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Simon Liberati, la fureur d’écrire

Rencontre chez l'écrivain


Simon Liberati, la fureur d’écrire
Simon Liberati. © Hannah Assouline

Simon Liberati dévoile son panthéon personnel au fil de ses ouvrages. Passé maître dans l’art du portrait, ce dandy des lettres se plaît à entremêler le réel et la fiction. À l’occasion de la sortie de La Hyène du Capitole, deuxième tome de sa trilogie entamée avec Les Démons, il nous reçoit chez lui, à la campagne.


J’ai connu Simon Liberati par son livre 113 études de littérature romantique. C’était il y a un peu plus de dix ans. Sans doute est-ce le livre que je préfère de lui –et Liberati aussi. C’est celui qui s’est le moins bien vendu. Peu importe. Et peut-être tant mieux : il est déjà culte. Mon exemplaire fatigué, corné, tâché, m’a suivi des plages d’Antibes à celle de Trouville, dans les trains de banlieue ou dans les avions pour Montréal, Vienne ou Berlin ; parfois même dans les restaurants où je dînais seul avec une bouteille d’un vin de Bourgogne en rêvassant, tandis que tournaient les pages sur Barrès, Zelda Fitzgerald ou Henri de Régnier. C’est un livre étrange, au dilettantisme envoûtant, qui rend compte de lectures, parfois de souvenirs. Une sorte de musée imaginaire de l’esprit composite et fétichiste de Liberati, qui mérite d’être pris et repris encore et toujours pour s’éloigner du monde et se rapprocher de son auteur. Dans le train qui me menait vers Crépy-en-Valois (à la suite de l’annulation du train de 10 h 36 qui devait m’emmener de la gare du Nord à Villers-Cotterêts), où Simon Liberati m’attendait dans sa Twingo rouge sur le parking de la gare, je feuilletais encore avec un plaisir resté intact quelques-unes de ces 113 études.

Je vais aujourd’hui à la rencontre d’un écrivain que je n’ai cessé de suivre depuis cette première lecture, livre après livre, avec la même fidélité, la même passion. Le deuxième tome de ses Démons, intitulé La Hyène du Capitole, ne donne toujours pas tort à ces considérations. Nous voilà arrivés (moi et les deux seules personnes présentes dans ce wagon désert). Je monte dans la voiture, Liberati démarre. Je me tourne vers lui : il porte un blue-jean par-dessus duquel dépassent ses bottes militaires. Un manteau beige, d’élégantes lunettes de soleil légèrement écaillées, et un bonnet rose pâle composent le reste de sa tenue. Je pense à Léautaud, à Céline. Liberati est sans contexte plus élégant que ces deux superbes faux clochards, mais il partage avec ces deux maîtres un certain dandysme décalé, un singulier art de s’habiller comme personne et d’être reconnaissable au milieu de mille de ses ternes collègues plumitifs.

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Nous prenons la direction de Longpont. La conversation démarre sur ce qui a amené Liberati à s’installer dans cette « maison abandonnée », comme la désigne son livreur Amazon. La Providence et le hasard de l’immobilier font parfois bien les choses. L’abbaye en ruine, détruite en partie au moment de la Terreur ; le fantôme de Nerval, promeneur halluciné des forêts du Valois ; cette campagne à la fois délaissée et par laquelle on rejoint rapidement Paris ; ce mélange de splendeurs d’autrefois et de décadences d’aujourd’hui : tout ici s’accorde à l’univers de Liberati. En passant par le petit jardin à l’abandon déguisé, nous entrons enfin. Renaud Camus a écrit plusieurs livres sur ces demeures de l’esprit où « l’intelligence, l’art, le talent, le génie parfois, ont pris leurs quartiers pour y naître, y mourir, y habiter quelques mois ou bien toute une vie. » Edmond de Goncourt, lui, avait minutieusement décrit dans La Maison d’un artiste l’ensemble des objets d’art qui composaient son hôtel particulier du 53, boulevard de Montmorency. Il faudrait en faire de même pour la maison de Simon Liberati. Ce serait là un moyen de comprendre mieux l’homme et son œuvre. Il y a ici un entassement faussement anarchique d’objets qui, associés les uns aux autres, forment une composition baroque pleine d’âme. Des milliers de bouquins se trouvent du sol au plafond : une vieille édition NRF d’un livre de Marcel Arland fait une sieste sur le tapis, tandis que les œuvres de G. Lenôtre côtoient timidement une biographie de Britney Spears. Plus loin, un téléphone Donald Duck trône à côté d’une fenêtre. Là-bas des ouvrages de criminologie se font écraser par une belle édition du Nouvel Hollywood de Peter Biskind. Et de vieux numéros de revues désormais oubliées finissent leurs vies sur une étagère en bois. Une tonne d’autres trouvailles chinées ici et là prouvent l’intérêt de Liberati pour cent mille et une choses qu’il entasse avec le goût peu académique d’un subtil collectionneur.

