stratégiques et d’équipements, c’est lui qui les fait. Même si le contreseing s’applique également. Ainsi, après plusieurs semaines de débats, la loi de programmation militaire 2024-2030 a été définitivement adoptée par le Parlement le jeudi 13 juillet 2024. Le texte prévoit une enveloppe de 413,3 milliards d’euros pour les armées. Selon le ministre de la Défense Sébastien Lecornu, cette LPM porte l’ambition de transformer les armées pour permettre à la France de faire face aux nouvelles menaces et de maintenir son rang parmi les premières puissances mondiales.

Il s’avère que la crise en Ukraine révèle ces dernières semaines qu’il va falloir faire plus. Dans sa déclaration du 5 mars, le président Macron a énoncé que face aux menaces (Russie et désengagement américain), « nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables ». Il a ensuite précisé : « J’ai demandé au gouvernement d’y travailler le plus vite possible. Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage ». Cet effort a été calculé. Il est de l’ordre d’environ 80 milliards. Le grand problème qui se pose, c’est comment financer ? Si l’on suit le processus budgétaire, la LPM ayant été votée en juillet, il conviendra de voter une loi spéciale pour la modifier. Vu la composition de l’Assemblée, cela risque de ne pas être une sinécure.

Second axe important des pouvoirs militaires présidentiels, l’opérationnel. C’est d’abord l’engagement de troupes françaises sur des zones étrangères. Cet engagement relève de la décision du chef de l’Etat. De de Gaulle à Macron, il en a toujours été ainsi. Bien sûr, le décret présidentiel d’engagement revêt les contreseings de rigueur. Cela pose parfois problème (ex : démission de Jean-Pierre Chevènement en 1991, opposé à l’opération militaire en Irak). C’est aussi le désengagement de soldats (ex : Mali en 2024). Mais, là encore, engager ou désengager des troupes se fait sur la base de décrets contresignés. En 2021, environ 13 000 militaires assuraient la sécurité du territoire national, de pays amis et de ses installations stratégiques.

Mais il faut préciser ici que selon l’art 35 C, « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention ». Bien évidemment c’est au président,  assisté des conseils et comités qui l’entourent, de gérer l’intervention. Toujours sur la base de décrets contresignés. Chacun se rappelle que, depuis 1939, la France n’a plus été confrontée à une guerre. Pour le conflit en Ukraine, et contrairement à ce qui est véhiculé çà et là dans divers médias,  la France comme les autres Etats européens qui aident l’Ukraine n’est en aucun cas un pays belligérant. La belligérance c’est prendre part directement à une guerre. Serait belligérant le pays qui engagerait tout moyen humain (soldats) ou matériel (char) contre la Russie.

Il faut maintenant dire un mot de ce que notre collègue Samy Cohen appelait « le feu nucléaire ». Ce dernier repose sur la dissuasion nucléaire. En France elle est fondée sur notre capacité à infliger des dommages inacceptables à un adversaire qui voudrait attaquer. La dissuasion repose sur la possession de l’arme nucléaire mais aussi sur la capacité à l’utiliser par différents moyens terrestres, maritimes et aériens (Nicolas Roche, « Pourquoi la dissuasion », PUF, 2017). Désormais les textes concernant la dissuasion nucléaire sont contenus au Titre Ier (Articles R*1411-1 à R*1411-18) du Code de la Défense.  La France possède environ 300 têtes nucléaires. Ce qui la classe au 4è rang mondial.  Depuis l’origine la doctrine nucléaire française, fixée par le général de Gaulle, implique que l’emploi de l’arme ne vaut que si un adversaire s’en prend aux « intérêts vitaux du pays ».

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Il existe un paradoxe essentiel que peu d’observateurs soulignent. En l’état actuel de notre Constitution, les pouvoirs militaires sont, comme nous l’avons souligné ci-dessus, contresignés. Dès lors l’engagement du « feu nucléaire » aussi. Bien évidemment une attaque qui menacerait nos « intérêts vitaux » ne supporterait la lenteur formaliste de la procédure des contreseings. Mais impliquerait une réactivité basée sur le chef de l’Etat et les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale. Le décret d’engagement contresigné des forces pourrait être à la limite élaboré a posteriori. Ainsi que nous l’avons proposé dans notre thèse sur le contreseing sous la Vè, il serait aussi possible d’ajouter un article constitutionnel sur l’engament des forces nucléaires dispensé du contreseing (J. Guisnel, B. Tertrais, Le président et la bombe, O. Jacob, 2016).