Simon Liberati. Hannah Assouline.

Après avoir montré un autre de ses talents en cuisinant un délicieux poulet au curry, nous démarrons notre entretien à propos de son dernier livre. « Pour Les Démons, j’ai fait tout ce que j’ai toujours détesté », nous jure-t-il. « C’est-à-dire, mêler à une fiction romanesque des personnages réels et une autofiction. Et il y a une chose que j’aime encore moins que ça, ce sont les trilogies. C’est aussi ce que j’ai fait ! » Malgré ce dégoût très sûr, le deuxième tome des Démons est une grande réussite romanesque. Sans doute même son œuvre d’imagination la plus aboutie. Il faut parfois se méfier de l’honnêteté de certains êtres. Simon Liberati parle à cœur ouvert. Difficile de savoir si c’est par malice ou innocence. Peu d’écrivains nous invitent autant que lui à voir ce qui se passe sous le capot de sa création littéraire. « Comme souvent avec moi, ce livre est né d’un contrat à honorer. » Il se présente volontiers comme un chasseur de contrats, comme d’autres sont chasseurs de primes, en cavale, cherchant de l’argent pour « payer son loyer ». Je pense de nouveau à Louis-Ferdinand Céline : le plus grand écrivain du XXe siècle –avec Proust– ne disait pas autre chose. Honnêteté ou pose ? La réponse se trouve quelque part entre les deux. Dans le premier tome, nous retrouvions Aragon, Morand ou Marie-Laure de Noailles au milieu des personnages de Taïné, Alexis ou Donatien. C’est désormais Helmut Berger (« Quand j’étais jeune, je voulais être Helmut Berger. L’homme me plaisait beaucoup. J’étais fasciné par lui »), Mario Praz, et surtout Truman Capote, que nous découvrons au milieu d’une fresque se déroulant à l’extrême fin des années 1960 dans une Rome à la fois magique, attirante, obscure et mortifère… Les portraits sont des morceaux de bravoure écrits dans un style superbe : « Animal de portrait chinois, Helmut Berger eût ressemblé à ces ocelots ou à ces guépards qui dormaient sur les lits des jeunes artistes expressionnistes, au risque de les dévorer. » Ou bien plus loin, sur Truman Capote : « Le viril petit bonhomme à la sensibilité odorante comme un buisson de fleurs s’était transformé depuis cinq ans en cochon de lait décomposé suant dans la vitrine d’un traiteur. » Tout est ainsi : truculent, méchant, vicieux, singulier, bizarre, étrange, élégant, baroque, décadent, pop, et j’en passe. Les célébrités ressuscitent devant nos yeux fascinés, comme il l’avait déjà fait auparavant : « C’est lorsque j’ai réussi à rendre vivante Jayne Mansfield que j’ai compris qu’il se passait quelque chose. C’était comme Frankenstein. Elle était là, près de moi. » Cinq ans plus tard, il renouvelle l’expérience dans California Girls avec Charles Manson, Sharon Tate et ses meurtriers. Désormais, c’est tout l’univers, réel et fictif, de Liberati qui est en quelque sorte réuni. On peut d’ailleurs voir Les Démons (et particulièrement cette Hyène du Capitole) comme une anthologie, une compilation sous forme de saga, de l’ensemble de ses obsessions. « J’ai une très grande fidélité à mes penchants », nous dit-il, préférant ce terme à celui d’obsessions.

Peu d’écrivains nous invitent autant que Simon Liberati à voir ce qui se passe sous le capot de sa création littéraire.

Celui qui souhaitait dans sa jeunesse devenir un petit-maître de la littérature est certainement aujourd’hui l’un des auteurs français les plus importants du XXIe siècle. À bientôt 64 ans, Simon Liberati vit et crée, depuis Performance en 2019, dans une urgence qui a quelque chose de crépusculaire. « Si la Providence me prête vie, je verrais la sortie de New York City Inferno, le troisième tome des Démons. » En 2004, lors d’une apparition désormais mythique chez Ardisson, Beigbeder priait Liberati de « ne pas mourir ». Vingt ans après, comme dirait Dumas, nous ne trouvons rien de mieux à lui dire, sinon d’écrire encore, envers et contre tous ; et de faire confiance à ses admirateurs d’aujourd’hui, qui demain seront ceux qui défendront, envers et contre tous, son œuvre, et – c’est une promesse – feront en sorte qu’elle ne meure pas.

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Article extrait du Magazine Causeur




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