Dernier point sur ce « feu nucléaire » : récemment Friedrich Merz, futur chancelier allemand, s’est dit favorable à se mettre sous notre « parapluie nucléaire ». Le Premier ministre polonais également. De son côté Emmanuel Macron s’est dit prêt à « ouvrir la discussion » sur l’élargissement à l’Europe de la dissuasion nucléaire française. Mais il a, à bon droit, précisé que le « bouton nucléaire » resterait une prérogative française (et élyséenne). Même s’il nous faut impérativement demeurer souverains en la matière, il est impossible de ne pas intégrer, vu l’évolution de la scène internationale, de plus en plus belliqueuse, que nos « intérêts vitaux » comportent aussi une dimension européenne. Depuis de Gaulle chaque président de la Ve République a défendu une dimension européenne de la dissuasion nucléaire à sa façon. Il n’a jamais été question de «partager» l’arme ultime, mais de considérer les «intérêts vitaux» de la France. Et puis, très prosaïquement, pourquoi ne pas envisager de « protéger » des
Etats qui le veulent moyennant une « rétribution » (un budget annuel, par exemple) ? Cela nous permettrait aussi d’entretenir et d’enrichir notre arsenal et même d’augmenter le budget Défense.  Mais attention :  « Si on étend le parapluie nucléaire, ça signifie qu’on est prêt à utiliser des armes nucléaires pour protéger potentiellement un État européen ou un État de l’OTAN. Mais ça signifie qu’en contrepartie, on s’expose à un risque de représailles de la part d’un État », souligne Christophe Wasinski, professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Des actes non soumis au contreseing sous la Vé : pouvoirs propres

L’article 19, on l’a dit,  sépare deux types de pouvoirs : les pouvoirs partagés, soumis au contreseing ministériel, et les pouvoirs propres non soumis à ce contreseing. Les premiers sont classiques en régime parlementaire alors que les seconds sont totalement nouveaux. Celui qui a inspiré les pouvoirs propres au général de Gaulle, c’est Raymond Janot, résistant et conseiller d’Etat,  il s’est spécialisé très tôt en matière institutionnelle. Comme il nous l’a confié lors de notre travail doctoral, il fallait « donner au chef de l’Etat des pouvoirs qui lui permettent d’agir seul dans certaines circonstances particulières ».

Ainsi ont été mis en place :

  •  l’art 8-1 : la nomination et la fin de fonction du Premier  Ministre
  • l’art. 11 : le référendum
  • l’art 12 : la dissolution
  • l’art. 16 : les pleins pouvoirs constitutionnels.
  • l’art. 18 : le droit de message
  • l’art. 54, 56, 61 : les rapports du président avec le CC (nominations, saisines).

A noter que, très marqué par la dévolution des pouvoirs à Pétain en 1940, le général tint particulièrement à la possibilité pour le président de recourir à des pleins pouvoirs en cas de crise grave. Comme nous l’a confié encore M. Janot, le général était persuadé qu’avec l’art. 16 le gouvernement aurait été en mesure en 1940 de ne pas céder à Pétain et de tenir face à l’envahisseur allemand. « Rien n’est moins sûr » nous précise l’intéressé.  Parmi les pouvoirs propres, ne figure aucun article relatif à la diplomatie ou à la guerre. Pour la simple et bonne raison, qu’au titre du régime parlementaire,  ils appartiennent à la catégorie des pouvoirs partagés comme on l’a vu ci-dessus.  

Il faut préciser que l’usage des pouvoirs propres est aussi fonction de la conjoncture politique. Hors cohabitation, c’est-à-dire en logique présidentialiste, la prééminence du chef de l’Etat est affirmée. En cohabitation elle est plus… mesurée. Présider c’est « cheffer » en matière de politique interne mais aussi externe. Toutefois la Constitution ne permet pas de s’arroger des pouvoirs que l’on n’a pas. Et surtout elle implique d’en partager certains avec le gouvernement. Depuis la fin de son premier mandat (Covid oblige), beaucoup de citoyens mettent en cause la manière de présider d’Emmanuel Macron. Et ce, aussi bien dans l’opposition que dans la majorité. Il apparait évident qu’on est de plus en plus dans un exercice isolé du pouvoir. Et la situation générée par la dissolution n’a rien arrangé. Bien au contraire. Qui dirige vraiment ? Sur la scène internationale, les initiatives françaises sont toujours décalées. Emmanuel Macron réunit à Paris les responsables militaires de pays européens. Certes. Dans le même temps ou presque, la paix se dessine entre Ukrainiens, Américains et bientôt Russes. Et l’UE n’y est pas. La France, encore moins. D’autant moins qu’après avoir clamé haut et fort qu’il ne fallait pas rompre le dialogue avec la Russie (position raisonnable s’il en est), le président Macron la désigne comme danger principal. Que pèse-t-il par rapport au maître du Kremlin ? L’image de la France est particulièrement dégradée en Russie. Tout comme elle s’est dégradée aux Etats-Unis. Et dans tant d’autres endroits… La junte algérienne nous humilie à chaque dossier d’OQTF. Un ex-diplomate de nos connaissances, qui a commencé sa carrière sous l’ère de Nicolas Sarkozy, nous a confié n’avoir jamais vu une politique étrangère aussi « erratique ».

Et puis, est-ce franchement digne d’un « chef » d’affoler la population comme il l’a fait dans son discours du 5 mars qui se voulait de mobilisation générale ? La Russie était dans son viseur. C’est un peu ridicule, selon nous. Cette dernière, en bientôt trois ans, n’a pas été capable de prendre Kiev et elle arriverait aux portes de Paris ? L’islamisme intégriste est un danger bien plus grave, qui a fait des dizaines de morts en France alors que la Russie aucun, observent l’opposition politique. Mais là, il ne faudrait rien dire, banlieues obligent. M. Bellatar veille… Pour conclure : « On ne mène pas une politique étrangère avec des clins d’œil et des ronds de jambe… » (Jacques Vergès).

« Make Industry Great Again »

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Emmanuel Macron en visite dans l'entreprise STMicroelectronics à Crolles, en Isère. Le président dévoile la strategie et les investissements pour l'electronique dans le cadre France 2030, 12 juillet 2022 © ROMAIN DOUCELIN/SIPA

Pour le fondateur de l’Observatoire Janus, la puissance française est à l’heure des choix: l’industrie ou le déclin…


La désindustrialisation française ne s’est pas faite par hasard, mais par choix. Tandis que d’autres nations préservaient et renforçaient leur appareil productif, la France a laissé son industrie décliner, avec des conséquences économiques et stratégiques majeures. Aujourd’hui, face aux tensions géopolitiques croissantes, aux ruptures d’approvisionnement et à la guerre économique entre grandes puissances, la question n’est plus de savoir si la France doit réindustrialiser, mais comment y parvenir.

Depuis les années 1970, la France a subi une désindustrialisation, plus brutale que ses voisins. En misant sur les services et la finance au détriment de la production, elle a vu ses usines partir, son savoir-faire disparaître et la part de l’industrie dans son PIB s’effondrer. Là où Berlin a préservé un tissu industriel en intégrant la R&D et en soutenant les exportations, Paris a externalisé ses services, misé sur la consommation et alourdi la fiscalité des entreprises.

Ces choix ont eu des effets catastrophiques : perte de souveraineté, déficits commerciaux et disparition de groupes industriels majeurs. Contrairement à l’Allemagne ou l’Italie, qui affichent des excédents grâce à leur industrie, la France décroche économiquement. Pourtant, alors que le débat sur la réindustrialisation s’intensifie, les mesures concrètes restent marginales. Or, la souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit.

En Asie : l’industrie au service de la puissance

L’industrialisation est toujours le fruit d’une volonté politique. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et la Chine ont bâti, en quelques décennies, des bases industrielles solides, faisant de leur économie un levier de puissance. Après 1945, le Japon engage une reconstruction industrielle dirigée par le MITI, un super-ministère chargé du développement économique. L’industrie est protégée par des barrières tarifaires et se structure autour des keiretsu, des conglomérats intégrés reliant banques, usines et services. Subventions et accès facilité au crédit permettent au Japon de devenir une puissance exportatrice.

Dans les années 1960, la Corée du Sud suit ce modèle avec une planification industrielle rigoureuse qui pilote le développement des chaebols. Ces conglomérats bénéficient de financements massifs et d’un accès aux marchés publics en échange d’objectifs d’exportation stricts. L’industrie lourde et la haute technologie deviennent les fers de lance du miracle coréen.

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Enfin, la Chine adopte, dès les années 1980, un modèle mêlant capitalisme et contrôle étatique. Avec les zones économiques spéciales, Pékin attire les capitaux étrangers tout en imposant des transferts de technologies. L’État pilote l’industrialisation à travers des plans ciblant les semi-conducteurs, les batteries et l’aérospatial. Les points communs de ces stratégies sont clairs : un État qui planifie, une industrie protégée, un soutien massif au crédit et une orientation vers l’exportation. Les résultats le sont tout autant.

Le Japon, pays défait et ruiné en 1945 devient le premier rival économique des États-Unis à la fin de la guerre froide. La Corée du Sud, qui affichait un revenu par habitant inférieur à celui d’Haïti au début des années 1960, figure aujourd’hui parmi les quinze premières économies mondiales. Quant à la Chine, son ascension vers le statut de première puissance mondiale parle d’elle-même. Contrairement à l’UE et son dogme du libre-échange, ces pays ont compris que la puissance industrielle repose sur l’alliance entre l’économie et le politique.

Aux États-Unis, un réveil tardif

Les États-Unis ont récemment amorcé un virage clair vers la réindustrialisation. Ils ont engagé une série de réformes pour protéger leurs industries stratégiques, relocaliser la production et sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

L’administration Trump impose des tarifs douaniers sur les importations chinoises, ciblant notamment l’acier, l’aluminium et les composants électroniques. L’objectif est de rendre les importations moins compétitives et de relancer la production locale. L’administration Biden a lancé le CHIPS Act en 2022, un plan de 52 milliards de dollars pour relancer la production nationale de semi-conducteurs.

La même année, l’Inflation Reduction Act injectait 370 milliards de dollars dans les industries vertes, avec une logique de relocalisation. Enfin, le Build America, Buy America Act, adopté en 2021, impose aux marchés publics de privilégier les entreprises nationales. L’accent est aussi mis sur la sécurisation des chaînes d’approvisionnement et l’accès à une énergie compétitive. Cette réindustrialisation ne repose donc pas sur le marché, mais sur des politiques volontaristes, combinant protectionnisme ciblé, aides directes et incitations fiscales.

France: que faire ?

Aucune grande puissance industrielle ne s’est construite sans intervention de l’État. Trois piliers sont essentiels : protéger, financer, organiser.

Protéger l’industrie nationale passe par un protectionnisme ciblé. Conditionner les marchés publics à la production locale, imposer des barrières tarifaires sur les produits stratégiques, réguler les investissements étrangers pour éviter le rachat d’entreprises clés.

Financer et soutenir la montée en puissance des industries stratégiques exige la création de fonds souverains. Un crédit industriel préférentiel garantirait des prêts à taux réduits aux entreprises manufacturières. La fiscalité doit aussi être adaptée avec une baisse des charges sur la production, des incitations fiscales à l’investissement et une prime à l’export pour renforcer la compétitivité.

Structurer l’industrie autour d’écosystèmes compétitifs permettrait de rivaliser à l’international. Un Airbus des semi-conducteurs, des batteries, du cloud computing permettrait d’atteindre la taille critique pour s’imposer. Les États doivent favoriser la création de clusters industriels, reliant grandes entreprises, PME et centres de recherche pour maximiser l’innovation.

La réindustrialisation ne repose ni sur des slogans ni sur des demi-mesures. Elle implique des arbitrages et des choix stratégiques clairs et assumés.

C’est dans l’air et c’est pollué

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L'actrice Julie Gayet sur France 5 aux côtés de Dany Boon et Anne-Elisabeth Lemoine. 3 mars 2025 DR.

Anne-Elisabeth Lemoine recevait récemment la grande actrice Julie Gayet dans son talk-show. Une belle occasion de s’indigner avec élégance: pourquoi diable le cinéma français a-t-il si peu mis en lumière Olympe de Gouges? Franchement, il y avait pourtant là un rôle en or! Quel scandale, ma bonne dame, on en ferait presque une pétition sur change.org… Et bien sûr, impossible de ne pas remettre les choses en perspective: la cause féminine en Occident? Pas de quoi fanfaronner, hein. Avant de vouloir donner des leçons au monde arabe, on ferait peut-être mieux de vérifier si on a enfin payé l’écart de salaire entre Ken et Barbie…


Ce n’est certes pas la première fois que Bécassine entend le propos, mais comme certains comportements ou phrases qu’on enregistre et dont le sens n’advient que plus tard, à la faveur d’une cristallisation, cette fois-ci, elle a vraiment entendu ce qui se disait. La répétition, ça instruit. Ça abrutit aussi, mais si l’on veut bien décortiquer, ça instruit.

Donc, C dans l’air recevait Julie Gayet pour sa prestation dans « Olympe de Gouges » qui passait le soir à la télévision. Il fut donc question du combat des femmes, de la Révolution qui trouvait que ce n’était pas le moment, qu’on verrait après, etc. La présentatrice parla alors de ce combat toujours hélas d’actualité ; il n’y avait qu’à voir le sort des femmes en Afghanistan, en Iran, mais aussi aux États-Unis où le droit à l’avortement était menacé et en France, n’est-ce pas, où l’égalité salariale n’était toujours pas au rendez-vous !

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Pris un à un, ces éléments sont tous vrais, sauf qu’on aura remarqué qu’il n’est pas dit grand-chose des femmes en Afghanistan et en Iran ; on est déjà plus prolixe dès qu’il s’agit de l’Occident. On précise. Parce que s’il fallait préciser les choses pour Bagdad et Téhéran, ça ferait une liste longue comme le bras : vente de petites filles, lapidation, interdiction de quasiment tout, enfermement, bref, mise au tombeau de leur vivant. Côté perse, on a mort pour une mèche de cheveux qui dépasse, ou pour avoir manifesté, pendaisons à gogo, hommes compris. Mais dire tout ça pourrait couper l’appétit et pourrait porter préjudice à certaines cultures, voire certaine religion.

C’est pourquoi on va appliquer la théorie de la relativité à tous les tourments que les femmes endurent « partout » depuis des lustres. On va mettre sur le même plan le sort des femmes en Afghanistan et le droit à l’avortement menacé dans certains États de l’Amérique ; on va mettre dans le même panier le fait d’être tuée et celui de n’avoir pas le même salaire que ces messieurs. On va clamer que nous aussi, ou non plus, hein, on ne fait pas les fières, qu’on n’a pas tout réglé, loin s’en faut. Ainsi, on aura fait preuve d’équité, on aura bien équilibré les dommages, pour qu’on ne croie surtout pas que dans certaines cultures où sévit certaine religion, cela soit forcément pire qu’ailleurs.

Alors, après avoir noyé le poisson, il sera temps de le manger, en toute impartialité.

« D’Amour » et de musique

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© Frédéric Iovino

Thomas Lebrun présente D’Amour, sur la scène du théâtre de Chaillot, un spectacle chorégraphique autour de la chanson française. Une belle énergie qui s’adresse aussi au jeune public.  


Que ne revoit-on des pièces du chorégraphe Thomas Lebrun aussi belles que La Constellation consternée (2010) ou qu’Avant toute disparition (2016), magnifique composition qui balaya naguère la grande scène du Théâtre de Chaillot d’un souffle épique qui demeure encore dans les mémoires !

Le pernicieux système qui règne en France contraint les rares bons chorégraphes d’aujourd’hui à créer sans cesse de nouveaux spectacles sans pouvoir exploiter suffisamment les précédents, et à délaisser ainsi tout un répertoire qui mériterait d’être maintenu et de pouvoir être découvert, année après année, par des spectateurs toujours plus nombreux.

© Frédéric Iovino

Fantaisie et poésie

Ainsi poussé à créer un nouvel ouvrage, mais avec des moyens très modestes, Thomas Lebrun, qui dirige le Centre chorégraphique national de Tours depuis janvier 2012, livre avec D’Amour une aimable anthologie de chansons de variétés, de celles qui firent rêver, de l’après-guerre à nos jours, des générations de midinettes et d’adolescents boutonneux ainsi que leurs géniteurs. De Charles Trenet à Léonard Bernstein pour le meilleur, de Sheila à Elli et Jacno ou Sagazan pour le moins convaincant, en passant par Edith Piaf, Theo Sarapo, Lady Blackbard ou Richard Sanderson…

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Conçu comme l’émission radiophonique d’un poste imaginaire, Radio Love, mais qu’on voit illustrée par un joli quatuor de danseurs très plaisamment costumés par Kite Vollard, D’Amour débute sur les chapeaux de roues par des danses libres, facétieuses, délicieusement entraînantes, très genre music-hall, et d’autant plus vivantes quand elles sont accompagnées de chansons pleines de fantaisie ou de poésie. Cela faiblit quelque peu sous l’effet délétère de la chansonnette française dont le niveau ne s’arrange guère au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Il faudrait des chants d’amour d’Espagne ou d’Amérique latine, brûlants, âpres, incandescents, mélodiquement superbes, pour mieux embraser une scène.

Gare à l’excès de guimauve

Mais Thomas Lebrun rétorque avec ironie à la mièvrerie sucrée ou au simplisme, sans verser pour autant dans une dérision qui serait trop cruelle. Et les deux danseuses au chic spontané, à la jolie dégaine (Élodie Cottet et Lucie Gemon), comme les deux danseurs de belle prestance (Sylvain Cassou et Paul Grassin), gomment avec élégance l’excès de guimauve de la chanson française, intervertissant aussi, par petites touches discrètes, les rôles masculins/féminins.

« Aimer la différence et la diversité plutôt que de les rejeter ; accepter, comprendre, respecter les singularités de chacun et chacune ; aimer ce que nous ne sommes pas comme aimer ce que nous sommes », écrit Thomas Lebrun dans le programme. Porté par la chanson, son message de tolérance et d’ouverture est clair, surtout pour un jeune public infiniment attentif aux textes entendus et les percevant pleinement.    

Si D’Amour est évidemment destiné à tous les publics, il l’est plus encore pour un jeune auditoire (dès 7 ans) à qui il est principalement destiné. Les enfants comme les adolescents en font leur miel. Et la pièce, créée à Tours en janvier dernier, doit faire une carrière multiple dans les circuits scolaires.


D’Amour Spectacle « jeune et tout public » de Thomas Lebrun. Théâtre national de Chaillot, Paris, le 14 mars à 19h30, le 15 mars à 15h et 18h, le 16 mars à 11h et 15h ; 01 53 65 30 00 ou https://theatre-chaillot.fr/fr/programmation/2024-2025/damour-thomas-lebrun-ccn-de-tours
À la Ferme de Buisson, à Noisiel, du 10 au 12 avril ; 01 64 62 77 77.

Autres ouvrages de Thomas Lebrun en tournée en France :

L’Envahissement de l’être ; le 18 mars à Montval-sur-Loire, le 25 au Théâtre Gallia de Saintes, le 25 mars au Moulin du Roc de Niort.
Pouce !  Tu, solo tu, le 21 mars. Espace Bernard Glandier, Montpellier.
Dans ce monde, les 30 et 31 mars, au Dôme de Saumur.

Cessez-le-feu en Ukraine: quand la pensée univoque entend se substituer au doute

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Le président russe Vladimir Poutine, connu pour ses postures belliqueuses et qui a envahi son voisin ukrainien en 2022, a tenu une conférence de presse à Moscou le 13 mars 2025, à l’issue d’un entretien avec son homologue biélorusse, Alexandre Loukachenko. Il n’est pas exclu que Steve Witkoff, l’envoyé spécial des États-Unis à Moscou, rencontre prochainement le chef du Kremlin ou que ce dernier s’entretienne par téléphone avec Donald Trump. Poutine a déclaré hier que la Russie était disposée à mettre fin aux combats, tout en soulignant l’existence de nombreuses « nuances » concernant les propositions américaines. © Gavriil Grigorov/Russian Presidential Press and Information Offi

Il devient difficile d’aborder le sujet de l’Ukraine sans se faire traiter de « va-t-en-guerre » ou de « Munichois ». Pourquoi ?


Un phénomène de plus en plus prégnant s’impose dans l’espace public : l’adhésion aveugle aux discours dominants, sans nuance ni véritable analyse critique. Ce qui frappe et agace, c’est la facilité avec laquelle certains individus, dépourvus de toute expertise, adoptent une posture péremptoire sur des sujets complexes tels que les conflits géopolitiques (Ukraine-Russie, Israël-Palestine), le réchauffement climatique, ou encore les grandes mutations sociétales.

La superficialité de ces prises de position est alimentée par des médias qui, loin d’être de simples vecteurs d’information neutres, se font les relais d’une narration souvent biaisée par des intérêts politiques, économiques et idéologiques. Au lieu d’inviter au questionnement et au débat, ces discours verrouillent la réflexion et imposent des réponses préfabriquées, souvent manichéennes.

La « géostratégie de salon » et le prisme de l’assimilation

Cette conformité intellectuelle se traduit par une tendance à simplifier à l’excès des situations déjà complexes. Dans une véritable « géostratégie de salon », certains s’erigent en experts autoproclamés, prédisant avec une certitude déconcertante les intentions des dirigeants mondiaux. Les nuances sont gommées au profit d’analogies historiques simplistes : Poutine devient un nouvel Hitler, prêt à dévorer l’Europe une fois l’Ukraine annexée ; l’année 2024 est perçue comme une réplique exacte de 1939, avec une catastrophe mondiale imminente.

Cette perception binaire du monde, où les acteurs sont répartis en « bons » et « mauvais », empêche toute analyse profonde et interroge sur les véritables mécanismes à l’œuvre. Qui profite de ces discours simplistes ? Comment les rapports de force réels, les intérêts économiques, et les enjeux stratégiques sont-ils occultés au profit d’une moralisation du débat ?

L’exclusion du doute et l’ostracisation des voix discordantes

Aujourd’hui, s’éloigner de la ligne dominante expose à des accusations immédiates : être taxé de « pro-russe », de « complotiste », voire d’affinités avec l’extrême droite. Cette dynamique de disqualification systématique fonctionne comme un outil de censure implicite : dès lors que l’on cherche à comprendre le point de vue d’un dirigeant controversé – qu’il s’agisse de Vladimir Poutine, Benjamin Netanyahou, Donald Trump ou Viktor Orbán – on devient suspect aux yeux du discours dominant.

Mais comprendre ne signifie ni adhérer, ni excuser. Analyser les motivations d’un acteur politique, étudier son discours et son impact réel, c’est tenter de saisir la complexité du monde sans tomber dans l’emprise de dogmes réducteurs. Pourquoi alors ce besoin de condamner sans analyser ? Pourquoi l’adhésion à une idée, si elle repose sur des faits vérifiables et des résultats tangibles, devrait-elle être frappée d’interdit sous prétexte qu’elle contredit le récit dominant ?

Une presse en quête de crédibilité

Le rôle des médias dans cette dynamique est fondamental. Jadis perçus comme des garants de l’objectivité, nombre d’entre eux ont perdu leur crédibilité à force de parti pris et d’omissions stratégiques.

Cette perte de confiance a ouvert la voie à des sources alternatives d’information, certaines sérieuses et rigoureuses, d’autres bien plus discutables. Une fragmentation de l’information s’est ainsi opérée, où chacun tend à se replier dans un écosystème médiatique confirmant ses croyances préétablies, renforçant ainsi l’absence de débat contradictoire.

Réhabiliter la pensée critique et la diversité des analyses

Face à cette polarisation du débat, il est essentiel de réaffirmer le droit à une pensée libre et critique. Une véritable démocratie ne peut se résumer à une adhésion forcée à des dogmes établis. Elle doit offrir un espace ouvert à l’examen du réel, même – et surtout – lorsque cet examen vient contredire les certitudes dominantes.

Plutôt que de diaboliser les idées divergentes, nous devons encourager un débat authentique, fondé sur des faits, des arguments rationnels et une réelle volonté de comprendre. L’avenir du débat public repose sur cette capacité à dépasser les clivages artificiels et à embrasser la complexité du monde avec un esprit critique et une ouverture d’esprit renouvelée.

L’anti-éducation de Simon Liberati

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L'écrivain français Simon Liberati © Hannah Assouline

Chic, on va enfin reparler de Stanislas ! Simon Liberati raconte ses années au fameux collège parisien, entre solitude, harcèlement et découverte d’une bourgeoisie catholique hypocrite, dans un récit précis et cruel…


Ce qu’il y a d’intéressant avec les bons écrivains, c’est qu’ils peuvent parler de tout, surtout d’eux, sans ennuyer. Simon Liberati – Prix Femina 2011 ; Prix Renaudot 2022 – évoque ses années passées à Stanislas, établissement scolaire prestigieux de Paris qui s’est retrouvé sous les feux de l’actualité après un numéro de « Complément d’Enquête », l’émission phare de France 2, particulièrement à charge.

Principale accusation : l’établissement de prestige, sous contrat avec l’État, ne pratiquerait pas la mixité sociale. Ajoutons à cela que la religion catholique y occuperait une place prépondérante. Un sanctuaire, donc, qui résisterait à la contamination woke. On a en effet dressé des bûchers idéologiques pour moins que cela.

Brebis égarée

L’établissement, situé dans les beaux quartiers de la capitale, a abrité derrière ses murs qui ont des oreilles mais qui se taisent de futurs responsables politiques – un président de la République – de puissants patrons de presse, des militaires sans guerre et quelques brebis égarées dont le jeune Simon Liberati. Ce dernier nous raconte son éducation pas sentimentale du tout à partir de son inscription comme externe en 11e bleu au collège Stan, inscription faite par un oncle mathématicien farfelu et une tante déjantée, sœur ainée de son père, toujours habillée comme une prostituée de la porte Saint-Denis. Mais si c’est à ce prix qu’on devient un écrivain iconoclaste, je ne vois pas pourquoi on renierait ses aïeuls renégats. Le jeune Simon, un introverti aux épaules étroites, devient le numéro 103. Perte d’identité immédiate. Ses camarades ne l’aiment pas ; ses profs non plus. C’est un garçon fragile avec des notes fragiles. En résumé, il est médiocre. Il va rester douze ans dans ce qu’il nomme ses « années de bagne ». Il ne passera pas le bac, renvoyé à la fin de la Première. Trop bagarreur ? Trop bad boy, tendance Charles Manson ? Rien de tout ça, juste que « Liboche », de plus en plus maltraité par ses condisciples, n’a pas le niveau pour être présenté à l’examen final. Alors exit l’adolescent. À Stan, on doit avoir cent pour cent de réussite. La réputation de l’établissement est à ce prix. Liberati résume : « C’est le collège qui est responsable de la pudeur haineuse que je garde à l’égard des principes moraux affichés et un goût de la provocation et du scandale qui m’a valu, à mon âge, de ne connaître ni la paix ni la reconnaissance de mes qualités de cœur. » Il ajoute : « Une inexorable solitude aussi qui m’a aidé bien des fois à surmonter les épreuves. » Il conclut, ce qui nous le rend décidément de plus en plus sympathique, livre après livre : « Je ne serai jamais, suivant la devise de Stan, un Français sans peur ni un chrétien sans reproche. » Surtout quand on sait que le portrait de Pétain trônait dans le bureau d’un responsable et que certains de ses condisciples « en imper vert et lunettes fumées » écrivaient sur le tableau « B. au four » en parlant d’un camarade de confession juive. C’est surtout dans les années 73/74 que l’extrême droite fit son apparition dans l’établissement. « En matière d’excentricité patronymique, révèle Liberati, j’avais deux Drieu la Rochelle, les neveux de l’auteur de Gilles, blonds, brosse courte, plutôt sympathiques (…) ». Ils voisinaient avec François-Xavier Bagnoud, fils de la productrice Albina du Boisrouvray, qui mourrait en pilotant l’hélicoptère de Daniel Balavoine lors du Paris-Dakar, le chanteur étant devenu la bête noire du pouvoir socialiste puisqu’il avait décidé de se présenter à la présidentielle. Quant à la note de Mai 68, elle ne fut guère entendue par les élèves de Stan protégés par les murs de la forteresse.

A relire, Emmanuel Domont: Simon Liberati, la fureur d’écrire

Ambiance carcérale

Liberati évoque également ses lectures qui l’aident à surmonter l’ambiance carcérale. Il apprécie Morand, Chardonne, Dickens. Il parle de Stephen Hecquet, élève à Stan, écrivain-avocat, mort en 1960 à quarante ans, au passé vaguement maréchaliste, qui a consacré un livre à l’établissement, Les Collégiens. Liberati cite un extrait de son meilleur ouvrage Les Guimbardes de Bordeaux où Stan est également décrit vers 1937. Le rôle d’un écrivain n’est-il pas d’extraire des limbes les auteurs dont les romans protègent ?

« Les coups, les humiliations, les infortunes sans cesse répétées » ont été surmontés par le numéro 103. Son œuvre l’atteste. Il signe ici une confession sans fard qui touche le lecteur. La force de l’écrivain est de pouvoir puiser dans son enfance, même si celle-ci à la couleur du châle des veuves de Corrèze.

À la fin du livre, Liberati se demande s’il ne serait pas un peu fou. « À deux reprises, écrit-il, ces dix dernières années, j’ai dit la vérité à deux femmes. La première fut Eva, jusqu’à ce qu’elle devienne vraiment insupportable et dangereuse. La seconde vit près de moi à l’heure où j’écris. » Il poursuit : « J’ai passé beaucoup du reste de ma vie à mentir aux femmes, aux amis, aux éditeurs. Je ne suis pas mythomane car je me suis arrangé pour que ma vie soit aussi amusante et romanesque que possible, je suis lâche et léger. » Qu’il se rassure : les écrivains ont le droit d’être des mythomanes.

Simon Liberati, Stanislas, Grasset. 224 pages